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Commission des affaires étrangères

Mercredi 26 janvier 2011

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 31

Présidence de  M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Xavier Darcos, ambassadeur pour la politique culturelle extérieure de la France (ouverte à la presse)

Audition de M. Xavier Darcos, ambassadeur pour la politique culturelle extérieure de la France

La séance est ouverte à onze heures cinq.

M. le président Axel Poniatowski. Nous recevons ce matin M. Xavier Darcos, ambassadeur pour la politique culturelle extérieure de la France et président de l’Institut français.

La loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État a instauré de nouveaux outils pour rénover la diplomatie d’influence de la France. Au premier plan de ceux-ci figure l’Institut français, qui a vocation à former avec le réseau des centres et instituts culturels français à l’étranger un dispositif intégré.

Le décret portant création de l’Institut français est paru le 30 décembre 2010, permettant à la nouvelle agence de se substituer dès le 1er janvier 2011 à l’association Culturesfrance.

Pourriez-vous, monsieur l’ambassadeur, nous présenter les conditions de mise en place de l’Institut français et le calendrier administratif envisagé, puis les actions programmées et, plus généralement, les orientations stratégiques autour desquelles s’articuleront ces actions pour assurer le rayonnement de la langue et de la culture françaises ?

Par ailleurs, un arrêté du 6 janvier 2011 a fixé la liste des postes participant à l’expérimentation – qui se déroulera sur trois ans – du rattachement du réseau culturel à l’Institut français. Ils sont au nombre de 13 : le Cambodge, le Chili, le Danemark, les Émirats arabes unis, la Géorgie, le Ghana, la Grande-Bretagne, l’Inde, le Koweït, le Sénégal, la Serbie, Singapour et la Syrie.

Au-delà du rapprochement avec le réseau et du rôle d’animation et de gestion conféré à l’Institut français, un tel rattachement constitue un défi, auquel la Commission a d’autant plus exprimé son soutien qu’elle est à son origine, sur proposition de son rapporteur, M. Hervé Gaymard.

Un premier rapport doit être remis avant le 31 mars 2011. Monsieur l’ambassadeur, comment se manifestera concrètement le démarrage de l’expérimentation au cours des quelques semaines qui nous séparent de cette date ?

M. Xavier Darcos, ambassadeur pour la politique culturelle extérieure de la France. Mesdames et messieurs les députés, pour avoir voté la loi du 27 juillet 2011 qui l’a créé, vous connaissez déjà les principes sur lesquels s’appuie l’Institut français. Je les rappellerai cependant, avant de faire le point sur la mise en place de l’Institut.

Nous avons commencé à travailler dès le mois de septembre : installation – provisoire –, préparation des décrets, premiers recrutements de responsables, mise en place des dispositifs budgétaires, et enfin négociation avec leurs ministères d’origine des affectations de personnels devant être rattachés à l’Institut. Après avoir ainsi avancé à marche forcée, nous avons réussi à faire publier les décrets dans les temps, le 30 décembre.

Au contraire de l’association Culturesfrance, qui l’a précédé, et dont la tutelle était assurée à la fois par le ministère de affaires étrangères et celui de la culture, l’Institut français est l’opérateur du seul ministère des affaires étrangères et européennes pour ses actions à caractères culturelles. C’est avec ce ministère qu’il définit ses stratégies. Même si le ministère de la culture aura connaissance de notre convention d’objectifs et de moyens, c’est bien le ministère des affaires étrangères qui oriente notre action. Autrement dit, loin de se limiter à l’organisation de déplacements d’artistes, d’écrivains ou de penseurs, l’Institut français a pour mission d’apporter aux stratégies diplomatiques de la France le soutien et les moyens de l’action culturelle.

Le choix des pays cités par le président Poniatowski découle de nos intérêts stratégiques, au sein de l’Union pour la Méditerranée – la Syrie –, dans la région du Golfe persique – le Koweit – , en Asie – l’Inde et Singapour – ou encore en Afrique – le Sénégal ou le Ghana. L’« année du Mexique » nous amènera aussi à nous intéresser à ce pays.

Notre action consiste à essayer de traduire en actes les principes posés par la loi du 27 juillet 2011. 

À l’étranger, la France est représentée, selon les cas, par des services culturels, des instituts français, ou encore des organismes de toute nature, dont des alliances françaises. Aussi, le premier principe – c’est la première mission de l’Institut français – à mettre en application consiste à faire en sorte que chaque pays ne comporte plus qu’un seul interlocuteur, un institut français local, regroupant les divers services. L’objectif est d’assurer une meilleure lisibilité de notre action. Comme le prévoit la loi, chacun de ces instituts uniques sera ensuite rattaché à l’Institut français à Paris et deviendra l’une de ses succursales. Cette structure nouvelle est calquée sur celle du British Council.

Dans cinq ans, le président de l’Institut français disposera ainsi d’un outil exceptionnel qui lui permettra depuis Paris de connaître parfaitement la vie de chaque institut et d’être en lien direct avec lui.

Le deuxième principe à mettre en œuvre consiste en l’installation à Paris d’un opérateur unique. Il regroupe 99 personnes issues de Culturesfrance, une quarantaine venant du ministère des affaires étrangères, dix provenant du ministère de l’éducation nationale et un peu moins du ministère de la culture. L’effectif actuel est d’environ 150 personnes, la loi prévoyant que cette structure parisienne puisse compter jusqu’à 200 équivalents temps plein travaillés (ETPT). En revanche, dans le monde, ce sont environ 6 000 personnes qui ont vocation à être rattachées à l’Institut français.

Le troisième principe à appliquer doit se traduire par l’institution d’une marque unique. Si la dénomination d’ « Institut français » – les noms d’Institut Victor Hugo ou Institut Jules Vernes avaient aussi été envisagés – présente l’inconvénient d’être identique à celle de chacun des actuels instituts relevant des postes – le French Institute  de New York, par exemple –, elle offre l’avantage d’être non seulement unique, mais aussi claire et lisible. Chaque fois qu’une action culturelle recevra l’aide de l’État français, la seule signalétique en sera celle de l’Institut français. La multiplicité des sigles actuels est illisible pour les étrangers – au reste, dès ma nomination, j’ai été frappé par ce manque de lisibilité.

En 2011, nous allons rattacher directement à l’Institut français l’institut de chacun des treize pays mentionnés par le président Poniatowski. Si l’expérience est concluante, nous continuerons à faire progresser la mise en œuvre de la loi, jusqu’à l’intégration de la totalité des instituts français dans le monde.

Cette tâche de longue haleine est rendue particulièrement complexe par le large recours, de la part des services culturels sur place, au recrutement sur contrats de droit local. Nous travaillons à remplacer ces contrats par un contrat unique rattachant ces personnels à la maison-mère parisienne, placée sous régime de droit français.

Pour assurer sa crédibilité, l’Institut français a été doté du statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC), ce qui lui donne les compétences nécessaires pour attirer des fonds, solliciter des fondations, mobiliser des aides de toute nature et engager des opérations à caractère commercial.

L’État a également alloué à l’Institut, en loi de finances, un budget annuel – convenable – de 45 millions d'euros environ, sanctuarisé pour une période de trois ans, jusqu’en 2013. Même si quelques gels de crédits sont toujours possibles, c’est pratiquement le double du budget de Culturesfrance, dont les missions, certes un peu moins étendues, étaient largement identiques.

Quels défis se présentent à nous ?

Si, avec 150 instituts français et plus de 1 000 alliances françaises, notre réseau culturel est très visible et partout présent, il est en revanche ancien. Il faut en moderniser le fonctionnement : nous expédions encore des bobines de films ! Prochainement, tous les postes auront accès à une plateforme numérique sur laquelle ils pourront très rapidement récupérer les fichiers numériques des films qu’ils auront choisi de programmer ; la diffusion du cinéma patrimonial – mais non celle du cinéma commercial – entre en effet dans nos missions.

Outre nos outils, nous devons aussi moderniser la formation de nos personnels. La plupart de nos conseillers culturels sont recrutés sur des contrats provisoires à l’issue desquels, ceux d’entre eux qui sont professeurs, par exemple, sont de nouveau affectés, bon gré mal gré, dans des établissements d’enseignement secondaire. En tant que ministre de l’éducation nationale, j’ai eu à gérer leurs frustrations. Nous devons former ces personnels, construire des carrières à leur attention et les accompagner. Parmi nos missions, la loi prévoit la mise en place d’actions de formation initiale et continue, en accord avec les autres acteurs qui peuvent y contribuer, comme les grandes directions du ministère de la culture, que j’ai rencontrées la semaine dernière à cette fin.

La mondialisation rend acharnée la compétition pour les idées et les savoirs, car derrière les idées et les savoirs, il n’y a pas simplement des connaissances objectives, il y a aussi des valeurs, des concepts, des théories du développement ou de l’humain, des idées sur les relations entre l’État laïque et la religion… Moderniser notre réseau, c’est aussi travailler à ne pas nous laisser prendre de vitesse dans une compétition très intense.

Nous devons faire accéder nos artistes, nos penseurs et nos valeurs aux systèmes de communication internationale commandés par la Toile. Or nous en sommes loin. Tous les outils numériques disponibles via Internet sont en effet américains.

La culture doit être analysée non seulement comme une juxtaposition d’actions de caractère artistique mais comme un moyen de défendre les valeurs de la Nation. Pour cette raison, outre le cinéma et la formation du personnel, l’Institut français a reçu une compétence nouvelle : le débat d’idées. Nous avons reçu mission d’aider nos intellectuels et nos artistes à être présents dans les grands think thanks internationaux, à faire traduire leurs ouvrages, à s’exprimer dans le monde, et à diffuser hors de nos frontières les débats qui nous font nous interroger nous-mêmes, bref, à exporter l’intelligence française.

Plusieurs difficultés se présentent à nous.

Elles sont d’abord internes. Un ambassadeur qui apprend que ses services culturels vont être regroupés sous un seul statut, et que le nouvel ensemble sera rattaché directement à l’Institut français à Paris, craint forcément d’être dépossédé d’un partie de son pouvoir. Nous avons donc dû longuement montrer aux responsables de notre diplomatie que l’Institut français n’avait aucune vocation à imposer des règles à tous. Selon les territoires, les pays, les situations, l’action culturelle française est extrêmement diverse : l’ambassadeur restera l’incitateur principal des actions à conduire localement.

Le choix des treize pays de lancement du nouveau dispositif a été fondé d’abord sur le volontariat. Ce sont les ambassadeurs eux-mêmes qui se sont portés candidats. Notre ambassadeur en Inde notamment a souhaité pouvoir participer à ce qui pour lui était une expérience, de façon à en tirer les conclusions.

Nous devons aussi trouver avec les autres acteurs culturels et linguistiques des modes de fonctionnement cohérents. Nous y travaillons aujourd’hui avec les alliances françaises, avec lesquelles nous avons d’excellentes relations. Leurs chefs de délégations ont participé hier à Paris à un colloque sur ces questions. Nous souhaitons en effet qu’elles s’inscrivent autant que possible dans notre logique d’intégration des objectifs communs ; cette intégration devrait prendre forme d’elle-même.

Nous devons aussi aider nos postes à se moderniser. Dans les pays les plus modestes, nombre d’entre eux ne disposent que de bibliothèques vieillottes ou anciennes. Il nous faut créer des réseaux de médiathèques bien connectés, reliées à des banques de données configurées par l’Institut français.

Ces réalisations feront l’objet de conventions. Nous allons en signer une avec les alliances françaises. Nous en signons actuellement une avec Unifrance, pour le cinéma. Pour les relations entre l’économie et la culture, nous nous sommes rapprochés d’Ubifrance. Nous sommes aussi en contact avec le Centre national de la cinématographie et le Centre national du livre. Nous souhaitons élaborer avec l’ensemble de ces acteurs une convention commune sur les objectifs de l’action culturelle française à l’étranger. Chacun admet la nécessité d’une coordination d’ensemble.

Nos objectifs, enfin, sont au nombre de cinq.

Le premier est la professionnalisation du réseau. Il nous faut développer la formation, créer une plateforme professionnelle et offrir un dialogue permanent à nos agents. Nous devons accompagner l’évolution, rapide, des métiers de la diplomatie culturelle.

Le deuxième est le développement de notre rôle de facilitateur de la gestion politique culturelle à l’étranger. Aider à la mutualisation des moyens, faire connaître les bonnes pratiques, aider à construire des images et des projets, voilà autant de tâches qui relèvent de notre mission. Nous devons surtout mettre en place des indicateurs de performances et de résultats. Faute d’évaluation, la qualité, pourtant réelle, des actions menées est très difficile à prouver.

Notre troisième objectif est le développement de projets emblématiques communs. À la plateforme de téléchargement de films « Univerciné » va s’ajouter un projet commun de bibliothèques numériques, Culturethèque.

Nous rapprocher des collectivités territoriales est notre quatrième objectif. Dans les grandes villes et les régions, les projets sont légion, qui bénéficient de moyens très substantiels. Des fédérations de projets autour de thèmes, en fonction des années, doivent être possibles? Nous avons déjà ouvert des discussions avec les représentants des collectivités, notamment ceux des régions et des départements. Je suis néanmoins conscient que les collectivités s’administrent librement.

Nous devons aussi nous tourner vers L’Union européenne – c’est notre cinquième objectif. Alors que nous partageons désormais des consulats, avec l’Allemagne par exemple, il serait étrange que nous ne puissions pas mettre en œuvre quelques projets stratégiques communs porteurs de valeurs européennes, par exemple dans les pays du Golfe, sachant que nous conduisons nombre d’actions à Abu Dhabi ou au Koweit.

Enfin, je regrette que la loi n’ait pas mieux organisé nos relations avec l’audiovisuel extérieur, auquel beaucoup de moyens sont consacrés. Quelle que soit la qualité de nos relations avec France 24 et TV5, elles ne sont pas institutionnelles. Nous souhaitons pouvoir avancer, au moins avec TV5, sur la diffusion du module d’enseignement du français que nous avons élaboré. Nous n’allons tout de même pas devoir recourir à de nouveaux canaux audiovisuels !

M. le président Axel Poniatowski. Merci, monsieur l’ambassadeur. Une mission d’information commune sur l’audiovisuel extérieur, créée par notre commission et celle des affaires culturelles, débute actuellement ses travaux. Qu’elle vous entende serait intéressant.

M. Philippe Cochet. Monsieur l’ambassadeur, la construction d’un dispositif d’évaluation me paraît un objectif essentiel. Intégrer la culture au sein du monde économique n’est pas faire offense aux artistes.

Quelles bonnes pratiques avez-vous identifiées, notamment en matière de retour sur investissement ?

Mme Martine Aurillac.  L’audiovisuel est un vecteur privilégié de l’influence culturelle de la France à l’étranger. Comment imaginez-vous, dans l’idéal, les rapports de l’Institut français avec lui ? Nous avons été très nombreux à regretter le manque de visibilité de France 24 et la faiblesse de sa diffusion, sans parler des difficultés à sa tête.

M. Jean-Paul Dupré. Au regard des moyens que nous y consacrons, nos ambitions pour la présence culturelle extérieure de la France sont-elles réalistes ? Pour une meilleure lisibilité de la diffusion de notre culture, ne devrions-nous pas mieux cibler nos objectifs géographiques et qualitatifs ?

M. Dominique Souchet. Puisque le nouvel Institut français se place dans une perspective d’appui à notre diplomatie, la Russie ne devrait-elle pas être l’un de ses champs d’action prioritaires ? Ce pays porte un intérêt constant à la culture française. Son ministre de la culture est un francophone accompli. Nos interlocuteurs y ont l’intelligence des enjeux culturels. Ils considèrent aussi que la France et la Russie ont en commun des intérêts culturels face aux offensives américaine et chinoise. Par ailleurs, il faut noter que les Allemands travaillent à développer leur influence culturelle dans ce pays, notamment par l’extension du réseau des Goethe-Institute.

Au-delà de l’année croisée France-Russie, comptez-vous développer une politique solide et permanente en direction de la Russie, et, si oui, dans quels domaines ?

M. André Schneider. La culture est devenue aujourd’hui un marché aux enjeux mondiaux. C’est un vecteur aussi bien économique que d’influence politique dans le monde. L’Union européenne, à travers le service européen pour l’action extérieure, les États-Unis, la Chine, le Japon, sont présents sur ce vaste marché. Face à ces concurrents, comment la France pourra-t-elle maintenir, voir développer son influence et sa place dans le monde ?

Mme Geneviève Colot. Je me félicite du volet formation inclus dans vos objectifs. C’était une revendication essentielle des personnels diplomatiques chargés de la culture.

Continuerez-vous à recruter des volontaires internationaux ? Le travail accompli sur place par ces passionnés est extraordinaire.

Comment allez-vous réussir à créer un interlocuteur unique dans les pays où sont présents à la fois un institut français et une alliance française ?

M. Jean-Marc Roubaud. Vous avez évoqué avec diplomatie la dispersion et la diversité de la politique culturelle française, qui lui donnaient un caractère plutôt brouillon. Les difficultés rencontrées auprès des ambassadeurs pour la mise en place des instituts français uniques sont-elles en cours de résolution ?

Certains pays, non dotés d’ambassades – notre réseau a été mis en place au dix-neuvième siècle –, sont devenus stratégiques. L’Institut français y sera-t-il présent ?

M. Xavier Darcos. Monsieur Cochet, pour rendre nos actions lisibles et évaluer les retours sur investissement, nous allons mettre au point une grille de lecture et une stratégie par grandes régions : Union pour la Méditerranée, pays émergents, Amérique latine, pays africains anglophones, pays africains francophones… Pour chaque groupe de pays où notre intérêt à agir est comparable, des objectifs, ainsi qu’une batterie d’indicateurs nous permettant d’évaluer les résultats de notre action, seront élaborés.

Pour mener nos opérations culturelles, nous allons aussi nous associer, autant que possible, avec des opérateurs économiques et commerciaux. Ainsi, des exportateurs français en Colombie se sont dit prêts, devant le président colombien et moi-même, à élaborer une stratégie avec nous et à participer au financement de telles opérations culturelles. Leur objectif est de valoriser leur image au-delà de la fourniture de matériel industriel : dans un tel cas, il y a bien retour sur investissement. Alors que l’Institut français n’est âgé que de trois semaines, je suis étonné du nombre des demandes de grandes entreprises internationales qui me sont adressées spontanément.

Madame Aurillac, vous avez mis le doigt sur un point très douloureux. Je suis très heureux que la Commission des affaires étrangères se soit saisie de la question de l’audiovisuel extérieur. Je souhaiterais que TV5 puisse au moins relayer nos actions, que le sigle de l’Institut français apparaisse dans ses émissions à caractère culturel, et qu’elle diffuse les modules de formation que nous allons mettre en place. Nous avons besoin de ce support, sachant que le budget de cette chaîne est sans comparaison avec la dotation de 45 millions d'euros de l’Institut français.

Monsieur Dupré, nous nous employons en effet à cibler nos objectifs. En citant successivement le cinéma, le débat d’idées, le numérique, les plateformes de formation, je n’ai fait qu’énumérer les stratégies globales énoncées par la loi. Nous ne travaillerons pas de manière identique à Singapour et au Ghana, ou encore au Sénégal. Le cadre d’action commun que nous allons construire sera décliné très différemment – le plus possible dans un cadre régional – selon les pays.

Relève aussi des compétences de l’Institut français la gestion des participations françaises aux grandes manifestations culturelles à l’étranger, comme la Biennale de Venise ou le festival du cinéma Fespaco au Burkina Faso.

Monsieur Souchet, la Russie est l’un de nos champs d’action prioritaires. Mon premier voyage ès qualités a été pour ce pays. J’ai passé trois jours à Moscou en compagnie d’intellectuels comme Julia Kristeva ou Edgar Morin pour inaugurer le festival Non Fiction, où sont présentés des traductions de livres et de débats d’idées français. Avec le ministre de la culture, ancien ambassadeur de la Fédération de Russie en France et francophone parfait, nous avons signé une convention relative au cinéma, qui s’applique dès les premiers jours de l’année 2011. Nous avons décidé de nous revoir afin de mettre au point un programme autour du livre pour les années 2012 et 2013. On trouve en Russie un véritable amour de la France, une intelligentsia impatiente de parler et de communiquer. L’an dernier, dans le cadre d’une grande opération que nous avons montée, une quinzaine d’écrivains français, parmi lesquels Dominique Fernandez et Danièle Sallenave, ont traversé la Russie en Transsibérien, en s’arrêtant à chaque étape pour parler culture française avec des intellectuels.

Monsieur Schneider, nous devons en effet être très attentifs à la langue française et à la francophonie. Nous en sommes aujourd’hui un peu dépossédés : comme son nom l’indique, l’Organisation internationale de la francophonie, présidée par l’ancien président du Sénégal Abdou Diouf, est internationale. Nous aurons à conclure un accord sur les voies et moyens avec ces organisations francophones et les alliances françaises. Cette mission devrait être mentionnée par notre convention d’objectifs et de moyens.

Madame Colot, nous continuons bien sûr à recruter des volontaires internationaux. Très nombreux sont les jeunes qui souhaitent s’investir en Afrique, dans les pays émergents et en Amérique du Sud. Nous les accueillons et les associons à notre action. Nous espérons les former et même les recruter. Les anciens VSNE (volontaires du service national à l'étranger), qui, en place du service militaire, consacraient deux ans de leur vie à l’action culturelle à l’étranger, repartaient une fois leur temps écoulé alors qu’ils avaient acquis une compétence et souhaitaient parfois poursuivre une tâche qui pouvait aller jusqu’à la direction d’un petit centre culturel. Il est dommage que nous n’ayons pas envisagé de les aider à se former, d’accompagner leurs études, de faire valider les compétences qu’ils avaient acquises – aujourd’hui, nombre d’universités proposent des mastères de gestion des institutions culturelles –, voire de les recruter.

Une fois qu’un pays ne comptera plus qu’un institut, celui-ci passera une convention avec les alliances. C’est par lui que passeront les moyens qui seront alloués à celles-ci. Un tel dispositif est incitatif et fonctionnel. Nous avons besoin des alliances : leurs acteurs sont animés d’une passion formidable ; leur réseau est infiniment plus ramifié que celui du ministère des affaires étrangères ; et on trouve des alliances françaises dans des villes de 5 000 habitants, totalement inconnues en France.

Monsieur Roubaud, les ambassadeurs ont d’abord été inquiets, voire hostiles à la nouvelle organisation. Notre ambassadeur à Berlin a même publié dans Libération un article pour indiquer qu’elle allait priver les ambassadeurs d’autorité sur le dispositif culturel de leur ambassade. Depuis, la situation s’est nettement améliorée. Nous avons réussi à démontrer aux diplomates que ce n’était pas parce que les instituts culturels locaux recevraient de l’Institut français à Paris des orientations inscrites dans des projets stratégiques et qu’ils utiliseraient de nouveaux outils qu’ils n’obéiraient plus qu’au seul Institut français et que leurs actions seraient uniformisées, quel que soit leur territoire d’implantation. Les instituts culturels continueront à rendre compte de leurs projets auprès du poste, et l’influence de l’ambassadeur sera considérable sur les choix opérés localement. Le remplacement de la Direction des relations économiques extérieures (DREE) par Ubifrance et la création auprès des ambassades de structures en dépendant avait suscité les mêmes réactions. La situation a même été plus tendue puisque Ubifrance a dû passer des contrats avec chacun des agents des anciens postes d’expansion économique à l’étranger, y compris les fonctionnaires. Les inquiétudes et les difficultés ont été levées aujourd’hui. Il faut faire confiance à la mise en place progressive du dispositif.

M. Jean-Michel Ferrand. Nous sommes unanimes à trouver séduisant l’objectif donné à l’Institut français de fédérer et dynamiser la culture française. La culture est un élément essentiel pour les relations avec non seulement les pays mais aussi leurs futurs chefs d’État. Sur ce point, j’ai appris hier avec déception que la plupart des ambassades auprès des pays d’Amérique centrale ne disposaient plus d’attachés culturels.

Trois ans, c’est court. Comment pensez-vous pouvoir pérenniser au-delà de cette durée les moyens financiers qui vous sont alloués ?

M. Michel Destot. Monsieur l’ambassadeur, vous inscrivez votre action dans la ligne, définie par Mme la ministre des affaires étrangères, d’une augmentation de l’influence politique, économique et culturelle de la France. Comment la coordination entre les intérêts économiques et culturels de notre pays pourrait-elle être améliorée ? Peut-on imaginer que vous organisiez, pays par pays, des rencontres permettant aux différents acteurs économiques et culturels, ainsi qu’aux collectivités locales et aux ONG d’y porter un projet d’influence commun ?

Est-il imaginable que l’Institut français joue également un rôle moteur pour attirer des étudiants et des chercheurs étrangers dans nos universités et nos laboratoires ? Une telle action serait essentielle pour le rayonnement économique et politique de la France.

M. Hervé de Charette. De quelle enveloppe de crédits disposez-vous pour 2011, et donc, eu égard à leur sanctuarisation, pour les deux années qui suivent ? Entre quelles actions principales est-elle répartie ? Espérez-vous une contribution significative des entreprises, par le biais du mécénat, pour le financement de l’Institut français ?

Par ailleurs, comment pensez-vous concilier la sélection d’actions prioritaires avec le maintien d’un réseau dont la diversité me semble plus une force qu’une faiblesse ?

M. Robert Lecou. Comment, pour réaliser l’objectif, essentiel, de coordination et de mutualisation qui vous est assigné, allez-vous réussir à coordonner les moyens de l’Europe ou ceux des collectivités territoriales ?

Comment allez-vous mobiliser les moyens que les groupes économiques français sont prêts à consacrer à l’action culturelle, notamment à travers le mécénat ? Pour honorable en volume et sanctuarisé que soit votre budget, son accroissement grâce aux moyens des autres reste néanmoins souhaitable.

M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur l’ambassadeur, parmi vos nombreux titres et qualités figure la fonction de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques. À ce titre, vous êtes appelé à émettre un avis sur la nomination du directeur de l’École normale supérieure. Par ailleurs, vous êtes, nous avez-vous dit, favorable au débat d’idées au sein de l’Institut français. Quel est donc votre sentiment sur l’interdiction faite par la directrice de l’École normale supérieure à M. Stéphane Hessel, ancien élève de cette École, d’y conduire un débat sur le Proche-Orient ? Cette décision n’est-elle pas porteuse de risques pour l’influence et le rayonnement de la France ?

Mme Chantal Bourragué. Comment l’action de l’Institut français se coordonnera-t-elle avec celle de l’Union européenne ? Celle-ci dispose de moyens non négligeables pour l’action extérieure.

Pourquoi le Brésil, ce grand pays émergent, ne fait-il pas partie des treize pays sélectionnés pour expérimenter le nouveau dispositif ?

Avez-vous l’intention d’accompagner les très nombreuses coopérations culturelles décentralisées, conduites par les collectivités territoriales ?

Mme Henriette Martinez. Quel que soit, pour la francophonie, le caractère essentiel de l’OIF – à laquelle j’ajouterai l’Assemblée parlementaire de la francophonie, dont j’ai l’honneur d’être la présidente déléguée –, la France est le seul pays francophone à assurer partout dans le monde – ou presque – une présence dans un cadre bilatéral, à la fois pour l’enseignement de la langue et la diffusion de la culture. Envisagez-vous de nouer avec d’autres grands pays francophones des partenariats pour renforcer les actions menées ? Grâce à de tels partenariats, culturels mais aussi financiers – le statut d’EPIC le permet –, la France pourrait mieux travailler à valoriser les enjeux culturels, mais aussi politiques et économiques de la francophonie.

M. Jacques Myard. J’ai du mal à comprendre les modalités de définition des stratégies de l’Institut français et de coordination de son action. Vous êtes chargé d’une stratégie d’influence, destinée à permettre à la France d’exister et de peser. Or, si j’ai bien compris, la définition des objectifs est du ressort de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) du ministère des affaires étrangères. Comment la coordination est-elle assurée entre elle et l’Institut français ?

Par ailleurs, c’est bien l’ambassadeur qui est chargé, dans son pays de résidence, de coordonner l’action de l’État.

M. Xavier Darcos. Monsieur Ferrand, nous devons en effet rester proches des alliances françaises et assurer la pérennité de notre réseau. La diversité et l’universalité de notre réseau sont une force – M. de Charrette l’a dit –, mais celui-ci est aussi composé d’une multitude de maillons faibles. L’Institut français me semble présenter l’intérêt d’instaurer un lien commun entre cette multitude de points d’action et de présence, de créer pour ceux-ci des formations et des stratégies communes, des plateforme d’accès à des données communes et des accompagnements spécifiques sur des projets où notre intérêt à agir paraît particulièrement évident. C’est précisément parce que notre réseau est ramifié et universel – et presque incomparable – qu’il faut à tout prix mettre en place des systèmes de connexion, virtuels ou réels. Telle est d’abord la mission de l’Institut français.

J’ai aussi l’impression – nous le constatons depuis deux jours – que, loin d’être inquiètes, les alliances françaises ont très bien compris l’intérêt de l’Institut français et sont très satisfaites de la convention que nous avons passée avec elles. Il se trouve aussi que j’ai d’excellentes relations avec Jean-Pierre de Launoit, président de la fondation Alliance française.

Je suis, monsieur de Charrette, très confiant sur la pérennisation du budget de l’Institut français au-delà de trois ans. Ce budget va nous permettre, non seulement de conduire des actions, mais aussi de trouver les moyens de rendre suffisamment visible notre action pour que des mécènes s’y intéressent. Nous allons utiliser les 45 millions d'euros d’euros dont nous disposons à la fois comme une sorte de stock à dépenser et comme un levier pour attirer des fonds. Je le répète, sur ce plan, je suis plutôt surpris des contacts que nous nouons. Les grandes entreprises apprécient grandement de pouvoir disposer désormais d’un interlocuteur unique pour assurer la coordination de leurs projets culturels à l’étranger.

Monsieur Destot, j’aurais dû indiquer dès ma présentation liminaire que, parmi nos missions, figure bien sûr celle d’attirer en France des stagiaires et des intellectuels étrangers. Une mission nouvelle nous a aussi été donnée : l’aide à la traduction d’ouvrages français en langues étrangères et d’ouvrages étrangers en français. Nous avons aussi pour mission de faire connaître en France les actions culturelles étrangères intéressant notre pays.

Votre question et celle de Mme Bourragué sur la coordination de l’action de l’Institut français avec celles des collectivités territoriales ou des ONG sont très proches. C’est cette coordination qui rendra possible les allers-retours entre la France et les pays étrangers. Nous utiliserons pour cela les partenariats, les jumelages entre collectivités importantes. Assurer cette coordination est l’une de nos vocations majeures.

Monsieur de Charette, le montant des appels à projets que nous avons levés ne se limite pas aux 45 millions d'euros de notre budget. La direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats affecte aux postes 160 millions d'euros pour leur réalisation. Je ne suis pas en situation de préciser la ventilation du budget. En effet, celui-ci n’a pas encore été approuvé par le ministère.

L’Institut français n’est pas un instrument d’impérialisme culturel. Il n’a pas vocation à obliger tous les postes à conduire les mêmes actions. La diversité du réseau sera évidemment sauvegardée.

Monsieur Lecou, je crois avoir répondu sur la mutualisation des moyens.

Les acteurs économiques ont plus besoin de nous que nous d’eux. Nous trouvons sans difficulté des opérateurs pour les « saisons » et les « années ». Ainsi, pour notre participation à la Biennale de Venise, nous avons trouvé l’appui d’un grand opérateur industriel qui souhaite mieux se faire connaître en Italie. Je suis même surpris de la facilité avec laquelle nous nouons des relations avec les comités de mécènes, avec le comité Colbert et les grands donateurs. Ils sont très heureux de disposer d’un interlocuteur unique.

Madame Bourragué, l’action européenne en matière de culture, c’est nada.

M. Jacques Myard. Heureusement ! Nous n’allons pas financer l’apprentissage de l’allemand ou de l’anglais !

M. Xavier Darcos. L’Union européenne n’est pas compétente en matière culturelle. En revanche, elle dispose de budgets dans ce domaine. C’est donc à nous d’inventer des actions. Nous partageons avec les autres européens des valeurs communes.

Monsieur Dufau, vous m’avez interrogé en ma qualité de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques. À ce titre, je trouve tout à fait dommage qu’un débat, quel qu’il soit, ne puisse pas se tenir à l’École normale supérieure. Même si l’atmosphère doit devenir orageuse, ou même violente, il faut que les gens se parlent. M. Stéphane Hessel a pu exprimer comme il le souhaitait ses indignations à l’institut français de Londres en décembre ; il y a même été accueilli deux fois. Il n’est pas souhaitable que l’ENS s’érige en juge de ce qui peut être débattu ou non.

Madame Bourragué, initialement, notre liste expérimentale ne devait comprendre que dix pays. Au final, elle en comprend treize. Notre coopération culturelle avec le Brésil étant déjà fournie, sa restructuration nous paraissait moins urgente que celle que nous menons avec le Chili ou l’Inde, où, si le réseau des alliances françaises est bien présent, nous ne disposons que de très peu d’instituts français.

Madame Martinez, vous avez raison. C’est ainsi que le réseau des lycées français joue un rôle essentiel dans l’action de la France en faveur de la francophonie. Du reste, nous souhaitons passer des accords avec l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE). Ces lycées sont des plateformes culturelles, fréquentées par les élites locales, lesquelles se reconnaissent dans nos formations. Lors du dîner qui a suivi la célébration du cinquantenaire du lycée français de Lisbonne, où je représentais l’État français, j’étais entouré de l’ensemble des élites portugaises, y compris le Président de la République de ce pays: eh bien, toutes ces personnalités avaient été élèves du lycée français.

Monsieur Myard, la coordination est pour nous un élément central. Nous travaillons à l’établissement d’une convention d’objectifs et de moyens. Opposable à l’Institut français, elle sera également connue des postes et des ambassadeurs. Elle montrera comment les éléments de chaque stratégie d’influence qui relèvent de notre responsabilité se déclinent et se développent localement. Elle constituera ainsi pour l’Institut français et les ambassades une feuille de route commune. J’ajoute qu’il ne se passe pas un jour sans qu’un ambassadeur de passage à Paris ne vienne me rencontrer. Pour les ambassadeurs, nous devons travailler ensemble, en conformité avec la loi.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur l’ambassadeur, merci pour cette présentation très complète des débuts de l’Institut. Nous vous entendrons de nouveau car la Commission porte un intérêt marqué à l’Institut français.

La séance est levée à douze heures dix.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 26 janvier 2011 à 11 heures

Présents. - Mme Sylvie Andrieux, M. François Asensi, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Claude Birraux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Dino Cinieri, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, Mme Geneviève Colot, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Gaëtan Gorce, M. Jean Grenet, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Patrick Labaune, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Renaud Muselier, M. Jacques Myard, M. Jean-Marc Nesme, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jacques Remiller, M. Jean-Marc Roubaud, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Éric Woerth

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Patrick Balkany, M. Roland Blum, M. Alain Bocquet, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Louis Christ, M. Michel Delebarre, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Claude Mignon, M. Henri Plagnol, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles, M. Michel Vauzelle