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Commission des affaires étrangères

Mardi 23 février 2010

Séance de 17 h 15

Compte rendu n° 44

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France

Audition de Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France

La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.

M. le président Axel Poniatowski. Votre audition, Madame, fait suite à celle de M. Daniel Shek, ambassadeur d’Israël en France, que nous avons entendu la semaine dernière. Notre commission suit avec beaucoup d’attention la situation au Proche-Orient, qu’il s’agisse de l’équilibre régional ou plus précisément du conflit israélo-palestinien. En octobre dernier, nous avions reçu Mme Abu Zayd, à l’époque commissaire générale de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient ; elle avait dressé un tableau très sombre de la situation des réfugiés palestiniens à Gaza, en Cisjordanie et au Liban, et aujourd’hui le blocage semble toujours total.

À l’occasion de la récente visite à Paris du Président Mahmoud Abbas, M. Bernard Kouchner, notre ministre des affaires étrangères, a dit qu’il soutiendrait la proclamation rapide de l’État palestinien même sans accord préalable avec Israël sur ses frontières, une solution que préconise notamment le Premier ministre Salam Fayyad à l’horizon 2011. Nous entendrons avec intérêt votre opinion à ce sujet, sur les récentes propositions faites par le Président Sarkozy, ainsi que sur les perspectives pour la Palestine et pour le processus de paix.

Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Je vous remercie, monsieur le président, de votre invitation. Deux questions me paraissent essentielles : la situation sur le terrain et l'approche politique.

Sur le terrain, les conditions de vie demeurent catastrophiques. On constate un seul point positif : en 2008 et 2009, la situation économique s’est améliorée en Cisjordanie. Les dirigeants israéliens ne cessent de le répéter et c’est exact, mais c’est grâce au travail conduit par notre Premier ministre, M. Salam Fayyad, qui a su convaincre la communauté internationale de soutenir notre programme de développement à hauteur de 7,7 milliards de dollars pour les années 2008-2010. L’objectif de ce programme est de rétablir les institutions publiques et la sécurité, et sur ce plan nous avons bien progressé ; mais c’est aussi d’améliorer les conditions de vie des Palestiniens, dans la perspective de la fin de l’occupation et de l’établissement d’un État palestinien. Nous avons bâti un système financier dont le FMI et la Banque mondiale ont souligné la transparence et la crédibilité. Les multiples projets de développement menés à bien après l’injection des fonds octroyés par la communauté internationale – principalement l’Union européenne – ont permis une croissance économique de 8 % en 2009. Mais je rappelle que le PIB avait chuté de 40 % entre 2000 et 2007, cependant que le taux de pauvreté est proche de 70 %. Depuis lors, les choses ne se sont guère améliorées : ce taux est à présent de 40 % en Cisjordanie et de 80 % à Gaza.

La croissance économique dans la Cisjordanie reste très fragile et elle peut être remise en question à tout moment si des perspectives politiques sérieuses n'apparaissent pas rapidement. Notre développement structurel doit être fondé sur une vision politique claire et stable. Or, actuellement, notre avenir est subordonné à Israël qui, en tant que puissance occupante au sens du droit international et en particulier de la IVème Convention de Genève de 1949, détient un pouvoir sans limite sur le peuple palestinien et sur ses institutions. Israël, pays occupant, continue à nous imposer un système inhumain d'enfermement avec des conséquences très graves sur l'économie, l'éducation et la santé du peuple palestinien dans toute la Cisjordanie, Jérusalem-Est inclus.

Cette oppression fragmente la société palestinienne, déchire notre tissu social et bouleverse notre géographie. Elle se traduit par l'obligation permanente de demander des autorisations pour se déplacer, se faire soigner, cultiver sa terre... Les barrages militaires paralysent notre communauté et notre économie. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies, l’OCHA, estime que même après le prétendu gel des colonisations par Israël il y a un peu plus d’un mois, plus de 550 barrages et chicanes militaires continuaient de paralyser nos déplacements en janvier 2010. Il faut ajouter à cela que certaines routes sont strictement réservées aux Israéliens, que 12 % du territoire de la Cisjordanie sont entourés par le mur de séparation et que 28 % du territoire situés dans la vallée du Jourdain sont interdits aux Palestiniens.

Comme l’indique clairement le rapport annuel des consuls et chefs de mission de l’Union européenne sur la situation à Jérusalem, Israël continue de judaïser Jérusalem-Est et de se débarrasser de la population palestinienne qui y vit. Déjà, 4 567 Palestiniens de Jérusalem se sont vu retirer leur carte d’identité rien que pour l’année 2008, et s’ajoute à cela 12 500 permis de résidence ou de cartes d’identité déjà retirés depuis 1967 à des Palestiniens de Jérusalem-Est expulsés de leur propre ville ; 125 000 Palestiniens de Jérusalem qui vivent hors les murs risquent à leur tour de perdre leur permis de résidence et éprouvent déjà des difficultés à accéder à la ville.

Tout le monde attache une grande importance à la sécurité d'Israël, mais jamais à celle des Palestiniens qui vivent dans l'insécurité la plus totale, soumis à l'arbitraire d'une armée d'occupation surpuissante – et nous avons tous en mémoire l'attaque meurtrière de la Bande de Gaza en janvier 2009. Cette insécurité alimente la frustration, l'humiliation et parfois même la haine, avec toutes les violences qui en découlent.

On fait grand cas en France du prisonnier israélien détenu à Gaza, le caporal Shalit, mais on ne dit pas grand chose des quelque 10 000 Palestiniens actuellement détenus dans les prisons israéliennes. Se rend-on compte que depuis 1967 un tiers de la population palestinienne adulte est passée par les geôles israéliennes ?

En Cisjordanie et à Jérusalem-Est nous subissons le terrorisme des 500 000 colons israéliens et l'insécurité quotidienne qu’ils alimentent, se conduisant en maîtres souvent très violents des territoires qu'ils occupent illégalement. Combien de vies palestiniennes ont été brisées par cette colonisation pour laquelle les gouvernements israéliens successifs ont confisqué d'immenses superficies de terres et déraciné des dizaines de milliers d'oliviers ? Pour beaucoup de nos compatriotes, ces expropriations et ces confiscations de terres ont constitué de profonds traumatismes qui, loin de guérir, se sont aggravés.

À Gaza, la situation, dramatique depuis 2007, l’est davantage encore depuis les terribles destructions causées par l'agression israélienne de janvier 2009. Certes, les Israéliens se sont retirés de la Bande de Gaza, mais le blocus demeure. Dans son dernier rapport, publié en août 2009, l'OCHA rappelle que le chômage touche plus de 40 % de la population de Gaza, et davantage encore parmi les moins de trente ans. Les exportations et la pêche sont interdites, les importations de matériaux également, y compris des matériaux nécessaires pour reconstruire les 24 000 maisons qui ont été détruites, si bien que quelque 100 000 personnes sont encore sans abri. En raison du blocus, tout manque : électricité, fuel, matériel médical… La liste est trop longue pour décrire l'ampleur de la catastrophe, et Gaza demeure une prison à ciel ouvert.

Nous ne comprenons pas pourquoi Israël continue de bénéficier d’une impunité totale. La communauté internationale est-elle aveugle ? Pourquoi l’Union européenne ne publie-t-elle pas le rapport dont je viens de faire état et ses conclusions ? Pourquoi les pays européens, défenseurs des droits de l’Homme et du droit international, ne soutiennent-ils pas le rapport Goldstone ? Pourquoi les droits de l’Homme continuent-ils d’être bafoués ? Pourquoi les pays européens n’obligent-ils pas Israël à appliquer l'avis de la Cour internationale de justice sur le mur de séparation ? Pourquoi les pays signataires de la Convention de Genève ne se réunissent-ils pas pour la faire respecter ? Certes, les Palestiniens apprécient l'aide économique de l’Union européenne et des pays donateurs, Mais il est nécessaire que ces investissements nous apportent un développement durable et contribue à la paix. Or, sans véritable engagement politique de leur part, aucune paix durable ne sera possible.

Sur le plan politique, contrairement à ce qui est souvent dit, les Palestiniens ne refusent pas de retourner à la table des négociations, tant s’en faut. Nous sommes prêts à nous y rendre demain, mais à la condition impérative et urgente qu’il s’agisse de véritables négociations et non d’un processus vide de contenu et de sens. En clair, nous voulons participer à des négociations fondées sur des références au droit international reconnues de tous : la feuille de route de 2003 et les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU. Les Israéliens nous reprochent de ne pas vouloir négocier, mais ils refusent de parler de Jérusalem, des réfugiés ou des colonies. Dans ces conditions, sur quoi porteraient les négociations ? Cela n’a pas de sens. En outre, Israël refuse de reprendre les négociations au point où elles en étaient restées avec le gouvernement Olmert. C'est inacceptable : le gouvernement israélien changeant tous les deux ans, les Palestiniens réclament un calendrier précis qui doit être respecté quel que soit le gouvernement au pouvoir en Israël. Sinon, les négociations ne progresseront jamais et l’on reprendra tout à zéro tous les deux ans.

Si rien n'avance, nous n'excluons pas de demander la proclamation de l’État palestinien par l'ONU. Nous en débattons au sein de la Ligue arabe, dans le cadre du comité de suivi de l'Initiative de paix arabe. Cette initiative, je le rappelle, offre à Israël la normalisation totale de ses relations avec 57 pays arabes et musulmans en contrepartie de la rétrocession de tous les territoires occupés en 1967.

L'État palestinien, déjà reconnu par 140 pays où nous avons des ambassades, deviendrait alors réalité grâce à la politique du Président Abbas et du Premier ministre Salam Fayyad. Son territoire serait bien sûr constitué de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem-Est. L’Union européenne a adopté une position très claire à ce sujet en décembre 2009, réaffirmant, comme elle l'avait fait à Berlin en décembre 1999, qu'elle ne reconnaît aucun des faits accomplis par Israël dans les territoires occupés depuis 1967 et à Jérusalem-Est, et qu'elle est prête à reconnaître notre État le moment venu. Nous souhaitons que l’Union européenne, par ses positions politiques et par le poids de son aide économique, joue un rôle politique majeur aux côtés des États-Unis.

L’Union européenne doit assumer ses responsabilités au sein du Quartet chargé de l'application de la feuille de route et de l'établissement de l'État palestinien, un État qui devait voir le jour en 2005 déjà. L’Union européenne doit continuer de jouer un rôle majeur comme soutien de nos institutions démocratiques et nous aider à créer toutes les conditions nécessaires pour la tenue des élections législatives et présidentielle que nous espérons tenir le 24 juin 2010. Pour ce qui nous concerne, nous sommes déterminés à tout faire pour que ces élections aient lieu, et nous avons déjà annoncé la tenue d’élections municipales le 17 juillet prochain.

Nous avons salué la déclaration de M. Kouchner relative à la proclamation d’un État palestinien établi dans les frontières de 1967. Cette déclaration reprend celle qu’avait faite M. Javier Solana en octobre 2009, qui était elle-même l’écho de la proclamation de 1988 depuis laquelle 140 pays ont déjà reconnu l’État palestinien. La déclaration de M. Kouchner est importante en ce qu’elle indique que toute la communauté internationale est prête à reconnaître l’État palestinien si les négociations n’avancent pas assez vite sur la base du projet de notre premier ministre. Ce que nous attendons, bien sûr, c’est la reconnaissance de l’État palestinien par l’Europe et par les États-Unis.

J’indique en conclusion que nous espérons parvenir rapidement à la réconciliation avec le Hamas. L'Égypte a été un intermédiaire précieux mais nous avons besoin de toutes les parties pour aider tous nos compatriotes et leur donner l'espoir de retrouver une vie libre et digne.

Il est grand temps de mettre un terme à la souffrance du peuple palestinien qui perdure depuis 1948 et pour cela d’en finir avec une occupation et une colonisation qui se prolongent depuis 1967.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, madame, pour cet exposé. Pouvez-vous nous dire ce que vous attendez de l’Union européenne ? D’autre part, après le discours prononcé par le président Obama au Caire, on pouvait s’attendre à une intermédiation américaine plus active en faveur de la reprise des négociations ; il ne semble pas que ce soit le cas. Quelle appréciation portez-vous sur la diplomatie américaine actuellement à l’œuvre ?

M. Jean-Paul Lecoq. Le processus de paix n’avance pas, tant s’en faut, et à mesure que des difficultés supplémentaires apparaissent on se prend à douter qu’une issue soit possible. Quand on interroge les autorités israéliennes, elles expliquent ne pas avoir d’interlocuteurs palestiniens crédibles et représentatifs. Vous avez évoqué la réconciliation avec le Hamas ; pourriez-vous préciser ce qu’il en est ? Vous avez conclu vos propos en appelant de vos vœux un État palestinien universellement reconnu, mais l’évolution du Hamas permettra-t-elle l’exercice démocratique du pouvoir ? Par ailleurs, qu’attendez-vous de la France et singulièrement des parlementaires français pour accompagner votre lutte ?

M. Daniel Garrigue. L’État palestinien a été reconnu par une centaine d’États depuis 1988 mais l’on n’a pas le sentiment que l’Autorité palestinienne ait le vif désir qu’il soit reconnu par l’ensemble des grands États ; certaines déclarations de M. Abbas à ce sujet ont semé le doute. Pourtant, étant donné le blocage des négociations, et même si à ce stade un État palestinien n’est pas viable, sa proclamation ne donnerait-elle pas une très forte impulsion à la cause palestinienne ?

Rappelant les négociations engagées à l’époque du gouvernement Olmert, vous avez souligné la nécessité d’un calendrier précis portant sur des volets précis – lesquels ?

Enfin, la réconciliation inter-palestinienne progresse-t-elle ? Le fait que le Hamas ait dit accepter le principe de deux États dont un État palestinien dans les frontières de 1967 vous paraît-il de nature à débloquer la situation ? Les partenaires internationaux de l’Autorité palestinienne doivent-ils discuter avec le Hamas ?

M. Jean-Michel Boucheron. Dans un entretien au Journal du dimanche, M. Kouchner a émis une hypothèse diplomatique qui, étant donné la composition actuelle de la Knesset, peut paraître la seule voie possible. Mais quels sont les obstacles à la réunification des Palestiniens ? Sont-ils internes ou externes à la Palestine ?

M. Didier Julia. Après que les élections ont été remportées par le Hamas, il y a eu scission, et le Hamas a été diabolisé. A présent, le temps joue contre les Palestiniens. Si les Israéliens font traîner les négociations, c’est qu’ils créent des situations de fait qui ne permettront plus la création d’un État palestinien. Que les Palestiniens attendent-ils pour réaliser leur unité politique ? Dans la perspective de la création d’un État palestinien viable, quels sont vos projets d’unité territoriale ? Maintenez-vous toujours que Jérusalem sera la capitale de l’État palestinien ?

Mme la déléguée générale. Permettez-moi de rappeler qu’en 1988 le Conseil national palestinien a accepté un compromis historique : la création d’un État palestinien d’une superficie correspondant à 22 % seulement de la Palestine historique, et une solution juste à la question des réfugiés. Ces conditions n’ont pas varié. C’est l’État que nous exigeons, et c’est notre droit, que reconnaît le droit international ; la communauté internationale dans son ensemble est sur cette ligne, à l’exception d’Israël. C’est ce schéma qui figure dans la feuille de route et c’est aussi le sens de la déclaration de décembre dernier dans laquelle l’Union européenne affirme qu'elle ne reconnaît aucun des faits accomplis par Israël dans les territoires occupés depuis 1967, Jérusalem-Est inclus.

Le Hamas a déclaré plusieurs fois qu’il accepterait l’établissement d’un État palestinien dans les frontières de 1967. Après les élections de 2006, le président Abbas avait donné tout pouvoir au Hamas pour former un gouvernement. Le problème auquel nous nous sommes alors trouvés confrontés, ce fut la réaction de l’Union européenne. L’Union, qui se trouve souvent incapable de prendre des décisions politiques, a pris dans ce cas une décision spectaculaire en nous imposant des sanctions. Etant donné leur dureté et leur ampleur, il n’est pas surprenant, vu le contexte, que des divisions soient apparues entre Palestiniens. Mais nous insistons sur la nécessité d’une réconciliation sans laquelle il n’y a pas de futur possible, et le Président Abbas a signé le document présenté par l’Egypte à cette fin. On attend toujours que le Hamas le signe. Maintenant, des élections doivent avoir lieu en Juin 2010, nous espérons en priorité que le Hamas accepte de tenir ces élections, car c'est l'élément le plus important pour sortir de l'impasse de la division Palestinienne.

Historiquement, la Palestine et actuellement Gaza sont des lieux où se jouent des intérêts régionaux et même internationaux, ce sont des terrains où différents pouvoirs jouent leurs partitions politiques au lieu de le faire chez eux, et les aides reçues de l’étranger influencent les décisions des partis politiques. Telle est la situation, mais il n’y a pas lieu de se focaliser sur le manque d’unité palestinienne qui est une question interne aux Palestiniens. Le Hamas reconnaît que les négociations sont de la responsabilité du Président Abbas et indique qu’il acceptera un accord signé par lui.

Les problèmes de fond sont connus : c’est l’absence de paix et une occupation croissante depuis 1967. C’est à cela qu’il faut mettre un terme en priorité.

Nous avons été déçus que la demande du Président Obama de geler la colonisation comme préalable aux négociations n’ait pas été suivie d’effet. Maintenant, les États-Unis suggèrent la reprise de proximity talks, ou de pourparlers indirects de proximité. Pour notre part, je l’ai dit, nous voulons des négociations qui soient porteuses de résultats, qui aboutissent à la paix et à un État palestinien. Cela veut dire des négociations qui sont basées sur des références du droit international, avec un calendrier précis.

Que se passera-t-il si nous tentons des négociations et que dans trois mois on se rend compte qu’on n’arrive à rien ? Faudra-t-il tout reprendre à zéro ? Les États-Unis doivent dire clairement quelle sera leur position dans ce cas. Nous allons discuter de ces questions au sein du comité de suivi de la Ligue arabe. Le Président Abbas était satisfait de la déclaration de l’Union européenne de décembre dernier ; il espère que les États-Unis adopteront la même position.

S’agissant de l’absence supposée d’interlocuteurs palestiniens, je rappelle à nouveau que les Palestiniens ont accepté de négocier sur la base d’un compromis historique. Seize ans de négociations n'ont abouti à rien. Les Israéliens ne peuvent donc sérieusement pas prétexter d’une division entre Palestiniens intervenue il y a deux ans et demi alors qu’ils poursuivent l’occupation depuis 42 ans. Les choses doivent être clairement dites : l’obstacle majeur à la négociation et à tout progrès politique, c’est la colonisation qui, en grignotant progressivement le territoire de l’État palestinien, rendra très vite géographiquement sa création impossible ; à vous d’en tirer les conclusions. Quant a nous, nous entendons poursuivre le programme de reconstruction de nos institutions, de notre économie, de nos finances et de notre sécurité ; nous avons besoin d’aide pour rebâtir des institutions publiques démocratiques et nous avons besoin que des élections se tiennent. Si Israël ne comprend pas qu’il est dans son intérêt à long terme, comme le disent les présidents français et américain, d’avoir comme voisin un État palestinien viable, démocratique et indépendant, vous devrez aussi tirer les conclusions de cette attitude. Le compromis que nous avons accepté forme un tout. Les Palestiniens ne sont pas prêts à accepter un État ghetto et totalement morcelé et qui n’aurait pas Jérusalem-Est comme capitale ; nous ne reviendrons pas sur ce point.

Nous avons salué la déclaration de M. Kouchner, qui en appelle à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967. Nous espérons qu’Israël reconnaîtra que c’est l’objectif de toute négociation, mais le président Abbas veut bien envisager de définir avec les pays arabes comment faire progresser cette négociation, éventuellement par le biais de proximity talks. Si les négociations sous cette forme ont lieu sur une base claire et acceptable, on saura très vite si l’on doit aller vers la demande de reconnaissance d’un État palestinien. Dans tous les cas, nous n’agirons pas seuls mais avec les pays arabes. Je suis certaine que l’Union européenne reconnaîtra alors l’État palestinien et j’espère que les États-Unis n’opposeront pas leur veto.

Certains considèrent que nous n’avons guère de choix. Mais les Palestiniens resteront chez eux. Nous avons fait la preuve de notre capacité de résilience ; s’il n’y a pas d’État palestinien, il y aura d’autres options.

M. Jacques Myard. Pourquoi ne proclamez-vous pas unilatéralement que vous êtes un État ? La communauté internationale est prête à l’admettre, l’ONU le reconnaîtrait et l’on progresserait beaucoup. D’autre part, étant donné la charge émotive qui pèse dès que l’on traite de Jérusalem, pensez-vous qu’il soit encore possible de faire de cette ville la capitale de deux États ?

M. Robert Lecou. Quelle est la situation sanitaire à Gaza ? Comment la population s’approvisionne-t-elle en eau ? Où en est la reconstruction ? Qu’en est-il des tunnels qui passent sous la frontière avec l’Egypte ?

M. François Loncle. J’ai le souvenir qu’au début des années 2000, Yasser Arafat avait voulu proclamer la naissance de l’État palestinien ; à l’époque, le Quartet l’en avait dissuadé. Puisque rien ne vient d’Israël et que, beaucoup d’entre nous en sont convaincus, rien n’en viendra, on peut imaginer que le Quartet et l’ONU cautionneraient désormais la proclamation d’un État palestinien. Mais, étant donnée la géographie politique actuelle de la Cisjordanie, quelle serait la viabilité de cet État « confetti » ?

M. Jean Glavany. Pardonnez-moi si ma question a déjà été posée, mais j’aimerais savoir ce que pèse la diplomatie européenne dans ce conflit. La trouvez-vous visible, lisible, influente, équilibrée ?

M. Hervé de Charette. Comme M. Glavany, je prends le risque, étant arrivé en retard, de poser une question à laquelle il a peut-être été déjà répondu. Elle concerne la création d’un État palestinien. Il me semble que, dans l’état de désarroi, de division et d’occupation où se trouve la Palestine, la création d’un tel État présenterait un certain nombre d’inconvénients, voire entraînerait des dégâts irréparables, à commencer par l’acceptation de fait de la perte d’une partie importante du territoire palestinien, notamment à Jérusalem. Votre point de vue à cet égard sera donc décisif.

Je poserai par ailleurs presque la même question que Jean Glavany, tout en la formulant différemment. Qu’est-ce que les autorités palestiniennes attendent de l’Union européenne – en supposant que celle-ci soit capable d’exprimer une volonté ? La Palestine est-elle tout entière entre les mains de la diplomatie américaine, ou bien cherche-t-elle sincèrement un autre partenaire, et pour quoi faire ?

M. Gérard Bapt. Pour prolonger la question de mon collègue sur la situation sanitaire à Gaza, je voudrais savoir s’il est exact que, comme je l’ai lu, on observe une augmentation importante du nombre de malformations à la naissance, en rapport, notamment, avec les bombardements au phosphore blanc ?

M. Étienne Pinte. Dans l’hypothèse d’un État palestinien indépendant et souverain, pensez-vous possible sa coexistence avec 143 colonies israéliennes ?

Par ailleurs, que peuvent faire les États-Unis pour peser dans le processus de paix et convaincre Israël de revenir à la table des négociations, de façon à obtenir, par étapes, la reconnaissance par Israël d’un État palestinien indépendant et souverain ?

Mme Hind Khoury. En ce qui concerne Jérusalem, Israël a adopté une politique du fait accompli qui a changé la géographie de la ville : désormais, moins de 13 % de son territoire sont habités par les Palestiniens. Cette politique risque de durer, car ce qui manque, c’est la volonté politique. Israël refuse la paix et poursuit son expansion, mais la volonté d’aboutir à la paix a également manqué à l’Europe, aux États-Unis et à la communauté internationale. Les résolutions de l’ONU existent pourtant.

En 42 ans, beaucoup de mal a été fait. Chaque jour nous subissons les conséquences de ce manque de volonté politique. Certes, la donne peut changer, mais si Israël ne le veut pas, et si le monde n’est pas prêt à exercer les pressions nécessaires… J’ai posé mes propres questions sur le rôle de l’Union européenne et de la communauté internationale. Pourquoi n’y a-t-il pas de réunion des signataires de la Convention de Genève ? Quelle négligence ! Pourquoi la plupart des pays européens se sont-ils abstenus lors du vote de la résolution approuvant le rapport Goldstone ? Et qu’en est-il de l’avis de la Cour internationale de justice sur le mur de séparation ? Le plus choquant concerne le rapport rédigé en 2005 sur Jérusalem : non seulement l’Union européenne ignore ses conclusions, mais elle en refuse la publication officielle ! De même, il est incompréhensible que l’Europe accepte d’importer les produits provenant des colonies, ou qu’elle n’applique pas l’article 2 de son accord d’association avec Israël.

L’Europe peut agir. Si elle en a la volonté, les choix ne manquent pas. Mais alors que l’Union est partie intégrante du Quartet, où est-elle lorsque ce dernier prend ses décisions ? Quel rôle joue-t-elle dans la surveillance destinée à vérifier si les bases des négociations sont bien respectées, si Israël respecte ses propres engagements ? Une telle surveillance serait pourtant nécessaire : selon les termes de l’accord d’Oslo, Israël n’aurait pas dû modifier le statu quo en adoptant une politique du fait accompli. Malheureusement, nous payons le prix de ce manque de volonté politique. Les déclarations, l’argent, c’est bien, mais comme nous l’avons appris, tout cela peut être perdu s’il n’y a pas de véritables avancées politiques.

La liste est longue des auteurs de rapports internationaux concernant la bande de Gaza : Amnesty, OCHA, Banque mondiale. La situation du million et demi de personnes qui y vit est choquante, un an après l’horrible agression subie par le territoire. Des crimes de guerre, et même des crimes contre l’humanité y ont été commis. Personne ne peut prétendre que le juge Goldstone n’est pas une personne crédible : or, toutes les informations figurent dans son rapport de 575 pages. Comment peuvent-elles être laissées de côté ? Nous avons tous des responsabilités à cet égard.

Il est toujours possible d’agir. Même concernant les colonies, il existe des solutions. D’ailleurs, les colonies ne perdurent que grâce à des subventions du gouvernement israélien. Les colons peuvent toujours retourner en Israël, et les colonies peuvent être utilisées pour résoudre la question du retour des réfugiés palestiniens. Ce n’est qu’un exemple.

L’État palestinien a été proclamé en 1988, et il a depuis été reconnu par un grand nombre d’États. Nous aurions besoin que l’Europe et les États-Unis le reconnaissent également, car ils jouent un rôle clé dans l’avancée du processus de paix.

La politique du président Abbas est de travailler main dans la main avec les pays arabes, car ils sont à l’origine de la magnifique initiative de paix proposée en 2002 et renouvelée en 2007. C’est la seule véritable formule pour la paix dans la région, mais aussi une forme de soutien envers la cause palestinienne. Les pays arabes peuvent peser beaucoup plus que les seuls Palestiniens. Le Comité de suivi de l’initiative de paix arabe a déjà pris la décision d’étudier cette question parmi d’autres, de la reconnaissance par l'ONU de l'Etat palestinien. Cet élément figure sur l’agenda de la réunion du 2 mars.

Nous avons besoin que la communauté internationale soutienne notre projet de développement initié par le premier ministre Fayyad. Certes, il ne garantira pas l’établissement d’un État si la communauté internationale et Israël n'assument pas leurs responsabilités, mais il aidera la population palestinienne à rester chez elle, à se montrer résiliente et à supporter les conséquences de l’occupation et les mesures d’expulsion prises par Israël dans tous les territoires occupés en 1967.

Pour répondre aux questions qui m’ont été posées il y a un instant. Bien sûr, les députés ont un rôle à jouer, de même que la société civile, et j'espère qu'ils le jouent. C’est ainsi que la démocratie fonctionne. Les expressions claires de la part des parlementaires ou de la population française pèsent sur le gouvernement.

J’ai rencontré de nombreux Français – pas seulement les sympathisants de la cause palestinienne, mais aussi des gens attachés au droit international – qui comprennent bien la situation et admettent que la paix doit être rétablie sur la base des résolutions de l’ONU. Mais il reste beaucoup de travail, et je suis prête à discuter et à coopérer avec vous pour l’accomplir. Je vous ai ainsi adressé un document très important relatif à la situation politique, au statut des négociations, au problème de Jérusalem. Il explique la situation actuelle mais indique également les moyens d’en sortir.

S’agissant de Gaza, la situation sanitaire, humaine, sociale, politique et économique y est désastreuse. Cela ne peut pas continuer ainsi. On y manque d’eau potable, on manque de tout. Il est inutile de rappeler les statistiques : elles figurent déjà dans les nombreux rapports établis par les ONG et les agences internationales. Le problème est que rien ne change. Comme l’Union européenne l’a dit dans ses conclusions de décembre, le siège de Gaza doit finir. Il faut cesser le blocus, appliquer l’accord de 2005, ouvrir tous les points de passage autour de Gaza, rétablir les liens avec la Cisjordanie, démanteler les barrages militaires. Malheureusement, sur tous ces points, c’est Israël qui décide, et Israël maintient le siège. Pour le seul mois de janvier, nous avons connu une réduction de 21 % des importations de matières premières à Gaza. Sur 1 000 éléments nécessaires pour assurer une vie normale, seuls 140 peuvent être introduits sans permis. Le secteur privé est détruit à 95 %. Un peuple étranglé est contraint à l’inventivité, et c’est pourquoi les gens de Gaza ont creusé les tunnels – 2 000 en tout. Ils ajoutent à l’humiliation du peuple palestinien : comment peut-on permettre qu’un million et demi de personnes ne vivent que grâce au commerce transitant par des tunnels ? Bien entendu, certains profitent de cette économie informelle et s’enrichissent. Et ces gens finissent par devenir un nouvel obstacle à la résolution du conflit. Les tunnels, ce n’est pas la façon dont les gens de Gaza doivent vivre. Leur existence passe par l’arrêt immédiat du siège.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, madame la déléguée générale, d’avoir accepté cette invitation. Vous pouvez constater que la situation de la Palestine préoccupe beaucoup la commission des affaires étrangères. Nous prévoyons d’ailleurs de nous rendre prochainement sur place : un an et un mois après le déplacement effectué sous la conduite de M. Accoyer, je m’apprête à conduire une nouvelle délégation en Palestine afin que nous puissions, notamment, rencontrer les autorités palestiniennes à Ramallah.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 23 février 2010 à 17 h 15

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Dino Cinieri, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Jean Grenet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean Roatta, M. Jean-Marc Roubaud, Mme Odile Saugues, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Claude Guibal, M. Renaud Muselier, M. Jean-Marc Nesme, M. François Rochebloine, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle

Assistaient également à la réunion. - M. Gérard Bapt, M. Daniel Garrigue, M. Étienne Pinte