Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mardi 10 novembre 2009

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Axel Poniatowski, président, puis de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

– Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et européennes (ouverte à la presse).

Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et européennes (ouverte à la presse).

La séance est ouverte à seize heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous félicite pour la manifestation d’hier soir à la Concorde : elle était particulièrement réussie et émouvante.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Et elle n’a pas coûté un sou aux contribuables !

M. le président Axel Poniatowski. L’avenir institutionnel de l’Union européenne s’étant enfin éclairci il y a une semaine, le traité de Lisbonne devrait entrer en vigueur le 1er décembre prochain.

Une série de mesures doivent intervenir, et nous nous réjouissons de vous entendre à ce sujet car il y va de l’élan européen, en proie à des turbulences. Vous avez notamment vivement réagi, il y a quelques jours, aux déclarations de David Cameron, qui, en cas de victoire aux prochaines élections, souhaite que la Grande-Bretagne reprenne les pouvoirs devant être délégués à l’Union européenne, notamment en matière sociale.

Pouvez-vous nous donner quelques informations sur les discussions que les chefs d’État et de gouvernement ont eues en marge du Conseil européen des 29 et 30 octobre derniers à propos de la nomination du président stable du Conseil européen et de celle du Haut représentant pour la politique étrangère, qui sera également vice-président de la Commission ?

Quel est le degré de préparation du Quai d’Orsay pour la mise en place du service européen d’action extérieure – SEAE – que dirigera ce Haut représentant ? Quand le format et l’organigramme de ce service seront-ils arrêtés ? Combien de diplomates la France pourra-t-elle mettre à sa disposition et quel est l’état des discussions avec Bercy sur ce point ?

En vertu du nouveau traité, le nombre de députés européens élus en France devrait passer de 72 à 74. Avez-vous décidé comment et à quelle échéance seraient pourvus ces deux nouveaux sièges ?

Quel jugement portez-vous sur la présidence suédoise et sa relative discrétion ?

M. le secrétaire d’État. C’est un plaisir et un honneur pour moi de venir devant votre commission, dans laquelle j’ai déjà siégé quand j’étais parlementaire.

Nous vivons un moment très important car nous sommes à l’aube d’une troisième phase dans l’histoire de l’Europe de l’après-guerre.

Les années de guerre froide – 1945-1989 – ont vu la réconciliation franco-allemande et la construction de l’Europe – la Communauté européenne, comme on disait à l’époque. La réconciliation franco-allemande a été réussie, non seulement par les hommes d’État, mais aussi par les peuples. J’ai beaucoup d’estime pour les quelque 4 500 communes qui, des deux côtés du Rhin, se sont unies au fil des années et ont su recoudre patiemment un tissu humain entre nos deux peuples après tant de déchirements.

En 1989 a commencé une autre phase, que nous avons célébrée hier en une grande fête de la liberté, qui a vu la chute du totalitarisme soviétique et la réunification de l’Allemagne. Au cours des vingt dernières années, on a assisté à la réunification de l’Europe à l’intérieur de l’Union européenne. Celle-ci regroupe aujourd’hui 27 États. Cette réunification s’est déroulée dans la paix hormis l’horrible conflit yougoslave, qui montre les conséquences d’un désaccord entre la France et l’Allemagne : au moment du déclenchement de la guerre en Yougoslavie, en juin 1991, il y a eu une reconnaissance unilatérale de la Croatie. Cette période a montré l’incapacité de l’Europe à prendre ce dossier en main. En 1995, après l’intervention de Jacques Chirac et de John Major, c’est l’Amérique qui, à Dayton, empoche l’affaire sur le plan politique et diplomatique, marquant le retour de l’OTAN dans ce qui aurait pu être une affaire européenne gérée par les Européens.

Aujourd’hui débute une troisième phase, au cours de laquelle l’Europe devra définir sa place dans la gouvernance mondiale face à de très grands dossiers et à l’émergence de pôles de compétition nouveaux, dont la Chine, l’Inde et le Brésil. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est le destin de l’Europe. Est-elle condamnée, avec ses 500 millions de concitoyens et le tiers du PNB de la planète, à passer du duopole soviéto-américain d’hier au G2 de demain ? Le Président de la République a posé clairement la question devant les ambassadeurs fin août : « L’Europe veut-elle faire le XXIsiècle ou se contenter de le subir ? » C’est tout l’enjeu de la mise en place des nouvelles institutions européennes. En tout cas, l’impulsion franco-allemande est nécessaire à ce devenir européen.

La rentrée européenne a été chargée avec le référendum irlandais et la signature – très attendue – du traité de Lisbonne par le président Klaus au nom de la République tchèque.

Le traité devrait entrer en vigueur, comme prévu, le 1er décembre. Les chefs d’État et de gouvernement doivent nommer le président stable du Conseil européen et le Haut représentant pour la politique étrangère. Le président Barroso constituera ensuite sa Commission et le collège devra se présenter devant le Parlement européen. Il devrait, comme nous l’espérons tous, procéder à son vote d’investiture avant la fin de l’année, de sorte que, le 1er janvier 2010, commencera, sous présidence espagnole, la nouvelle Europe. C’est un grand enjeu. Nous vivons, actuellement, un moment de vérité pour l’Europe et l’ambition européenne.

Après avoir couru après ses institutions, ce qui a détourné un grand nombre d’électeurs parmi les nouveaux membres comme parmi les anciens, l’Union européenne doit maintenant montrer qu’elle peut répondre aux besoins de ses 500 millions de concitoyens en matière de sortie de crise, d’environnement, de sécurité, d’énergie, de contrôle de l’immigration.

Je veux insister sur l’importance de la relation franco-allemande. Elle a été essentielle pendant la phase de réconciliation de l’Europe. Elle sera plus que jamais nécessaire dans la phase d’affirmation du poids de l’Europe dans les affaires mondiales.

La France et l’Allemagne ne fonctionnent pas de la même manière et sont souvent en compétition, mais force est de constater que, quand elles ne sont pas d’accord, il ne se passe rien alors que, quand elles sont d’accord, l’Europe avance et nous parvenons en général à faire bouger le système international dans son ensemble. Il y a une grande leçon à tirer de ces dix-huit derniers mois : la réunion du G 20 est due à une initiative française soutenue notamment par l’Allemagne et la Grande-Bretagne ; la régulation financière qui a été actée à Pittsburgh, même si on peut la critiquer ou la juger insuffisante, l’a été sur la base des recommandations de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel ; sur le climat, l’Europe est en avance sur les autres grands pôles et va à Copenhague avec un accord à peu près complet entre les États européens qui a été acté à Bruxelles lors du dernier Conseil européen.

Il n’y a aucune naïveté dans mes propos. Une observation objective des faits montre que la France et l’Allemagne unies sont seules capables de faire bouger cet ensemble de 27 nations constituant l’Union européenne. D’ailleurs, au cours de mes déplacements dans le reste de l’Europe, je note une attente d’impulsion franco-allemande.

Cela ne contredit pas l’égalité des droits qui règne entre les membres de l’Union. La France et l’Allemagne n’ont pas plus de droits que les autres. Elles ont simplement plus de devoirs au service de l’Europe.

C’est pourquoi il était important de célébrer cette relation franco-allemande tant à Berlin qu’à Paris. Il faut aussi que la chute du mur et la réunification de l’Allemagne appartiennent à la mémoire commune de nos deux peuples. De la même façon, la venue de la Chancelière allemande à Paris pour le commémoration de l’Armistice de 1918 est un signal très fort : il n’est pas question d’oublier les millions de morts causées par la guerre mais c’est un message d’espoir pour l’avenir.

Le moteur franco-allemand de l’Europe est plus essentiel que jamais. Je sais que ce sentiment est partagé par la Chancelière. Il y a beaucoup d’intimité dans les relations de travail avec le gouvernement allemand et avec mon homologue allemand, qui était hier à Paris. Nous préparons ensemble des initiatives que nous soumettrons aux deux chefs d’État le moment venu.

Pour ce qui est de la négociation sur le climat, elle est très difficile. M. Borloo le rappelait tout à l’heure en réponse à une question d’actualité. Je ne vous cache pas mon inquiétude à ce sujet. J’ai cru comprendre que le gouvernement américain n’entendait pas fixer des objectifs chiffrés. J’ajoute qu’un sommet très important entre les États-Unis et la Chine se tiendra dans les tout prochains jours. Il est important que l’Europe, qui est leader en la matière, arrive à Copenhague avec des objectifs et que ceux-ci soient tenus.

Si la planète devait se réchauffer de 2 degrés dans les trente prochaines années, les dommages seraient irréversibles et les conséquences gravissimes pour la stabilité du monde. Les engagements de réduction d’émission des gaz à effet de serre doivent être tout sauf de la rhétorique. Des chiffres très précis ont été proposés par l’Europe. Les pays émergents doivent avoir une courbe de rattrapage, après un pic autour de 2020-2025. Cela vaut aussi pour les États-Unis. Il y a des systèmes de compensation financière d’un côté, des taxes carbone de l’autre. Nous avançons avec une vraie stratégie.

Dans ce domaine également, le rôle de la France et de l’Allemagne est très important. Mais la négociation n’est pas facile. Nous espérons trouver un accord au mois de novembre, au moins intérimaire, avec les autres grands pôles afin de parvenir à un accord à Copenhague. Ce sommet ne doit pas être simplement un rendez-vous diplomatique.

En matière de défense et de sécurité ainsi que de politique étrangère, nous souhaitons une double cohérence : celle des actions des différents commissaires – il faut que le Haut représentant puisse coordonner les négociations dans les domaines du commerce, de l’énergie et de l’aide au développement – et celle des actions menées par les États, afin qu’elles soient en synergie. Nous ne devons plus voir l’inauguration par un secrétaire d’État américain d’un aéroport financé par l’Europe, l’utilisation de l’argent versé par l’Europe à tel pays du Proche-Orient pour acheter des F 16 ou encore le versement par l’Europe de plusieurs centaines de millions d’euros pour aider le Pakistan sans stratégie définie avec les États qui se battent en Afghanistan.

Nous devons mettre en place un système institutionnel permettant au Haut représentant, qui sera doté du plus grand service diplomatique du monde, à la fois de coordonner la totalité de l’action extérieure de l’Union et de travailler avec les États. Ce sera un exercice complexe.

La France joue l’ambition européenne, en parallèle avec sa propre politique étrangère. Nous souhaitons que l’Europe soit un multiplicateur d’influence et donc que se crée une vraie synergie.

Le service diplomatique sera composé de fonctionnaires ou d’agents venant, pour un tiers du Conseil, pour un tiers de la Commission et pour un tiers des États. Il faudra travailler à ce que la France ait une belle et grande influence dans ce service. Cela implique que nous envoyions entre 25 et 35 bons diplomates de différents grades et de différents âges pour des responsabilités différentes afin qu’ils impriment une marque française dans ce dispositif européen. C’est une des missions qui nous attendent.

Cela entraînera des implications financières que nous devrons décider tous ensemble. J’ai démarré des consultations avec M. Lamassoure, le président de la Commission des budgets du Parlement européen, et avec un certain nombre de parlementaires de la Commission des finances et d’autres commissions pour commencer à réfléchir sur ce que nous souhaitons. Les dépenses de sécurité, s’il y a lieu, feront l’objet des mêmes consultations.

Sur le plan de la défense commune, sommes en train de mettre en place un dispositif civilo-militaire qui sera piloté par un Français.

Je me suis rendu, il y a quelques semaines, à Djibouti pour rencontrer les ambassadeurs du COPS – comité politique et de sécurité de l’Union européenne. Quand l’Europe décide d’agir en matière de défense, elle peut agir avec succès : l’opération Atalante dans la Corne de l’Afrique en est la preuve. Pourtant, il n’était pas évident de mettre ensemble des navires de toute l’Europe, sous le commandement d’un amiral anglais.

La France assure avec Djibouti la formation d’un certain nombre de soldats somaliens. Il serait utile – et c’était le sens de ma visite à Djibouti – de convaincre nos partenaires de faire également un effort de formation auprès de ces forces parce que les enjeux sont considérables en Somalie, compte tenu de la pression, notamment, d’Al Qaida.

S’agissant de l’énergie, elle relèvera, selon le traité de Lisbonne, d’une compétence communautaire.

En matière d’immigration, il y a une véritable urgence en Méditerranée. Le Président de la République et le Président du Conseil italien ont saisi le dernier Conseil européen d’un certain nombre de propositions visant à renforcer notamment l’agence FRONTEX. La politique d’immigration commune doit impérativement être renforcée. Un droit d’asile commun doit, en particulier, être créé. Nous allons bientôt devoir faire face à une pression migratoire énorme. La Turquie est ainsi devenue la principale porte d’entrée de l’immigration illégale en Europe, laquelle pèse sur beaucoup d’États riverains de la Méditerranée, notamment sur la Grèce qui n’arrive pas à contrôler seule ses 15 000 kilomètres de côtes. En la matière, nous avons un devoir de solidarité.

Mme Marie-Louise Fort. J’aimerais obtenir des précisions sur l’action que pourrait envisager l’Europe en matière d’immigration. Un débat a été lancé en France sur l’identité nationale. Quel est, selon vous, le rapport qui doit exister entre les identités de chacun de nos pays au sein de l’Europe ?

M. Robert Lecou. Quelle est la position de l’Europe sur le changement climatique ? Va-t-elle en rang serré à Copenhague ? Quelle est la volonté de la présidence suédoise en la matière ? Une taxe carbone européenne est-elle envisagée, sachant que c’est le seul moyen de faire accepter à nos concitoyens la création d’une taxe carbone à l’échelle nationale ?

Est-il possible que l’Union européenne, qui finance des opérations à l’étranger et qui prévoit, dans le cahier des charges des appels d’offres en matière d’équipements, une préférence communautaire, supprime cette clause ? Une telle suppression serait pour le moins gênante.

La Commission européenne peut-elle avoir une influence sur la vente actuellement projetée de la branche T&D d’Areva ? Peut-elle, dans le cadre de ce qu’on peut considérer comme une position dominante, donner des avis à ce sujet ?

M. Jacques Myard. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne m’avez pas convaincu. Je crois que nous sommes dans un processus de fuite en avant.

Le traité de Lisbonne va peut-être entrer en vigueur, mais il ne va pas résoudre les problèmes institutionnels. L’Europe est de plus en plus frappée d’obésité du fait de la multiplicité des compétences transférées. C’est une véritable usine à gaz.

Il faudra, d’ailleurs, que vous m’expliquiez comment ce traité va fonctionner après l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, aux termes duquel, premièrement, il n’y a pas de peuple européen mais des nations européennes, deuxièmement, l’Union n’a pas la compétence de sa compétence – ce sont les États qui l’ont–, troisièmement, c’est la Diète fédérale qui doit avoir le dernier mot sur toutes les décisions communautaires. Donc, ne venez pas me dire que le problème institutionnel est évacué. Il ne l’est pas.

La France et l’Allemagne n’ayant pas toujours les mêmes intérêts, il ne faut pas tout ramener à une entente franco-allemande. J’en parle avec d’autant plus d’autorité que je dois être l’une des rares personnes de cette assemblée à parler suffisamment l’allemand pour le comprendre... Selon moi, c’est une faute de voir la coopération européenne uniquement à travers le prisme franco-allemand. Il y a beaucoup plus de choses dans le monde, pour reprendre, en l’adaptant, une formule d’Hamlet, que n’en rêve l’axe franco-allemand.

Il faudra également m’expliquer comment le service européen d’action extérieure va trouver des solutions sur des sujets sur lesquels nous ne sommes pas d’accord entre nous. Comment ce service va-t-il s’articuler avec l’indépendance nationale proclamée, à juste titre, par le Président de la République ? Il va être le lieu institutionnel de la paralysie européenne, indépendamment du fait que l’anglais va, à terme, être la langue parlée en Europe, nos partenaires des pays de l’Est étant aliénés culturellement dans les mains des anglo-saxons.

Je suis désolé de vous dire qu’il faut revenir sur terre.

Vous avez mis en avant l’opération Atalante. L’Europe mène de telles opérations depuis le début du XXe siècle. Lors de l’expédition des boxers, des troupes françaises avaient été mises sous commandement allemand.

Il faut regarder la réalité en face. Nous savons très bien que la dissuasion nucléaire ne se partage pas. Or c’est ça l’enjeu.

Je reste donc dubitatif. Je suis favorable à la coopération européenne, mais avec tout le monde, sans privilégier personne.

M. Jean-Michel Boucheron. La défense européenne a-t-elle une chance de progresser ? Mettez-vous quelque espoir dans des coopérations structurées ? Ou la défense européenne est-elle un rêve d’enfant en bas âge en période de Noël ?

M. Henri Plagnol. Ma première question porte sur la constitution d’un service diplomatique de l’Union sous l’autorité du Haut représentant pour la politique étrangère. M. Glavany et moi-même avions souligné, dans notre rapport, l’absurdité de l’existence de deux représentations de l’Union européenne à Kaboul. Vous avez réussi à y mettre fin, ce dont je vous félicite.

Cet exemple montre qu’il est essentiel que les représentants de l’Union concentrent tous les moyens, c’est-à-dire s’occupent non seulement de l’action diplomatique mais également de tout ce qui relève de la coopération et du Fonds européen de développement dont plusieurs rapports de notre commission ont dénoncé à la fois la gabegie et l’absence totale de visibilité politique. Est-ce que ce sera bien le cas ?

Par ailleurs, quelle sera la relation entre le représentant de l’Union dans un pays et les ambassadeurs, notamment des grands États, en poste dans ce pays ? Certains États, dont la France, ont une diplomatie propre. Et, comme M. Myard, je considère que notre pays doit continuer de faire entendre sa voix dans le concert des nations. Mais cela ne peut marcher que si le représentant de l’Union « s’articule » avec la conférence des ambassadeurs, notamment des ambassadeurs des grands États. Ce point était manifeste à Kaboul mais cela vaut pour le monde entier. Y a-t-il un début de corps de doctrine à ce sujet ? Le soutien de la Commission des affaires étrangères et des parlementaires peut-il être utile pour vous appuyer dans cette démarche ?

M. le secrétaire d’État. À ma connaissance, aucune date n’a encore été fixée pour le Conseil européen devant désigner les titulaires des fonctions créées par le traité de Lisbonne. Il revient à la présidence suédoise de mener les consultations avec les 26 autres pays pour établir une liste préliminaire qui donnera lieu, ensuite, à une concertation entre les chefs d’État, probablement au cours d’un dîner ou d’une réunion suivie d’un dîner.

Le précédent Conseil européen s’est tenu il y a une dizaine de jours. M. Klaus a signé le traité il y a une semaine. Les instruments de ratification devraient être déposés à Rome cette semaine. Je constate qu’on a perdu une semaine. Ce n’est pas un bon signal. Il serait temps maintenant de se mettre au travail.

Le Président de la République et la Chancelière choisiront les mêmes candidats. Il ne m’appartient pas de commenter ces décisions qui relèvent uniquement du Président de la République, élu par tous les Français. Nous souhaitons que l’équipe se mette en place le plus vite possible.

Cela étant, je serai franc avec vous : il ne faut pas survendre les nouvelles institutions. Elles ne servent, monsieur Myard – je suis le premier à le dire –, que si elles sont mues par un projet, par une ambition. Si elles se réduisent à un jeu entre le président stable, le président tournant, le Haut représentant, le président de la Commission et le président du Parlement européen, ce n’est pas le sujet. Il faut une impulsion.

Le système européen actuel n’est pas un État fédéral. Au moment de l’élection de M. Barroso, certains le critiquaient, l’accusant de ne pas avoir assez d’ambition. Il y a un projet, qui est le sien, mais le président de la Commission n’est pas le président de l’Europe.

Le système européen est une sorte de confédération d’États-nations dans laquelle les États mettent ensemble des pans de souveraineté dans des dossiers où ils considèrent être plus forts en agissant ensemble. En matière de négociation commerciale, aucun de nos pays ne peut négocier seul face aux très grands blocs de puissance. C’est la raison pour laquelle nous avons communautarisé l’agriculture. Dans le domaine du climat, aucun pays aussi vertueux soit-il, comme la France grâce à son programme nucléaire, n’obtiendra rien, s’il est seul, des principaux pollueurs que sont les États-Unis et la Chine. On parviendra à une diminution du recours au carbone dans leurs économies par des objectifs politiques et des cibles partagées par tous – réduction de l’émission de gaz à effet de serre de 50 % en 2050, de 20 % en 2020 –, par une offre de coopération, notamment en direction des pays les plus pauvres, et, au besoin, s’il n’y a pas d’accord, par une arme de dissuasion qu’est la taxe aux frontières. Il faut fixer des règles, faute de quoi les objectifs ne seront pas atteints.

Dans tous ces cas de figure, aucun de nos pays ne peut arriver seul à se faire entendre. C’est pourquoi nous avons besoin d’un ensemble. Ce n’est pas faire preuve de naïveté. C’est réaliser que l’intérêt national est mieux servi par un groupe.

Si l’Islande aspire aujourd’hui à adopter l’euro, c’est parce qu’elle s’est endettée de treize fois son PIB. Si l’Irlande est passée d’un vote négatif à un soutien à 67 %, c’est parce que les Irlandais ont fait leurs comptes et ont réalisé que, hors de l’Europe, il n’y a point de salut.

Ce n’est ni être naïf ni manquer de patriotisme – bien au contraire – que d’affirmer, comme je le fais maintenant, qu’on sert mieux la nation en étant dans un groupe que l’on essaie d’orienter vers ses objectifs. C’est cela qui se joue.

Au sein du Conseil européen, le poids de la France et de l’Allemagne est considérable. Lorsqu’il y a eu un blocage, il y a dix jours, à Bruxelles, sur les négociations relatives au changement climatique, c’est le Président de la République et la Chancelière allemande qui ont réussi à débloquer la situation, avec le Premier ministre suédois.

Nous avons besoin d’une Europe qui fonctionne car, comme la crise financière l’a montré, aucun de nos pays ne peut résister seul aux pôles de puissance. Le risque qui pèse aujourd’hui sur chacun de nos pays est celui de la marginalisation, ce qu’on appelle en anglais irrelevance. Si nous voulons peser sur les affaires du monde, nous devons être capables d’avoir avec nous l’Europe. C’est tout l’objet de la discussion.

M. Jacques Myard. C’est un des leviers mais ce n’est pas le seul.

M. le secrétaire d’État. Le Royaume Uni est un grand pays dont l’Europe a besoin et dont la France a également besoin sur les grandes questions stratégiques et politiques. Il est important que la Grande-Bretagne reste un acteur éminent de l’Union européenne. Personne ne souhaite rouvrir le traité de Lisbonne. C’est un message qui, je crois, est compris par un certain nombre de nos collègues britanniques.

Au Parlement européen, il est prévu que la France ait deux sièges supplémentaires et l’Espagne quatre sièges supplémentaires à partir de 2014. Sous la présidence française et à la demande de l’Espagne, a été actée la possibilité d’avancer cette date mais il faut pour cela un acte juridique, intégré en droit européen par un protocole annexé au prochain traité d’adhésion, qui pourrait concerner la Croatie, éventuellement aux alentours de 2012. Une loi interne devra ensuite préciser les modes de désignation de ces députés. Le Gouvernement étudie les différentes options juridiques sur ce sujet.

Le Parlement européen a récemment travaillé sur son règlement intérieur et a proposé qu’en attendant la modification du nombre de députés, soient créés des postes d’observateurs au Parlement : ils n’auraient pas le droit de voter ni de déposer de rapport mais ils siégeraient avec les autres députés. Le Gouvernement étudie le mode de désignation de ces observateurs.

M. le président Axel Poniatowski. Ils pourraient être désignés par la Commission des affaires étrangères.

M. le secrétaire d’État. Effectivement. Je crois que le Règlement de l’Assemblée nationale prévoit l’élection éventuelle d’observateurs.

Pour ma part, étant très soucieux de renforcer le lien entre le Parlement national et le Parlement européen, je ne serais pas opposé au fait que ce soit des parlementaires français qui assurent cette sorte d’intérim. C’est une option possible.

Je n’ai pas de réponse à votre question, monsieur Lecou, concernant la position de la Commission européenne vis-à-vis de la branche T&D d’Areva. Je pense qu’elle n’a pas été saisie et qu’elle ne s’est pas auto-saisie de cette question.

S’agissant de Copenhague, la négociation sur le climat est complexe à l’intérieur de l’Union. Un groupe de travail a même été créé à ce sujet, il y a une dizaine de jours, à la demande du Président de la République et de la Chancelière allemande.

En matière énergétique comme en matière d’émission de gaz à effet de serre, le paysage européen est très hétérogène : certains pays parmi les nouveaux venus, comme la Pologne, la Hongrie et la Roumanie, utilisent beaucoup de charbon, d’autres pas du tout. Certains utilisent du gaz russe – la Bulgarie en est dépendante à 100 % et l’Allemagne pour un tiers –, d’autres, comme la Péninsule ibérique, pas du tout. Une politique énergétique commune passe obligatoirement par le développement de solidarités.

Nous devons définir entre nous une clé de répartition nous permettant de négocier de façon unie avec les autres pôles de puissance. Celle-ci doit mêler deux critères : la taille, c’est-à-dire le PIB, et les émissions de gaz carbonique. En effet, si on ne retient que le PIB, certains grands pôles de puissance comme la Chine ne manqueront pas de faire valoir que, sur ce point, ils sont en queue de classement – 104e rang pour la Chine – alors qu’en matière d’émission de gaz à effet de serre, ils sont parmi les premiers. C’est pourquoi il faut un dosage entre le PIB et les émissions. C’est ce qui rend difficile un accord interne dans l’Union.

La négociation sur le climat est extrêmement complexe et est destinée à durer pendant vingt ou trente ans, non pas entre nous, Européens, car nous allons assez vite arriver à un accord, mais avec les pays émergents et les pays en développement. Les écarts de richesse et de pollution sont très grands. L’objectif est une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre en 2050.

M. Myard a posé une très bonne question. Que se passera-t-il si nous ne sommes pas d’accord ? C’est un vrai test ! Je ne fais pas preuve de naïveté en la matière et je ne veux induire personne en erreur. Je connais les différences qui existent entre nous, Européens, en matière de politique à l’égard de tel ou tel conflit ou de tel ou tel grand pôle de puissance. Mais nous devons être capables d’harmoniser cette politique.

Le fait d’avoir un service diplomatique commun ne garantit pas, à lui seul, une politique étrangère commune. De même, M. Boucheron a raison d’être sarcastique vis-à-vis d’une défense européenne. Moi-même, je ne saute pas comme un cabri en répétant : « Défense européenne ! Défense européenne ! »

Savez-vous combien il y a de militaires sur les 35 000 fonctionnaires de l’Union ? 200 ! C’est dire la taille du « lobby » militaire dans les institutions européennes. Et, quand vous allez dans la salle du centre de crise, qui fait la moitié de la salle Lamartine où nous sommes actuellement réunis, vous voyez 89 ordinateurs éteints ! Tout au fond, trois ou quatre officiers entourent deux ordinateurs allumés – la situation du monde est-elle à ce point pacifique, que l’Europe n’ait pas besoin de regarder ce qui s’y passe ? J’ai donc demandé des explications sur le nombre des ordinateurs et le fait qu’ils étaient éteints ; il m’a été répondu que ce nombre correspondait aux exigences d’un certain État – je vous laisse deviner lequel – et que s’ils étaient éteints, c’était parce que la décision de les allumer n’avait pas été prise.

La France voit, l’Angleterre voit, certains autres États voient, mais L’Europe s’interdit de voir le monde, sauf dans les endroits où elle a engagé des moyens : Atalante, les Balkans. Pour le reste, nous ne voyons pas ensemble.

Vous mesurez le chemin à parcourir. Je suis loin de prétendre que l’existence d’un service d’action extérieure commun et d’un Haut représentant suffit à résoudre ce problème. Il faudra que les États se mettent d’accord sur l’idée d’avancer en la matière.

L’Europe existe parce qu’elle a une spécialité civilo-militaire qui n’est pas négligeable – et que n’a pas l’OTAN. Au demeurant, cette année, nous allons nous mettre d’accord sur la création d’un centre de crise, qui sera dirigé par Mme Claude-France Arnould, ce qui constitue un progrès. Mais on n’intervient pas au cœur des crises uniquement avec des comités ; derrière il faut des budgets. Or vous connaissez tous la réalité budgétaire. Alors que l’Europe des 27 a un PIB supérieur à celui des États-Unis, l’effort de défense de toute l’Europe représente à peu près 40 % de l’effort du Pentagone, ces 40 % étant assurés par trois États : le Royaume Uni, la France et l’Allemagne. Vous comprenez pourquoi la Grande-Bretagne est indispensable à l’Europe et pourquoi je ne souhaiterais pas qu’elle s’en coupe.

Le Haut représentant devrait, monsieur Plagnol, coordonner l’ensemble des actions extérieures afin d’éviter les erreurs du passé. Au fil de mes déplacements, je découvre nombre d’éléments plus ou moins satisfaisants. Ainsi, l’agence de sécurité maritime à Lisbonne est un instrument formidable mais est sous-employée car l’information n’est envoyée nulle part ; elle arrivera demain au Haut représentant et, peut-être, au Président stable, en liaison avec les États. À l’inverse, des organes locaux installés à Chypre ne me semblent pas les plus performants.

Les États ne devront pas hésiter à signaler à la Commission ou au Haut représentant les endroits où l’équipe de l’Union européenne travaille bien avec les États et ceux dans lesquels elle ne fait pas le travail convenablement. Je ne me priverai pas de le faire car je considère que cela fait partie de ma mission.

M. Loïc Bouvard. À ce stade de la discussion, beaucoup de problèmes ont été évoqués et vous y avez déjà apporté des réponses. Néanmoins, je veux revenir sur deux points sur lesquels vous avez beaucoup insisté : la notion d’Europe puissance dans un monde où s’affrontent de grands ensembles et le couple franco-allemand.

Quid du rôle de la Grande-Bretagne ? Il y a un troisième grand pays en Europe, la Grande-Bretagne, notamment dans le domaine de la politique étrangère. Elle a un réseau diplomatique très développé mais nous connaissons tous sa position vis-à-vis des États-Unis. Le fait d’avoir un Britannique à la tête des affaires étrangères ne serait-il pas une solution ?

Quid de l’élargissement de l’Europe ? En ce domaine, il me paraît indispensable de clarifier la politique de l’Union européenne vis-à-vis de l’Ukraine et de la Turquie, sans attendre dix ou quinze ans.

M. François Loncle. La réunification de l’Europe ne sera pas complète tant que le problème des pays des Balkans ne sera pas résolu. On note des progrès, notamment avec la Croatie et la Slovénie. Des pays se préparent, comme la Serbie. On observe également des bizarreries comme le sort réservé par la Grèce à la Macédoine. J’ai appris du vice-premier ministre macédonien que c’est un médiateur américain, mandaté par l’ONU, qui s’occupe de ce conflit alors que c’est une question éminemment européenne. Je pense que les choses pourraient avancer davantage si l’Union européenne se saisissait de la question et faisait comprendre à nos amis grecs qu’il faudrait être un peu plus conciliants.

J’ai l’impression que l’Union européenne et la France commencent à payer les conséquences du sort réservé à la Turquie. Je me suis rendu récemment avec M. Myard et d’autres collègues en Syrie où nous avons constaté le rôle croissant joué par la Turquie dans cette région du monde. La Turquie s’est saisie des questions qui se posent dans cette région parce qu’elle se sent rejetée par l’Union européenne. J’aimerais que, indépendamment du fait que nous lui réservons un sort à part dans l’Europe, nous renforcions nos relations et nos contacts avec ce pays, comme nous avons su le faire avec d’autres pays.

M. Michel Terrot. J’aimerais connaître votre sentiment, monsieur le secrétaire d’État, sur la façon dont l’Europe appréhende les questions africaines. Beaucoup d’États, notamment parmi les nouveaux entrants, semblent s’en désintéresser complètement tandis que d’autres expriment le souhait de voir l’aide destinée à l’Afrique remplacée par une aide vers des pays plus à l’Est. La France, qui a toujours eu une politique africaine affirmée, peut-elle ou non compter sur la coopération européenne en la matière ?

M. Daniel Garrigue. J’ai un peu l’impression que le traité de Lisbonne, dont nous avons attendu avec tant d’impatience la ratification complète, va être trop grand pour nous. Sur quels objectifs et sur quelles ambitions l’Europe peut-elle se mobiliser ? On sort de l’institutionnel ; il faut désormais entrer sur un autre terrain.

M. Jean-Jacques Guillet. Si l’on note une certaine harmonisation des positions au plan européen sur la taxe carbone aux frontières, j’ai compris qu’aucun accord ne s’exprimera avant la conférence de Copenhague pour ne pas faire peur à un certain nombre de pays émergents. Je crains que le même raisonnement ne vale après la réunion de Copenhague et que nos relations particulières avec la Chine et l’Inde nous empêchent de mettre en place cette taxe.

Les difficultés de négociation sur l’adhésion de la Turquie entraînent une réorientation de la politique étrangère de ce pays vers le Proche-Orient au point que l’on parle de politique néo-ottomane. Or, en matière énergétique, la Turquie est en train de constituer une sorte de nœud d’infrastructures gazières et pétrolières, parfois avec l’aide de la Russie et parfois avec l’aide américaine – le projet Nabucco est européen mais très poussé par les Américains. Cela complexifie encore le problème turc. Où en est-on véritablement avec la Turquie ?

Le traité de Lisbonne donne la compétence énergétique à l’Union européenne. Or, il règne incontestablement, dans ce domaine, un certain désordre : désaccord entre l’Union européenne et la Russie, différence d’appréciation au sein du couple franco-allemand sur la question du nucléaire comme le montre l’accord Siemens-Rosatom. Des différends existent également concernant Nord Stream et South Stream. L’Europe peut-elle avoir une politique commune vis-à-vis de la Russie et mettre en place un véritable partenariat énergétique ?

Mme Henriette Martinez. Mes questions concernent l’aide publique au développement de l’Union européenne.

J’aimerais savoir comment cette aide va s’organiser dans le nouveau cadre institutionnel, notamment celui de la politique extérieure de l’Europe. Un chef de délégation de l’Union européenne à Abidjan, où je me suis rendue récemment, m’a dit que tout allait changer et qu’il attendait des directives pour savoir comment allait s’organiser la politique d’aide au développement. En savez-vous davantage, monsieur le secrétaire d’État ?

La France contribue au Fonds européen de développement pour quelque 800 millions d’euros par an sans avoir une grande visibilité des actions engagées. D’ailleurs, environ 60 % du budget du FED sont consacrés à de l’aide budgétaire globale, ce qui enlève beaucoup de visibilité.

Êtes-vous favorable, monsieur le secrétaire d’État, à un onzième FED ? Si oui, êtes-vous prêt à rediscuter la clé de répartition, qui est encore supérieure de deux points à notre clé de répartition au budget général de l’Union européenne ? Une baisse avait été obtenue par Mme Colonna. Êtes-vous prêt à vous inscrire dans cette démarche ?

Soutiendriez-vous, si le débat est toujours d’actualité, le projet, souvent renvoyé, de budgétisation du FED, qui permettrait au Parlement européen d’exercer un contrôle sur l’utilisation de crédits dont le montant est élevé ? Cela me semblerait préférable à la politique actuelle du FED, étant entendu que ces crédits devraient être consacrés en priorité aux États ACP et faire l’objet de contractualisation.

Mme Christiane Taubira. Nous pouvons être optimistes et penser que quelques mesures nationales jointes à quelques mesures de l’Union européenne et peut-être même du sommet de Copenhague vont réduire les émissions de gaz à effet de serre et rééquilibrer quelque peu la planète. Nous pouvons aussi nous attendre, au vu des projections, à des migrations climatiques importantes. L’Europe est déjà confrontée aux migrations de la misère, aux migrations des pénuries d’eau. Elle sera de plus en plus confrontée aux migrations climatiques.

Sachant que les institutions travaillent sur le droit d’asile commun, la réflexion porte-t-elle toujours exclusivement sur le droit d’asile et les politiques de lutte contre l’immigration indépendamment des politiques économiques, du rôle joué par les multinationales dans un certain nombre de pays et de la contribution que certaines unités économiques apportent à la désertification, à la surexploitation des matières premières et au déséquilibre entre les villes et les campagnes ? Va-t-on cesser de travailler exclusivement en aval, à savoir le renvoi à domicile, soit sous forme coercitive, soit par incitation avec les aides au retour, pour travailler davantage en amont et créer les conditions permettant aux populations de se fixer chez elles lorsqu’elles le souhaitent ?

M. le secrétaire d’État. En ce qui concerne les nominations, je laisse le Président de la République trancher, monsieur Bouvard. Ce que je souhaite, c’est que le Royaume Uni reste pleinement associé à l’Union et qu’il ne s’isole pas. L’Europe a besoin de ce pays.

Les élargissements imposés par la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide sont, pour l’essentiel, derrière nous. La Turquie est un cas à part puisque sa candidature remonte à 1963. Il est très peu probable qu’on élargisse encore vers l’Est, ce qui implique des relations de partenariat poussées en direction de l’Ukraine et de la Moldavie et des relations de voisinage poussées avec les pays du Caucase. L’Europe est fatiguée par les élargissements successifs des vingt dernières années et par son débat institutionnel et a beaucoup de mal à fonctionner à 27. Il ne faudrait pas qu’elle se transforme en Nations unies, ce qui l’entraînerait droit vers la paralysie. Par ailleurs, il y a des différences de niveau de développement et des complexités stratégiques et géopolitiques.

Il reste la question de l’Islande, qui nécessitera un certain nombre de réformes internes dans les secteurs des finances et de la pêche, et celle des pays des Balkans où doit s’exercer la mission première de l’Union qui est de faire la paix. Le seul pays de l’ex-Yougoslavie qui est aujourd’hui membre de la famille européenne est la Slovénie. A côté, il reste sept États qui, dans la classification de l’Union, sont chacun dans une catégorie spécifique, tant sont grandes les différences politiques et économiques entre eux – et je ne parle pas des problèmes de frontières ou de nom. Nous pourrions d’ailleurs consacrer une réunion à cette question, monsieur le président, afin de préciser la politique de la France et des Européens dans les Balkans.

Ce que nous voulons, c’est stabiliser la situation. Nous nous réjouissons de l’accord slovéno-croate, qui devrait mener à la reprise normale des négociations avec la Croatie et à l’adhésion de ce pays à l’Union vers 2012, l’arbitrage étant accepté d’avance par les deux pays, ce qui est un grand progrès. Les négociations se poursuivent avec les autres pays. Nous devons être très vigilants sur la situation en Bosnie. S’agissant du problème du nom de l’ancienne république yougoslave de Macédoine, il est surprenant que les Européens ne soient pas capables de le régler sans demander l’intervention d’un Américain, même si la Grèce et cette ancienne république de Yougoslavie ont un partenariat avec l’OTAN.

Par ailleurs, s’agissant de Chypre, il est tout de même surprenant que l’Europe tolère qu’un ancien ministre australien des affaires étrangères soit chargé d’un dossier européen vieux de 35 ans, qui se caractérise par une situation ubuesque dans laquelle on voit un pays membre de l’Union être occupé par un pays candidat qui ne le reconnaît pas! Il est peut-être temps que l’Union européenne, qui veut se doter d’une grande ambition de politique étrangère, s’occupe de régler ce problème.

M. Jacques Myard. C’est foutu !

M. le secrétaire d’État. Monsieur Myard, cessez d’être négatif. Je pense, comme M. Garrigue, que cette nouvelle fenêtre de l’histoire qui s’ouvre avec la mise en place de nouvelles institutions en Europe nous donne la possibilité d’avancer. Si je dénonce la situation ubuesque des relations entre la Grèce et la Macédoine, c’est parce que je souhaite qu’on réagisse et qu’on ne se contente pas de laisser l’ONU régler un conflit européen. De même, ce ne sont plus la Grande-Bretagne, la Grèce et la Turquie qui doivent assurer la garantie de Chypre, mais l’Union européenne. Cela dit, je souhaite que l’ARYM, l’Ancienne République yougoslave de Macédoine – en tant que ministre français, je n’ai plus le droit, du fait des relations d’amitié de la France avec la Grèce, de prononcer le nom de Macédoine –, soit arrimée à l’Europe et qu’on en finisse avec ce problème de nom sans avoir besoin d’appeler le Département d’État pour le régler.

Nos relations avec la Turquie sont stratégiquement importantes. Je suis conscient de sa situation particulière en matière énergétique et de la politique ambitieuse qu’elle développe au Proche-Orient, en Afghanistan, en Asie centrale, au Pakistan, dans l’OCI – Organisation de la conférence islamique –, en direction de l’Iran et en direction de la Russie. La Turquie est un pont entre l’Europe et toutes ces régions.

L’un des premiers dossiers que j’ai pris à bras-le-corps, dès ma nomination, avec mon collègue turc, a été de pacifier nos relations dans le respect des positions de chacun. Un accord tacite en trois points a été passé entre le Président français et son homologue turc.

Dans le premier point, il est précisé que les Français et les Turcs se respectent mais sont en désaccord sur le point d’arrivée de la négociation, à savoir l’adhésion à l’Union européenne. Nous sommes d’accord pour constater le désaccord sur ce point.

Dans le deuxième point, les deux parties sont d’accord pour que les négociations continuent parce que c’est l’intérêt de tout le monde. Les Turcs ont intérêt à avoir une Turquie apaisée et moderne, avec des règles démocratiques du niveau de celles de l’Europe communautaire. L’Union européenne a intérêt à avoir une Turquie démocratique, prospère et forte.

Cinq chapitres sont mis de côté par la France parce qu’ils mènent, du point de vue français, directement à l’adhésion.

Huit autres chapitres sont bloqués par l’Union à cause de Chypre. J’invite nos amis turcs à étudier les hypothèses d’évolution pour que tombe ce dernier mur en Europe. On ne va pas rester encore 35 ans avec cette division qui déchire l’île et ses peuples.

Le protocole d’Ankara sera examiné au Conseil européen du mois de décembre. La Turquie s’est engagée à ouvrir ses ports et ses aéroports et envisage de reconnaître Chypre.

Il faut que nous fassions preuve d’intelligence pour trouver des solutions. Je ne me résigne pas. Au moment où nous célébrons le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, il est temps de dire : « Abattons ce mur ! » Il n’y a pas besoin de 40 000 soldats turcs à Chypre. Il faut travailler à la démilitarisation de l’île, à l’instauration de mesures de confiance et à la reprise de relations normales, commerciales puis politiques.

Troisième point de l’accord : pendant que continuent les négociations, les deux parties essaient de développer au maximum les intérêts politiques, économiques et stratégiques qu’elles ont en commun. Il n’y a pas beaucoup d’États européens qui ont une politique dynamique en direction de l’Asie centrale, de la Russie et du Moyen-Orient. La France est un de ceux-là et, à bien des égards, notre pays et la Turquie se retrouvent.

La France et la Turquie se sont retrouvées en Syrie. Le Président de la République a travaillé avec le Premier ministre Erdogan, sous présidence française. La politique de rapprochement avec la Syrie, aujourd’hui imitée par les États-Unis, est partagée par la France et la Turquie.

La France et la Turquie travaillent ensemble en Afghanistan, de façon très proche. Les deux pays ont les mêmes intérêts à aider le Pakistan à se stabiliser.

Dans le domaine de l’énergie, la Turquie est un carrefour d’approvisionnement en provenance de la Caspienne et de la Russie. C’est une route essentielle vers l’Europe, qui permet de réduire la dépendance de cette dernière vis-à-vis des gazoducs passant par l’Ukraine et, demain, par la route de la Baltique. D’ailleurs, lorsque le président Gül est venu à Paris, il a souhaité le retour de Gaz de France dans le projet Nabucco.

Pour moi, la Turquie est un pays ami. Il faut cesser de nous chamailler sur le fait que nous sommes en désaccord sur le point d’arrivée et avancer, les intérêts stratégiques de la France et de la Turquie étant convergents.

J’ai ainsi répondu à M. Loncle.

Nous commençons seulement à travailler, monsieur Terrot, sur l’articulation entre notre politique nationale et celle de l’Europe en matière de développement, notamment en direction de l’Afrique. L’UPM – Union pour la Méditerranée – est un vecteur très important stratégiquement de relations entre l’Europe et nos voisins du Maghreb.

Il est exact, madame Martinez, que nous avons très peu de visibilité sur l’utilisation qui est faite de notre contribution au FED. Nous sommes face à un dilemme : vaut-il mieux continuer à travailler en bilatéral ou vaut-il mieux travailler « en Européen », surtout avec l’arrivée en Afrique de très grandes puissances comme la Chine ? 

La mise en œuvre des nouvelles institutions sera très importante. Jusqu’à présent la synergie n’a pas été parfaite entre l’action des commissaires chargés de l’aide extérieure et celle des États. Le Haut représentant sera chargé de coordonner ces actions.

En matière d’aide au développement, il est très important que l’Europe pèse de tout son poids et que tous les États membres se sentent concernés. L’Afrique n’est pas que le problème de la France, de l’Italie ou de l’Espagne. Il est important, tant politiquement que psychologiquement et financièrement, que chaque État apporte sa contribution.

En même temps, il faut que l’utilisation de cet argent commun soit coordonnée avec les États. Je ne veux pas revoir les dysfonctionnements que j’ai constatés en matière d’aide au Pakistan, la Commission vivant sa vie et appliquant sa stratégie. Le Haut représentant nous donnera les moyens de cette coordination.

M. Jacques Myard. C’est le rôle du Conseil !

M. le secrétaire d’État. Le Haut représentant est membre du Conseil. En même temps, il assure le lien entre la Commission et le Parlement européen, avec lequel il faut que nous apprenions à travailler davantage.

Vous avez critiqué, monsieur Myard, l’invasion de la langue anglaise. Sachez que le représentant du Gouvernement que je suis et qui travaille étroitement avec le Parlement européen, constatant qu’il y avait près de 300 francophones sur les 751 eurodéputés, a incité les eurodéputés français ou francophones à créer un groupe francophone à Strasbourg. Ce groupe est en train d’être créé et est dirigé par un Roumain, M. Preda.

Par ailleurs, j’ai écrit au président du Parlement européen pour lui rappeler que celui-ci se trouvait en France et qu’il serait bien que les panneaux d’identification soient aussi en français.

J’ai répondu aux questions de M. Guillet sur l’énergie.

Les objectifs de l’Europe, monsieur Garrigue, sont ceux que j’ai indiqués tout à l’heure : l’immigration, l’énergie, la sortie de crise.

Madame Martinez, je me propose de reprendre votre attache avec une analyse chiffrée sur le FED et l’utilisation qui est faite des crédits dont dispose ce fonds.

Je sais, madame Taubira, que le sujet que vous avez évoqué est très sensible dans votre département. Cette politique d’immigration vaudra sur l’ensemble du territoire de l’Union. Je serais très heureux de votre contribution en la matière. Cela m’intéresserait de savoir comment on peut progresser ensemble, d’autant qu’il y a un centre spatial européen dans votre département.

Vous avez bien compris qu’il y avait tout, dans ce débat, sauf l’exclusion de l’autre. Notre souci est d’assurer un lien entre la politique de développement que nous voulons mener et l’immigration que nous ne devons pas subir. Sinon, aucun système, y compris l’aide sociale dont vous bénéficiez dans votre département, ne pourrait résister. Il faut que nous travaillions ensemble et que les règles en matière de droit d’asile soient communes dans toute l’Union.

La France souhaitant s’affirmer comme un État amazonien, il faut qu’elle soit à la jonction des frontières de l’Union européenne et de ce regroupement régional que vous souhaitez. Cela implique des relations avec les États voisins.

Mme Martine Aurillac, vice-présidente de la Commission. M. le président de la Commission, qui m’a demandé de le remplacer, m’a chargée, monsieur le secrétaire d’État, de vous remercier pour vos réponses précises et détaillées.

Par ailleurs, nous retenons l’idée d’une séance de travail, non seulement sur l’aide au développement, mais aussi sur les Balkans.

M. le secrétaire d’État. Sur l’aide au développement, il y a tout un travail de coordination à faire entre la France et l’Union.

Quant aux questions de défense, le Parlement européen est en train de s’en charger. Le président de la sous-commission de la défense étant un Français, j’espère que nous arriverons à sensibiliser davantage nos collègues eurodéputés.

Je suis à votre disposition sur tous ces sujets.

Mme Martine Aurillac, vice-présidente. Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d’État.

La séance est levée à dix-huit heures.

____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 10 novembre 2009 à 16 h 30

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Christian Bataille, M. Jean-Michel Boucheron, M. Loïc Bouvard, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Robert Lecou, M. François Loncle, Mme Henriette Martinez, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, Mme Christiane Taubira, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Gaëtan Gorce, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean Roatta, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Schneider

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Garrigue, M. Philippe Vitel