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Commission des affaires étrangères

Mercredi 7 juillet 2010

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 87

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Examen du rapport d’information sur rôle de la Turquie sur la scène internationale (M. Jean-Marc Roubaud, président – Mme Marie-Louise Fort, rapporteure)

Examen du rapport d’information sur le rôle de la Turquie sur la scène internationale

La séance est ouverte à onze heures.

M. Jean-Marc Roubaud, président de la mission. De l’empire ottoman au XXIème siècle, la Turquie a toujours compté. La réaction turque aux récents événements au large de Gaza pose une nouvelle fois la question du sens et de la portée qu’il convient d’attribuer aux développements actuels de la politique étrangère turque.

Parce qu’elle a connu dans ces dernières années des évolutions marquantes, inattendues voire spectaculaires, la diplomatie turque est l’objet de toutes les attentions - diplomatiques comme universitaires.

Ce constat d’une Turquie à la recherche d’une nouvelle place sur la scène internationale a convaincu, il y a un an, la commission des affaires étrangères de créer une mission d’information, pluraliste et composée de douze membres, sur cette question. Pour mener à bien cette tâche ardue, la Mission a réalisé une vingtaine d’auditions et s’est rendue en Turquie, en Syrie, en Israël et à Bruxelles.

Le rôle de la Turquie sur la scène internationale a longtemps semblé reposer sur trois piliers : l’appartenance à l’OTAN, l’alliance avec les Etats-Unis et la candidature à l’Union européenne, auxquels venaient s’ajouter des conflits de voisinage historiques.

Aujourd’hui la Turquie semble ne plus se contenter de ce rôle. La fin de la guerre froide, les attentats du 11 septembre 2001, l’arrivée de l’AKP au pouvoir, l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne sont autant d’éléments qui ont contribué à la révision de la politique étrangère turque.

Sa puissance économique, récemment acquise, ainsi que l’arme énergétique lui donnent en outre quelques arguments pour réclamer une considération nouvelle de la part de ses interlocuteurs traditionnels mais aussi pour élargir sa sphère d’influence. Parallèlement, l’essoufflement du processus européen l’oblige à s’interroger sur ses priorités stratégiques.

Dans le même temps, la Turquie a mis en œuvre une politique de bon voisinage qui n’a pas toujours été couronnée de succès mais qui lui permet d’essayer de mettre fin à des conflits historiques, d’une part, et de se rapprocher du Moyen-Orient, d’autre part. Cette amélioration dans son environnement régional contraste avec la dégradation de ses relations avec ses alliés stratégiques traditionnels, notamment avec Israël.

Notre rapport comporte donc trois parties : la première sur la Turquie puissance émergente, la seconde sur l’infléchissement, réel ou supposé, de son ancrage occidental et la dernière sur son rôle régional.

Afin de s’imposer comme une puissance émergente, la Turquie dispose avec l’économie et l’énergie de deux cartes maîtresses.

En premier lieu, elle n’est devenue que récemment une puissance économique passant en dix ans du 28ème au 16ème rang mondial. Cette progression exceptionnelle doit beaucoup à une politique volontariste d’ouverture qui s’est notamment appuyée sur les échanges avec l’Union européenne. Elle a ensuite été complétée par une série de réformes structurelles qui ont permis à la Turquie de traverser la crise financière sans trop de dommages, crise qui l’a d’ailleurs poussée vers de nouveaux marchés et l’a renforcée dans sa conviction qu’elle peut jouer sur le plan économique, mais pas seulement, dans la cour des grands.

Le Premier ministre turc, qui espère que son pays deviendra dans vingt ans la dixième économie mondiale, s’investit particulièrement dans la diplomatie économique. Au cours des 234 visites qu’il a effectuées dans 80 pays, il a toujours veillé à être largement entouré d’hommes d’affaires turcs et a signé quantité d’accords de coopération économique.

Alors que certains pays du Moyen-Orient souhaitent s’inspirer de la « success story » turque pour encourager l’ouverture économique, d’autres pays reprochent à la Turquie d’avoir toujours des arrière-pensées économiques dans ses relations diplomatiques.

En second lieu, la situation géographique de la Turquie lui permet d’aspirer à devenir un « hub » énergétique puisqu’elle se situe au carrefour de nombreux réseaux existants ou en projet. Elle n’hésite d’ailleurs pas à rappeler aux responsables de l’Union européenne son rôle de pivot de l’acheminement des ressources de l’Est vers l’Ouest.

Mais sa propre dépendance énergétique pèse sur son ambition en même tant qu’elle la nourrit. Elle l’oblige en effet à être accommodante avec de nombreux fournisseurs tout en cherchant à diversifier ces derniers. En 2007, l’approvisionnement turc était réparti principalement entre la Russie (63 %), l’Iran (17 %), l’Algérie (12 %) et l’Azerbaïdjan (4 %).

La Turquie est donc intéressée ou partenaire direct de tous les projets énergétiques en cours dans la région ce qui entraîne des répercussion importantes sur sa diplomatie.

La Turquie est partenaire à hauteur d’un sixième du projet de gazoduc Nabucco, dont l’accord a été signé à Ankara le 13 juillet 2009. Le soutien turc à Nabucco n’est pas à ce jour très coûteux puisque ce projet doit d’abord surmonter plusieurs difficultés liées à son financement et à son approvisionnement.

La Turquie a également accepté de se rapprocher du projet concurrent South Stream, soutenu par les Italiens et les Russes. Elle veille en effet à ne pas fâcher ces derniers car elle doit sécuriser ses approvisionnements. Elle n’en est pas moins incontournable sur le projet South Stream aussi puisque celui-ci doit traverser ses eaux territoriales.

Forte de sa puissance économique et de son atout énergétique, la politique étrangère turque, théorisée par son ministre actuel, M. Ahmet Davutoglu, se doit de revêtir une « profondeur stratégique » conforme aux ambitions affichées de puissance émergente. La Turquie cherche à acquérir cette profondeur notamment en déployant ses efforts diplomatiques sur tout le globe, aussi bien sur des continents inconnus pour elle que dans des régions avec lesquelles elle entretient des relations historiques. Cependant, la lisibilité comme les moyens consacrés à cette diplomatie tous azimuts posent question. Les résultats ne sont pas à ce jour à la hauteur des attentes.

Plusieurs interlocuteurs ont en effet souligné l’insuffisance actuelle des moyens diplomatiques turcs. Le ministre actuel cherche cependant à obtenir les moyens correspondant aux nouvelles aspirations turques.

En Afrique, la Turquie semble s’inspirer de l’expansionnisme chinois. L’offensive est politique avec l’ouverture de nombreuses ambassades mais aussi fortement économique. En Amérique latine, il s’agit de mettre un pied sur un autre continent en devenir ainsi que de nouer des relations politiques fortes avec d’autres puissances émergentes, au premier rang desquels le Brésil.

Dans les Balkans, à l’indifférence observée pendant la guerre froide a succédé aujourd’hui une attention marquée qui s’est jusqu’à présent traduite principalement par la mise en œuvre d’une médiation entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine.

Dans le cadre de sa politique de « zéro problème avec le voisinage » et de sa stratégie de « hub » énergétique, la Turquie n’est pas indifférente au sort du Caucase du Sud. Cependant, son rôle dans cette région est largement hypothéqué par ses relations avec l’Arménie. En outre, la diplomatie y est phagocytée par les Etats-Unis et la Russie.

Dès la fin de la guerre entre la Russie et la Géorgie, la Turquie a proposé la mise en place d’une « plateforme de stabilité et de coopération pour le Caucase », réunissant les trois républiques caucasiennes et la Russie. Cette initiative peine aujourd’hui à voir le jour, empêtrée elle aussi dans les querelles entre l’Arménie et la Turquie.

Alors que les années 90 ont été marquées par un enthousiasme pour l’Asie centrale qui recouvrait alors son indépendance, les ambitions turques ont depuis été revues à la baisse. L’intérêt pour le monde turcophone s’est heurté à de nombreux obstacles (faible unité culturelle, absence de cohérence politique, nationalisme revendiqué des dirigeants et ombre russe). Les seules avancées significatives, en dehors de l’économie, ont été réalisées dans les domaines culturel et linguistique.

Le Pakistan et l’Afghanistan sont deux autres pays cibles de la politique étrangère turque dans lesquels la religion musulmane et l’histoire donnent à la Turquie un avantage certain par rapport aux autres puissance impliquées dans la recherche de solutions.

La Turquie considère qu’elle a des responsabilités particulières à assumer à l’égard de l’Afghanistan. Elle gère depuis le 1er novembre 2009 le commandement régional de Kaboul, après avoir dirigé une PRT (Provincial Reconstruction Team) dans la province de Wardak alors que 1795 soldats turcs sont aujourd’hui présents en Afghanistan. Elle participe aux efforts de reconstruction au travers notamment de son agence de coopération TIKA.

Partageant les vues occidentales sur la dimension régionale du conflit afghan, la Turquie s’est engagée en faveur du renforcement de la solidarité entre Afghanistan et Pakistan. A cette fin, elle a organisé quatre sommets trilatéraux depuis 2007. Elle a par ailleurs accueilli en janvier dernier le sommet régional des voisins immédiats de l’Afghanistan. Pour autant, la coopération trilatérale avec ces pays relève pour le moment davantage de l’effet d’affichage que de la réalisation concrète selon l’analyse d’un diplomate français.

Cette question se pose d’ailleurs plus généralement pour la politique étrangère turque. De nombreuses voix s’élèvent également pour s’interroger sur la lisibilité des ambitions turques sur la scène internationale. Celles-ci sont-elles la simple transposition sur le plan politique des succès économiques turcs ou signifient-elles une révision profonde de la politique étrangère turque ? Je laisse à Madame Fort le soin de vous présenter des pistes de réponse à cette difficile question.

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure. Je vais donc, après Jean-Marc Roubaud, aborder rapidement deux autres aspects de la politique étrangère actuelle de la Turquie : l’infléchissement réel ou supposé de son ancrage occidental, d’une part, et ses ambitions régionales, d’autre part.

Une chercheur que nous avons rencontrés a résumé les interrogations actuelles dans une question provocante : « dans quel camp sont les Turcs ? ».

L’évolution de la société turque, les vicissitudes des relations stratégiques avec Israël et les Etats-Unis ainsi que l’enlisement des négociations d’adhésion à l’Union européenne seraient à l’origine d’une rupture dans la politique étrangère turque qui aurait pour conséquence une réorientation de celle-ci au détriment de l’Occident.

Sur le premier point, l’arrivée au pouvoir en 2002 du parti de la justice et du développement, l’AKP, et la nomination de M. Erdogan au poste de Premier ministre ont jeté le trouble sur la fermeté de l’attachement turc au principe de laïcité. L’intérêt turc pour le Moyen-Orient a donné un nouveau coup de projecteur sur cette question puisque cet intérêt serait selon certains commentateurs motivé par une dimension religieuse.

Si les négociations d’adhésion à l’Union européenne ont encouragé de nombreuses réformes, l’évolution de la démocratie en Turquie demeure également un sujet de préoccupation : le respect des droits de l’homme est loin d’être assuré, la réforme constitutionnelle ne semble pas dénuée d’objectifs propres à l’AKP et à son chef et la perte d’influence de l’armée n’est pas nécessairement un signe positif en raison des conditions dans lesquelles elle se produit.

Sur le deuxième point, Israël comme les Etats-Unis expriment aujourd’hui des inquiétudes sur la distance que la Turquie semble prendre par rapport à eux et sur les conclusions qui peuvent en être tirées quant aux orientations de la politique turque.

Si l’élection de M. Barack Obama à la présidence et sa visite en Turquie, première visite présidentielle à l’étranger, ont permis le réchauffement d’une relation dégradée avec les Etats-Unis depuis l’intervention américaine en Irak, l’administration américaine s’interroge aujourd’hui sur le bien-fondé de son « pari sur la Turquie ». Celle-ci en tire jusqu’à présent la conclusion qu’il convient de consolider l’arrimage de la Turquie à l’Union européenne afin de ne pas précipiter une dérive éventuelle vers la radicalité.

Avec Israël, l’arraisonnement meurtrier de la flottille par l’armée israélienne le 31 mai dernier a porté un nouveau coup à une relation bilatérale altérée. Rien ne permet toutefois d’affirmer à ce jour que la flottille a provoqué des dégâts irréversibles entre les deux pays. Pendant longtemps, les intérêts respectifs des deux parties convergeaient pour entretenir des relations stables mais cette convergence a progressivement perdu en intensité avant même la guerre de Gaza. Sur cette question, la Mission considère qu’Israël comme la Turquie ont intérêt à rétablir des relations normales, à défaut d’être privilégiées, le premier pour rompre son isolement régional, la seconde pour consolider son statut de pacificateur de la région. Afin de parvenir à ce rétablissement souhaitable, la Turquie doit notamment en finir avec ses déclarations qui mettent en cause la légitimité de l’Etat d’Israël.

Sur le troisième point, l’Union européenne, après l’euphorie qui a suivi l’ouverture des négociations d’adhésion, la Turquie comme l’Europe semblent victimes de désenchantement. Le processus est enlisé faute de progrès suffisants de la part de la Turquie dans les réformes et de soutien de la population. Les opinions publiques européennes, relayées par certains gouvernements, doutent du bien-fondé d’une adhésion turque. Chaque partie se renvoie la responsabilité de l’impasse actuelle.

Si l’incertitude plane sur la volonté et la capacité turques à mettre en œuvre les réformes nécessaires, les interlocuteurs de la Mission ont tous réaffirmé que l’adhésion demeure une priorité pour la Turquie et souligné les conséquences désastreuses pour la détermination turque de nombreuses prises de position refusant la perspective de l’adhésion.

La Mission partage l’analyse de nombreux connaisseurs de la Turquie selon laquelle les déboires européens de la Turquie sont, pour une part seulement, à l’origine de son virage en faveur du Moyen-Orient.

La Mission considère que si l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est un audacieux pari sur l’avenir qu’il appartiendra aux futurs élus de la Nation de prendre ou pas, il est important aujourd’hui de ne pas insulter l’avenir. Cela signifie ne pas décourager les forces progressistes et démocratiques en Turquie, ne pas donner des arguments à la Turquie pour se détourner d’un Occident qui la rejetterait. Pour ces raisons, la Mission souhaite que le processus d’adhésion se poursuive dans les meilleures conditions.

Alors que la Turquie connaît des difficultés sur la scène européenne et qu’elle peine à s’affirmer sur d’autres continents, elle se tourne naturellement vers son environnement régional, qu’elle a longtemps délaissé.

Si la diplomatie turque met en avant son slogan « zéro problème avec le voisinage » pour preuve de son engagement en faveur de la stabilité régionale, certains observateurs lui prêtent d’autres ambitions, celle de devenir une puissance régionale tirant profit de sa situation stratégique.

Les relations de la Turquie avec ses trois voisins chrétiens sont une composante essentielle de sa politique étrangère. Si la perspective de normalisation avec l’Arménie que laissait entrevoir la signature des protocoles de Zürich s’éloigne, des signes d’ouverture sont perceptibles dans les relations avec la Grèce, tandis que la question chypriote demeure dans l’impasse. Je ne m’étendrai pas longuement sur ces points – nous y reviendrons éventuellement si vous avez des questions – sauf pour regretter sur le dossier arménien que les deux parties campent sur leur position et pour encourager une réconciliation qui offrirait notamment à l’Arménie un oxygène économique dont elle manque cruellement tandis que cette réconciliation donnerait corps à l’image de puissance pacificatrice que la Turquie revendique.

La question kurde fut longtemps le principal déterminant de la qualité des relations de la Turquie avec ses voisins musulmans. Aujourd’hui, tous ces pays partagent la préoccupation turque à l’égard des revendications autonomistes des Kurdes présents sur leurs territoires. L’interdépendance économique régionale constitue également une puissante incitation au bon voisinage.

La nature et l’évolution des liens de la Turquie avec la Syrie, l’Irak et l’Iran ne peuvent cependant pas être mis sur le même plan.

Les préoccupations sécuritaires comme économiques expliquent en grande partie la stabilité de la relation turco-iranienne. La Mission estime que la position turque sur le dossier nucléaire iranien manque de clarté. S’il est souhaitable que des canaux de communication restent ouverts en complément de la fermeté que traduisent les sanctions, la Mission s’interroge sur l’instrumentalisation – assumée ou non – dont la Turquie comme le Brésil pourraient être victimes de la part de l’Iran.

Aujourd’hui les trois dossiers qui minaient les relations entre la Turquie et la Syrie ont presque disparu des agendas politiques pour laisser la place à une relation qualifiée de « lune de miel » par certains. L’expulsion du leader kurde, Abdullah Öcalan, a probablement été le déclencheur d’un rapprochement dont les retombées économiques sont importantes. La Mission espère, au vu des derniers développements, que l’éclaircie dans les relations avec la Syrie ne signifie pas l’éclipse dans celles avec Israël puisque la Turquie est la première à revendiquer sa capacité à dialoguer avec tous les acteurs régionaux.

Comme avec ses deux autres voisins musulmans, les relations entre la Turquie et l’Irak sont dictées à la fois par des considérations économiques et sécuritaires. La lutte contre le PKK justifie l’attention particulière portée au devenir de l’Irak et au maintien de son intégrité territoriale. La politique à l’égard du Kurdistan irakien est souvent reconnue comme un succès indéniable, parfois le seul, de la politique étrangère turque.

Le Moyen-Orient apparaît donc aujourd’hui comme le seul véritable terrain d’expression pour la politique étrangère turque. Le rapprochement avec la Syrie et l’Irak ainsi que liens cordiaux avec l’Iran constituent la première pierre de la construction d’une puissance régionale qui s’enorgueillit de pouvoir dialoguer avec tous les interlocuteurs. Cette position, pour autant qu’elle soit tenable, suscite des questions voire des craintes parmi les puissances occidentales mais aussi parmi les acteurs du Moyen-Orient.

La Turquie, en s’investissant de nouveau au Moyen-Orient, cherche d’abord à tirer parti de la nouvelle donne géopolitique.

D’une part, la Turquie comble le vide laissé par les échecs américains, la passivité européenne et les grands frères arabes. D’autre part, la Turquie compense l’absence de perspective européenne en se tournant vers d’autres terrains d’action.

Cette volonté turque de s’imposer dans la région se heurte néanmoins à la réticence voire à l’opposition de nombreux pays du Moyen-Orient. La Turquie présente notamment le défaut de n’appartenir ni au monde arabe ni au monde perse. Il est en outre nécessaire de distinguer la perception de la « rue arabe » et des dirigeants. Le Premier ministre turc fait d’ailleurs preuve d’un talent certain pour s’adresser aux masses musulmanes.

Sur le conflit israélo-palestinien, les responsables palestiniens que nous avons rencontrés ne semblent par exemple pas convaincus par la pertinence des interventions turques.

Plus qu’entre sunnites et chiites ou entre perses et arabes, le Moyen-orient semble aujourd’hui divisé entre islam modéré et islam radical. La Turquie pourrait s’imposer comme le porte-drapeau de l’islam modéré. Certains pays arabes voient en la Turquie le seul pays de la région aujourd’hui capable de contrebalancer l’influence iranienne.

De nombreuses personnes rencontrées par la Mission considèrent que la Turquie peut être un modèle pour le Moyen-Orient, modèle économique et démocratique.

Les liens avec le Hamas sont présentés par les Turcs comme la preuve de leur objectivité, de leur capacité à ne prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre. L’attitude actuelle de la Turquie à l’égard d’Israël semble pourtant contredire cette affirmation. La Turquie ne peut cependant rompre ces liens avec le Hamas si elle veut peser dans le processus de réconciliation nationale même si cette attitude suscite des craintes, y compris chez les Palestiniens.

La Mission souhaite saluer l’implication bienvenue de la Turquie dans la solution des conflits du Moyen-Orient. Elle considère qu’en dépit de quelques dérapages condamnables, la Turquie est parvenue au nom de sa capacité de médiation à maintenir un équilibre subtil entre la modération et la radicalité. Cependant, cet équilibre est précaire. La Mission estime donc que les relations de la Turquie avec les Etats ou les organisations extrémistes doivent être observées avec une vigilance particulière.

Je laisse de nouveau la parole à M. Roubaud pour conclure.

M. Jean-Marc Roubaud, président de la mission. Pour conclure, je voudrais insister sur la puissance économique turque et le fait que l’essentiel de la diplomatie du pays est à son service. Il est vrai que la dégradation récente de ses relations avec Israël contredit l’aspiration affirmée par la Turquie de « zéro problème avec le voisinage », mais les intérêts économiques turcs plaident clairement en faveur de la stabilité dans la région.

La détermination de la Turquie à adhérer à l’Union européenne reste intacte, comme nous l’a confirmé le président de la République. Mais la diplomatie turque devra résoudre ses paradoxes.

La question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne divise l’opinion publique française. Je vais vous faire part de quelques réflexions personnelles à ce sujet. Il me semble essentiel que la Turquie poursuive le processus d’adhésion, ce qu’a permis la France en ouvrant deux nouveaux chapitres de négociation sous sa présidence. Je suis en outre persuadé qu’il ne faut pas laisser la Turquie s’ancrer du côté de l’Iran et de certains Etats arabes peu sûrs. La France doit adopter une position d’apaisement et s’efforcer de développer ses partenariats, notamment économiques, avec la Turquie, car les deux parties ont beaucoup à y gagner. Le positionnement de la France contre l’adhésion turque à l’Union européenne lui a déjà coûté un certain nombre de marchés, parfois au profit d’entreprises russes. En tout état de cause, personne n’aura à prendre de décision sur la question de l’adhésion avant quinze à vingt ans et c’est alors la situation en Turquie qui devra être prise en considération.

Actuellement, ce sujet cristallise des préoccupations internes de part et d’autre. En France, la sensibilité, légitime, aux problèmes des Arméniens, l’image négative qui entoure souvent les musulmans, tous perçus comme arabes, pèsent dans l’opinion publique. En Turquie, les difficultés rencontrées dans le traitement de certains chapitres de négociation trouvent aussi des causes dans la politique intérieure.

M. le président Axel Poniatowski. Nombreux sont nos collègues qui souhaitent poser une question ou exprimer une opinion. Je vous annonce que, à partir du mois de septembre, le bureau décidera du temps de parole qui sera accordé à chaque membre de la commission, en fonction du nombre de demandes d’intervention. Je veillerai à ce que ce temps soit respecté en utilisant un sablier électronique.

Mme Martine Aurillac. Je tiens à féliciter le Président et la Rapporteure pour leur rapport, qui montre bien la complexité du sujet.

Il met notamment en évidence les ambiguïtés et paradoxes de la position turque sur le Moyen-Orient. Les Palestiniens que nous avons rencontrés ont souhaité que la Turquie entre dans l’Union européenne, ce qui aurait pour effet de l’éloigner du conflit proche-oriental !

Je partage les conclusions du président de la Mission : il faut en effet poursuivre le processus d’adhésion. Je m’interroge sur les limites de la montée en puissance de la Turquie : la concurrence de l’Egypte, celle des pays émergents, le poids du problème arménien, qui sera encore accru si le Congrès des Etats-Unis reconnaît le génocide arménien, ne risquent-ils pas de limiter ses possibilités d’actions ?

M. Dominique Souchet. La diplomatie turque connaît de nouveaux développements dans le Sud Caucase. L’accord qu’elle avait conclu avec l’Arménie a été remis en cause dès le lendemain de sa signature. Ankara endosse désormais la politique de nouveau agressive de l’Azerbaïdjan, qui s’est traduite par de récents incidents dans la région du Haut-Karabakh, lesquels ont fait plusieurs morts de part et d’autre. La Turquie joue avec le feu alors que les moyens militaires azerbaïdjanais ont été décuplés au cours des dernières années grâce à la rente pétrolière. Le Haut-Karabakh est redevenu une véritable poudrière. Pourriez-vous nous expliquer ce revirement de la diplomatique turque ?

M. Jean-Michel Ferrand. On critique régulièrement le fonctionnement de la démocratie en Turquie mais je tiens à souligner que le parti au pouvoir perd régulièrement les élections et que la place des femmes y est sur certains points plus avancée qu’en France : les Turques ont obtenu le droit de vote bien avant les Françaises et l’une d’entre elle, Mme Ciller, a occupé le poste de premier ministre pendant trois ans.

Pour ce qui est de la position de la Turquie vis-à-vis d’Israël, il ne faut pas oublier qu’elle a très longtemps été son seul allié dans la région et que les deux pays ont réalisé de nombreuses manœuvres militaires communes. En ce qui concerne Chypre, l’origine de la séparation de l’île en deux entités est imputable aux colonels grecs qui voulaient l’annexer, et non à un quelconque expansionnisme turc.

N’est-il pas dangereux de se prononcer en faveur de la poursuite des négociations tout en affirmant que la Turquie n’a pas sa place en Europe ?

M. Philippe Cochet. Je souhaiterais aborder l’aspect militaire de la puissance turque. L’armée turque est la troisième d’Europe derrière les armées française et britannique. Le processus de rapprochement entre la Turquie et l’Union européenne aura-t-il des conséquences sur les forces militaires turques et, le cas échéant, dans quel sens ?

L’accord signé dans le domaine du nucléaire avec l’Iran a été obtenu par un travail conjoint des diplomaties turque et brésilienne. Faut-il attendre de nouveaux développements de cette coopération ? Les travaux de la Mission vous ont-ils conduit à être plutôt favorables ou plutôt défavorables à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ?

M. Jean-Louis Bianco. Je suis moi aussi d’accord avec les conclusions du président. La question de l’adhésion est très complexe et il est vrai que la crise économique risque encore de renforcer la position de ceux qui y sont hostiles. Il me semble néanmoins indispensable de réaffirmer que cette question reste ouverte. On verra bien, le moment venu, quelle réponse lui sera apportée. Jusqu’ici, même si deux nouveaux chapitres ont été ouverts sous sa présidence, la France continue à donner le sentiment qu’elle est défavorable à l’entrée de la Turquie.

Il me semble que, la question de Chypre mise à part, les relations entre la Turquie et la Grèce s’étaient réchauffées. L’avez-vous également constaté ? Un certain nombre de progrès ont été enregistrés dans le rapport entre les autorités turques et la communauté kurde mais des blocages subsistent. Pourriez-vous revenir sur ce sujet ? La diplomatie turque est-elle influencée par d’autres pays que les Etats-Unis et la Russie ?

M. Michel Terrot. Je voulais interroger le président et la rapporteure sur les relations entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, thème qui a déjà été abordé par M. Dominique Souchet.

M. Lionnel Luca. Je retiens de la présentation de ce rapport le grand nombre d’ambiguïtés de la diplomatie turque. Il est difficile de se faire une opinion claire sur ses positions, dans quelque domaine que ce soit. Peut-être n’est-ce que de l’habileté politique… Il me semble néanmoins qu’il ne faut pas mésestimer le poids de l’histoire et de la géographie. J’ai le sentiment que la Turquie aspire à retrouver une puissance « ottomane » sous de nouvelles formes. Ce n’est pas une aspiration méprisable, mais une traduction de la fierté nationale turque.

Pourriez-vous préciser les relations que la Turquie entretient avec la Bosnie-Herzégovine, avec le Kosovo et avec l’Allemagne ? Par ailleurs, j’estime que la commission devrait s’intéresser au problème kurde en tant que tel. Il est regrettable que la situation de ce peuple, partagé entre plusieurs Etats, suscite aussi peu l’attention des médias.

M. Jean-Michel Boucheron. La Turquie est le seul espace de respiration stratégique de l’Europe, tout ce qui peut amener à adopter des positions plus visionnaires sur l’avenir des relations entre la Turquie et l’Europe est positif. Actuellement, l’évolution des mentalités est trop lente, et la position de l’exécutif français n’est pas la bonne. J’aimerais que les responsables politiques de notre pays gouvernent avec le sens du long terme, et pas le nez dans les sondages.

L’Europe comprend mal la nouvelle politique extérieure de la Turquie, qui est, en réalité, le résultat de l’histoire et surtout de la géographie de ce pays, et de l’émergence d’un monde multipolaire.

J’aurais deux questions. Vers quel pays le leader kurde Oçalan a-t-il été expulsé ? Percevez-vous des évolutions sur le dossier chypriote ?

M. Christian Bataille. Je n’ai pas ressenti les mêmes évolutions des relations entre la Turquie et la France. La Turquie éprouve un ressentiment assez fort sur les mécomptes de son adhésion à l’Union européenne à l’égard de deux pays : l’Allemagne, du fait de l’importante communauté turque allemande, et la France, avec laquelle la relation ressemble à du dépit amoureux.

La Turquie estime que la France a surdimensionné la question de son adhésion à l’Union européenne. Les Turcs gardent en tête la campagne de 2007, au cours de laquelle il fut beaucoup question de ce point, et leur dépit amoureux est d’autant plus fort que beaucoup d’éléments rapprochent la Turquie de la France.

La laïcité d’abord. Peu de pays musulmans sont aussi laïcs que la Turquie, à part peut-être la Tunisie. L’héritage kémaliste reste vivace, malgré un retour relatif de l’Islam dans la vie quotidienne. La langue, en deuxième lieu. Malheureusement limitée à la précédente génération de l’élite turque, le français reste toutefois très pratiqué en Turquie. Enfin, l’Histoire. La France a des relations plus qu’anciennes avec la Turquie.

En-dehors de la question de l’adhésion à l’Union européenne, qui ne sera pas résolue avant longtemps, la France doit développer considérablement ses relations avec la Turquie, sur tous les points. La Turquie est notre meilleure porte d’entrée vers l’Asie, et la France ne doit pas ramener l’évolution de ses relations avec cette grande puissance à une simple question binaire. Après les dérapages passés, est-il raisonnable d’espérer un rattrapage de nos relations avec la Turquie ?

Enfin, la Turquie est un pays de transit pour l’énergie. Vous avez cité Nabucco, mais de nombreux autres réseaux existent. Toutefois, concernant Nabucco, celui-ci ne peut être rentabilisé qu’avec l’apport de gaz et de pétrole iranien. Pensez-vous que cela puisse devenir réalité ?

M. Jean-Paul Dupré. L’attitude ambiguë de la France et de l’Europe vis-à-vis d’une République laïque comme la Turquie est très préjudiciable, compte tenu du rôle de ce pays dans l’Histoire, de son poids géographique, et des évolutions à venir. Il est urgent d’être responsable.

Vous avez évoqué des difficultés nouvelles concernant le respect de la laïcité. Pourriez-vous être plus précis ?

M. Jean-Claude Guibal. La Turquie est une puissance émergente qui s’appuie sur une histoire ancienne et glorieuse, et peut suivre désormais plusieurs stratégies de développement géopolitique. Dans les discours, et les rêves, des dirigeants turcs, avez-vous perçu des références à l’empire ottoman ? Est-ce une référence pour les futurs développements géopolitiques turcs ?

Concernant l’Union pour la Méditerranée, quel rôle celle-ci peut-elle jouer dans les relations entre la Turquie et l’Europe ? L’entrée de la Turquie en Europe pourrait-elle modifier l’organisation de l’Union européenne ?

M. Jean-Luc Reitzer. J’ai toujours été convaincu de la nécessité d’ancrer la Turquie en Europe, la question des modalités venant nécessairement après cette affirmation. Personnellement, j’ai été frappé par la qualité du personnel politique turc. En tant que membre de l’assemblée parlementaire de l’OTAN, j’estime que la Turquie est un élément essentiel de notre dispositif de sécurité.

Pourriez-vous nous donner des éléments chiffrés concernant l’émigration turque ? Une importante communauté turque réside en Allemagne, mais aussi en Alsace, et notamment dans ma commune. Quelles conséquences la croissance économique très rapide de la Turquie a-t-elle eu sur l’émigration ?

M. Jacques Myard. La Turquie est turque, comme elle l’a rappelé en refusant l’autorisation de survol de son territoire aux avions américains lors de la guerre d’Irak de 2003. La Turquie défend ses intérêts stratégiques qui lui sont dictés par sa géographie, ce qui est parfaitement normal. La Turquie appartient à l’espace euro-méditerranéen, c’est une évidence. Je suis étonné des propos tenus sur la relation entre la Turquie et Israël. De nombreux Juifs ne se sont-ils pas réfugiés en Turquie dans le passé ? Il y avait également de nombreuses loges maçonniques dans le pays.

Ne pourrait-on pas donner un mandat à la Turquie pour stabiliser le Moyen-Orient ?

M. Jean-Paul Lecoq. Il est évident que la Turquie est appelée à jouer un grand rôle à l’avenir. Concernant le problème kurde, l’accession de la Turquie à la présidence de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe modifie-t-elle la donne ?

M. Jean-Pierre Kucheida. La Turquie a un patrimoine commun avec la France. Atatürk souhaitait absolument l’arrimage de son pays à l’Europe et historiquement l’empire ottoman a toujours eu un tropisme vers l’Europe. Mais la Turquie, ce sont des Turcs.

Le problème est que, si l’Europe refuse de se rapprocher de la Turquie, celle-ci se tournera vers l’Est et l’Asie centrale en raison de facteurs géostratégiques – présence d’hydrocarbures – et culturel – une religion commune. Notre intérêt majeur est de ne pas laisser ce glissement s’opérer. Nous avons, nous Français, une responsabilité très lourde.

M. Didier Mathus. La question turque est devenue, en France, une question de politique intérieure. Comment peut-on la dégager de cette ornière pour en faire, à nouveau, un sujet de politique étrangère ?

M. Jean-Marc Roubaud, président de la mission. Pour répondre à Martine Aurillac, il est évident que le développement de la puissance économique turque sera progressif et devra faire face à la concurrence d’autres pays.

En réponse à Dominique Souchet, sur le sud Caucase, les résultats de la politique turque sont minces. Je partage les opinions exprimées par Jean-Michel Ferrand et Jean-Louis Bianco. Pour répondre à Philippe Cochet, l’effort militaire continuera, il est nécessaire. L’ancrage de la Turquie à l’OTAN reste fort : celui-ci pourrait avoir une influence sur les relations avec Israël. Il faut cependant avoir conscience que l’axe traditionnel Turquie-Israël-Etats-Unis est fêlé en ce moment.

La Russie a une influence très forte sur la région, qui relègue parfois la Turquie au second plan notamment dans le Caucase.

Je suis d’accord avec Lionnel Luca quant au poids de l’histoire. L’empire ottoman est une fierté pour ce grand peuple.

Quant à la remarque de Jean-Michel Boucheron sur les sondages, on fait tous de la politique. Les positionnements de la campagne de 2007 étaient à usage interne, et c’est la même chose en Turquie où les problèmes de politique intérieure pèsent sur le processus de réformes demandées par l’Europe.

Je partage aussi l’avis de Christian Bataille. La Turquie est un hub énergétique. Il y a là un entrelacement de réseaux impressionnant, dont Nabucco n’est qu’un des éléments. La question de la relation avec l’Iran est d’autant plus importante mais il ne faut pas laisser la Turquie bouleverser les alliances et les équilibres au Moyen-Orient, tout en espérant que l’Iran se démocratise.

Sur la question de Jean-Claude Guibal, la Turquie a été très réticente sur l’UpM au début, croyant qu’on lui présentait un hochet de substitution à l’Union européenne mais elle a désormais conscience de son importance, et joue pleinement son rôle.

Comme le dit Jean-Luc Reitzer, la Turquie au sein de l’OTAN demeure un allié majeur de notre sécurité collective. Donner un mandat à la Turquie sur le Proche-Orient, comme le suggérait Jacques Myard, est sans doute difficile mais elle peut tenir le rôle de stabilisateur. Enfin, comme le disait Didier Mathus, sur la position de la France, nous avons effectivement une carte d’apaisement à jouer aujourd’hui pour construire quelque chose pour le futur.

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure. Je crois que, en ce qui concerne la Turquie et le parti actuellement au pouvoir, on n’a pas encore pris la mesure du changement par rapport aux vieilles élites kémalistes. Il s’agit d’un parti qui représente la grande bourgeoisie anatolienne, conservatrice, bigote, si l’on peut employer ici ce terme, et très industrieuse. Les questions d’Islam, de radicalisme sont à examiner dans ce contexte. Il y a aussi une nette évolution en ce qui concerne les femmes. Il y a deux ans, la Cour suprême devait faire échec au dépôt d’un projet de loi sur l’adultère féminin. En deux ans, au cours de nos deux visites successives, nous avons vu une nette évolution, depuis un point de départ proche de la caricature.

Sur la question kurde dont le gouvernement a fait une de ses priorités depuis 2009, on constate également des évolutions : il y a désormais une télévision publique en langue kurde, qui est par ailleurs enseignée dans un département de langue orientale de l’université. Le projet d’« ouverture démocratique » est certes loin d’avoir abouti mais il y a une volonté réelle de progresser sur ce thème. J’invite d’ailleurs à faire le parallèle avec la Syrie où la situation des kurdes est moins favorable. Pour M. Boucheron, je précise qu’un Ocalan a été condamné à mort et qu’il est en prison. Face au regain de violence actuel, les responsables turcs souhaitent relancer le processus démocratique en direction des Kurdes. Sur le respect des minorités, les choses doivent être nuancées. Les minorités religieuses en Turquie ne sont pas aidées et l’absence de reconnaissance de leur personnalité juridique leur pose problème. Lors d’un déplacement il y a deux ans, on a ainsi pu voir ce qu’il en était des minorités chrétiennes, qui ne peuvent pas avoir les moyens d’entretenir leurs monuments, qu’on empêche de former de jeunes générations capables de prendre la relève. Les minorités musulmanes ne sont guère mieux traitées malgré les discours d’ouverture et de tolérance. Elles sont ainsi fortement incitées à adopter des pratiques proches de celles de la majorité. Il y a donc encore beaucoup de progrès à faire, sans parler de la question chypriote.

Sur la question de l’adhésion à l’Union européenne, il y a deux ans, je vous aurais répondu non. Aujourd’hui, je dirais qu’il ne faut pas insulter l’avenir. Le monde va vite. La planète traverse une crise financière et morale. Il faut continuer le processus de négociation et lorsque le problème se posera, on s’apercevra qu’ils sont fortement tournés vers nous. Cela étant, pourquoi tout le monde pousse-t-il à cette adhésion ? Les Palestiniens que nous avons rencontrés comme l’a rappelé Mme Aurillac considèrent que si la Turquie était membre de l’Union européenne, elle se mêlerait moins des affaires du Proche-Orient tandis que l’Union européenne pourrait s’y impliquer davantage. Il faut souligner en même temps le poids de l’Egypte dans la région.

Enfin, concernant l’Arménie et l’Azerbaïdjan, j’ai une sensation d’enlisement. Cependant, la Turquie est assez pragmatique : quand le moment sera venu, ils seront capables d’avancer.

Puis la commission autorise la publication du rapport d’information.

La séance est levée à douze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 7 juillet 2010 à 11 h 15

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Aurillac, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Jean-Michel Boucheron, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Claude Guibal, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Lionnel Luca, M. Didier Mathus, M. Gérard Menuel, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Santini, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. Alain Bocquet, Mme Geneviève Colot, M. Alain Cousin, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Paul Giacobbi, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. François Loncle, Mme Henriette Martinez, M. Jean-Claude Mignon, M. Alain Néri, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle