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Commission des affaires étrangères

Mercredi 7 octobre 2009

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l’actualité internationale (Iran, Afghanistan, Guinée, Honduras, Traité de Lisbonne)

Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l’actualité internationale (Iran, Afghanistan, Guinée, Honduras, Traité de Lisbonne)

La séance est ouverte à seize heures quinze.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, avec lequel nous sommes convenus d'aborder un certain nombre de situations internationales, en particulier en Guinée, au Honduras, en Iran, en Afghanistan. Nous souhaitons également évoquer le traité de Lisbonne.

Le 28 septembre dernier, la situation en Guinée a pris un tour dramatique. En l'état actuel de vos informations, est-il envisageable que le capitaine Dadis Camara, comme il l’a prétendu, ait été débordé par ses troupes et qu'il ne soit pas à l'origine de ce massacre ? Sait-on ce qui se passe au sein de la junte ?

Diverses médiations sont à l'œuvre. Vous-même avez envisagé une intervention internationale. Quelle forme pourrait-elle prendre ? Au lendemain du massacre, la France a par ailleurs décidé de suspendre sa coopération militaire ; on peut se demander pourquoi elle ne l’a pas fait plus tôt, en particulier lors du coup d'État militaire du 23 décembre dernier.

Au Honduras, la France ne reconnaît pas le gouvernement de facto de Roberto Micheletti. Le président Zelaya a réussi à rentrer dans son pays il y a quelques semaines mais il se trouve aujourd'hui réfugié à l'ambassade du Brésil. Comment voyez-vous évoluer cette situation ? Quelles sont les alternatives ? Quelle part la France peut-elle jouer ?

La rencontre de Genève de jeudi dernier a semble-t-il permis d'enregistrer des avancées notables sur la question du nucléaire iranien. Lors du sommet de Pittsburgh, nous avons appris l'existence d'une usine d'enrichissement d'uranium près de Qom. Les Iraniens ont accepté d'en autoriser l'accès aux experts de l’AIEA le 25 octobre prochain. Surtout, les parties se sont mises d'accord sur le principe de l'organisation, à l'extérieur du pays, de l'enrichissement jusqu'à près de 20 % de l’uranium. Ce faisant, l'exigence de la suspension de l'enrichissement en Iran a été levée, ce qui pourrait constituer un pas en arrière.

Comment être sûr que l'Iran ne dissimulera pas la poursuite d'un programme à dimension militaire ? Quels progrès concrets attendez-vous avant la fin de l'année ?

La coalition a fait des élections présidentielles un test majeur de son action en Afghanistan. Force est de constater que les résultats sont mitigés. La participation a considérablement baissé, de 75 % en 2004 à 35 % cette année, et l'on estime que la fraude porterait sur plus d'un million de voix.

Nous sommes dans l'attente d'une décision des États-Unis quant au renforcement de leurs troupes, le général Mc Chrystal ayant estimé que la coalition pouvait perdre le contrôle du territoire si 30 000 hommes de plus n’étaient pas envoyés sur place. Nous aimerions savoir ce que la France a prévu de faire, en particulier en ce qui concerne la formation de l'armée afghane, qui a toujours été notre domaine d’intervention.

Enfin, le peuple irlandais s'est massivement prononcé en faveur du traité de Lisbonne, le « oui » ayant recueilli vendredi dernier plus de 67 % des suffrages. Aujourd'hui, c'est sur le problème tchèque que nous aimerions vous entendre, puisque le président Klaus semble maintenant détenir la clé de la mise en œuvre du traité de Lisbonne. Que savez-vous à ce propos ? Est-il vrai qu'il y aurait un arrangement entre la présidence tchèque et les conservateurs britanniques au cas où ces derniers remporteraient les élections de l'année prochaine ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Le capitaine Camara est-il responsable de l’intervention sauvage de l'armée guinéenne dans le stade où manifestaient les forces vives composées des trois partis d'opposition ? Il est très difficile de répondre dans la mesure où il s'en défend. Pourtant ce sont des bérets rouges qui sont intervenus, c'est-à-dire les forces, composées essentiellement de représentant des ethnies forestières, qui entourent l'auteur du coup d'Etat dans le camp militaire où il réside toujours. On soupçonne donc fortement le président intérimaire d'avoir, si ce n'est commandé, du moins participé à la décision de réprimer une manifestation de l'opposition contre son éventuelle candidature à l'élection présidentielle, alors qu'il avait promis de ne pas se présenter, tant au secrétaire d'État français Alain Joyandet, qu’à l'Union africaine et à la communauté internationale. On peut noter que lorsqu'il a succédé à Lansana Conté, qui avait régné 24 ans par la terreur, Dadis Camara a été plutôt bien accueilli par l'ensemble des forces vives du pays, avant que son image ne se dégrade progressivement.

Au cours de ce lundi sanglant, on a d'abord interdit aux manifestants de pénétrer dans le stade, avant d'ouvrir les portes et de commencer le massacre une fois que le stade était plein. On saura un jour ce qui s’est exactement passé, mais les témoignages montrent déjà qu'il y a eu des choses horribles, sans précédent sans doute en Afrique, même au temps d’Amin Dada : tirer au hasard dans la foule, pratiquer des viols aux yeux de tous !

Nous avons immédiatement envoyé des secours, d'abord médicaux. Notre équipe, qui a pu accéder le jeudi à quelques blessés, a remarqué qu'il n'y avait aucune femme, non qu’elles aient été épargnées par les tirs collectifs, mais sans doute parce que l'on avait évacué les cadavres et les blessées, le bruit courant même dans Conakry qu'on avait placé ensemble rescapées et cadavres dans des containers. Quoi qu'il en soit, notre équipe ayant été privée dès le soir même de la possibilité d'accéder aux blessés, nous n'avions d'autre choix que de la rappeler.

Si je ne réponds pas complètement à votre question c’est parce que j'en suis incapable. Nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé. J'espère qu'il y aura une enquête, mais les réactions de la communauté internationale ne me paraissent pas à la hauteur de ce massacre, qui ne fait pas la une des journaux et qui n'est pas en première place dans les agendas diplomatiques. Nous avons immédiatement alerté notre ambassadeur aux Nations Unies et le Conseil de sécurité s'est réuni, mais il ne pouvait formellement inscrire à son ordre du jour ce qui relève d'une affaire intérieure. Comme cela est autorisé, nous avons informé les membres du Conseil de sécurité dont peu étaient au courant. Nous avons aussi alerté l'Union européenne qui s'est indignée et qui prépare d'éventuelles sanctions. Nous avons également rencontré longuement Jean Ping, président de l'Union africaine, ainsi que des représentants de la CEDEAO, organisation de la sous-région. Nous pensons qu'il faut une intervention des Africains et non de l'ancienne puissance coloniale. L’Union africaine qui discute de la création dune force d’interposition en Guinée Bissau devrait également se prononcer sur son action en Guinée Conakry.

Sur un total de 2 500 à 3 000 personnes dans l'ensemble du pays, 600 membres de la communauté française sont déjà partis, bien qu'ils n'aient pas été inquiétés. Nos ressortissants sont en alerte, des avions stationnés à Dakar sont à la disposition des familles, les écoles sont fermées et nous n'avons pas l'intention de les rouvrir tant que la situation demeurera aussi volatile, les communautés victimes du massacre pouvant envisager de se venger. Nous avons évidemment accepté de recevoir tous les demandeurs d'asile et tous les blessés, dont M. Diallo, chef d'un des trois partis d'opposition, qui se trouve actuellement à Paris.

Le président par intérim et les représentants des Forces vives ont rencontré lundi dernier à Conakry le président Compaoré, qui assure la médiation. Le président Wade, qui préconisait le dialogue avec le capitaine Camara, a renoncé à jouer un rôle « horrifié ». Aujourd'hui, un espace de dialogue a été ouvert à Ouagadougou. Sera-ce suffisant ? Je ne le crois pas...

Le Honduras a connu le 28 juin dernier un coup d'État de M. Micheletti contre le président Zelaya, qui avait proposé de modifier la constitution afin de pouvoir se présenter une troisième fois, sur les conseils, a-t-on dit, du président Chavez. Associés pour une fois aux États-Unis, tous les pays d'Amérique du Sud ont condamné le coup d'État et rappelé leurs ambassadeurs, tout comme la France.

Depuis lors, le président Zelaya est revenu clandestinement à Tegucigalpa où il s'est réfugié à l'ambassade du Brésil. Le plan de paix proposé par l'ancien président du Costa Rica, M. Arias, prévoyait d'ailleurs ce retour. La situation sur place ne paraît pas particulièrement tendue. Nous sommes en contact permanent avec nos amis brésiliens, qui ont été obligés d'accorder leur protection au président Zelaya, mais ne sauraient se satisfaire que la situation perdure.

Faute de pouvoir aborder l'ensemble des sujets dans cette intervention liminaire, je dirai simplement un mot du référendum en Irlande.

Après avoir voté non assez largement, les Irlandais, dont le président Sarkozy avait estimé qu'ils ne pouvaient pas faire autrement que voter à nouveau…

M. Jacques Myard. Et les Français, quand revoteront-t-ils ? (Sourires)

M. le ministre. …se sont prononcés à 67 % en faveur du traité de Lisbonne, le taux de participation ayant atteint 57 %.

Pour que le traité soit définitivement ratifié, et permette ainsi d'organiser différemment l'Europe, il manque encore la signature du président polonais, dont on peut penser qu'elle sera obtenue très vite. En revanche, en dépit du vote favorable de l'Assemblée et du Sénat, obtenir la ratification du président tchèque s’annonce plus difficile. Dix-neuf sénateurs ont déposé un recours en nullité et la Cour constitutionnelle doit se prononcer dans les jours ou les semaines qui viennent. Mais c'est surtout l'attitude du président Vaclav Klaus, antieuropéen convaincu et tenace, qui pose aujourd'hui problème. Il paraît vouloir tenir jusqu'en avril ou mai prochain, en misant sur la victoire des conservateurs britanniques qui ont promis d'organiser un référendum.

J'ignore ce qui va se passer. Certains préconisent de ne pas provoquer le président Klaus, en espérant qu’il se trouvera dans l’impossibilité de mener son projet à bien. Pour ma part, je pense qu'il faut rester ferme dans la mesure où tout le monde a désormais voté, y compris la République tchèque. Un seul homme ne saurait s'opposer à la volonté de 500 millions d'Européens. Le Conseil européen qui se tiendra la fin du mois sera l'occasion de tester la détermination des Européens et d'exercer une pression sur le président tchèque.

Mme Martine Aurillac. Je souhaiterais plus de précisions sur la situation en Iran.

Par ailleurs, la Birmanie est récemment revenue sous les feux de l'actualité internationale, Aung San Suu Kyi s'étant vu à nouveau infliger une longue assignation à résidence. Que peut faire la France ?

Pourriez-vous enfin nous dire un mot de l'insurrection en Somalie ?

M. Jean-Michel Boucheron. Je me désole chaque jour un peu plus de voir le mauvais état des relations entre la France et la Turquie. Je ne parviens pas à comprendre que l'on traite ainsi un pays qui, en tant que porte ouverte vers le Moyen-Orient et vers le monde turcophone, devrait être un partenaire stratégique de la France.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous informe que nous entendrons le ministre des affaires étrangères de Turquie le 21 octobre prochain.

M. Jean-Michel Boucheron. S'agissant de l'Afghanistan, le général Mc Chrystal fait pression sur le président Obama pour que la présence militaire américaine soit fortement renforcée. Cela provoque à Washington un vaste débat sur la nouvelle stratégie à adopter en Afghanistan, débat qui ne manquera pas d'avoir des effets dans notre pays. Je souhaite donc savoir si le Président de la République et notre diplomatie sont consultés dans ce cadre.

M. Robert Lecou. Qu'il s'agisse de la Guinée, de l'Iran, de l'Afghanistan ou du Honduras, on n’entend guère parler des Nations unies. Que fait l’ONU ? Peut-on encore croire en cette organisation internationale ?

M. Patrick Labaune. L'Iran ne nous balade-t-il pas ? Tout le monde se réjouit des nouvelles négociations avec ce pays, mais le régime étant contesté à l'intérieur et encerclé à l'extérieur, ne doit-on pas considérer qu'il se contente de lâcher un peu de lest sur la forme sans rien céder sur le fond ?

M. Didier Julia. Le président Obama a décidé d'explorer sans condition toutes les possibilités de renouer le dialogue avec l'Iran. Pour sa part, la France a plutôt choisi le langage de la confrontation. Pourtant, peu de choses nous séparent sur le fond, d'autant que l'un des principaux inspirateurs de la politique américaine, le secrétaire général de la Maison-Blanche, Rahm Emmanuel, est un officier de l'armée israélienne. L'ouverture prônée par les Américains apparaît donc aussi comme une manière de sécuriser l'État d'Israël.

Si la France envisageait des mesures de rétorsion susceptibles de fragiliser les dirigeants iraniens, on sait bien, pour l'avoir vu de façon tragique en Irak, qu'un embargo pèse d'abord sur le peuple. Dans l'éventualité d'un embargo sur l’essence, on verrait se développer un marché noir qui enrichirait les dirigeants et financerait les gardiens de la révolution.

Alors que l'on rencontre dans les grands hôtels iraniens des marchands italiens et des ingénieurs allemands, ne craignez-vous pas que votre politique ne marginalise totalement notre pays ?

Un mot enfin à propos de Clotilde Reiss. Comment se fait-il, alors que nous n'avons pas de convention d'extradition avec les États-Unis, qu'un ingénieur iranien, Majid Kakavand, soit actuellement détenu à la prison de la Santé au simple motif qu'il a acheté des composants électroniques sur Internet ? Pourquoi la France se met-elle dans son tort en emprisonnant quelqu'un qui n'a commis aucun délit sur notre territoire et qui n'a jamais mis les pieds aux Etats-Unis ?

M. Jean Roatta. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous informer des avancées de l'Union pour la Méditerranée ? Qu’en est-il de la formation du secrétariat permanent à Barcelone ?

M. Jean-Paul Lecoq. Nous souhaitons qu'un débat sur la situation en Afghanistan soit organisé devant notre assemblée, en particulier afin que le gouvernement nous indique quel pourrait être le calendrier du retrait de nos troupes car nous considérons qu'il faut nous désengager au plus vite. Nous aimerions également savoir à quel rythme pourraient être engagés des investissements civils aptes à redonner confiance à la population et à sortir l'Afghanistan de la situation actuelle.

Vous le savez, je suis particulièrement préoccupé par la dégradation de la situation en Palestine. Le rapport Goldstone montre qu'il y a eu effectivement des crimes à Gaza. La discussion de ce rapport a été reportée aux Nations unies et, même si la Cour internationale de justice s'est saisie de la question, on sait que les Etats doivent peser de tout leur poids pour que les choses avancent. Quelle est à ce propos la position de la France ?

Enfin, une artiste sahraouie s'est récemment fait agresser à Madrid par des Marocains, ce qui montre que les tensions du Sahara occidental se transportent en Europe, tandis que les arrestations, les tortures et les procès arbitraires perdurent dans les territoires occupés. Comme Israël, le Maroc a recours à la terreur.

Comment en tenir compte dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée ? Comment la France entend-elle s'opposer courageusement à de telles politiques ?

M. le ministre. Mme Aung San Suu Kyi vient en effet de se voir signifier une peine supplémentaire de prison destinée à l'écarter d’une campagne électorale qui pourrait déboucher, si le scrutin n'était pas truqué, sur une victoire de la Ligue démocratique.

Que peut-on faire, en dehors de quelques aides ponctuelles ? Nous avons beaucoup discuté à New York, où est apparue chez nos partenaires l'idée un peu nouvelle que les sanctions ne servent à rien –il est vrai que tout a été fait en dehors d'une action qui affecterait les comptes des généraux dans les banques de Singapour – et qu'il faudrait peut-être faire preuve d'une plus grande ouverture envers ce gouvernement. Conformément à la volonté de M. Obama d'ouvrir le dialogue sur tous les fronts, les Américains semblent prêts à s'engager dans cette direction.

S'agissant des relations avec la Turquie, le président Sarkozy recevra vendredi le président Gül, qui sera à Paris afin de préparer l'année de la Turquie en France, qui sera l'occasion d'organiser un nombre considérable d'événements. Vous l'avez dit, monsieur le président, le ministre des affaires étrangères, M. Davutoglu, sera à Paris le 21 octobre et je le recevrai également.

Il n'y a pas de tension particulière : nos relations quotidiennes avec ce pays sont bonnes, meilleures que ce que l'on dit parfois, et nous ne ménageons pas nos efforts pour les améliorer encore. Il faut distinguer ces relations bilatérales de l'adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union européenne, dont je rappelle qu'elle n'est pas bloquée pour le moment, la présidence suédoise étant décidée à poursuivre le processus.

J'ajoute que les Turcs sont intervenus avec beaucoup d'efficacité dans l'affaire Clotilde Reiss, M. Davutoglu s'en étant encore entretenu la semaine dernière avec le président Ahmadinejad.

Il est difficile de traiter en quelques instants de la situation en Afghanistan. En effet, le général Mc Chrystal a demandé au président Obama de renforcer les troupes américaines. Cette demande n'a pas été rejetée mais le président américain a souligné la nécessité de redéfinir une stratégie. Il y a trois possibilités. La première consisterait, sans changer de stratégie, à envoyer sur place de 22 000 à 44 000 soldats supplémentaires, ce qui marquerait une escalade, alors que les Américains ont accepté l'idée émise pour la première fois lors de la conférence de Paris de ne plus placer au centre des préoccupations la seule lutte contre les talibans mais l'accès aux populations civiles. Cet objectif suppose il est vrai la sécurisation sur le terrain, donc la poursuite de certains combats. La deuxième solution serait de maintenir les effectifs actuels tout en changeant de stratégie, mais comment ? Enfin, il serait possible d'engager une politique de retrait.

Lors des cinq rencontres que nous avons eues à New York – en présence, monsieur Lecou, de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Kai Eide – nous avons surtout échangé des considérations générales et nous nous sommes mis d'accord pour attendre les résultats des élections. À ce propos, la commission afghane, indépendante du gouvernement, et la commission internationale dirigée par un Canadien ont décidé de compter les bulletins sans reprendre toutes les urnes. Le résultat devait être connu avant le week-end dernier mais sa publication a été retardée de sept jours au moins. S'il a obtenu moins de 50 % des voix, M. Karzaï ne sera pas déclaré élu et il y aura un second tour. S'il est déclaré élu, j'espère qu'un gouvernement sera formé rapidement et que nous pourrons travailler non pas à un calendrier imposé de retrait mais à un programme politique.

L'octroi de notre aide est conditionné à l'existence de projets destinés à la population civile, qui doit les prendre en charge. C'est d'ailleurs ce que nous faisons dans les deux vallées dont nous nous occupons, où nos soldats ne sont plus harnachés de la même façon mais se mêlent à la foule. En fait, le débat sur la stratégie américaine part de l'idée énoncée à la conférence de Paris que les efforts doivent être dirigés vers les populations, auxquelles on ne fait pas la guerre. J'ajoute qu'il ne faut pas faire semblant d'occuper chaque col et chaque vallée de cet immense pays. D'ailleurs, les Russes avaient choisi de se replier dans les villes, où il est plus facile de développer des projets.

En Afghanistan, c'est bien l'ONU qui dirige l'opération, qui coordonne les efforts des pays de la coalition et qui s'efforce de travailler avec les ONG, qui ont aussi besoin que leur sécurité soit assurée.

C'est l'Union africaine qui est présente en Somalie, non pas dans l'opération Atalante contre les pirates mais à terre, avec près de 5 000 soldats ougandais et burundais, dont deux bataillons burundais formés par la France. Les Russes m'ont dit être intéressés pour participer bientôt, à Djibouti, à la formation des soldats du gouvernement reconnu par tous les groupes armés somaliens et dirigé par M. Sheikh Sharif, islamiste modéré que nous devons absolument soutenir.

En Iran en revanche, l'ONU n'est pas présente.

Est-ce que ce pays nous balade ? Lors de la prochaine réunion, qui se tiendra avant la fin du mois, nous verrons bien si le dialogue se débloque et si l'on peut enfin aborder le problème central de l’enrichissement.

S'il est vrai, monsieur Julia, que l'on a pu avoir le sentiment à New York que le président Sarkozy adoptait un ton moins conciliant que celui du président Obama, la différence a été gommée dès le lendemain au sommet du G20 à Pittsburgh quand on a annoncé au monde l'existence d’un site caché d'enrichissement à proximité de Qom, ce qui a conduit MM. Brown, Obama et Sarkozy à présenter une déclaration commune.

Il n'y a donc pas de divergence entre les États-Unis et la France. Nous aussi, nous poursuivons le dialogue. Nous aussi, nous disons que, faute d'avancée d'ici la fin de l'année, il faudra à nouveau se tourner vers les sanctions.

Celles qui ont déjà été décidées à trois reprises par le Conseil de sécurité ont-elles été efficaces ? Il est difficile de répondre, mais le mouvement contre le régime iranien me paraît extrêmement important et il faut tenir compte de cette protestation populaire qui s'étend jusqu'à certains responsables religieux.

Je n'ignore pas que les sanctions peuvent être néfastes pour la population. C'est seulement si l’absence de progrès le justifie qu'il faudra en adopter de nouvelles, sans doute en s'intéressant davantage aux opérations bancaires et à la délivrance des visas. Pour le moment, il n’y a pas eu discussion approfondie sur une interdiction des exportations de produits raffinés vers l’Iran qui priverait d’essence les iraniens.

Il existe bien un accord d'extradition entre la France et les États-Unis et la justice se prononcera prochainement sur le cas de M. Kakavand. Mais il n'y a aucun rapport entre quelqu'un qui a commis un assassinat sur notre territoire ou cet homme qui accusé de s’être rendu coupable d’infractions à la législation des Etats-Unis, et le sort de Clotilde Reiss. Nous ne saurions accepter d'échanger une jeune femme innocente contre des criminels. Nous entendons que son innocence soit reconnue et j'espère que cela interviendra rapidement.

Une réunion ministérielle de l'Union pour la Méditerranée devrait se tenir avant la fin de l'année. Il est également prévu de tenir une réunion extraordinaire sur le processus de paix au Moyen-Orient – encore faut-il qu'il redémarre – qui ne devra toutefois pas concurrencer la conférence de Moscou.

L'Union pour la Méditerranée avance sur un certain nombre de sujets techniques comme le plan solaire ou les stations d'épuration. Un secrétariat permanent devait en effet être installé à Barcelone mais le secrétaire général jordanien pressenti n’a pas recueilli l’assentiment général. Un autre candidat jordanien pourrait faire l'unanimité. Je rappelle, parce que nous en sommes fiers, qu’il y aura également six secrétaires généraux adjoints, dont un Palestinien, un Israélien, un représentant de la Ligue arabe et un Turc.

Monsieur Lecoq, il existe de très nombreux projets en faveur de la société civile dans les vallées dont nous nous occupons en Afghanistan. Ils visent en particulier les récoltes, l'irrigation et la santé. La construction d'une école est désormais achevée. Les choses ne sont pas faciles en raison des attentats suicides, mais ces projets sont accueillis chaleureusement.

Peut-on faire mieux ? Nous engageons 25 millions d'euros, et je m'engage à tout faire pour que ces projets aboutissent, mais ils se heurtent à un certain nombre d'obstacles. Ainsi, c'est le ministère afghan de la santé qui bloque actuellement le projet médical.

Je n'ai pas lu personnellement l’énorme rapport de Richard Goldstone, mais je n'ai aucun doute quant à son objectivité. Il a recherché les crimes de guerre commis non seulement par les Israéliens, dont la réaction a été extrêmement vive, mais aussi par le Hamas. Il est difficile de tirer les enseignements de ce rapport tant qu'il n'a pas été examiné par le Conseil des droits de l'homme, qui l'a commandé. Cela ne devrait pas intervenir avant le mois de mars.

Enfin, les choses n'avancent guère à propos du Sahara occidental. La proposition marocaine d'aller non pas vers l'indépendance mais vers l'autonomie, qui avait été plutôt bien accueillie à l’ONU, ne peut pas être discutée. Nous évoquons régulièrement ce sujet avec nos amis algériens comme avec nos amis marocains ; les choses semblent s'arranger un peu en Mauritanie, mais au total rien ne se passe.

M. Paul Giacobbi. Dans deux affaires récentes, il est apparu que la France ne parlait pas d'une seule voix.

S'agissant des sanctions contre l'Iran, dans une interview publiée le 29 septembre par le New York Times, vous avez pris une position assez différente de celle défendue jusqu’ici par la France, dont vous avez déclaré qu'elle n'était pas celle qui avait votre préférence.

Dans l'affaire de l'élection du directeur général de l'Unesco, j'aimerais savoir quelle était la stratégie de la France, car elle est apparue assez équivoque, notre ambassadeur ayant répondu à la presse qu'il fallait interroger le Quai d'Orsay à ce propos… J'ai cru en outre comprendre que la France avait exprimé trois votes différents à l'occasion des cinq tours de scrutin.

M. François Loncle. Merci, monsieur le ministre, pour cette revue de presse, mais celles de France Inter et de RFI ne sont pas mauvaises non plus…

J'ai été un peu étonné par la passivité de la diplomatie française vis-à-vis de la Guinée. On connaissait la situation depuis des semaines – Jeune Afrique avait longuement évoqué, le 20 septembre, « l’incroyable capitaine Dadis Camara », dont M. Joyandet avait déclaré en mai qu’il lui faisait confiance... Vous avez tenté, vaille que vaille, d’exonérer le capitaine Camara de la responsabilité du massacre, comme s'il n'était pas la tête de l'armée et de l'État. Désormais, la médiation est menée par le président du Burkina Faso, mais j'aimerais savoir ce qu'entend faire la France.

Par ailleurs M. Guéant, dont on ignore s'il est vice-premier ministre ou ministre des affaires étrangères bis, vient de se rendre en Syrie, en compagnie de M. Levitte. C’est un sujet auquel nous sommes très attentifs : notre collègue Élisabeth Guigou préside une mission, constituée d’une dizaine de membres de la commission, sur le rôle de ce pays dans la région et nous nous sommes félicités de la reprise des relations avec Damas. Avec beaucoup de condescendance, M. Guéant a déclaré au Figaro qu'il vous tenait au courant de ses voyages. Pouvez-vous par conséquent nous indiquer ce qu'il vous a dit des derniers développements des relations franco syriennes ?

M. le président Axel Poniatowski. Si nous arrêtons avec le cabinet la liste des sujets qui seront abordés avec le ministre, ce dernier accepte également de répondre à toutes les questions des membres de notre commission. Il ne s'agit donc pas d'une « revue de presse ».

M. François Loncle. Nous sommes responsables des questions, pas des réponses...

M. Daniel Garrigue. Je souhaite revenir sur les relations israélo-palestiniennes. Apparemment, la visite de M. Mitchell n'a donné aucun résultat sur la question des colonisations. Par ailleurs, vous nous avez confirmé que le rapport Goldstone ne serait pas examiné avant le mois de mars. Au total, on a le sentiment que l'on demande beaucoup plus à l'Autorité palestinienne, qui a par exemple accepté de revoir sa position sur le rapport Goldstone au risque de compromettre son rapprochement avec le Hamas, qu'au gouvernement israélien.

On peut par ailleurs s'étonner du silence des Européens à un moment où il serait opportun de peser sur le cours des négociations.

À l'initiative de l'Égypte, un certain nombre de pays arabes ont posé la question du désarmement nucléaire de la région. L'une des résolutions adoptées à l'issue de la deuxième guerre du Golfe prévoyait d'ailleurs d'engager un processus général de désarmement au Proche et au Moyen-Orient. Ne conviendrait-il pas de relancer ce dossier, afin de donner plus de crédibilité à notre position vis-à-vis de l'Iran ?

M. Michel Destot. On a évoqué la Guinée, mais d'importants problèmes en matière de démocratie et de droits de l'homme se posent aussi dans d'autres pays d'Afrique. Où en est-on du processus de démocratisation à Madagascar, au Niger et au Gabon. Quelle est l'action de la France ? Qu’en est-il de la situation très difficile que connaît le Burkina Faso à la suite des inondations ?

M. Jean-Pierre Dufau. S'agissant de l’Afghanistan, faut-il conclure de ce que vous nous avez dit sur la nécessité d'adopter une nouvelle stratégie que celle qui avait précédemment été mise en œuvre sous mandat de l'ONU a échoué ? Si elle se confirmait, l'élection du président Karzaï ne faciliterait pas la tâche des Occidentaux. Ces questions sont-elles aujourd'hui traitées par le Conseil de sécurité ? Quelles sont les positions de la Russie et de la Chine ? Un changement de stratégie suppose-t-il un nouveau mandat de l'ONU ? Le Parlement français sera-t-il saisi ?

M. Jacques Myard. Je m'étonne que la France ne s'oppose pas à l'envoi de nouvelles troupes en Afghanistan. Que je sache, les militaires ne sont pas des assistantes sociales et l'envoi de troupes supplémentaires marquerait une fuite en avant, en particulier vers l'extension de la guerre au Pakistan : quand on a un marteau, on voit tous les problèmes comme des clous…

Vous préconisez par ailleurs de ne pas tenir chaque vallée et de se concentrer sur les villes, mais les talibans semblent plutôt considérer, comme Mao, que tenir les campagnes permet d’assiéger les villes.

On le voit, et vous l'avez vous-même reconnu, il n'y a pas de solution militaire et il faut donc avoir le courage de dire aux Afghans qu'ils doivent se prendre en charge le plus rapidement possible.

S'agissant du Proche et du Moyen-Orient, je ne pense pas que le nucléaire soit un facteur déstabilisateur, on l'a vu dans les relations entre l'Inde et le Pakistan. Il me semble, en dépit des risques, que la dénucléarisation pourrait avoir des effets plus néfastes que la stabilité nucléaire. À ce propos, est-on prêt à faire preuve d'ouverture s’agissant de l'uranium utilisé dans le réacteur de recherche de l'Université de Téhéran, dont on a dit qu'il pourrait être enrichi en France avant d'être renvoyé sur place sous le contrôle de l’AIEA ? Par ailleurs, dans la mesure où les acteurs de ce dossier sont interdépendants, pensez-vous qu'Israël serait capable de déclencher unilatéralement une frappe, ou l’aval militaire des États-Unis vous paraît-il indispensable ?

M. Gilles Cocquempot. L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et Desmond Tutu se sont vivement inquiétés du sort des résidents d’Ashraf. Quelle est la position du gouvernement français vis-à-vis de ceux que l'on peut considérer comme des otages ?

Je crois par ailleurs savoir que la résistance iranienne avait fait connaître dès 2005 à l’AIEA l'existence du site près de Qom. Si cette information est exacte, pourquoi n'en a-t-on pas tenu compte ?

M. Michel Vauzelle. Quel est, monsieur le ministre, votre sentiment quant à la colonisation qui semble se poursuivre en Cisjordanie ? Les propos du président Obama avaient suscité quelque espoir mais hélas rien ne bouge.

Par ailleurs, la dernière loi de finances algérienne porte un préjudice important aux relations économiques entre nos deux pays et ne manquera pas de poser de graves problèmes au port de Marseille. Pouvez-vous nous dire ce qui ne va pas actuellement entre la France et l'Algérie ?

M. Hervé de Charette. Je m'étonne, monsieur le ministre, que vos anciens amis critiquent de la sorte la politique étrangère que vous conduisez, que je considère pour ma part, même si je ne la partage pas toujours totalement, comme active, dynamique et originale sur un certain nombre de points.

S'agissant de l'Afghanistan, j'insiste pour que la France cesse de suivre la politique américaine…

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Hervé de Charette. Je suis convaincu que, quelle que soit la bonne volonté des acteurs, elle ne peut conduire qu'à des catastrophes. L'histoire nous montre que de tels scénarios se terminent toujours mal.

Certes, on nous dit que l'on va s'occuper des civils mais on l’a fait vingt fois et cela ne résout rien, la France a d'ailleurs accumulé les échecs en procédant de la sorte.

Enfin, si M. Loncle m'a semblé un peu injuste en ironisant sur le côté revue de presse de cette audition, ne pourrait-on, maintenant que le Parlement est, paraît-il, entré dans une ère nouvelle, réfléchir à de nouvelles méthodes de travail pour notre commission, qui pourrait débattre, en présence du ministre, des sujets importants de la politique étrangère et, pourquoi pas, même si cela paraîtrait révolutionnaire, émettre des opinions.

M. le ministre. Je sais bien, monsieur Giacobbi, que, sauf lorsqu'elles sont précisément ciblées sur les circuits financiers, les sanctions frappent la population et qu'il s'agit d'un choix que l'on fait moins par facilité que parce qu'il n'y a pas d'autre recours.

Ne vous étonnez pas que j'aie parfois avec le Président de la République des discussions voire des divergences.

M. Jacques Myard. Vous n'êtes pas le seul...

M. le ministre. Mais c'est ce qui fait tout l'intérêt de ma loyauté à son égard : je ne cache pas mes opinions.

M. Paul Giacobbi. Mais c'est lui qui décide…

M. le ministre. Ne cherchez donc pas à nous opposer : j'ai donné mon avis quant aux sanctions alors que cette éventualité n'était même pas évoquée.

Quant à l'Unesco, il s'agissait d'un vote secret. La position de la France, pays hôte, était de ne pas faire campagne, ni dans un sens ni dans un autre, et nous nous y sommes tenus.

Monsieur Loncle, vous connaissez trop bien la politique internationale pour vous laisser aveugler par des antipathies. Avoir parlé d'une revue de presse n'était pas très aimable et je vous retourne le compliment car tout ce que vous m'avez dit, vous l'avez lu dans la presse.

L'article de Jeune Afrique que vous citez est paru avant le massacre. Tout le monde, y compris les Forces vives, avait accepté la prise du pouvoir par ce jeune capitaine. Dans ces conditions, nous-mêmes n’avions ni à prendre position ni, encore moins, à intervenir car l'époque coloniale est révolue. Nous ne nous sommes pas montrés plus royalistes que le roi et nous avons pensé que toute amélioration – perçue comme telle par la société civile - était la bienvenue après tant d’années d'exercice du pouvoir par M. Sékou Touré puis par M. Conté.

Le président par intérim s'était engagé devant la communauté internationale et en particulier devant l'Union africaine à ne pas se présenter aux élections présidentielles qui seraient organisées sous son contrôle. Nous avons toujours dit que nous suivions la position de l'Union africaine et nous avons demandé à M. Camara de respecter son engagement.

Après le massacre, nous sommes les seuls à avoir porté assistance aux victimes. Nous avons également fait appel au Conseil de sécurité. Nous avons obtenu que l'Union européenne condamne fermement ce qui s'était passé et étudie la possibilité de sanctions. Nous avons tenu des réunions avec l'Union africaine. Le président Compaoré, médiateur de la CEDEAO, nous tient régulièrement informés de l'évolution de la situation. Il convient de dissuader le capitaine Camara de se présenter à l’élection présidentielle.

Quand on ne fait rien, on nous accuse d’indifférence ; quand on fait quelque chose, on nous taxe d’ingérence ! À mes yeux, ce n'est pas une injure et je suis convaincu que, face à un tel massacre sans précédent, notre pays, qui a inventé le droit d'ingérence, doit se préoccuper de ce qui est devenu la responsabilité de protéger.

Sauf à donner le signal du départ des ressortissants français, je ne vois pas ce que nous aurions pu faire de plus.

M. Jacques Myard. Nous vous soutenons !

M. le ministre. C’est aussi dans les journaux, monsieur Loncle, que vous avez lu que MM. Guéant et Levitte s'étaient rendus en Syrie, ou plus exactement qu’ils s'étaient arrêtés à Damas en revenant des Émirats arabes unis. Eh bien, figurez-vous que je le savais moi aussi, pour la simple raison qu'ils m'en ont rendu compte. Chaque semaine – et c'est une première sous la Ve République – M. Levitte et son adjoint viennent au Quai d'Orsay afin que nous harmonisions et complétions nos démarches respectives, y compris lorsqu'il s'agit d'améliorer, avec une grande prudence, nos relations avec la Syrie. Pas plus tard que ce matin, M. Guéant m'a fait le récit de ce voyage.

Mme Élisabeth Guigou. Et alors ?

M. le ministre. Il faut encourager les protagonistes du dossier libanais à faire preuve de responsabilité pour qu’un gouvernement puisse être constitué. Dans ce contexte, il est heureux que les acteurs régionaux renouent le dialogue, l’amélioration des relations entre Syriens, auxquels nous avons demandé de ne pas intervenir, et celle des Saoudiens est à ce titre à suivre de près. J'espère que cela débouchera sur la formation d'un gouvernement au Liban. Aujourd'hui, le blocage tient surtout à la position du général Aoun, qui souhaite placer son gendre à un poste ministériel important.

Il est vrai, monsieur Garrigue, que l'on a le sentiment que l'on demande aux Palestiniens sur les plans physique et humain des efforts qui semblent plus importants que les efforts politiques que l'on demande aux Israéliens. Nous avons demandé aux Israéliens d'arrêter la colonisation et nous l’avons fait autant sinon plus clairement que les Américains que l'on ne peut vraiment pas nous accuser de suivre, monsieur de Charette. Pour leur part, les Américains évoluent vers une acceptation qui pourrait permettre au dialogue de redémarrer, ce qui serait mieux que rien. Mahmoud Abbas sort renforcé du congrès du Fatah, mais j'ignore si cela sera suffisant pour que les choses se débloquent avant la fin de l'année.

M. Daniel Garrigue. Pourquoi ne nous efforçons-nous pas d'engager les Européens dans des actions comme celles qu'ils ont conduites dans le passé ?

M. le ministre. Nous avons demandé à nos partenaires de participer à des actions, et pas seulement financièrement. Nous avons reçu des Israéliens, j'espère qu’elle sera tenue, la promesse de pouvoir enfin reconstruire l'hôpital Al-Qods à Gaza. Nous avons l'argent, je me rendrai sur place dans quelques jours et nous pourrons peut-être enfin mener ce projet à bien.

Tous nos projets ont été financés par la conférence de Paris ; nous avons beaucoup avancé, y compris dans notre action de formation de la police, mais tout ceci demeure insuffisant. Il faut que le dialogue reprenne pour que nous puissions aller plus loin, c'est à cela que pourrait servir la réunion à Paris de l'Union pour la Méditerranée. Cela suppose une quasi reconnaissance de l'État palestinien et, surtout, un développement à l'avance de son administration et de son économie.

Des engagements ont été pris s’agissant du désarmement nucléaire au Moyen Orient lors de la Conférence d’examen du TNP de 1995, il faut qu’ils soient tenus. Mais le plus important est qu’on ne peut pas laisser de nouveaux programmes nucléaires se développer, c'est pourquoi le président Sarkozy a insisté devant le Conseil de sécurité sur la nécessité de parler de ce qui se passe en Corée du Nord et en Iran. Si vous souhaitez, monsieur Myard, que l'atome joue un rôle stabilisateur, je vous souhaite bonne chance… Certes, on peut prendre pour exemple la situation très différente entre l'Inde, qui a conclu un accord de coopération nucléaire civil dans le cadre d’un partenariat global, et le Pakistan, où il faut aussi se demander entre quelles mains peuvent se trouver les armes nucléaires pakistanaises. Mais le risque de conflit demeure.

Alain Joyandet se trouvait récemment à Madagascar pour des pourparlers de paix menés par le Groupe international de contact sur Madagascar Un consensus semble se dessiner autour de la personnalité d'un Premier ministre de transition et c'est une avancée.

Vous avez eu raison par ailleurs, monsieur Destot, d'appeler notre attention sur les inondations au Burkina Faso auquel nous avons apporté une aide de 100 000 euros.

Au Gabon, la Cour constitutionnelle va poursuivre le décompte des voix. La présidente par intérim, Mme Rogombé, mérite tout notre soutien.

Comment faire autrement, monsieur Dufau, que d'attendre le résultat du scrutin en Afghanistan ? On ne va quand même pas à nouveau choisir leur président à la place des Afghans ! Bien sûr, nous souhaitons la clarté dans les élections, mais ne soyons pas naïfs au point de croire que pourrait s'installer tout de suite en Afghanistan une démocratie à la française.

M. le ministre. Les 40 % d'Afghans qui sont allés voter ont fait preuve d'un vrai courage, je pense en particulier à ces femmes que le tampon indélébile apposé dans les bureaux de vote désignait à la vindicte des talibans. Ces élections sont donc un succès de la démocratie !

M. Jean-Pierre Dufau. Je souhaitais surtout savoir si la nouvelle stratégie avait fait l'objet d'un débat au Conseil de sécurité avec la Russie et avec la Chine, s'il était envisageable de modifier le mandat des Nations unies et si cette question serait débattue au Parlement français.

M. le ministre. Je suis partisan d’un débat au Parlement. Nous parlons bien évidemment de tout cela avec les Russes et avec les Chinois. Je vous l’ai dit, nous avons tenu cinq réunions sur l'Afghanistan à New York lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité et de l'assemblée générale des Nations unies. Le Conseil de sécurité est sur le point de renouveler le mandat de la FIAS.

La référence à Mao-Tse-Tong m’a paru malvenue : comment oublier qu’il a perdu le sens de l'histoire et qu'il a fait assassiner des millions de personnes ? Même s'ils ont fini par perdre, la stratégie qui a consisté pour les Russes à se replier dans les villes au lieu d'occuper tout le territoire a quand même été plutôt positive.

M. Jacques Myard. Vous êtes donc d'accord avec l'idée qu'il n'y a pas de solution militaire.

M. le ministre. En effet, mais si l'on ne parvient pas à sécuriser le territoire on n’arrivera à rien.

Nous avons proposé, non pas comme une fin en soi, mais comme une possibilité, après l'ouverture de vraies négociations avec les Iraniens, c'est-à-dire après qu'ils auront accepté de geler l'enrichissement en allant vers la suspension, d'assurer avec les Russes l'enrichissement de l'uranium pour le réacteur de recherche. Nous avons toutefois posé comme condition de nous occuper de 1200 kilos sur un total de 1500, afin qu'il ne soit plus possible de fabriquer un engin nucléaire militaire avec ce qui restera.

Je suis bien incapable de répondre à la question sur la capacité d'Israël à frapper seul.

S'agissant d’Ashraf, il ne m’appartient pas de porter un jugement sur les pratiques des moudjahidines du peuple, mais nous demandons aux Irakiens de se comporter humainement et de respecter les conditions dans lesquelles ces moudjahidines ont été accueillis sur leur territoire.

Je redis à M. Vauzelle que nous sommes hostiles à la colonisation en Palestine, dont nous pensons d'ailleurs qu'elle est néfaste à la sécurité d'Israël à laquelle nous sommes très attachés. Je suis persuadé que cette sécurité serait mieux assurée par l'existence d'un État palestinien souverain.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le ministre. Il est vrai que certains événements ont été mal interprétés par nos amis algériens, en particulier certaines arrestations et le fait que nous n'exerçons pas de pression sur la justice.

Je remercie M. de Charette d'avoir noté que tout ce que nous faisons n'est pas mauvais, dans un monde bien difficile où il ne suffit pas de prononcer le mot « mondialisation » pour comprendre tout ce qui se passe.

Je redis que nous ne suivons pas la politique américaine qui consistait sous l'administration Bush à mener sans stratégie une guerre aveugle. Nous avons salué la lucidité du président Obama, qui a demandé que son pays revoie l'ensemble de ses politiques, en Irak, en Afghanistan et au Moyen-Orient. Je crois que le déploiement de 20 000 soldats supplémentaires en soutien au processus électoral était une bonne idée, qui a produit des effets certains, même si vous pouvez considérer que les élections n'ont pas été suffisamment contrôlées.

Vous avez justement souligné le grand danger qu'il y aurait à accepter la progression des effectifs militaires sans changer de stratégie…

M. Jacques Myard. Cela ne mènerait nulle part !

M. le ministre. C'est pourquoi nous avons répondu très simplement aux demandes qui nous ont été adressées, que nous avions déjà augmenté nos effectifs et que nous n'irions pas plus loin.

Nous avons déjà organisé au Quai d'Orsay une discussion libre et ouverte sur l'Afghanistan et je suis à votre entière disposition pour continuer à en débattre.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie d'avoir participé à cette audition fort longue.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 7 octobre 2009 à 16 h 15

Présents. - M. François Asensi, Mme Martine Aurillac, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Claude Birraux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Hervé de Charette, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jean Roatta, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Santini, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Louis Bianco, M. Loïc Bouvard, Mme Geneviève Colot, M. Michel Delebarre, M. Jean-Paul Dupré, M. Lionnel Luca, M. Renaud Muselier, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Garrigue

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