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Commission des affaires étrangères

Mardi 29 juin 2010

Séance de 17 h 30

Compte rendu n° 78

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l’actualité internationale (ouverte à la presse)

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l’actualité internationale

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

M. Axel Poniatowski, président de la Commission des affaires étrangères. Nous recevons aujourd’hui M. Bernard Kouchner, afin d’évoquer, comme nous le faisons régulièrement, les principaux dossiers de l’actualité internationale.

Monsieur le ministre, comment analysez-vous les résultats des récents sommets du G20 et du G8 ?

Que pensez-vous de la situation au Moyen-Orient, qui reste toujours aussi préoccupante, avec le blocus de Gaza et les derniers rebondissements de la question nucléaire iranienne ?

Lors d’une précédente audition, nous avions évoqué les violences en Guinée ; ce pays, dont les habitants ont été appelés aux urnes il y a quelques jours, est-il en passe de retrouver la paix ?

Avec la création du Service européen pour l’action extérieure, prévu par le traité de Lisbonne, l’Union européenne entend se doter de nouveaux moyens et d’une structure performante. Notre Commission vient d’adopter une proposition de résolution de la Commission des affaires européennes visant à encourager la constitution d’une diplomatie européenne, au sein de laquelle la France aura un rôle éminent à jouer. À ma demande, la Conférence des présidents a décidé ce matin qu’un débat sur cette résolution serait inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à la rentrée. Pouvez-vous nous dire où en est ce dossier ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Le sommet du G8 a permis de lancer l’initiative de « Muskoka » sur la protection de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, qui fait partie des objectifs du millénaire. La France a décidé de s’inscrire dans cette démarche et d’ajouter à sa contribution au Fonds mondial, actuellement fixée à 300 millions d’euros, une participation supplémentaire de 500 millions sur cinq ans. Il faudra veiller à tenir cette promesse.

Le G8 a abordé, à la demande des Anglais et des Américains, la question de l’accountability, c’est-à-dire de l’exigence de transparence concernant l’utilisation de l’argent du développement. Il a également évoqué des dossiers relatifs à la paix et la sécurité internationales, comme ceux de la Corée du Nord, du Proche-Orient, du Pakistan et de l’Afghanistan – j’ai d’ailleurs reçu aujourd’hui le ministre afghan de l’agriculture, afin d’examiner les projets soutenus par la France dans ce pays devenu presque autosuffisant de ce point de vue. Enfin, des sessions élargies ont été consacrées à l’Afrique et à l’Amérique latine.

Quant au G20, il semble désormais faire partie des habitudes diplomatiques, avec l’organisation tous les six mois d’un sommet portant essentiellement sur les affaires économiques, sous présidence tournante. À Toronto, la France avait proposé que la réunion soit consacrée à la réforme du système économique ; la chancelière Merkel et le président Sarkozy avaient adressé aux autres membres du G20 une lettre suggérant que soient examinées plus particulièrement les questions de la taxation des banques et des financements innovants – une proposition faite de longue date par la France –, mais les discussions n’ont débouché sur aucune décision, malgré un accord de principe entre les trois pays européens participants. La création d’une taxe sur les monnaies – que propose le FMI – ou d’une contribution sur les transactions financières – qui a notre préférence – permettrait de financer l’aide au développement et la lutte contre les effets du changement climatique, mais le soutien du président Obama à notre initiative n’a pas été suffisant pour parvenir à un accord sur la gouvernance économique mondiale.

Le projet de Service européen pour l’action extérieure a été étudié lors du conseil des ministres des affaires étrangères du 26 avril ; la France a fait plusieurs propositions. Mme Ashton a rencontré les parlementaires européens le 21 juin et un accord a été trouvé afin d’élargir les compétences du nouveau service – la proposition de résolution de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale étant encore plus ambitieuse.

Le Service comprendrait 3 à 4 000 personnes, et serait géré par un secrétaire général, assisté de deux adjoints, et par un directeur général chargé des matières économiques et budgétaires. Le personnel proviendrait soit de la Commission, soit du Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne (SGC), soit des services diplomatiques des vingt-sept États membres. Quant aux représentants du Service dans les différents pays, un premier choix a été fait ; sur neuf candidats français, quatre ont été présélectionnés.

Les compétences du Service ont donc été élargies, en particulier dans le domaine de l’aide au développement, dont les trois premières étapes seront sous la responsabilité de Mme Ashton, avec la participation du commissaire pour le développement. Des critiques ayant été émises sur le niveau trop élevé de la contribution de la France au budget du Fonds européen de développement (FED), je précise que cela l’inclut ; notre participation, qui était d’environ 24 %, a été revue à la baisse, mais elle reste de 19 % et l’aide publique française au développement s’élèvera cette année à quelque 10 milliards d’euros. Le Service européen pour l’action extérieure a donc de grandes ambitions. Y serons-nous noyés ? J’espère que non.

Mme Ashton a déjà du pain sur la planche, alors que ses services ne seront en état de fonctionner qu’à partir du 1er décembre 2010 au plus tôt. Soulignons qu’elle a tenu ses promesses et qu’elle a présenté son projet au Parlement européen à peu près dans les délais impartis ; un nouveau débat est prévu en juillet.

Il convient donc d’attendre avant de porter un jugement. La France soutient Mme Ashton depuis le début. Je trouve qu’elle a déjà fait beaucoup de choses, avec peu de moyens et de personnel. Pour l’instant, elle court d’un pays à l’autre, prenant des initiatives généralement positives, mais sans pouvoir s’affirmer réellement comme la représentante des Vingt-sept. Lorsque le Service disposera de sa propre représentation dans chaque pays, ce sera plus facile. Il faudra alors mettre au point un mécanisme de concertation afin d’aboutir à des accords lui permettant de jouer son rôle de Haut Représentant. Ce sera une rude tâche !

Prenons l’exemple de Gaza. La France, l’Italie et l’Espagne avaient proposé la réactivation de la mission d’assistance à la frontière de l'Union européenne (EU-BAM), la levée du blocus et la mise en œuvre d’un contrôle maritime. Cette proposition, reprise par Mme Ashton, est devenue la position de l’Union européenne. Jeudi soir aura lieu, au Quai d’Orsay, une réunion du comité de suivi de la Conférence des donateurs pour l’État palestinien, avec M. Blair, représentant spécial du Quartet pour le Proche-Orient, Mme Ashton, M. Jonas Gahr Store, ministre norvégien des affaires étrangères, M. Aboul Gheit, ministre égyptien des affaires étrangères, et M. Salam Fayyad, Premier ministre palestinien. À cette occasion, nous pourrons vérifier combien la coopération entre Mme Ashton et les pays européens a été positive – bien qu’insuffisante.

J’estime que la France a joué un rôle extrêmement positif en Guinée. Il s’agissait des premières élections libres dans ce pays. La campagne s’est déroulée sans violences, bien qu’il y ait eu quelques incidents trois jours avant le scrutin. Celui-ci s’est déroulé dans de bonnes conditions, avec vingt-quatre candidats et une participation étonnamment forte. Les résultats seront connus demain ou après-demain, et le deuxième tour est programmé pour la première semaine d’août.

Après le massacre du stade de Conakry, la situation s’est débloquée à l’appel de la France, avec la contribution de l’Union africaine, puis de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de l’Union européenne, de l’ONU et de la Cour pénale internationale, qui s’était autosaisie.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions quant à la position de la France concernant les demandes d’enquête sur l’assaut mené par l’armée israélienne contre la flottille en route pour Gaza ? Comme pour le rapport Goldstone, Israël semble refuser toute intervention de la communauté internationale. Ne pourrait-on faire preuve d’une plus grande fermeté ?

Par ailleurs, un sommet entre dirigeants français et africains s’est tenu récemment à Nice et des élections ont eu lieu en Mauritanie, conformément à l’accord de Dakar – qui semble d’ailleurs avoir été remis en cause lors de la table ronde de Bruxelles. Il semble que ces élections ne se soient pas déroulées de manière aussi démocratique qu’en Guinée. Quel rôle a joué la France en la matière ?

M. François Rochebloine. Lors du sommet du G8, les présidents russe, américain et français ont adopté une déclaration commune sur le Haut-Karabakh. On peut s’en réjouir, mais la situation est bien plus compliquée que ne le dit ce texte.

Les 18 et 19 juin, au lendemain de la rencontre, sous la houlette du président Medvedev, entre les présidents Aliev et Sarkissian, des attaques azéries dans le nord de la ligne de contact entre le Haut-Karabakh et l'Azerbaïdjan ont fait cinq morts. Manifestement, l’Azerbaïdjan se moque de ce que fait le groupe de Minsk.

Le ministre azéri des affaires étrangères a déclaré : « Nous avons un grave conflit armé. Le conflit n’est pas gelé. » Et il a ajouté, à l’occasion d’une conférence de presse : « Certains, à commencer par l’Arménie, accusent l’Azerbaïdjan de se laisser aller à la rhétorique martiale, mais il doivent savoir que cette rhétorique sera en vigueur jusqu’au règlement du conflit. » Bref, l’Azerbaïdjan semble oublier qu’il a signé un cessez-le-feu en mai 1994 !

À cette rhétorique de guerre s’ajoute une course à l’armement : au cours des sept dernières années, les dépenses militaires de l’Azerbaïdjan ont été multipliées par treize, pour atteindre aujourd’hui 2,2 milliards de dollars.

Je me suis rendu dernièrement dans le Haut-Karabakh ; on m’a refusé l’accès aux zones les plus sensibles pour des raisons de sécurité. Monsieur le ministre, la situation dans cette partie du Caucase est explosive !

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, voilà plusieurs mois que je vous harcèle pour obtenir la vérité sur la disparition d’un opposant au président tchadien Idriss Déby. L’Assemblée nationale a voté à l’unanimité une résolution tendant à ce que le comité restreint de suivi de l’enquête soit élargi à des observateurs internationaux. La réponse du président Déby, qui n’a pas pris la peine de donner d’autre explication à son refus que la protection de la souveraineté tchadienne, pourrait être jugée offensante par quiconque ferait preuve d’un peu de susceptibilité – ce qui ne semble pas être le cas du gouvernement français.

Le comité de suivi est aujourd’hui en voie d’éclatement. Le procureur général est décédé, et il y a de grandes chances pour qu’en juillet, on n’ait toujours pas d’informations sur le sort d’Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Pourquoi la France montre-t-elle si peu de détermination pour obtenir la vérité ? Depuis trois ans, on nous dit que les relations entre la France et l’Afrique ont changé ; il serait bon qu’on en ait la démonstration !

En l’espèce, nous continuons à soutenir un régime qui fait désormais l’unanimité contre lui : Amnesty International a rédigé des rapports accusateurs ; la commission d’enquête internationale, qui a rendu ses conclusions au mois d’août, a évoqué « des exactions menées contre la population tchadienne », qu’elle n’a pas été loin de qualifier de « crimes de guerre » – ce que nous a confirmé M. Zimeray, notre ambassadeur pour les droits de l’homme, lors de son audition ; l’ambassade des États-Unis a récemment publié un rapport accablant sur le comportement du gouvernement tchadien à l’égard des populations civiles.

Pourquoi la France entretient-elle des relations aussi étroites avec un tel régime ? Pourquoi 2 000 militaires français sont-ils toujours en poste à N’Djamena ? Pourquoi des sociétés françaises aident-elles le Tchad à reconstruire son ambassade à Paris ?

M. François Loncle. Plusieurs mois après le scrutin en Mauritanie, ses résultats sont toujours contestés, ce qui montre la fragilité du processus démocratique dans ce pays. Or une grande partie de la campagne de celui qui a été élu s’est déroulée à l’ambassade de France… C’est dire les mœurs de la Françafrique !

S’agissant de la Guinée, monsieur le ministre, vous avez oublié de citer le nom du principal médiateur du processus qui a abouti à l’élection libre : le président Blaise Compaoré, qui joua un rôle déterminant dans l’évacuation des criminels, à commencer par Dadis Camara, lequel avait été très en cour au Quai d’Orsay et dans certaines officines africaines proches de l’Élysée.

M. le ministre. C’est faux ! Il n’a jamais été bien vu au Quai d’Orsay !

M. François Loncle. Je vous en donnerai les preuves écrites. Mais ma question ne porte pas sur ce sujet.

Dans le projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, que nous examinerons le 5 juillet, un cavalier législatif prévoit à l’article 13 que l’État peut exiger le remboursement de tout ou partie des dépenses engagées pour secourir des personnes enlevées. Je trouve cela extrêmement choquant. Auriez-vous demandé à Mme Ingrid Betancourt, qui a été enlevée à la suite d’une imprudence, ou à Mme Florence Aubenas, de rembourser les frais occasionnés par leur libération ? Exigerez-vous que les deux journalistes de France 3 le fassent, étant donné que M. Guéant, le général Georgelin et vous-même avez jugé que les dépenses engagées étaient « considérables » ?

M. le ministre. Je n’ai jamais dit cela !

M. François Loncle. Pourtant, j’ai lu dans la presse que vous estimiez que les journalistes avaient été extrêmement imprudents !

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous n’étiez présent ni au G8, ni au G20…

M. le ministre. Non, car ce n’est pas l’usage que les ministres des affaires étrangères y participent !

M. François Loncle. J’aimerais en avoir confirmation.

Durant le G20, le président Uribe a eu avec le président français un entretien au cours duquel il a rappelé les pressions exercées par M. Sarkozy pour que soient libérés « massivement » les rebelles prisonniers, ce qui a abouti à la libération de M. Rodrigo Granda. En dépit des engagements pris, M. Granda a rejoint les FARC et procède à nouveau à des enlèvements. Voilà les conséquences des compromis invraisemblables passés entre la France et la Colombie !

M. Jean-Michel Boucheron. Monsieur le ministre, vous avez exigé – avec raison – que soit libéré le soldat Shalit. Mais que comptez-vous faire, sachant que nous n’avons pas de relations officielles avec le Hamas ?

Je constate que l’on a rejeté avec un peu de dédain la Turquie et que désormais, elle regarde vers d’autres horizons.

La France n’a réagi que faiblement à l’attaque de la flottille au large de Gaza. Pourtant, l’argument de la légitime défense ne tient pas, dès lors qu’un citoyen américain a été tué de cinq balles ! Enfin, la proposition française reviendrait à nous charger nous-même du siège de Gaza !

Tous ces exemples vont dans le même sens. Un certain nombre d’observateurs étrangers considèrent que la France a perdu sa position de médiateur dans cette zone du monde, et notent une nette dérive vers un alignement de notre pays sur les positions israéliennes. Êtes-vous d’accord ?

Mme Marie-Louise Fort. Dans le cadre d’une mission sur la Turquie, j’étais, avec plusieurs de mes collègues, en Israël et à Ramallah juste avant l’arraisonnement de la flottille. Les réactions internationales sont très hypocrites, car tout le monde, tant du côté israélien que du côté palestinien, savait très bien ce qui allait se passer. Ne pourrait-on faire en sorte d’éviter que les choses arrivent, plutôt que de pousser des cris d’orfraie après coup ?

Monsieur le ministre, que pensez-vous du positionnement de la Turquie dans cette région du monde ? Confirmez-vous que le Président de la République s’y rendra prochainement ?

Mme Chantal Bourragué. Pouvez-vous nous donner des nouvelles des deux journalistes enlevés en Afghanistan ?

Y a-t-il un moyen de contrôler l’affectation des 100 millions supplémentaires que la France donnera chaque année au titre de sa contribution au Fonds mondial ?

M. le ministre. Monsieur Lecoq, notre réaction à l’attaque de la flottille a été très claire. Le Premier ministre a annoncé devant l’Assemblée nationale que le gouvernement français condamnait l’opération militaire israélienne, de même qu’il avait condamné, dès le premier jour, l’entrée des troupes israéliennes dans Gaza.

Notre position n’a pas changé : si nous comprenons qu’il y ait une réaction israélienne aux tirs de missiles, nous estimons que le blocus de Gaza n’est pas une solution, bien au contraire, car il favorise le trafic de marchandises au moyen des dizaines de tunnels qui ont été creusés.

La proposition de la France, de l’Italie et de l’Espagne vise à une levée du blocus beaucoup plus importante que celle à laquelle nous assistons. Toutefois, la pression internationale a permis d’obtenir un premier allégement, avec l’établissement d’une liste de marchandises interdites, le reste étant désormais autorisé.

Monsieur Boucheron, venez donc demander jeudi à M. Abou Mazen si nous sommes encore capables de médiation ; c’est ce que nous faisons en permanence !

M. Jean-Michel Boucheron. Il est votre seul interlocuteur !

M. le ministre. Mais l’Autorité palestinienne est le seul interlocuteur officiel ! C’est elle qui est en négociations indirectes avec le gouvernement israélien en vue d’aboutir à des négociations directes.

S’il est un pays qui a la capacité de faire pression sur les pays arabes et sur Israël afin d’obtenir la paix, la création d’un État palestinien et une seule capitale pour les deux États, c’est bien la France ! Notre position est inchangée. Vos accusations sont infondées !

Il faut précisément éviter ce qui s’est passé avec le rapport Goldstone. La position française est proche de celle de l’ONU et d’un certain nombre de pays européens. En ce qui concerne l’enquête sur l’affaire de la flottille, nous avons exigé qu’il y ait une présence internationale, l’ONU avait une position plus ferme encore, mais cela n’a pas été obtenu ; il n’y aura que deux observateurs, un Irlandais et un Canadien. Que voulez-vous que l’on fasse de plus ?

Je vous signale que les Égyptiens et les Palestiniens sont d’accord avec nous. Venez jeudi et demandez-le-leur : personne n’a organisé de conférence depuis la conférence de Paris ! Pourra-t-on en convoquer une autre et accélérer le processus de paix ? Je l’espère. Mais il n’y a que les Français pour penser que nous sommes à ce point sectaires et tendancieux que nous ne puissions pas jouer un rôle au Proche-Orient !

J’en viens au sommet Afrique-France – et non France-Afrique ! – à Nice. La politique de la France à l’égard de la Mauritanie est la même que celle de l’Union africaine. L’élection du général Aziz s’est déroulée dans des conditions globalement correctes. Il y avait d’ailleurs des observateurs internationaux.

M. Jean-Paul Lecoq. Non, il n’y en avait pas !

M. le ministre. Bien sûr que si : l’Union africaine notamment avait envoyé des observateurs.

Ce n’est pas moi qui ai fait l’élection, monsieur Lecoq ! Il y a eu une dérive importante qui a fait qu’une grande partie des Mauritaniens ne se sont pas retrouvés derrière le président Abdallahi, et c’est M. Aziz qui a été élu ! Personne ne le conteste – en tout cas pas l’Union africaine.

Monsieur Rochebloine, je partage votre sentiment sur le danger que représente la situation dans le Haut-Karabakh. MM. Medvedev et Lavrov ont insisté pour organiser une rencontre entre les présidents azéri et arménien. Un accord a été trouvé sur un texte. D’après ce que m’a rapporté Sergeï Lavrov, le président azéri s’est précipité à la télévision dès son retour pour dénoncer l’accord. Je le déplore.

La France, les États-Unis et la Russie sont les trois pays du groupe de Minsk qui maintiennent en permanence des négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, avec un ambassadeur affecté spécifiquement à cette tâche. Parfois, nous faisons des progrès, parfois, nous enregistrons un recul !

Nous avons rendez-vous avec la Russie à la réunion ministérielle de l’OSCE, le 17 juillet, à Almaty, au Kazakhstan. Nous espérons que des avancées seront faites. Quoi qu’il en soit, les efforts de M. Medvedev doivent être salués.

M. François Rochebloine. L’Azerbaïdjan s’en moque !

M. le ministre. Encore une fois, il faut bien regarder la réalité en face !

Un accord avait été signé entre l’Arménie et la Turquie ; alors qu’il était convenu que l’on ne ferait pas allusion au conflit du Haut-Karabakh, la question a immédiatement été évoquée. Résultat : l’accord a été gelé. Il est difficile d’avancer quand aucune des parties ne fait preuve de bonne volonté !

Je connais bien le Haut-Karabakh. C’est une petite enclave située de l’autre côté du corridor de Latchin, que les Arméniens ont relié au reste de leur territoire sous la pression des armes. Il existe bien un projet de référendum, mais on ne sait pas quelle population il concernerait.

M. François Rochebloine. Il aurait lieu dans le cadre du groupe de Minsk.

M. le ministre. Certes, mais qui votera ? Doit-on inclure les réfugiés ? C’est un problème extrêmement complexe – et, vous avez raison, la situation devient très dangereuse. Nous essayons, là aussi, d’aller vers la paix.

Monsieur Gorce, M. Zimeray a dû vous dire qu’à la suite de sa dernière visite au Tchad, nous avons obtenu l’ouverture du comité de suivi de l’enquête sur la disparition d’Ibni Oumar Saleh à des observateurs internationaux. C’est déjà ça !

Je vous rappelle que sur les trois chefs de l’opposition qui avaient été arrêtés, deux ont été sauvés grâce à l’intervention de la France. Malheureusement, nous n’avons aucune nouvelle de M. Saleh, et nous craignons, depuis le temps, qu’il ne soit mort.

Ne nous accusez pas d’une politique outrancière !

Nous encourageons le rapprochement entre le Tchad et le Soudan, qui se font la guerre depuis si longtemps. Des rencontres ont eu lieu, et l’on enregistre des signes encourageants. Si la situation ne s’améliore pas au Darfour, nous ne pouvons pas en être tenus pour responsables !

Pour en revenir à M. Ibni Oumar Saleh, j’ai bien entendu reçu sa famille.

M. Gaëtan Gorce. Quel rapport ?

M. le ministre. Le rapport, c’est qu’il s’agit d’une situation de guerre, que nous essayons d’apaiser ! L’EUFOR a été un vrai succès de la politique extérieure européenne, qui a permis de protéger les populations dans les régions frontalières. Nous avons désormais passé la main aux forces de l’ONU. Le gouvernement tchadien réclamait le départ de la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT) dès le mois d’août 2010 ; la France a obtenu que ce retrait n’intervienne pas avant 2011. Il s’agit d’un succès supplémentaire de notre diplomatie.

La France a donc retiré ses troupes, hormis quelques éléments stationnés à N’Djamena. S’agissant de la réduction du nombre de nos bases, le Parlement aura copie des accords de partenariat de défense que nous signerons, en toute transparence, sans aucune clause secrète de défense.

Monsieur Loncle, vous n’avez pas lu le projet de loi, sinon vous auriez remarqué qu’il est indiqué : « Sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ». C’est moi qui ai voulu cet article ! Il est bien évident que les personnes que vous avez citées, et notamment les deux journalistes détenus depuis près de six mois en Afghanistan, ne seront jamais visées par cette disposition, car ils se doivent de prendre des risques. Nous n’avons pas voulu préciser les métiers concernés, car cela aurait été trop compliqué d’être totalement exhaustif, mais il n’est pas question que les journalistes ou les personnels humanitaires soient accusés d’avoir fait dépenser de l’argent à la France ! Je souligne d’ailleurs que nous sommes le seul pays qui, ayant un centre de crise opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre, défend tous ses ressortissants où qu’ils soient et pour quelque raison que ce soit.

M. François Loncle. Mme Ingrid Betancourt n’était pas journaliste.

M. le ministre. Et alors ? Nous avons obtenu sa libération !

M. François Loncle. Lui auriez-vous demandé de rembourser les frais ?

M. le ministre. Je ne demande aucun remboursement à quiconque, je dis que les agences de voyage doivent être responsables, suivre les consignes et contracter des assurances !

Madame Fort, la Turquie a choisi de mener une diplomatie très active. Elle n’est pas toujours triomphante, notamment dans le cas de l’Arménie, mais je me félicite de ses interventions, qui permettent parfois des progrès.

A-t-elle eu raison de faire pression pour que la Bosnie-Herzégovine rejoigne le plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN ? Personnellement, j’en doute, car il s’agit d’un pays divisé. Quoi qu’il en soit, je rencontre très souvent MM. Erdoğan et Davutoğlu.

S’agissant de la Turquie, on assiste en effet à une exacerbation des tensions avec Israël. Hier, la Turquie a interdit son espace aérien aux avions militaires israéliens. Que se passera-t-il demain ? Nous nous efforçons d’apaiser les choses, s’agissant de deux pays amis de la France.

M. Hervé Gaymard. Monsieur le ministre, je vous remercie pour la franchise de vos propos, qui rompt avec certaines pratiques.

Quelles relations la France entretient-elle avec les différentes parties du territoire somalien : Somaliland, Puntland et le reste ? Où en sont les tractations pour obtenir la libération de nos compatriotes détenus sur place ?

M. Jean-Paul Bacquet. La Commission des affaires étrangères a créé une mission d’information sur l’aide publique au développement, dans ses aspects bilatéraux et multilatéraux, car elle trouve celle-ci totalement illisible.

En auditionnant son nouveau directeur, nous avons compris que l’Agence française de développement allait procéder à un changement de politique, notamment à destination de l’Afrique. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

M. Jean-Claude Guibal. Lors de la réunion du G20, les États-Unis et l’Union européenne n’ont pas pris la même position sur la réduction de la dette et sur la relance. Si les niveaux d’endettement de ces deux ensembles sont à peu près comparables, en revanche, les États-Unis espèrent une croissance sensiblement plus forte que celle de l’Union européenne. Serait-ce l’explication de leurs divergences ?

Chacun ici souhaite que l’Europe existe sur la scène internationale, mais le Service d’action extérieure, tel qu’il nous a été présenté, donne l’impression d’une démarche plus bureaucratique que politique. Auprès de qui Mme Ashton prendra-t-elle ses instructions ? Quel sera le rôle du Parlement ? Pensez-vous qu’à terme, on aboutira à une position européenne unique ? Comment s’articuleront la représentation de l’Union européenne et celle des différents États membres ? Y aura-t-il encore une diplomatie française ?

M. Daniel Garrigue. D’une réunion à l’autre, on constate l’affadissement progressif du G20. Avant le sommet de Toronto, il n’existait guère de cohésion entre les pays européens, mais au moins semblait-il y avoir un accord entre la France et l’Allemagne sur certains sujets, comme la nécessité d’une régulation financière à l’échelle internationale, la mise en place d’une taxe sur les institutions financières ou sur les transactions financières, ou la régulation du marché des produits dérivés, avec l’éventuelle interdiction des contrats à terme. On a eu l’impression que cette entente franco-allemande n’était qu’une façade. Qu’en est-il ?

Par ailleurs, ce que l’on appelait « la politique arabe de la France » ne consistait pas à entretenir de bonnes relations avec tout le monde ! Son principe était de faire en sorte que, dans certains conflits du Proche et du Moyen-Orient, tous les acteurs puissent devenir des interlocuteurs, même ceux qui étaient rejetés par la majorité de la communauté internationale. C’est ce qu’avaient fait le général de Gaulle avec les Palestiniens, le président Mitterrand avec l’OLP, le président Chirac et Dominique de Villepin sur la question irakienne. Monsieur le ministre, qu’est devenue la politique arabe de la France ?

M. Serge Janquin. Monsieur le ministre, je pensais vous interroger sur les questions africaines, mais la manière dont vous avez répondu à mes collègues François Loncle et Gaëtan Gorce m’en dissuade. J’attends depuis si longtemps un changement de la politique africaine de la France – cela remonte à Jean-Pierre Cot ! – que j’ai perdu toutes mes illusions en la matière. Quand on entend M. Bourgi, M. Guéant ou l’un de nos collègues qui s’exprime généralement comme envoyé spécial du Président de la République, on a le sentiment que la conduite de cette politique échappe au Quai d’Orsay, et qu’une série d’écrans nous empêcheront toujours de l’évaluer.

Je vous interrogerai donc plutôt sur le sommet du G20. Le Président de la République était parti avec deux propositions : une taxe sur les banques, en accord avec Londres et Berlin, et une taxe sur les transactions financières ; il est rentré bredouille. On peut dire : « C’est ainsi ! », mais le rôle d’un acteur politique n’est-il pas de trouver des solutions pour faire avancer ses idées ? Vous risquez d’accréditer l’idée que les discours gouvernementaux sont exclusivement destinés à l’opinion publique française, et qu’ils n’ont aucun rapport avec la politique mise en œuvre. En cas de nouvelle crise financière, fera-t-on payer à nouveau le contribuable, sans avoir mis les banques dans la situation de faire face elles-mêmes aux conséquences de leurs pratiques ?

M. Hervé de Charette. Monsieur le ministre, je salue votre grande disponibilité, mais ces entretiens à dates régulières ne sont pas sans provoquer chez nous une certaine frustration, dans la mesure où nous papillonnons d’un sujet à l’autre, sans engager de réel débat sur des sujets de fond, comme la politique méditerranéenne ou la politique européenne.

Je vous poserai trois questions.

Le Quai d’Orsay est-il concerné par la lettre du Président de la République au Premier ministre l’enjoignant de diminuer les frais de fonctionnement des ministères, en réduisant le nombre de voitures, de logements de fonction et de conseillers ?

Pouvez-vous nous donner des précisions sur les conditions dans lesquelles notre ambassadeur à Dakar a quitté ses fonctions ? Est-ce le président Wade qui a obtenu son départ ?

Le roi d’Arabie Saoudite est attendu prochainement en France. Quel est l’état des relations entre nos deux pays ?

M. Gilles Cocquempot. Monsieur le ministre, où en est le dossier Florence Cassez ? Les députés du Nord et du Pas-de-Calais souhaiteraient être régulièrement informés de sa gestion par le Quai d’Orsay.

Par ailleurs, les dirigeants vietnamiens ont invité une délégation de l’Assemblée nationale à assister le 10 octobre 2010 à la célébration du millième anniversaire de Hanoï. Or le président de l’Assemblée nationale a répondu au président du groupe d’amitié France-Vietnam, Michel Voisin, que le bureau avait décliné cette invitation pour des raisons budgétaires. Cette décision est d’autant plus maladroite que le Vietnam prendra dans quelques mois la présidence de l’Association des nations de l’Asie du sud-est (ASEAN), qui fait contrepoids à l’influence chinoise. S’il le faut, je paierai moi-même mon voyage, mais il serait scandaleux que les députés français ne soient pas représentés à cette cérémonie.

Monsieur le ministre, pouvez-vous transmettre cette information à M. le conseiller diplomatique de M. Sarkozy ? Peut-être aura-t-il l’influence nécessaire pour que le président de l’Assemblée nationale revienne sur cette décision.

M. Jacques Bascou. Le Président de la République avait fait de l’Union pour la Méditerranée un axe fort de la diplomatie française, au risque de heurter certains pays européens, comme l’Espagne, qui était à l’origine du processus de Barcelone, ou l’Allemagne. M. Le Roy avait même dû faire le tour des capitales européennes pour expliquer la démarche française. Où en est-on aujourd’hui ? La situation dramatique au Moyen-Orient ne doit-elle pas nous amener à dresser un constat d’échec, qui résulte peut-être de notre refus d’associer l’Europe à ce projet ?

M. Pascal Clément. Monsieur le ministre, la création du Service européen pour l’action extérieure nous permettra-t-elle de faire des économies en matière de représentations diplomatiques ?

M. le ministre. Monsieur Gaymard, nous n’avons pas d’ambassade à Mogadiscio, mais nous sommes en rapports constants avec le président Sheikh Sharif, qui, après six mois de négociations à Djibouti, a été accepté par tous les groupes somaliens.

Nous avons pris l’initiative de former, à Djibouti, 500 soldats somaliens. Sous notre impulsion, l’Union européenne a décidé d’en former 2 000 autres en Ouganda, tandis que les Américains nous aident sur le paiement des soldes. Une coopération européenne est en train de s’ébaucher.

Ces soldats seront-ils bien utilisés et permettront-ils au gouvernement fédéral de transition de reconquérir une partie du territoire ? Je l’espère. Pour l’heure, les 500 soldats formés par la France ont reçu des armes et sont payés par les Italiens. La situation reste extrêmement difficile.

Il y a trois semaines, lors de la conférence de l’ONU sur la reconstruction et le développement de la Somalie, à Istanbul, j’ai délivré au président Sheikh Sharif le message suivant : on a certes remporté un succès dans la lutte contre la piraterie en mer, mais tant qu’on ne fera rien en Somalie même, il sera difficile de régler définitivement la question.

Il faudrait au moins que les agences onusiennes soient présentes sur place ! Nous l’avons demandé à M. Ban Ki-moon. C’est certes dangereux, mais sans prendre de risques, on ne parviendra pas à éradiquer la piraterie ; si les pêcheurs sont devenus des pirates, c’est en partie parce qu’ils n’ont rien à manger et qu’il n’y a aucune possibilité de développement dans leur pays.

Nous faisons notre possible pour être très attentifs aux conditions et au lieu de détention du dernier de nos ressortissants retenu en Somalie, l’autre s’étant enfui.

Nous avons des relations avec le Somaliland, pays où l’ordre règne relativement, mais que l’Union africaine ne veut pas reconnaître parce qu’il est le produit de l’éclatement de la Somalie. Je pense toutefois qu’il serait nécessaire de parler avec les seules personnes qui, pour le moment, semblent avoir une position à peu près équilibrée et qui, surtout, favorisent le développement de leur territoire.

Dans le reste de la Somalie, jusqu’à la frontière avec le Kenya, la situation est très délicate. On ne sait même pas où mettre les pirates détenus qui doivent passer en jugement ! Une réflexion juridique est en cours.

M. Jean-Paul Bacquet. Où en est le centre de coordination pour la surveillance des côtes ?

M. le ministre. Le centre de coordination est basé à Northwood, en Angleterre. Le nouveau gouvernement britannique s’est engagé à poursuivre l’opération Atalante.

M. Jean-Paul Bacquet. Je faisais référence aux discussions entre l’Éthiopie et la Somalie afin d’assurer la coordination de la surveillance des côtes.

M. le ministre. On en est loin ! Pour l’heure, nous tentons de contribuer à la formation de garde-côtes. Mais si l’on n’intervient pas à l’intérieur des terres pour permettre le développement du pays, on ne pourra pas régler le problème. Tel était d’ailleurs l’objet de la conférence d’Istanbul. J’espère qu’il en sortira quelque chose.

Quoi qu’il en soit, la position de la France est très claire : nous avons été, avec les Espagnols, à l’origine de l’opération Atalante visant à lutter contre la piraterie, qui s’étend jusqu’aux Seychelles. Pour le moment, il n’est pas possible que les soldats somaliens assurent directement la surveillance de leurs côtes.

Monsieur Bacquet, l’objectif est de consacrer 0,7 % du PIB au développement. Nous n’y sommes pas encore : en 2010, le montant de l’aide publique au développement s’élèvera à 10 milliards d’euros, soit 0,51 % du PIB, contre 0,39 % en 2008 et 0,46 % en 2009. Je reconnais qu’il s’agit d’un succès très relatif ; toutefois, nous avons fait des efforts et la France est aujourd’hui le deuxième contributeur mondial.

Tiendrons-nous nos engagements ? La situation risque d’être très difficile après 2011, vu les efforts budgétaires qui nous sont demandés. C’est au Président de la République de prendre la décision. Les 100 millions supplémentaires pour la lutte contre les maladies maternelles et infantiles constituent déjà un effort considérable.

Je souligne quand même qu’avec 35 % du PIB de l’Europe, nous finançons 56 % de l’aide publique au développement mondiale ! Par ailleurs, seuls quelques pays, tous européens, ont réussi à atteindre l’objectif de 0,7 %.

L’AFD est un établissement sous la tutelle du ministère des finances, du Quai d’Orsay, du ministère de l’outre-mer et du ministère de l’immigration. Elle fixe elle-même ses orientations. J’ai parlé hier matin au nouveau directeur, M. Dov Zerah, et aucun bouleversement ne semble prévu. Les changements sont antérieurs ; ils sont liés au fait que l’AFD est devenue un établissement de prêt et une banque, au bénéfice essentiel des pays émergents, qui peuvent rembourser ces crédits. Je suis d’ailleurs en train d’examiner si l’on ne peut pas, en conséquence, récupérer une partie des 45 millions prévus pour le financement de projets.

Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a choisi quatorze pays sur lesquels se portera exclusivement l’aide au développement français. Est-ce suffisant ? Non. L’AFD pourra donc intervenir occasionnellement en complément. Par exemple, je vais faire en sorte que soit assuré le financement de la deuxième tranche de travaux de l’hôpital de Kaboul.

Il reste que la politique de l’AFD répond de plus en plus à une logique bancaire. C’est pourquoi il est impossible que l’ambassadeur soit responsable des services de l’AFD. L’AFD reste un acteur qui compte, mais surtout dans les pays émergents, qui ont une croissance importante. C’est pourquoi notre politique d’aide au développement doit être menée différemment.

Monsieur Guibal, le président Obama était favorable à un projet de taxation des banques ; il estimait par ailleurs qu’il était important de relancer la croissance et qu’une trop grande rigueur risquait de la freiner. L’Allemagne, soutenue par la France, a assuré que les efforts considérables consentis pour réduire les déficits ne freineraient pas la croissance. Nous n’étions pas majoritaires. Nous avons bien tenté d’aboutir à un consensus, mais sans succès.

Le Conseil européen du 17 juin avait débouché sur une position commune, avec l’objectif d’une taxation des banques, le projet d’une taxe sur les transactions financières et la volonté de renforcer l’aide au développement, mais ces propositions n’ont pas rencontré au G20 le succès espéré. Nous n’y renonçons pas cependant, et je n’exclus pas que l’on aboutisse avant la fin de l’année à une résolution européenne sur ce sujet.

Le Service européen pour l’action extérieure donnerait l’impression d’une démarche bureaucratique plutôt que politique ? Je ne suis pas d’accord ! C’est long et difficile, mais toutes les grandes avancées européennes ont dû passer par ces étapes. Quoi qu’il en soit, qu’y puis-je ?

M. Jean-Claude Guibal. Cessez de répondre cela ! C’est à vous d’agir !

M. le ministre. Mais c’est ce que je fais, monsieur Guibal ! Je vous rappelle que la France avait initialement rejeté le projet de constitution pour l’Europe. Elle a fini par accepter le traité de Lisbonne et nous avons fait campagne en faveur de ce projet de Service européen, prévu par le traité.

M. Jean-Claude Guibal. En faveur du dispositif, mais pas forcément du périmètre !

M. le ministre. Le périmètre a été déterminé par le traité de Lisbonne et par le Parlement européen, qui a élargi les possibilités d’initiative de Mme Ashton pour les cinq ans à venir. Nous n’allons pas nous opposer à l’Europe pour autant !

Nous rencontrons très régulièrement Mme Ashton ; elle participera à la réunion de jeudi sur le Moyen-Orient. Et je vous rappelle que c’est à l’initiative de la France et d’un certain nombre d’autres pays qu’elle a pris position sur Gaza !

La règle, c’est que le conseil des Affaires étrangères détermine une politique que Mme Ashton est chargée de mettre en œuvre. J’ignore si elle sera appelée à évoluer, mais tel est le mécanisme actuellement en vigueur pour déterminer la position européenne commune

M. Hervé de Charette. Sur de telles bases, au moins, on peut être sûr que Mme Ashton ne fera rien !

M. le ministre. S’agissant des relations franco-allemandes, j’ai lu en effet les commentaires d’un certain nombre de personnes qui se vantent de pouvoir mieux faire. La critique est aisée, mais l’art est difficile. Le couple franco-allemand demeure la charnière de l’Europe. Chaque fois que l’Allemagne ou la France a recherché l’assentiment de l’autre partenaire, il y est parvenu, dans des délais variables. Que je sache, nous n’avons pas eu de désaccord profond au sommet du G20, même si nos positions initiales pouvaient être différentes. L’Europe s’était mise d’accord avant la réunion : ce n’est pas si mal.

Faire référence à « la politique arabe de la France », c’est un peu dépassé, monsieur Garrigue ! Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ? Nous n’étions pas d’accord avec l’Irak, nous le sommes devenus ; nous n’étions pas d’accord avec la Syrie, il y a maintenant une ouverture ; entre-temps, l’Irak et la Syrie sont devenus hostiles. Le développement de nos relations politiques et économiques avec l’Irak et la Syrie ne nous empêche pas de nous rapprocher de l’Arabie Saoudite. Mais nous menons également une politique d’amitié avec Israël, tout en défendant l’idée que la sécurité israélienne ne pourra être assurée que par la création d’un État palestinien, et nous sommes en concordance étroite avec l’Égypte. Peut-on faire mieux ? Si « la politique arabe de la France », c’est défendre des positions préconçues, ce temps est révolu.

M. Daniel Garrigue. La politique arabe de la France tendait à élargir le cercle de nos interlocuteurs. La question se pose encore, par exemple au sujet du Hamas ou de l’Iran.

M. le ministre. Mais c’est toujours le cas ! Qui a invité le Hezbollah en France ? Moi ! Qui a organisé la conférence de La Celle-Saint-Cloud ? Nous !

Personne n’ayant de contacts officiels avec le Hamas, sauf la Syrie, nous sommes en relation avec lui par l’intermédiaire de celle-ci. D’ailleurs, les Palestiniens, les Égyptiens, les Israéliens et les Irakiens nous demandent de ne pas lui parler directement.

M. Daniel Garrigue. Ce n’est pas une raison !

M. le ministre. C’est une raison, si l’on veut que les pourparlers indirects débouchent sur des pourparlers directs. Dans le contexte explosif du Moyen-Orient, je crois que notre position est sage.

Peut-être les choses vont-elles évoluer. Des pourparlers sont en cours en Égypte entre l’OLP et le Hamas.

Daniel Garrigue. Sur ce point, la politique européenne ne se démarque pas de celle des États-Unis…

M. le ministre. Certains pays ont des relations plus étroites avec le Hamas que d’autres, mais l’Union européenne a une position commune en faveur de la paix. Par ailleurs, je vous signale que la position de M. Obama diffère de celle de M. Bush. Quoi qu’il en soit, la France souhaite que le blocus de Gaza soit levé et qu’il y ait enfin un État palestinien.

Monsieur de Charette, il est bien évident que les consignes du Président de la République s’appliquent au Quai d’Orsay. Des économies ont déjà été faites, puisque nous avons réduit de 18 % nos dépenses de voyages et de 26 % nos dépenses de réception. Par ailleurs, la location des salles du ministère a permis de mettre à la disposition de la mission d’action sociale des chèques emploi service afin d’embaucher des baby-sitters en cas de travail le soir.

C’est moi qui ai proposé le poste d’ambassadeur de France au Sénégal à M. Rufin. Il fut un excellent ambassadeur, déterminé, politique, courageux. Il a souhaité partir à la fin du mois de juin, parce qu’il était vexé. C’est déjà arrivé : depuis vingt-cinq ans que nous nous connaissons, nos relations sont plutôt oscillantes. J’espère simplement que son avenir n’est pas compromis.

M. Rufin a été remplacé par M. Nicolas Normand, un ancien membre du cabinet de Roland Dumas qui a été à plusieurs reprises ambassadeur en Afrique. C’est un homme qui a de grandes qualités, quoique différentes de celles de son prédécesseur.

Quant au roi d’Arabie Saoudite, il sera en visite en France le 12 juillet.

Monsieur Cocquempot, le Président de la République a fait récemment encore des démarches auprès du président Calderón, qu’il a rencontré lors du sommet Union européenne-Amérique latine de Madrid. Nous souhaitons trouver une issue dans le cadre légal de la justice mexicaine. S’agira-t-il d’un recours en amparo c'est-à-dire devant la Cour suprême ou d’une solution bilatérale ? Nous sommes plutôt favorables à la première solution, mais c’est à Florence Cassez et à son avocat de décider.

Les enjeux de politique intérieure sont considérables. Tout le monde sait désormais que le film de son arrestation a été truqué, alors que les Mexicains l’ignoraient à l’époque. Par ailleurs, si la convention de Strasbourg était appliquée, nous n’aurions pas de peine équivalente aux soixante ans de prison auxquels elle a été condamnée, ce qui pose de gros problèmes juridiques. Quoi qu’il en soit, notre détermination reste entière : nous libérerons Florence Cassez.

M. Gilles Cocquempot. Ne peut-on pas l’amnistier ?

M. le ministre. Seul le président Calderón pourrait le faire !

Monsieur Bascou, le financement de l’Union pour la Méditerranée par l’Union européenne n’est pas remis en cause. Les réunions se poursuivent entre experts, mais il existe un blocage politique au niveau des ministres des affaires étrangères, ce qui empêche toute réunion entre chefs d’État ; les Égyptiens ont décidé qu’ils ne rencontreraient pas M. Lieberman, alors qu’ils acceptent de discuter avec M. Ayalon et que le président égyptien et le Premier ministre israélien se voient souvent. Il reste qu’au plan technique, l’UPM fonctionne plutôt bien, et que les projets privés permettent également de faire progresser les choses.

Nous étions, initialement, favorables à la tenue de la réunion des chefs d’État de l’UPM en juin à Barcelone. Toutefois, les pourparlers indirects entre Palestiniens et Israéliens venant de commencer, il a été jugé préférable de la reporter après l’été, avec un dispositif légèrement différent. J’espère qu’à cette date, les pourparlers directs auront débuté.

Monsieur Clément, je pense que la création du Service européen pour l’action extérieure aboutira en effet à une rationalisation des moyens européens. Plusieurs diplomaties européennes différentes pourront-elles encore coexister ? Au Sri Lanka, par exemple, où le projet européen était financé, tout s’est bien passé. Or, l’argent est dans les mains de Mme Ashton.

M. Pascal Clément. Il faudrait que la création du Service aboutisse à une moindre représentation des États membres, si l’on veut qu’il serve à quelque chose !

M. le ministre. Si les Vingt-sept arrivent à se mettre d’accord sur une politique commune, Mme Ashton la servira de bonne manière, avec une rationalisation des efforts. Il est prévu que le Service européen pour l’action extérieure soit représenté dans tous les pays.

M. Pascal Clément. Il y aura donc des synergies !

M. le ministre. C’est ce à quoi nous veillerons. Le Service nous apportera-t-il une valeur ajoutée ? Nous l’espérons ; mais, pour le moment, il n’est pas question de renoncer à l’universalité de notre réseau. Le traité de Lisbonne vise toutefois à renforcer la représentation extérieure de l’Union européenne.

M. Pascal Clément. Au détriment des représentations nationales.

M. le ministre. Peut-être, mais on ignore quand et dans quelle mesure. Il convient d’inventer un nouveau mécanisme de concertation entre États membres.

M. le président Axel Poniatowski. Ce pourrait aussi être au détriment des représentations consulaires.

M. le ministre. Ce qui pourrait être plutôt positif !

M. le président Axel Poniatowski. Ce serait en effet un bon moyen de faire des économies ! Mais nous reviendrons sur toutes ces questions à la rentrée à l’occasion de l’examen de la proposition de résolution sur la création du Service européen pour l’action extérieure.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre franchise et de votre volonté de transparence. Je note que vous êtes prêt à participer à des tables rondes thématiques. Eu égard aux questions qui ont été posées aujourd’hui, je proposerai au bureau de la Commission que la première table ronde porte sur la politique arabe de la France.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 29 juin 2010 à 17 h 30

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Roland Blum, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Gaëtan Gorce, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, M. Didier Mathus, M. Gérard Menuel, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Alain Bocquet, M. Loïc Bouvard, Mme Geneviève Colot, M. Paul Giacobbi, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, M. Alain Néri, M. Éric Raoult, M. Rudy Salles

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Garrigue, M. Michel Lefait