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Commission des affaires étrangères

Jeudi 17 décembre 2009

Séance de 9 h 00

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Audition de M. Alain Le Roy, Secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de maintien de la paix (ouverte à la presse).

Audition de M. Alain Le Roy, Secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de maintien de la paix

La séance est ouverte à neuf heures.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le secrétaire général, c’est avec grand plaisir que nous vous recevons à nouveau, après vous avoir entendu présenter à la Commission des affaires étrangères, en janvier 2008, le lancement du projet d’Union pour la Méditerranée. C’est aujourd’hui en tant que secrétaire général adjoint des Nations unies, chargé des opérations de maintien de la paix, que nous vous accueillons.

Les opérations de maintien de la paix occupent une place prépondérante au sein des activités des Nations unies, dont elles constituent l’une des missions les plus visibles et les plus importantes. Ces opérations sont nombreuses – 17, nous a-t-on dit récemment à New York – et de plus en plus complexes. Elles nécessitent des moyens et, surtout, une professionnalisation, car la bonne volonté ne suffit plus. Il faut aussi réagir vite, coordonner des équipes et du matériel provenant de différents pays, ce qui rend ces opérations très lourdes à mettre en place.

La France participe très activement à ces opérations. Elle est présente dans 9 d’entre elles et contribue à la fois sur le plan financier – elle est le cinquième contributeur – et par la présence d’hommes sur le terrain, principalement au Liban, où se trouvent 1 445 des 1 883 soldats français engagés au total.

Les opérations de maintien de la paix ont récemment fait l’objet, à la suite des critiques qui leur avaient été adressées, d’une réforme de structure : à côte de votre département a été créé un département d’appui aux missions, plus spécialement chargé des aspects logistiques et confié à Mme Susana Malcorra, avec laquelle vous avez engagé une réflexion visant à définir un « nouvel horizon » pour les opérations de maintien de la paix des Nations unies.

M. Alain Le Roy, secrétaire général adjoint des Nations unies. Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je présenterai dans les grandes lignes les principaux défis auxquels nous sommes confrontés, avant de répondre à vos questions.

Je commencerai par quelques chiffres, pour situer l’horizon des activités de maintien de la paix des Nations unies. Alors que, voici moins de dix ans, 20 000 soldats du maintien de la paix étaient déployés dans le monde, ce sont aujourd’hui plus de 119 000 agents – soldats, policiers et civils – qui participent aux 17 missions en cours, dont 15 de maintien de la paix stricto sensu, les deux autres étant appelées « missions politiques spéciales » : l’une, de petite dimension, au Burundi et l’autre, de plus grande ampleur, en Afghanistan, aux côtés des forces de l’OTAN et de la coalition. En moins de dix ans, le volume des opérations a donc été multiplié par plus de 5.

Les effectifs mentionnés sont situés pour environ 60 % en Afrique. Cent dix-huit pays contribuent aux opérations de maintien de la paix.

En dépit du lieu commun selon lequel nous ne fermerions jamais nos opérations, je tiens à préciser que les missions engagées depuis très longtemps, comme celle conduite par l’Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve au Proche-orient (ONUST) depuis 1948 , ou celle qui a été mise en place au Cachemire en 1949, sont des exceptions, et que nous avons fermé 48 des 63 missions ouvertes depuis 1948 – la dernière opération fermée étant celle qui avait été engagée en Géorgie et qui a été interrompue par le veto russe du 15 juin dernier.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, la composante du secrétariat chargé des opérations de maintien de la paix est désormais divisé en deux : le département des opérations de maintien de la paix (DOMP), que je dirige, chargé de la supervision politique de l’ensemble des missions ; et le département d’appui aux missions (DAM), qui assure le soutien et la logistique. Au total, ces deux départements réunissent un millier de personnes, chargées de superviser 119 000 agents sur le terrain – soit une personne au siège pour en superviser 118 en mission, contre un taux d’une pour quatre à l’OTAN, ce qui exprime bien le niveau de décentralisation de notre organisation et le niveau d’engagement de ceux qui travaillent à New York.

Vous avez également rappelé la place importante que tient la France dans les opérations de maintien de la paix. La France occupe aujourd’hui le 16e rang des contributeurs de troupes et de police, avec 1 791 personnes au 30 novembre. Je rappelle pour mémoire que les cinq principaux contributeurs sont le Pakistan, avec plus de 10 000 hommes, le Bangladesh, l’Inde, le Nigéria et l’Égypte. Parmi les autres contributeurs importants, on peut citer aussi l’Italie, qui occupe la première place européenne, en étant présente essentiellement au Liban, avec près de 2 300 hommes. La Chine, où je me trouvais voici quelques semaines, souhaite accroître sa participation dans les opérations de maintien de la paix et fournit déjà des ingénieurs, du personnel médical et des policiers remarquablement formés. La France est désormais, après la Chine qui l’a dépassée en la matière, le deuxième contributeur parmi les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

La France est militairement présente dans plusieurs de nos missions, et principalement au Liban.

Les opérations de maintien de la paix ont connu de fortes évolutions, tant en termes d’effectifs – je l’ai indiqué, avec une rotation de plus de 200 000 hommes par an, soit une énorme opération logistique - que de budget - aujourd’hui plus de 8 milliards de dollars, soit plus de trois fois le budget général annuel des Nations unies - ainsi que de complexité. En République démocratique du Congo, par exemple, notre mandat ne prévoit pas moins de 41 tâches différentes – il s’agit, entre autres, de maintenir la paix et la sécurité mais aussi de porter assistance lors des élections, de procéder au désarmement des rebelles, de contribuer à réformer le secteur de sécurité, à la fois l’armée et la police ou d’appuyer la mise en place des institutions judiciaires et des prisons.

La simple phrase d’une demi-ligne qui, dans un mandat, prescrit de « protéger les civils sous une menace immédiate » est pour nous source de grandes difficultés. Ainsi, au Soudan, le seul Darfour compte plus de 2,5 millions de déplacés internes que nous devons protéger sur un territoire plus grand que la France. De même, la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC), qui compte 20 000 hommes, doit, pour les seuls Kivus, protéger plus de 10 millions de personnes, soit 20 soldats pour 10 000 personnes – ce qui est une mission quasi-impossible. Comme l’a soutenu une étude récente et indépendante sur le sujet, nous ne pouvons pas raisonnablement protéger chaque personne de chaque menace. C’est ce qui explique du reste les critiques régulièrement exprimées dans la presse à propos de deux de nos opérations, au Congo et au Soudan, où il nous est impossible d’éviter à 100% que des civils soient tués, même si chaque jour nous protégeons la vie de milliers, voire de millions de civils dans ces opérations.

Je tiens à souligner aussi notre volonté de réforme. Le rapport Brahimi, célèbre au sein des Nations unies, tirait en 2000 de façon remarquable les leçons des désastres qu’ont connus les opérations de maintien de la paix des Nations unies au cours des années 1993-1995 – le retrait de Somalie, dans des conditions épouvantables, la tragédie de Srebrenica en Bosnie, et la tragédie du Rwanda. Ces échecs sont du reste l’une des raisons pour lesquelles les pays européens, ainsi que les États-Unis, qui avaient participé à l’opération en Somalie, se sont retirés pour l’essentiel des opérations des Nations unies. Aujourd’hui toutefois, le président Obama a affirmé publiquement la forte volonté des États-Unis de soutenir nos opérations de maintien de la paix. Il a ainsi reçu en septembre dernier, au siège de l’ONU, les chefs d’État et de gouvernement des principaux pays contributeurs de troupes – notamment les présidents du Pakistan, du Rwanda et du Sénégal, et les Premiers ministres du Bangladesh et de l’Italie – pour les assurer de son intention de soutenir concrètement les activités de maintien de la paix, notamment en payant les arriérés dus par son pays et en fournissant équipements et assistance à ceux des pays contributeurs qui le souhaiteraient.

Il m’a cependant paru utile de revisiter le rapport Brahimi – rédigé, je le rappelle, à un moment nous ne disposions que de 20 000 soldats sur le terrain –, tant pour recenser celles de ses recommandations qui avaient ou n’avaient pas été appliquées que pour procéder à une analyse détaillée des nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés C’est l’objet de l’étude « Nouvel horizon » que vous avez citée et que l’on peut consulter sur le site de l’ONU. Un dialogue approfondi a été engagé à partir de cette étude avec les États membres du Conseil de sécurité comme avec ceux de l’Assemblée générale et un rapport est en cours d’achèvement pour le comité C34 des Nations unies, comité spécial des opérations de maintien de la paix, au sein duquel la France est bien évidemment représentée, en vue de tenter d’obtenir dès le premier trimestre de 2010 un accord des États membres sur nos propositions en matière notamment de protection des civils, de « maintien de la paix robuste », ou de liens avec les opérations de consolidation de la paix, ou « peace building » – en un mot, pour nous réformer et nous adapter aux nouvelles réalités.

Permettez-moi de dire quelques mots de nos opérations les plus importantes.

En Afrique, qui est le continent qui nous occupe le plus, l’opération la plus complexe est celle que nous menons en République démocratique du Congo. La MONUC faisait précisément hier l’objet d’un débat au Conseil de sécurité, en raison d’un dilemme important auquel nous sommes confrontés. De fait, parmi les nombreuses tâches que comporte notre mandat, l’une consiste à assurer la protection des civils dans l’ensemble du pays, et particulièrement dans l’Est, et une autre à assister les forces armées congolaises dans le désarmement des groupes rebelles. Ces groupes varient selon les années : il s’agit actuellement des Forces démocratiques de libération du Rwanda, ou FDLR, considérées comme génocidaires par les Rwandais, lesquels insistent pour que le Congo les désarme et les rapatrie au Rwanda. Les forces armées congolaises, que nous soutenons conformément à notre mandat, sont un conglomérat composé de forces régulières et d’un grand nombre d’anciens mouvements rebelles, dont les agissements sont parfois contraires aux droits de l’homme les plus élémentaires, d’où le dilemme auquel est confrontée la MONUC. Dès que nous disposons d’éléments faisant état de violations significatives des droits de l’homme, nous interrompons notre soutien à l’unité concernée. Mais, à l’inverse, si nous cessons totalement notre soutien aux forces armées congolaises comme certains nous le demandent, qu’adviendra-t-il du processus de paix entre la RDC et le Rwanda et de l’intégration des anciens rebelles dans l’armée ? Le représentant spécial du secrétaire général au Congo a présenté hier ce dilemme au Conseil de sécurité de la façon la plus transparente : nous verrons quelle sera la résolution adoptée la semaine prochaine par le Conseil.

En Côte d’Ivoire, l’opération des Nations unies a nettement contribué à accroître la stabilité et la sécurité, comme les autorités du pays l’ont reconnu. Le président Compaoré, du Burkina Faso, a également joué un rôle important dans ce processus et l'ensemble des acteurs, y compris le président Gbagbo, expriment désormais une volonté politique claire de procéder prochainement aux élections, qui devraient avoir lieu début mars. Le dernier report de la date, fixée antérieurement au 29 novembre, est réellement dû, selon nous, à une raison technique – l'établissement de la liste électorale définitive, qui doit se faire dans des conditions irréprochables pour éviter dans toute la mesure du possible les contestations ultérieures. Le représentant spécial du secrétaire général, M. Choi, aura pour tâche de certifier cette liste électorale, puis les résultats.

Au Tchad, les Nations unies ont, comme convenu, relayé le 15 mars 2008 l’Union européenne, qui avait lancé le 15 mars 2007, à l'initiative de la France, l'importante opération EUFOR, pour une durée limitée à un an. En compagnie de M. Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères, j'ai assisté à cette transition, notamment au moment émouvant où les 2 000 soldats rassemblés ont remplacé leur béret d'uniforme par le béret bleu des Nations unies. Un tel transfert peut constituer un précédent, l'Union européenne étant susceptible d'intervenir plus rapidement que les Nations unies, qui peuvent ensuite prendre son relais.

D'autres coopérations avec l'Union européenne sont également possibles, – on se souvient en particulier de l'opération Artémis, menée en 2003 en Ituri - en RDC - et dans laquelle l’Union européenne est intervenue en renfort des Nations unies pendant deux ou trois mois, jouant un rôle majeur. Dans cette région, où je me trouvais voilà un mois, plus de 2 millions de personnes déplacées sont revenues dans leurs foyers.

Le Soudan est un grand sujet de préoccupation pour l’année 2010. Nous y menons deux opérations : l’une au Darfour, opération hybride menée avec l’Union africaine et à laquelle participent 26 000 hommes, et l’autre au Sud Soudan. Plusieurs échéances importantes sont prévues : en avril devraient avoir lieu des élections présidentielles et générales et, en janvier 2011, un référendum d’autodétermination du Sud Soudan. Malgré un accord récent entres les parties du Nord et du Sud, les conditions d’un référendum sans violences ne sont pas encore remplies. Le Soudan est, je le rappelle, le pays d’Afrique le plus étendu et une séparation violente du Sud Soudan aurait de graves répercussions sur une grande partie de l’Est de l’Afrique.

Les Nations unies sont également présentes en Haïti, où la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), composée pour l’essentiel de troupes d’Amérique latine, menées par le Brésil, a considérablement amélioré les conditions de sécurité. J’ai constaté par moi-même combien la population remercie les Nations unies de ces transformations. Mais la sécurité ne sera durable qu’avec un véritable développement d’Haïti C’est la raison pour laquelle le secrétaire général, M. Ban Ki-moon, a décidé, en complément de l’opération en cours, de nommer l’ancien président Clinton envoyé spécial pour Haïti afin d’attirer davantage d’investisseurs.

La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), purement civile, est chargée notamment de faciliter le dialogue politique, et de coordonner l’ensemble de l’assistance civile. La tâche est évidemment extraordinairement compliquée. La conférence qui se tiendra à Londres le 28 janvier à l’initiative du président Sarkozy, de la chancelière Mme Merkel et du Premier ministre Brown devra, entre autres, réaffirmer son soutien aux réformes internes nécessaires à l’Afghanistan et au rôle de coordination de notre mission onusienne.

Au Kosovo, les Nations unies ont rempli l’essentiel de leur rôle et les effectifs ont été réduits en moins d’un an de 5 000 à 500 personnes. Une grande partie des responsabilités en matière d’état de droit et de police a été transmise à l’opération EULEX de l’Union européenne. Cependant, du fait que le Kosovo, reconnu par 61 États membres seulement, relève encore juridiquement du statut de la résolution 1244 des Nations unies, nous y maintenons une présence minimale.

En Géorgie, où la mission a été fermée le 15 juin dernier, nous maintenons une présence très réduite – de quelques personnes –, afin de contribuer au mécanisme de prévention des conflits et de participer aux négociations multilatérales qui ont lieu tous les deux mois à Genève.

Les Nations unies sont également présentes à Timor, aux côtés de forces australiennes et néo-zélandaises, et ont clairement largement contribué à y apporter la sécurité. Le président de Timor, M. Ramos-Horta, Prix Nobel de la Paix, a déclaré voilà quelques mois au Conseil de sécurité que, sans les Nations unies, son pays aurait connu un véritable chaos.

M. le président Axel Poniatowski. La création, envisagée un temps, d’une sorte de « préforce » au sein de votre département, dotée d’hommes et d’équipements et susceptible d’intervenir immédiatement en cas de problème, dans l’attente de forces plus importantes et de la constitution finale d’une opération de maintien de la paix, est-elle toujours une idée d’actualité ?

Par ailleurs, quelle est votre analyse des aspects politiques et économiques du problème de la région des Grands Lacs ? Les conflits sont-ils liés aux richesses de la région – et, de ce fait, voués à ne pas s’éteindre avant longtemps –, ou aux questions tribales qui rendent la cohabitation impossible ? Quelles sont, selon vous, les perspectives à long terme de cette région, où la violence est maximale ?

Enfin, j’ai cru comprendre que le Nord de la Côte d’Ivoire échappe au contrôle des autorités et est en réalité contrôlé par des chefs de guerre. Qu’en est-il précisément ?

Mme Martine Aurillac. Lors de la mission annuelle que nous effectuons aux Nations unies et que j’ai eu le plaisir de mener par délégation de notre président, vos collaborateurs, que nous avons rencontrés en votre absence, nous ont présenté l’ampleur de vos tâches, rendues plus complexes encore par l’obligation de protection des civils. Ces tâches supposent des moyens et une organisation. Qu’attendez-vous de la réforme aux termes de laquelle le DOMP, que vous dirigez, est chargé de la stratégie, tandis que le DAM vient en appui ?

Mme Marie-Louise Fort. Comment analysez-vous l’évolution de la position du président Obama par rapport à celle de son prédécesseur ?

Par ailleurs, quel est votre sentiment sur l’évolution de la situation des civils en Afghanistan, notamment de l’impossibilité dans laquelle se trouvent les petites filles d’aller à l’école ?

M. Loïc Bouvard. De quelles missions M. Kofi Annan est-il actuellement chargé pour les Nations unies ?

Pour l’ancien conseiller en management de McKinsey que je suis, la dichotomie entre le DOMP et le DMA est assez curieuse. Cette division vous crée-t-elle des problèmes ?

Les pays fournissant des troupes expriment-ils des réserves – des « caveats », ou « strings attached » – conditionnant l’utilisation de leurs forces ?

Quelles sont, enfin, les relations entre l’OTAN et les Nations unies dans ces opérations ?

M. François Loncle. En Côte d’Ivoire, le problème tient plus au fait que le désarmement n’est pas achevé qu’aux difficultés du contrôle par les autorités. En effet, alors que la situation a beaucoup progressé dans le Nord du pays, les armes sont encore trop nombreuses, ce qui est inquiétant à l’approche d’un scrutin. Cependant, grâce en partie au président Compaoré et aux principaux protagonistes de l’élection, des progrès considérables ont été accomplis et l’on peut désormais croire à cette élection prévue pour le mois de mars, comme me l’ont confirmé les contacts récents que j’ai eus avec le président Compaoré et le président Gbagbo.

Le peu d’implication des pays riches dans les opérations de maintien de la paix, et en particulier des membres du Conseil de sécurité, est étonnant et on ne peut que le regretter. En outre, le fait que les sept ou huit premiers contributeurs soient des pays très pauvres a peut-être une incidence sur la formation de leurs armées.

Par ailleurs, vous n’avez pas évoqué le drame épouvantable que connaît la Guinée. Que peut faire l’ONU ? Quels sont vos intentions et vos moyens en matière d’intervention ?

M. Alain Le Roy. Comme tous mes prédécesseurs, je rêve d’une force permanente qui serait à notre disposition et que nous pourrions déployer rapidement. Malheureusement, malgré les demandes formulées de façon répétée à l’Assemblée générale des Nations unies, nous n’avons jamais pu obtenir de telles forces.

Certains progrès ont néanmoins été accomplis. Ainsi, nous avons obtenu la création d’une petite capacité de police prête à intervenir – ou « standby police capacity », située à Brindisi. Ses effectifs sont encore très modestes– 25 policiers, dont le nombre sera sans doute porté à 50 . Nous avons l’intention de demander à l’Assemblée générale la création d’une force comparable dans le domaine judiciaire, afin que des spécialistes de l’État de droit puissent être déployés rapidement.

Nous signons régulièrement avec différents États des « stand-by agreements », accords par lesquels ils se déclarent prêts à mettre à notre disposition un certain nombre de militaires..Mais l’application de ces accords n’a rien d’automatique et chaque pays se réserve le droit de choisir le lieu et le moment de les mettre en œuvre. Nous suivons par ailleurs de près l’évolution du concept de « corps de bataille » au sein de l’Union européenne, qui pourrait un jour constituer un renfort bien utile à certaines de nos opérations.

Nous nous efforçons enfin de faire progresser la réflexion sur le concept de forces « au-delà de l’horizon » : dans le cadre d’un accord signé avec un pays ou une organisation régionale, les Nations unies pourraient, en cas de besoin, faire appel à des forces restant jusque-là dans ce pays. Peu de pays acceptent toutefois de s’engager en ce sens, car le maintien en capacité opérationnelle d’une telle force a un coût et l’Assemblée générale ne nous permet pas encore de financer des troupes qui ne seraient pas stationnées sur le terrain d’opération.

La question des Grands Lacs est très compliquée. Je rappelle que la République démocratique du Congo a eu plus de 4 millions de morts liés au conflit – directement ou du fait de malnutrition, déplacement ou maladie – ce qui est le chiffre le plus important depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les pays occidentaux ne doivent donc pas se détourner de cette question, qui concerne le troisième pays d’Afrique par sa superficie. L’un des problèmes de la région des Grands Lacs est l’écart extrême entre la RDC, pays gigantesque et regorgeant de ressources minières, où l’État est traditionnellement faible, et le Rwanda, pays très petit, présentant une densité de population parmi les plus fortes du monde, fortement administré et très peu pourvu de richesses naturelles.

Un des éléments de la solution pourrait être, comme le proposait voilà quelques mois le Président Sarkozy, la conclusion d’accords économiques entre ces deux pays pour permettre au Rwanda d’investir de façon transparente dans les richesses minières et agricoles des Kivus en assurant ainsi des revenus légitimes à la RDC, solution qui serait ainsi bénéficiaire tant pour les Congolais et que pour les Rwandais. Nous comptons pour ce faire sur l’amélioration des relations bilatérales entre les deux pays – et, de fait, depuis un an, les relations entre le président Kabila et le président Kagamé se sont considérablement améliorées. La Conférence sur la région des Grands Lacs, par exemple, pourrait être, à l’avenir, le cadre de ces discussions économiques.

Dans l’immédiat, la RDC doit s’efforcer de renforcer son armée pour en faire une armée professionnelle digne de ce nom et d’une taille adaptée aux capacités financières du pays. Cette armée doit permettre à la RDC d’assurer son autorité sur l’ensemble de son territoire.

En Côte d’Ivoire, la situation dans le Nord du pays est en voie d’amélioration. Le pouvoir est progressivement transféré des « comzones », représentants militaires des forces nouvelles, à des préfets nommés depuis quelques mois par le pouvoir central.

Pour ce qui est du désarmement, il est clair que les armes sont encore trop nombreuses dans le pays et que la période des élections sera sensible. Nous avons prévu de renforcer notre opération en Côte d’Ivoire durant cette période, en recourant à des bataillons actuellement en poste dans le cadre de notre opération au Libéria.

Tant le président Gbagbo que M. Ouattara et M. Bédié considèrent que les élections pourront se tenir, comme prévu, au mois de mars. L’élaboration de la liste électorale a considérablement progressé et, malgré les contestations dont fait encore l’objet la liste temporaire, la liste définitive devrait pouvoir faire l’objet d’un accord.

Le peu de participation militaire des pays les plus développés dans nos opérations est une réalité, réalité toutefois atténuée par le fait que ce sont eux qui supportent la plus grande part des coûts de ces opérations. Il est du rôle du département des opérations de maintien de la paix de réduire l’écart entre les pays qui décident au sein du Conseil de sécurité et ceux qui sont sur le terrain – souvent des pays en voie de développement. Nous avons besoin que les pays développés reviennent plus nombreux dans les forces de maintien de la paix. Ces pays disposent en effet des équipements les plus sophistiqués et, lorsqu’ils sont présents en nombre, comme c’est le cas au Liban depuis 2006 avec notamment la France, l’Italie et l’Espagne, ils constituent une force particulièrement crédible. C’est en effet cette force qui a permis le retour de l’armée libanaise au sud de la rivière Litani et évité de nombreux morts sur la « ligne bleue » entre Israël et le Liban. C’est elle aussi qui intervient très rapidement lorsque se produisent des incidents, comme les lancements de missiles, pour éviter toute escalade.

Pour atteindre cet objectif, nous avons significativement renforcé notre chaîne de commandement, répondant ainsi aux critiques de nombreux pays développés.

Madame Aurillac, la protection des civils est pour nous une mission majeure, mais aucune armée n’y a été formée. C’est donc une question très complexe et nous allons produire début janvier une note conceptuelle sur cette question, afin de poursuivre la réflexion avec les États membres sur les façons d’améliorer notre dispositif.

Quant à la réforme qui a donné lieu à la création du département d’appui aux missions à côté du DOMP, réforme voulue par M. Ban Ki-moon dès son arrivée, je n’y vois, pour ma part, que des aspects positifs. Les deux départements sont en lien constant, comme j’ai des échanges constants et excellents avec Mme Malcorra, la responsable du DAM. Nos équipes, qui travaillaient ensemble depuis des années, se connaissent parfaitement. Mme Malcorra doit rendre compte par mon intermédiaire pour tout ce qui concerne les opérations de maintien de la paix, et elle est également chargée d’apporter le soutien du DAM aux opérations politiques dites spéciales, comme en Irak. Le fait que tous les aspects liés aux budgets et à la logistique puissent être pris en charge par un département spécialisé me permet de mieux me concentrer sur la tâche déjà bien assez lourde que représentent les aspects politiques des 17 opérations qui relèvent de mon département. De son côté, Mme Malcorra peut se focaliser sur les aspects qui relèvent de sa compétence. Si je n’étais pas convaincu du bien-fondé de cette organisation lorsque j’ai pris mes fonctions voilà un an et demi, je n’y vois aujourd’hui que des avantages.

Madame Fort, lors de la première rencontre entre M. Ban Ki-moon et M. Obama, peu de temps après son élection, celui-ci s’est d’emblée déclaré favorable à un renforcement de l’ONU et de ses opérations de maintien de la paix, qu’il juge particulièrement utiles pour la stabilité du monde. Les propos tenus tout récemment à Oslo par le président Obama, lors de la remise du prix Nobel, vont dans le même sens. Ces déclarations ont été suivies d’effets et le Congrès a voté le paiement des arriérés de contribution des États-Unis, malgré un contexte de déficit budgétaire que vous connaissez. Lors de la réunion qu’il a eue avec les principaux contributeurs de troupes, au mois de septembre, le président Obama a déclaré que, s’il ne pouvait pas actuellement envoyer de troupes supplémentaires du fait des engagements américains en Afghanistan, son pays était prêt à envoyer des officiers et des policiers, et à fournir des équipements et de l’assistance, comme du transport aérien, à certains pays désireux de participer.

En Afghanistan, OTAN et ONU coopèrent dans un très bon esprit, chaque organisation ayant des responsabilités bien distinctes, principalement militaire et de sécurité pour l’une, civile et politique pour l’autre. Pour ce qui concerne le rôle des femmes dans la société, nous avons un rôle de veille et devons nous assurer que l’Afghanistan, qui reçoit une aide internationale importante, respecte certaines valeurs démocratiques. Vous aurez noté les engagements pris par le président Karzaï lors de son discours d’inauguration au mois de décembre.

Monsieur Bouvard, M. Kofi Annan, que je connais depuis le conflit du Kosovo et dont je suis très honoré d’occuper l’ancien bureau de directeur des opérations de maintien de la paix, est toujours très actif. Il dirige sa propre fondation et, comme vous le savez, a joué un rôle très important dans la question du Kenya, qu’il continue de suivre de près sur mandat du groupe des « Sages » – qui réunit notamment le président Carter et l’archevêque Desmond Tutu. Bien qu’il ne soit pas juridiquement investi d’un mandat d’envoyé spécial de l’ONU, nous continuons de le soutenir, au moyen notamment de notre département des affaires politiques.

Les « caveats », ou réserves posées par certains pays à l’utilisation de leurs troupes, sont parfois importants dans les mémorandums d’accord que nous signons avec eux, et nous cherchons à les réduire au maximum, car les opérations que nous devons mener exigent une flexibilité croissante.

Pour ce qui concerne, enfin, la Guinée, l’ONU a envoyé une commission d’enquête sur les incidents meurtriers intervenus récemment. À ma connaissance, le Conseil de sécurité, de qui relève la décision, n’envisage pas l’envoi d’une opération de maintien de la paix. La situation peut évidemment évoluer, mais, à titre personnel, il me semble qu’une telle intervention pourrait être plus judicieusement envisagée par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). M. Chambas, président de la Commission de la CEDEAO, a assuré la création dans la région d’une « stand-by force » africaine, qui compte 6 500 hommes, et pourrait intervenir, si nécessaire, bien plus rapidement qu’une opération de maintien de la paix onusienne.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le secrétaire général, je vous remercie de cette audition très intéressante. Nous serons heureux de pouvoir vous entendre régulièrement.

La séance est levée à dix heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du jeudi 17 décembre 2009 à 9 heures

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Loïc Bouvard, M. Gilles Cocquempot, Mme Marie-Louise Fort, M. François Loncle, M. Axel Poniatowski

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Christian Bataille, Mme Chantal Bourragué, M. Michel Delebarre, M. Jean-Pierre Dufau, M. Serge Janquin, M. Robert Lecou, Mme Henriette Martinez, M. Alain Néri, M. Jean Roatta, M. François Rochebloine