Communication de MM. Maurice Leroy et René Rouquet à la suite de leur mission d’observation des élections législatives en Irak le 7 mars 2010.
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, Messieurs, d’avoir accepté de partager avec les membres de la Commission des affaires étrangères leur expérience d’observateurs des élections législatives irakiennes du 7 mars dernier.
Vous vous êtes rendus en Irak du 5 au 8 mars, à l’invitation du président de la République de ce pays et du président du Conseil des Représentants. Vous étiez accompagnés de deux sénateurs ainsi que d’une députée européenne, et une vingtaine d’observateurs non parlementaires complétait cette délégation.
Ce scrutin était particulièrement important puisqu’il s’agissait des deuxièmes élections législatives depuis le changement de régime, mais des premières auxquelles l’ensemble des partis politiques avait appelé les Irakiens à participer. En dépit des risques pour leur sécurité, près de 62 % d’entre eux sont allés voter.
Les résultats, très serrés, ont été officiellement annoncés vendredi dernier par la commission électorale : le Bloc irakien de M. Allaoui a obtenu 91 sièges – contre 89 pour l’Alliance pour l’État de droit de M. Maliki – sur un total de 325 sièges. Alors que le vainqueur a lancé samedi les négociations pour tenter de former une coalition gouvernementale avec l’ensemble des forces politiques, le premier ministre sortant, M. Maliki, a sévèrement critiqué dimanche l’envoyé spécial de l’ONU en Irak, M. Ad Melkert, qu’il accuse d’inaction face aux accusations de fraude. M. Melkert a qualifié les élections de « crédibles ». Partagez-vous, chers collègues, ce sentiment ?
Par ailleurs, pourriez-vous décrire le dispositif mis en place par les Nations unies à l’occasion de ce scrutin ?
Comment la sécurité des bureaux de vote était-elle assurée ? Plus généralement, comment avez-vous perçu la situation sécuritaire dans l’ensemble du pays ?
En outre, quels thèmes avez-vous abordés au cours de votre discussion avec le président de la commission des affaires étrangères du Parlement irakien ? Avez-vous évoqué la question de l’influence de l’Iran sur l’Irak ?
M. Maurice Leroy. M. René Rouquet et moi-même sommes très heureux de faire part à votre Commission de ce que nous avons observé en Irak.
Je précise tout d’abord que, invités par le gouvernement et le parlement irakiens, nous représentions en Irak le bureau de l'Assemblée nationale.
Nous avons été d’autant plus impressionnés par la qualité de l’organisation des élections que, comme la presse française et la presse internationale l’ont rapporté, elles se sont déroulées dans un climat tendu : je rappelle que la veille et le jour même du scrutin, Al Qaïda a revendiqué plusieurs attentats qui ont fait 38 morts et 118 blessés. De plus, à la différence de nos collègues sénateurs, MM. Jacques Gautier et Aymeri de Montesquiou, qui se sont rendus dans une zone totalement sécurisée à Erbil, dans le Kurdistan irakien, nous étions en plein cœur de Bagdad.
Par ailleurs, il est notable que, à l’exception de l’aéroport qui demeure sous leur garde, plus aucun soldat américain n’est présent dans la capitale : ce sont bien l’armée et la police irakiennes qui y assurent la sécurité.
Si 125 observateurs européens ont été déployés dans le pays – dont de nombreux diplomates –, la délégation parlementaire française était la plus nombreuse, comme n’ont pas manqué de le souligner la presse, unanime, ainsi que le président de la haute commission électorale indépendante irakienne (HCEI), celui du Conseil des Représentants et celui de la commission des affaires étrangères de ce même Conseil.
L’organisation des bureaux de vote était, quant à elle, remarquable malgré des conditions de sécurité draconiennes – même si le dispositif été assoupli en cours de journée –puisque la circulation automobile était interdite afin de prévenir toute tentative d’attentat. Les bureaux de vote, pour la plupart, étaient installés dans des écoles, chacun d’eux n’accueillant pas plus de 500 électeurs. Nous en avons visité trois – dont le seul qui était ouvert à la presse irakienne et internationale – où nous avons été notamment frappés par la présence de nombreuses femmes, tant parmi les électeurs que parmi les responsables des bureaux et les assesseurs des partis politiques, lesquels ont bien entendu contribué également à vérifier la régularité du scrutin.
Le vote s’est déroulé dans une atmosphère « bon enfant », inattendue compte tenu des difficultés – check points à franchir, menaces terroristes. Les électeurs se sont déplacés en famille et à pied, en un véritable élan populaire dont témoigne le taux de participation de 62 %. La lecture du bulletin de vote n’était pourtant pas aisée, en raison de son très grand format et d’une division en deux parties – liste des candidats, puis liste des partis politiques associée à leurs logos. Par ailleurs, les candidats étaient 6 171 pour 325 sièges et le Conseil des Représentants doit comporter, constitutionnellement, 25 % de femmes !
Dans ces conditions, les contestations du premier ministre sortant, M. Maliki, sont un peu étonnantes – il ne me semble d’ailleurs pas qu’il ait émis des doutes lorsqu’il pensait sortir victorieux de cette consultation électorale. Cela étant, il n’est, et il n’a jamais été question pour nous de nous immiscer dans les affaires intérieures de l’Irak et nous nous sommes bornés à jouer notre rôle d’observateurs.
De surcroît, contrairement à l’élection précédente, ce ne sont pas des listes confessionnelles, en l’occurrence sunnites et chiites, ou des listes représentatives d’une division entre le nord et le sud du pays qui se sont affrontées : c’est un véritable processus démocratique qui a été engagé.
En ce qui concerne le dépouillement des bulletins de vote, le cahier des charges de la HCEI était assez strict puisque l’affichage obligatoire des résultats dans chacun des bureaux de vote, sitôt cette opération achevée, a permis à toutes les formations politiques d’exercer pleinement leur droit de contrôle.
Je considère qu’avec ces élections les Irakiens ont manifesté leur volonté politique de vivre ensemble indépendamment de toute autre considération, notamment, je le répète, confessionnelle.
M. René Rouquet. Je m’associe, bien entendu, aux propos de mon collègue Maurice Leroy et je tiens à saluer la manière dont notre mission a été organisée par notre ambassadeur en Irak, M. Boris Boillon, ainsi que par l’ensemble de ses services.
Familier de ces missions d’observation, j’avoue m’être inquiété du déploiement annoncé de 800 000 policiers et militaires – pour un pays qui compte 20 millions d’habitants – et d’un réveil matinal au bruit des mortiers. Or, augurant favorablement de la suite du processus démocratique, de très nombreux Bagdadis ont arpenté les rues dès neuf heures du matin et se sont dirigés, en famille, vers les bureaux de vote, suivant ainsi les consignes de mobilisation citoyenne lancées par l’ensemble des responsables politiques.
J’ajoute que M. Hammoudi, le président de la commission des affaires étrangères du Parlement, personnalité chiite assez marquée sur le plan religieux, s’est lui-même montré d’une grande ouverture et a fait preuve de sa volonté de rassemblement – à l’instar, d’ailleurs, de l’ensemble de nos interlocuteurs.
Pour toutes ces raisons, je suis revenu de cette mission à la fois ému et enthousiaste.
M. Maurice Leroy. À mon tour, j’insiste sur la qualité de l’accueil de M. l’ambassadeur et de ses services. Cependant, si la délégation française est la seule délégation composée d’élus – avec, il est vrai, celle de nos amis et collègues de la Ligue arabe – à s’être rendue dans les bureaux de vote le jour du scrutin, c’est aussi grâce à l’admirable travail de protection rapprochée effectué par les gendarmes d’élite du GIGN.
J’ajoute que le président du Parlement, M. Al-Samarraï, nous a indiqué que les autorités irakiennes avaient elles-mêmes déployé 23 000 observateurs dans l’ensemble du pays.
M. François Rochebloine. Disposez-vous d’éléments précis concernant le déroulement de la campagne électorale ? Avez-vous rencontré les responsables des différents partis politiques ? L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) était-elle présente ? Le fait que les militaires aient été appelés à voter la veille du scrutin dans des bureaux spéciaux a-t-il pu influer sur leurs suffrages ? Quid des inscriptions sur les listes électorales ? Enfin, comment la présence des observateurs français a-t-elle été perçue ?
Mme Martine Aurillac, présidente. Qu’en était-il des horaires d’ouverture des bureaux de vote ?
M. Maurice Leroy. Ils étaient ouverts de huit heures du matin à cinq heures du soir. Toutefois, avec l’accord des représentants des partis, on a permis à des personnes qui attendaient leur tour de voter un peu après la fermeture des bureaux à dix-sept heures.
En ce qui concerne la campagne électorale, chaque parti avait ses propres relais et réseaux.
M. François Rochebloine. Qu’en était-il, par exemple, de la présence de panneaux électoraux ?
M. Maurice Leroy. Il est certain que l’affichage était anarchique et qu’il faisait fi du développement durable !
Il faut également dire que les réponses que nous avons eues quant à la participation de la population aux réunions politiques n’étaient pas très claires. En l’occurrence, sans doute serait-il utile de comparer la situation des zones sécurisées – telle celle d’Erbil, où se trouvaient donc nos collègues sénateurs – et celle des zones qui le sont moins, comme Bagdad.
M. François Rochebloine. Quid des débats électoraux ?
M. Maurice Leroy. Il n’y en a pas vraiment eu, même si le scrutin lui-même a fait l’objet d’une intense couverture médiatique.
S’agissant des inscriptions sur les listes électorales, nous n’avons pas eu d’information particulière.
M. René Rouquet. J’ai rarement vu autant d’affiches électorales, qu’elles émanent de grands ou de petits candidats !
Par ailleurs, j’ai été un peu choqué que les militaires aient voté la veille du scrutin général.
M. François Rochebloine. Dans des bureaux spécialement dédiés ?
M. René Rouquet. En effet.
M. Maurice Leroy. Les soldats devant assurer la sécurité des autres électeurs, il faut reconnaître qu’il était difficile de les faire voter le même jour.
M. François Rochebloine. Les responsables politiques que vous avez rencontrés vous ont-ils fait part de fraudes éventuelles durant la campagne électorale ? Si l’organisation du scrutin n’a manifestement pas posé de problème, qu’en a-t-il donc été les jours précédents ?
M. Maurice Leroy. Les représentants des alliances anticipaient les questions que nous nous apprêtions à leur poser à ce sujet : certes, des irrégularités sont toujours possibles, déclaraient-ils, mais elles ne remettront pas en cause le résultat du processus démocratique lui-même. Par ailleurs, ces responsables avaient déployé auprès de la HCEI une centaine d’experts prêts à instruire les plaintes en cas de fraude. Je le répète : les contestations ne se sont fait jour qu’après la proclamation des résultats, pas avant. Les universitaires et des intellectuels que nous avons rencontrés n’ont jamais songé non plus, à ce moment-là, à critiquer le processus électoral.
M. Didier Julia. Je rappelle, tout d’abord, que ce sont 70 % des Irakiens qui s’étaient rendus aux urnes en 2005 contre 62 % cette année.
De quel quartier de Bagdad provenait le « feu d’artifice » de mortiers auquel vous avez été confrontés ? À qui a-t-il été imputé ? À des sunnites qui auraient été exclus des élections ?
Par ailleurs, si l’élection n’a pas été déterminée par des considérations confessionnelles et si la liste de M. Allaoui était assez ouverte, je note que celle de l’Alliance nationale irakienne était chiite tout comme, dans une moindre mesure, celle soutenue par M. Maliki. Cela dit, qu’en a-t-il été du vote des chrétiens ? Ont-ils fait l’objet de pressions pour les dissuader de se rendre aux urnes ?
Je rappelle au passage que les bulletins électoraux de nos propres élections régionales n’étaient sans doute pas moins complexes que ceux des Irakiens, surtout lorsque l’on songe qu’il fallait parvenir à les plier dans des enveloppes minuscules !
Par ailleurs, ces élections en Irak, dont il faut rappeler qu’elles avaient un caractère régional, ont-elles néanmoins favorisé l’émergence d’un nouveau sentiment national ? Si tel est le cas, n’est-ce pas aussi en raison du retrait des troupes américaines, lesquelles avaient séparé les chiites et les sunnites qui, aujourd’hui, se retrouvent comme par le passé ?
Comment la campagne électorale a-t-elle été financée ? Quelle a été la part respective de l’État et des régions ?
Enfin, les femmes ont-elles voté sans voile ?
M. Maurice Leroy. La taille des affiches électorales étant proportionnelle à la puissance des partis politiques qui les ont imprimées, ce sont bien eux qui ont financé la campagne électorale ! Dès lors, la formation au pouvoir et celle qui, dans l’opposition, est la plus structurée, disposaient d’un avantage certain.
Par ailleurs, je ne saurais dire précisément d’où venaient les huit tirs de roquette que nous avons entendus mais M. l’ambassadeur Boillon pourrait sans doute vous informer. À ma traditionnelle interrogation matinale – « Ça boume ? », il a d’ailleurs répondu : « Ça a boumé ! ». Quoi qu’il en soit, ces tirs ont été revendiqués par Al Qaïda.
M. Didier Julia. Cela ne veut rien dire.
M. Maurice Leroy. Les services de l’ambassade savent fort bien à quoi s’en tenir.
La participation électorale, quant à elle, a en effet été moindre qu’en 2005 mais la volonté de poursuivre le processus démocratique a été constamment réaffirmée. J’ajoute que les responsables des listes à dominante confessionnelle ont eux-mêmes insisté sur le sentiment national qui les a animés, indépendamment aussi de toute considération régionale.
M. Didier Julia. Quid de la récusation de près de 200 candidats sunnites en raison de leur proximité avec le parti Baas ?
M. Maurice Leroy. La HCEI, notamment, a évoqué cette question. Pour elle, il importe évidemment avant tout de tourner la page de la « dictature de Saddam Hussein ».
Enfin, aucun témoignage direct ne permet de penser que les chrétiens ont été empêchés de voter.
M. Didier Julia. Vous n’avez pas posé la question ?
M. Maurice Leroy. Nous n’en avons pas eu l’occasion. Toutefois, nous avons rencontré des religieuses chrétiennes, responsables d’un hôpital, qui ont refusé d’être filmées, même par des caméras françaises, par crainte d’éventuelles représailles.
M. René Rouquet. Et elles ne voulaient pas qu’on sache qu’elles avaient reçu des dons financiers.
M. Maurice Leroy. Tout ne va donc pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, évidemment, mais la formule de « processus démocratique » n’a jamais été aussi justifiée : il est d’ores et déjà remarquable que, dans cette région du monde, des élections aient été organisées, que les urnes aient été transparentes, etc.
La complexité du bulletin de vote, quant à elle, ne résultait pas de son seul format : outre que l’électeur devait choisir un parti politique, il lui fallait aussi désigner un candidat dont il pouvait changer le rang dans la liste ! C’est pire que notre bulletin des élections régionales ! Pensons aux personnes âgées et à celles qui sont analphabètes – lesquelles avaient d’ailleurs le droit de se faire accompagner !
Par ailleurs, la compétition était telle qu’un contrôle absolu était impossible mais, je le répète, plus de 6 000 candidats pour 325 sièges, des assesseurs de tous les partis politiques présents toute la journée, un dépouillement à bureaux fermés, voilà qui constitue de sérieuses garanties !
M. Didier Julia. Avez-vous fréquenté des administrations irakiennes ? La plupart d’entre elles sont dirigées par des femmes.
M. Maurice Leroy. Nous ne sommes restés que trois jours. Et les femmes étaient nombreuses, en effet, dans chaque bureau de vote. Gardons-nous donc des caricatures !
M. René Rouquet. J’ajoute que nous n’avons pas vu de burqa.
M. Gilles Cocquempot. Quel document les électeurs ont-ils dû fournir pour prouver leur identité ? Une carte d’électeur attestait-elle de leur inscription sur les listes ?
M. Maurice Leroy. En effet, ou bien tout autre document administratif, comme chez nous. En outre, il s’agissait de bureaux de quartiers, où tout le monde se connaît plus ou moins. Je le répète : l’organisation du vote a vraiment été remarquable.
M. René Rouquet. Jusque dans la façon de recevoir les électeurs.
Mme Marie-Louise Fort. Les Irakiens protestent-ils avec autant de force que les Turcs et les Syriens – adeptes d’un islam modéré – de leur attachement à la démocratie et à la laïcité ?
M. Maurice Leroy. Si leur volonté démocratique ne fait aucun doute, nous n’avons pas eu l’occasion d’aborder les questions liées à la laïcité.
Mme Martine Aurillac, présidente. Si les chrétiens n’ont pas été victimes de discriminations, qu’en a-t-il été des Kurdes ?
M. Maurice Leroy. Eux non plus n’ont pas eu, à ma connaissance, à en souffrir.
Mme Martine Aurillac, présidente. Je vous remercie.
La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mardi 30 mars 2010 à 17 h 30
Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Louis Bianco, M. Alain Bocquet, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, Mme Marie-Louise Fort, M. Didier Julia, M. Jean-Pierre Kucheida, M. François Loncle, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. Michel Vauzelle
Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. Christian Bataille, M. Roland Blum, Mme Chantal Bourragué, Mme Geneviève Colot, M. Serge Janquin, M. Robert Lecou, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Schneider, M. Michel Terrot
Assistaient également à la réunion. - M. Maurice Leroy, M. René Rouquet