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Commission des affaires étrangères

Mardi 2 février 2010

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 38

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Pierre Vimont, ambassadeur de France aux Etats-Unis

Audition de M. Pierre Vimont, ambassadeur de France aux Etats-Unis

La séance est ouverte à onze heures.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, d’avoir accepté l’invitation de la commission.

Lors de votre dernière audition, la campagne électorale américaine battait son plein. Nous sommes heureux de vous retrouver un peu plus d’un an après l’élection de Barack Obama. Quelques jours après son discours sur l’état de l’Union, votre éclairage nous permettra de dresser un premier bilan de la présidence Obama, tandis que les difficultés semblent s’accumuler comme en témoigne la perte du siège de sénateur du Massachusetts, qui a été une surprise, compte tenu surtout de l’ampleur de la défaite.

Confronté aux échéances électorales de novembre, le président paraît aujourd'hui réviser ses priorités. On peut ainsi s’interroger sur le devenir de sa réforme emblématique du système de santé – la Chambre des représentants et le Sénat parviendront-ils à un accord ? –, sur l’implication future du président sur le dossier du climat ou encore sur ses projets en matière de régulation financière et de réforme du système bancaire, après les annonces qu’il a faites il y a une dizaine de jours en faveur d’une réforme en profondeur.

Au plan international, le rôle des États-Unis à Haïti, la nouvelle stratégie en Afghanistan ainsi que l’impasse au Proche-Orient suscitent en France de nombreux commentaires.

Monsieur l’ambassadeur, sur l’ensemble de ces sujets, dont la liste est loin d’être exhaustive, nous sommes désireux de vous entendre. Je vous laisse la parole avant que mes collègues et moi-même ne vous posions quelques questions.

M. Pierre Vimont, ambassadeur de France aux États-Unis. Je remercie votre Commission de m’accueillir ce matin.

En ce qui concerne la situation économique des États-Unis, j’ai pu lire dans la presse française des commentaires relativement positifs sur le taux de croissance du quatrième trimestre de l’année 2009 : je dois avouer que les milieux d’affaires américains sont plus réservés et qu’ils font preuve d’un optimisme prudent sur une éventuelle reprise au cours de l’année 2010. Même si les prévisions de taux de croissance tournent pour 2010 autour de 2 %, voire 2,2 %, le sentiment général des entreprises est que la reprise sera assez molle et qu’elle ne se traduira pas par un grand changement dans le domaine de l’emploi. En effet, les entreprises ont surtout recouru à l’emploi à temps partiel : si l’activité économique repart, elles n’embaucheront pas mais transformeront le temps partiel en temps complet. Le taux de chômage devrait donc stagner autour de 10 %.

Dès lors, sur le plan politique, l’année 2010 ne paraît pas très prometteuse et les élections de mi-mandat de novembre seront difficiles pour l’administration démocrate. On pense en revanche que la reprise sera meilleure en 2011 et 2012.

Il conviendra, toujours sur le plan économique, d’observer l’action du Gouvernement américain dans trois domaines précis, d’autant que cette action aura des répercussions législatives importantes.

Il y a d’abord, les efforts que le Gouvernement compte faire pour relancer l’emploi, au moyen d’un texte de loi qui est déjà devant la Chambre des représentants et passera prochainement au Sénat : il vise notamment à prolonger pendant une année, l’aide aux chômeurs mise en place dans le cadre du plan de stimulation, pour plus d’une centaine de milliards de dollars, et ce sous forme d’allocations chômage ponctuelles puisque le système américain ne connaît pas le filet de sécurité des allocations chômage à la française : c’est donc au coup par coup que le Gouvernement apporte son aide en la matière. Il s’agit également d’aider les petites et moyennes entreprises grâce à des allégements fiscaux et, enfin, d’assurer le financement de travaux publics en vue de soutenir l’emploi.

Le second domaine d’action concernera le déficit public. Les chiffres parlent d’eux-mêmes puisque, les dépenses s’élevant à 25 % du PNB et les recettes à 15 % seulement, le déficit tourne autour de 10 % du PNB – à savoir entre 1 400 et 1 600 milliards de dollars pour 2009 et 2010. Le Gouvernement souhaite réduire le déficit public à partir de l’an prochain : une commission bipartisane examinera les actions à mener en matière de réduction des dépenses publiques et d’augmentation des recettes ; de plus, les dépenses budgétaires seront gelées pendant trois ans, hors dépenses militaires et dépenses sociales.

La prudence règne en ce qui concerne les recettes du fait que chaque fois que l’administration a pensé augmenter les impôts, il a surtout augmenté son impopularité. Ce fut le cas des Gouvernements Reagan et Clinton au début des années 80 et 90. La tradition américaine consiste plutôt à attendre la reprise de la croissance pour apporter des recettes supplémentaires et réduire le déficit. Le Gouvernement Obama paraît se diriger sur la même voie, d’autant que, d’ici à la fin de l’année, se posera la question de la reconduction des allégements fiscaux mis en place par l’administration Bush sur les hauts salaires. L’administration Obama est tentée de prolonger la mesure pour éviter toute forme de contestation dans le milieu des entreprises. C’est une ligne de crête qu’il lui sera difficile de suivre mais telle est la voie qu’elle s’apprête à emprunter.

Le troisième domaine d’action portera sur la réglementation financière. La Chambre des représentants a déjà adopté un texte sur le sujet, que le Sénat doit à son tour examiner. Il crée une agence spéciale de surveillance pour la protection des consommateurs tout en visant à remettre de l’ordre dans les prérogatives de la FED et du Fonds de garantie bancaire. Barack Obama veut aller plus loin puisqu’il propose, d’une part, d’instaurer pour dix ans une taxe spéciale sur les plus gros établissements bancaires afin d’obtenir le remboursement du programme de sauvetage des banques lancé à la fin de l’année 2008 et, d’autre part, non pas de revenir sur la séparation entre banques commerciales et banques d’investissement, mais de mieux contrôler les activités des banques commerciales, mesure d’autant plus controversée qu’elle aboutirait à sortir les activités de comptes propres des activités commerciales des banques : dès lors les premières ne bénéficieraient plus de la garantie de l’État.

Cette proposition du Gouvernement est loin de faire l’unanimité au Congrès, même chez certains démocrates qui considèrent que cette conception des activités bancaires est passéiste. Le président de la commission des finances de la Chambre des représentants, Barney Frank, ainsi que le président de la commission des finances du Sénat, Christopher Dodd, sont très réservés sur la question et personne ne sait si cette initiative sera ou non couronnée de succès. Pour Barack Obama, l’important était de la prendre et de laisser ensuite au Congrès la responsabilité de voter la réforme ou de la rejeter.

Sur le plan politique, il est vrai que la défaite démocrate dans l’État du Massachusetts, a été un choc. Il convient toutefois de ne pas oublier que l’effet Kennedy était très important puisqu’il était là depuis trente-sept ans et qu’il n’avait jamais été contesté. Le Massachusetts n’a jamais été un État complètement démocrate. Dans le passé, un grand nombre de ses gouverneurs ont été républicains, dont Mitt Romney, un des candidats républicains aux dernières primaires. Cet État est donc plus traversé par les divisions politiques qu’on ne l’a dit. De plus, la candidate démocrate a fait une mauvaise campagne : convaincue de son succès, elle est partie en vacances quinze jours avant le scrutin alors que Scott Brown labourait le terrain depuis six mois. Mais il est vrai que les démocrates ont souffert aussi de l’impopularité grandissante de Barack Obama.

Les reproches portent à la fois sur le programme politique et sur la méthode de la nouvelle administration. En ce qui concerne le programme, les adversaires, voire certains membres du parti du Président, lui reprochent d’avoir voulu embrasser trop de choses à la fois en lançant dès son élection un vaste programme de réformes : l’assurance-maladie, la réglementation financière, l’immigration, l’énergie et le changement climatique. Dans une période de récession, l’opinion publique est surtout attachée à la défense de l’emploi. Les républicains lui reprochent également d’être un liberal, c'est-à-dire un gauchiste radical, prêt, quasiment, à introduire le socialisme aux États-Unis : il aurait mal interprété les souhaits de l’opinion lorsqu’elle l’a élu : sanctionner l’administration Bush sans pour autant réclamer des réformes profondes.

Barack Obama répond au contraire que l’Amérique a besoin depuis longtemps de réformes vastes et qu’il ne s’agit plus de les retarder. L’assurance-maladie n’a fait l’objet d’aucun projet d’envergure depuis l’échec de Clinton en 1993 et 1994. Or les dépenses liées à l’assurance-maladie s’élèvent à 18 %, voire 19 % du budget américain et elles pourraient bientôt atteindre 23 % à 25 %. Un meilleur contrôle, voire la réduction des dépenses publiques exigent donc de s’attaquer à la progression des dépenses sociales. Barack Obama rappelle également que le système éducatif américain est en très mauvais état et qu’il convient de rétablir, pour l’avenir, un bon niveau d’enseignement dans l’ensemble du pays. De plus, beaucoup doit être fait en matière d’infrastructures, celles-ci sont quasiment laissées à l’abandon depuis Roosevelt et Eisenhower. L’état des routes et des ponts est déplorable. De même le contrat visant à remplacer les avions ravitailleurs, pour lequel EADS est candidat, porte sur le remplacement d’appareils datant des années 1952 et 1953, l’armée de l’air craignant un accident majeur.

De fait, le nouveau président est tout sauf un gauchiste. Il gouverne au centre et certains lui ont même reproché de trop rechercher le compromis.

Sur la méthode, on lui reproche d’avoir été élu pour changer le système de Washington, c'est-à-dire la manière dont l’exécutif travaille avec le législatif ainsi que le rôle des lobbies ou celui des médias, et de ne pas avoir réussi – l’opinion publique a, selon moi, raison de le penser. Du reste, Barack Obama, après la défaite dans le Massachusetts, l’a reconnu sans grande difficulté. Il pensait que la grande vague qui l’a poussé à la présidence pousserait le Congrès à changer de lui-même : or, tel ne fut pas le cas, comme on pu le constater pour la réforme de l’assurance-maladie, à propos de laquelle on lui reproche d’avoir trop laissé la bride sur le cou au Congrès et trop compté sur l’esprit constructif des élus. La réalité, c’est que les sénateurs ont négocié des accords individuels pour chacune de leurs circonscriptions. L’effet a été désastreux dans l’opinion, qui a rejeté cette manière de faire la loi, d’autant que les lobbies, notamment celui des assurances, sont intervenus tous les jours en versant de l’argent ici ou là.

À l’heure actuelle, l’opinion est très hostile à l’establishment, qu’il s’agisse des partis politiques, de l’administration, du Congrès, des médias ou des lobbies. C’est le domaine sur lequel Barack Obama devra agir avec le plus de fermeté afin de rétablir son image qui a été sérieusement écornée. Il reconnaît du reste qu’en matière de communication, depuis un an, il donne le sentiment de s’être enfermé dans la Maison Blanche, d’avoir perdu, contrairement à la période électorale, le contact avec l’opinion et de n’être plus capable de lui expliquer sa stratégie à long terme. Il est probable que, durant les prochains mois, il multipliera les déplacements en dehors de Washington. Le fait qu’il ait demandé à son directeur de campagne, David Plouffe, de revenir auprès de lui en est le signe.

Bien que sa popularité ait baissé depuis un an, passant de quelque 70 % d’opinions favorables à 50 %, ce dernier chiffre révèle toutefois que l’opinion publique américaine continue d’être fascinée par lui et de lui accorder une relative confiance. Certes, la majorité observe avec suspicion son action dans le domaine de l’assurance-maladie, en matière de relance – 787 milliards de dollars ont été injectés dans l’économie – ou de réglementation financière. Même ses efforts pour fermer Guantanamo sont mal interprétés. En politique étrangère, au contraire, l’opinion approuve sa stratégie en Afghanistan, son action dans la lutte contre le terrorisme ainsi que ses efforts visant à améliorer l’image des États-Unis dans le monde, alors que les chancelleries, européennes notamment, sont plus réservées, attendant des résultats au Proche-Orient, dans les relations avec la Russie ou la Chine, en Afrique ou sur le dossier nucléaire iranien.

L’administration Obama ne conteste pas cette analyse : selon elle, l’objectif de la première année était de planter le décor – montrer la bonne volonté américaine et améliorer l’image du pays. En 2010, il convient de recueillir les fruits de cette politique, qui a été une réussite, en faisant preuve à la fois de patience et de fermeté.

C’est ainsi que les États-Unis sont prêts à signer, dans quelques semaines, avec la Russie un accord sur les armes stratégiques – la principale difficulté porte sur les questions de vérification –, accord pour la ratification duquel il sera toutefois difficile d’obtenir les deux tiers des voix du Sénat. En ce qui concerne l’Iran, l’administration Obama, qui est passée du dialogue à la fermeté, veut aller très vite en matière de sanctions. La France exerce la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU pour le mois de février et Washington voudrait que la nouvelle vague de sanctions soit décidée avant la fin de ce mois, privilégiant désormais la rapidité de la décision par rapport à sa substance, puisque les Américains savent que, de toute façon, il sera difficile d’obtenir l’accord de tous sur un nouveau train de sanctions substantielles, les Chinois, voire les Russes, pouvant se montrer plus réservés. L’important, à leurs yeux, est de faire passer à Téhéran le message que la communauté internationale est capable de prendre rapidement un nouveau train de sanctions.

Washington entre également dans une période de plus grande fermeté à l’égard de la Chine, comme le montre le récent discours d’Hillary Clinton sur les technologies de l’information et les incidents avec Google. De plus, les ventes d’armes américaines à Taïwan ne font pas plaisir à Pékin. Dans quelques semaines, une probable rencontre entre le Dalaï-lama et le président Obama ne manquera pas non plus de susciter une controverse. Toutefois les Américains sont décidés à garder leur calme car ils considèrent qu’ils ont fait suffisamment de gestes de bonne volonté à l’égard de la Chine et qu’il faut désormais savoir faire preuve de fermeté, notamment après la prise de position de Pékin à Copenhague.

S’agissant du Proche-Orient, l’administration Obama reconnaît qu’elle a trop misé sur un changement d’attitude israélienne sur la question des colonisations, et que le Premier ministre Nétanyahou n’a pas de marge de manœuvre suffisante sur la question. Le moratoire de dix mois, dont Jérusalem-Est est exclu, est insuffisant pour convaincre Mahmoud Abbas de revenir à la table des négociations. Deux écoles s’affrontent sur le sujet à Washington : la première considère qu’une relance du processus de paix est possible au travers d’une négociation entre le président de l’Autorité palestinienne et le Premier ministre israélien : la seconde, plus réaliste, pense que le président palestinien est dans une position trop fragile pour cela, d’autant qu’il se méfie du soutien équivoque des pays arabes. Aussi l’idée serait-elle de développer des discussions entre Palestiniens et Israéliens à un niveau inférieur et de faire remonter par le bas l’idée d’une nouvelle négociation : tout en soutenant le plan économique du Premier ministre palestinien Salam Fayyad pour l’aider à construire un État palestinien, il s’agirait de développer entre les lieutenants de Mahmoud Abbas et ceux du Premier ministre israélien des discussions sur les frontières, les droits des réfugiés ou Jérusalem, afin de reconstruire le climat de confiance à partir duquel, le moment venu, l’idée d’une conférence pourrait être relancée.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur l’ambassadeur, j’ai le sentiment qu’en politique étrangère, en un an, l’administration Obama a pris, sur chacun des dossiers, une position inverse à sa position initiale. Tel a été le cas au Proche-Orient : après le discours du Caire et le rapprochement avec le monde arabe, les Américains sont revenus à une politique plus traditionnelle, soutenant Israël et laissant faire, notamment en matière de constructions à Jérusalem-Est. Ils ont également pratiqué la politique de la main tendue vis-à-vis de l’Iran avant de revenir à plus de fermeté. De même, ils s’étaient rapprochés de la Chine avant que ne soit annoncée la vente d’armes à Taïwan.

Comment expliquez-vous ces revirements ? Ont-ils été pensés comme autant de tentatives dont l’administration américaine savait pertinemment qu’elles n’aboutiraient pas ou sont-ils le fruit du manque d’expérience d’une nouvelle administration ?

M. Didier Julia. La politique de la main tendue à l’Iran – j’ai pu le constater sur place quinze jours avant les élections – a déstabilisé le pouvoir en place. En effet, l’ouverture internationale a pour effet de sortir un pays de son enfermement tandis qu’une politique de sanctions ne fait que renforcer tout pouvoir radical. De ce fait, le Gouvernement iranien souhaite le retour de la politique des sanctions pour le conforter contre les éléments qui veulent une plus grande ouverture. D’aucuns pensaient que, dans la foulée de son prix Nobel, le renforcement de la politique d’ouverture du président Obama aboutirait à ne pas sanctionner le peuple iranien, qui sera la première victime d’une politique de sanctions, mais à déstabiliser le régime.

Par ailleurs, en ce qui concerne Israël, je tiens à rappeler qu’il faut, même pour le personnel diplomatique, jusqu’à sept laissez-passer pour aller à Jérusalem et que la frontière de Gaza est complètement fermée, les atteintes aux droits fondamentaux de l’homme dans cette zone ayant même fait l’objet d’un débat à l’ONU. L’image du président Obama pâlit actuellement et nous nous demandons s’il ne revient pas à la politique conservatrice de son prédécesseur.

Mme Martine Aurillac. Monsieur l’ambassadeur, comment évolue la perception par les Américains de l’Europe, notamment de la France ?

Par ailleurs, la question raciale aux États-Unis, depuis l’élection de Barack Obama, a-t-elle perdu de son acuité ? C’est ce que nie radicalement Randall Kennedy, professeur à Harvard, dans Le Monde daté du 2 février 2010.

Mme Marie-Louise Fort. Le coup d’arrêt donné par M. Obama à la politique spatiale ne permettra-t-il pas à la Chine de dépasser les États-Unis en ce domaine ?

M. Obama soutient l’entrée de la Turquie en Europe : sa politique vis-à-vis du Moyen-Orient, notamment de l’Iran, et vis-à-vis de la Russie, s’appuie-t-elle sur ce pays ou ne s’y intéresse-t-il que dans le cadre de l’OTAN ?

M. Renaud Muselier. Monsieur l’ambassadeur, à votre avis, la politique de M. Obama s’apprête-t-elle à rencontrer le succès ou à échouer et, dans ces conditions, qui se prépare en face ? Mme Sarah Palin ne fait-elle que s’agiter ou prépare-t-elle vraiment la prochaine présidentielle ?

Vous nous avez dit que l’Amérique profonde se défie de la classe dirigeante : les Américains ont-ils pris conscience de leurs erreurs, qui nous ont conduits à la crise, ou s’apprêtent-ils à recommencer de plus belle en se masquant à eux-mêmes la vérité ?

Par ailleurs, comment expliquez-vous qu’ils injectent autant d’argent en Irak alors qu’ils ont accumulé un retard aussi important dans l’entretien de leurs infrastructures ?

Enfin, comment qualifieriez-vous les relations entre la France et les États-Unis, ainsi que les relations entre les deux présidents ? Sont-ils en compétition – je pense notamment au G20 et à la sortie de crise ? Outre-Atlantique, comment mesure-t-on le poids de la France ?

M. Jean-Louis Bianco. J’ai l’impression que l’administration Obama n’a de stratégie sur aucun sujet. Nous ignorons l’objectif de la diplomatie américaine et le chemin qu’elle compte emprunter pour y parvenir. Qu’espère-t-on obtenir après les sanctions contre l’Iran – la plus efficace étant le blocage des importations de produits raffinés ? Existe-t-il des contacts avec l’opposition iranienne ? De même, alors que la Chine s’affirme comme une puissance mondiale, de manière parfois unilatérale – nous avons pu le voir à Copenhague –, comment l’administration Obama voit-elle ses relations avec ce pays à moyen terme, notamment en ce qui concerne la question tibétaine ? Après avoir reçu le Dalaï-lama, quelle action Barack Obama conduira-t-il pour faire évoluer les négociations entre la Chine et le Tibet ?

M. l’ambassadeur. Il y a une part d’inexpérience, c’est un phénomène assez fréquent dans l’histoire politique américaine. En règle générale, un président américain passe sa première année à faire des erreurs et à les rattraper : ce fut le cas de Kennedy, avec la Baie des Cochons, de Carter, de Clinton et de Reagan. Le système électoral américain conduit à porter à la Maison Blanche des présidents sans aucune expérience de l’administration fédérale. Le dernier président américain à avoir été auparavant ministre fut Franklin Roosevelt, qui avait été sous-secrétaire d’État à la marine. Tous les autres présidents avaient été sénateurs ou gouverneurs. Il leur faut le temps de découvrir l’administration fédérale et son mode de fonctionnement. Toutefois, Obama vise une stratégie intermédiaire, qui fait sa part au dialogue et à la volonté d’ouverture sans aucune intention d’affaiblir le leadership américain, d’où l’impression d’un balancement circonspect qu’il donne en permanence, que ce soit en politique extérieure ou en politique intérieure. Ce n’est pas un radical : sa carrière politique le prouve, comme sénateur de l’Illinois ou comme membre du Congrès à Washington. Il essaie toujours de trouver le bon compromis.

En politique étrangère, sa stratégie consiste à prendre le contre-pied de Bush, afin de rétablir l’image d’une Amérique tolérante, qui cherche le dialogue, ne veut plus régler les problèmes par les armes mais cherche des solutions politiques et qui continue de vouloir défendre les valeurs occidentales, mais avec un regard nouveau sur le reste du monde. De par ses origines, Barack Obama sait qu’il existe des réalités africaines, asiatiques, arabes, musulmanes, différentes de la réalité américaine et qu’on ne saurait imposer un modèle. Il ne renonce pas pour autant aux valeurs sur lesquelles est fondée la force de l’Amérique, comme le montre son discours de Copenhague, où perce, de nouveau, l’idée de l’Amérique comme nation exemplaire qui défend la démocratie.

Toutefois, il se prétend réaliste, affirmant qu’il existe des guerres justes. Le fait qu’il revienne vers la politique de sanctions ne signifie pas qu’il ferme la porte au dialogue si demain le régime iranien est prêt à le renouer. L’administration américaine a lancé la dernière initiative en la matière, à travers l’idée du combustible irradié pour le réacteur de recherche de Téhéran. C’était un geste, que d’aucuns pouvaient juger naïf et qui n’a pas été payé de retour, d’où le recours aux sanctions. Elle fera preuve du même balancement avec la Chine et la Russie, au Moyen-Orient ou en Afrique. En effet, la recherche du dialogue ne signifie pas le renoncement au leadership américain. C’est la recherche, encore tâtonnante, de la puissance relative américaine : les États-Unis continueront d’être la première puissance économique et militaire du monde tout en sachant que l’émergence de nouvelles puissances, la mise en place du G 20 et une nouvelle forme, multilatérale, de négociations internationales doivent les conduire à s’adapter. Il ne faut pas sous-estimer l’accent mis par Barack Obama sur le multilatéral : il marque la volonté de revenir vers l’ONU et vers les organisations régionales. Il recherche, par conviction, le juste milieu.

Je reviens sur l’Iran : il est vrai que la politique de la main tendue a concouru à déstabiliser le régime iranien, sans toutefois conduire celui-ci à s’ouvrir, que ce soit vis-à-vis de Washington ou sur le plan intérieur, puisque, au contraire, depuis les élections, la répression s’est abattue sur les opposants. L’administration Obama en a tiré les conséquences : elle doute des chances de succès de la politique de la main tendue, qui touche le cœur même du régime iranien. L’ayatollah Khamenei et son entourage n’ont aucune volonté de dialogue parce que celui-ci risquerait de déstabiliser le régime. Du reste, lorsque le président Obama a fait son intervention pour le nouvel an iranien, en mars dernier, la première personne à lui répondre pour lui fermer la porte a été l’ayatollah Khamenei dans le cadre d’une intervention radiophonique.

Si les Américains envisagent de nouvelles sanctions, c’est qu’ils ont la certitude que la répression en cours modifie les données du problème. L’opinion iranienne change, à la suite notamment de la répression très forte intervenue en décembre dernier lors de la Choura, changement que les événements qui risquent de se produire dans les prochains jours autour de l’anniversaire de la révolution islamique ne feront sans doute que confirmer. De ce fait, les nouvelles sanctions, qui cibleront certainement les entreprises contrôlées par les gardes révolutionnaires, les pasdarans, pourront rencontrer un écho assez favorable dans l’opinion iranienne.

Pour Washington, la répression en Iran modifie tout le contexte régional : la « démocratie exemplaire » de l’Iran a, en quelques mois, perdu de son prestige dans l’opinion publique arabe, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l’attitude du Gouvernement israélien, notamment en termes d’action militaire contre l’Iran. La décision américaine de précipiter les sanctions vise à faire pression sur le régime iranien, actuellement en difficulté, pour l’amener sur la voie du dialogue, même si l’administration ne se fait pas beaucoup d’illusions.

En ce qui concerne Israël, cette même administration est prête à reconnaître l’erreur politique qu’elle a commise en mettant l’accent sur la politique de colonisation du Gouvernement Nétanyahou, puisqu’elle a posé comme condition préalable au dialogue entre les deux parties un point qui aurait plutôt dû figurer en conclusion de la négociation, compte tenu de la très faible marge de manœuvre du Premier ministre israélien sur le sujet. L’administration Obama rappelle qu’il s’agissait toutefois d’une condition préalable des pays arabes, l’action du Gouvernement américain en la matière étant du reste contemporaine du discours d’ouverture du Caire envers ces pays. L’administration Obama rappelle également qu’elle faisait, en contrepartie, pression sur les pays arabes pour qu’ils fassent des gestes envers Israël, et qu’elle n’a pas obtenu satisfaction de ce côté-là non plus, notamment de la part de l’Arabie Saoudite, qui a refusé toute ouverture. Toutefois Barack Obama, à la différence de ses prédécesseurs qui avaient attendu la fin de leur mandat pour s’occuper du processus de paix au Proche-Orient, continue de considérer ce dossier comme une de ses priorités.

Quid de la perception de l’Europe par les Américains. Ils ont du mal à comprendre le traité de Lisbonne. Barack Obama ne sait plus très bien avec qui il doit désormais discuter et sur quel sujet. Pour ses collaborateurs, le dialogue passera désormais davantage par Bruxelles en matière de justice, d’immigration et de contrôle aux frontières. Ils comprennent que pour le président du Conseil européen, Herman van Rompuy, et pour la Haute représentante pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, une phase de transition et d’apprentissage est nécessaire et ils sont prêts à laisser les nouvelles institutions communautaires se mettre en place. Ils continueront d’entretenir des relations bilatérales avec les États membres qui les intéressent, et des relations avec les institutions communautaires lorsque cela se révèle nécessaire, tout en travaillant à rendre plus opérationnels les sommets annuels entre les États-Unis et l’Union européenne. Leur souhait est identique pour les réunions du Conseil transatlantique économique et du nouveau conseil sur l’énergie. Ils sont favorables aux instances de concertation à condition qu’elles servent à quelque chose.

Les Américains sont intéressés par les efforts de réforme que la France mène actuellement dans différents domaines. L’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, le fait que la France soit revenue dans l’organisation militaire intégrée de l’OTAN ainsi que son effort militaire en Afghanistan ont été perçus de manière positive. L’administration Obama considère que la France est un partenaire avec lequel il est possible de discuter et de travailler. Elle a également été impressionnée par la façon dont la France a conduit la présidence européenne à la fin de l’année 2008, notamment pour mettre en place le G 20 et s’attaquer à la crise financière. Hillary Clinton, vendredi dernier, n’est venue qu’à Paris, et ce geste témoigne d’une volonté de coopération et de concertation.

La race, aux États-Unis, est, chaque jour davantage, le dossier qu’on ne veut pas évoquer. Barack Obama lui-même ne veut pas le faire. Il a été forcé d’en parler durant la campagne électorale mais il a prononcé le discours de Philadelphie en quelque sorte pour solde de tout compte. Ses collaborateurs insistent sur le fait qu’en tant que président des États-Unis il ne veut pas donner l’impression de favoriser la communauté africaine américaine. Le problème de l’immigration et des communautés devient majeur aux États-Unis et concerne non seulement les Africains américains, mais également les Asiatiques et les Hispaniques. Ces trois communautés représentent aujourd'hui entre 35 % et 40 % de la population : elles deviendront majoritaires dans trente ans. Or, ce problème ne soulève aucune difficulté politique et n’a donné naissance à aucun nouveau mouvement d’extrême droite. L’immigration est perçue là-bas comme un phénomène naturel puisqu’il est au fondement même de la nation américaine, d’autant que cette immigration recèle toujours une grande fierté nationale, un grand patriotisme et un grand respect de l’institution militaire. Le problème de la race est implicite mais n’est pas évoqué, si bien qu’on ignore s’il est réglé ou non.

En ce qui concerne la politique spatiale, si Barack Obama renonce au projet de retourner sur la lune – un projet contesté au sein même de la communauté scientifique –, il s’apprête à fournir la NASA des dotations importantes et, afin de réduire les dépenses publiques, souhaite instaurer une alliance entre celle-ci et le secteur privé. Il ne renonce donc pas à la recherche spatiale. Il a du reste placé un de ses fidèles à la tête de la NASA.

Le président américain continue de penser qu’il faut soutenir la Turquie, même si Washington est préoccupé par les obstacles que la ratification de l’accord entre l’Arménie et la Turquie, auquel les Américains ont poussé, rencontre au sein du Parlement turc. De plus les déclarations du Premier ministre Recep Erdogan sur l’Iran les inquiètent au plus haut point, de même que les allers-retours du ministre des affaires étrangères turc à Téhéran. Enfin, les relations entre Ankara et Tel-Aviv ne sont pas au beau fixe. Les Américains ont donc conscience que la Turquie donne parfois l’impression d’évoluer de manière préoccupante. C’est la raison pour laquelle il faut, à leurs yeux, plus que jamais rester proche des Turcs pour éviter toute dérive.

Face à Barack Obama, il n’y a pas que Sarah Palin, mais aucune personnalité, connue ou non, n’a encore émergé. Il faudra attendre les élections de mi-mandat pour voir se dessiner un nouveau paysage. Ce qu’il faut savoir, toutefois, c’est que les difficultés du président américain n’ont pas renforcé le parti républicain, dont la côte de popularité demeure très basse – quelque 30 %.

Les milieux financiers n’ont pas conscience d’avoir été à l’origine de la crise puisqu’ils sont prêts à revenir au modèle qui l’a précédée, à retomber dans les errements passés sur les produits dérivés et à convaincre les Américains de consommer de nouveau et d’épargner le moins possible. Leur modèle reste une Amérique qui surconsomme grâce à un système bancaire très laxiste. La décennie a très peu produit et très peu créé d’emplois, puisque la croissance fut avant tout celle de la bulle financière. Or Barack Obama veut, comme il le dit lui-même, « créer de nouvelles fondations pour l’économie américaine », afin de faire désormais reposer la croissance sur un meilleur taux d’épargne, des banques plus prudentes, un système éducatif plus sérieux et une recherche redevenue compétitive. Le débat fait actuellement rage entre deux écoles divergentes.

C’est le système fédéral qui est à l’origine de l’insuffisance de moyens mis à l’entretien des infrastructures, puisque le budget fédéral est principalement consacré aux dépenses de la justice ou aux dépenses militaires. C’est dans le cadre du plan de relance que l’administration a décidé de financer la restauration des infrastructures dans les États fédérés en donnant à chaque État des aides destinées aux travaux publics. Il s’agit donc, dans des circonstances exceptionnelles, d’une politique provisoire visant à relancer l’économie, politique qui lui vaut de nombreuses critiques non seulement de la part des républicains mais également d’une grande partie de l’opinion qui n’apprécie guère l’ingérence de l’administration fédérale dans les États fédérés. La dernière fois où l’État fédéral s’est occupé des dépenses d’infrastructures, ce fut sous Roosevelt, à la suite de la crise de 1929.

Les relations bilatérales entre le président américain et le Président de la République française sont excellentes – j’ai assisté à plusieurs entretiens. Ils ont du respect l’un pour l’autre et aiment travailler ensemble, ce qu’ils ont encore montré durant le sommet de Copenhague. C’est le président américain qui a mis tout son poids dans la balance pour que la France obtienne en 2011 la présidence du G 20, en même temps que celle du G 8. La France et les États-Unis ont également travaillé ensemble pour venir en aide aux sinistrés de la catastrophe d’Haïti. Ils sont appelés à travailler ensemble davantage encore sur le Moyen-Orient, l’Afghanistan, le changement climatique et les suites à donner à la conférence de Copenhague, l’Afrique, notamment le Darfour, ainsi que sur la Chine et la préparation du G20 en 2011.

La politique des sanctions envers l’Iran vise, comme je l’ai rappelé, à ramener ce pays vers une attitude plus raisonnable et donc vers le dialogue. La volonté d’ouverture du président américain est remarquable. Il a un passé personnel et une expérience du monde qu’aucun président avant lui n’a eus. Il s’intéresse beaucoup à la politique étrangère. Il souhaite, d’une part, établir avec l’Iran, la Chine ou la Russie des relations nouvelles, décrispées, qui témoignent d’un respect mutuel et d’une volonté d’avancer en prenant en considération la culture et la réalité sociale du partenaire, tout en conservant, d’autre part, aux États-Unis le rôle de la « nation indispensable » dont parlait Mme Albright.

Mme Élisabeth Guigou. Vous nous avez affirmé, monsieur l’ambassadeur, que devant l’échec des États-Unis sur l’arrêt des colonisations et après le recul de Mme Clinton sur le sujet, recul qui a évidemment choqué les pays arabes, l’administration Obama veut favoriser un dialogue plus réaliste à un niveau inférieur. Or, avant le Gouvernement Nétanyahou, entre le Gouvernement Olmert d’une part et, d’autre part, Mahmoud Abbas et Salam Fayyad, existaient des contacts constants à tous les niveaux, qui ont constamment buté sur la question du blocus de Gaza. Avez-vous l’impression que les Américains peuvent faire pression sur les Israéliens pour autoriser, au moins, la reconstruction et les actions humanitaires qui s’imposent ?

En ce qui concerne l’Iran, quelles seront les nouvelles sanctions ?

Enfin, les pays arabes sont déçus par rapport aux espoirs qu’avait fait naître le discours du Caire. La Syrie tente de se démarquer de Téhéran – nous avons pu le constater lors des élections libanaises. C’est un pays qui, notamment par les relations étroites qu’il entretient avec la Turquie, est appelé à jouer un rôle plus important dans la région. Or, les États-Unis n’y ont toujours pas d’ambassadeur : quelle politique entendent-ils désormais mener vis-à-vis de ce pays ?

M. Michel Destot. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la perception qu’ont les Américains de notre pays sur le plan économique ? Ce sont les premiers investisseurs en France et les États-Unis sont la première destination des investissements français.

Si j’en juge par le cas grenoblois, un grand nombre d’investisseurs américains sont venus autant en raison de la qualité de notre université, de notre recherche et de notre technologie que parce que nous avons développé une cité scolaire internationale avec une section américaine. La multiplication de ce genre d’expériences dans les grandes villes françaises et, inversement, le développement de lycées français dans les grandes villes américaines, ne permettraient-ils pas d’améliorer l’imbrication de nos économies respectives, laquelle servirait de référence pour le monde entier ?

M. Robert Lecou. Quelle est l’évolution de l’administration américaine et du peuple américain quant à leur image dans le monde, où ils sont toujours leaders ? Les États-Unis observent-ils un déplacement du leadership vers l’Asie ou se considèrent-ils éternellement dans la situation de l’assumer ?

Par ailleurs, quel est le poids du spoil system dans l’administration américaine ?

M. Jacques Myard. J’ai été très frappé par la lecture d’un document du National Security Council sur les tendances du monde à l’horizon 2030, document dans lequel il est clairement affiché que les États-Unis devront s’habituer à ne plus être l’hyperpuissance. Ne constatons-nous pas déjà que les États-Unis n’arrivent plus à imposer leurs solutions ? Nous sommes passés à un monde multilatéral interactif : les États-Unis ont-ils vraiment pris conscience que le monde a changé et qu’ils ne peuvent plus agir de manière unilatérale mais qu’ils doivent rechercher patiemment des solutions multilatérales ?

M. Jean Glavany. Lorsque Henri Plagnol et moi-même sommes allés à Washington il y a quelques mois, les équipes d’Obama ont manifesté une volonté de rupture totale avec la politique de l’administration Bush tout en ayant l’honnêteté intellectuelle de se poser de nouvelles questions.

Durant plusieurs mois, un débat sur la révision des choix stratégiques en Afghanistan a agité les États-Unis et partagé l’exécutif lui-même, puisque le vice-président était en opposition avec la secrétaire d’État. Ce débat a-t-il laissé des traces et quelles leçons en tirez-vous sur le fonctionnement de l’administration américaine ? Par ailleurs, à la suite de la Conférence de Londres, percevez-vous une évolution de l’attitude américaine vis-à-vis du président Hamid Karzaï et du Gouvernement afghan ?

M. Didier Mathus. Vous avez affirmé que les républicains restent toujours aussi peu populaires, alors que les manifestations contre Obama nous donnent l’impression d’une très grande violence verbale. Après l’élection d’un républicain au siège d’Edward Kennedy, n’est-on pas en droit de se demander si l’élection d’Obama n’a pas été le point d’acmé de la crise politique et que désormais, avec les prises de position du monde financier et le sentiment que la crise s’atténue, une parenthèse politique se referme ?

M. l’ambassadeur. Les Américains souhaiteraient assurément aider au déblocage de Gaza. Toutefois le Hamas les gêne considérablement. Aussi se trouvent-ils dans une position délicate pour prendre des initiatives et ils se contentent de faire pression sur le Gouvernement israélien en termes de libre circulation.

Je tiens à rappeler qu’Hillary Clinton a regretté ses déclarations et précisé qu’on n’avait pas compris sa pensée. L’administration américaine, qui attend des ouvertures de la part des Israéliens, conserve de la rancœur à l’égard du Gouvernement Nétanyahou tandis que la popularité en Israël de Barack Obama tourne autour de 3 % ou 4 % : il est le président américain le moins populaire en Israël. La communauté juive américaine en est consciente. Sans doute cherchera-t-on, au cours des prochains mois, à faire évoluer la situation.

Les nouvelles sanctions contre l’Iran cibleront, toujours dans les mêmes domaines, de nouvelles entreprises, notamment celles qui sont contrôlées par les pasdarans, ainsi que les produits énergétiques raffinés. Toutefois, ne nous faisons pas d’illusion : il est très probable que les Chinois bloqueront toute tentative d’aller plus loin. Par-delà la résolution des Nations unies, il est fort possible que des États renforcent individuellement les sanctions financières. Enfin, les Américains souhaitent que les sanctions déjà mises en place soient réellement appliquées, notamment par les entreprises.

Les Américains sont embarrassés par la Syrie où, toutefois, ils nommeront bientôt un ambassadeur – ils avaient pris la décision avant l’été mais ils ont mis du temps à le trouver. Ils souhaitent avancer à petits pas avec les yeux grands ouverts, compte tenu des trois reproches qu’ils font à ce pays.

Le premier concerne l’Irak : le Gouvernement de Bagdad estime que les Syriens appuient de manière secrète les anciens éléments du parti baas irakien, notamment en fomentant à Damas des attentats qui ont eu lieu à Bagdad. Aussi les Américains, sans accréditer la thèse du complot syrien, restent-ils très prudents vis-à-vis de Damas.

Le deuxième reproche porte sur le Liban, même si les Américains reconnaissent que les Syriens ne sont pas intervenus dans l’élection du président libanais. Toutefois, les livraisons d’armes au Hezbollah et la formation des cadres de ce mouvement les rendent méfiants vis-à-vis du président syrien.

Enfin, le troisième reproche concerne évidemment la nature des relations de la Syrie avec Israël.

Ils reconnaissent que les ouvertures que la France a pratiquées à l’égard de la Syrie sont intelligentes mais estiment devoir emprunter une voie plus prudente. De plus, le Congrès est très réservé à l’égard de la Syrie, qu’il considère toujours comme un rogue state – des sanctions très fortes pèsent encore sur ce pays. L’administration Obama sait donc ne pas disposer d’une grande marge de manœuvre au Congrès sur cette question.

Il est d’autant plus vrai que les Américains sont intéressés par le secteur français de la recherche, notamment par les technologies de l’information, qu’ils essaient d’attirer nos chercheurs aux États-Unis : c’est un risque dont il faut être conscient. Ils ont également un grand respect pour notre système d’enseignement, notamment secondaire, qu’ils trouvent de bien meilleure qualité que le leur. Ils continuent toutefois de trouver l’administration française trop tatillonne et trop bureaucratique. De plus notre situation et notre législation sociales les laissent souvent perplexes.

De leur côté, les États-Unis nous offrent actuellement des possibilités d’autant plus intéressantes qu’ils réfléchissent à la relance de leur énergie nucléaire ou au lancement de projets de trains à grande vitesse, pour lesquels nous sommes en concurrence avec les Espagnols, les Allemands, les Coréens et les Japonais. De plus, les services publics se développent dans les grandes municipalités américaines – le tramway ou l’eau.

Je pense sincèrement que le 11-septembre a provoqué un vrai changement de l’opinion publique américaine, jusque-là avant tout préoccupée d’elle-même, et que l’intervention en Irak ainsi que les critiques qui s’en sont suivies, comme la guerre en Afghanistan, l’ont rendue plus ouverte sur le monde. La manière dont les États-Unis sont perçus aujourd'hui dans le monde affecte beaucoup le peuple américain. Toutefois, seuls certains milieux intellectuels en tirent le sentiment que les États-Unis sont en déclin, non seulement parce qu’ils n’arrivent plus à imposer leur loi, mais également parce que la montée de la puissance économique ou scientifique de pays comme la Chine ou l’Inde leur fait prendre conscience que la leur, toujours très grande, est devenue relative. Il faut toutefois compter avec l’optimisme américain : c’est ainsi que le Gouvernement a décidé d’aider l’industrie automobile, mais à condition qu’elle s’adapte aux nouvelles données du marché, si bien qu’elle rattrape son retard à très grande vitesse afin de ne pas rater la nouvelle génération automobile – tel est le discours que Barack Obama tient à l’Amérique. Il en est de même pour les technologies propres, avec, là encore, l’aide financière de l’État fédéral.

Les États-Unis savent encore imposer leur politique : il n’est qu’à voir la façon dont ils ont géré l’affaire du Honduras.

M. Jacques Myard. Le Honduras est situé dans leur zone d’influence !

M. l’ambassadeur. Cela a toujours été le cas. Or ils n’ont pas envoyé l’armée ni pris des mesures d’embargo, mais mené une politique diplomatique avec l’Organisation des États américains et certains alliés – le Brésil ou le Costa-Rica –, ce qui leur a permis de rétablir progressivement la situation. C’est une belle illustration de la diplomatie de l’administration Obama.

Le débat sur la stratégie en Afghanistan entre les militaires, l’administration et certains milieux du Congrès, qui a duré trois mois, est porté au crédit du président Obama. Les résultats dans les sondages ont du reste été très positifs : près de 60 % des Américains ont trouvé la méthode intelligente, en dépit de sa longueur. Il en reste la perception d’un président qui a hésité mais a fini par faire de bons choix, dont le plus intelligent, à mes yeux, a été de faire pression sur le président Hamid Karzaï en le prévenant qu’il réétudierait la question de la présence américaine en 2011. Le message est passé, puisque le discours du président afghan, qui a notamment tendu la main aux talibans modérés, révèle une évolution des esprits.

Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si l’élection de Barack Obama ne constituerait qu’une parenthèse politique, je pense sincèrement que la façon de penser des Américains évolue, ce qui explique la force des antagonismes politiques. Toutefois, ces antagonismes ne datent pas de l’élection d’Obama, qui n’a fait que les exacerber. Elle a été le fruit autant du rejet de l’administration Bush que de la fascination exercée par la personnalité de Barack Obama. Il a été élu au bénéfice du doute, en raison de son inexpérience et de sa relative jeunesse et, depuis, l’opinion publique l’observe. Elle le trouve intelligent et continue de le respecter mais elle lui demande de se préoccuper des problèmes de l’heure et de mettre de côté sa réflexion un peu trop intellectuelle sur la transformation de la société américaine, ce qui ne manque pas de bon sens : l’économie américaine a en effet besoin de nouvelles bases pour vraiment redémarrer et faire repartir l’emploi. C’est la politique que probablement Barack Obama, sans trop le dire, s’apprête à mener, car s’il conserve ses priorités – le changement climatique ou la réglementation financière –, les projets de lois qu’il préparera en la matière seront certainement édulcorés par rapport aux intentions initiales de son administration : si la croissance revient et que les emplois repartent à la hausse, alors il reprendra ces chantiers.

Ce pays connaît un vrai changement. Seulement, Barack Obama a pensé qu’il pouvait aller plus vite : après sa défaite dans le Massachusetts et à la lecture des sondages, il se rend compte qu’il doit progresser par étapes.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur pour cette fort intéressante audition.

La séance est levée à douze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 2 février 2010 à 11 heures

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Louis Bianco, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Jean-Louis Christ, M. Michel Destot, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Jean Grenet, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Didier Julia, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Didier Mathus, M. Renaud Muselier, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. François Asensi, M. Hervé de Charette, M. Alain Cousin, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Henriette Martinez, M. Éric Raoult, M. François Rochebloine, M. André Schneider

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Garrigue, M. Louis Giscard d'Estaing