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Commission des affaires étrangères

Mardi 17 novembre 2009

Séance de 17 h 00

Compte rendu n° 17

Présidence de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

– Royaume-Uni : doubles impositions, évasion et fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et de gains en capital (n° 1849) – M. Alain Cousin, rapporteur. T

– Inde : utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire (n° 1982) – M. Claude Birraux, rapporteur

Royaume-Uni : doubles impositions, évasion et fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et de gains en capital (n° 1849).

La séance est ouverte à dix-sept heures.

La commission examine, sur le rapport de M. Alain Cousin, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital (n° 1849).

M. Alain Cousin, rapporteur. La commission des affaires étrangères est aujourd’hui saisie du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre la France et le Royaume-Uni en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur les gains en capital.

Cette convention, signée à Londres le 19 juin 2008, a vocation à se substituer à la précédente convention fiscale entre les deux pays, modifiée par quatre avenants depuis sa signature le 22 mai 1968.

Elle vise, d’une part, à se rapprocher du modèle de convention de l’OCDE et d’autre part, à tenir compte des évolutions des législations internes des deux pays en matière fiscale.

En raison de la grande technicité du sujet, je vous présenterai les principales avancées de la nouvelle convention après avoir brièvement rappelé quelques éléments de la fiscalité britannique.

Je vous rappelle qu’en 2007, environ 250 000 Français étaient installés au Royaume-Uni et près de 25 000 entreprises françaises y vendaient leurs produits, 1 584 y étant en outre implantées.

Concernant l’impôt sur le revenu (income tax), sont résidentes du Royaume-Uni donc imposables à raison de leurs revenus de source britannique et étrangère : les personnes physiques effectivement présentes au Royaume-Uni plus de 183 jours au cours d’une année d’imposition ; celles qui y ont effectué des séjours réguliers d’au moins 91 jours en moyenne au cours de quatre années consécutives.

Cependant, les salariés étrangers qui exercent des activités professionnelles à la fois au Royaume-Uni et en dehors ne sont imposables sur leurs revenus de source étrangère que si ces derniers sont « rapatriés » au Royaume-Uni (règle dite de la remittance basis).

Les personnes physiques non résidentes du Royaume-Uni sont imposables à raison de leurs revenus de source britannique selon les règles d’imposition qui s’appliquent aux résidents.

Les revenus de 1 à 34 800 £ (37 441 €) sont soumis à un taux de 20 %, au-delà de 34 801 £, ce taux est porté à 40 %. Les intérêts font l’objet d’une retenue à la source non libératoire au taux de 20 %. Les dividendes ouvrent droit à un avoir fiscal égal à un neuvième de leur montant. Le taux applicable aux dividendes est de 10 % dans la limite de la première tranche du barème et de 32,5 % au-delà. Les plus-values de cession de valeurs mobilières font l’objet d’une imposition séparée au taux de 18 % après un abattement de 9 600 £ (10 324 €).

Si les dividendes versés à des non-résidents sont exonérés de retenue à la source, les intérêts et redevances sont passibles d’une retenue libératoire au taux de 20 %.

Concernant l’impôt sur les sociétés (corporation tax), sont résidentes du Royaume-Uni les sociétés qui y sont constituées et celles qui y ont leur centre de contrôle et de décision. Elles sont donc assujetties à l’impôt sur les sociétés à raison de l’ensemble de leurs bénéfices de sources britannique et étrangère.

Les sociétés non résidentes ne sont, pour leur part, imposables qu’à raison des bénéfices résultant d’une activité déployée au Royaume-Uni à travers une succursale.

Un taux d’imposition de 21 % s’applique aux bénéfices compris entre 1 £ et 300 000 £. Entre 300 000 £ et 1,5 million £, le taux effectif varie de 21 à 28 %. Au-delà de 1,5 million £, le taux est de 28 %.

Les plus-values sont en principe soumises à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun. Les dividendes reçus par une société mère résidente en provenance d’une filiale également résidente sont exonérés d’impôt sur les sociétés quel que soit le niveau de la participation.

Les dividendes de source étrangère sont soumis à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun. La retenue à la source prélevée à l’étranger ouvre droit à un crédit d’impôt d’égal montant imputable sur l’impôt sur les sociétés britanniques dû à ce titre.

Les négociations, engagées depuis 1990, en vue de réviser la convention fiscale franco-britannique de 1968, ont donné lieu, après la réécriture du premier projet datant de 2004, à la signature à Londres le 19 juin 2008 de la convention, qui comporte 32 articles ainsi qu’un protocole.

– L’article 1PerP soumet les résidents des Etats contractants à l’application de la convention. Cette notion, essentielle dans toute convention fiscale, est définie à l’article 4 qui fixe également les critères permettant de déterminer le lieu d’imposition lorsqu’une personne est résidente des deux Etats. Est introduite dans ce même article une clause relative aux sociétés de personnes qui précise le traitement des sociétés transparentes étrangères.

– L’article 2 énumère les impôts visés par la convention dont la liste est actualisée.

– L’article 6, relatif aux revenus immobiliers, prévoit l’imposition de ceux-ci dans l’Etat de situation de l’immeuble. Toutes les plus-values immobilières seront donc désormais imposables conformément à la règle habituelle.

Jusqu’à présent, la France ne pouvait pas imposer les plus-values réalisées sur des cessions d’immeubles situés en France par des entreprises britanniques ne disposant pas d’établissement stable en France, en vertu de la jurisprudence Hallminster du Conseil d’Etat. Cette singularité constituait une source d’évasion fiscale à l’instar du cas luxembourgeois qui a fait l’objet d’un avenant examiné récemment par la Commission.

– En matière de dividendes, l’article 11 tire les conséquences de la suppression de l’avoir fiscal et vise désormais les structures d’investissement immobilier.

– En matière d’élimination des doubles impositions, aux termes de l’article 24, la France peut, nonobstant les autres stipulations de la convention, imposer les revenus dont l’imposition est attribuée au Royaume-Uni, même en cas d’imposition exclusive dans cet Etat, dès lors que ces revenus ne sont pas exonérés d’impôt sur les sociétés en vertu du droit interne français.

– L’article 26, relatif à la procédure amiable, offre aux contribuables la possibilité de recourir à une procédure d’arbitrage lorsque les autorités compétentes des deux Etats ne sont pas parvenues à un accord deux ans après l’ouverture d’une procédure amiable. Introduite en juillet 2008 dans le modèle de l’OCDE, cette clause est d’application plus large que la convention européenne d’arbitrage.

– Afin de respecter le modèle de l’OCDE, l’article 27 soumet tous les impôts à l’échange de renseignements alors que la convention de 1968 limitait celui-ci aux seuls impôts visés par la convention.

– Enfin, des dispositifs anti-abus sécurisent l’application de la convention :

Chacun des articles relatifs aux dividendes, intérêts, redevances et autres revenus comporte un dispositif anti-abus prévoyant le refus du bénéfice de l’article si le principal objectif, ou l’un des principaux objectifs, du bénéficiaire des revenus a été d’obtenir indûment les avantages conventionnels.

En outre, afin de tenir compte de l’existence du dispositif britannique de « remittance basis » en vertu duquel certains résidents britanniques ne sont imposés que sur leurs revenus perçus ou transférés au Royaume-Uni, certaines exonérations ou réductions d’impôt à la source prévues par la convention ne s’appliqueront qu’à hauteur des revenus effectivement imposés dans l’Etat de résidence (article 29).

Comme nous venons de le voir, les dispositions de la convention fiscale du 19 juin 2008 entre la France et le Royaume-Uni, qui empruntent largement au modèle de l’OCDE, recèlent des avancées intéressantes pour le budget de l’Etat. Alors que la procédure de ratification britannique est achevée depuis le mois de février, après l’adoption du projet de loi par le Sénat le 20 juillet dernier, votre rapporteur recommande donc l’adoption du présent projet de loi en vue d’une entrée en vigueur rapide de la convention.

Mme Martine Aurillac, vice-présidente de la commission. Combien de Français, et d’entreprises françaises, sont-ils concernés par cette convention ?

M. Alain Cousin, rapporteur. 250 000 Français vivent au Royaume-Uni, 1 600 sociétés françaises y exercent une activité, mais nous n’avons pas de chiffres plus précis.

Mme Martine Aurillac, vice-présidente de la commission. L’impôt de solidarité sur la fortune n’est pas concerné par cet accord ?

M. Alain Cousin, rapporteur. Cet impôt n’existe pas en Grande-Bretagne. La présente convention concerne principalement l’imposition des revenus.

M. Michel Terrot. L’accord concerne-t-il les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, ou l’île de Man ?

M. Alain Cousin, rapporteur. L’article 2 du protocole à la présente convention exclut de son application plusieurs territoires dont les îles que vous citez, ainsi que Gibraltar. Ces territoires ne sont pas membres de l’Union européenne.

Mme Martine Aurillac, vice-présidente de la commission. Nous aurons prochainement à examiner des projets de loi autorisant l’approbation d’accords fiscaux avec certains de ces territoires.

M. Jacques Remiller. Pourriez-vous indiquer ce qu’est le dispositif anti-abus prévu par l’accord franco-britannique ?

M. Alain Cousin, rapporteur. Il s’agit de plusieurs articles de la convention précisant que leurs dispositions ne s’appliquent pas lorsque le principal objectif du bénéficiaire des revenus a été d’obtenir indûment les avantages conventionnels.

M. Jacques Remiller. Une procédure judiciaire est prévue dans ce cas ?

M. Alain Cousin, rapporteur. Il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire, mais administrative, au moins dans un premier temps.

M. Serge Janquin. L’article 3 de l’accord est d’une rédaction ambiguë. Il précise que tous les territoires soumis à la juridiction britannique sont concernés par les stipulations de la convention. Or, les îles anglo-normandes relèvent de la souveraineté du Royaume-Uni.

Par ailleurs, le patrimoine de la Reine d’Angleterre est-il concerné par cet accord ?

M. Alain Cousin, rapporteur. Le protocole annexé au présent accord permet de préciser les définitions contenues dans l’article 3. Il n’y a donc pas de contradiction. Sont exclues de l’application de l’accord : les îles anglo-normandes, Gibraltar et les zones sous souveraineté britannique situées à Chypre, les « sovereign based areas ».

Enfin, l’accord porte sur l’imposition du revenu, pas du patrimoine.

M. Jean-Pierre Dufau. Dans quelles monnaies les impôts sont-ils évalués ? Sont-ils payés en devise nationale aux services collectant l’impôt ?

M. Alain Cousin, rapporteur. Les calculs sont faits en respectant la parité courante. Les impôts sont payés dans la devise nationale.

M. Claude Birraux. Plus de 60 000 citoyens français vivent dans des régions frontalières avec la Suisse et travaillent dans le canton de Genève. Pour leur déclaration d’impôt, les services fiscaux leur communiquent un taux de change fixé selon le taux courant.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 1849).

*

Inde : utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire (n° 1982).

La commission examine, sur le rapport de M. Claude Birraux, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire (n° 1982).

M. Claude Birraux, rapporteur. L’accord signé le 30 septembre 2008 entre la France et l’Inde, qui est soumis aujourd’hui à votre examen, met en place une coopération entre nos deux pays pour développer l’utilisation pacifique et non explosive de l’atome.

Cet accord n’aurait pas été possible il y a encore quelques années. En effet, l’Inde, qui dispose d’un arsenal nucléaire militaire, était tenue à l’écart du vaste mouvement de coopération internationale dans le domaine de l’énergie nucléaire civile. Cette coopération, dont la France est un des piliers, est prévue par le traité de non prolifération des armes nucléaires de 1968, le TNP auquel l’Inde n’est pas partie.

La situation a radicalement changé le 10 septembre 2008. A cette date, les 47 Etats membres du groupe des fournisseurs nucléaires, instance informelle qui fixe les règles en matière d’exportation de produits nucléaires, ont unanimement décidé de lever les restrictions qui frappaient jusqu’ici le commerce nucléaire avec l’Inde.

Les motifs de cette décision doivent être soigneusement examinés. D’abord, la décision du groupe des fournisseurs nucléaires se fonde sur les nombreux engagements souscrits par l’Inde en matière de lutte contre la prolifération.

Ce pays a ainsi décidé de soumettre la quasi-totalité de ses installations nucléaires aux inspections de l’agence internationale pour l’énergie atomique. Dix réacteurs existants, ou actuellement en chantier, et toutes les infrastructures qui pourraient être construites à l’avenir, seront ainsi susceptibles d’être contrôlés.

Par ailleurs, l’Inde, qui n’a jamais été impliquée dans un quelconque réseau proliférant, a réaffirmé son moratoire sur les essais nucléaires décidé en 1998.

Le groupe des fournisseurs nucléaires a également fondé son argumentation sur l’ampleur des besoins énergétiques indiens, qui rendent nécessaire une modernisation et un développement du parc électronucléaire de ce pays.

A l’heure actuelle, l’Inde utilise principalement le charbon pour produire de l’électricité, avec des conséquences environnementales que l’on imagine sans peine. Ses besoins d’électricité pourraient tripler d’ici 2030. On estime ainsi que l’Inde a aujourd’hui besoin d’environ 566 millions de tonnes équivalent pétrole par an, soit le double de la France pour une population 12 à 15 fois supérieure. En 2015, la demande pourrait passer à 760 millions de tonnes équivalent pétrole, pour atteindre 1 160 en 2030. La consommation de charbon entraîne la production de 1 463 millions de tonnes de COB2B tous les ans, chiffre qui pourrait passer à 2 209 en 2030.

Pour faire face, le gouvernement indien a annoncé un vaste programme de développement pour multiplier par dix ses capacités électronucléaires d’ici 2020, ce qui nécessitera la construction de 20 à 30 réacteurs supplémentaires. Cette perspective a attiré tous les Etats disposant de technologies reconnues dans le domaine du nucléaire civil.

Depuis le 10 septembre 2008, l’Inde a signé sept accords de coopération nucléaire. Avec la Russie, les Etats-Unis et l’Argentine, des partenariats généraux, qui impliquent parfois la construction de centrale, ont été lancés. Avec le Kazakhstan, la Namibie et la Mongolie, les accords concernent plus spécifiquement les conditions de fourniture de matières premières pour assurer le bon fonctionnement des centrales indiennes. A l’heure actuelle, ces dernières ne fonctionnent qu’à 50 % de leurs capacités en raison du manque de combustible.

Les coopérations politiques se sont systématiquement accompagnées d’offres commerciales. Toutes les grandes entreprises mondiales du domaine, russe, américaine, canadienne, coréenne, ont obtenu des marchés de construction de centrales, et les contrats de fourniture liés.

L’entreprise française leader de ce marché, Areva, a elle-même signé un mémorandum d’accord pour la construction de deux réacteurs EPR dans le Jaitapur, préalable à la construction de quatre réacteurs supplémentaires sur le même site.

Ne nous y trompons pas : le changement de situation juridique consécutif à la décision du groupe des fournisseurs nucléaires a permis de donner une autre dimension à des coopérations qui existaient déjà en partie, à un niveau très technique, entre l’Inde et les principales puissances nucléaires.

La France, particulièrement en pointe dans ce domaine, a également intérêt à approfondir son partenariat avec l’Inde, qui sera un acteur majeur de l’énergie nucléaire civile dans les prochaines années.

L’accord du 30 septembre 2008 répond précisément à cet objectif. Il fixe un cadre très large à notre coopération avec l’Inde, qui concernera tous les domaines liés à l’utilisation pacifique de l’atome, y compris le cycle du combustible et le retraitement des déchets.

Surtout, le texte repose sur un équilibre entre les concessions faites à l’Inde pour garantir l’approvisionnement de ses centrales, et des stipulations visant à éviter que les activités ainsi menées avec la France ne soient potentiellement proliférantes. En cela, le présent accord ne diffère pas de celui signé le 10 octobre entre l’Inde et les Etats-Unis.

En effet, pour l’Inde, la sécurité des approvisionnements est un objectif majeur, comme je l’ai indiqué précédemment. La France s’engage ainsi à garantir un flux régulier d’approvisionnement, en incitant notamment l’Inde à participer à des initiatives de banque commune de combustible.

En contrepartie, les deux Etats s’engagent à soumettre l’intégralité des activités menées en partenariat, et tous les éléments nucléaires utilisés dans ce cadre, au contrôle de l’AIEA, et aux normes les plus strictes en matière de sûreté nucléaire et de protection physique des installations et des matières.

Mes chers collègues, l’accord de coopération nucléaire civile entre la France et l’Inde, du 30 septembre 2008, a été rendu possible par le choix unanime des 47 Etats impliqués dans le contrôle des exportations nucléaires d’autoriser le commerce de produits et de technologies nucléaires vers l’Inde.

Dès la publication de cette décision, l’Inde a noué des partenariats avec les principales puissances nucléaires, dont les retombées commerciales ont été immédiates.

Le texte du présent accord présente des garanties importantes en matière de lutte contre la prolifération, auxquelles il faut ajouter les engagements pris par l’Inde vis-à-vis de l’AIEA et de l’ensemble de la communauté internationale dans ce domaine.

Dès lors, j’estime que l’approbation de ce texte, loin de représenter un risque de prolifération, permettra aux technologies électronucléaires françaises d’aider l’Inde à répondre à ses défis énergétiques, tout en rapprochant encore davantage ce pays du système international de lutte contre la prolifération nucléaire et des systèmes internationaux de vérification de la sûreté des installations nucléaire.

M. Jean-Paul Lecoq. Je dois dire que j’ai un problème avec l’entrée en matière du texte qui nous est proposé qui énonce des affirmations fausses : « Reconnaissant que le nucléaire constitue une source d’énergie sûre, respectueuse de l’environnement et durable… », « Que l’énergie nucléaire représentera une source d’énergie indispensable pour les générations futures… ». Tout cela est faux ! On peut le formuler différemment, indiquer qu’on peut y voir une réponse aux problématiques environnementales, mais pas en des termes qui reflètent les propos du lobby nucléaire.

Cela étant, quant à la question de la gestion des déchets nucléaires, l’examen du texte montre que rien n’est prévu. Mieux, dans les annexes, il est indiqué que l’on peut fournir des matières pour le retraitement des déchets. L’article 5 de l’accord est également discutable en ce sens que la France s’engage dans le cadre d’un groupe d’amis à alimenter l’Inde en combustible nucléaire. Rien n’est non plus prévu concernant le stockage des déchets. Lorsque l’usine de la Hague a été lancée, nous sommes devenus la poubelle d’autres pays, on a retraité, on a même créé une colline de stockage ! Qu’en est-il ici ? Je ne vois rien de prévu et je reste dans le doute.

Quant à l’enrichissement, je remarque que l’on garantit la fourniture de plutonium, et qu’il y a donc un risque vers un usage militaire. En ce qui concerne les EPR, nous continuons d’en vendre, alors que l’on sait qu’il y a des problèmes de sécurité, que l’on n’a pas encore réglés. Il y a des possibilités de fuites et ce sont des sujets sur lesquels une culture de l’information est indispensable vis-à-vis des populations, quant à l’organisation des exercices de secours également. Rien n’apparaît sur ces aspects et rien ne dit que l’on garantisse un service après-vente. L’Inde ne le dit pas non plus. Cela me semble très léger pour pouvoir être approuvé ainsi.

M. Paul Giacobbi. Sur le fond, il faut rappeler que l’Union indienne est en manque dramatique d’énergie électrique, comme l’a souligné notre rapporteur. Il faut savoir que les générateurs sont actuellement sa source d’alimentation principale et qu’elle n’a pas de pétrole. La croissance du nucléaire est par conséquent pour elle une nécessité vitale, compte tenu de son niveau de croissance économique. En ce qui concerne la bombe atomique, je rappellerai aussi qu’ils n’ont eu besoin de personne pour l’avoir depuis le début des années 70 : les découvertes majeures de la recherche atomique indienne remontent aux débuts du XXe siècle, et l’Inde n’a pas besoin d’un accord avec la France pour cela. C’est une puissance nucléaire établie.

Cela étant, le rapport indique qu’en février 2009, AREVA a signé un accord avec la NPCIL. J’avais été à l’époque très étonné de l’annonce de la vente d’un réacteur parce qu’on avait signé cet accord. Je me suis renseigné auprès de la NPCIL et il apparaît que l’on s’est, en fait, simplement accordé pour éventuellement entamer des discussions avec la France, qui pourraient déboucher sur un contrat ; ce n’est pas du tout la même chose, d’autant que, en même temps, les Indiens négocient avec d’autres partenaires, les Etats-Unis notamment. Nous avons trop tendance à confondre signature d’accords et annonces commerciales. On a rejeté Siemens dans les bras russes, etc. Il faut faire attention, d’autant qu’on connaît les difficultés actuelles d’AREVA. Tout cela coûte cher, d’autant qu’on est aussi face à des problèmes de gestion de matière nucléaire, y compris le plutonium. Ce qui s’est passé, par exemple, à Cadarache est extrêmement sérieux : je rappelle qu’on a retrouvé dix kilos de poussières de plutonium ! Par comparaison, ce qui s’est passé au niveau des matières nucléaires russes perdues dans l’ancien empire soviétique était de la rigolade !

Par ailleurs, sur la construction de deux EPR, il ne faut pas oublier qu’il y a des difficultés telles que les pénalités de retard atteignent maintenant le montant du contrat et AREVA en est à se défausser et dire que les partenaires finlandais en matière de travaux publics ne sont pas fiables ! C’est sans précédent, compte tenu de la réputation des Finlandais qui n’est plus à faire, d’autant que la Cogema, ancien nom d’AREVA, était connue comme le loup blanc sur le secteur pour être elle irresponsable ! Il faudrait peut-être que nous réussissions à construire un EPR et à le faire marcher, si possible avant un délai de deux ans de retard, avec de telles pénalités, avant d’essayer d’en vendre. Ces remarques faites, cet accord est évidemment souhaitable, c’est remarquable.

M. Jean-Michel Boucheron. Je suis évidemment très favorable à cet accord, y compris sur la question du groupe des pays amis, car ce n’est que par la gestion collective des matières premières que l’on arrivera à éviter la dissémination. Je n’ai qu’une question, juridique : qu’est-ce qui a changé en 2008 sur le plan du Traité de non prolifération nucléaire qui a rendu possible cet accord qui ne l’était pas auparavant ?

M. Serge Janquin. Je formulerais la même réserve que Jean-Paul Lecoq. Le préambule est inutilement dithyrambique sur le nucléaire et il convient d’avoir un regard plus nuancé. A la différence de Jean-Michel Boucheron, je qualifierais le concept de pays amis de nouveau et fragile ou inconstant. Que recouvre-t-il exactement ?

Mme Marie-Louise Fort. Les accords de coopération entre Etats de ce type sont positifs. Y en a-t-il d’autres avec d’autres pays émergents que l’Inde ?

M. Claude Birraux, rapporteur. Le préambule de l’accord traduit en effet l’importance pour l’Inde de la diversification de modes de production d’électricité, et en particulier du développement de la production d’électricité d’origine nucléaire. Ses besoins actuels sont déjà deux fois supérieurs à ceux de la France pour une population quinze fois plus élevée et un nouveau doublement est prévu entre 2010 et 2030, pour couvrir son développement économique et les besoins de sa population.

La notion de banque de combustible est apparue au sein de l’AIEA pour contribuer à apporter une solution au problème du nucléaire iranien et sud-coréen : l’objectif est de réunir les Etats au sein d’un groupe qui assure l’approvisionnement de pays désireux de développer leur production d’électricité nucléaire afin d’éviter que ceux-ci ne cherchent à accéder aux technologies d’enrichissement, qui peuvent déboucher sur des usages militaires. Dans la mesure où la capacité des centrales nucléaires indiennes n’est utilisée qu’à hauteur de 50 % faute de matière première disponible, on comprend l’importance de cette notion pour ce pays.

La question de la gestion des déchets nucléaires est ancienne. Il est vrai que 275 tonnes de déchets nucléaires étrangers sont stockés à la Hague et ont vocation à y rester car aucune disposition conventionnelle ne prévoyait leur renvoi dans le pays de provenance. Depuis les lois de 1991 et de 2006, lorsque des déchets nucléaires d’origine étrangère arrivent en France, ce ne peut être que de manière transitoire, soit au cours de leur transit vers un site de traitement localisé dans un autre pays, soit afin d’être retraités en France, sachant que dans ce cas, les résidus retourneront ensuite dans le pays d’origine. L’accord de coopération avec l’Inde ne prévoit pas l’accueil de déchets sur notre territoire.

Il ne faut pas commettre d’erreurs en établissant un lien entre l’enrichissement d’uranium et la production de plutonium. Les réacteurs indiens fonctionnent à l’eau lourde sous pression et en utilisant de l’uranium naturel enrichi entre 2 et 4 %. L’enrichissement à ce niveau ne conduit pas à la production de plutonium.

La question de l’information et de la formation des populations n’a pas lieu d’être traitée dans un accord international. Il appartient à chaque Etat d’organiser les dispositifs nécessaires qui doivent reposer sur la responsabilité de l’exploitant et l’autonomie d’une autorité de sûreté bénéficiant d’une expertise scientifique. Le développement des coopérations internationales a l’avantage de favoriser la diffusion des bonnes pratiques.

En ce qui concerne le « memorandum de compréhension » (MOU memorandum of understanding), il est évident qu’il ne faut pas s’attendre à la signature de contrats à court terme. Néanmoins, l’Inde a toujours exprimé son souhait de disposer de plusieurs technologies et de plusieurs fournisseurs, ce qui ouvre naturellement des perspectives pour le groupe français.

C’est la décision du groupe des fournisseurs nucléaires du 10 septembre 2008 de lever les restrictions frappant l’Inde qui a ouvert la voie à la conclusion de cet accord. Le traité de non-prolifération n’interdit pas l’exportation d’uranium enrichi vers des Etats qui n’y sont pas partie.

La sécurité de la fourniture du combustible est un objet central de cet accord, comme il l’est dans les accords conclus avec le Kazakhstan et la Namibie. C’est une nécessité impérieuse pour l’Inde.

Des accords comparables ont été conclus par la France en 2008 avec les Emirats arabes unis, la Jordanie, l’Algérie, la Libye et la Slovaquie, ainsi qu’avec la Tunisie en 2009.

Aucun d’entre eux ne s’est encore traduit par la signature de contrats de vente. Les experts pensent qu’il faudra probablement attendre entre quinze et vingt ans avant que ces Etats soient effectivement en mesure d’exploiter des centrales nucléaires.

M. Jean-Paul Lecoq. Je ne suis pas opposé par principe à ce type d’accord mais je trouve celui-ci particulièrement mal fait. Dans l’annexe 2 par exemple, la France s’engage à fournir à l’Inde des « extracteurs centrifuges », alors même que c’est la possession de ce type d’équipements qui est reproché à l’Iran.

Mme Martine Aurillac. A ce propos, l’Iran a-t-il exprimé une réaction lors de la signature de cet accord ?

M. Gilles Cocquempot. Quels sont les membres de ce groupe de fournisseurs nucléaires (GFN) ?

M. Claude Birraux, rapporteur. La grande différence entre l’Iran et l’Inde c’est que cette dernière s’est engagée à accepter les contrôles les plus stricts de l’AIEA sur ses installations nucléaires, tandis que l’Iran refuse ces contrôles. A ma connaissance, l’Iran n’a pas particulièrement réagi à la conclusion de cet accord. Quant au groupe des fournisseurs, il compte 47 Etats membres.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 1982).

La séance est levée à dix-huit heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 17 novembre 2009 à 17 heures

TPrésents. - TMme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Claude Birraux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, M. Jacques Remiller, M. Jean Roatta, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Schneider, M. Michel Terrot

TExcusés. - TMme Sylvie Andrieux, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Henriette Martinez, M. Jean-Claude Mignon, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles