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Commission des affaires étrangères

Mercredi 22 décembre 2010

Séance de 9 h 00

Compte rendu n° 24

Présidence de  M. Axel Poniatowski, président

– Grèce : approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République hellénique relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 2316) – M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur 2

– Venezuela : approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela relatif au statut de leurs forces armées dans le cadre de la coopération militaire (n° 2710) – M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur 9

Grèce : approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République hellénique relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure

La séance est ouverte à neuf heures.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Luc Reitzer, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République hellénique relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 2316).

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Le projet de loi dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur est un accord bilatéral de sécurité intérieure de forme classique, comme nous en avons déjà examiné beaucoup, et comme nous en examinerons encore. Mais avant d’entrer dans le détail de cet accord et de ses objectifs, je voudrais dire quelques mots de la situation actuelle de la Grèce, très difficile sur le plan financier notamment, ce qui n’est pas sans conséquence sur les implications de l’accord.

À observer la carte de l’Europe, la Grèce, avec ses 132 000 kilomètres carrés, semble un petit pays. Mais ce pays compte quelque 16 000 kilomètres de côtes – voilà qui souligne l’importance de la mer pour la Grèce, que l’on parle de marine marchande ou d’immigration. La Grèce compte un peu plus de 11 millions d’habitants ; c’est très faible au regard de la population des grands pays européens, mais avec cette population, la Grèce se situe néanmoins dans la première moitié des 27 États membres de l’Union européenne.

Sur le plan économique, qui est depuis le printemps dernier un sujet de préoccupation majeure pour l’ensemble de la zone euro, la situation de la Grèce n’est guère florissante. Je me bornerai à évoquer les ratios les plus significatifs : la récession s’est creusée en 2010 et elle sera encore de mise en 2011. Après avoir reculé de 2 % en 2009, le PIB déclinerait cette année de 3 à 4 %, et en 2011 encore de 2,6 %, selon les données attachées à l’accord de refinancement trouvé en mai dernier avec la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne. Le déficit des comptes publics, qui s’est établi à – 13,5 % l’an dernier, devrait encore se creuser de plus de 8 % cette année et de 7 à 8 % supplémentaires l’an prochain. Quant à la dette publique grecque, qui s’établissait à 115 % du PIB en 2009, elle représenterait 125 à 129 % du PIB à la fin de cette année et 134 à 140 % du PIB en 2011. Enfin, le taux de chômage en pourcentage de la population active, qui était en 2009 de 9,5 %, grimperait cette année à 11,5 voire 12 %, et l’an prochain éventuellement à 14,5 % !

Le produit intérieur brut mentionné dans les ratios que j’évoquais à l’instant s’élève, selon Eurostat, à 235 milliards d’euros environ, soit moins de 3 % du PIB de la zone euro ; mais compte tenu de la part de l’économie informelle dans l’activité économique générale du pays, l’évaluation du PIB grec n’est jamais absolument certaine. Par définition inconnue avec précision, la part de cette économie grise dans le PIB de la Grèce est estimée entre 25 et 45 %, et le chiffre moyen communément proposé est de 30 % – tels sont les chiffres cités devant nous, ici même, par M. Christophe Farnaud, ambassadeur de France en Grèce, lors de son audition le 11 mai dernier. Des chiffres impressionnants, qui incitent à relativiser les autres statistiques : cela peut signifier notamment que le déficit est moins élevé qu’on ne le croit en pourcentage du PIB.

Pour terminer cette présentation chiffrée et mentionner les derniers développements de la gestion de la crise financière à laquelle la Grèce s’est trouvée brutalement confrontée, je signalerai que le Fonds monétaire international a approuvé, le 17 décembre dernier, le déblocage d’environ 2,5 milliards d’euros dans le cadre du plan d’aide à la Grèce que je mentionnais tout à l’heure. Mis en place conjointement avec le FMI, ce programme met à la disposition du pays une enveloppe de 110 milliards d’euros, dont 80 milliards en provenance des pays de la zone euro.

Dans ce contexte, il est remarquable que le gouvernement grec ait obtenu, lors des élections locales du 14 novembre dernier, un succès d’une telle ampleur. Le parti du Premier ministre Georges Papandréou s’est en effet imposé dans 8 régions sur 13 et dans 73 municipalités sur 325, dont celles d’Athènes et de Thessalonique, qui étaient des bastions de l’opposition actuelle.

Il faut y voir un signe d’espoir dans la reconstruction de l’économie grecque et la conduite des réformes. Dans le même temps, toute déstabilisation de la société grecque, dans ce contexte qui demeure fragile, est à proscrire. C’est pourquoi le renforcement de la coopération en matière de sécurité intérieure au profit de la Grèce est d’une importance cruciale.

Afin de bien percevoir les objectifs de l’accord qui nous occupe, mesurons aussi la place stratégique de la Grèce sur notre continent. Je n’ai pas besoin de souligner que, compte tenu de sa position géographique, avec le passage vers le détroit du Bosphore dont l’importance est aujourd’hui renforcée par les enjeux énergétiques du transit depuis l’Asie centrale ou la Russie, la Grèce est un élément essentiel pour l’économie et la stratégie de l’Europe entière. Cette valeur tient aussi aux relations entre la Grèce et son voisinage balkanique ; elle tient encore à ses relations avec la Turquie, des relations qui orientent fondamentalement sa politique extérieure depuis des siècles.

La Grèce est donc un pays qui compte. Elle est ainsi devenue une cible pour la Chine, qui voit en elle la porte d’entrée pour les produits qu’elle veut exporter vers l’Union européenne mais aussi vers l’Europe du Nord et l’Europe orientale. Ce n’est pas un hasard si un groupe chinois a repris pour partie la gestion du trafic de marchandises du port du Pirée. Ce n’est pas non plus un hasard si la Chine est intervenue pour aider la Grèce à assurer le refinancement de sa dette. Comme nous le rappelait notre ambassadeur, la Grèce est assurément un pays qui compte en Méditerranée orientale et c’est, au sein de l’Union, le pays européen de la Méditerranée orientale.

Ce préambule qui a permis de planter le décor en dit déjà beaucoup sur l’intérêt d’approuver l’accord de sécurité intérieure signé entre la France et la Grèce à Paris, le 19 mai 2008. Porte d’entrée en Europe pour de très nombreux migrants, la Grèce est plus que d’autres États membres de l’Union européenne un point sensible à surveiller dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine. Mais l’intérêt de la coopération bilatérale en matière de sécurité réside aussi dans d’autres domaines, à commencer par la lutte antiterroriste.

En effet, le démantèlement, en 2003, du « groupe du 17 novembre », responsable de vingt assassinats en vingt ans, a été suivi par l’apparition de groupes de « deuxième génération » et d’une persistance d’actions de basse intensité dues à la mouvance anarchiste. Puis les émeutes de décembre 2008 ont provoqué une radicalisation de cette mouvance, ainsi que l’émergence de groupes terroristes de troisième génération. Bien que la France ne soit pas une cible privilégiée de ce terrorisme interne, en 2005 et en 2006 la mouvance anarchiste grecque, adepte des violences urbaines, s’est inspirée de l’actualité française, manifestant son soutien à « la révolte des immigrés en France », à « la révolte des étudiants » et en commettant des actions violentes contre des symboles de la France, saccageant par exemple l’Institut français d’Athènes, en « hommage » aux activistes incarcérés d’Action Directe. De nouveaux épisodes de solidarité anarchiste ont été observés en 2008 et 2009. L’obtention rapide d’informations et une communication fluide avec les services français chargés de la lutte antiterroriste sont donc des fruits à retirer d’une coopération renouvelée et renforcée en matière de sécurité intérieure.

Mais bien sûr, le principal enjeu du projet de loi que nous examinons ce matin demeure l’endiguement des flux migratoires irréguliers dont la Grèce est la proie. Frontière naturelle et juridique sud-est de l’espace Schengen, la Grèce expose à l’immigration 1 200 km de frontières terrestres balkaniques et 16 000 km de côtes. Après une émigration massive jusqu’aux années 60, le phénomène s’est en effet inversé et depuis 1990 la Grèce est devenue terre d’immigration. Sur 11 millions d’habitants, plus d’un million sont étrangers, dont 60 % d’Albanais, sans compter les clandestins dont le nombre est estimé à 300 000 personnes au moins. L’immigration irrégulière, formée de clandestins albanais, mais aussi pakistanais, irakiens, palestiniens, afghans, géorgiens, chinois, somaliens ou kurdes, a pris des proportions alarmantes, au point de faire de la Grèce, comme le titrait un article récent, « le trou dans le mur européen ».

Des mesures sont néanmoins prises pour tenter de remédier à cette situation. Ainsi, les interpellations d’immigrés clandestins ont concerné 96 000 personnes en 2006, 146 000 en 2008, 126 000 en 2009 et 110 000 pour le premier semestre de 2010. Sur les neuf premiers mois de cette année, les arrivées par voie maritime de clandestins en provenance de Turquie via la mer Égée ont considérablement diminué grâce aux efforts accomplis. Mais cette baisse a été compensée par une très forte augmentation des interpellations à la frontière terrestre gréco-turque. La crise dans cette zone dépasse ainsi, par son ampleur, celle qu’ont connue l’archipel des Canaries en 2006 et l’île de Lampedusa en 2008.

Une telle situation a amené la Grèce à demander l’activation du dispositif européen « RABIT » – c’est-à-dire le déploiement d’équipes d’intervention rapide aux frontières. À la suite de ce déploiement, au début du mois de novembre dernier, de quelque 205 gardes-frontières – dont 18 Français – venus de 26 pays de l’Union ainsi que d’Islande et de Suisse, accompagnés des forces de l’ordre grecques, le nombre des passages illégaux par la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie a été réduit de l’ordre de 44 % en un mois. Mais la situation demeure critique et dans ce contexte, le vote du projet de loi d’approbation de l’accord de sécurité intérieure serait particulièrement bienvenu.

En effet, cet accord donne une assise juridique plus solide à une coopération administrative et opérationnelle déjà riche entre la France et la Grèce. Pour en rester à la période récente, je mentionnerai les liens très étroits noués à l’occasion des Jeux olympiques d’Athènes de 2004, ainsi que la déclaration commune signée le 21 juillet 2006 à Athènes entre M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et son homologue grec. Cette déclaration était une préfiguration directe de l’accord de 2008.

L’article 1er de cet accord traite des domaines couverts : lutte contre le terrorisme, contre la criminalité organisée et contre la production, le trafic, la vente et l’usage illégaux des stupéfiants, des substances psychotropes et de leurs précurseurs chimiques, etc. Au sein de ce vaste ensemble d’ailleurs susceptible d’être encore étendu, pour la Partie française, la priorité est désormais indéniablement la lutte contre l’immigration irrégulière et le suivi du terrorisme interne, pour les raisons développées plus haut. Cependant, tous les autres points sont susceptibles d’être l’objet d’actions de coopération tant technique qu’opérationnelle.

L’article 2 prévoit que la mise en œuvre de l’accord s’effectue dans le respect de la législation nationale des Parties. En vertu de cette disposition, chaque Partie peut refuser la transmission de données à caractère personnel à l’autre Partie, si elle estime que le système de protection des données de celle-ci ne présente pas des garanties suffisantes. Les articles 3 à 6 détaillent les modalités pratiques de la coopération, qui repose essentiellement sur l’échange d’informations, mais aussi l’envoi d’officiers de liaison sur le territoire de l’autre Partie, ce que fait déjà la France et qui mérite d’être souligné tant il est rare que la France dispose dans un même pays de l’Union de deux de ces officiers, l’un à Athènes et l’autre à thessalonique.

L’article 7 précise quelles autorités et services sont chargés de la mise en œuvre de l’accord et l’article 8 garantit la protection des données à caractère personnel et le traitement confidentiel des informations échangées dans le cadre de cet accord.

Autoriser aujourd’hui son approbation, ce serait adresser un signal important à tous les services engagés dans la lutte contre les menaces pesant sur la sécurité intérieure ; un signal important à l’encontre des filières d’immigration irrégulière ; un signal important en ces temps de restrictions budgétaires qui tendent à réduire la portée concrète de la coopération, tout particulièrement en Grèce compte tenu de sa situation économique actuelle.

La Partie grecque a ratifié l’accord dès août 2009. Après le vote positif de nos collègues sénateurs en février dernier, je vous invite à voter, vous aussi, ce projet de loi d’approbation.

M. Philippe Cochet. Nous voterons en faveur de ce projet de loi, mais essentiellement pour nous donner bonne conscience.

La situation de l’immigration clandestine en Grèce nous renvoie à la situation de Malte. Les deux pays ont naturellement besoin de l’aide européenne pour assurer la surveillance de leurs côtes, mais chaque Etat doit faire les investissements nécessaires pour accueillir correctement les clandestins et gérer les flux. Qu’en est-il en Grèce ? Les conditions d’accueil des immigrés irréguliers sont-elles acceptables ? Bien que souvent critiquées, les pratiques françaises en la matière sont très satisfaisantes et pourraient inspirer les autres pays.

De nombreux trafics, notamment de drogues, transitent par le port du Pirée. Existe-t-il une coopération avec la France dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ?

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Il est évident que les conditions dans lesquelles la Grèce accueille les immigrés irréguliers sont difficiles. Il s’agit d’environ 300 000 personnes qui arrivent chaque année, la plupart étant en transit vers l’Europe du Nord, et notamment la France. Ainsi, sur les 5 000 voyageurs interpellés en situation irrégulière à l’aéroport d’Athènes, 40 % étaient en partance vers la France. Les principaux problèmes concernent l’hébergement des clandestins et les trafics de faux papiers. L’un des volets de la coopération française porte justement sur la détection des faux papiers dans les deux principaux aéroports du pays, ceux d’Athènes et de Thessalonique.

Il est clair que seule une action dans les pays sources des flux peut avoir une efficacité décisive. Néanmoins, les opérations conduites à l’échelle de l’Union européenne, par l’agence Frontex et dans le cadre de l’opération Poséidon, sont très utiles. En 2008, l’arraisonnement du Junior a permis de saisir 3,2 tonnes de cocaïne. Ainsi, la lutte contre l’immigration clandestine peut aussi conduire à des prises d’une autre nature.

M. Jean-Paul Lecoq. Permettez-moi de m’inquiéter du lien que vous avez semblé établir entre la situation politique et sociale grecque et l’utilité de cet accord. Il ne serait pas acceptable que ce dernier permette des échanges d’informations sur des responsables syndicaux, par exemple ! C’est aller un peu vite que de justifier une coopération en matière de sécurité intérieure par le risque d’une déstabilisation de la Grèce, qui aurait des conséquences sur l’Union européenne !

Je m’interroge aussi sur la nécessité de conclure un tel accord bilatéral entre deux Etats qui font partie de l’espace Schengen : celui-ci n’est-il pas en lui-même une zone de coopération ?

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. J’ai voulu insister sur la fragilité de la situation grecque, qui pouvait à tout moment dégénérer si on n’y prenait pas garde. Le pays traverse une période de grandes difficultés ; il faut absolument éviter que la renaissance du terrorisme, le développement des trafics et de la violence lié notamment à l’immigration clandestine et à d’autres problèmes de sécurité intérieure ne mettent encore plus à mal ce qui lui reste de stabilité.

Le droit interne grec assure la confidentialité des informations transmises par la France ; celles-ci ne sauraient être utilisées pour effectuer un « fichage » des personnalités syndicales ou politiques.

L’accord bilatéral permettra de faciliter et d’accélérer la coopération entre la France et la Grèce, qui serait permise dans le cadre de l’application de l’accord de Schengen. La France a décidé de mettre l’accent sur le contrôle des frontières, notamment du fait du voisinage de la Turquie, qui refuse d’appliquer l’accord gréco-turc de réadmission.

M. Jean-Paul Dupré. Les intentions de cet accord sont incontestablement louables. Mais il a été signé en 2008, et la situation de la Grèce s’est notablement dégradée depuis. Pourriez-vous nous préciser l’état des relations entre la Grèce et la Turquie ? Peut-on vraiment espérer progresser dans la lutte contre l’immigration clandestine dans un pays qui compte 16 000 kilomètres de côtes sans augmenter de manière importante le nombre de gardes-côtes ? Enfin, comment éviter que le rapprochement de la Grèce et de la Chine ne conduise au développement de flux inquiétants vers l’Europe ?

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Il existe un contentieux historique entre la Grèce et la Turquie et l’accord bilatéral de réadmission n’est pas appliqué, mais les deux pays coopèrent dans certains domaines, notamment économiques. La Turquie a elle aussi intérêt à éviter les infiltrations sur son territoire, en particulier eu égard à ses préoccupations relatives au terrorisme et aux activistes kurdes.

La Chine dispose de considérables réserves de devises et d’un fort dynamisme économique, qui s’est exprimé en Afrique. Elle a vu la Grèce comme une tête de pont pour faciliter la pénétration de ses produits dans le bassin méditerranéen et en Europe du Nord. La prise en main du port du Pirée par la Chine constitue un nouvel instrument de la puissance chinoise. L’Union européenne devra contrôler davantage les produits qu’elle importe, surtout pour ce qui est de leur qualité.

L’ensemble des forces de l’ordre représente 47 500 personnes en Grèce et cette dernière compte 7 000 gardes-côtes. Cela est loin d’être négligeable ! L’appel à des forces européennes permet en outre de renforcer cette capacité. Il faut néanmoins reconnaître que les actions ponctuelles conduisent à une adaptation des flux, plus qu’à leur assèchement.

M. Robert Lecou. La porosité de la Grèce à l’immigration clandestine résulte essentiellement de sa position géographique, à la porte des Balkans et du Proche-Orient. Le pays est sur la voie de passage des produits stupéfiants.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Notre pays entend surtout coopérer avec la Grèce dans la lutte contre l’immigration irrégulière et le terrorisme, car ce sont des phénomènes dont les effets sont très perceptibles en France, mais la lutte contre tout ce qui touche au trafic de stupéfiants entre aussi dans le champ d’application de l’accord, énuméré dans son article 1er.

M. Jean Glavany. Je tiens à saluer l’enthousiasme du rapporteur, d’autant plus remarquable que nous sommes en toute fin d’année !

Dans la mesure où le principal producteur de pavot est aujourd’hui l’Afghanistan, il est logique que les flux de drogues traversent d’abord l’Iran puis la Turquie et la Grèce pour arriver en Europe.

Le contenu de cet accord bilatéral est tout à fait classique : je me demande donc pourquoi la France a attendu 2008 pour le signer. Cela veut-il dire qu’il n’y avait pas de coopération bilatérale dans ce domaine jusqu’ici, en dépit de l’existence de l’espace Schengen ? Si tel est le cas, comment cela s’explique-t-il ?

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Cet accord est en effet classique ; c’est le cadre de coopération que la France propose à tous ses partenaires. Mais il existait une coopération avant sa signature. Plusieurs accords sont déjà en vigueur dans des domaines connexes, comme l’accord franco-grec du 14 février 1997 relatif à la coopération d’administration publique et de sécurité civile, l’accord de réadmission du 15 décembre 1999 et l’arrangement administratif sur l’utilisation des avions bombardiers d’eau du 26 novembre 2007. En outre, un partenariat privilégié avait été entériné par la déclaration commune du 21 juillet 2006 à Athènes entre M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et son homologue grec, qui était une préfiguration directe de l’accord de 2008. Elle prévoyait notamment l’institution « d’un groupe de travail de haut niveau des services ayant pour tâche de surveiller les progrès effectués dans les divers secteurs et de proposer un texte d’accord bilatéral de coopération policière en matière de sécurité intérieure. Le rapport de ce groupe sera soumis à l’appréciation des deux ministres ». L’accord qui est l’objet du présent projet de loi est le résultat du travail de ce groupe. La coopération bilatérale s’était déjà développée empiriquement à l’occasion de la préparation et du déroulement des Jeux olympiques d’Athènes en 2004.

M. Jean Glavany. Je comprends cela. Mais l’accord de Schengen en tant que tel était-il ou non un accord de coopération ? En d’autres termes, l’accord bilatéral vise-t-il à afficher politiquement une coopération préexistante dans le cadre de Schengen ou a-t-il une utilité pratique propre ?

M. François Loncle. J’ai été le rapporteur du projet de loi visant à autoriser la ratification de l’accord de Schengen. A cette époque, on était déjà conscient des difficultés particulières qu’allait rencontrer la Grèce pour sa mise en œuvre du fait du grand nombre d’îles et de la longueur de ses côtes. C’était d’ailleurs le pays où j’avais choisi de me rendre pour mesurer les défis à relever. On considérait alors que l’Union européenne devrait faire des investissements massifs pour donner aux pays de l’espace Schengen les moyens de faire respecter les stipulations de l’accord, tout en arrivant à un équilibre défini par la formule « ni forteresse, ni passoire ». Il me semble que la situation actuelle est largement imputable au manque de moyens communautaires. Si j’approuve le refus de la France de voir la Roumanie et la Bulgarie entrer rapidement dans l’espace Schengen, j’estime que la situation de ces pays est en partie imputable au manque de volonté et de moyens européens.

M. le président Axel Poniatowski. Il serait très intéressant que la commission fasse le point sur la mise en œuvre de l’accord de Schengen et sur la position française à l’égard de la Roumanie et de la Bulgarie. Elle pourrait ainsi mieux appréhender l’articulation des accords bilatéraux et du cadre communautaire.

M. Jacques Myard. Je ne partage pas l’avis de François Loncle. Le traité de Rome donne clairement aux Etats la responsabilité de mettre en œuvre les accords communautaires. L’accord de Schengen constitue une véritable « usine à gaz » qui ne permet pas des échanges rapides entre services spécialisés. En outre, il ne porte que sur un domaine limité, alors que les accords bilatéraux ont des champs d’application plus larges.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Les deux éléments sont présents actuellement. Du fait des difficultés du système de Schengen, il est indispensable de renforcer la réactivité dans la transmission d’informations. Mais l’Europe intervient également, par l’agence Frontex et l’opération Poséidon. L’objectif de l’accord est bien de renforcer la coopération et la réactivité.

La France est un allié important pour la Grèce, qui est une porte d’entrée pour l’immigration notamment clandestine. Un grand nombre d’illégaux ont la France pour destination, or l’accord donne une meilleure assise juridique à notre coopération avec ce pays, coopération qui existe depuis 1999.

M. Alain Néri. Vous parlez de l’importance de l’immigration clandestine sans mentionner le cas des citoyens de l’ex-Yougoslavie.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Les chiffres que j’ai évoqués sont globaux. Il y a une multitude de nationalités d’origine parmi les immigrés. Il est clair que les conflits dans les Balkans ont eu des conséquences importantes, j’ai voulu souligner la part des immigrés en provenance d’Albanie et d’Afrique sub-saharienne.

M. Michel Terrot. Quelle est l’articulation entre cet accord et la coopération dans l’espace Schengen ? Je prends un exemple : si un clandestin est interpellé en France en provenance de Grèce, il est alors renvoyé dans ce pays. Or, on nous dit que certains accords de réadmission, par exemple avec la Turquie, ne sont pas appliqués. Que deviennent alors les gens que l’on renvoie en Grèce ? Auriez-vous une estimation chiffrée de ce problème ?

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Juridiquement, ces personnes devraient être renvoyées in fine dans leur pays d’origine. En pratique, s’il n’y a pas d’accord de réadmission ou si la coopération est déficiente, ces personnes restent dans l’espace Schengen. C’est tout le problème.

M. le président Axel Poniatowski. Ce sujet est extrêmement problématique d’où l’intérêt pour la commission d’organiser une table ronde sur ce thème prochainement.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n 2316).

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Venezuela : approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela relatif au statut de leurs forces armées dans le cadre de la coopération militaire

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Michel Ferrand, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela relatif au statut de leurs forces armées dans le cadre de la coopération militaire (n° 2710).

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. La France a signé avec la République bolivarienne du Venezuela un accord de coopération militaire le 2 octobre 2008. Semblable à la centaine d’accords ratifiés par notre pays, cette convention remplace une galaxie d’arrangements techniques et permet de renforcer la sécurité juridique des quelques partenariats que notre pays entretient avec le Venezuela en matière militaire.

Ce texte n’est pas un accord de défense, mais un accord relatif au statut des forces engagées dans des opérations communes de formation et d’entraînement. Il ne prévoit donc pas la participation de notre pays à des opérations militaires conjointes avec le Venezuela, hors des cas d’exercices ou de formation.

Cette précision me paraît essentielle du fait de la place qu’occupe aujourd’hui ce pays en Amérique du Sud.

En effet, depuis l’élection d’Hugo Chavez à la présidence, la politique étrangère vénézuélienne a oscillé entre prises de position provocatrices et apaisements successifs. Les relations avec la Colombie avaient notamment atteint un stade inquiétant, avant un retour à la normale suite à l’élection de Juan Manuel Santos.

De la même manière, alors que le président Chavez accuse fréquemment les États-unis de mener une politique impérialiste, le Venezuela continue de fournir près de 10 % du pétrole américain, de loin son premier débouché extérieur.

La politique extérieure du Venezuela, si elle reste marquée par la rhétorique révolutionnaire bolivarienne issue du mouvement chaviste, a plus modifié l’image du pays à l’étranger que son comportement effectif sur la scène internationale. A l’intérieur du pays, toutefois, les réformes engagées par le président Chavez ont eu des conséquences plus durables, notamment dans les armées.

L’armée du Venezuela est, depuis longtemps, une armée professionnelle. D’un format relativement modeste, inférieur à 125 000 hommes majoritairement intégrés aux forces terrestres, elle est toutefois complétée, depuis quelques années, par une milice nationale forte de 800 000 hommes, pour le recrutement de laquelle un service militaire obligatoire a été décidé en 2009.

Au-delà de la création de cette force supplémentaire, les mesures adoptées par les gouvernements vénézuéliens depuis la première élection de Chavez ont désorganisé l’outil militaire vénézuélien. Les modes de recrutement des officiers ont été modifiés, les universités militaires ont vu leurs formations changer, une organisation territoriale militaire totalement nouvelle a été décidée.

L’embargo sur la vente d’armes décidé par les États-unis sous l’administration Bush a accéléré la dégradation du niveau d’équipement de l’armée vénézuélienne, désormais dotée de matériels vieillissants. Parallèlement aux réformes des armées, l’État vénézuélien cherche donc à renforcer ses capacités militaires.

Son nouveau premier fournisseur, la Chine, l’a doté d’avions d’entraînement et de radars longue portée. La Russie a passé d’importants contrats pour des armes légères et des hélicoptères, mais la réalisation de ces commandes reste incertaine.

D’importants débouchés subsistent pour les industriels français, déjà candidats à plusieurs marchés : achat de deux bâtiments de projection et de commandement, acquisition de systèmes de sonars remorqués, développement des capacités d’aéromobilité, modernisation de toute la chaîne de communication tactique des armées.

Mais le Venezuela ne représente pas qu’un marché pour nos industriels. La France a réussi à amener ce pays à coopérer dans des domaines très précis, qui servent nos intérêts propres tout en permettant aux armées vénézuéliennes de développer leur niveau de formation.

Le montant budgétaire de la coopération franco-vénézuélienne dans le domaine militaire reste modeste, inférieur à 100 000 euros. Toutefois, les actions déjà menées l’ont été dans des domaines stratégiques pour notre pays, notamment la lutte contre l’orpaillage illégal et la lutte contre le trafic de drogue. La France aide également les armées vénézuéliennes à améliorer leur capacité de secours aux populations.

Ces domaines de coopération, qui devraient rester prioritaires dans les prochaines années, sont de toute évidence en accord avec nos préoccupations stratégiques dans la région, et n’ont pas vocation à alimenter une quelconque attitude agressive de la part du Venezuela. D’ailleurs, les États-unis n’ont émis aucune réaction officielle à la signature de cet accord.

Le texte qui nous est présenté ce matin contient l’ensemble des stipulations traditionnelles en matière de coopération militaire. Il est expressément indiqué que l’accord ne prévoit pas la participation de la France à des opérations militaires avec le Venezuela, dans ou hors de ses frontières.

Seules les infractions commises hors du service peuvent amener nos militaires engagés dans des actions de coopération à être jugés au Venezuela. Dans ces cas, des stipulations garantissent un déroulement du procès le plus équitable possible.

Les autres stipulations de l’accord, techniques, permettent de donner un fondement juridique plus stable aux activités menées en coopération entre nos deux pays, en précisant notamment les activités couvertes par la coopération, les règles d’entrée sur le territoire, l’indemnisation des dommages éventuels.

L’accord du 2 octobre 2008 donne un cadre juridique plus sûr à la coopération franco-vénézuélienne dans le domaine militaire. Jusqu’à présent, ce partenariat nous a permis de servir nos intérêts, par exemple dans la lutte contre le trafic de drogues dans la région.

Elle renforce également la position de notre pays pour la modernisation de l’outil de défense d’un pays auquel ses ressources en hydrocarbures apportent une capacité de financement certaine.

Mais surtout, cette convention contient toutes les garanties pour nous assurer que les actions menées dans le cadre de cette coopération militaire n’amèneront pas nos armées à être impliquées dans des conflits sans que nous ne l’ayons décidé. C’est cette raison qui m’incite à vous proposer l’approbation de cet accord.

M. Jean-Pierrre Kucheida. Si les retards de la SNCF ne m’avaient pas fait arriver in extremis, j’aurais eu beaucoup de choses à dire sur la Grèce.

Concernant cet accord avec le Venezuela, je comprends que la coopération porte principalement sur des marchés d’armement. Je m’interroge sur la présence de l’orpaillage illégal parmi les domaines de coopération visés par l’accord car il me semblait que cela concernait plus la Guyane. Enfin, j’ai été choqué par l’évocation d’une permission que nous auraient accordée les Etats-Unis pour signer cet accord.

M. le président Axel Poniatowski. La question de l’orpaillage sera débattue prochainement dans le cadre de l’examen d’un accord avec le Brésil dans le domaine de la lutte contre l’exploitation aurifère illégale.

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. L’orpaillage fait partie, avec le narco-trafic et le secours aux populations, des priorités identifiées par les deux parties. Par ailleurs, je n’ai pas parlé d’une autorisation des Etats-Unis mais j’ai mentionné leur absence de réaction à l’égard de cet accord qui ne met pas en jeu des questions de sécurité essentielles pour eux.

M. Jean-Paul Dupré. Quels sont les échanges commerciaux entre la France et le Venezuela ? Ce pays entretient-il des relations de bon voisinage avec les pays riverains ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. L’accord présente un intérêt pour la vente de matériel militaire à des forces dont les équipements sont obsolètes. La France est le quinzième client et le 17ème fournisseur au Venezuela. Les exportations s’élèvent à 300 millions d’euros, les importations à 235 millions d’euros.

M. Robert Lecou. Je suis surpris par la signature d’un accord de cette nature avec un pays si lointain. J’entends que les armements sont au coeur de cet accord mais celui-ci prévoit-il également un échange d’hommes ?

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. Nous comptons un certain nombre de militaires français sur place. L’accord prévoit notamment la formation en France de militaires vénézuéliens à laquelle est alloué le modeste budget que j’évoquais précédemment.

M. Hervé de Charrette. Je m’étonne du délai, inhabituellement bref de la part du Quai d’Orsay, pour la ratification de cet accord. Cette précipitation ne me paraît pas de très bon aloi envers un pays qui ne mérite pas une telle considération. Je ne voterai donc pas ce texte présenté de façon prématurée.

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur. Je rappelle que les négociations ont commencé en 2003. La ratification par le Venezuela est intervenue en février 2009.

M. le président Axel Poniatowski. Les délais me semblent normaux. Ce n’est pas une mauvaise chose que d’aller un peu plus vite que la pratique habituelle !

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n 2710).

La séance est levée à dix-heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 22 décembre 2010 à 9 heures

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Dino Cinieri, M. Philippe Cochet, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, M. Jean Glavany, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Alain Néri, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jacques Remiller, M. Rudy Salles, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. François Asensi, M. Claude Birraux, Mme Chantal Bourragué, M. Gilles Cocquempot, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Lionnel Luca, M. Renaud Muselier, M. Jean-Marc Nesme, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, Mme Françoise de Salvador, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. Michel Vauzelle