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Commission des affaires étrangères

Lundi 22 novembre 2010

Séance de 10 h 00

Compte rendu n° 17

Présidence de  M. Axel Poniatowski, président

– Audition du général David Petraeus, chef des troupes internationales en Afghanistan.

Audition du général David Petraeus, chef des troupes internationales en Afghanistan

La séance est ouverte à quinze heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, mon général, d’avoir accepté de rencontrer les parlementaires français pour évoquer un sujet qui nous concerne au plus haut point : l’Afghanistan, où plus de 3 500 de nos soldats sont actuellement engagés. Il y a deux ans, vous étiez venus nous parler de l’Irak à votre retour de Bagdad et je suis très heureux de pouvoir vous accueillir à nouveau.

Je salue également M. Charles Rivkin, ambassadeur des États-Unis en France.

M. Charles Rivkin, ambassadeur des États-Unis en France. J’ai l’immense plaisir d’être présent à l’Assemblée nationale en compagnie d’une personnalité qui incarne tous les efforts que la France et les États-Unis poursuivent en Afghanistan et ailleurs dans le monde.

J’éprouve un sentiment de fierté et d’humilité à représenter mon pays auprès d’un État ami et allié de la première heure, aux côtés duquel nous nous sommes toujours battus et avec lequel nous continuerons à combattre pour faire triompher les valeurs qui nous sont communes.

Telle est l’essence de la mission de nos deux pays en Afghanistan. Pour la mener à bien, nous pouvons compter sur un homme à la hauteur de la situation et de nos attentes, soldat et stratège, qui connaît parfaitement la région et suscite l’admiration et le respect de tous ceux qui se battent, là-bas comme ici, pour que partout les peuples libres puissent vivre en paix et en sécurité. J’ai l’honneur de vous présenter le général David Petraeus.

M. le président Axel Poniatowski. La situation, en Afghanistan, est très tendue, nous le savons tous ; vous allez nous la décrire, mon général.

Nous voudrions être rassurés sur le fait que le retour des talibans au pouvoir n’est pas imaginable.

Le président Hamid Karzai considère que ses ennemis d’hier peuvent devenir ses alliés de demain puisqu’il est en train d’essayer de créer l’union dans son pays. Vous professez depuis longtemps que les solutions militaires sont insuffisantes. Alors que pensez-vous de l’avenir politique de l’Afghanistan ?

M. le général David Petraeus. Je suis ravi d’être à Paris et je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous. Je suis effectivement déjà venu il y a deux ans, à l’issue de ma dernière tournée en Irak, juste avant de prendre la tête du commandement central des forces américaines ; j’étais alors loin d’imaginer alors que, dix-huit mois plus tard, je serais envoyé en Afghanistan.

Je suis conscient du défi que représente le fait de m’adresser à des parlementaires, habitués à entendre bon nombre de rapports. Dans une telle situation, je me rappelle ce qu’écrivit un écolier à propos de Jules César : « C’était un grand général, né il y a fort longtemps. Il a gagné des batailles importantes puis il a prononcé un long discours au Sénat, et on l’a tué. » (Rires.) Je me souviendrai de cet avertissement.

Vous devez être très fiers de ceux qui portent l’uniforme de votre pays en Afghanistan ainsi que de vos compatriotes civils qui y servent, car ils apportent une contribution primordiale à la sécurité à long terme. Dans la province de Kapisa, le district de Surobi et d’autres districts de la périphérie de Kaboul, ils maintiennent la sécurité, et mettent en œuvre des projets de développement. Ils apportent l’expertise qui fait traditionnellement la force de la France et aident à former les forces de sécurité afghanes afin qu’elles soient en mesure, à terme, d’assurer par elles-mêmes la sécurité sur l’ensemble de leur territoire. Où qu’ils soient basés, vos militaires font montre de courage et de créativité sur le champ de bataille ; pour les populations, l’armée et la police afghanes, ils font vraiment la différence.

Le sommet de Lisbonne de l’OTAN, qui vient de s’achever, a notamment traité de l’Afghanistan. À cet égard, je trouve qu’il s’est très bien passé : la bonne perspective est bien d’envisager un transfert de pouvoir aux Afghans d’ici à la fin de 2014. Cela reflète aussi la force de l’Alliance : je suis fermement convaincu de l’importance des coalitions. Un commandement militaire couvrant des forces de plus de quarante pays, avec des douzaines de langues et diverses normes et pratiques institutionnelles, cela pose certes des difficultés. Le maréchal Foch disait d’ailleurs qu’il admirait un peu moins Napoléon depuis qu’il avait expérimenté la difficulté de conduire une coalition. Néanmoins, Winston Churchill observe que la seule chose pire que d’avoir des alliés, c’est de ne pas en avoir. Au cours des nombreux conflits que les États-Unis ont dû affronter depuis leur création, votre pays a toujours été un allié très précieux.

Avec un grand nombre d’autres alliés, nous avons maintenant engagé une nouvelle entreprise, qui revêt une importance fondamentale pour tous nos pays. Notre objectif premier est de nous assurer que l’Afghanistan ne redeviendra pas un sanctuaire pour Al-Qaida ou d’autres extrémistes transnationaux. Pour y parvenir, nous devons aider nos partenaires afghans à développer leur capacité à assurer leur sécurité sur leur territoire et à se gouverner eux-mêmes, ce qui n’est pas une tâche aisée.

Nous avons néanmoins marqué des points, en particulier ces derniers mois. Nous sommes venus à bout de refuges importants pour les talibans, avons pu freiner l’élan qu’ils avaient depuis 2005, au point d’inverser la tendance dans des régions importantes du pays. Mais il faut bien reconnaître que, dans d’autres zones, ils conservent toute leur liberté de mouvement.

Les progrès enregistrés l’ont été au prix de sacrifices significatifs de la FIAS et des civils engagés ; pour conserver ces acquis, il faudra en consentir encore davantage. Nous avons connu des succès mais également, comme toujours, des revers. L’ampleur de la tâche n’a pour équivalent que l’engagement des nations et de leurs soldats, les Anglais, les Français, les Américains et tous les autres. Je tiens donc à remercier, à travers vous, les citoyens français, que vous représentez, ainsi que tous les soldats français qui ont fait des sacrifices pour cette mission fondamentale (applaudissements.).

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie de l’appréciation que vous portez à l’égard des troupes françaises.

Que pensez-vous de la formation de l’armée afghane, clé du désengagement de la FIAS ?

Quelle est l’attitude réelle du gouvernement pakistanais face aux talibans, dont les bases sont implantées au Pakistan ? Comment ce pays contribue-t-il à la lutte contre les talibans ? Des opérations y sont menées par les Américains, seuls, en leur nom propre. Les forces de l’OTAN seront-elles un jour amenées à intervenir ? L’action des forces pakistanaises peut-elle suffire ?

M. Jean-Michel Boucheron. Je suis personnellement très satisfait des décisions prises à Lisbonne, ce week-end, concernant l’Afghanistan, avec une programmation jusqu’en 2014 visant à rendre l’Afghanistan aux Afghans. Nous ne sommes en effet intervenus là-bas, au départ, que pour lutter contre Al-Qaida. Le devenir de la société afghane concerne les Afghans et eux seuls. Passée l’échéance de 2014, s’il s’avère qu’Al-Qaida a reconstitué une base d’entraînement dans une vallée, que se passera-t-il ?

M. Michel Grall. Il est difficile de savoir aujourd’hui où nous en serons exactement en 2014. Si la situation n’est pas stabilisée d’ici là, le retrait ne risque-t-il pas d’être reçu comme un message de faiblesse de l’OTAN et plus généralement du monde occidental vis-à-vis du reste du monde ?

Mme Marie-Louise Fort. Lorsque les Afghans reprendront leur destin en main, quel rôle voyez-vous jouer à la Turquie, qui a déjà pris quelques initiatives, notamment en direction de l’Iran ?

M. Henri Plagnol. Nous avons été sensibles à votre francophilie, mon général

Concernant la formation des armées, ne redoutez-vous pas les clivages ethniques et religieux ? Comment construire une armée nationale dans un pays comme l’Afghanistan, qui n’est pas un État-nation ? N’existe-t-il pas un risque de libanisation de l’Afghanistan ?

Ne convient-il pas d’envisager un prolongement diplomatique à l’échéance de 2014, avec une conférence internationale réunissant l’ensemble des puissances riveraines et des membres du Conseil de sécurité, afin de garantir la neutralité de l’Afghanistan, otage de tous ses voisins, Iran, Pakistan et autres ? C’est l’une des suggestions que nous avions émises dans notre rapport d’information relatif à l’Afghanistan.

M. François Loncle. La semaine dernière, à la veille du sommet de l’OTAN, le chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a annoncé que les négociations pour la libération des otages doivent se faire avec Oussama Ben Laden et a exigé le retrait des forces françaises d’Afghanistan. Comment interprétez-vous ce message, qui traduit le lien de plus en plus étroit entre les menées terroristes en Afghanistan et au Sahel ?

M. Jacques Myard. Nous sommes face à une guerre asymétrique, du faible au fort ; pour Al-Qaida, c’est presque une guerre religieuse contre le roumi. Confondez-vous totalement Al-Qaida et les talibans ?

M. Jean-Louis Bianco. Pourquoi avoir choisi 2014 et non une échéance plus proche ou plus lointaine ? Il s’agit certes d’une décision des chefs d’État et de gouvernement mais j’aimerais que vous nous donniez votre sentiment.

Vous semble-t-il envisageable, dans les mois ou les années à venir, de détruire tout ou partie des bases d’Al-Qaida ?

Quel rôle l’Iran peut-il jouer dans l’évolution de la situation en Afghanistan ?

Quels sont les facteurs militaires et politiques les plus décisifs pour réussir la transition ?

M. Loïc Bouvard. Comment gagner les populations afghanes à notre cause ? Vos directives aux soldats de l’Alliance quant à la conduite à tenir avec les populations sont cruciales, à cet égard.

Qu’attendez-vous de l’implication de la Russie ?

M. le général David Petraeus. Monsieur le président, nous avons enregistré des progrès conséquents dans la formation des forces nationales de sécurité, tout spécialement au cours des huit à dix derniers mois, en améliorant les ressources. En réalité, nous avons consacré les vingt-deux derniers mois à élaborer les bonnes approches : en 2008 et 2009, nous avons travaillé sur les facteurs essentiels à prendre en considération en matière d’organisation des ressources humaines. Nous nous sommes finalement rendu compte que, contrairement à ce qui s’était passé en Irak, nous n’avions pas investi le niveau de ressources nécessaire en Afghanistan. Avant 2008 ou 2009, les capacités d’équipement y ont certes bénéficié d’une série d’actions de renforcement, mais jamais à un degré suffisant pour damer le pion aux talibans, qui restaient toujours un pas devant nous.

Depuis 2009, les États membres de la FIAS ont déployé 80 000 militaires et 1 000 civils supplémentaires, et les forces afghanes de sécurité se voient financées à hauteur de 100 000 hommes. Cet investissement énorme a vraiment changé la donne. Nous possédons désormais la capacité opérationnelle pour mener à bien notre campagne : nous disposons de suffisamment de ressources humaines, d’une vision et d’idées, avec un plan de campagne civilo-militaire incluant des cahiers des charges et 14 milliards de dollars de contrats chaque année pour soutenir la contre-insurrection – il faut s’assurer que cet argent tombe entre les bonnes mains.

Jusqu’à présent, la structure de formation des forces afghanes dépendait de la coalition, pas de l’OTAN. Une nouvelle entité, la Mission de formation de l’OTAN en Afghanistan, a permis, en douze mois, d’intégrer plus de 70 000 hommes aux forces de sécurité afghanes tout en améliorant la qualité des troupes. Les effectifs sont primordiaux, surtout dans un contexte de contre-insurrection, mais il faut également garantir la qualité des forces. Nous nous sommes donc efforcés d’accroître la capacité de recrutement tout en mettant l’accent sur la bonne distribution géographique : pour que la plupart des ethnies soient bien représentées, l’effort de recrutement doit aller au-delà des provinces du Nord et porter sur les provinces de l’Est et du Sud. Nous avons en outre aidé nos partenaires afghans à retenir les nouvelles recrues, une fois leur formation achevée. Nous avons donc fait des progrès mais il en reste beaucoup à faire.

Le Pakistan, ces vingt derniers mois, a pris de nombreuses initiatives pour lutter efficacement contre les forces talibanes sur son territoire. Les talibans constituent une menace réelle pour l’État pakistanais, en particulier dans la vallée de Swat. Toujours dans le nord du pays, où la situation est extrêmement préoccupante, nombre de talibans se sont réfugiés dans le district de Malakand ainsi que dans certaines zones tribales, notamment à Bajaur, Mohmand, Khyber, Orakzai et au Waziristan du Sud. Malgré les 34 000 soldats qu’elle déploie au Warizistan, l’armée pakistanaise a du mal à contrôler les talibans pakistanais punjabis qui y sévissent. Les talibans font aussi peser une menace dans les quartiers Sud et Est de Kaboul, avec le réseau Haqqani. En dépit de certaines tensions, les différentes factions de talibans afghans agissent en symbiose : très proches les unes avec les autres, elles partagent informations et matières explosives, et s’efforcent de se protéger mutuellement quand nécessaire.

Quand le Pakistan devra faire face à ces forces diverses, l’armée américaine aura un rôle à jouer. Nous avons du reste accru l’intensité de notre activité dans cette zone, qui fait peser une menace sur les États-Unis comme sur la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Les actions menées par nos forces – la presse n’en parle pas mais le Pakistan leur donne régulièrement de l’écho – n’ont fait aucune victime civile depuis dix ou douze mois, car elles sont extraordinairement précises. Pour la sécurité du monde occidental, il est crucial que cette campagne se poursuive avec la même intensité.

Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que les forces de l’OTAN s’engageront au Pakistan ; cela ne fait pas partie de notre mandat.

Il importe de soutenir le Pakistan sur le plan matériel – mon pays fournit de l’ordre de 3,5 milliards de dollars par an en aides économiques, c’est l’un de ses plus gros programmes de coopération – mais aussi sur le plan intellectuel. Le Pakistan doit comprendre qu’il a eu tort de laisser des serpents venimeux faire leur nid dans son arrière-cour en pensant que ceux-ci ne mordraient que les enfants du voisin. De fait, la jeunesse punjabie a été radicalisée par les éléments extrémistes auxquels il avait été permis d’établir des bases sur le territoire pakistanais. Il est vrai que des fonds d’Arabie saoudite, des États-Unis ou d’autres pays occidentaux ont été utilisés pour construire certaines de ces bases au temps de la présence soviétique en Afghanistan. Les Pakistanais se souviennent aussi que, après l’épisode dit de la « guerre Charlie Wilson », nous avons quitté leur pays. Nous devons leur montrer que nous sommes un partenaire fiable, que notre engagement sera solide. Mais, en dernière analyse, ils doivent bien comprendre que nous sommes extrêmement préoccupés par l’évolution des relations entre tous ces groupes, notamment ceux, animés par des aspirations transnationales vers l’Ouest, qui sont à l’origine de l’attaque terroriste de Bombay.

Monsieur Boucheron, je suis d’accord sur vos deux remarques : les décisions prises au sommet de Lisbonne sont très positives ; les attentes vis-à-vis de l’Afghanistan doivent être mesurées. Nous n’avons pas l’ambition de faire de l’Afghanistan une autre Suisse en cinq ou dix ans, ce serait complètement irréaliste. C’est d’ailleurs l’un des éléments les plus déterminants du processus supervisé par le président Obama depuis sa deuxième revue de politique, à l’automne dernier : manifester des attentes mesurées, fixer des buts réalistes. Nous avons un objectif fondamental : que ce pays ne devienne pas un sanctuaire pour les extrémistes transnationaux comme ceux d’Al-Qaida. Et la seule manière d’atteindre cet objectif, c’est de permettre à l’Afghanistan d’assurer la sécurité sur son territoire, de se préserver. Cela ne se fera évidemment pas à la façon d’une démocratie occidentale mais en fonction de la situation afghane, et c’est déjà un défi énorme.

Monsieur Bianco, si l’horizon a été fixé à 2014, c’est essentiellement parce que le président Karzai, il y a environ un an, a identifié cette échéance comme son objectif : fin 2014, les forces afghanes dirigeraient les activités de sécurité dans tout le pays. Après avoir examiné la question, nous avons considéré que l’objectif était raisonnable. Cela ne signifie pas que tous les Américains partiront à ce moment-là. Même si l’Afghanistan perçoit des milliards de dollars de ressources, nous continuerons à fournir un soutien financier conséquent pour l’aider à développer son capital humain, ses infrastructures et ses chaînes de valeurs. Je vous encourage au passage à inciter vos partenaires industriels à investir en Afghanistan ; pour se tourner vers ce pays, il faut vraiment être animé par un esprit capitaliste, un esprit d’aventure.

Quoi qu’il en soit, 2014 est un objectif raisonnable, au-delà duquel le secrétaire général de l’OTAN et le président Obama ont souligné qu’un soutien international solide continuerait d’être apporté, notamment à travers le partenariat stratégique qui a été signé. Les forces afghanes assureraient néanmoins l’essentiel des missions de sécurité dans leur pays alors que, pour le moment, même si elles savent se battre et mourir, elles interviennent plutôt en tant que troupes d’appui.

Madame Fort, le rôle de la Turquie en Afghanistan est un sujet intéressant. Nous avons une longue histoire commune avec la Turquie, pays musulman relativement modéré. La région de Kaboul, sous commandement turc, est d’ailleurs un exemple de ce que nous souhaitons faire dans tout le pays : les forces afghanes y dirigent l’effort de sécurité pour 5 millions de personnes, soit un sixième de la population. Or la sécurité y est bonne : le haut représentant civil de l’OTAN en Afghanistan a estimé que les enfants sont davantage en sécurité à Kaboul que dans bien d’autres capitales de par le monde. La Turquie apporte une contribution significative à différents égards, notamment en participant à la formation de la police afghane et en déployant des compagnies d’infanterie, actuellement au nombre de dix-huit ou vingt.

Les relations entre la Turquie et l’Iran mériteraient un autre débat. Les États-Unis et la Turquie ont effectivement des divergences quant à l’évaluation de la menace représentée par l’Iran et quant à la façon de la combattre. Mais, à ce stade, la question échappe à mon mandat.

Monsieur Plagnol, je suis francophile, c’est vrai, j’aime beaucoup le peuple français. Ma femme est née à Neuilly-sur-Seine, quand son père travaillait sous les ordres du général Eisenhower. J’ai effectué quatre sauts avec le 6è régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Mont-de-Marsan et je suis très fier d’arborer l’insigne d’officier de la Légion d’honneur. J’ai correspondu avec le général Bigeard pendant des années : lorsque j’étais en Irak, il m’a prodigué de très bons conseils. Ma famille est très fière d’être francophile et francophone. Au cours de ma carrière, il m’a été donné de servir à plusieurs reprises aux côtés de forces françaises, en dernier lieu en Bosnie. Après une période de difficultés, nos forces spéciales recommençaient alors à travailler de concert pour poursuivre des criminels de guerre, des militaires de nos deux pays se camouflant côte à côte dans des trous pour des missions de surveillance.

Avant de penser à des initiatives diplomatiques, nous devons commencer par progresser davantage sur le champ de bataille, exercer davantage de pressions sur les talibans et mieux réintégrer dans la société afghane des dirigeants et combattants talibans des niveaux intermédiaire et inférieur – au-dessus, tous sont au Pakistan et communiquent par téléphone cellulaire –, en poursuivant les démarches de réconciliation et de rapprochement avec les hauts dirigeants afghans. Des campagnes de communication et de sensibilisation ont déjà eu lieu mais nous n’en sommes qu’aux préliminaires ; là encore, il convient d’intensifier la pression. Lorsque nous récolterons les fruits de cette politique, il sera en effet très important, pour les pays de la région, de cimenter le processus, et les initiatives diplomatiques seront très utiles. Des contacts ont d’ailleurs été noués entre l’Afghanistan et l’Iran, dont les intérêts sont communs : l’Iran ne souhaite pas non plus le retour des talibans et autres organisations sunnites ultraconservatrices, il ne souhaite pas non plus que l’Afghanistan retombe dans la guerre et le trafic des stupéfiants, qui s’est du reste étiolé au cours des dernières années. Mais l’Iran ne veut malheureusement pas non plus que notre tâche soit trop aisée. Il mène donc une politique étrangère bipolaire.

Al-Qaida est véritablement un réseau international. Nous n’avons aucun renseignement solide au sujet de Ben Laden depuis des années. Jusqu’à deux ou trois semaines sont nécessaires pour lui communiquer un message et obtenir une réponse. Il reste cependant une icône. Il ne donne certes pas d’instructions opérationnelles – seulement, le cas échéant, des orientations stratégiques –, mais il dirige une structure reliant des forces variées : au Pakistan ; de petits éléments en Afghanistan – qui souhaiteraient élargir leurs sanctuaires et prendront de l’importance si les talibans reviennent – ; une présence réduite mais toujours active d’Al-Qaida dans la péninsule arabique, au Yémen, en Iran et en Irak ; dans les autres pays du monde arabe ; en Afrique de l’Est, en Somalie, avec Al-Shabbaab ; dans le Sahel et au Maghreb, comme les Français ne le savent que trop ; enfin, en Europe occidentale et ailleurs dans le monde, y compris de très petites cellules en Indonésie et bien entendu aux États-Unis. Ils sont déterminés à mener de nouvelles attaques, qui nuiraient à nos pays, à leurs citoyens, à leurs infrastructures économiques et à leurs systèmes. Ils sont ravis de pouvoir perturber le système de transport international avec de petits dispositifs à 40 ou 400 dollars.

Face à un tel réseau, la seule réponse est une réponse en réseau. Nous travaillons précisément en lien étroit avec vos services de renseignement, notamment la DGSE. Quand je commandais les forces américaines, nous avions une approche extrêmement agressive, nous pourchassions les éléments d’Al-Qaida partout où ils se trouvaient. C’est la meilleure réponse, je pense, mais, pour venir à bout de l’extrémisme, nous poursuivons aussi nos activités de sensibilisation aux messages de tolérance. Nous travaillons donc sur les deux fronts.

Je ne sais pas s’il est possible de détruire les bases d’Al-Qaida mais nous pouvons en tout cas les mettre à mal davantage qu’elles ne l’ont été auparavant. Douze des vingt plus hautes personnalités extrémistes, ainsi que d’autres responsables, ont été capturés ou tués ces dix-huit derniers mois. Nous avons donc obtenu des avancées importantes et nous devons continuer sur cette voie.

Les opérations de transition vont débuter cette année, en fonction des conditions du terrain. Nous procéderons à cette transition de manière extrêmement réfléchie et progressive, afin de la rendre irréversible, car nous n’aurons qu’une occasion et nous serons dans l’obligation de réussir. Même une fois le gros de nos troupes retiré, nous maintiendrons notre commandement en chef et nous conserverons une certaine liberté d’action sur le terrain.

Monsieur Bouvard, l’évolution de la Russie, ces derniers mois, est encourageante. Lorsque j’étais commandant en chef des forces américaines, nous étions conscients que les règles du jeu en vigueur en Asie centrale devaient faire place à un partenariat élargi pour lutter contre les extrémistes islamiques et les trafiquants de drogue, très actifs dans la région. La Russie y a également intérêt. Nous considérons cette zone comme cruciale pour la sécurité mondiale : nous avons tous à gagner à ce que la paix y soit rétablie. À cet égard, il est encourageant que la Russie ait été présente au sommet de l’OTAN et ait ouvert des couloirs aériens pour le transfert d’équipements, ce qui allège la pression pesant sur les Pakistanais et permet d’ouvrir d’autres voies d’acheminement, celles passant par le Pakistan étant fragilisées.

Je vous remercie de votre accueil et surtout pour le soutien que nous apporte la France en déployant des hommes et des femmes, en Afghanistan. Il est essentiel que leurs sacrifices soient reconnus, qu’ils se sentent soutenus par les citoyens et les dirigeants de leur pays.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, au nom de tous mes collègues d’avoir répondu précisément à nos questions, ainsi que de vos propos très amicaux à l’égard de la France et de ses députés.

La séance est levée à seize heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du lundi 22 novembre 2010 à 15 h 30

Présents. - M. Jean-Louis Bianco, M. Jean-Michel Boucheron, M. Loïc Bouvard, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. François Loncle, M. Jacques Myard, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Aurillac, M. Claude Birraux, Mme Chantal Bourragué, M. Hervé de Charette, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Jean-Pierre Dufau, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. Alain Néri, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud

Assistaient également à la réunion. - M. Patrick Beaudouin, M. Michel Grall