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Commission des affaires étrangères

Mercredi 24 février 2010

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 45

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

Audition, ouverte à la presse, de M. Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères d’Afghanistan

– Bahreïn : accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile (n° 2200) – M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur

–-Maurice : accord relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels (n° 2198) et accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 2199) – M. Michel Terrot, rapporteur

– Protocole additionnel à l'accord de siège relatif au rôle de l'inspection du travail sur le site de l'Organisation internationale ITER en matière de santé et de sécurité au travail (n° 2201) – M. Michel Destot, rapporteur

– Informations relatives à la commission

Audition de M. Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères d’Afghanistan

La séance est ouverte à 9 heures 30.

M. le président Axel Poniatowski. La Commission reçoit ce matin le Docteur Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères, ancien candidat à l’élection présidentielle d’Afghanistan et secrétaire général de la fondation Massoud.

La situation en Afghanistan nous concerne au premier chef, à l’heure où les troupes françaises continuent d’assurer la sécurité dans les provinces de l’Est, alors que les troupes de l’OTAN sont engagées dans une opération de grande envergure au Sud, notamment dans l’Helmand et, peut-être demain, dans la région de Kandahar.

Les questions clés de l’Afghanistan sont connues par notre commission, qui a notamment confié à Messieurs Jean Glavany et Henri Plagnol un rapport sur ce sujet. Ces derniers ont ainsi présenté des propositions pour tracer un chemin pour la paix en Afghanistan.

Quel rôle pour la coalition internationale, et quel délai imaginable pour le transfert des missions de sécurité aux forces afghanes ? Quelles perspectives pour le développement et quelle transparence dans le versement de l’aide, afin de sortir l’Afghanistan de la malédiction du trafic de drogue ? Quel équilibre régional pour éviter de faire de l’Afghanistan l’enjeu du conflit entre ses deux puissants voisins ? Sur toutes ces questions, vous avez cherché à incarner une voie alternative au président sortant, Hamid Karzaï, et avez appelé à la constitution d’une force politique cohérente et clairement identifiée pour peser lors des élections législatives qui devraient avoir lieu en septembre.

Je voudrais aussi saluer votre comportement personnel lors de l’élection présidentielle. Malgré les nombreuses critiques dont le déroulement de ce scrutin a fait l’objet tant de la part des instances internationales chargées de la surveillance du scrutin que de votre part, vous avez refusé de jouer la carte dangereuse de l’agitation populaire et choisi de vous retirer avant le deuxième tour pour apaiser la situation.

M. Abdullah Abdullah. La situation actuelle me tient à cœur en tant qu’Afghan, comme elle vous tient à cœur en tant qu’amis de l’Afghanistan. La population française a consenti des sacrifices pour aider mon pays, et je veux la remercier, ainsi que votre gouvernement, pour ces efforts.

La situation en Afghanistan s’est dégradée. Initialement, un consensus régnait entre les Afghans, et au sein de la communauté internationale, sur nos perspectives d’avenir. Malheureusement, ce consensus n’existe plus. L’avenir de l’Afghanistan, et de toute la région, suscite aujourd’hui de nombreuses interrogations.

Nous aurions pourtant dû maintenir ce consensus à l’intérieur. Certes, les conditions de sécurité sont plus difficiles en 2010 qu’en 2002. Mais il y a eu des progrès. Des millions d’enfants sont scolarisés et refusent dès lors, avec leurs parents, de revenir aux pratiques du passé. Ces avancées ont été rendues possibles grâce au soutien extérieur dont nous bénéficions.

Le consensus s’est rompu du fait du manque d’engagement des leaders afghans en faveur des principes sur lesquels nous nous étions mis d’accord initialement. De plus, le Pakistan a aidé les taliban à se réorganiser sur sont territoire. Le président Musharraf a joué double jeu sur ce dossier. Ces difficultés se sont combinées à la plus faible visibilité du conflit en Afghanistan suite à la guerre américaine en Irak.

Quels espoirs subsistent malgré cette situation difficile ? La grande majorité des 30 millions d’Afghans veut un Islam modéré, des avancées démocratiques, le respect des droits individuels, une vie paisible, l’accès à la santé, l’éducation, l’emploi. Malheureusement, en raison de la situation sécuritaire et des mauvais choix politiques qui ont été faits, les Afghans commencent à se poser les mêmes questions que la communauté internationale sur leur avenir : de quoi sera-t-il fait ? Les gouvernants pourront-ils tenir leurs promesses ?

La sécurité reste notre priorité absolue. La résolution de ce problème commande celle de tous les autres. Il n’y aucun doute : al-Qaïda et ses alliés taliban veulent renverser le pouvoir et instaurer leur régime. Toutefois, à la différence des années 1990, la plupart des Afghans qui ont déjà connu ce système n’en veulent pas. La situation actuelle est difficile parce que les changements politiques n’ont pas suivi les changements personnels. Les Afghans se demandent : à quoi me servent mes droits si je ne peux pas les exercer ?

Notre responsabilité par rapport à la situation actuelle est immense. Si la communauté internationale et la population afghane sont déçues par les résultats, nous n’aurons pas de seconde chance. Il faut donc saisir l’occasion qui nous est offerte, et le meilleur moyen de le faire est de lancer un processus politique. Les troupes françaises font un travail remarquable en Surobi, les troupes néerlandaises ont apaisé la situation dans leur zone de responsabilité, bien sûr en s’appuyant sur les chefs traditionnels… Nous devons désormais changer de méthode et nous concentrer sur les besoins des gens : la création de marchés, la construction d’infrastructures, qui font cruellement défaut en Afghanistan.

Un changement est possible. Sur 33 provinces afghanes, 22 sont désormais débarrassées de toute culture du pavot. Nos objectifs, pour progresser dans cette voie, doivent être le renforcement des leaders politiques locaux, et un travail de pédagogie auprès des populations pour leur expliquer ce qu’elles ont à gagner en participant aux politiques de développement nationales. La drogue permet d’augmenter sensiblement leurs ressources, mais au prix de quels risques encourus ! D’autres cultures, d’autres activités économiques apportent un revenu bien plus stable, et régulier. Dernier élément, mais pas des moindres, de cette stratégie : les grands trafiquants, qui bénéficient du système actuel, doivent être condamnés. Il n’est pas acceptable que seuls les petits cultivateurs soient actuellement sanctionnés.

La réconciliation nationale ne pourra se faire que lorsque toutes les conditions, qui sont nombreuses, seront réunies. Nous pourrons lancer cette démarche lorsque nous serons d’accord sur des principes communs, mais, si nous devions commencer maintenant, cela ne serait pas sans risque pour la situation des Afghans, notamment les femmes. Il y a eu des réussites dans le domaine politique, notamment concernant l’utilisation des média, mais une réconciliation plus vaste nécessite que soient respectés deux principes : le respect de la Constitution afghane, et la rupture de tout lien avec le terrorisme international.

Or, pour le moment, les taliban veulent renverser le régime par la force. Pour répondre à leur influence, réelle dans certaines régions, il faut éduquer, répondre aux besoins des gens pour éviter que les taliban ne soient considérés comme le recours le plus efficace.

Le rendez-vous des élections législatives est crucial pour permettre cette évolution. Ces élections doivent absolument être mieux réussies que les élections présidentielles. Si le Parlement sort aussi affaibli du processus électoral que le président Karzaï, si les élections ne sont pas perçues comme un mode crédible de choix des représentants, alors toutes les avancées seront bloquées.

J’espère qu’au sein de mon mouvement, nous pourrons faire avancer les réformes et remettre les notions de responsabilité et de transparence politiques au centre de l’action du gouvernement. Notre but n’est pas de constituer un groupe particulier, mais de raffermir les fondations du pays et de remettre l’Afghanistan debout.

M. Jean-Michel Boucheron. Les opinions publiques de nos pays occidentaux voient dans le conflit afghan une guerre lointaine et compliquée. Elles voient aussi revenir les corps de nos soldats. Pouvez-vous décrire, de façon très pédagogique, la situation qui se présenterait si toutes les troupes de la coalition se retiraient dès demain ?

Mme Marie-Louise Fort. Je veux vous féliciter pour le souci d’apaisement dont vous faites preuve. Au-delà de la priorité accordée à la sécurité, au-delà de la nécessaire relance d’une économie débarrassée de la production de stupéfiants, pourriez-vous développer votre vision de la société afghane, et en particulier de la situation des femmes et des petites filles qui, espérons-le, participeront demain activement à une démocratie moderne ?

M. Lionnel Luca. Je me demande s’il y a vraiment une solution militaire en Afghanistan. Quel est d’ailleurs l’état exact de la situation : le pays est-il partiellement ou totalement en guerre ? Peut-on comparer la situation à celle de l’occupation soviétique ? Par ailleurs nous assistons dans nos pays à l’arrivée massive d’hommes jeunes qui pourraient très bien renforcer les rangs de la nouvelle armée afghane. Vous étiez personnellement très proche du commandant Massoud ; que vous inspirent les propos assez provocateurs de M. Antoine Sfeir qui, lors d’une conférence donnée à Nice la semaine dernière, a qualifié Massoud de fondamentaliste musulman qui aurait préparé le terrain aux taliban ?

Mme Martine Aurillac. Dans le contexte d’une situation compliquée et même aggravée, à certains égards, ces dernières années, il existe des signes d’espoir pour le peuple afghan et le développement du pays. La réconciliation est le chemin vers une véritable stabilisation. Nous savons qu’il n’existe pas de solution purement militaire. Le Président Barack Obama avait évoqué lors de son investiture un retrait des troupes américaines en 2011 ; pensez-vous que cette échéance ait une quelconque chance d’être tenue ?

M. Jean-Pierre Kucheida. Je souhaite saluer votre courage et notamment votre sage décision de vous retirer de l’élection présidentielle. Votre parcours depuis la disparition du commandant Massoud est un modèle de progrès démocratique. Les difficultés d’ordre politique et militaire auxquelles est confronté ce vaste pays – l’Afghanistan est plus étendu que la France – et son relief accidenté nécessiteraient l’envoi de troupes deux ou trois fois plus nombreuses qu’actuellement, ce qui est impossible. Y aura-t-il demain des troupes afghanes en nombre suffisant ? Les problèmes du pays ne seraient-ils pas mieux réglés par les Afghans eux-mêmes ? S’agissant de la culture du pavot, vous parlez de diminution mais d’autres sources évoquent un doublement des surfaces cultivées entre 2007 et 2009. J’aimerais également connaître votre avis sur le renvoi d’immigrants afghans dans leur pays depuis la France. Enfin, quelle est votre réaction face aux récentes « bavures » des avions de l’OTAN ?

Mme François Hostalier. Vous avez parlé de réconciliation nationale dans le cadre de la Constitution actuelle. Or j’ai ouï dire qu’une Loya Jirga pourrait prochainement modifier la Constitution, dans un sens moins respectueux de la démocratie. Qu’en est-il ? La récente tentative législative relative au statut des femmes chiites, stoppée in extremis avant l’élection présidentielle, n’est pas pour nous rassurer. Dans ce contexte, la réconciliation est-elle en bonne voie et que peut faire le Parlement français pour vous apporter son soutien en ce sens ?

M. Dominique Souchet. Vous avez souligné le double jeu du Pakistan sous la présidence de M. Musharraf. Une évolution se fait-elle sentir aujourd’hui ? Quelle portée attribuez-vous aux propos du chef d’État-major de l’armée pakistanaise sur l’aide que son armée pourrait apporter à l’entraînement des soldats afghans ? Cela vous semble-t-il compatible avec le retrait des troupes de l’OTAN et les liens actuellement entretenus par l’armée pakistanaise ?

M. Abdullah Abdullah. Si demain les troupes de la coalition se retiraient, je resterais ici en France, à la faveur des grèves qui perturbent le trafic aérien ! (Sourires). Ces dernières années, nous n’avons pas exploité toutes les possibilités qui s’offraient à nous. Huit ans après le début de l’intervention alliée, nous ne devrions pas en être là ; beaucoup d’occasions ont été manquées. Mais aujourd’hui personne ne peut répondre nettement à la question du retrait. Plus que sur le retrait en soi, l’attention doit se porter sur la solution afghane à construire. Et le contexte est celui d’une menace terroriste internationale. Veut-on d’un nouvel émirat islamique ? Tel ne me semble pas être le futur de l’Afghanistan.

Il n’est pas possible de poursuivre la guerre sans changement de stratégie. Il faut renverser la dynamique actuelle, afin de s’opposer franchement aux taliban, qui ne sont pas invincibles. On pourrait par exemple s’attaquer à leurs activités de trafic d’armes. Mais une fois les taliban réduits, de quel gouvernement devrions-nous nous doter ? L’étape suivante de notre stratégie doit être consacrée aux habitants des zones actuellement soumises à l’influence des taliban. Ils ont droit à autre chose qu’un destin de population déplacée. Il nous faut écouter leurs doléances, être attentif aux injustices ressenties. C’est l’ensemble du peuple afghan que nous devons écouter.

Des millions de femmes et de filles afghanes ont aujourd’hui davantage d’espoir mais le message qui leur est adressé est flou : il est parfois question de l’intégration de certains taliban, parfois du retour à une époque que l’on croyait révolue… M. Karzaï doit être plus clair sur ses intentions, faute de quoi tous les efforts déployés par le peuple afghan et par la communauté internationale auront été vains. Nous ne devons pas revenir en arrière.

70 % de la population vit dans des zones où prévaut une paix relative. Il faut y consolider la paix afin de prévenir tout retour au régime précédent, et pour ce faire mettre l’accent sur le développement de la paix et de sécurité ; créer çà et là des poches de sécurité ne suffit pas.

Nous avons de bons exemples d’endiguement de la culture du pavot : des paysans y ont renoncé, certaines zones connaissent maintenant des cultures de substitution ; nous pouvons aider tous ceux qui ont accompli cette démarche à transmettre leurs bonnes pratiques.

Depuis 2001, ce sont quelque trois millions d’Afghans expatriés qui sont revenus dans le pays, même dans des circonstances difficiles. D’autres sont demeurés à l’étranger. En tout état de cause, le retour au pays doit s’inscrire dans une démarche volontaire. Il est vrai qu’il existe des zones où certains de nos compatriotes, s’ils revenaient, exposeraient leur vie, mais ce sont plutôt des cas particuliers. La situation progresse donc sur ce point mais des dangers persistent.

On ne peut pas comparer la situation actuelle à l’occupation soviétique. Les difficultés ne sont bien sûr pas absentes mais la population comprend qu’il en soit ainsi. Les forces afghanes doivent néanmoins reprendre la main. Comme partout hélas, nous avons des déserteurs. Par la formation de nos soldats, nous devons remédier au problème. L’espoir est là ; pas seulement au sein de l’armée, mais de la population tout entière dont la vie s’améliore.

Le commandant Massoud a été dépeint de bien des manières. Je l’ai côtoyé de 1985 à sa mort en septembre 2001. C’était un personnage extraordinaire. Il était musulman mais la seule motivation de sa lutte était d’obtenir le droit de vote pour tout un chacun en Afghanistan. Il ne s’est jamais battu pour lui-même mais toujours pour son pays entier, y compris pendant la guerre des années 1990. Massoud est mort en martyr. Il voulait sauver des valeurs au service desquelles nous sommes tous engagés aujourd’hui, mais lui s’est parfois trouvé bien seul. Même ceux qui le connaissaient mal respectent son engagement. Il a toujours répondu présent, sous l’occupation soviétique comme par la suite. Il n’a rien légué à sa famille, alors que le pays compte des millionnaires. En tant qu’ami, mon jugement n’est peut-être pas le plus objectif ; en tant qu’homme, je dois dire que Massoud était le personnage le plus pacifiste que j’aie jamais rencontré, et ce dans un contexte particulièrement guerrier, que les ennemis s’appellent URSS ou taliban.

J’ai évoqué la complexité du pays ainsi que la Loya Jirga. Le mouvement d’opposition sera actif pour présenter une alternative à la population, dont le choix ne doit pas être limité au gouvernement actuel ou aux taliban. Il faut donner un réel espoir aux Afghans.

La première action que pourrait utilement entreprendre le Pakistan serait d’arrêter de former les taliban. Je me réjouis que ce pays ait réglé le problème que posaient ses propres taliban. Cela étant, il existe un soutien populaire au profit des taliban pakistanais et les taliban du Pakistan et d’Afghanistan s’entraident. Ce problème doit être traité. Je note en outre l’absence, à ma connaissance, d’engagement militaire avec l’Inde, demeurée très prudente.

M. Jean Glavany. M. Abdullah, ayant déjà eu l’occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises au cours des derniers jours, je vais me contenter de trois questions brèves. D’abord, comment appréciez-vous l’offensive actuellement en cours dans le Helmand sous la conduite des Etats-Unis et le changement de stratégie dont elle témoigne ? Selon vous, que peut faire la communauté internationale pour assurer le bon déroulement des élections législatives prévues en septembre prochain, et éviter que ne se reproduisent les dérives observées dans le déroulement de l’élection présidentielle ? Enfin, quelle est la logique qui sous-tend la création du Parti de la coalition, que vous venez d’annoncer ? S’agit-il d’élargir le champ d’influence de votre mouvement, encore marqué par celui de l’Alliance du Nord ?

M. Jean-Paul Dupré. Pourriez-vous nous indiquer quelle est l’influence que les taliban continuent d’exercer sur la population afghane ? Comment est-elle perçue ?

M. Jacques Myard. Vous avez souligné la détérioration de la situation sécuritaire entre 2002 et 2010. N’est-elle pas la conséquence de la substitution des forces alliées aux Afghans dans ce domaine, alors que ces troupes sont vues comme une force d’occupation ? L’augmentation des effectifs militaires alliés ne va-t-elle pas accentuer cet effet ? Le Pakistan semble jouer double jeu. La guerre ne risque-t-elle pas de gagner son territoire et de s’y poursuivre ? Enfin, quel est votre sentiment sur la question de l’assimilation possible entre les taliban et al-Qaïda, sur laquelle les experts ne sont pas d’accord entre eux ?

M. Robert Lecou. Pour en revenir à la situation économique et sociale de l’Afghanistan, assiste-t-on réellement à un recul de l’économie de la drogue, contrairement aux informations les plus fréquemment reprises dans les média ? Il suffit de connaître l’énorme différence entre le traitement que reçoivent les soldats afghans et les salaires versés par les taliban à leurs hommes de main grâce à l’argent de la drogue pour comprendre à quel point cette question est cruciale pour l’avenir du pays.

M. Philippe Cochet. Dans quel délai pensez-vous que votre pays pourra disposer d’une police et d’une armée autonomes ? Où la lutte contre la corruption en est-elle ? Mis à part des routes, quelles sont les infrastructures qui manquent le plus pour permettre à l’Etat de remplir pleinement son rôle ?

M. Jean-Paul Lecoq. Pensez-vous envisageable qu’une coalition formée par l’ensemble des pays voisins de l’Afghanistan remplace un jour les forces coalisées actuelles pour assurer la stabilité du pays ? En Europe, au cours des dernières décennies, on a assisté à une décomposition de grands Etats puis à la création de pays propres à des peuples historiquement identifiés. Quel pourrait être le modèle pour l’Afghanistan : un Etat centralisé ou un Etat accordant un niveau élevé d’autonomie à chaque peuple ?

M. Michel Terrot. Comment s’explique l’existence d’un flux important de jeunes Afghans migrant vers l’Europe alors qu’ils pourraient participer à la guerre dans leur pays ? L’opinion publique française a du mal à comprendre pourquoi ils ne combattent pas les taliban. Cette immigration est d’autant plus surprenante que vous nous dites que 70 % du pays connaît une paix relative.

M. le président Axel Poniatowski. La situation du Pakistan soulève beaucoup de questions. N’est-ce pas surtout dans ce pays que réside la solution au problème des taliban ? Il semblerait que les autorités aient changé de position et accepté d’alléger les forces militaires stationnées le long de la frontière avec l’Inde pour les redéployer dans la lutte contre les taliban, dans laquelle l’armée de l’air est aussi désormais très impliquée. Comment appréciez-vous cette nouvelle orientation ?

M. Abdullah Abdullah. Pour ce qui est de l’opération conduite par les Etats-Unis dans le Helmand, l’objectif est bon puisqu’il s’agit d’atteindre la base principale des taliban. Mais il va falloir un certain temps pour mesurer la réalité des résultats obtenus. Il existe d’autres sanctuaires pour les taliban, qu’il est urgent de démanteler afin de libérer la population de leur emprise. La stratégie visant à faire de la protection de la population une priorité est la meilleure. Le succès des futures opérations se mesurera à l’importance de la place accordée aux populations et à la qualité du devenir des zones libérées.

La communauté internationale et les Nations unies exercent une forte pression pour que les prochaines élections législatives soient plus transparentes. Actuellement, les membres de la commission électorale et ceux des secrétariats régionaux sont nommés par le président Karzaï sans aucune intervention du Parlement. Il n’est donc pas étonnant que l’élection présidentielle ait été partiale et biaisée en sa faveur. Ce sont les fondements du système qui doivent être modifiés. J’avais demandé une réforme de la commission pendant le déroulement de l’élection présidentielle et il m’avait alors été répondu que c’était trop tard. Il est temps d’opérer cette réforme, avant le début de l’organisation des élections législatives. Puisque la communauté internationale s’inquiète à juste titre de la manière dont le prochain scrutin va se dérouler, elle doit obtenir des modifications dans la composition de la commission et dans le déroulement du processus électoral.

La population ne fait pas confiance aux taliban mais, dans certaines zones, elle n’a pas le choix et doit se soumettre à eux. Certaines personnes ont peur d’être victimes de représailles et n’attendent rien du pouvoir central. L’indifférence de celui-ci risque de conduire à un fort ressentiment au sein de la population, qui sera long à combattre et qui se traduit par une forme de soutien aux taliban.

Il n’est pas exact que la majorité de la population perçoit les forces étrangères comme des forces d’occupation mais il serait incontestablement préférable que l’armée afghane soit davantage présente sur le terrain. La présence étrangère est généralement comprise et appréciée même si un certain nombre d’occasions manquées ont semé le doute sur sa capacité à parvenir à rétablir la situation. Il est vrai que les soldats de l’armée afghane sont beaucoup moins bien payés que les taliban auxquels l’argent de la drogue confère une capacité de recrutement de populations qui n’ont pas d’autre perspective d’avenir. C’est pour briser ce processus que la priorité des autorités doit être de changer la vie quotidienne de la population et de créer de nouvelles opportunités.

La lutte contre la production et le trafic de stupéfiants est loin d’être achevée mais elle a enregistré des succès dans plusieurs provinces et il faut persévérer car c’est un point essentiel. Il est difficile de se prononcer sur la date à laquelle l’Afghanistan disposera d’une police et d’une armée bien formées. L’une des difficultés vient de la nécessité de parvenir simultanément à créer ces organisations et à lutter contre l’insurrection en cours.

En ce qui concerne les migrations de jeunes Afghans, il faut avoir à l’esprit que l’armée est composée uniquement de volontaires et que beaucoup de jeunes gens ne souhaitent pas entrer dans cette carrière. 70 % du pays est certes dans une situation relativement calme mais cette dernière n’est pas pour autant idéale. Il est certain que, dans ces zones, les combats ne justifient pas des départs massifs même si certaines personnes peuvent constituer des cas particuliers qui doivent faire l’objet d’un examen sous l’angle humanitaire. Des progrès en matière de sécurité mais aussi de développement économique et social contribueront au maintien sur place des populations. L’essentiel est de donner à la population de l’espoir, ce qui suppose une vision d’ensemble qui manque actuellement.

Le Pakistan a enfin pris conscience de la nécessité de traiter un problème qu’il a trop longtemps négligé. Il lutte désormais contre les bases des taliban installées dans la région du Waziristan, ce qui constitue une décision courageuse, mais l’opération est rendue particulièrement difficile par l’ancienneté de leur implantation. Si les autorités pakistanaises parviennent à libérer certaines zones de l’influence des taliban, encore faut-il éviter qu’ils s’installent ailleurs alors qu’ils disposent encore de nombreux sanctuaires.

La corruption ne peut être éradiquée que s’il existe au niveau des responsables du pays une volonté d’identifier et de combattre les personnes corrompues. Cela exige du temps, une nouvelle réglementation, l’augmentation des salaires de la fonction publique, mais surtout de la volonté qui fait actuellement défaut, les forces politiques ayant du mal à se mobiliser sur ce thème. Il devient d’autant plus difficile de lutter contre la corruption qu’elle est de plus en plus sophistiquée.

Dans la mesure où il y a plus de quinze ans que les taliban et al-Qaïda travaillent ensemble dans des conditions difficiles, une grande intimité s’est développée entre ces deux mouvements qui sont aujourd’hui largement confondus.

Pour l’élection présidentielle, j’ai déjà fait campagne dans l’ensemble du pays sans me limiter à la zone Nord. L’alliance du Nord n’existe plus depuis neuf ans ; elle a été remplacée par le Front national puis par le Front uni. Ma campagne était particulièrement orientée vers les jeunes gens qui ne se posent pas les questions sous l’angle de l’appartenance ethnique, contrairement à leurs aînés, mais qui s’intéressent avant tout à l’avenir du pays. A Kandahar, l’une des pires zones en terme de trafic de stupéfiants, de corruption et d’insécurité, j’ai tenu une réunion publique à laquelle assistaient 5 000 personnes, dont beaucoup de jeunes, le Président Karzaï ne s’est adressé qu’à 200 personnes, dont la moitié de journalistes, réunies dans un bunker. Nos approches sont très différentes.

J’observe que, au Parlement, se forme désormais des alliances différentes de celles qui existaient traditionnellement, ce qui me semble un point positif.

M. le président Axel Poniatowski. Nous formulons tous des vœux pour que les prochaines élections législatives se tiennent dans de bonnes conditions de sécurité et de sincérité.

Bahreïn : accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Luc Reitzer, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Bahreïn relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile – n° 2200.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Depuis le début de la présente législature, notre commission a déjà examiné cinq accords bilatéraux de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure, conclus avec la Croatie, la Slovénie, l’Albanie, Israël et la Libye. Elle se prononcera tout à l’heure sur un accord du même type avec l’Ile Maurice, tandis que des accords avec l’Arabie saoudite et la Grèce ont été examinées il y a deux jours par le Sénat.

On le voit, la France multiplie depuis quelque temps la négociation et la signature de tels accords. Ce mouvement vise à harmoniser et renforcer la cohérence de la coopération en matière de sécurité intérieure que notre pays a développée avec de nombreux Etats. En conférant une base juridique solide aux actions bilatérales de coopération opérationnelle et technique, ils permettent de les développer.

Etat du Golfe relativement atypique, qui compte 1 million d’habitants dont seulement 50 % de nationaux, sur un archipel de 711 km2, Bahreïn a, à sa demande, renforcé depuis quelques années ses liens avec la France. Si la coopération bilatérale est loin de se limiter à ce champ, elle concerne en l’occurrence la sécurité intérieure et civile, domaine dans lequel Bahreïn rencontre des difficultés particulières.

Comme ses voisins saoudiens et émiriens, Bahreïn mène une politique extérieure pro-occidentale. Il se distingue en revanche de ceux-ci par le degré d’ouverture et de diversification de son économie – les hydrocarbures n’assurent plus que le quart des recettes du pays et Manama, sa capitale, est un centre financier plus important que Dubaï –, par la composition de sa population – les trois quarts des personnes ayant la nationalité de Bahreïn sont chiites, alors que la dynastie régnante est sunnite –, et par son ouverture démocratique.

La composition de sa population, source potentielle de faiblesse, n’est pas sans lien avec le processus d’ouverture et de réforme en profondeur des institutions politiques lancé par le roi Hamad, qui est à la tête de l’Etat depuis 1999. Je rappelle que Bahreïn a acquis son indépendance en 1971, sous la forme d’un émirat, qui a été transformé en royaume en 2002.

Ce processus a conduit à la libération des prisonniers politiques, à l’abolition des lois de sûreté de l’Etat, à l’instauration d’un Parlement bicaméral et à l’organisation d’élections municipales et législatives. Le roi fait également figure de pionnier dans la région du Golfe en matière de droits des femmes : elles bénéficient du droit de vote depuis 2001, deux femmes ont été nommées membres du gouvernement en 2004, une femme a été élue au Parlement en novembre 2006.

Un « dialogue national » a été lancé avec l’ensemble des mouvements politiques du pays, y compris ceux qui avaient choisi de rester à l’écart du jeu politique en boycottant les élections de 2002 pour protester contre un système électoral défavorable à la majorité chiite. Ils ont, depuis, accepté de participer aux élections législatives de novembre 2006. L’opposition chiite et le gouvernement prônent tous deux l’apaisement et le consensus. Les autorités royales mettent plus que jamais en avant leur attachement au respect des droits de l’Homme en favorisant, notamment, la liberté d’expression et de réunion. Le roi a aussi lancé plusieurs initiatives en faveur de la réconciliation et du rejet de tout sectarisme.

Le récent développement des libertés publiques a entraîné la multiplication des manifestations sur la voie publique, dont certaines ont dégénéré en affrontements avec des incendies de bennes à ordure et de véhicules. Elles sont le fait de la population chiite, qui se dit victime d’inégalités et de discriminations, surtout en matière d’emploi – le taux de chômage atteint 15 % de l’ensemble de la population –, de logement et d’accès à la propriété. Des policiers – qui sont tous sunnites – sont régulièrement pris à parti dans certains quartiers de l’archipel. Les autorités ont donc à cœur d’adapter les techniques d’intervention de la police à la nouvelle donne démocratique afin de concilier liberté d’expression et maintien de l’ordre.

La coopération établie depuis quatre ans entre la France et Bahreïn a permis d’accompagner la professionnalisation des unités anti-émeute et d’améliorer la gestion des foules.

Deux menaces de nature très différentes affectent en effet particulièrement Bahreïn : le terrorisme, la menace étant à la fois interne – du fait de la coexistence entre communautés religieuses – et externe – al-Qaïda est très présente dans la région et l’archipel abrite la Vème flotte américaine –, et l’insécurité routière.

Ces deux domaines de coopération figurent donc en bonne place dans le vaste champ d’application de l’accord franco-bahreïnien, signé le 30 novembre 2007.

L’article Ier de l’accord prévoit en effet que la France et Bahreïn s’accordent mutuellement assistance dans une série de domaines : la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, le trafic de stupéfiants, les infractions économiques et financières comme le blanchiment, la traite des êtres humains, le faux et les contrefaçons, la cybercriminalité, ainsi qu’en matière de police scientifique et technique. S’y ajoutent des domaines liés à la sécurité civile : la sûreté du transport aérien, maritime et ferroviaire, la défense civile et la sécurité routière.

L’article III de l’accord énumère « les moyens et les procédures » par lesquels cette coopération peut être menée. Il s’agit surtout d’une coopération technique en matière de formation – formation générale et spécialisée, formation opérationnelle et administrative des agents, formation des personnels responsables de la défense civile –, complétée par des échanges d’informations et d’expériences, d’experts et de spécialistes, de conseils techniques et de documentation. S’y ajoute la possibilité d’envoyer dans l’autre pays des équipes de soutien spécialisées dans la défense civile en fonction de la nature des catastrophes et des moyens de la partie dont l’aide est sollicitée.

L’article IV aborde la coopération opérationnelle en stipulant que chaque partie fournit à l’autre « toute information qui lui parviendrait sur une action criminelle visant l’autre partie, que cette action soit commise ou en préparation sur le territoire de l’une ou de l’autre partie ou dans un pays tiers ». Cette stipulation est minimale, aucune possibilité d’échanger des objets ou des échantillons, voire des informations nominatives, n’étant mentionnée, contrairement à ce qui est le cas dans certains accords de ce type. Il est évident que le système de protection des données personnelles en vigueur à Bahreïn n’offre pas de garanties suffisantes pour autoriser la France, très exigeante en la matière, à transmettre des informations de cette nature.

Comme il est d’usage, les stipulations de cet accord sont très respectueuses des normes nationales et de la souveraineté de chaque Etat partie.

L’article Ier mentionne la prise en considération des « règlements nationaux » ; l’article IV conditionne la transmission d’informations au « respect des législations nationales ».

Surtout, comme c’est toujours le cas dans les accords de ce type, l’article VI permet à une partie de rejeter toute demande de coopération si elle juge que son exécution est susceptible de porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à l’ordre public, aux règles d’organisation et de fonctionnement de l’autorité judiciaire ou – formule très large – à d’autres intérêts essentiels de son Etat.

Par les actions de coopération qu’elle mène à Bahreïn, la France contribue à améliorer les pratiques des organes chargés de la sécurité intérieure et de la défense civile, dans le sens de la conciliation de l’efficacité et du respect des droits et libertés des individus.

Le Sénat ayant adopté le présent projet de loi le 21 décembre dernier, le vote de notre Assemblée permettra au Gouvernement de ratifier l’accord, qui pourra entrer en vigueur rapidement, puisqu’aucune procédure de ratification n’est légalement nécessaire à Bahreïn.

M. Philippe Cochet. Je souhaiterais savoir si l’accord permet une coopération en matière de formation avec l’Ecole nationale supérieure de Police de Saint Cyr au Mont d’Or.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Cette coopération est tout à fait envisageable dans le cadre de l’accord. Par ailleurs, les compagnies républicaines de sécurité ont déjà contribué à la formation des forces de sécurité à Bahreïn.

M. Jacques Myard. Cet accord-cadre ne soulève pas de difficultés particulières. Cependant, en raison de son bénéfice quasi unilatéral au profit de Bahreïn, je m’interroge sur la prise en charge financière des formations.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. L’article 5 de l’accord prévoit simplement que le financement est assuré par les parties à la hauteur de leurs moyens.

M. Jean-Marc Roubaud. Pourriez-vous faire le point sur les relations irano-bahreïniennes, qui n’ont, me semble-t-il, jamais été excellentes ?

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Les relations entre Bahreïn et l’Iran ont effectivement connu des tensions dans les années 70 en raison de la revendication iranienne de souveraineté sur Bahreïn. Si les relations se sont normalisées depuis les années 90, l’occupation persistante par l’Iran de trois îles émiriennes ainsi que le programme nucléaire iranien sont aujourd’hui sources d’inquiétude.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2200).

Maurice : accord relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels et accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure

La commission examine, sur le rapport de M. Michel Terrot, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels (n° 2198) et le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 2199).

M. Michel Terrot, rapporteur. Après leur adoption par le Sénat le 21 décembre dernier, nous sommes saisis aujourd’hui de deux accords avec la République de Maurice, le premier relatif au séjour et à la migration circulaire des professionnels et signé le 23 septembre 2008, le second relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et signé le 13 juin 2008.

Ces textes font figure de « classiques » pour la commission des affaires étrangères puisque la France multiplie actuellement les signatures d’accords dans ces deux domaines. Ils témoignent, en outre, de l’excellence de la coopération entre la France et Maurice.

Paradis touristique, modèle de développement, démocratie stable, Maurice jouit de nombreux atouts mais doit aujourd’hui adapter son économie à la nouvelle donne commerciale mondiale.

Le « miracle mauricien », qui a vu le revenu moyen par habitant passer de 260 dollars lors de l’indépendance en 1968 à 6 400 dollars en 2008, a longtemps reposé sur l’utilisation particulièrement avantageuse d’accords préférentiels pour ses exportations de sucre et de textile ainsi que sur le tourisme, principal moteur de la croissance actuelle.

Face au « triple choc commercial » lié à l’érosion des accords préférentiels relatifs au sucre et aux textiles ainsi qu’au renchérissement du pétrole d’une part et aux limites des infrastructures hôtelières d’autre part, le Gouvernement mauricien a engagé un ambitieux programme pluriannuel de réformes structurelles visant à rétablir l’équilibre macroéconomique et à diversifier l’économie en développant de nouveaux secteurs à fort potentiel de croissance, tels que les nouvelles technologies de l’information et de la communication, le traitement des produits de la mer, la construction de résidences secondaires de luxes autorisées à la vente aux étrangers, etc.

L’orientation de l’économie vers des activités nécessitant une main-d’œuvre plus instruite et qualifiée justifie l’accord relatif à la migration circulaire aujourd’hui soumis à l’Assemblée nationale. Ce dernier s’inscrit dans la continuité du document cadre de partenariat France-Maurice, signé le 2 avril 2007, qui vise à accompagner cette transition économique et qui illustre la qualité des relations entre les deux pays.

La France entretient en effet avec l’île des relations privilégiées, héritées de l’histoire, renforcées par la géographie avec la proximité de La Réunion et nourries par la francophonie.

La France est l’un des premiers partenaires économiques de Maurice : deuxième client de Maurice, troisième fournisseur, elle est de très loin le premier pays de provenance des touristes (42% en 2005, avec 220 000 visiteurs de métropole et 100 000 de La Réunion). C’est également le premier pays de destination des étudiants. Enfin, la France est le premier investisseur étranger à Maurice (52% du stock, soit 426 millions d’euros). Les relations politiques bilatérales sont particulièrement denses.

Les accords que nous examinons apportent une nouvelle preuve de la vitalité des relations franco-mauricennes : le premier permet d’accompagner la transition économique engagée par l’île tandis que le second contribue à consolider l’Etat de droit et la démocratie en développant la coopération policière pour lutter de façon adaptée contre les nouvelles formes de criminalité.

L’accord du 23 septembre 2008 relatif au séjour et à la migration circulaire s’inscrit pleinement dans la politique migratoire française en vertu de laquelle quatorze accords relatifs aux migrations ont été signés à ce jour par la France. Il constitue aussi la première déclinaison du projet novateur du Gouvernement mauricien de requalification des travailleurs des secteurs déclinants de l’île grâce à la migration circulaire.

Le projet repose sur l’idée suivante : les travailleurs mauriciens sont autorisés à venir travailler en France sur la base de contrats à durée limitée. A l’issue du contrat, ils reviennent à Maurice dotés à la fois d’une nouvelle qualification professionnelle et d’une aide financière du Gouvernement s’ils souhaitent créer une entreprise.

Contrairement aux accords de gestion concertée des flux migratoires, cet accord ne comporte que deux volets, le premier relatif à la circulation des personnes, l’admission au séjour et l’immigration professionnelle et l’autre au développement solidaire. Il n’inclut pas de volet relatif à la réadmission, un accord sur ce point ayant déjà été signé à Port Louis le 2 avril 2007.

L’accord, déjà ratifié par les autorités mauriciennes, compte six articles et deux annexes.

L’article 1er de l’accord vise à faciliter la circulation en France des ressortissants mauriciens grâce à la délivrance de visas de circulation aux personnes appartenant à certaines catégories.

L’article 2, relatif à l’admission au séjour, prévoit la délivrance de cinq types de titre de séjour et détermine des quotas pour chacun d’entre eux :

– pour les étudiants, l’autorisation provisoire de séjour et le visa de long séjour portant la mention « stagiaire ».

– En matière d’immigration professionnelle, les ressortissants mauriciens peuvent se voir délivrer un visa de long séjour temporaire portant la mention « migration et développement » ou une carte de séjour portant la mention « compétences et talents ».

– L’accord franco-mauricien a également pour objet de favoriser la mobilité des jeunes Mauriciens en France et des jeunes Français à Maurice.

Le nombre de visas de long séjour portant la mention « migration et développement » d’une part et pour les jeunes professionnels d’autre part est limité respectivement à 500 et 200.

L’article 3 prévoit, au bénéfice des ressortissants mauriciens désireux de créer « une activité génératrice de revenus », une aide à la réinsertion professionnelle et sociale. Des projets de formation professionnelle peuvent également être mis en oeuvre à Maurice selon un programme pluriannuel convenu entre les deux pays.

Si l’accord du 23 septembre 2008 contribue à l’adaptation de la population mauricienne aux évolutions du marché du travail local, l’accord du 13 juin 2008 vise à améliorer la formation de la police mauricienne aux nouvelles formes de criminalité.

Alors que la coopération en matière de sécurité connaît déjà de nombreuses applications, l’accord tend à intensifier les échanges policiers et à leur conférer une base juridique solide. Il contribue au programme « Etat de droit et bonne gouvernance » prévu par le document cadre de partenariat du 2 avril 2007 précité.

La police mauricienne, qui compte 10 700 personnels, doit faire face à des menaces intérieures comme extérieures pesant sur Maurice et par conséquent sur sa réputation de paradis touristique : il s’agit de trafic et consommation de stupéfiants consommation, d’infractions à caractère économique et financier, de blanchiments de fonds, de pêches illégales et autres activités illégales dans la ZEE, de terrorisme, ou encore de piraterie maritime (initialement dans la région somalienne, mais qui s’étend aujourd’hui jusqu’aux Seychelles).

L’accord du 13 juin 2008 s’inscrit dans la très longue liste des accords de coopération en matière de sécurité intérieure auxquels la France est partie. Ce sont ainsi 46 accords qui sont en cours de négociation, signés ou ratifiés avec des pays desquels la France peut attendre un retour au profit de sa propre sécurité. C’est le cas de Maurice en raison de sa position dans l’océan indien et de sa proximité avec La Réunion.

Les douze articles qui le composent n’appellent que des commentaires rapides puisqu’ils ne s’éloignent pas de l’accord-type.

L’article 1er dresse la liste des domaines de coopération au nombre de 14. Les articles 3, 4 et 5 précisent les formes de la coopération dans les domaines suivants : criminalité internationale, stupéfiants et terrorisme. L’article 6 définit l’objet de la coopération technique. Les articles 2, 9 et 10 traitent des conditions de communication et de protection des données nominatives que les parties peuvent échanger en vertu de l’accord. Une demande de coopération peut être rejetée lorsque son acceptation risque de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne ou à la souveraineté, la sécurité, etc.

En conclusion, mes chers collègues, il me semble opportun de ratifier ces accords, de facture très classique, qui soulignent la vitalité de la coopération entre la France et Maurice. C’est pourquoi je vous recommande l’adoption des présents projets de lois.

Mme Marie-Louise Fort. Compte tenu du salaire moyen à Maurice, entre 300 et 400 euros mensuels, estimez-vous que les incitations au retour proposées dans l’accord sont suffisantes ?

M. Michel Terrot, rapporteur. Suffisantes, certainement pas ! Mais l’objectif de l’accord est d’offrir des conditions idéales pour le retour des migrants. La France prévoit un budget d’un million d’euros pour faciliter la réinstallation. Le gouvernement mauricien s’engage également à offrir des primes pour la réimplantation, selon des modalités qu’il lui appartiendra bien entendu de définir.

M. Jean-Paul Lecoq. Le projet d’accord concernant la migration circulaire s’intègre parfaitement dans la politique d’immigration dite choisie menée par le gouvernement actuel. On parle de « favoriser » l’immigration dans l’accord, alors que ce texte cherche en fait à contrôler les flux de migrants et accélérer les retours.

Je constate, par ailleurs, que l’accord prévoit de multiples stipulations concernant les migrations depuis Maurice vers la France, et rien pour les mouvements de population de sens inverse. Pourtant, dans le domaine de la recherche par exemple, certaines migrations depuis la France vers Maurice pourrait favoriser le développement de l’île.

M. Michel Terrot, rapporteur. Cet accord n’est pas l’accord standard de gestion des flux migratoires comportant une clause de réadmission pour lutter contre l’immigration illégale. Votre inquiétude ne concerne pas cet accord, mais un accord-cadre sur les flux migratoires déjà signé avec Maurice, et ratifié. Les quotas définis par l’accord ont été fixés par le gouvernement mauricien, qui veut limiter la fuite des cerveaux.

M. le président Axel Poniatowski. J’étais à Maurice il y a environ deux ans et j’ai été impressionné par le bon niveau de vie de la population, et les déclarations du premier ministre mauricien sur son attachement à la France. Celui-ci a répété ces déclarations lors de son séjour en France l’an dernier. Il existe une véritable volonté de « désangliciser » l’île Maurice, très positive pour notre pays.

M. Jean-Paul Lecoq. Suite aux explications du rapporteur, je ne voterai pas contre le texte relatif au séjour et à la migration circulaire, mais m’abstiendrai et je voterai en faveur du projet de coopération.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification les projets de loi (no 2198 et 2199).

Protocole additionnel à l'accord de siège relatif au rôle de l'inspection du travail sur le site de l'Organisation internationale ITER en matière de santé et de sécurité au travail (n° 2201) – M. Michel Destot, rapporteur

La commission examine, sur le rapport de M. Michel Destot, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole additionnel à l’accord de siège entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale pour l’énergie de fusion en vue de la mise en oeuvre conjointe du projet ITER relatif au rôle de l’inspection du travail sur le site de l’Organisation internationale ITER et portant sur la santé et la sécurité au travail (n°2201).

Mme Michel Destot, rapporteur. Notre Commission a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le projet ITER, lors de l’examen du rapport de notre collègue Claude Birraux sur l’accord de siège de l’organisation internationale ITER.

Projet de réacteur expérimental le plus avancé en matière de fusion nucléaire, ITER doit permettre de progresser vers la maîtrise d’une énergie plus abondante, et mois polluante que toutes les technologies utilisées aujourd’hui.

L’énergie nucléaire repose en effet sur la maîtrise d’une des deux réactions principales intervenant au niveau des noyaux d’atomes : la fission et la fusion.

Toutes les centrales fonctionnant actuellement utilisent la réaction de fission. La réaction de fusion n’est utilisée que pour la fabrication des bombes H. Comparativement, la fusion permet de dégager 4 à 5 fois plus d’énergie que la fission. En plus de ce bilan énergétique favorable, la fusion nucléaire ne produit pas de déchets hautement radioactifs à longue ou très longue durée de vie, contrairement à la fission.

Toutefois, en matière de fusion, nous n’en sommes pas encore au stade industriel. Il faut en effet réussir à entretenir suffisamment longtemps la réaction de fusion par le confinement magnétique de plasmas, qui se créent lorsque de la matière est portée à des températures très importantes.

C’est Mikhaïl Gorbatchev, à la fin des années 1980, qui a choisi de réunir les puissances qui comptent dans le domaine nucléaire : la Russie, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, autour d’un projet majeur qui deviendra ITER. Elles seront rejointes par la Corée du Sud, la Chine et l’Inde.

L’Europe a promu unanimement le site français de Cadarache pour l’implantation d’ITER. En contrepartie, elle assume une part prépondérante des frais de développement des infrastructures, avec une part de 45 % contre 9 % pour chacun des autres partenaires. La France contribue de manière substantielle au budget d’ITER, à travers ses contributions européennes et de manière autonome.

Les retombées pour notre pays sont très importantes. Au-delà de l’intérêt scientifique, technologique et écologique de la maîtrise de la fusion nucléaire, des effets plus immédiats pour l’économie régionale ont été enregistrés. Les entreprises françaises ont déjà remporté des contrats pour un montant total de 230 millions d’euros. Les estimations courantes tablent sur un gain de 3000 emplois environ pour le bassin d’emploi.

Nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur un aspect important qui est celui du droit international régissant les sites où sont implantés les réacteurs de recherche. La règle est que les projets internationaux bénéficiant d’un accord de siège disposent de privilèges par rapport aux droits nationaux. En revanche, ITER, considérée comme une installation nucléaire de base au regard du droit français, est soumis aux mêmes règles que les autres infrastructures nucléaires, industrielles ou de recherche.

Une telle situation n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît. La possibilité pour l’autorité de sûreté nucléaire de pénétrer sur le site international d’ITER est donc une exception à cette règle fondamentale du droit international. A titre d’exemple, le centre européen de recherches nucléaires, à la frontière franco-suisse, n’est pas soumis à la réglementation sur la transparence et la sécurité nucléaires française.

Les principes régissant l’implantation d’ITER en France ont été fixés par l’accord international ITER de 2006, et l’accord de siège signé par l’organisation internationale ITER et la France en 2007.

Le protocole additionnel à l’accord de siège, que nous examinons aujourd’hui, apporte un élément supplémentaire pour la transparence d’ITER, en autorisant l’inspection du travail à vérifier le respect des règles de santé et de sécurité au travail sur ce site.

Le régime organisé par le protocole est très simple. L’inspection du travail convient avec l’administration d’ITER d’un nombre de visites annuelles et de thèmes d’inspection pour la santé et la sécurité des employés du site. Les visites peuvent être menées en coopération avec les autorités d’inspection dans le domaine nucléaire.

ITER est un projet d’avenir pour notre pays, pour l’Europe et pour le monde. La recherche scientifique ne peut que tester des hypothèses, et celle posée par l’énergie de la fusion nucléaire ouvre des perspectives positives pour chacun d’entre nous, quelles que soient ses préoccupations, industrielles ou écologiques.

L’inquiétude que suscitent traditionnellement les nouveaux projets de la filière nucléaire devrait d’autant moins avoir cours pour ITER, que ce programme a été conçu dès l’origine comme devant apporter toutes les garanties de transparence, pour favoriser son acceptation par les citoyens.

Elément important de l’ouverture du programme ITER au contrôle des autorités publiques, le protocole additionnel objet du présent projet de loi me paraît contribuer à accroître encore cette transparence.

M. Jean-Paul Lecoq. Au risque de vous surprendre, je ne suis pas un partisan de la production d’énergie par fission nucléaire. En revanche je pense qu’il est important de développer la recherche sur la fusion nucléaire. Sur le contenu de l’accord, il me semble déceler une difficulté. La possibilité d’inspecter le site d’ITER emporte-t-elle des conséquences en termes de responsabilité des autorités françaises à l’égard de la santé des travailleurs ? Par exemple, dans trente ans, des personnels ayant travaillé sur le site et victimes de maladies professionnelles pourront-ils se retourner, non seulement contre l’organisation internationale ITER, mais aussi contre l’État français pour le compte de ses inspecteurs ? Par ailleurs, en droit français l’inspecteur du travail peut pénétrer sans autorisation dans des locaux professionnels en cas de danger imminent. Cela ne semble pas être le cas dans l’accord qui nous est soumis.

M. Michel Destot, Rapporteur. La seule entité responsable de la radioprotection des personnels, de leur sécurité au travail, est et demeure l’organisation internationale ITER. L’organisation dispose d’un régime propre de protection sociale, qui couvre notamment le risque d’accident de travail. L’applicabilité des règles françaises dans ces domaines permet de fixer des règles strictes sans les possibilités de dérogation que le statut international d’ITER aurait dû lui conférer.

M. Jean-Paul Lecoq. Les sites en question abritent-ils également des organisations représentatives des salariés ?

M. Michel Destot, Rapporteur. Oui, si j’en juge par l’expérience similaire du synchrotron à Grenoble.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2201).

Informations relatives à la commission

Au cours de sa séance du mercredi 24 février 2010, la commission des affaires étrangères a nommé :

La séance est levée à onze heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 24 février 2010 à 9 h 30

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Alain Néri, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jean Roatta, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Roland Blum, Mme Geneviève Colot, M. Michel Delebarre, M. Tony Dreyfus, M. Gaëtan Gorce, M. Jean-Claude Guibal, M. François Loncle, M. Jean-Marc Nesme, M. Jacques Remiller, M. Michel Vauzelle

Assistait également à la réunion. - Mme Françoise Hostalier