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Commission des affaires étrangères

Mercredi 15 décembre 2010

Séance de 10 h 00

Compte rendu n° 22

Présidence de  M. Axel Poniatowski, président, puis de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

– Table ronde sur les déséquilibres monétaires internationaux et leur régulation en présence de M. Olivier Pastré, professeur d'économie à l'Université de Paris VIII et M. Nicolas Bouzou, directeur d’études à l’école de droit et de management de l’Université Paris II Assas (ouverte à la presse)

– République tchèque : approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tchèque sur l'échange de données et la coopération en matière de cotisations et de lutte contre la fraude aux prestations de sécurité sociale (n° 2504) – M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur 11

– Tribunal international du droit de la mer : adhésion à l’accord sur les privilèges et immunités (n° 2772) – M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur  13
– Roumanie : approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à l'assistance et à la coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence (n° 2727) – M. Rudy Salles, rapporteur. 18

Table ronde sur les déséquilibres monétaires internationaux et leur régulation en présence de M. Olivier Pastré, professeur d'économie à l'Université de Paris VIII et M. Nicolas Bouzou, directeur d’études à l’école de droit et de management de l’Université Paris II Assas.

La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Axel Poniatowski.
Nous poursuivons nos travaux sur les échanges économiques et monétaires mondiaux et leur régulation. Nous avons déjà reçu le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), M. Pascal Lamy, pour traiter de l’ouverture des échanges commerciaux, puis, plus récemment, M. Jean-David Levitte, conseiller diplomatique et sherpa du Président de la République pour le G8 et le G20, ainsi que M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats, pour évoquer les priorités de la France, qui préside ces deux sommets.

Parmi ces priorités figure la réforme du système monétaire international, sujet à propos duquel le Président de la République a souhaité que s’engage notamment une « réflexion sur la pertinence d’un modèle basé sur l’accumulation de réserves en dollars ».

Pour traiter de ces questions monétaires, nous accueillons ce matin deux économistes : M. Olivier Pastré, professeur d’économie à l’Université de Paris VIII, et M. Nicolas Bouzou, directeur d’études à l’école de droit et de management de Paris II Assas.

Messieurs les professeurs, la question des niveaux respectifs des grandes devises internationales se pose avec de plus en plus d’acuité et, derrière, se profile toujours la même interrogation : la Chine et les États-Unis s’entendent-ils sur le dos, notamment, de l’Europe ? En effet, un sentiment prévaut : les États-Unis s’endettent considérablement pour financer leur modèle de croissance, qui repose largement sur la consommation et donc, en partie, sur les importations chinoises ; parallèlement, les Chinois financent la dette américaine en achetant des bons du trésor des États-Unis et constituent ainsi des réserves de plusieurs milliards de dollars américains.

Toutefois, cette situation est loin de faire consensus. Les Européens estiment que l’euro est devenu une monnaie refuge pour les investisseurs, qui soulignent ainsi le niveau artificiel du dollar. Ce phénomène touche de nombreuses autres monnaies, du yen au réal brésilien. C’est ainsi que plusieurs ministres de l’économie, notamment parmi les puissances émergentes, ont averti du risque d’apparition d’une guerre des monnaies, chaque pays faisant assaut de dévaluation pour retrouver une compétitivité face aux géants du « G2 ».

Cette guerre vous paraît-elle envisageable, évitable ? Les institutions internationales actuelles, au premier rang desquelles le G20, peuvent-elles apporter des solutions ? La France, qui exercera la présidence du G20 en 2011, a proposé une réforme de grande ampleur du système monétaire international, qui pourrait passer par les droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI). Cette idée vous paraît-elle plausible ? Quid de la mise en place d’un serpent monétaire mondial, sur le modèle de ce que l’Europe a réussi à faire, notamment dans les années soixante-dix ?

M. Olivier Pastré, professeur d’économie à l’Université de Paris VIII. Mesdames, Messieurs les députés, on vous ment. Les représentants du peuple français que vous êtes sont trompés mais je ne vous entends guère réagir ; je vais essayer de vous y aider. Depuis que je suis économiste, jamais je n’ai entendu, depuis le début de cette crise, autant de bêtises, de mensonges, de contrevérités sur les sujets dont nous allons débattre ce matin.

Premier mensonge : la crise est finie. Parmi les gouvernements des pays développés, c’est la tonalité générale. Or je ne suis même pas sûr que nous en soyons à la fin de son commencement.

Deuxième mensonge : la finance peut s’autoréguler. Historiquement, cela n’a jamais fonctionné ; pour un scientifique, il n’est donc pas absurde de penser que cela continuera ainsi.

Troisième mensonge : les pays émergents vont nous sauver. Leur croissance est certes le seul vrai facteur d’optimisme pour les années à venir, sous réserve que nous en tirions toutes les conséquences. Il n’est cependant pas évident qu’ils soient prêts à collaborer avec nous.

Quatrième mensonge : le dollar est insubmersible. So far, so good ! Le système de la Chine-Amérique fait que le dollar et le yuan baissent de manière régulière, ce qui arrange ces deux pays. Jusqu’au jour où les Chinois siffleront la fin de la récréation et décideront d’arrêter d’acheter des dollars : dans ce cas, le dollar dégringolera, ce qui aura des conséquences gravissimes.

Cinquième mensonge : le protectionnisme n’est pas une menace. Pascal Lamy, patron de l’OMC, a évidement pour mission d’affirmer que la situation est maîtrisée. Or ce n’est évidemment pas le cas : depuis l’antépénultième G20, tous ses membres sans exception ont adopté des mesures protectionnistes ; depuis le début de l’année 2010, 144 mesures de ce type ont été prises. Le protectionnisme est donc bien une menace, d’autant qu’il n’est plus seulement commercial, qu’il tend à prendre d’autres formes, environnementales, sociales ou monétaires, comme l’évolution du dollar le montre.

Sixième mensonge : l’Europe va imploser. C’est l’une des « carabistouilles » les plus touchantes de ces derniers mois ; quelles que soient les frayeurs véhiculées par les médias, le risque, en la matière, est égal à zéro. Même si les agences de notation, qui cherchent à se refaire une vertu, dégradent la note de l’Espagne, l’Europe et l’Allemagne feront tout pour que le système tienne, quel qu’en soit le coût.

Si l’on considère que la crise n’est pas finie et qu’elle risque de s’approfondir, il importe de ne pas se mentir, de ne pas mentir aux autres et d’entreprendre un ensemble de réformes exigeant un courage politique considérable.

Deux chiffres me paraissent balayer tous les autres : en 1820, la Chine et l’Inde représentaient 52 % du PNB mondial ; en 2040, ce taux atteindra 50 %. Pour avancer, il faut avoir cette donnée en tête.

Au-delà des explications traditionnelles de la crise – rentabilité trop forte de la finance, désindustrialisation des pays développés –, il ne faut pas oublier que, jusqu’à la création du G20, nous insultions les Chinois : le G8, réunion des pays les plus endettés, prétendait régir le monde, tandis que les pays créant le plus de valeur étaient invités une fois sur deux pour parler de sujets secondaires. L’un des enjeux majeurs aujourd’hui consiste à faire en sorte que le groupe des BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – ainsi que les autres pays émergents coopèrent. La Chine, à cet égard, joue un rôle géostratégique particulier.

Le Président de la République, lorsqu’il présidait l’Union européenne, a joué un rôle majeur dans l’histoire des cinquante dernières années en créant le G20. En effet, sans G20, c’est bien simple, il n’y aurait plus d’économie mondiale.

Toutefois, au-delà de ce pas en avant considérable, il reste à faire du G20 un système de gouvernance opérationnel. La présidence française du G20, l’année prochaine, constituera un moment historique, pour la France comme pour cette institution. Il faut bien reconnaître qu’après le G20 de Washington, naturellement très consensuel, et celui de Londres, où ont été prises des mesures claires sur les dossiers des moyens financiers du FMI, des bonus des « traders » et des paradis fiscaux, les avancées ont été modestes.

Pour aller de l’avant, il faut en finir avec un comportement que les Français, en particulier, adorent : faire porter la faute à autrui, qu’il s’agisse de la BCE, des banques, des agences de notation, des autorités de régulation bancaire ou des hedge funds. En réalité, nous sommes tous coresponsables de la crise, des États, qui ont fait n’importe quoi, aux citoyens, notamment les Américains, qui ont souscrit des crédits en se sachant incapables de les rembourser.

Si nous n’entreprenons pas de réformes macroéconomiques, microéconomiques et mésoéconomiques – c’est-à-dire au niveau intermédiaire entre les deux premiers –, nous n’y arriverons pas. Parmi d’innombrables mesures à prendre de toutes urgences, il faut modifier le comportement des banques, réformer le contrôle des agences de notation, les hedge funds ou encore les marchés de gré à gré (over-the-counter OTC), de même changer les modalités de gouvernance budgétaire et monétaire à l’échelle mondiale.

S’agissant de la présidence française du G20, le Président de la République, pour caricaturer, semble avoir pris le parti suivant : puisque nous n’arrivons pas à progresser sur la réforme financière, qui constitue le noyau dur, abordons d’autres sujets très globaux, comme la réforme du système monétaire international sur lesquels nous savons que nous ne pouvons pas avancer beaucoup non plus mais qui ont le mérite d’être nouveaux. J’ai une immense confiance envers le Président de la République – il a fait ses preuves – tout comme envers Christine Lagarde, excellente ministre ; je pense donc que le tandem devrait bien fonctionner, mais cela ne m’empêche pas d’être critique. Le G20 va donc débattre du nouveau système monétaire international, sachant que certains de ses membres refusent de jouer le jeu ; mais il pourra au moins dénombrer, quantifier, mesurer, informer, c’est-à-dire mettre à plat les principales questions posées. N’y voyez pas une position critique, je comprends cette démarche. Le G20, en prime, abordera un dossier véritablement nouveau et essentiel : la réforme des marchés dérivés de matières premières. Mais il laissera de côté toutes les réformes financières. Est-il judicieux de s’arrêter de progresser dans ce domaine ? Je continue de m’interroger.

M. Nicolas Bouzou, directeur d’études à l’école de droit et de management de l’Université Paris II Assas. Je ne serai pas rangé parmi les menteurs car je partage l’avis exprimé par Olivier Pastré. Je compléterai son propos en répondant aux trois questions suivantes : pourquoi des déséquilibres aussi importants ne devraient-ils pas exister dans un monde parfait ? pourquoi ne vivons-nous pas dans un monde parfait ? que faudrait-il faire pour que le monde soit parfait ou presque ?

Il existe deux systèmes de taux de change, avec de multiples variantes : dans le premier, les taux sont flexibles, le pays laissant flotter sa monnaie au gré de l’offre et de la demande sur les marchés financiers ; dans le second, les taux sont fixes ou accrochés à un panier de monnaies, sous le contrôle de la banque centrale. Aucun de ces deux systèmes n’est supérieur à l’autre, chacun peut parfaitement fonctionner. Dans le premier, les fluctuations de change, de plus ou moins grande ampleur, ont un coût pour les entreprises et engendrent une certaine instabilité, mais le pays peut conduire la politique qu’il souhaite, à l’instar des États-Unis, qui n’ont pas à se soucier de la valeur du dollar. Le second, en garantissant la stabilité du taux de change, permet d’attirer les capitaux et de rassurer les investisseurs, mais, en contrepartie, il prive l’État de l’instrument de la politique monétaire.

Dans un monde idéal, où chaque pays respecte la logique du système de change qu’il a choisi, les déséquilibres macroéconomiques, en théorie, ne sont guère importants et se résorbent tôt ou tard. En effet, les pays en forte croissance pratiquant des taux de change flexibles voient alors leurs taux de change s’apprécier, ce qui fait ralentir leurs exportations, tandis que ceux régis par des taux de change fixes et qui exportent beaucoup, comme la Chine, accumulent des réserves de change transformées en création monétaire, ce qui entraîne une augmentation des prix et un repli de la compétitivité.

Mais la réalité est différente, pour deux raisons principales : les pays ayant adopté un système de taux de change fixes ne jouent pas le jeu ; certains de ceux ayant adopté un système de taux de change flexibles se sont privés de mesures de rétorsion monétaires – je pense évidemment à la zone euro.

La Chine exporte beaucoup, accumule des réserves de change colossales mais, pour éviter l’inflation et la perte de compétitivité, elle stérilise ces réserves et, ce faisant, elle bloque le processus d’ajustement. Les États-Unis ne sont pas véritablement critiquables : ils obéissent à un système de taux de change flottants et mènent une politique monétaire qui répond à leurs besoins, consistant, aujourd’hui, à éviter la déflation – le gouverneur de la Federal Reserve, Ben Bernanke, a consacré toute sa carrière universitaire à la crise des années trente. Cette politique de quantitative easing, ou d’assouplissement quantitatif, qui entre dans une deuxième phase, tend à émettre quelque 600 milliards de dollars sur six mois, afin d’accroître la demande interne, principal moyen d’alimenter la croissance de cette grande économie relativement fermée ; mais les émissions de dollars provoquent une pression à la baisse sur cette monnaie et par conséquent une pression à la hausse sur les autres devises, dont l’euro.

J’en viens aux mesures envisageables, que je soumets à votre réflexion.

Premièrement, un parallèle peut être dressé avec le nucléaire, dont la France s’est dotée pour ne pas s’en servir. La zone euro refuse de gérer son taux de change, ce qui en fait une sorte de ventre mou de l’économie monétaire : face à une politique de baisse du dollar, elle ne mène pas de politique de baisse de l’euro. C’est une question purement politique ; il n’y a pas lieu d’invoquer les statuts de la Banque centrale européenne (BCE) pour lui dénier la faculté d’intervenir car elle l’a déjà fait deux ou trois fois, en coopération avec d’autres banques centrales, au début des années deux mille, juste après la mise en circulation de l’euro – c’est déjà de la préhistoire –, dans l’autre sens, pour le réévaluer. Par ailleurs, l’article 109 du traité de Maastricht dispose que le conseil Affaires économiques et financières (Écofin) peut formuler des recommandations à la BCE en matière de change. Je ne suis pas un apôtre de la manipulation des taux de change mais, dès lors que certains pays mènent des politiques ayant des conséquences sur leurs taux de change, il incombe pour le moins aux Européens de se doter d’outils pour intervenir dans ce sens, quitte à débattre, le moment venu, de la manière dont ils doivent être utilisés, voire de l’opportunité de le faire.

Deuxièmement, les politiques monétaires – y compris celle des États-Unis – doivent être coordonnées à l’échelle mondiale, dans le cadre du G20. Le dollar est la principale monnaie de réserve et de facturation dans le monde, l’économie américaine représente encore 23 ou 24 % de l’économie mondiale : les mesures prises par les États-Unis ont donc des conséquences sur les autres pays. Ils ont opté, de façon isolationniste, pour le quantitative easing. C’est compréhensible mais il est de notre devoir de leur faire comprendre que cela a des effets sur l’économie mondiale et donc, en retour, sur l’économie américaine. Ainsi, les taux d’intérêt extrêmement faibles pratiqués par les États-Unis génèrent des flux de capitaux très soutenus dans les pays émergents, entraînant l’appréciation du taux de change des monnaies de certains d’entre eux, ce qui peut se retourner contre eux puis se traduire par des retraits de capitaux très violents. Autrement dit, l’Europe et les pays émergents ont des intérêts convergents ; la Chine l’a d’ailleurs fait observer à plusieurs reprises. Il est certes assez baroque que le gouvernement chinois critique la politique isolationniste d’autres puissances mais son diagnostic est juste : les États-Unis mènent une politique conforme à ses besoins internes ; ce n’est toutefois pas une économie comme les autres ; pour certaines mesures, il faudrait par conséquent agir en concertation, au sein du G20 ou par simple coordination des politiques monétaires, comme l’a fait naguère la BCE afin d’envoyer un signal au marché.

Il existe donc des pistes pour améliorer la coordination des politiques monétaires au niveau mondial et réduire les déséquilibres, sans pour autant réformer le système monétaire international, idée très séduisante, si ce n’est qu’il n’y a pas de système monétaire international.

M. le président Axel Poniatowski. La révision des mécanismes de régulation et de stabilisation budgétaires sera le sujet numéro un du sommet européen de demain et après-demain. Quelles mesures en attendez-vous ?

Monsieur Pastré, concrètement, quelles réformes financières appelez-vous de vos vœux ?

M. Jean-Marc Roubaud. Les économistes ne nous ont-ils pas aussi menti, par omission ? Dans la mesure où personne n’a vu venir la crise, quelle confiance peut-on accorder à ceux qui affirment aujourd’hui qu’elle n’est pas finie ?

Si un accord est obtenu pour fixer des règles internationales, il faudra bien qu’un gendarme s’occupe de les faire appliquer. Cette tâche de gouvernance incombera-t-elle au G20 ou au FMI ?

M. Jean-Michel Ferrand. Le système monétaire international ne donnant manifestement pas satisfaction à nos dirigeants, est-il utopique d’envisager un retour à l’étalon-or ?

M. Nicolas Bouzou. Monsieur Roubaud, le mensonge prend souvent la forme du déni de réalité, couramment pratiqué en France dans bien des matières relatives à l’économie : l’on entend régulièrement que la situation de nos finances publiques ne serait pas si grave ou encore que la France n’aurait absolument rien à craindre. Le gouverneur de la Banque de France, il y a quelques semaines ou quelques mois, a même nié l’existence d’une guerre des monnaies. Les économistes, eux aussi, ont toujours la tentation de chercher à rassurer leurs interlocuteurs pour les satisfaire.

Nous ne sommes certes pas performants dans nos prévisions, tout simplement parce que c’est très dur, mais ceux d’entre nous qui prédisaient la crise n’ont pas été écoutés. Ceux qui ne les ont pas crus portent aussi leur part de responsabilité. Il faut dire que nous sommes tous sujets à des biais cognitifs : même si nous sommes intelligents, il nous arrive, par conservatisme et autosatisfaction, de prendre des décisions idiotes, par exemple en refusant de prêter crédit aux annonces les plus catastrophistes.

Monsieur le président, les divergences de vues croissantes entre la France et l’Allemagne m’inquiètent car elles risquent d’avoir des conséquences néfastes sur le prochain sommet européen et les réunions des mois à venir. Là encore, nous pratiquons le déni de réalité : je me demande même si les discours sur la convergence entre la France et l’Allemagne ne sont pas destinés à masquer la réalité. Dans le domaine fiscal, nous avons suivi des chemins radicalement opposés : les Allemands ont réduit les charges tandis que nous les augmentions, ils ont augmenté la TVA tandis que nous la réduisions, etc. De même, dans le domaine des taux de change, une harmonisation des points de vue de la France et de l’Allemagne fait défaut. Le G20 pourrait prendre des initiatives en matière de régulation et le FMI serait le mieux placé pour jouer le rôle de superviseur mondial mais nous devons commencer par travailler sur nous-mêmes.

M. Olivier Pastré. La situation de l’Europe ne m’inquiète pas du tout. Nous paierons pendant de très nombreuses années l’erreur monumentale du traité de Nice qui a consisté à élargir avant d’approfondir. Cependant, depuis l’épisode grec, il a été démontré que l’Europe arrive toujours à réagir aux crises. Sur certains plans, la convergence franco-allemande progresse, sur d’autres non. En tout cas, Angela Merkel, face à une crise évoluant d’heure en heure, s’est montrée capable de changer assez significativement de positions. Jean-Claude Trichet, réputé autiste, a procédé à des innovations financières plus audacieuses que Goldman Sachs. Autant l’absence de politique économique européenne née du traité de Nice me déprime profondément, autant je trouve assez stupéfiante la réactivité des instances européennes – malgré le président de la Commission José Barroso, dépourvu de vision à long terme. Je suis donc assez optimiste. L’Europe n’a jamais progressé autrement qu’au détour de crises, par des compromis de dernière minute.
Pour jouer le rôle du gendarme, servons-nous donc de la seule institution qui a avancé : le FMI. Les droits de vote viennent d’y être révisés alors que Dominique Strauss-Kahn, il y a deux ans, jugeait cela impossible. Si nous ne réformons pas la gouvernance des instances de régulation de l’économie mondiale, qui, pour l’essentiel, datent de 1945, nous n’arriverons à rien. Il y a encore six mois, au FMI, la Belgique avait davantage de droits de vote que le Brésil ! Si le FMI continue à se réformer – il est temps, par exemple, que les États-Unis renoncent à leur droit de veto –, nous aurons accompli un progrès considérable.

Je fais volontiers confiance aux Chinois, dont le sens de l’humour est assez limité, pour exiger d’être reconnus et de participer à la gouvernance mondiale. Hu Jintao et les autres dirigeants chinois ne sont pas opposés à la démocratie ; comme vous, ils veulent avant tout garder leurs postes, pour avoir le temps de créer un marché intérieur, d’accroître les salaires, d’investir dans les infrastructures, de faire émerger une classe moyenne, donc de faire naître la démocratie. Jusqu’à présent, ils se sont du reste montrés capables de gérer la transition en faisant des pas en avant et des pas en arrière sur nombre de sujets.

Monsieur Ferrand, Les Français adorent les symboles, les fétiches ; c’est l’économie vaudou. Pour ma part, je ne crois pas à l’étalon-or car la situation a changé : les marchandises en circulation et les flux financiers sont trop importants par rapport à la quantité d’or disponible. Le marché des CDS (Credit Default Swaps), un marché dérivé parmi d’autres, représente 60 000 milliards de dollars, plus que le PNB mondial, qui s’élève à 50 000 milliards de dollars. Les équilibrages sont donc beaucoup plus compliqués qu’autrefois.

Trois pistes de réformes financières cruciales, touchant respectivement aux normes comptables, aux normes prudentielles et aux marchés de gré à gré, ne sont pratiquement jamais évoquées.

Les normes comptables International Accounting Standard (IAS) sont folles. Michel Pébereau s’est beaucoup battu pour qu’elles deviennent raisonnables. Il a un peu fait avancer les choses, mais, au-delà du différend entre les États-Unis et l’Europe sur ce point, elles sont tragiquement pro-cycliques.

Les normes prudentielles Solvency II n’intéressent personne alors qu’elles interdisent aux compagnies d’assurance, seuls investisseurs à long terme, d’investir à long terme : cherchez l’erreur ! Henri de Castries, il y a deux jours, a ainsi annoncé que la part des actions dans les portefeuilles d’Axa avait chuté de 23 à 4 %. Ces normes tuent la croissance et la création d’emplois. Les technocrates ont fait leur travail mais les politiques se doivent de constater que ces normes sont absurdes.

Alors que les marchés de gré à gré concentrent 90 % des transactions financières, personne ne sait où se déroulent véritablement ces échanges, donc où se situent les risques sur les produits de titrisation. Voilà pourquoi tous les présidents de banque, trimestre après trimestre, annonçait en 2009 des pertes supérieures aux prévisions.

J’aurais aussi pu parler de l’absence de superviseur bancaire européen unique, absurdité politique totale.

Du point de vue de la France, le seul débat important du G20 à mes yeux c’est la Chine. J’espère que l’Europe interviendra mais la France doit jouer un rôle, en tant qu’État comme en tant que pays président du G20. Deux sujets pour les pays émergents devront être traités sur un plan multilatéral : le protectionnisme et les droits de propriété. J’en parlais la semaine dernière avec Laurence Parisot, qui vient de créer un G20 des entreprises : si nous ne parvenons pas à progresser sur ces deux thèmes centraux, ce sera très inquiétant.

Mme Marie-Louise Fort. Dans un monde hyper-informé, où les sirènes populistes de tous bords appellent au repli sur soi, quels conseils donneriez-vous aux politiques pour qu’ils parviennent à intéresser les populations aux questions économiques et à les responsabiliser ?

M. Jean-Claude Guibal. Dans un monde multipolaire, comment pratiquer une politique de change coordonnée tout en tenant compte des souverainetés nationales ? Sans monnaie de référence et de réserve, comment le FMI pourrait-il jouer le rôle de gendarme ? Dans un système caractérisé par la multiplicité des devises, comment trouver un étalon monétaire ?

Quel lien établissez-vous entre la création de monnaie par le crédit bancaire et les dérèglements constatés sur le marché des changes ?

M. Jacques Myard. Des personnalités françaises, comme M. Gérard de La Martinière, sont en effet montées au créneau pour réclamer une réforme des normes comptables scandaleuses imposées par les États-Unis. Les entreprises ont maintenant obtenu d’établir leurs bilans à partir de notions comptables : nous restons donc à la merci d’une nouvelle explosion car les junk bonds apparaissent toujours dans les comptes des banques.

Deux crises se sont percutées : la crise de l’euro et la crise internationale. Tout cela a été précédé d’une faute : l’entrée de la Chine dans l’OMC sans qu’elle soit contrainte de laisser flotter sa monnaie. Résultat, elle a bridé sa consommation intérieure et dispose maintenant d’un fonds souverain de 2 700 milliards. La concurrence est donc asymétrique, tout comme avec la Corée du Sud : songez que le ministre des finances sud-coréen siège au conseil d’administration de la banque centrale lorsqu’elle doit prendre des décisions importantes ! Bref, contre le won ou le yuan, l’Europe ne lutte pas à armes égales. Par ailleurs, 100 000 émeutes ont lieu chaque année en Chine, ce qui fait peser un risque de déstabilisation.

Le sommet de Fribourg s’est soldé par un échec total car les Allemands ont refusé de mutualiser la dette. Le Fonds social européen (FSE) sera certes maintenu mais l’Allemagne refuse d’aller au-delà de sa quote-part.

Il est clair que le problème des dettes ne pourra être réglé sans recours à la création de monnaie ou à l’inflation. Le système en vigueur est complètement inapproprié pour lutter contre les deux crises actuelles, c’est la quadrature du cercle.

M. Gaëtan Gorce. Je suis surpris que la réunion des instances européennes tienne si peu de place dans l’agenda général. Tous les économistes estiment que la crise résulte du système diabolique mis en place par la Chine et les États-Unis. Comment revenir à un système plus sain, dans lequel les excédents de liquidités de l’économie mondiale seraient investis, notamment pour soutenir les programmes de développement ? Pourquoi aucun gouvernement, même en Europe, ne préconise de solution de ce type ?

L’Union européenne est le dindon de cette farce économique et financière, la seule puissance vertueuse : nous défendons le niveau de l’euro parce que, si nous nous comportions comme les Chinois ou pire encore comme les Américains, en misant sur sa baisse, l’ensemble du système financier international plongerait, la crise deviendrait générale, incontrôlable. Pourquoi ne proposerions-nous pas à nos amis américains, voire japonais, de coordonner nos achats de titres sur les marchés, pour faire comprendre aux Chinois que leur politique d’excédents et de yuan surévalué ne peut perdurer ?

Les plans de stabilisation et de lutte contre les déficits imposés à la Grèce et à l’Irlande sont évidemment justifiés. Néanmoins, alors que la crise n’est pas terminée, loin s’en faut, ils vont exercer un effet dépressif sur la conjoncture européenne. D’aucuns affirment que la solution passe par la restructuration de la dette de ces pays, mais cela libérerait un espace assez important aux acteurs bancaires. Ne convient-il pas de s’orienter vers une politique d’achat massif de titres, couplée à une mobilisation plus forte des fonds de soutien européens et à une relance des initiatives de convergence salariale, ce qui permettrait de s’attaquer aux causes de la crise ? Cette réorientation dépend de la volonté politique de l’Europe et sans doute du couple franco-allemand.

M. Jacques Remiller. L’Europe ne devrait-elle pas mettre sur pied une véritable « police économique » afin de se prémunir contre des événements comme les crises grecque et irlandaise ?

La responsabilité des banques dans la situation actuelle est certaine. Ne convient-il pas de mieux les encadrer ?

M. Nicolas Bouzou. Monsieur Remiller, une police budgétaire existe déjà avec le pacte de stabilité, mais ce cadre n’a pas été respecté : le cas de la Grèce est édifiant car tout le monde savait depuis longtemps qu’elle trichait sur ses comptes et, jusqu’à ce que la catastrophe survienne, l’Europe a laissé faire. Cela dit, si beaucoup de pays ont contrevenu au pacte de stabilité, c’est sans doute qu’il était assez mal conçu et qu’il faut le réviser.

Monsieur Gorce, la restructuration de la dette de l’Irlande serait sans doute positive pour ce pays, alors que les plans d’ajustement auxquels il est soumis aujourd’hui vont incontestablement l’enfoncer dans la récession et le surendettement. Mais la restructuration de la dette irlandaise serait gravissime pour les banques françaises. Ces dernières années, les banques européennes, et même au-delà du continent, ont acheté de la dette des pays de la périphérie – Grèce, Irlande, Portugal voire Espagne – à hauteur de quelques pour cents de leurs actifs ; une restructuration de la dette de ces pays conduirait à une situation à côté de laquelle l’affaire Lehman Brothers passerait pour une aimable plaisanterie. En théorie, la réponse est sans doute de réduire les dépenses publiques nationales de fonctionnement tout en engageant des politiques de croissance et d’investissement à l’échelon européen. En effet, dans beaucoup de pays, le vrai problème n’est pas l’accroissement de la dette publique mais ce que ce déficit a servi à financer, c’est-à-dire les dépenses de fonctionnement. Quoi qu’il en soit, les plans d’aide à la Grèce et à l’Irlande posent de graves problèmes à l’horizon de 2013.

Monsieur Guibal, Monsieur Myard, les banques centrales conservent une capacité d’influence en matière de création monétaire, et par conséquent de taux de change, notamment par le biais des taux d’intérêt. Dans les années deux mille, juste avant la crise, alors que la croissance économique américaine était relativement forte, la Federal Reserve a maintenu une politique monétaire expansionniste, avec des taux d’intérêt faibles, qui a tiré le dollar vers le bas. D’où l’idée d’une meilleure coordination entre politiques monétaires.

Madame Fort, devons-nous mentir en prétendant que tout va bien ou dire la vérité, quitte à être accusés de déclencher la récession ? Nos sociétés sont transparentes et matures, y compris pour ce qui concerne les questions économiques. L’intérêt des citoyens pour l’économie a beaucoup progressé avec la crise car ils ont craint pour leur argent. Quand un responsable politique, un journaliste ou un économiste prétend que la dette publique française ne pose aucun problème, cela crée la panique dans l’opinion, qui comprend désormais relativement bien les enjeux. J’en déduis qu’il faut dire la vérité. Dans des régions du Nord et de l’Est de la France, comme la Franche-Comté, l’Alsace ou la Lorraine, les dirigeants d’entreprise et les salariés comprennent parfaitement ce que signifie l’euro fort. Même si la réponse passe par la pédagogie, le repli sur soi, dans un environnement extraordinairement anxiogène – la crise ne fait que commencer, la compétition internationale fait rage, les inégalités de salaires explosent en France, la dette publique se creuse–, est malheureusement un comportement naturel.

M. Olivier Pastré. Je suis en désaccord sur le problème de la formation économique, je crois que nous avons un problème de culture économique : 65 % des Chinois, des Marocains ou des Brésiliens pensent plutôt du bien de la mondialisation tandis que 65 % des Français en pensent plutôt du mal. Les Français n’y comprennent rien, d’autant qu’ils ne cessent d’entendre des « carabistouilles » ! J’enseigne l’économie en première année universitaire depuis quarante ans et je sais donc de quoi je parle. Il faut y consacrer des moyens ; or j’observe que le Conseil pour la diffusion de la culture économique (CODICE), rattaché au ministère de l’économie et des finances, va être supprimé, alors qu’il était investi d’une mission exemplaire, ou encore que La Chaîne parlementaire ne diffuse pas d’émission d’économie. Est-ce un problème de moyens, de clairvoyance ou de volonté ? En tout cas, l’enjeu est crucial.

Le fondement de la crise actuelle tient à un déséquilibre fondamental de l’épargne mondiale. La solution est donc très simple : il faut que les Chinois consomment davantage et que les Américains épargnent davantage. Nous devons donc accompagner les Américains et les Chinois dans ces directions. Contrairement à vous, monsieur Myard, ou à Nicolas Bouzou, je suis euro-optimiste. Si l’Espagne est soumise à une forte pression, ce sera l’instant de vérité, mais je ne suis pas exagérément inquiet, car aucun État membre de l’Union européenne n’a intérêt à ce que celle-ci implose, et c’est vrai en tout premier lieu pour l’Allemagne. Je ne crois pas que l’Europe soit le « dindon de la farce » ; l’enjeu fondamental est de faire une place à ce continent vieillissant et moyennement coordonné, entre deux puissances, Etats-Unis et Chine, qui font des bêtises. À cet égard, j’ai essayé d’esquisser quelques pistes de réflexion.

Nous avons trop de monnaie et pas suffisamment de crédits bancaires, ce qui fait deux problèmes à régler. Le quantitative easing est une hérésie absolue puisqu’il revient à injecter de la liquidité en l’absence de ressources économiques réelles. Pour caricaturer, même si le yuan était réévalué, les Américains n’auraient rien à exporter ; l’un des problèmes essentiels des pays développés est leur désindustrialisation, leur priorité doit être de se réindustrialiser. La quantité de monnaie en circulation est trop élevée : la liquidité mondiale a été multipliée par trois en dix ans, c’est une première dans l’histoire, alors que l’économie réelle n’a pas connu la même croissance. L’expansion monétaire n’a plus aucun impact, contrairement à la politique budgétaire, qui peut s’avérer très utile, à supposer qu’elle dégage des marges de manœuvre.

L’exclusion bancaire des ménages et des petites entreprises est un autre problème particulièrement grave, en France comme dans les autres pays européens, et les banques, à cet égard, se montrent hypocrites, même s’il faut reconnaître que les normes comptables et le mode de supervision imposés au système bancaire l’empêcheront de continuer à financer l’économie de l’Europe continentale.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, messieurs, pour ces analyses très intéressantes.



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République tchèque : approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tchèque sur l'échange de données et la coopération en matière de cotisations et de lutte contre la fraude aux prestations de sécurité sociale

M. Jacques Myard. J’apprends que la convention franco-marocaine de sécurité sociale doit être examiné mardi matin selon la procédure simplifiée prévue à l’article 103 du intérieur de notre Assemblée.

Au regard des discussions intenses auxquelles ce texte a donné lieu devant notre commission, c’est faire insulte à nos travaux que de permettre la ratification de cet accord sans débat en séance. Je demande que la procédure simplifiée ne soit pas retenue pour cette convention.

M. Jacques Remiller. J’approuve les propos de notre collègue Jacques Myard.

Mme la présidente Martine Aurillac. Il appartient à notre groupe de demander que ce texte fasse l’objet d’une discussion en séance publique.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Pierre Kucheida, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tchèque sur l'échange de données et la coopération en matière de cotisations et de lutte contre la fraude aux prestations de sécurité sociale (n° 2504).

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Il s’agit d’un accord très simple visant à poser le cadre d’une coopération franco-tchèque en matière de lutte contre la fraude sociale. Il est vrai que les deux pays rencontrent peu de problèmes dans ce domaine et que les enjeux en terme de personnes concernées et de flux financiers sont relativement limités pour le moment. Le nombre de Français résidant en République Tchèque est de l’ordre de 3 300 personnes tandis que 35 000 Tchèques vivent en France. Les prestations versées par un système de sécurité sociale dans l’autre pays représentent donc des sommes limitées : en matière de soins de santé, la République tchèque a versé à la France 1,5 million d’euros en 2009, le flux inverse étant de 100 000 euros. La sécurité sociale française a par ailleurs versé 1,9 million d’euros de pension à des Français résidents en République Tchèque. Ces flux modestes peuvent être amenés à croître et surtout la signature de cet accord, le premier du genre, doit enclencher un mouvement susceptible de conduire à la conclusion d’accords du même type entre tous les pays européens. Pour l’heure, la France et la Belgique ont aussi signé un accord en novembre 2008, que la commission a examiné il y a un an. Des négociations sont en cours entre notre pays et le Luxembourg, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.

Les stipulations de l’accord ne méritent pas de commentaires particuliers. Elles visent à créer un cadre général de coopération, prévoyant notamment la communication de données dans un délai relativement bref. Celle-ci ne peut être refusée que si les informations demandées pourraient avoir une incidence sur la souveraineté ou un autre intérêt important d’une partie contractante. Le nécessaire a été fait côté français pour que l’accord, dans le champ duquel était à l’origine intégré le revenu minimum d’insertion, s’applique au revenu de solidarité active.

Le Sénat a autorisé l’approbation de cet accord le 6 mai 2010.

Mme la présidente Martine Aurillac. La République tchèque a-t-elle ratifié cet accord ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Oui, depuis le mois d’octobre 2009.

M. Philippe Cochet. Vous avez précisé les montants sur lesquels porte cet accord. Suspecte-t-on des fraudes relatives à certaines prestations en particulier ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Pas à ma connaissance.

M. François Rochebloine. Existe-t-il une convention similaire entre la France et la Slovaquie ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Non, il n’existe que celles que j’ai précédemment citées avec la Belgique et la République tchèque. Je n’ai pas été informé d’un quelconque projet entre la France et la Slovaquie.

M Jacques Remiller. L’article 2 de l’accord précise le champ d’application de l’accord mais ne cite pas explicitement les territoires d’outre-mer. Les TOM sont-ils concernés par cette convention ? Par ailleurs, le premier alinéa de l’article 4 évoque la question des aides d’Etat techniques : quelles sont les dépenses visées par ce dispositif ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. L’article 2 précise que l’accord s’applique sur tous les territoires où la France exerce sa souveraineté ou sa juridiction, ce qui comprend donc les TOM. L’expression que vous citez et que l’on trouve dans l’article 4 renvoie à des prestations sociales non contributives.

M. Robert Lecou. Existe-t-il des problèmes spécifiques de fraude aux prestations sociales entre la France et la République tchèque ? Quels sont les organismes de contrôle chargés de faire respecter cet accord ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. La liste des organismes français et tchèques figure à l’article 5 de l’accord. Il s’agit de l’ensemble des institutions listées dans l’annexe 2 du règlement européen de 1999 sur la coopération entre les autorités des Etats membres en matière de lutte contre la fraude.

En outre, pour la République tchèque, sont concernés l’administration de la sécurité sociale tchèque, les compagnies d’assurance santé, les centres pour l’emploi du lieu où une personne donnée réside ou, le cas échéant, exerce son activité professionnelle et éventuellement les conseils locaux du lieu où une personne donnée réside à titre permanent ou séjourne habituellement.

Pour la France, sont également concernées les Unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et autres organismes de sécurité sociale chargés du recouvrement des cotisations ainsi que, pour le RSA, les caisses d’allocations familiales.

S’agissant de la question des problèmes spécifiques liés à la fraude entre la France et la République tchèque, cette convention a plutôt vocation à prévenir l’apparition de telles difficultés, et pas à corriger la situation existante.

M. Michel Terrot. Lorsque j’étais président du groupe d’amitié France – République tchèque, il me semble que la communauté des Français résidants là-bas était bien plus importante que les 3 000 personnes que vous avez évoquées.

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Il s’agit là des seuls Français immatriculés auprès du consulat, tous les Français présents n’ayant pas forcément effectué cette démarche. En effet, la République tchèque est un partenaire naturel pour notre pays et il est très facile de s’y rendre. Prague est plus proche des villes du nord de la France que Nice !

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2504).

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Tribunal international du droit de la mer : adhésion à l’accord sur les privilèges et immunités

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Pierre Kucheida, le projet de loi autorisant l’adhésion à l’accord sur les privilèges et immunités du Tribunal international du droit de la mer (n° 2772).

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Le tribunal international du droit de la mer est une juridiction récente. Il a en effet été créé par l’annexe VI de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Lors des nombreux et longs débats qui ont précédé l’adoption de ce texte de référence pour les espaces maritimes, la question de la création d’une nouvelle juridiction internationale spécialisée dans le droit de la mer s’est posée : en effet, d’une part, la convention introduisait la notion innovante de « zone », comprenant les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale, dotée d’un régime juridique spécifique et d’une structure particulière pour assurer la gestion de son exploitation – l’Autorité internationale des fonds marins-, rendant donc nécessaire l’existence d’un tribunal compétent pour les différends sur les fonds marins. D’autre part, était mis en avant l’intérêt d’un tribunal capable d’offrir une interprétation cohérente de la convention ainsi qu’un mode de règlement des différends idoine. Il faut ajouter qu’à cette époque, la Cour internationale de justice, compétente en matière maritime, était victime d’une désaffection croissante de la part des Etats en raison de décisions contestables.

Il fut donc décidé en 1977 de créer dans la future convention sur le droit de la mer un tribunal « du droit de la mer », comprenant une chambre spécialisée sur les fonds marins. Ce n’est cependant qu’en 1997 que le tribunal s’est véritablement installé à Hambourg.

La partie XV de la convention de 1982 qui porte sur le règlement des différends prévoit dans son article 287 de laisser le choix aux Etats entre plusieurs procédures : le tribunal international du droit de la mer, la Cour internationale de justice, l'arbitrage conformément aux dispositions de l'annexe VII de la convention, ou l'arbitrage spécial dans le cadre de l'annexe VIII de la convention. Un Etat partie peut choisir un ou plusieurs de ces moyens par voie de déclaration écrite auprès du secrétaire général de l’ONU. A ce jour, 29 Etats ont fait part de leur choix en faveur du tribunal.

Le tribunal est donc compétent pour tous les différends qui lui sont soumis conformément à la convention de Montego Bay. Il peut en outre être saisi en vertu de tout accord lui conférant une compétence spécifique. Il est également doté d’une compétence consultative. Cette dernière est actuellement exercée pour la première fois par la chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins.

Dix-sept affaires ont été inscrites au rôle du tribunal depuis sa première session. Outre l’avis consultatif précité, deux autres affaires sont pendantes : le différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et la Birmanie dans le golfe du Bengale et l’affaire du navire « Louisa » qui oppose Saint-Vincent-et-les-Grenadines et l’Espagne.

Le tribunal est composé de 21 membres indépendants élus pour neuf ans, avec un renouvellement triennal, par les Etats parties. Ils sont choisis « parmi des personnes jouissant de la plus haute réputation d'impartialité et d'intégrité et possédant une compétence notoire dans le domaine du droit de la mer » et ne sont pas désignés sous le terme de « juge » mais de « membre du tribunal ». La composition du tribunal doit assurer une « représentation des principaux systèmes juridiques du monde et une répartition géographique équitable ». Le tribunal est aujourd’hui présidé par M. José Luis Jesus, ressortissant du Cap-Vert. M. Jean-Pierre Cot, désigné en 2002, représente la France.

Le greffe se compose de 37 personnes. Trois d’entre eux sont de nationalité française.

L’accord du 23 mai 1997, aujourd’hui soumis à la commission des affaires étrangères développe l’article 10 de l’annexe VI de la convention de Montego Bay qui confère aux membres du tribunal, privilèges et immunités diplomatiques dans l’exercice de leurs fonctions.

Reprenant très largement les stipulations des accords de cette nature qui s’appliquent à d’autres organisations internationales, il précise les privilèges, immunités et facilités accordées non seulement aux membres du tribunal et aux fonctionnaires mais aussi aux différents acteurs de la procédure. Comme le mentionne l’étude d’impact, en raison de sa similitude avec les accords précédents sur le même sujet, le texte n’emporte pas de conséquences juridiques tandis que son impact financier est limité du fait d’un périmètre d’activité restreint.

La France a en effet ratifié de nombreux textes traitant de cette même question, à commencer par la convention sur les privilèges et immunités de l’Organisation des Nations unies, dès le 18 août 1947, qui fait figure de modèle de tous les accords similaires subséquents.

L’accord relatif au tribunal international du droit de la mer affirme la personnalité juridique du tribunal ainsi que l’inviolabilité de ses locaux, de ses archives, de ses communications et de sa correspondance officielle.

L’article 4 prévoit le droit pour le tribunal d’arborer son drapeau et son emblème tandis que l’article 5 lui octroie l’immunité de toute forme de poursuite. Les biens, avoirs et fonds du tribunal bénéficient également d’une protection.

Les articles 8 à 12 traitent des facilités qui sont accordées au tribunal en matière de communications et en matière fiscale, douanière et financière.

A la demande de la direction de la législation fiscale, l’article 11 relatif à l’exonération d’impôts des traitements, émoluments et indemnités versés aux membres et aux fonctionnaires du tribunal fera l’objet d’une réserve de la part du gouvernement français à l’occasion de l’adhésion à l’accord.

Les articles 13 à 17 définissent le régime en matière d’immunités, de privilèges et de facilités applicable aux différents acteurs du tribunal : membres (art. 13), fonctionnaires (art. 14), experts (art. 15), agents, conseils et avocats (art. 16), témoins, experts et personnes accomplissant des missions (art. 17).

Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres du tribunal jouissent des privilèges, immunités, facilités et prérogatives accordés aux chefs de mission diplomatique en vertu de la convention de Vienne. Le greffier jouit des privilèges, immunités et facilités diplomatiques.

Les autres personnes participant au fonctionnement du tribunal – fonctionnaires, experts, agents, conseils et avocats, témoins, etc – bénéficient des privilèges, immunités et facilités « qu’exige l’exercice indépendant de leurs fonctions », en particulier :

– l’immunité d’arrestation ou de détention et de saisie de leurs effets personnels ;

– le droit d’importer en franchise leur mobilier et leurs effets et de les réexporter pour les seuls fonctionnaires ;

– l’exemption de toute inspection de leurs effets personnels ;

– l’immunité de toute forme de poursuites à raison de leurs paroles, de leurs écrits et de tous les actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions. Cette immunité continue à leur être accordée même après qu’ils ont cessé d’exercer leurs fonctions ;

– l’exemption des mesures restrictives relatives à l’immigration et des formalités relatives à l’enregistrement des étrangers ;

– privilèges et facilités de change ;

– facilités de rapatriement en période de crise internationale.

Les avocats ne peuvent bénéficier de l’ensemble des privilèges et immunités que sur présentation d’un certificat fourni par le greffier du tribunal pour une période « raisonnable requise par la procédure ».

L’article 19 rappelle que les privilèges et immunités sont accordés non à l’avantage personnel des bénéficiaires mais pour garantir leur indépendance dans l’exercice de leurs fonctions.

Aux termes de l’article 20, « sans porter préjudice à la bonne administration de la justice », l’immunité peut être levée si celle-ci « empêche que justice soit faite » selon l’analyse de l’autorité compétente de l’Etat partie.

Les articles suivants peuvent être qualifiés de dispositions diverses : l’article 21 consacré aux laissez-passer des Nations unies et aux demandes de visas, l’article 22 au libre déplacement des personnes participant au fonctionnement du tribunal, l’article 23 à la collaboration du tribunal avec un Etat partie en matière de maintien de la sécurité et de l’ordre public. Le tribunal coopère également avec les Etats parties afin de faciliter l’application de leurs législations et d’éviter les abus de privilèges.

Les articles 26 à 35 portent sur les modalités de mise en œuvre de l’accord. L’accord qui est entré en vigueur le 30 décembre 2001 a été à ce jour ratifié par 38 Etats.

En conclusion, l’accord du 23 mai 1997 sur les privilèges et immunités du tribunal international du droit de la mer ne se distingue ni par son caractère novateur ni par l’importance de ses conséquences.

Néanmoins, la France réaffirme par son adhésion à cet accord son attachement à la convention sur le droit de la mer. Puissance maritime, elle ne peut se permettre de ne pas honorer ses engagements internationaux d’autant qu’elle a la chance de compter l’un de ses représentants parmi les membres du tribunal. C’est pourquoi votre rapporteur est favorable à l’adoption du présent projet de loi.

Mme Chantal Bourragué. Monsieur le rapporteur, lorsque vous avez parlé de droit de la mer, vous n’avez pas mentionné le droit de la pêche : ce tribunal a-t-il des compétences dans ce domaine ? J’observe par ailleurs que les compétences du tribunal n’ont pas été évoquées dans votre exposé qui n’a abordé que la situation juridique de ses membres. Pourriez-vous nous rappeler quel traité fixe les compétences de ce tribunal ? Joue-t-il un rôle en matière de lutte contre la piraterie ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. C’est effectivement un accord de 1982 qui a défini les compétences du tribunal alors que l’objet de cet accord est limité à la situation de ces membres. La piraterie ne fait pas partie du champ d’action du tribunal. Celui-ci pourrait être amené à trancher des litiges relatifs à l’exploitation de nodules sous-marins ou à la délimitation de la frontière maritime entre deux Etats, comme cela a été le cas, entre la Birmanie et le Bangladesh. La délimitation de ces frontières peut avoir d’importantes conséquences politiques et économiques. Les affaires soumises au tribunal peuvent aussi toucher aux règles applicables à la pêche, par exemple lorsqu’il s’agit de déterminer le droit applicable dans une certaine zone. Tel a par exemple été le cas dans les mers du Sud, où la France a des intérêts du fait de sa souveraineté sur les îles Kerguelen.

M. Jacques Remiller. 38 états ont à ce jour ratifié la convention sur le droit de la mer : les principales puissances maritimes en font-elles partie ? Lesquelles ne l’ont pas encore fait ?

Mme Nicole Ameline. Dans le même esprit, je m’interrogeais sur l’état des ratifications des pays riverains de l’Arctique. Il me semble en effet que cette zone risque d’être concernée par de nombreux litiges dans l’avenir.

Le champ de cet accord est certes limité mais il est néanmoins important dans la mesure où il faut soutenir tout ce qui contribue au développement du droit international dans ce domaine. En quoi les réserves émises par la France ont-elles consisté ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Parmi les Etats ayant ratifié l’accord figurent notamment l’Argentine, l’Espagne, l’Autriche et le Royaume-Uni qui sont des puissances maritimes. Mais certains autres Etats parties n’en sont pas, à l’exemple de l’Allemagne ou de la Suisse. Parmi les Etats riverains de l’Arctique, seuls le Danemark et la Russie l’ont fait. Les Etats-Unis en sont absents.

La réserve émise par la France est technique : « La France joint à son adhésion la réserve suivante : la France entend limiter l’exemption d’imposition prévue à l’article 11 1) de l’accord aux traitements et émoluments perçus du Tribunal par les membres et fonctionnaires de celui-ci, à l’exclusion des indemnités qui pourraient leur être versées par le Tribunal. S’agissant par ailleurs des membres et fonctionnaires du Tribunal qui résideraient en France, la France entend conserver la possibilité de prendre en compte les revenus exonérés pour déterminer le taux applicable à l’ensemble des revenus de ces personnes ».

M. François Rochebloine. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi, alors que 160 Etats sont parties à la convention sur le droit de la mer, seuls 38 ont ratifié cet accord sur les privilèges et immunités ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Comme je vous l’ai expliqué, chaque Etat partie à la convention a la possibilité de choisir sa juridiction. Le tribunal de la mer n’est qu’une de ces juridictions et les Etats peuvent préférer recourir à d’autres modalités de règlement des différends, lesquelles ne leur seront d’ailleurs pas forcément plus favorables.

M. Jean-Paul Lecoq. Dans la mesure où je ne connais pas les stipulations du traité qui a créé ce tribunal, pourriez-vous m’indiquer comment le membre français est désigné ? Comme Mme Ameline, je pense qu’il faudra fixer des règles nouvelles, notamment en ce qui concerne l’Arctique. Il me semble qu’il serait intéressant que la commission reçoive le membre français du tribunal pour en apprendre davantage sur son fonctionnement et voir si ce tribunal peut constituer un outil pertinent pour le règlement des litiges à venir dans cette zone.

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Nous pourrions en effet proposer au bureau de la commission que celle-ci auditionne M. Jean-Pierre Cot. Il serait très intéressant d’avoir son sentiment sur le fonctionnement du tribunal.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2772).

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Roumanie : approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à l'assistance et à la coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence

La commission examine, sur le rapport de M. Rudy Salles, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à l'assistance et à la coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence (n° 2727).

M. Rudy Salles, rapporteur. Madame la Présidente, mes chers collègues, la Roumanie est régulièrement touchée par des inondations meurtrières comme celles de juin 2010, qui ont causé la mort d’une vingtaine de personnes, l’évacuation de plusieurs milliers d’autres et la destruction de routes, de voies ferrées et de réseaux d’électricité.

Des équipes françaises sont amenées à intervenir lors des opérations de secours et d’évacuation. Ainsi, lors des inondations de mai 2005, une équipe de la Direction de la défense et de la sécurité civile, composée de six personnes dotées de motopompes et d’unités de traitement de l’eau a été envoyée en Roumanie.

Or ces interventions s’effectuent sur le fondement d’un accord du 21 février 1997 relatif à la coopération en matière d’affaires intérieures dont certaines dispositions ayant trait à la sécurité civile prévoient la possibilité d’envoyer des équipes de secours en cas de catastrophe, sans préciser pour autant les modalités de leurs opérations.

Aussi est-ce la raison pour laquelle les ministres de l’intérieur français et roumain ont signé à Paris, le 22 avril 2008, un accord relatif à l’assistance et à la coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d’urgence, dont les dispositions sont très largement inspirées d’accords semblables que notre pays a signés avec l’Azerbaïdjan, la Croatie ou encore l’Espagne. Le présent accord a donc pour objet de préciser le cadre juridique de l’intervention de nos équipes de secours en Roumanie en détaillant le régime de franchissement des frontières, de direction et de ravitaillement des équipes de secours, ou encore d’indemnisation des éventuels dommages causés par elles.

En ce qui concerne dans un premier temps le cadre de la coopération en matière de protection et de sécurité civiles, celui-ci est considérablement étoffé et détaillé par les articles 1 à 6. L’article 2 étend considérablement les formes de la coopération. Outre l’échange de documentation spécialisée, le conseil technique et les actions de formation professionnelle, l’échange d’informations techniques et spécialisées, d’expertise et d’expérience dans les systèmes nationaux d’alerte et de détection, les parties s’engagent à développer les échanges d’experts, à mettre en œuvre des projets communs en matière de prévision, de prévention, d’alerte précoce, d’évaluation, d’atténuation, et d’élimination des effets des catastrophes, et à organiser des conférences, des programmes scientifiques et des exercices communs.

D’ores et déjà, les échanges avec les autorités roumaines compétentes se sont intensifiés. Une mission de formation sur la gestion des informations et des relations avec les médias pendant les situations d'urgence a été conduite par des experts de la Direction de la sécurité civile du 25 au 28 octobre 2010. Trois actions ont été organisées en novembre 2010 par la brigade de sapeurs-pompiers de Paris au profit de l'Inspectorat des sapeurs-pompiers de Bucarest. Pour 2011, quatre actions sont prévues, dont une formation dans le domaine des risques nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques en Roumanie, ainsi que la participation de deux experts roumains à un exercice de sauvetage-déblaiement en France.

Ces contacts devraient se multiplier à la faveur de la création d’une commission mixte franco-roumaine, qui est investie par l’article 6 de l’encadrement de la coopération dans le domaine de la protection et de la sécurité civiles.

Pour ce qui est, dans un deuxième temps, de la procédure d’intervention des équipes de secours sur le territoire de chacune des parties, celle-ci est décrite de façon exhaustive par les articles 7 à 14. Ces dispositions traitent très précisément des aspects procéduraux de l’opération : formalités de franchissement de la frontière par les équipes de secours, conditions d’introduction d’équipements sur le territoire français ou roumain, règles d’utilisation des transports terrestres ou aériens, modalités de direction des opérations sur le terrain, procédures de désengagement des équipes et des équipements à l’issue de l’intervention.

Pour ce qui est, dans un troisième temps, des aspects financiers et indemnitaires de l’intervention, ils sont réglés par les articles 15 et 16. L’article 16 rappelle que, sauf accord contraire des parties, l’assistance est fournie à titre gratuit. La France comme la Roumanie s’engagent donc à supporter le coût d’une intervention sur le territoire de l’autre partie, intervention qu’elles restent toujours libres d’accepter ou de refuser (article 7-5). A titre d’exemple, l’intervention des équipes françaises lors des inondations qui ont frappé la Roumanie en 2000 a coûté à notre pays environ 50 000 euros.

En application de l’article 15, les parties s’engagent aussi à renoncer à tout dédommagement en cas de dommages corporels (blessure ou décès) subis par les membres des équipes de secours lors de l’accomplissement de leur mission (sauf dommage intentionnel ou résultant d’une grave négligence).

Quant aux dommages causés par des membres des équipes d’assistance de la partie requise à des personnes physiques ou morales présentes sur le territoire de la partie requérante, il est prévu, comme dans d’autres accords semblables, qu’ils sont indemnisés par la partie bénéficiaire de l’intervention, là encore sous réserve des dommages intentionnels ou dus à une grave négligence.

Enfin, pour ce qui est des projets de coopération en matière de protection et de sécurité civile, ils font l’objet d’un programme annuel qui détermine la contribution financière de chacune des parties (alinéa 16-2) et qui est toujours réalisé dans la limite des moyens et des ressources financières des deux parties (alinéa 16-3).

Madame la Présidente, mes chers collègues, l’accord qui est aujourd’hui soumis à notre approbation a d’ores et déjà été ratifié par la Roumanie en février 2009. Etant donné que, d’une part, les équipes françaises de secours sont intervenues régulièrement en Roumanie (en 2000 et 2005) et qu’elles seront probablement amenées à le faire de nouveau, et que, d’autre part, le présent accord apporte des précisions aussi nombreuses que substantielles aux modalités de ces interventions qui, à l’heure actuelle, sont encadrées par un dispositif plutôt flou et squelettique, la France a tout intérêt à se doter de cet instrument juridique détaillé.

C’est la raison pour laquelle je vous engage à voter ce projet de loi autorisant l’approbation de l’accord franco-roumain d’assistance et de coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d’urgence.


M. François Rochebloine.
Vous avez cité trois autres pays avec lesquels la France a signé un accord similaire : l’Azerbaïdjan, la Croatie et l’Espagne. Des discussions ont-elles été engagées avec d’autres pays ? Par ailleurs, les équipes françaises visées par l’accord peuvent-elles inclure des ONG ?

M. Rudy Salles, rapporteur. Il n’y a à ce jour pas d’autres accords en préparation. Seuls les personnels de la sécurité civile sont visés par l’accord.

M. François Rochebloine. C’est regrettable !

M. Rudy Salles, rapporteur. C’est un premier pas dans la bonne direction.

M. Jacques Remiller. Pourquoi n’existent-ils pas d’autres accords que les trois que vous avez mentionnés alors que la France intervient dans bien d’autres pays ?

M. Rudy Salles, rapporteur. On peut souhaiter qu’on poursuive dans cette voie en concluant d’autres accords de coopération. L’accord avec la Roumanie offre une base juridique solide alors que jusqu’à présent le flou prévalait.

M. Jacques Remiller. Qu’en est-il au niveau européen ?

M. Rudy Salles, rapporteur. Au niveau européen, la résolution du 8 juillet 1991 relative à l’amélioration de l’assistance mutuelle entre Etats membres en cas de catastrophe naturelle ou technologique n’exclut pas la possibilité de signer des accords bilatéraux plus précis.

M. Jean-Pierre Kucheida. Les accords bilatéraux de coopération en matière de sécurité civile sont-ils une pratique courante ? Pourquoi ne pourrait-on pas profiter des situations de crise dans lesquelles nous sommes partie prenante pour signer des accords qui fournissent un cadre à actions ?

M. Rudy Salles, rapporteur. Je n’ai pas connaissance d’autres accords que ceux déjà cités. Je veux souligner l’importance de l’accord avec l’Espagne.

M. Jean-Pierre Kucheida. Nous aurions pu signer un accord avec la Grèce où nous sommes intervenus récemment.

M. Rudy Salles, rapporteur. On ne peut être que favorable au développement d’accords qui garantissent un cadre juridique et institutionnel.

Mme Martine Aurillac. Les délais de ratification de ces accords ne sont guère compatibles avec le temps des crises, M. Kucheida.

M. Jean-Paul Lecoq. La formation est-elle réservée aux hauts responsables de la sécurité civile ou les simples secouristes peuvent-ils y avoir accès ? L’accord porte t-il aussi sur la prévention des catastrophes, domaine dans lequel les compétences de la France sont reconnues.

M. Rudy Salles, rapporteur. La réponse est oui aux deux questions.

M. François Rochebloine. Je m’étonne que nous ayons signé un accord avec l’Azerbaïdjan mais pas avec son voisin, l’Arménie.

M. Rudy Salles, rapporteur. Je pense qu’il n’y a pas d’opposition de principe à la signature d’un accord avec l’Arménie qui hélas est régulièrement victime de catastrophes naturelles.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2727).

La séance est levée à douze heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 15 décembre 2010 à 10 heures

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. François Asensi, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, Mme Chantal Bourragué, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, Mme Geneviève Colot, M. Alain Cousin, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Gaëtan Gorce, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Didier Julia, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Didier Mathus, M. Renaud Muselier, M. Jacques Myard, M. Jean-Marc Nesme, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Roland Blum, M. Alain Bocquet, M. Jean-Michel Boucheron, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Paul Dupré, M. Serge Janquin, M. Alain Néri, M. Henri Plagnol, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle