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Commission des affaires étrangères

Mardi 18 janvier 2011

Séance de 10 h 45

Compte rendu n° 27

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation en Tunisie (ouverte à la presse)

Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation en Tunisie.

La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.

M. le président Axel Poniatowski. Madame la ministre d’État, merci d’avoir accepté, dans un délai si bref, l’invitation de la Commission des affaires étrangères, pour une courte audition qui sera exclusivement consacrée à la Tunisie.

Le changement radical que ce pays a connu en quelques jours n’avait été anticipé par aucun observateur. Vingt-trois journées de manifestations sont venues à bout d’un président en place depuis vingt-trois ans ; lâché par son armée, le président Ben Ali n’a pu résister à la pression de la rue. Alors que la France pariait sur une évolution à long terme de la Tunisie vers la démocratie, l’Histoire s’est accélérée.

Madame la ministre, votre audition doit être l’occasion de faire le point sur la situation au lendemain de ces événements, ainsi que sur la manière dont la France peut aider le processus de démocratisation annoncé par les autorités.

Il y a quelques jours encore, le principe de non ingérence et la crainte que la crise ne se termine par un bain de sang justifiaient que la France s’exprime avec retenue. Aujourd’hui, pour l’avenir de la Tunisie, celui de nos relations bilatérales avec elle mais aussi celui du monde arabe, notre pays doit répondre aux demandes du peuple tunisien et soutenir sa transition. Cette révolution ouvre peut-être une nouvelle ère historique. Il n’est pas exclu que la révolution tunisienne fasse des émules dans les pays voisins : un cinquième jeune Algérien s’est immolé hier par le feu et la rue arabe se réveille dans les pays du Proche et du Moyen-Orient.

Si la révolution tunisienne est résolument démocratique, les fondamentaux économiques et sociaux ne risquent-ils pas un jour d’ouvrir la voie au fondamentalisme ?

Après votre intervention, madame la ministre, je donnerai la parole à un représentant de chaque groupe, pour deux minutes,…

M. Nicolas Dupont-Aignan et M. Jacques Myard. Uniquement à eux ? C’est scandaleux !

M. le président Axel Poniatowski. …après quoi vous répondrez globalement. Cette organisation permettra de terminer un peu avant onze heures trente, de sorte que l’audition suivante – une audition commune avec la Commission de la défense, consacrée aux événements de Côte-d’Ivoire et du Niger, à laquelle vous participerez avec M. Alain Juppé – puisse se dérouler à l’heure convenue.

Mme Michèle Alliot-Marie. Dans un monde de plus en plus mobile et globalisé, la représentation nationale doit pouvoir être informée le plus rapidement et le plus exactement possible des événements au fur et à mesure de leur déroulement.

Après cinquante-cinq ans pendant lesquels elle n’a connu que deux présidents, la Tunisie vit aujourd’hui une période historique.

Eu égard à la force des liens entre la France et la Tunisie, il est tout à fait naturel que, dans ces moments décisifs, la France se tienne aux côtés du peuple tunisien. Le grand nombre de Tunisiens en France, de Français en Tunisie, de Franco-Tunisiens, les échanges de toute nature entre nos deux pays rendent très étroites les relations entre nos peuples et nos États. Nous voulons d’abord, dans toute la mesure du possible, aider un peuple ami, mais tout en étant respectueux de celui-ci, c’est-à-dire sans interférer dans sa vie interne. C’est là une attitude conforme aux principes constants de notre politique internationale : non ingérence ; respect de l’État de droit ; appel à la démocratie et à la liberté, et soutien de celles-ci. La Tunisie étant un ancien protectorat, nous sommes plus encore tenus à une certaine réserve. Munis de ces principes, il nous faut aborder la situation avec calme et lucidité.

Je fais confiance à l’esprit de responsabilité du peuple tunisien – que nous voyons se manifester même au milieu des difficultés actuelles – pour permettre à celui-ci de retrouver la voie de l’apaisement et du dialogue, éléments essentiels pour une transition réussie.

Nous devons tous faire preuve de modestie. Formuler des interprétations après coup est facile. Ni la France ni les autres pays n’avaient vu venir les événements de Tunisie, ou, tout au moins, leur accélération. Certes, nous avions tous pu constater l’insatisfaction de la jeunesse tunisienne, l’une des plus éduquées et des plus cultivées de la région, et pourtant fortement frappée par le chômage. Lors de nos déplacements, nous avions aussi pu ressentir, les uns et les autres, une exaspération de la population devant l’accaparement de l’économie tunisienne par un clan – plus ou moins discret. Nous avions aussi vu, ces dernières semaines, le mouvement débuté par l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi laisser progressivement place à un mécontentement politique. Pour autant – soyons honnêtes – nous avons tous, hommes politiques, diplomates, journalistes, chercheurs même, été surpris par la rapidité de cette révolution désormais dénommée « révolution de jasmin ».

Plus qu’ailleurs dans la région, le fossé s’était creusé entre un développement économique et social soutenu, que tous citaient en exemple, et un sous-développement des libertés et des droits politiques.

La force d’Internet et des réseaux sociaux a libéré la parole. Dans l’avenir, nous aurons à prendre en compte ce constat. Par rapport au passé, cette force a donné une ampleur nouvelle à la contestation.

L’usage excessif de la force à l’encontre des manifestants a aussi été l’un des déclencheurs essentiels des événements. Il a plus que jamais montré la réalité tunisienne, tant aux yeux du monde que des Tunisiens. Les images de la répression violente conduite par les forces de l’ordre ont exacerbé la détermination du peuple tunisien, et donc, certainement, accéléré le cours des événements.

Mardi dernier, lors des questions d’actualité, vous m’avez interrogée – vous-même, je crois, monsieur le président – sur les manifestations. Je souhaite profiter du délai plus long dont nous bénéficions aujourd’hui pour revenir sur ma réponse.

Mes propos, nécessairement brefs, ont peut-être été mal interprétés, et parfois déformés. S’ils ont été mal compris, je ne peux que le regretter ; ils ne visaient qu’à exprimer ma sensibilité aux souffrances du peuple tunisien dans ces manifestations. J’avais en effet, comme vous, vu ces images où des tirs ont entraîné des morts.

Je suis scandalisée par le fait que certains aient voulu déformer mes propos, qu’on les ait coupés, qu’on les ait sortis de leur contexte pour leur faire dire à des fins purement polémique le contraire de ce que je voulais dire, notamment le contraire de ce que je pouvais ressentir face aux souffrances du peuple tunisien. J’ai fini par douter de moi. Après tout, en deux minutes il peut arriver qu’on s’exprime mal, d’autant que je venais de passer une nuit dans un avion ! Si bien que j’ai relu mes propos pour vérifier que ce que j’avais dit correspondait bien à ce que je pensais, et non pas à ce que j’entendais et aux interprétations de certains.

Je vous remercie de l’occasion que vous me donnez de préciser quelle est l’analyse que je faisais et que j’ai toujours faite.

J’ai été bouleversée par les tirs à balles réelles contre un certain nombre de manifestants, et par les victimes qui en ont résultées, parmi lesquelles un professeur franco-tunisien et un photographe franco-allemand. En substance, j’ai dit que je déplorais l’usage disproportionné de la force contre des manifestants. Gérer des manifestations, même violentes, sans ouvrir le feu et sans faire de morts est possible. Nous savons le faire en France ; or tel n’est pas le cas dans tous les pays du monde. Depuis une vingtaine d’années, des manifestations d’ampleur ont eu lieu dans notre pays – j’ai eu à gérer moi-même des événements comme ceux de Villiers-le-Bel ou ceux qui ont entouré la réunion de l’OTAN à Strasbourg – et il n’y a pas eu de mort. C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué que nous étions prêts – dans l’avenir bien sûr, puisqu’il s’agit de formation – à transmettre par le biais de la formation notre savoir-faire en matière de gestion des foules sans usage disproportionné de la force : les gens doivent avoir le droit de manifester sans que leur vie risque d’être mise en jeu par des tirs de police.

Il est évidemment inenvisageable que la France prête un concours direct aux forces de l’ordre d’un autre pays. C’est contraire à nos lois et à toute légitimité. Je ne peux pas comprendre que certains aient voulu faire une interprétation malveillante en ce sens de mes propos. Je connais la législation et les règles dans ce domaine : j’ai été ministre de la défense, de l’intérieur, de la justice ! Que certains essaient d’énoncer des contrevérités de ce type me choque profondément : on peut faire de la politique, vouloir faire du sensationnel, mais on n’a pas le droit de déformer des propos à ce point ! Je le répète, jamais il n’a pu être dans les intentions de quiconque d’envoyer des forces de l’ordre dans un autre pays ; je ne vois du reste pas du tout dans quelles conditions cela serait possible.

Les événements en Tunisie se déroulent très vite. Aujourd’hui, la situation de la sécurité y est contrastée. D’après les informations dont nous disposons – j’ai été en contact durant toute la période non seulement avec le ministre des affaires étrangères de Tunisie, mais aussi avec le nouveau Président et l’actuel Premier ministre –, des milices fidèles au président déchu se livrent à des tirs et à des tentatives d’envahissement de bâtiments publics. Le Premier ministre de transition, M. Mohammed Ghannouchi, a annoncé qu’il n’y aurait aucune tolérance pour ces bandes criminelles.

À Carthage, l’armée régulière a repris le contrôle du palais présidentiel en en délogeant la garde présidentielle qui s’y était retranchée. À Sfax, une ressortissante française qui était sortie dans la rue pendant le couvre-feu et qui aurait refusé d’obtempérer aux ordres des forces de police a été touchée par une balle ; elle est aujourd’hui hospitalisée. Après plusieurs jours d’agitation, la situation est redevenue relativement calme dans cette ville. Elle reste en revanche assez tendue à Bizerte, où, hier encore, des tirs ont été entendus et des hélicoptères sont intervenus.

Néanmoins, dans nombre de cas, un retour à la normale peut être noté. L’Union générale des travailleurs tunisiens et un certain nombre de mosquées ont appelé la population à reprendre le travail. De même, des magasins qui avaient fermé pour éviter la dévastation et le pillage rouvrent progressivement.

J’ai proposé à la fois au nouveau Président de la République et au ministre des affaires étrangères une aide éventuelle en ravitaillement et en biens de première nécessité, en particulier pour les enfants et les personnes démunies. Tout en me remerciant de cette offre, le Président de la République comme le Premier ministre m’ont répondu que le rythme de retour à une situation normale ne rendait pas cette démarche nécessaire. Il est à noter que, depuis hier, le marché de gros a rouvert et serait en cours de réapprovisionnement – l’insécurité avait en effet empêché les livraisons d’avoir normalement lieu –, et que les administrations ont aussi rouvert leurs portes.

M. Mohammed Ghannouchi a également annoncé la libération de tous les prisonniers d’opinion. En revanche, le couvre-feu demeure, eu égard à la crainte des exactions, qui perdure. Certains quartiers se sont même organisés pour se protéger, avec l’accord, semble-t-il, du Gouvernement. Aux dires mêmes des autorités, avec lesquelles je me tiens en liaison en permanence, la situation de la sécurité est encore un peu tendue. Notre cellule de crise reçoit néanmoins beaucoup moins d’appels depuis hier qu’au cours des premiers jours.

Le paysage et la vie politiques sont en train de se réorganiser. Ainsi, la composition du nouveau gouvernement a été annoncée hier matin par le Premier ministre. C’est un Gouvernement d’union nationale, qui comporte plusieurs personnalités – non visées par les critiques – de l’ancien parti au pouvoir. C’est ainsi que, pour assurer la continuité du service public, les titulaires des grands portefeuilles régaliens ont conservé leur poste. Ce nouveau gouvernement comprend également trois personnalités d’opposition : M. Ahmed Brahim, du parti Ettadjdid, est ministre de l’enseignement supérieur ; M. Néjib Chebbi, du parti démocratique progressiste, est ministre du développement local et régional ; enfin, M. Mustapha Ben Jaafar, du Forum démocratique pour le travail et les libertés, est ministre de la santé – ces deux dernières personnalités étaient jusqu’alors en butte à des attaques renouvelées du pouvoir en place.

En revanche, le nouveau gouvernement ne comprend de représentants ni du parti communiste des ouvriers de Tunisie, ni du mouvement islamique Ennahdha. Se positionnant comme « la vraie opposition », ces deux partis ont en effet refusé d’y participer.

Le nouveau gouvernement va devoir affronter trois défis : rétablir l’ordre public, indispensable à la vie quotidienne ; persuader le peuple tunisien de sa crédibilité ; enfin, préparer les élections. Dans chacun de ces trois domaines, les enjeux sont considérables.

Que va devenir l’appareil du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) ? Ce parti, qui comprenait deux millions d’adhérents, monopolisait aussi des postes dans l’administration.

Quel sort réserver à la centaine de milliers de policiers sur lesquels reposait le régime précédent ? Il n’est pas indifférent de noter qu’après avoir disparu le vendredi soir – ce qui a sans doute aussi favorisé un certain nombre d’exactions et la mise en place de milices –, la police a réapparu à partir du samedi matin, aux côtés de l’armée, pour stabiliser la situation, notamment à Tunis.

Quelle place aussi pour les partis islamistes ?

Quelle place enfin pour l’armée, dont le rôle a été essentiel dans la chute du régime ?

La Tunisie entre dans une phase de transition. Pour elle, pour le peuple tunisien, pour la stabilité de cette partie du monde et de la Méditerranée, il est indispensable qu’elle la réussisse.

La France a indiqué très fermement que l’aspiration des Tunisiens à plus de démocratie et de liberté ne pourra se réaliser que si des élections libres sont tenues dans les meilleurs délais. Aux termes de la Constitution, l’élection du futur Président de la République devrait intervenir au plus tard dans les deux mois suivant la constatation de l’empêchement définitif de M. Ben Ali, qui est intervenue le 15 janvier. L’opposition estime ce délai trop court et demande son extension. C’est donc au nouveau Gouvernement d’union nationale qu’il revient de déterminer comment faciliter la participation du plus grand nombre à ces élections libres, alors que les partis sont aujourd’hui grandement désorganisés. Le Premier ministre a annoncé que l’organisation des élections aurait lieu au plus tard dans les six mois. Il se garde donc une marge de manœuvre.

Voilà ce qui peut être dit aujourd’hui de la situation en Tunisie.

M. Nicolas Dupont-Aignan. L’organisation de ce débat est inadmissible. C’est scandaleux !

M. le président Axel Poniatowski. Notre temps est extrêmement limité. Nous aurons l’occasion de débattre à nouveau de la Tunisie. Nous entendrons bientôt l’ambassadeur de France dans ce pays. Aujourd’hui même, nous entendons, sur le Maghreb l’ambassadeur de France en Algérie.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, permettez moi de partager la réaction de nos collègues. La démocratie à deux minutes par groupe est le début de la dictature de la seconde.

M. Nicolas Dupont-Aignan. En effet, c’est indigne !

M. Jean-Paul Lecoq. Elle peut être aussi l’amorce d’autre chose : dans notre Parlement, à force de chronométrer le temps de parole, c’est la démocratie qu’on étouffe.

M. Éric Raoult. Parlez-nous plutôt du Goulag !

M. Jean-Paul Lecoq. Madame la ministre, celle de vos réponses qui a suscité la polémique était adressée non pas au président Poniatowski mais à moi-même. Soit vous l’avez mal relue, soit vous n’énoncez pas la totalité de la vérité. J’invite ceux qui s’y intéressent à consulter le compte rendu intégral des débats, où elle figure in extenso. Ils pourront juger par eux-mêmes de son contenu, et donc de la justesse de votre propos.

Le groupe GDR est fier de pouvoir regarder le peuple tunisien en face. Personne n’aurait vu venir les événements ? Mais nous n’avons cessé de dénoncer, depuis des années, la situation en Tunisie. Le chef du parti communiste tunisien avait dû entrer en clandestinité. Lorsqu’il en est sorti, il a été quasi-immédiatement arrêté.

Au cours du dernier trimestre de l’année dernière, nous sommes allés, avec Marie-George Buffet, rencontrer les démocrates tunisiens, de différents partis. Nous avons considéré qu’il était urgent de prévenir la diplomatie française de leurs réactions. Nous avons fait part à l’ambassadeur de France à Tunis du ressentiment des partis d’opposition et du peuple face à ce que l’on semble découvrir aujourd’hui, le système Ben Ali et l’organisation de la société tunisienne. Pendant des années, nous n’avons cessé d’expliquer, ici ou au Conseil de l’Europe, que le régime tunisien était une dictature, avec laquelle le gouvernement français était pour le moins complaisant.

M. Éric Raoult. Parlez-nous de Cuba !

M. Jean-Paul Lecoq. Savoir qui prend ses vacances en Tunisie et dans quelles conditions serait intéressant...

La leçon d’aujourd’hui vaut pour toutes les dictatures : un jour, la justice et les peuples savent relever la tête.

M. Jacques Myard. Vous parlez d’expérience !

M. Jean-Paul Lecoq. Cette leçon vaut aussi pour le Gouvernement français, qui, jusqu’à la dernière minute, a été solidaire de Ben Ali. Elle vaut également pour l’Union européenne, laquelle va devoir réviser ses critères de coopération. Enfin, elle vaut pour notre Parlement : c’est pourquoi notre groupe demande l’organisation à l’Assemblée nationale d’un débat sur la nature des relations que la France entretient avec les pays du continent africain.

M. Hervé de Charette. Je partage sur le fond les critiques émises sur la tenue de cette réunion : un temps d’expression de deux minutes par groupe me semble contraire au fonctionnement normal de notre commission et du Parlement.

La Tunisie est à la fois le pays le plus proche de nous dans le monde arabe, le plus développé au sein de sa zone et enfin un verrou stratégique et politique dans l’espace du monde arabe méditerranéen.

Je retiens volontiers vos explications, madame la ministre. Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. La réaction du président Mitterrand lors de la chute du mur de Berlin montre que ce n’est pas la première fois que des gouvernants ont du mal à comprendre la survenue d’événements qui se préparent depuis de longues années.

Mme Élisabeth Guigou. Cela n’a rien voir !

M. Hervé de Charette. Au fil du temps, une certaine distance s’est créée entre nous et le peuple tunisien – et non entre nous et les autorités tunisiennes. Quelles sont, madame la ministre, vos idées pour reprendre contact ?

Monsieur le président, je propose qu’une mission parlementaire, composée de membres des quatre groupes de l’Assemblée, se rende assez rapidement en Tunisie pour montrer l’intérêt que nous portons à ce pays ainsi que pour nous aider nous-mêmes à comprendre le processus en cours et en mesurer la solidité.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Hervé de Charette. Quelle est l’action entreprise par les voisins arabes de la Tunisie ? Quelles peuvent être ses conséquences sur le déroulement du processus en cours ?

Enfin, nous avons entendu l’Union européenne moins encore que la France. Outre les communiqués dont elle a le secret, envisage-t-elle d’aider les Tunisiens ? Aussi solide que soit la capacité du peuple tunisien à gérer cette crise, le soutien et la capacité d’écoute de l’Union européenne et de la France constituent un élément décisif de la stabilité de la Tunisie.

M. Gaëtan Gorce. Je voudrais d’abord, au nom de mon groupe, rendre hommage aux victimes des événements qui viennent de se dérouler en Tunisie. Il en est temps.

Je voudrais également apporter au peuple tunisien mon appui, et, je pense, celui de mon groupe et de la représentation nationale, dans la lutte qu’il a engagée pour la mise en place d’une véritable démocratie. C’est le rôle de la France, je crois, de montrer combien elle est vigilante et attachée à la construction de celle-ci.

Il ne s’agit pas là de commentaires après coup, madame la ministre. Je crois parler dans la continuité de nos observations de ces dernières semaines, notamment de la semaine dernière lors des événements.

Pour nous – et c’est particulièrement préoccupant – le Président de la République et le Gouvernement ont affaibli, en une succession surprenante et condamnable de bévues, la position de la France dans le monde, en Afrique, et auprès du peuple tunisien.

C’est d’abord de la complaisance qu’a manifestée l’exécutif. J’en veux pour preuve les propos tenus il y a une dizaine de jours par le ministre de l’agriculture – qui n’était sans doute pas, ès qualités, le mieux qualifié pour s’exprimer sur le sujet –, ou encore ceux du Président de la République lors de son voyage en Tunisie en 2008 : il y présentait le président Ben Ali comme un homme auquel on pouvait faire confiance et le félicitait pour avoir supprimé la peine capitale dans son pays ! Ces félicitations prennent un relief tout particulier aujourd’hui.

Il y a là une logique. C’est pourquoi je ne vous jetterai pas la pierre, madame la ministre : c’est cette complaisance qui a conduit à l’erreur d’appréciation que vous avez commise en proposant à l’Assemblée nationale de privilégier les formes de coopération policière en réponse à la crise dans laquelle la Tunisie était plongée.

Vous avez le choix entre regretter vos propos – et, à la limite, vous en excuser – et les assumer ; mais, dans ce cas, vous devez les assumer en totalité. Le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale ne fait apparaître nulle condamnation des violences dans votre déclaration. À aucun moment vous n’avez employé les termes d’« usage disproportionné » de la force. Vous avez juste déploré ces violences. Vous n’avez pas cité une fois le gouvernement tunisien pour regretter ses méthodes. En réponse aussi bien au président Poniatowski qu’à M. Lecoq, vous avez fait état très concrètement, à plusieurs reprises, d’une proposition de coopération policière. Ces propos, complètement déplacés et choquants, ont donc normalement choqué. Si vous souhaitez les assumer, comme aujourd’hui – ce qui est faire preuve de cohérence –, assumez-les en totalité.

L’exécutif est ensuite passé de la complaisance et de l’erreur d’appréciation au désarroi, voire à l’indifférence. Phénomène très particulier dans le fonctionnement de notre République, alors que le président Ben Ali avait quitté le pouvoir vendredi à 17 heures et que la crise en Tunisie atteignait son apogée, le Président de la République a été dans l’incapacité de réunir un comité interministériel : le ministre des affaires étrangères, le ministre de la défense, le ministre de l’intérieur – et accessoirement le porte-parole du Gouvernement – étant absents de Paris. Vous devez vous en expliquer devant le Parlement et l’opinion publique.

Enfin, sur quels éléments vous êtes vous fondés pour commettre une telle erreur d’appréciation ? Quelles informations vous permettaient de penser que la réponse était dans la coopération policière ? Sur quels éléments le Gouvernement s’est-il appuyé pour tarder à réagir à ce point ? Pourquoi est-ce l’administration américaine qui a exprimé le plus directement sa condamnation, et ce sans juger utile d’en référer au gouvernement français, contrairement à l’habitude ?

M. Renaud Muselier. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cette réunion.

Nous sommes très attentifs aux événements en cours en Tunisie, pays frère, pays ami, avec qui nos relations diplomatiques sont très anciennes, maintenues quel que soit le gouvernement en place, et où nombre d’entre nous se rendent régulièrement en vacances en toute sécurité. En termes économiques et sur le plan de la laïcité, la Tunisie est le pays de la région le plus proche de l’Europe.

Je salue la position de Mme la ministre d’État. Ses explications sur les positions de la France sont claires et précises. Dans une situation si difficile, compte tenu des 25 000 Français qui vivent en Tunisie et des très nombreux Tunisiens qui vivent en France, le langage qui doit être utilisé doit être celui de la retenue, et c’est celui qu’a employé Mme la ministre.

En même temps, le monde attend que la France, pays des droits de l’Homme, s’exprime. Quelle position doit-elle prendre envers des pays à la fois situés dans un contexte régional délicat et où l’opposition est plus ou moins muselée ?

La vitesse à laquelle le régime Ben Ali est tombé est surprenante. La détermination de la jeunesse qui s’est levée en est la cause. La rapidité du ralliement de l’armée, qui a réorganisé son dispositif pour permettre la chute du président Ben Ali et de toute sa famille, constitue une autre surprise.

Nous devons aussi souligner la référence incessante à la Constitution dans la presse tunisienne. Voilà une révolution qui chasse un dirigeant avec le soutien de l’armée tout en respectant la Constitution.

Madame la ministre, quelles peuvent être les conséquences de la chute du régime Ben Ali sur les pays voisins, dont les travers sont à peu près les mêmes que ceux qui ont provoqué cette chute, pays que nous soutenons depuis toujours ? Un effet de domino se produira-t-il ? Risque-t-il d’entraîner une expansion de l’islamisme ?

Mme la ministre d’État. Je sais, monsieur le président, que je dois répondre rapidement. Cependant, la brièveté empêche parfois de fournir des indications de nature à permettre à chacun de bien comprendre le sens des propos tenus, et à éviter des polémiques inutiles sur des interprétations erronées. En tout état de cause, je reviendrai devant la Commission pour évoquer plus longuement la situation de la Tunisie.

Monsieur Lecoq, en matière de relations internationales, la France a pour premier principe de travailler avec des États et des peuples, et non simplement avec des personnes. Dialoguer avec un État reconnu par la communauté internationale, c’est appliquer le principe du respect de l’état de droit. Tel a été le cas, pour tout le monde, en ce qui concerne la Tunisie.

Notre deuxième principe d’action, je le répète, est celui de la non ingérence. Une fois en présence d’un État reconnu par la communauté internationale, nous n’avons pas à nous ingérer dans son fonctionnement, et ce d’autant moins que certaines relations anciennes – c’est le cas du protectorat – peuvent entraîner un regard particulier du pays concerné sur notre propre action.

Enfin, nous nous attachons à la défense de la démocratie et des droits. Reconnaître un État ne nous empêche pas de lui tenir notre discours sur ces points. Monsieur Gorce, si, en 2008 le Président de la République a en effet exposé que des progrès avaient été réalisés en Tunisie en matière de droits, il a aussi indiqué qu’il restait du chemin à parcourir pour que ceux-ci soient totalement respectés. Ses propos doivent être analysés en entier, et non de façon tronquée.

Monsieur de Charette, c’est non seulement pour reprendre mais aussi pour amplifier les contacts avec le peuple tunisien que, compte tenu des échos qui nous parvenaient sur les difficultés que rencontrait la Tunisie, notamment en matière de ravitaillement, j’ai proposé aux autorités de ce pays de contribuer – si elles le souhaitaient – à répondre à des besoins qui étaient ceux non pas de l’État, mais du peuple tunisien.

Les réactions des États voisins face aux événements de Tunisie ont été diverses. Elles n’ont cependant pas été très nombreuses.

La France est en première ligne pour la mise en place d’un partenariat renforcé entre la Tunisie et l’Union européenne. Nous avons été à l’origine d’une étude et d’une déclaration de l’Union en ce sens lors du huitième conseil d’association Union européenne-Tunisie.

Nous approfondissons nos relations avec la Tunisie selon trois volets principaux. D’abord, le volet politique, qui inclut le renforcement du dialogue et de la coopération. Celle-ci porte notamment sur le rapprochement des législations entre nos deux pays – j’en ai été en charge en tant que ministre de la justice – ou sur la lutte contre le terrorisme, qui est une préoccupation de nos deux pays. Cela dit, nous conduisons autant de coopérations qu’il est possible.

Ensuite, nous considérons qu’il est essentiel de travailler, ensemble et à l’échelle européenne, pour une meilleure intégration des économies tunisienne et européenne.

Enfin, plusieurs coopérations sectorielles sont conduites, notamment dans les domaines de l’énergie et des transports.

L’ensemble de ces coopérations, nombreuses, touche aux conditions de vie du peuple tunisien dans toutes leurs acceptions.

Monsieur Gorce, vous avez apporté – comme nous tous – votre soutien au peuple tunisien. Vous avez aussi évoqué le rôle prétendument complaisant du Président de la République en 2008 lors de son voyage officiel en Tunisie en ne citant que le début d’une phrase prononcée par celui-ci, mais en omettant d’énoncer la suite dans laquelle le Président indiquait, comme je vous l’ai déjà rappelé, que, en matière de respect total des droits, des progrès restaient à accomplir. Au reste, M. Dominique Strauss-Kahn, en voyage en Tunisie à la même période, a amplement loué la situation, notamment économique, de ce pays. Ne soyez pas hémiplégique ! Les propos, de qui que ce soit, doivent être cités in extenso !

Plusieurs députés de la majorité. Très bien !

Mme la ministre d’État. Au-delà des polémiques de la vie politique, nous nous devons, en Commission des affaires étrangères, de nous attacher à la dignité de la politique étrangère de la France et à l’intérêt de notre pays.

Vous vous demandez, monsieur Gorce, pourquoi les ministres n’étaient pas présents à Paris vendredi après-midi ? Je vais donc vous l’expliquer.

J’avais moi-même fait à treize heures le point de la situation avec non seulement notre ambassade mais aussi les autorités tunisiennes : les manifestations qui s’étaient tenues le matin s’étaient bien déroulées, et si nous savions que la situation était relativement instable, nous pensions que le week-end se passerait normalement. Cela dit, comme vous, mesdames et messieurs les députés, le ministre de l’intérieur, le porte-parole du Gouvernement et moi-même sommes des élus locaux, ce qui nous impose de nous rendre là où nous sommes élus pour remplir nos obligations. Toutefois, informée à cinq heures et demie des événements en cours, j’ai alors pris le premier avion pour Paris.

Pourquoi la première réaction a-t-elle eue pour auteur l’administration américaine ? Êtes vous sûrs que si des tels événements s’étaient déroulés au Mexique, l’administration américaine aurait réagi ainsi et aussi vite ? Beaucoup d’Américains résident dans ce pays ! La présence de milliers de nos concitoyens au cœur d’une situation pour le moins confuse sur le plan de la sécurité impliquait de notre part, tout en organisant le soutien nécessaire, de ne réagir qu’avec retenue et prudence.

Monsieur Muselier a souligné à juste titre la rapidité du basculement des événements. Eu égard aux informations dont nous disposions, nous pensions que, quoi qu’il arrive, la situation allait évoluer. Cependant, entre mercredi et vendredi les événements se sont précipités. Si l’action de l’armée a sans doute été un facteur déclenchant, je continue à penser que les morts dus à la répression, ainsi qu’Internet et les réseaux sociaux, ont contribué également à la rapidité de l’évolution.

J’ai été aussi beaucoup frappée par la référence faite à la Constitution, pourtant critiquée par certains. Cette démarche donne une grande confiance dans la suite des événements, et nous allons les surveiller avec attention.

Même s’ils ont parfois conduit des tentatives de récupération, les mouvements islamistes n’ont pas été à la tête du mouvement. Il reste que de tels mouvements, plus ou moins radicaux, plus ou moins organisés, sont présents dans tous les pays de la région. Cette situation justifie une grande attention de notre part envers tous les événements qui s’y produisent, dans le cadre du respect de nos principes d’action. Compte tenu de nos relations historiques avec ces pays, nous devons à la fois être très proches de leurs peuples et faire preuve de retenue et de réserve dans notre expression : la France ne peut pas prêter le flanc à de – faciles – accusations d’intervention dans leurs choix. Ce qui m’intéresse dans l’action que je mène aujourd’hui, c’est la défense de l’image, de l’action et des valeurs de la France.

M. le président Axel Poniatowski. Merci, madame la ministre, pour vos réponses et votre analyse claire et sincère.

La séance est levée à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 18 janvier 2011 à 10 h 45

Présents. - Mme Sylvie Andrieux, M. François Asensi, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Roland Blum, M. Alain Bocquet, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, Mme Geneviève Colot, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, M. Gaëtan Gorce, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Gilbert Mathon, M. Renaud Muselier, M. Jacques Myard, M. Jean-Marc Nesme, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Éric Woerth

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Michel Delebarre, M. Alain Ferry, M. Didier Julia, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Henriette Martinez, M. Gérard Voisin

Assistaient également à la réunion. - Mme Patricia Adam, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Bayrou, M. Patrick Beaudouin, M. Claude Birraux, M. Jean-Jacques Candelier, M. Bernard Cazeneuve, M. Gérard Charasse, M. Jacques Domergue, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Laurent Fabius, M. Yves Fromion, M. Gérard Gaudron, M. Franck Gilard, M. Jean-Pierre Grand, Mme Françoise Hostalier, Mme Marguerite Lamour, Mme Marylise Lebranchu, M. Gilbert Le Bris, M. Michel Lefait, M. Bernard Lesterlin, M. Céleste Lett, M. Daniel Mach, M. Michel Ménard, M. Jean Michel, M. Georges Mothron, Mme Marie-Renée Oget, M. Étienne Pinte, M. René Rouquet, M. Éric Straumann, M. Guy Teissier, M. Christian Vanneste, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin