Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mercredi 7 juillet 2010

Séance de 15 h 00

Compte rendu n° 88

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense

Audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense

La séance est ouverte à quinze heures dix.

M. le président Axel Poniatowski. Nous vous recevons aujourd’hui pour évoquer les nouveaux accords de défense, ou accords de nouvelle génération, principalement avec les pays africains. L’actualité nous incite à vous interroger également sur la situation en Afghanistan, compte tenu des récents événements, notamment le changement sur place du commandant en chef des forces alliées en Afghanistan.

Le 29 février 2008, dans un discours prononcé en Afrique du Sud, le Président de la République a annoncé une remise à plat de la présence française en Afrique, impliquant la négociation et la signature de nouveaux accords de défense. Il a également considéré que la France n’avait plus vocation à agir seule militairement sur le continent africain et qu’elle devait désormais le faire aux côtés d’instances telles que l’Union africaine et l’Union européenne. Nous souhaiterions donc que vous fassiez le point sur ces nouveaux accords de défense, qui devront faire l’objet d’une autorisation parlementaire de ratification et qui ont été signés avec le Togo, le Cameroun, la République centrafricaine, les Comores, la Côte d’Ivoire, Djibouti, le Gabon et le Sénégal. Ils doivent remplacer des textes qui, pour la plupart, datent de plus de cinquante ans, ayant été établis lors de l’indépendance de ces pays. Dans le cadre de la loi de programmation militaire 2009-2014 et dans le prolongement du Livre blanc, le Gouvernement s’est engagé à transmettre à la Représentation nationale les accords de défense que la France signerait à l’avenir et à exclure de ceux-ci toutes stipulations relatives à la participation des forces françaises à des opérations de maintien de l’ordre. Cet engagement signifie-t-il la fin des accords secrets de défense entre la France et certains pays d’Afrique ?

La situation en Afghanistan nous préoccupe aussi. Des militaires français sont présents dans ce pays et deux journalistes français y sont capturés depuis six mois. Pouvez-vous nous indiquer l’état actuel du dispositif français dans ce pays, nous préciser les problèmes auxquels il est confronté et les missions qu’il accomplit, notamment pour la formation des forces afghanes de sécurité ?

Par ailleurs, comme je viens de l’évoquer, le général Mac Chrystal, commandant des forces alliées en Afghanistan, a été remplacé par le général Petraeus, issu de la même école de pensée. Le président Obama a promis de commencer le retrait des troupes américaines en 2011. De quelles informations disposez-vous sur la réorientation possible de la politique américaine en Afghanistan ? À défaut, pouvez-vous décrire les scenarii possibles pour les mois à venir ?

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Cette audition, après celle de ce matin devant la Commission de la défense, me donne l'occasion de faire le point sur deux sujets d’actualité, le premier portant sur la rénovation de nos accords de défense avec les États africains, qui doit prendre en considération trois évolutions fondamentales : la première est l'obsolescence des accords de défense, signés pour la plupart au lendemain du processus de décolonisation et comportant des clauses de sécurité intérieure qui n’ont plus lieu d’y figurer ; la deuxième est le développement du pôle politique et stratégique de l'Union africaine ; la troisième est la montée en puissance de l’architecture de paix et de sécurité africaine (APSA), avec des forces armées associées, qu’on appelle les forces africaines en attente (FAA), permettant progressivement le développement d’une capacité opérationnelle propre au continent africain.

Vous avez évoqué le discours du président de la République au Cap en 2008, à la suite duquel nous avons engagé la rénovation des accords de défense, qui seront soumis à l’approbation du Parlement et publiés au Journal officiel.

Avec les huit États concernés – le Cameroun, les Comores, la Côte d'Ivoire, Djibouti, le Gabon, la Centrafrique, le Sénégal et le Togo –, nous avons modifié en profondeur l'esprit et la finalité de ces accords. Il ne s'agit plus de garantir à nos partenaires une assistance militaire pour intervenir en cas de menace sur leur sécurité mais de renforcer avec eux la coopération de défense et de sécurité afin d’appuyer la montée en puissance de leurs propres forces. Nous abandonnons l’idée d’intervenir directement dans leurs questions de sécurité intérieure.

Cette évolution s'accompagne d'une ouverture vers une dimension multilatérale, avec la possibilité d'associer à un partenariat de défense d'autres pays africains ou européens, ainsi que les institutions européennes, qui ont développé le programme EUROCAMP, portant à la fois sur la fourniture de matériel et sur la formation des forces nationales. Pour mener à bien ce chantier, un groupe de travail mixte a été constitué par le ministère des affaires étrangères et le ministère de la défense. Entre le printemps et l'été 2008, il a conduit une mission d'information et de prise de contacts dans les pays concernés, avant de s'atteler à la rédaction des nouveaux accords.

Sur la forme, il a été décidé de fixer le nouveau cadre juridique de notre relation de défense avec les États concernés dans un texte unique, qui se décline en deux accords type, selon que la France a, ou non, des forces présentes dans le pays hôte, et qui sont ensuite adaptés à chaque situation particulière. Les accords sont conclus pour une période de 5 ans, renouvelable par tacite reconduction.

Sur le fond, ce nouveau modèle d’accord ne comporte plus, sauf pour Djibouti, de stipulation impliquant un concours de notre pays en cas d'agression extérieure. Il est centré sur la coopération militaire, menée soit par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères et européennes, soit par l'état-major des armées. Il prend en compte, dans la relation de défense entre les deux pays, la promotion des systèmes de sécurité collective des Nations unies et de l'Union africaine. À travers la référence au respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale des partenaires, le nouvel accord manifeste clairement notre volonté de non-ingérence dans les affaires intérieures des États concernés. Enfin, pour les pays dans lesquels nous maintiendrons des forces, l’accord comporte une annexe spécifique prévoyant les facilités qu’accorde le pays hôte pour la vie courante et l’entraînement de nos troupes.

Le processus de rénovation est bien engagé. Nous avons déjà conclu trois accords, avec le Togo, le Cameroun et la Centrafrique. Un traité a été élaboré avec le Gabon. Trois autres accords sont en cours de négociation, avec le Sénégal, Djibouti et les Comores. Le projet établi pour la Côte d'Ivoire ne sera transmis qu'après une éventuelle élection présidentielle.

Pour les accords déjà signés, le processus de ratification par le Parlement est enclenché. Les projets de loi relatifs aux accords avec le Togo et le Cameroun, qui ont reçu un avis favorable du Conseil d’État et du conseil des ministres, sont déjà en cours d'examen au Sénat.

J’en viens à la situation en Afghanistan. Vous connaissez comme moi son histoire au cours des dernières années. Quels sont nos objectifs? Le premier est la montée en puissance de l’armée nationale afghane et des forces de police assurant la sécurité, afin de parvenir à un effectif de 400 000 hommes en mesure de garantir la stabilité du pays. Le deuxième est le renforcement de la gouvernance et des institutions afin de permettre au pays de disposer des éléments fondamentaux d’un État de droit, et notamment une justice qui fonctionne. Le troisième réside dans la contribution au redressement du pays : notre présence militaire doit s’accompagner de projets de reconstruction et de développement civils.

Si nous respectons le cap fixé lors des sommets de l’OTAN et du sommet de Strasbourg d'avril 2009, la nouvelle stratégie arrêtée par les membres de l’Alliance repose sur trois principes.

En premier lieu, une stratégie de contre-insurrection, grâce à des forces très proches de la population, non seulement pour assurer leur sécurité mais aussi pour leur donner confiance. À cet égard, les annonces faites par certains pays européens sur leur retrait prochain d’Afghanistan ne facilitent pas l’exercice. Les populations se trouvent en effet prises entre les forces de l’Alliance, avec lesquelles elles ont plutôt envie de coopérer, et les Talibans, auxquels elles redoutent d'être bientôt confrontées.

En deuxième lieu, il est prévu d’opérer le transfert de la responsabilité de la sécurité aux Afghans, avec la réalisation des objectifs intermédiaires – ce que je n’ai cessé de réclamer depuis trois ans. De tels objectifs sont indispensables, assortis de points d’étape et de rendez-vous. Normalement, nous devrions être en mesure de transférer aux Afghans la sécurité d’un certain nombre de districts avant la fin de l’année. En ce qui concerne la vallée de la Kapisa et celle de la Surobi, on peut espérer, comme nous l’avons fait à Kaboul l’année dernière, transférer aux Afghans le contrôle de ces zones en 2011.

Le troisième principe consiste en une meilleure coordination des efforts civils et de l'action militaire. Ayant rencontré sur place l’ancien ambassadeur britannique en Afghanistan, désormais chargé de cette mission, j’ai eu le sentiment que les choses progressaient.

Les forces françaises ont été regroupées sur les deux districts voisins dont j’ai parlé, ce qui nous permet de disposer d’un ensemble cohérent. Nous y avons mis en place autant de groupes d’encadrement et de formation (OMLT) qu’il y a de kandaks à former, ainsi que, pour un montant de 15 millions d’euros, des programmes de reconstruction permettant notamment de bâtir des écoles, d’aménager des routes, d’aider au développement rural.

Nous sommes très engagés dans la formation des officiers, dans le cadre du programme EPIDOTE et participons désormais à la formation de la police afghane. Nos gendarmes se passionnent pour cette mission. Mais il est plus difficile de former des policiers que des militaires. En effet, les premiers ne mènent pas seulement des opérations de sécurité : ils doivent aussi connaître la procédure judiciaire, savoir mener des interrogatoires, avoir un bon contact avec la population et se faire respecter d'elle ; or nous avons affaire à 80 % d’illettrés. Toutefois, les intéressés paraissent très motivés. La police et la gendarmerie afghanes devraient donc pouvoir parvenir à remplir leurs tâches.

Jamais l’Alliance n’a perdu autant d’hommes que depuis le début de cette année, en raison de deux phénomènes : d’une part, les Talibans jettent toutes leurs forces dans la bataille, avec probablement un sentiment de découragement et d’épuisement accumulé depuis dix ans mais aussi avec l’espoir d’un renversement du rapport de forces en leur faveur en cas de lassitude et de retrait des occidentaux ; d’autre part, au fur et à mesure que les forces de l’Alliance prennent le contrôle de zones, les Talibans se compriment dans celles qu’il leur reste – nous le constatons dans les vallées placées sous la responsabilité des Français. La plupart des tués l’ont été par des engins explosifs improvisés (IED) et non lors d’affrontements réels.

On compte aujourd’hui 125 000 hommes dans l'armée nationale afghane et 106 000 dans la police nationale. Cette montée en puissance est le fruit des formations que nous dispensons avec nos alliés. Ainsi, une première brigade, de 4000 hommes, est arrivée à un certain standard d’autonomie.

Les années 2010 et 2011 seront des années charnières. Parviendrons-nous à atteindre notre objectif de transfert aux forces afghanes ? Et celles-ci seront-elles alors capables de tenir les zones placées sous leur responsabilité ?

M. Michel Terrot. Ce n’est pas demain, ni après-demain, que l’Union africaine sera capable d’intervenir sur des théâtres difficiles, comme la région des grands lacs ou le Soudan. Nos forces bénéficient d’un savoir-faire dont peu de pays peuvent se prévaloir. En outre, l’influence traditionnelle de la France en Afrique sert la protection de ses intérêts et ceux de l’Union européenne. N’existe-t-il donc pas de sérieux motifs pour qu’elle maintienne ses troupes en Afrique ?

M. le ministre. Conformément aux conclusions du Livre blanc, la France conservera un pôle militaire sur la façade atlantique, au Gabon, un pôle dans la Corne de l’Afrique, à Djibouti, et deux pôles dédiés à la coopération, au Sénégal et au Tchad. Elle garde par ailleurs une capacité de réaction avec le dispositif Guépard, qui permet de projeter une force de 1500 hommes en quarante-huit heures.

L’objectif de la politique française est désormais de favoriser la montée en puissance des forces des pays africains afin que ceux-ci se trouvent en mesure d’assurer des missions de maintien de la paix et de stabilité dans certaines zones de leur continent.

La question essentielle est de savoir ce que l’on fait de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). L’Europe devrait être plus présente en Afrique et y tenir le rôle que ne peut y tenir l’Alliance atlantique. C’est pour elle un champ naturel d’intervention du fait de l’histoire et de ce qu’elle peut, seule, y exercer une responsabilité globale. L’Union européenne est le premier espace politique d’aide au développement. Elle dispose de l’ensemble des instruments techniques et juridiques lui permettant d’intervenir. Nous devrions pouvoir nous appuyer sur une ambition européenne pour participer au maintien de la paix et de la stabilité en Afrique. C’est une préoccupation à partager avec les autres Etats européens.

Quoiqu’il en soit, notre dispositif, tel qu’il est conçu, nous permet d’assurer sur place la protection de nos ressortissants et de ceux d’autres pays.

M. Jean-Michel Boucheron. Le secrétaire général de l’OTAN, M. Rasmussen, se répand en déclarant qu’il existe un accord européen pour installer une défense anti-missiles en Europe, cohérente avec le dispositif américain. Quelle est la réalité ? Quels sont ces missiles ? À quoi sont-ils censés servir ? Contre quels types d’armes ? Et quelles masses dégageriez-vous pour cela dans votre budget ?

M. le ministre. Les Européens ont donné un accord de principe pour mener un certain nombre de recherches et d’études afin de participer, en nature, au programme de défense anti-missiles. Selon les estimations initiales, le coût de la première étape de l’édification de la défense anti-missiles, qui est celle d’une participation à l’architecture du commandement et du contrôle, pourrait rester supportable pour la France sur six ans.

Toutefois, la défense anti-missiles soulève des questions plus fondamentales. Contre qui serait-elle tournée ? Contre quels types de vecteurs ? Vise-t-on seulement les pays équipés d’un armement nucléaire rustique ? Vise-t-on également les puissances nucléaires majeures ? Dans ce cas, aucun bouclier anti-missiles n'est aujourd'hui capable d'arrêter les armes de ces puissances. Dans l'histoire de l'humanité, le glaive l’a toujours emporté sur le bouclier – souvenons-nous de la ligne Maginot.

Par ailleurs, qui posséderait la clé du dispositif ? On n'imagine pas un seul instant que ce ne soit pas les Américains : ils détiennent l'essentiel de la capacité budgétaire nécessaire pour réaliser un tel système, ils en créent l'architecture et ils assurent la sécurité de l'Europe avec leurs propres moyens.

Enfin, à quel niveau ? Entre la défense exo-atmosphérique et celle de théâtre, il existe quatre ou cinq échelons intermédiaires.

La défense anti-missiles a un sens aux États-Unis, pays qui a une capacité de résilience et qui consacre 3 ou 3,5% de son PIB à sa défense. Ce serait une folie de vouloir faire croire aux pays européens qu'un bouclier anti-missiles assurerait leur sécurité à moyen terme : ils n'ont qu'une capacité de résilience très limitée, et consentir dans ce but un effort financier priverait leur défense d'autres instruments indispensables. Car, la seule façon d'assurer à moyen terme notre sécurité, notre indépendance et la paix, est de disposer d'un outil militaire qui nous fasse respecter. Dans l'enveloppe budgétaire définie que l'on connaît, il serait dangereux d'investir dans la défense anti-missiles en sacrifiant le reste.

M. Jean-Michel Boucheron. Je bois du petit lait !

M. le ministre. Certes, mais mon avis n’est pas partagé par tout le monde.

M. François Rochebloine. Nous avons appris, hier, le décès d’un militaire français, victime comme beaucoup d’autres d’un IED (improvised explosive device). Quels moyens la France, avec l’Alliance et l’Union européenne, compte-t-elle mettre en œuvre pour lutter contre ces engins explosifs ? Une radio a été créée dans la région de Surobi par les militaires français : dans quel but ?

Quel est le nombre de militaires français affectés en opérations extérieures ?

Dans le Sud Liban, les relations entre la FINUL, l’armée libanaise et la population se seraient, semble-t-il, dégradées. Qu’en est-il exactement ?

M. le ministre. L’Agence européenne de défense (AED) a décidé de déployer sur le terrain un laboratoire mobile d’analyse des IED, conçu en Grande Bretagne. La France en assurera le pilotage, avec sans doute la Pologne, l’Autriche et l’Italie. Il s’agit d’un programme prioritaire pour l’AED et d’un exemple de coopération avec l’Alliance atlantique.

Par ailleurs, nous conduisons d’autres programmes destinés à améliorer l’efficacité des blindages. Il faut dire que le véhicule de l’avant blindé (VAB), conçu pour être amphibie, dispose d’une coque sous laquelle se propage l’onde de choc des mines, ce qui le rend plus résistant aux IED que d’autres véhicules, davantage sophistiqués.

L’émetteur de Radio Surobi a été installé au-dessus du poste avancé de Tora et diffuse dans toute la région. Le but de cette radio, animée par des journalistes afghans, est de communiquer et d’expliquer notre mission aux habitants.

Au total, 8 600 militaires français sont affectés en opérations extérieures. Leur nombre sera réduit, notamment au Kosovo, où il n’est plus utile de maintenir une présence militaire – ce qu’il faut, c’est mener des missions concernant la gouvernance, la police ou la justice.

Au Sud-Liban, nos forces ont été prises à partie, attaquées à coups de bâtons et de jets de pierres. Nous dirons aujourd’hui à M. Saad Hariri, en visite privée à Paris, qu’il n’est pas acceptable que nos troupes soient traitées de cette façon. La FINUL s’est progressivement détachée de ses missions premières pour se préoccuper avant tout de sa propre sécurité : la France a toujours prié le commandement italien, puis espagnol, de mettre fin à cette situation et de reprendre la main.

M. Gaëtan Gorce. Un officier supérieur s’est interrogé publiquement sur la stratégie et les objectifs de notre action en Afghanistan. Qu’en pensez-vous ? Le débat est-il, par principe, exclu ?

Notre accord avec le Tchad, qui date de 1976, a été modifié à deux reprises. Ce que nous en savons laisse penser que les tâches de l’armée française sont limitées à la logistique et à la formation. Or plus de 1 000 soldats français sont présents au Tchad et ont été appelés à intervenir lors des événements de février 2008. Il faut bien sûr les féliciter d’avoir su, dans des conditions difficiles, assurer la protection des ressortissants français et européens. Mais sur quel fondement juridique leur action s’est-elle appuyée ? Rien, dans les accords, ne prévoit ni ne justifie une présence militaire française aussi importante et durable. Existe-t-il une disposition secrète ? Si oui, seriez-vous prêt à la rendre publique ? L’accord avec le Tchad sera-t-il renégocié ? Que prévoira-t-il ?

Lors des événements de février 2008, Ibni Oumar Mahmat Saleh a disparu dans des circonstances où le rôle de soldats français a été évoqué indirectement, notamment par le président Idriss Déby. Celui-ci a déclaré au Nouvel Observateur qu’il avait été amené à prendre un certain nombre de décisions concernant les opposants politiques, en présence de conseillers militaires français. Confirmez-vous la présence à la présidence tchadienne de conseillers militaires pendant les événements ? De qui dépendaient-ils ? Quel était leur rôle ?

Dans un ouvrage récent, le colonel Jean-Marc Gadoullet est présenté comme un proche du président Deby, entretenant des relations bien plus étroites que celles qui existent normalement entre un chef d’État et un conseiller militaire. Je me demande d’ailleurs, monsieur le président, s’il ne serait pas logique que la Commission auditionne le colonel Gadoullet sur le rôle de la France au Tchad.

Dans le journal le Monde, l’ancien ambassadeur de France au Sénégal s’est exprimé de façon claire et sans parti pris sur les relations franco-africaines. Remettant en cause l’influence de réseaux auprès de l’Elysée, il explique que, loin de servir les intérêts de la France comme du temps de Foccart, ceux-ci cherchent à faire valoir des intérêts de tel ou tel régime africain. Que pensez-vous de ces déclarations ?

M. le ministre. Le général Desportes sera sanctionné pour deux raisons : il a enfreint son devoir de réserve et, jusqu’à nouvel ordre, les militaires obéissent au politique. On ne s’engage pas dans la critique de l’administration Obama lorsque l’on est directeur du collège interarmées de défense (CID). Sans doute la proximité de son départ à la retraite, à l’issue d’une carrière qui ne l’a jamais vu exercer ses fonctions sur un théâtre d’opérations, l’a-t-elle aidé à critiquer une politique qu’il défendait publiquement il y a encore un an.

Nous faisons aussi du renseignement au Tchad. Je me félicite que les troupes françaises aient été présentes à N’Djamena en février 2008 pour assurer l’évacuation et la protection de la totalité des ressortissants européens. Mon homologue américain, à qui je l’avais proposé, m’a même demandé – après réflexion –, d’assurer l’exfiltration du personnel de l’ambassade des États-Unis. Cela n’a été possible que parce que nous tenions l’aéroport. Si Idriss Déby a reçu un soutien indirect – les forces rebelles ne pouvaient se servir de l’aérodrome –, il s’est maintenu seul au pouvoir, sans l’appui des forces françaises. Alors que notre coopérant militaire auprès de l’état-major, certain de la victoire des forces rebelles, demandait sa propre exfiltration dans la matinée du samedi, le Président, avec trois chars seulement placés à des endroits stratégiques, a réussi à renverser le cours des choses.

M. Gaëtan Gorce. Est-ce sous votre protection que les hélicoptères tchadiens ont pu décoller ?

M. le ministre. Nous tenions l’aéroport. Il est heureux que nous ayons pu assurer la sécurité de nos compatriotes.

M. Gaëtan Gorce. Vous êtes un excellent rhétoricien. Mais ce n’est pas une réponse à ma question.

M. le ministre. De 1981 à 1995, je n’ai pas le sentiment que le dispositif EPERVIER ait beaucoup évolué… Celui-ci va être modifié en profondeur. Nous allons réduire à terme le nombre de soldats français et orienter la mission de ce dispositif vers une mission de coopération. Nous en discuterons avec le Tchad après les élections, qui auront lieu en 2011.

M. Gaëtan Gorce. Confirmez-vous que le colonel Gadoullet n’était pas présent aux côtés d’Idriss Déby dans la journée du dimanche ?

M. le ministre. Il a été exfiltré lorsque nous avons estimé que sa sécurité n’était plus assurée.

Vous m’avez interrogé sur les propos de Jean-Christophe Rufin. Il appartient au ministre des affaires étrangères de s’exprimer sur cette question.

M. Patrick Labaune. Dans votre exposé, vous avez fait preuve d’une extrême prudence quant à la situation en Afghanistan. Il y a quelques années, je m’étais permis de parler d’un bourbier dont nous ne pouvions sortir qu’à deux conditions : « afghaniser » et « ethniser ».

Vous dites que vous « afghanisez », mais j’ai l’impression qu’il existe un décalage entre ce qui est dit et la réalité. Les 400 000 soldats afghans ne sont-ils pas des tigres de papier ? Nous sommes passés du rouleau compresseur américain en 2001-2002 à une guerre reposant sur la majorité Pachtoune. Pour autant, je ne crois pas que l’on soit allé au bout de cette nouvelle stratégie, dont le premier effet a été le limogeage du commandant de l'armée américaine en Afghanistan. Ce n’est pas « moins de chars et moins de soldats » qu’il faut, mais « plus de drones et plus d’ethnologues ».

M. le ministre. L’objectif à terme, c’est 400 000 soldats afghans. Je peux vous garantir qu’il s’agit désormais d’une vraie armée et que les guerriers afghans deviennent des soldats, qui planifient et mènent l’essentiel des opérations, conscients de la nécessité d’apporter la paix à leur pays. Ils sont d’ailleurs des centaines à le payer de leur vie.

Il est certain que nous avons péché par ethnocentrisme, en voulant plaquer notre système sur un pays « féodal ». Nous avons désormais admis l’idée que les institutions devaient être adaptées à la réalité afghane.

Il ne fait aucun doute – les études le démontrent – que les Afghans aspirent à la paix. Mais ils sont pris entre le marteau et l’enclume. Certes, ils coopèrent avec les forces de l’Alliance : la plupart des opérations sont basées sur des informations données par la population. Mais cette coopération est limitée, dans la mesure où la perspective d’un départ des troupes existe et qu’ils se trouvent sous la menace permanente des Talibans.

Il faut poursuivre notre mission de reconstruction. Pour les maleks que j’ai rencontrés lors de mon avant-dernier déplacement en Surobi, une prise de pouvoir par les Talibans sera évitée tant que nous aiderons à la reconstruction du pays. La pression de la population doit être telle qu’elle oblige les Talibans à désarmer. Il semble que nous ayons pris le bon chemin. À temps ? Je ne sais pas.

M. le Président Axel Poniatowski. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions.

La séance est levée à seize heures.

____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 7 juillet 2010 à 15 heures

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Jean-Michel Boucheron, M. Loïc Bouvard, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Alain Ferry, M. Hervé Gaymard, M. Gaëtan Gorce, M. Didier Julia, M. Patrick Labaune, M. Didier Mathus, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. Alain Bocquet, M. Hervé de Charette, Mme Geneviève Colot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Paul Giacobbi, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Alain Néri, M. Éric Raoult, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle