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Commission des affaires étrangères

Mardi 31 mai 2011

Séance de 17 h 30

Compte rendu n° 65

Présidence de M. Axel Poniatowski, président,

– Audition de M. Audronius Azubalis, ministre des affaires étrangères de Lituanie

Audition de M. Audronius Azubalis, ministre des affaires étrangères de Lituanie.

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons l’honneur d’accueillir M. Audronius Ažubalis, ministre des affaires étrangères de Lituanie. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir accepté notre invitation. Les relations entre nos deux pays, sur les plans politique, économique et culturel, se sont grandement intensifiées depuis l’entrée de la Lituanie dans l’Union européenne. Par ailleurs, votre point de vue sur les questions européennes nous intéresse d’autant plus que la Lituanie exerce cette année la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE.

Sous votre autorité, la politique étrangère de la Lituanie se caractérise par une diplomatie active, ouverte vers ses partenaires orientaux - y compris, mais cela est récent, vers la Russie. À travers la présidence de l’OSCE, la Lituanie est engagée dans la résolution des « conflits gelés » au Haut-Karabakh, en Moldavie et en Géorgie, et elle soutient la société civile biélorusse. La Russie est-elle en passe de devenir un partenaire complètement fiable ? L’espace post-soviétique est-il sur le point de parachever l’évolution amorcée voici plus de vingt ans, lorsque les pays baltes ont manifesté leur volonté de sortir du bloc soviétique, entraînant à leur suite l’ensemble des entités composant cet empire ?

La Lituanie a connu une récession brutale, avec une chute de 14,7 % de son PIB en 2009. Votre gouvernement a alors adopté des mesures budgétaires courageuses qui ont rapidement porté leurs fruits puisque la croissance était de retour dès l’année suivante. Quelles sont les perspectives pour 2011 ? Enfin, la Lituanie n’avait pas été admise en 2007 dans la zone euro ; souhaite-t-elle toujours l’intégrer, a priori en 2014 ?

M. Audronius Ažubalis, ministre des affaires étrangères de Lituanie. C’est pour moi un grand plaisir de m’adresser à votre Commission. Pendant mes quatre mandats parlementaires, j’ai toujours siégé à la commission des affaires étrangères et, comme vous pouvez le constater, mon intérêt pour ces questions ne s’est jamais démenti.

C’est ma première visite en France en ma qualité de ministre des affaires étrangères de Lituanie, mais j’ai le vif souvenir d’une précédente visite dans votre pays. Nous étions alors en 1998, et je venais évoquer avec M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères, la difficile question de l’ambassade de Lituanie en France. Le bâtiment était alors occupé par les diplomates russes, et je demandais que nous puissions récupérer nos locaux ; une solution a finalement été trouvée, et notre ambassade à Paris est à présent sise en un autre lieu.

Vingt ans, c’est une période très courte pour construire un pays, mais nous y sommes parvenus. Nous sommes maintenant membres de l’ONU et de l’OTAN, et notre exemple pourrait inspirer d’autres pays qui voudraient devenir membres de l’Union européenne. Nous participons à plusieurs missions sécuritaires décidées par la communauté internationale, notamment en Afghanistan, où nos soldats combattent au Sud ; à l’Ouest, nous appuyons les autorités afghanes dans la province de Ghor, l’une des plus pauvres du pays. Par ailleurs, nous apportons une aide humanitaire aux pays d’Afrique du Nord ainsi qu’au Japon. Nous sommes donc passés en deux décennies du stade de pays receveur à celui de pays contributeur ; nous en sommes très fiers.

Cela étant, nous avons subi de plein fouet la crise économique de 2008, qui a fait chuter notre PIB de 15 %, le taux de chômage atteignant 19 %. Nous avons alors adopté de strictes mesures d’austérité qui nous ont conduits à réduire toutes les dépenses possibles, y compris le montant des pensions de retraite. Ces mesures nous ont permis de rebondir sans que nous ayons dû demander l’aide du FMI ou de l’Union européenne. Notre économie est actuellement très dynamique : la Banque mondiale prévoit pour la Lituanie une croissance de 4,3 % en 2011; au premier trimestre, elle a été de 6,7 %, et nous sommes revenus à une situation proche de ce qu’elle était en 2008, avant le déclenchement de la crise. Notre économie est principalement fondée sur les exportations ; nos marchés principaux étant la Russie, l’Allemagne et, dans une moindre mesure, les pays scandinaves, tous pays dont les économies sont restées assez solides, nos exportations ont pu reprendre.

L’autre défi qui se présente à nous actuellement est celui des évolutions en cours en Afrique du Nord et des migrations qui pourraient en résulter. Je me suis entretenu aujourd’hui avec M. Alain Juppé, et nous nous sommes trouvés d’accord sur la politique migratoire. Il n’y a pas de stress test dans la zone Schengen. Une fois qu’un pays est membre de l’espace Schengen, il n’y a plus rien à faire. Cela signifie, pour le ministre français des affaires étrangères comme pour moi, que l’Union européenne doit renforcer sa politique d’immigration. Nous nous félicitons que les frontières entre la Lituanie et la Biélorussie d’une part, la Russie d’autre part, soient très sûres. Nous soutenons la position française en matière d’immigration, comme devraient le faire tous les membres de l’espace Schengen ; les traités sont toujours perfectibles, la Convention de Schengen comme les autres.

J’exerce depuis cinq mois la présidence de l’OSCE. Au cours de cette période, je me suis rendu là où la situation est compliquée- la Tunisie, la Moldavie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, la Tchétchénie, la Russie, l’Ukraine, l’Afghanistan… J’y ai rencontré les chefs d’État et de gouvernement mais aussi des représentants des organisations non gouvernementales, des medias et de la société civile. De ces rencontres multiples j’ai retenu que sans un effort collectif nous ne parviendrons pas à gérer convenablement la question des frontières entre les pays d’Asie centrale et l’Afghanistan, frontières dont la porosité permet trafics d’êtres humains et d’armes.

L’Académie nationale afghane des services douaniers, dont les étudiants sont formés par des membres de l’Alliance, a été récemment inaugurée à Kaboul. Nous attendons beaucoup de cette formation. Vingt pour cent de l’héroïne entrant en Europe arrivent de cette région ; de toute évidence, des garde-frontières efficaces sont indispensables.

Au Kirghizistan, l’OSCE est intervenue avec l’ONU et l’Union européenne pour promouvoir l’initiative de sécurité communautaire destinée à rétablir le calme après que cent Ouzbeks ont été tués en 2010 au cours de conflits interethniques. L’OSCE s’attache à rétablir la confiance entre les communautés et elle obtient quelques résultats, puisque la triste commémoration des événements intervenus l’an dernier n’a donné lieu à aucune manifestation, contrairement à ce que l’on pouvait attendre.

Au Nagorno Karabakh, un enfant a été tué en mars dans un village proche de la ligne de contact, où sévissent de nombreux tireurs embusqués. J’ai malheureusement le sentiment qu’une génération entière de jeunes Arméniens et de jeunes Azéris a grandi dans cette région sans rien connaître qu’un conflit incessant : les gens s’entretuent, et l’on s’en tient là. Il se trouve aussi que les deux parties sont fournies en armes – en grande quantité – par la Russie. On observe que ces armes transitent par la Géorgie, en dépit du conflit qui oppose les deux pays. Autant dire que plusieurs pays et plusieurs entreprises profitent de la persistance des troubles. Même si le Groupe de Minsk de l’OSCE, où siège un représentant de la France, fait un excellent travail, de puissants intérêts sont en jeu qui rendent les décisions difficiles. On notera toutefois que le Président Medvedev s’est engagé personnellement en faveur du règlement de ce conflit, en tentant une médiation. Sa tâche ne sera pas facile.

Le gouvernement lituanien est reconnaissant à la France d’avoir pris une initiative visant à la sortie de crise en Géorgie. Malheureusement, le plan en six points de règlement du conflit russo-géorgien sur lequel les présidents Sarkozy et Medvedev s’étaient accordés n’est pas appliqué. Je me suis rendu il y a quelques mois en Géorgie, à la frontière administrative avec l’Ossétie du Sud, une région dans laquelle j’étais allé l’année précédente, et j’ai eu la grande déception de constater que des bunkers avaient été construits et des tranchées creusées, comme si le conflit devait s’éterniser.

En Asie centrale, j’ai constaté que tous les dirigeants sont très préoccupés par les retombées du « printemps arabe » ; tous ont peur de la démocratisation, y compris un pays qui se veut une démocratie parlementaire comme le Kirghizstan.

La Lituanie s’efforce de maintenir de bonnes relations de voisinage avec la Biélorussie. Nous nous sommes efforcés de maintenir la présence de l’OSCE à Minsk. Cependant, le Président Loukachenko est ce qu’il est, et l’on a l’impression que la Biélorussie s’enfonce dans l’isolement et se rapproche petit à petit de la Russie. Pour l’instant, Loukachenko est dans l’impasse. L’objectif principal de l’OSCE en Biélorussie est d’atteindre la société civile. La communauté internationale a beaucoup investi à cette fin, mais les investissements ont été faits isolément, sans concertation entre les pays, ce qui nuit aux résultats. Il faudrait parvenir à diffuser des chaînes de télévision et de radio puissantes. Or, actuellement, en Biélorussie, on ne peut entendre que Radio Liberty, quelques heures par jour seulement, et avec un signal faible. Dans ces conditions, comment atteindre la population ? Ces résultats décevants sont sans commune mesure avec les fonds investis. Notre seul motif de satisfaction est d’avoir réussi à convaincre Minsk de laisser des observateurs de l’OSCE assister aux procès en cours ; ainsi des témoins pourront-ils dire la manière dont le Président Loukachenko traite les prisonniers politiques. Au-delà, personne ne sait comment faire pour que la situation s’améliore en Biélorussie.

Les relations entre la Lituanie et la Russie sont équilibrées, et trente pour cent des échanges commerciaux de la Lituanie se font avec la Russie. Cependant, la Russie essaie de maintenir la Lituanie dans sa zone d’influence, notamment pour ce qui concerne l’énergie. À ce jour, notre seul fournisseur de gaz est Gazprom, mais nous projetons la construction d’un terminal d’importation de gaz naturel liquéfié qui devrait être achevé en 2014, et nous travaillons à la mise en place d’un marché de l'électricité des pays baltes et d’un réseau avec la Suède. D’autre part, un projet de construction d’une centrale nucléaire qui concernera, outre notre pays, la Lettonie, l'Estonie et la Pologne, est déjà très avancé. Nous sommes en négociation avec des investisseurs, mais la Russie fait tout ce qu’elle peut pour nous empêcher de mettre au point un tour de table. Les Russes ont en effet commencé de développer un projet de centrale nucléaire dans la région de Kaliningrad, mais aussi un projet intergouvernemental de coopération avec la Biélorussie pour y construire également une centrale nucléaire. Cela sème le doute dans l’esprit des investisseurs potentiels en Lituanie qui, de ce fait, se tiennent à l’écart. Malgré tout, notre projet, soutenu par l’AIEA et par les États-Unis, progresse. J’ai par ailleurs signé aujourd’hui avec mon homologue français le plan d’action conclu dans le cadre du partenariat stratégique entre la Lituanie et la France, et je me félicite que la France soutienne les projets d’énergie nucléaire de la Lituanie.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cet exposé. Vos propos concernant l’inquiétude que fait naître le « printemps arabe » chez certains dirigeants d’Asie centrale qui exercent un pouvoir fort sinon despotique m’ont particulièrement intéressé.

M. Michel Destot. En ma qualité de président du groupe d’amitié France-Lituanie et aussi de maire de la ville de Grenoble, jumelée avec Kaunas, je me réjouis de la reprise de l’économie lituanienne, dont je ne doute pas que la France bénéficiera. L’incident qui a eu lieu à Fukushima aura-t-il des conséquences sur le projet de construction d’un nouveau réacteur nucléaire à Ignalina ? Êtes-vous favorable au renforcement des mesures de sûreté nucléaire ? La Lituanie peut-elle explorer d’autres sources d’énergie ?

Quelles seront les priorités de la présidence lituanienne du Conseil européen, en 2013 ? Êtes-vous favorable à l’élargissement de l’Union européenne à la Turquie ? Quelles sont, à votre avis, les limites de l’élargissement ? L’Union peut-elle s’ouvrir, à terme, à la Biélorussie et à l’Ukraine ?

Mme Martine Aurillac. La sécurité énergétique est un enjeu capital pour l’Europe ; que pensez-vous à cet égard de la décision prise par l’Allemagne de renoncer à l’énergie nucléaire ? Par ailleurs, quels sujets la Lituanie souhaite-t-elle voir aborder en priorité lors du Conseil européen du 24 juin prochain ?

M. Michel Terrot. La présidence lituanienne de l’OSCE a fait de la promotion de la liberté de la presse l’une de ses priorités. De quels moyens dispose-t-elle à cet effet ?

M. Audronius Ažubalis. L’incident de Fukushima fera que nous serons encore plus précautionneux dans le choix des technologies que nous emploierons soit pour démanteler des installations anciennes soit pour en construire de nouvelles. La Lituanie a envoyé au Japon des sommes importantes destinées aux victimes de l’incident nucléaire de Fukushima, mais il y a peu d’opposition à l’utilisation de l’énergie atomique dans mon pays. Les Lituaniens, qui utilisent cette source d’énergie de longue date, savent qu’elle est efficace, propre et sûre à condition que les règles de sécurité élémentaires ne soient pas enfreintes.

L’énergie que nous utilisons n’est pas seulement d’origine nucléaire. Notre mix énergétique comprend aussi des énergies renouvelables, nous avons des centrales thermiques et nous avons créé un grand parc d’éoliennes ; elles ne sont pas encore rentables mais elles le seront un jour. Comme je vous l’ai indiqué, nous projetons d’ouvrir un terminal de gaz naturel liquéfié en 2014 et nous avons déjà signé un précontrat avec une société américaine ; on notera que c’est la première fois depuis des décennies que les États-Unis exporteront vers la Lituanie du gaz liquide, une exportation jusqu’à présent interdite.

La présidence lituanienne du Conseil européen, en 2013, aura diverses priorités. Il faudra évidemment travailler avec la Grèce et l’Irlande à ce moment, mais nous comptons aussi mettre l’accent sur le partenariat avec les pays de l’Est de l’Europe, notre expertise pouvant être utile. Nous entendons également approfondir la stratégie de la mer Baltique mise au point sous la présidence suédoise. Tout en regrettant que cette stratégie ne bénéficie pas de fonds supplémentaires, nous nous attacherons à renforcer les synergies des pays concernés pour améliorer la qualité de vie, la sécurité et la compétitivité de la région et surmonter les problèmes d’environnement, la Baltique étant malheureusement l’une des mers les plus polluées du monde.

Vous m’avez interrogé sur la position de la Lituanie quant à l’élargissement ultérieur de l’Union européenne, et notamment à la Turquie. J’ai eu l’occasion de m’entretenir récemment avec mon homologue turc, et j’ai eu le sentiment que les souhaits du gouvernement turc à ce sujet ont quelque peu évolué. La majorité au pouvoir a de grandes chances de se voir reconduite lors des prochaines élections et l’économie de la Turquie étant florissante, le pays est de moins en moins inquiet pour son avenir. De plus, la région connaît de profondes mutations et la Turquie se voit propulsée au rang d’acteur de premier plan. Pour toutes ces raisons, la Turquie insiste moins pour devenir membre de l’Union européenne ; c’est en tout cas l’impression que m’ont laissé mes entretiens à Istanbul.

La Lituanie soutient la candidature de la Turquie à l’adhésion à l’Union européenne, à condition que tous les critères d’admission soient strictement remplis. Or, il y a de profondes différences entre Ankara et Istanbul d’une part, le reste du pays d’autre part. Parvenir à un même niveau économique partout en Turquie, mais aussi à une même compréhension des principes démocratiques dans l’ensemble du pays peut prendre du temps. En outre, au Proche-Orient, l’Egypte est désormais un acteur secondaire alors que la Turquie est passée au premier plan.

L’Allemagne vient de renoncer à l’énergie nucléaire civile, mais cette décision est surtout politique. Elle est censée s’appliquer en 2022 ; d’ici là, de nombreuses élections auront eu lieu et nul ne peut préjuger des forces politiques qui seront au pouvoir. Comment savoir si cette mesure sera réellement appliquée ? Les Allemands y réfléchiront sans doute à deux fois s’ils se rendent compte que l’abandon du nucléaire a pour effet de tripler le prix de l’électricité. On peut donc imaginer que quelques centrales seront effectivement fermées, mais pas toutes, d’autant que l’industrie nucléaire allemande a immédiatement fait savoir qu’elle entendait attaquer la décision consistant à abandonner l'énergie nucléaire tout en maintenant la taxe sur le combustible nucléaire à laquelle les industriels du secteur sont actuellement soumis.

Lors du Conseil européen du 24 juin prochain, la Lituanie souhaite entendre aborder la politique globale de migration mais aussi la gouvernance économique. Nous considérons en effet que chaque pays membre de l’Union doit se contraindre à une réelle discipline financière, condition sine qua non d’une coopération harmonieuse. Il serait aussi souhaitable d’aborder la question de la sécurité nucléaire, un thème dont nous traitons régulièrement avec nos voisins. Comme je vous l’ai dit, nous avons le projet de construire une centrale nucléaire en insistant sur la sûreté de l’installation.

Au cours de sa présidence en exercice de l’OSCE, la Lituanie a en effet souhaité mettre l’accent sur la liberté de la presse. L’Organisation n’a pas de moyens de coercition et toutes les décisions doivent être prises en son sein par consensus. L’OSCE compte 56 pays membres ; dans certains de ces pays, la liberté de la presse n’est pas acquise. Lors de mes visites, j’aborde la question ouvertement et publiquement, tant avec les autorités qu’avec les représentants des médias. Je suis en contact constant avec la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias et, en tout pays où je me rends, je cite systématiquement les noms des journalistes opprimés. Si vous consultez le site web de l’Organisation, vous y verrez la liste des pays dans lesquels les journalistes font l’objet de pressions et dans lesquels la liberté de la presse est bafouée. Les autocrates n’aimant pas être désignés pour ce qu’ils sont, l’un des seuls pouvoirs dont dispose l’OSCE est de montrer du doigt les pays qui ligotent la liberté d’expression. En Azerbaïdjan, j’ai évoqué avec les autorités le cas de manifestants pacifiques arrêtés il y a plus de quatre ans et toujours détenus. J’ai eu la satisfaction d’apprendre que ces personnes sont aujourd’hui libérées. Ainsi, grâce à l’OSCE, de petits progrès sont possibles ; ils peuvent parfois paraître millimétriques, mais l’Organisation, je vous l’ai dit, a de faibles moyens d’action.

Les 7 et 8 juin prochains se tiendra à Vilnius une conférence consacrée à la sécurité des journalistes. Je suis heureux qu’y participent des journalistes venus de Tunisie, d’Égypte et d’autres pays arabes, ainsi que des hommes et des femmes politiques, dont des Russes, un pays où la liberté de la presse et la liberté d’expression connaissent aussi quelques problèmes. L’OSCE n’a pas un très grand poids, mais elle se doit de rappeler les gouvernements à leurs devoirs.

M. Jean-Paul Bacquet. Vous avez souligné que les frontières de la Lituanie sont des frontières sûres. Mais qu’en est-il des transits par chemin de fer depuis l’enclave de Kaliningrad ? D’autre part, pendant la période stalinienne, de très nombreux Russes ont été déportés vers les pays baltes, dont ils constituent maintenant une part importante de la population. Comment se font les échanges entre ces familles et leurs régions d’origine ?

M. Jean-Louis Christ. Quelle est la position de la Lituanie sur les sanctions économiques imposées par l’Union européenne à la Biélorussie ? Après l’emprisonnement d’Andreï Sannikov, principal candidat de l’opposition à la présidence, et étant donné la détérioration continue des libertés dans le pays, les Vingt-Sept ont adopté des sanctions supplémentaires contre la Biélorussie. Toutefois, la présidente de la Lituanie s’est dite opposée à des sanctions économiques. Pourquoi ?

M. Jean-Paul Lecoq. Dans plusieurs pays, la jeunesse se lève pour exiger la liberté et la liberté d’expression, faire tomber les dictatures et dessiner un autre avenir. Ces jeunes gens nous appellent à faire preuve de courage politique pour régler les dossiers restés à ce jour sans solution. Monsieur le président en exercice de l’OSCE, pouvez-vous nous dire quelle est votre position sur Chypre, sur la reconnaissance d’un État palestinien, sur la situation au Sahara occidental et sur la question des Kurdes de Turquie ?

M. Jean-Michel Boucheron. J’ai beaucoup apprécié votre analyse sur la Turquie et sur le dossier de l’énergie nucléaire. Mes questions rejoignent celles qui vous ont été posées sur Kaliningrad et sur la Biélorussie.

M. Robert Lecou. Existe-t-il une culture balte et, si tel est le cas, comment se manifeste-t-elle ? Quelles sont les relations entre la Lituanie et les autres États de la région ?

M. Audronius Ažubalis. Les frontières entre la Russie et la Lituanie sont très bien gardées. Des procédures spécifiques ont été mises au point pour ce qui concerne le transit ferroviaire depuis Kaliningrad : les wagons qui quittent la Russie pour traverser la Lituanie sont scellés et gardés, et de manière plus stricte encore quand il s’agit de convois militaires ; dans ce cas, des militaires lituaniens non armés sont à bord.

J’ai un peu de mal à comprendre la question portant sur les relations entre les familles lituaniennes et la Russie ; à ma connaissance, il n’y a pas d’affaires en suspens au consulat.

La Lituanie, qui fait partie de l’espace Schengen, a souhaité aborder avec la Russie la question spécifique de l’extension du territoire du petit trafic frontalier dans la région entière de Kaliningrad mais la Lituanie n’est pas d’accord avec les propositions russes de l’extension du territoire du petit trafic frontalier vers l’UE comme le souhaiterait la Russie.

La position de la Lituanie est que le petit trafic frontalier ne doit pas être un substitut pour le régime sans visas.

La Lituanie a voté en faveur des sanctions imposées par l’Union européenne à la Biélorussie car l’interdiction d'entrée dans l'Union européenne et le gel des avoirs touchent les soutiens du régime et nous souhaitions que les sanctions existantes soient étendues aux proches des personnalités déjà sanctionnées. Certains jugeront sans doute les sanctions peu démocratiques, mais est-il démocratique d’incarcérer des gens sans jugement et de les torturer ? Nous sommes plus circonspects à l’idée de sanctions économiques, qui demandent à être mûrement réfléchies. La Biélorussie est une grande productrice de textile si l’on empêche ce commerce, le taux de chômage explosera. Des sanctions portant sur la production d’équipements militaires ou sur les transactions financières avec l’étranger seraient plus efficaces, mais il faut envisager la question sous tous ses aspects. Il serait en effet fâcheux que des sanctions renforcées aient pour effet de pousser le président Loukachenko vers la Russie ; la Lituanie verrait cette évolution d’un mauvais œil. D’autre part, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan formant une union douanière liée par des accords de libre-échange, des sanctions économiques imposées à la Biélorussie pourraient se révéler inopérantes, un mécanisme de réexportation pouvant être mis au point.

La Lituanie est favorable à la création d’un État palestinien, mais je ne suis pas certain que cette position soit majoritaire au sein de l’Union européenne. Nous sommes favorables à la coexistence de deux États, Israël et la Palestine.

Il nous semble préférable de laisser le Conseil de l’Europe traiter de la question des Kurdes de Turquie.

La Lituanie et la Lettonie ont des rapports très étroits, et leurs langues ont des racines communes. Nos points de vue s’expliquent souvent par notre tragique passé commun, celui de l’occupation soviétique. Nous considérons la Lettonie comme un pays frère. Les quelques différences entre nous sont que la Lituanie est un pays catholique, la Lettonie et l’Estonie des pays luthériens, et que si la Lituanie a une histoire vieille d’un millénaire, la création de l’Estonie et de la Lettonie date de 1918.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie à nouveau, monsieur le ministre, pour vos indications précises sur les dirigeants des pays d’Asie centrale, mais aussi pour votre prise de position originale sur la candidature de la Turquie à l’Union européenne, une candidature que vous soutenez sans y croire…

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 31 mai 2011 à 17 h 30

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Michel Boucheron, M. Jean-Louis Christ, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Alain Ferry, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Axel Poniatowski, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Jean-Louis Bianco, M. Claude Birraux, M. Roland Blum, M. Alain Bocquet, M. Loïc Bouvard, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles, M. André Santini, M. Dominique Souchet, M. Michel Vauzelle