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Commission des affaires étrangères

Mercredi 12 octobre 2011

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Burhan Ghalioun, président du Conseil national syrien, et Mme Bassma Kodmani, membre du bureau exécutif du Conseil national syrien

Audition de M. Burhan Ghalioun, président du Conseil national syrien, et Mme Bassma Kodmani, membre du bureau exécutif du Conseil national syrien

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Je suis heureux d’accueillir M. Burhan Ghalioun, Président du Conseil national syrien (CNS), et Mme Bassma Kodmani, membre du bureau exécutif du Conseil national syrien (CNS), pour une audition sur la situation de la Syrie.

Cette audition est, pour notre commission, l’occasion de saluer la création du Conseil national syrien et, à travers lui, de rendre hommage au courage de ceux qui, en ce moment même et depuis le mois de mars, se dressent contre la dictature en dépit d’une répression féroce qui a tué plus de 3 200 personnes, pour l’essentiel des civils.

La création du Conseil national a été saluée par tous ceux qui déploraient que l’opposition syrienne demeurât fractionnée. Votre mouvement rassemble, je crois, la quasi-totalité des partis d’opposition et comprend des nationalistes, des libéraux et des islamistes. Il réunit des courants qui structurent la résistance à l’intérieur du pays et l’opposition en exil.

Votre audition est aussi l’occasion de mieux comprendre ce qui se passe en Syrie et de mieux appréhender son avenir. Quelles sont les chances que le régime en place, qui ne donne pour le moment aucun signe d’assouplissement, finisse par accepter de nouer un vrai dialogue et s’engage sur la voie de la transition démocratique ?

Mme Bassma Kodmani, membre du Bureau exécutif du Conseil national syrien. Je souhaite évoquer les principales préoccupations actuelles du CNS.

Celui-ci a vu le jour après plus de deux mois de consultation. Tout au long de sa formation, les forces politiques traditionnelles de Syrie, qui s’entredéchirent habituellement, ont suivi le mouvement de la rue : lorsque les jeunes, c’est-à-dire les comités de coordination sur le terrain, ont indiqué qu’ils voulaient le rejoindre, les autres forces ont suivi. Cela est très intéressant pour l’avenir et explique sans doute le succès du CNS, qui semble avoir rallié environ 80 % de l’opposition.

La situation politique dans le pays, qui est très mouvante, repose sur ces deux composantes principales : les forces politiques traditionnelles, qui sont présentes dans le CNS – élément important car signe d’unité –, mais ne sont pas forcément les plus importantes sur le terrain, et le mouvement de révolte proprement dit.

Il reste toujours des personnes critiques à l’égard du CNS, mais notre porte leur reste ouverte pour qu’ils nous rejoignent. Cette instance est un cadre national alternatif, à l’intérieur duquel toutes les forces politiques peuvent entrer, même si elles ont entre elles des différends.

Concernant la révolte, je m’exprimerai à titre personnel, en tant qu’analyste. Si le CNS s’est énergiquement employé à rassembler toutes les composantes de l’opposition, ses positions sur les grandes questions en cours ne sont pas encore arrêtées, même si des groupes de réflexion y travaillent.

Deux questions fondamentales se posent. D’abord, soutenons-nous la révolte armée ? La réponse est non, mais face à la situation sur le terrain et la répression qui radicalise la rue, il faut trouver les arguments et les actes qui donnent de l’espoir aux manifestants et permettent d’éloigner la tentation du recours aux armes. Deuxièmement, souhaitons-nous une intervention militaire ? Le Conseil demande la protection des populations civiles et celle-ci passe par divers moyens possibles dont aucun n’a encore pu être mis en oeuvre

Cela étant, plusieurs éléments de consensus se dégagent à la fois au sein du CNS et sur le terrain : l’absence de dialogue possible avec le pouvoir en place ; le soutien à la révolte pacifique ; le refus de statuer sur une intervention militaire sans une longue discussion préalable – sachant que la population demande une protection internationale et nous presse de cesser de dire que nous ne voulons pas d’intervention.

Cela constitue pour nous un défi, car il n’y a pas au sein du CNS de soutien à l’intervention militaire, à supposer que celle-ci nous soit proposée. La réponse à cette question est retardée de quelques semaines, tant que nous n’avons pas la garantie d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU en ce sens et des mesures plus sévères à l’égard du pouvoir. Il y a donc une tension importante entre le terrain qui appelle à cette intervention et le CNS.

Nous devons examiner comment appliquer le principe de la responsabilité de protéger sans que cela ne se traduise par un scénario de type libyen, que personne ne souhaite au sein du CNS. Certains sont en faveur de l’envoi d’observateurs internationaux sur place, mais nous doutons que le pouvoir les accepte. Nous sommes donc pour l’instant en décalage par rapport à la demande et aux besoins de la population civile.

M. le président Axel Poniatowski. On a l’impression que la minorité chrétienne est restée en marge du mouvement de contestation par crainte de subir les mêmes problèmes que ceux observés en Irak il y a quelques mois ou en Égypte au cours des derniers jours. Pensez-vous que cette minorité rejoindra un jour le mouvement ?

M. Jean-Paul Lecoq. Ce mouvement recouvre-t-il certains foyers ou l’ensemble des provinces et des villes de Syrie ?

Pourquoi 20 % des forces de l’opposition ne sont-elles pas associées au CNS, alors que certains aimeraient l’être ?

M. Robert Lecou. La France, en tant que pays des droits de l’homme, n’est pas restée silencieuse à l’égard de la tragédie et de la répression sanglantes dans lesquelles est plongée la Syrie : elle a salué la création du CNS.

Mais notre pays est aussi celui de la laïcité, fondée sur la séparation entre le politique et le religieux et la tolérance vis-à-vis des cultes. Quelle est la position du CNS à l’égard de ce principe ? Ne peut-on craindre une islamisation du mouvement de contestation ?

M. François Rochebloine. Lors de son audition par notre commission il y a quelques années, Bachar al-Assad m’avait répondu qu’il n’y avait pas de prisonniers libanais en Syrie. Quelle appréciation portez-vous sur les relations syro-libanaises ? Comment voyez-vous leur avenir ?

M. Jean-Louis Bianco. Qu’est-ce que la France, l’Europe et la communauté internationale peuvent faire, en dehors de la question de la protection des populations civiles ? Le durcissement des sanctions évoqué par certains a-t-il un sens ? Serait-il efficace pour infléchir l’attitude du régime à l’égard du mouvement de contestation ?

M. Michel Terrot. La présence d’islamistes ou de fondamentalistes au sein du CNS suscite une certaine inquiétude : dans quelle mesure est-elle justifiée ?

M. Jean-Claude Guibal. Quelles sont les causes principales de la révolte contre le régime ? Sur quels soutiens le CNS envisage-t-il de s’appuyer en matière de politique étrangère ?

Mme Bassma Kodmani. La position des chrétiens est frustrante pour le mouvement de révolte, car cette minorité n’a jamais été menacée en Syrie. Nous avons d’ailleurs eu des premiers ministres chrétiens ; cette communauté a été très présente dans la vie politique comme dans la vie économique et elle n’a jamais subi de discrimination jusqu’ici.

Mais il est incontestable que le communautarisme s’est développé, ne serait-ce que parce que le pouvoir s’appuie sur une confession. Cela a engendré une dynamique communautaire : la résistance pacifique au régime de la famille du président syrien – en raison de son caractère autoritaire – et à la communauté qui monopolise le pouvoir a suscité à la fois une plus grande religiosité – vécue comme un refuge chez les musulmans – et un sentiment plus vif d’isolement dans la communauté chrétienne.

Le pouvoir prétend protéger celle-ci, mais au début de la révolte, elle était tétanisée. Ceux qui se sont engagés dans le mouvement de contestation – les jeunes pour l’essentiel – ou ceux qui étaient politisés ont compris le caractère parfaitement démocratique et areligieux du mouvement.

Mais ceux qui sont moins politisés, surtout ceux dont les intérêts sont liés au pouvoir, c’est-à-dire les familles ayant prospéré sous sa protection, ont peur pour ceux-ci. Ce qui se passe dans les pays voisins, que ce soit en Irak hier ou en Égypte aujourd’hui, nourrit également une inquiétude.

On assiste à une fragilisation des relations intercommunautaires : la communauté chrétienne ne craint pas d’être chassée mais les risques de revanche ou de conflit interconfessionnel impliquant la communauté alaouite qui est au pouvoir ne peuvent être écartés et nécessitent un traitement vigilant ., dans un contexte où

Le CNS, conscient de ces inquiétudes, a pour priorité d’accorder une place privilégiée aux communautés – lesquelles sont représentées au sein de son Bureau exécutif, qu’il s’agisse des chrétiens, des alaouites, des Druzes ou des Kurdes – sans tomber dans ce qu’on appelle le partage intercommunautaire : la confessionnalisation de la vie politique syrienne reste honnie de toutes les communautés.

Nous nous dirigeons vers la publication d’un texte qui constituerait une charte nationale entre les communautés, affirmant la neutralité de l’État vis-à-vis de la religion – principe qui est pour nous la meilleure garantie de l’égalité entre les citoyens.

M. Burhan Ghalioun, président du Conseil national syrien. Je voudrais tout d’abord m’excuser de mon retard. Nous préférons le terme de sécularisme à celui de laïcité, parce que dans la culture politique arabe, syrienne notamment, celui-ci est trop attaché au modèle français, c’est-à-dire à un État perçu essentiellement comme anticlérical et antireligieux. Depuis le début du soulèvement, tout le monde, y compris les islamistes, a adopté l’expression d’État civil, qui fait l’objet d’un consensus inconscient et désigne un État séculier, sans attache religieuse particulière et neutre à l’égard des convictions religieuses et politiques. Cela constitue une grande réussite et montre l’évolution des mentalités depuis quelques années.

Entre l’intervention militaire, qui nous est interdite jusqu’ici – à la fois du côté du Conseil de sécurité et d’une grande partie de l’opinion publique – et l’immobilisme, il existe d’autres voies. Je suis en faveur d’un élargissement des sanctions pour toucher davantage les hommes d’affaires finançant les escadrons de la mort et la répression, notamment le responsable de la chambre de commerce.

Par ailleurs, une action politique collective de la communauté internationale, telle une conférence internationale sur la répression sévissant en Syrie, pourrait être utile. De même, j’espère, dans quelques temps, une reconnaissance officielle par l’Union européenne du CNS qui pourrait constituer un acte politique de première importance, susceptible de faire pression sur le régime et de conduire à son isolement.

La révolution actuelle couvre l’ensemble du pays, hormis quelques quartiers centraux d’Alep, qui font l’objet d’un quadrillage plus important et sont occupés par une classe bourgeoise ayant profité, lors des dernières années, de l’ouverture vers la Turquie ou d’autres pays. Ces quartiers ne sauraient tenir en otage tout un peuple ! Dans toutes les villes et les villages, la contestation s’étend, malgré une répression sans merci.

La révolte a commencé, dans la foulée du printemps arabe, par un petit événement : des enfants de dix à quatorze ans ont écrit sur les murs de Deraa, une ville du sud de la Syrie, « À bas le régime ! », répétant ce qui avait été fait en Égypte et en Tunisie. Quinze ont été arrêtés et torturés, et aux parents qui sont venus demander leur libération, le préfet, qui est de la famille du président de la République, a répondu : « il faut les oublier, vous n’avez plus d’enfants, et si vous tenez à en avoir d’autres, envoyez-nous vos femmes et on va vous en faire ! ». Le lendemain, toute la ville est descendue dans la rue…

Cela témoigne de tout un style de gouvernement, qui n’accepte que la soumission, utilise tous les moyens pour terroriser la population et agit de façon totalement arbitraire, au mépris de toute règle de droit.

Le peuple se révolte parce qu’il ne peut plus accepter d’être traité en esclave par la terreur et l’humiliation – d’où les slogans les plus importants du mouvement : « Dignité » et « Liberté ». Sans espoir ni existence politique, il s’est lancé dans cette révolution, de façon définitive.

On assiste aujourd’hui à une escalade dans la violence et la répression ainsi que dans la détermination du peuple syrien à aller de l’avant.

Quant au Liban, il est très sensible à ce qui se passe en Syrie. Si le régime syrien disparaît, comme je l’espère, certaines forces politiques seront confortées et le Hezbollah verra son influence limitée, voire marginalisée. Beaucoup d’échanges existent entre Syriens et Libanais et on trouvera toujours les moyens de maîtriser la situation et d’éviter la guerre.

M. Jean-Paul Dupré. Comment fonctionne le système éducatif, à la fois dans le primaire, le secondaire et à l’université ?

Par ailleurs, où en est aujourd’hui l’outil économique ?

M. Jacques Myard. L’inquiétude des chrétiens résulte principalement de ce qui s’est passé en Irak.

Je connais des Syriens installés en France, sunnites, commerçants ou salariés, qui n’appuient pas toujours votre action. On assiste incontestablement à une forte contestation contre des atrocités inacceptables, mais est-ce une révolution ou une révolte ? S’agit-il d’un mouvement profond dans tout le pays ? Le régime est-il véritablement isolé ?

Mme Chantal Bourragué. Quelle protection peut-on offrir aux populations civiles en dehors de l’exil ?

Quelle est la participation des femmes à votre mouvement ?

M. Hervé Gaymard. Quelles sont la situation du Parti Baas aujourd’hui et son empreinte sur la société syrienne ? Quel est le degré d’intrication de ce parti avec l’armée ?

M. Didier Julia. Tout le monde ici est d’accord pour vous aider au maximum. Pourriez-vous communiquer une liste, aussi complète que possible, des personnes qui soutiennent actuellement le pouvoir à Damas et sur lesquelles il faudrait exercer une pression ?

On peut vous aider aussi en obtenant que vous ayez une reconnaissance internationale. Au Conseil de sécurité, c’est très difficile, mais cela est possible en Europe, notamment dans le cadre de l’Union européenne. Avez-vous fait le tour des capitales européennes à cette fin, du moins celles qui sont encore un peu réticentes à cet égard ?

La société syrienne a toujours été laïque, au sens français du terme, et civile, au sens syrien, ce qui revient au même. Pourtant, je rencontre moins de femmes habillées à l’européenne à Damas – ce qui traduit une évolution. Je ne suis pas pour autant inquiet des problèmes liés à l’islamisation, qui ont été mis en avant pendant des années : souvent les Frères musulmans ont eu la majorité aux élections et ont renoncé au pouvoir, montrant que ce n’est pas celui-ci qui les attire.

Cela étant, je suis relativement pessimiste au sujet de la reconnaissance internationale. En Égypte, personne n’est intervenu pour faire la révolution : c’est le peuple qui l’a conduite. Cela n’empêche pas l’armée de se livrer à des provocations insensées, n’hésitant pas à massacrer des coptes, voire des chrétiens, pour créer des clivages entre les communautés…

Mme Bassma Kodmani. Nous avons des défaillances considérables dans la conception, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Le système éducatif, qui en est une des victimes, présente deux défauts principaux. D’une part, comme dans la plupart des pays de la région, il s’est détérioré du fait de l’explosion démographique, en raison de la difficulté de fournir un enseignement de qualité à une population toujours plus nombreuse. D’autre part, il fait l’objet d’un endoctrinement, le programme d’enseignement étant très imprégné de l’idéologie du Parti Baas, sous une forme caricaturale. L’université est en très mauvais état : un ingénieur me disait que pendant vingt ans, elle n’avait pas produit un seul ingénieur capable de concevoir le moindre plan de construction et qu’aujourd’hui cela n’était possible que grâce à la possibilité de télécharger des programmes sur Internet !

L’outil économique est confronté à un problème majeur : les affaires sont concentrées sur les grandes villes et les régions rurales sont oubliées. Les plans quinquennaux ne font que satisfaire des représentants du parti Baas qui n’ont aucun pouvoir. En outre, prévaut un pillage systématique de l’ensemble de l’État : tous les gouverneurs, douaniers ou responsables régionaux sont des agents du trafic organisé par le pouvoir. Un gouverneur n’a pas d’autre rôle que de spécifier la commission qu’il doit toucher pour lui-même ou le compte d’un tiers ! Quiconque s’y oppose ne peut faire d’affaires en Syrie. Le système de corruption y est profondément ancré.

Monsieur Myard, les commerçants syriens en France ne souffrent pas de la répression ! Tant qu’on ne se mêle pas de politique et qu’on ne demande rien, on peut être tranquille en Syrie – nous connaissons d’ailleurs beaucoup de gens non politisés disant qu’il est fou de se révolter parce que cela déstabilise le pays. Il n’empêche que le prix payé par le peuple et le pillage systématique de l’État montrent la nécessité d’en finir avec le régime.

M. Burhan Ghalioun. Je comprends les inquiétudes de la communauté chrétienne, mais à la différence de l’Irak où les États-Unis ont voulu reconstruire l’État après l’avoir anéanti, nous souhaitons préserver celui-ci ainsi que les institutions.

La situation est également différente en Égypte, où les Coptes ont toujours souffert d’une discrimination. En Syrie, au contraire, l’élite chrétienne a joué un grand rôle depuis le XIXsiècle dans la renaissance politique et le premier ministre syrien nommé après l’indépendance était chrétien. Il n’y a jamais eu chez nous, dans l’histoire moderne, d’affrontements entre chrétiens et musulmans : l’harmonie a toujours régné entre eux.

Nous demandons qu’un effort exceptionnel soit fait par la communauté internationale pour appliquer la disposition relative à la responsabilité de protéger les civils. Si la situation est bloquée au niveau du Conseil de sécurité, des démarches peuvent être menées au niveau européen et international.

Cela étant, je ne suis pas pessimiste sur l’évolution de la position de la Russie : nous devons dialoguer avec ce pays, ainsi qu’éventuellement avec la Chine.

Madame Bourragué, les femmes, même celles qui sont voilées, sont très présentes dans cette révolution – laquelle ne se réduit pas à une révolte. Elles le sont aussi, toutes confessions confondues, au sein du CNS, de son Bureau exécutif, du secrétariat général et de l’assemblée générale. Nous souhaitons renforcer cette participation dans nos instances comme dans la vie politique syrienne.

Le Parti Baas a été utilisé comme un instrument idéologique, un paravent, pour un pouvoir dépendant essentiellement des services de sécurité et de renseignement. Il n’y a pas d’espace politique en Syrie, ni de politique tout court : celle-ci a été éradiquée ; seuls existent ces services, qui manipulent les hommes politiques – y compris le président de la République, qui a été nommé par eux, même s’il les dirige aujourd’hui – et contrôlent l’armée.

Le parti Baas participe à la répression dans la mesure où il couvre ce pouvoir sécuritaire.

Monsieur Julia, nous essayerons de vous fournir la liste que vous demandez, mais l’administration de l’Union européenne et les chambres de commerce pourraient sans doute nous aider à cette fin.

Nous sommes en train de prendre contact avec toutes les capitales européennes – ainsi qu’avec l’Inde ou la Chine – pour favoriser la reconnaissance internationale. Je me suis notamment rendu à Stockholm et je dois aujourd’hui rencontrer un ministre britannique.

Il est vrai qu’à cause de l’arbitraire et du despotisme qui ont prévalu dans la région, la culture a changé et conduit les gens à se replier sur eux-mêmes et les valeurs traditionnelles. Mais aujourd’hui, avec une réelle ouverture politique et républicaine, cette culture conservatrice, qui a dominé les trente dernières années, devrait progressivement disparaître au profit d’une culture moderne.

M. Jean-Louis Christ. Il y a quelque temps, le premier ministre turc Recep Erdogan a dit, lors d’une visite au Caire, qu’il ne croyait plus en Bachar al-Assad, alors qu’il l’appelait son ami quelques mois auparavant. Compte tenu des relations historiques de la Syrie avec la Turquie, qu’attendez-vous de ce pays ? Soutient-il le CNS ?

M. Patrick Labaune. L’armée syrienne connaît aujourd’hui d’importantes désertions, qui auraient plutôt rallié la résistance sunnite : est-ce effectivement le cas ? N’assiste-t-on pas au retour du vieux clivage syrien entre alaouites, druzes et chrétiens d’un côté et les sunnites représentant 80 % de la population de l’autre ? La position que vous exposez n’est-elle pas un peu contradictoire avec la réalité du terrain ?

M. Dominique Souchet. La Russie apparaissait jusqu’ici comme le soutien le plus inconditionnel du régime de Bachar al-Assad, notamment au Conseil de sécurité. Or, les dernières déclarations du président Medvedev semblent marquer une première hésitation. Le CNS a-t-il déjà tenté d’engager un dialogue direct avec ce pays ou envisage-t-il de le faire ? Si oui, comment ?

M. Alain Bocquet. Madame Kodmani, vous avez dit être en décalage par rapport à la demande de la population civile. Or si le mouvement de contestation veut aller plus loin que vous ne le souhaitez, cela pourrait poser problème. Quel est votre point de vue à cet égard ?

M. Rudy Salles. Comment le CNS et vous-même voyez l’évolution des relations entre la Syrie et Israël après les événements actuels et la mise en place éventuelle d’un nouveau pouvoir dans votre pays ?

M. Michel Vauzelle. Pourquoi, alors que la conscription prévaut dans l’armée syrienne, ne constate-t-on pas davantage de désertions de la part des soldats envoyés tirer sur la population ?

Pourquoi une grande ville comme Alep est-elle si peu engagée dans le mouvement de contestation ?

M. Jean-Jacques Guillet. On peut être étonné, après plusieurs mois de révolution et de manifestations massives dans les rues, que le régime résiste à ce point. Je ne pense pas que le soutien de pays étrangers soit suffisant pour l’expliquer, qu’il s’exprime de manière publique – s’agissant des Russes et des Chinois, même si la présence de ceux-ci est faible en Syrie – ou pratique – le régime iranien ayant par exemple intérêt à ce que le pouvoir en place perdure. Quelles sont les capacités réelles de résistance du régime ? Comment parvient-il à tenir ?

On a par ailleurs fait une erreur d’analyse sur les capacités réformatrices de Bachar al-Assad. Y a-t-il au sein de sa famille une véritable unité ?

M. le président Axel Poniatowski. Comment fonctionne en réalité le pouvoir au sein du régime, entre le président Bachar al-Assad et son environnement immédiat ?

M. Jean-Luc Reitzer. Je me suis rendu au Liban au printemps dernier, où j’ai rencontré l’ancien président du Conseil Fouad Siniora, le Général Aoun et l’ancien président Amine Gemayel. Ce dernier m’a dit : « Si j’avais en face de moi le président Assad, je l’étranglerais parce qu’il a tué mon fils, mais aujourd’hui, dans la situation actuelle, je souhaite qu’il puisse rester parce que les conséquences de son échec seraient terribles pour l’équilibre de la région ». Comment se fait-il que le régime tienne malgré le mouvement de révolte ? N’y a-t-il pas parmi ceux qui le condamnent un double jeu, consistant à s’y opposer en apparence en dénonçant les exactions et les crimes, tout en le soutenant, en raison d’un certain nombre d’intérêts, y compris économiques ?

Quelle est votre position vis-à-vis du Liban, dont on a dit qu’il était un peu une colonie de la Syrie ? Je rappelle que le régime syrien s’était fortement impliqué dans la composition du gouvernement de ce pays, ce qui l’avait d’ailleurs retardée. Êtes-vous prêt, en cas de victoire de votre mouvement, à redonner au Liban une véritable indépendance pour lui permettre d’exister sur le plan national et international ?

Mme Bassma Kodmani. La Turquie a perdu espoir dans la capacité du régime à se reformer. Elle a essayé une ou deux fois de l’inciter à engager des réformes, mais elle n’a obtenu que des menaces de déstabilisation, ce qui l’a mise en rage. Ce pays soutient fortement l’opposition et le CNS. Il est engagé assez fermement en faveur d’une action conduisant au départ du pouvoir en place. Il se considère en première ligne à cet égard et a d’ailleurs pris des sanctions, qui sont coûteuses pour lui.

Ankara est par ailleurs favorable à une reconnaissance rapide du CNS. Nous avons souhaité commencer plutôt par solliciter l’appui des pays arabes, dans la mesure où il est important pour la société syrienne de savoir que l’environnement arabe reste la priorité, mais la Turquie va très vite manifester son soutien.

Concernant les relations syro-libanaises, il y a quelques années, a été signée la déclaration Beyrouth-Damas. Ses auteurs, qui ont été emprisonnés pour une durée d’un à trois ans, sont aujourd’hui les principaux acteurs de la révolution.

Nous sommes convaincus que sans le départ du pouvoir en place, le Liban ne retrouvera pas son indépendance. Ce pays est un État souverain, qui a eu des relations privilégiées avec le nôtre, même si cette expression a été dévoyée de façon insupportable, au travers d’une mise sous tutelle syrienne.

Il reste dans notre espace stratégique : la Syrie peut légitimement demander à s’intéresser à ce qui s’y passe car cela a un impact sur sa sécurité immédiate. Cela étant, on peut en discuter.

Dans cette révolte, Israël a été totalement absent du débat jusqu’à ce jour : ce n’est pas notre problème. Mais quand il faudra engager le dialogue sur cette question, je pense que la position syrienne ne changera pas beaucoup.

Il y a un large consensus au sein de la société syrienne : une partie de notre territoire est occupée ; s’il est entièrement rendu à la Syrie dans des conditions convenables, une paix juste est possible. Si les résolutions du Conseil de sécurité sont appliquées, le prix en sera le même. Le pouvoir syrien n’a certes pas été très sérieux dans la recherche de négociations, mais le pouvoir israélien est tout autant responsable à cet égard.

Si Israël souhaite véritablement bâtir à l’avenir une paix avec la Syrie, il trouvera rapidement dans ce pays les interlocuteurs pour ce faire.

M. Burhan Ghalioun. Au sein de l’armée, il y a aussi des divisions, que le pouvoir utilise pour conduire la répression. Le régime a élaboré ses propres outils dans ce domaine, avec la garde républicaine, qui est une armée dans l’armée, et des unités spéciales, dont trois ou quatre participent directement aux actions punitives. Mais la majeure partie des unités de l’armée reste à l’écart de celles-ci.

Cela explique que les désertions soient limitées, même si elles représentent tout de même 15 000 personnes, parmi lesquelles des officiers et des alaouites soutenant la révolution.

Je pense aussi que la position russe va évoluer. L’attitude de Moscou me paraît intenable sur le long terme si les massacres et la répression se poursuivent. Il faut donc continuer à négocier avec la Russie. Une invitation indirecte nous a d’ailleurs été adressée à cet égard, puisqu’on m’a demandé si j’acceptais de dialoguer avec elle ; j’ai répondu que nous y étions tout à fait favorables.

Les réticences observées au Liban vis-à-vis de la révolution s’expliquent par le fait que les Libanais se sont habitués – surtout le général Aoun – à l’équilibre existant.

Mais il est irréaliste de la part d’une partie de l’opinion syrienne et libanaise de penser que le régime en place va pouvoir maintenir la stabilité de la région, laquelle n’est pas tenable – la révolution le prouve – et n’a rien produit de positif – la zone n’ayant pas connu de véritable développement et ayant été confrontée à des conflits permanents et à la violation constante des droits de l’homme. Je suis persuadé que nous pourrions trouver une entente avec le général Aoun – que j’ai connu lorsqu’il était anti-syrien – et nos amis libanais.

La transformation démocratique de la région garantira mieux les droits des chrétiens et créera des conditions de développement meilleures, attendues par les jeunes générations syriennes comme libanaises. Il y a encore une certaine inertie intellectuelle et politique comme il y a de l’inertie géographique. L’essentiel est maintenant de prouver qu’un espoir est possible et que notre révolution va l’emporter.

Selon moi, le régime s’effondrera d’un seul coup. C’est une machine de guerre construite depuis 48 ans, fondée sur des services de renseignement et des appareils contrôlant toutes les unités. Au sein de l’armée, par exemple, le chef d’une division ne peut ordonner seul le déplacement de ses hommes : il lui faut l’ordre préalable de quatre services de renseignement. Mais sous la pression intérieure de la révolution et extérieure de la communauté internationale, le régime se délitera, ce qui devrait conduire à un effondrement de l’appareil de répression et du pouvoir.

Mis à part le quadrillage strict des quartiers, Alep a bénéficié des dix dernières années de coopération et d’échange avec la Turquie. La bourgeoisie locale avait des perspectives, à la différence des autres villes, surtout les villes moyennes, où tout était bloqué et où il n’y avait pas d’espoir de développement.

Mme Bassma Kodmani. Le décalage que nous avons avec la population civile est dû au fait que celle-ci continue à subir des morts et des victimes. Son impatience est forte, d’autant que l’opposition a mis du temps à s’unifier. Dès l’instant où cette unification s’est produite, elle a suscité une attente énorme, qui ne peut naturellement être satisfaite en quelques jours.

Nous devons gérer cette pression de la rue. Certains prennent les armes pour défendre leur famille et leurs biens : ils n’acceptent pas que l’on continue à appuyer un mouvement pacifique, car ils ne peuvent plus tenir.

Le CNS constitue un espoir important sur le terrain pour ce mouvement. Celui-ci était jusqu’à présent soutenu par les médias et les organisations des droits de l’homme. Mais il restait à porter un message politique : le CNS va s’y employer.

Nous devons obtenir des résultats dans un laps de temps assez bref, notamment sur le plan diplomatique, pour préserver le caractère pacifique de notre action.

M. Jacques Myard. À combien chiffrez-vous les victimes de la répression ?

M. Burhan Ghalioun. Selon les dernières informations des observateurs syriens, il y aurait plus de 10 000 morts, plus de 20 000 disparus – lesquels sont considérés pratiquement comme morts aussi –, 115 000 personnes arrêtées, 3 000 morts sous la torture et près de 300 enfants tués.

Pour éviter une intervention militaire très risquée dans ce pays – dont la situation géopolitique est délicate –, il faut des réalisations politiques. Nous comptons sur vous et la communauté internationale dans son ensemble pour nous aider à avancer rapidement dans ce domaine.

M. le président Axel Poniatowski. Madame, Monsieur, je vous remercie.

La séance est levée à dix-heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 12 octobre 2011 à 9 h 30

Présents. - Mme Sylvie Andrieux, M. Patrick Balkany, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Alain Bocquet, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Dino Cinieri, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Pierre Cohen, Mme Geneviève Colot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Jean-Marc Nesme, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Gérard Voisin, M. Éric Woerth

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Claude Birraux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Danielle Bousquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Paul Giacobbi, M. Jean Grenet, M. Didier Mathus, M. Renaud Muselier, M. Jacques Remiller, M. André Santini