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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 24 novembre 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Jacques Grosperrin, secrétaire puis de M. Michel Herbillon, vice-président

– Auditions, ouvertes à la presse, sur la gestion collective des droits d’auteur et droits voisins :

• Audition de M. Bernard Menasseyre, président de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, accompagné par M. Christian Phéline, rapporteur général 2

• Audition de M. Claude Lemesle, président du conseil d’administration de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), et M. Bernard Miyet, président du directoire, accompagnés par MM. Claude Gaillard et Jean-Luc Vialla, membres du directoire 14

– Présences en réunion 28

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 24 novembre 2010

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Jacques Grosperrin, secrétaire de la Commission
puis de M. Michel Herbillon, vice-président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Bernard Menasseyre, président de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, accompagné par M. Christian Phéline, rapporteur général, sur la gestion collective des droits d’auteur et droits voisins.

M. Jacques Grosperrin, président. En vous priant d’accepter les excuses de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission, je suis heureux d’accueillir MM. Bernard Menasseyre, président de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, et Christian Phéline, son rapporteur général.

Nous débutons ainsi une série d’auditions sur la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins. C’est un sujet d’actualité et la France a toujours été pionnière en matière de droits et de défense de la création.

L’année 2010 marque le dixième anniversaire de la loi dite « Tasca » du 1er août 2000 qui a mis en place la Commission permanente. Vous nous direz quel bilan vous en tirez.

Les évolutions de l’environnement économique et technologique du secteur se répercutent directement sur la gestion collective. Sans revenir sur la loi Hadopi, nous souhaitons recueillir votre appréciation quant à l’impact du numérique sur l’organisation de la perception et de la répartition des droits.

La Commission européenne a annoncé des initiatives dans le domaine de la gestion collective. Mme Neelie Kroes, commissaire chargée de la stratégie numérique, a rappelé, au début de ce mois, son objectif de mettre en place un système transnational et un marché unique des droits d’auteur en Europe. M. Michel Barnier, commissaire au marché intérieur et aux services, s’est dit favorable à la création de guichets uniques pour faciliter les offres légales en ligne. Nous aimerions donc connaître votre analyse des vertus comme des limites de notre système national de gestion collective.

Je rappelle que la Commission permanente a publié en avril dernier son septième rapport annuel et qu’il a été diffusé aux membres de notre Commission.

M. Bernard Menasseyre, président de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. La Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits fête son dixième anniversaire : présenter ici les résultats de ses travaux de façon à éclairer la gestion collective des droits des auteurs et des droits dits voisins, est une bonne occasion de le commémorer.

Créée par la loi du 1er août 2000, la Commission permanente, dont l’appellation est peu explicite, a pour vocation de contrôler les comptes et la gestion des vingt-sept sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) chargées de la gestion collective des droits des auteurs, des artistes-interprètes et des producteurs.

En 2008, les sociétés de perception et de répartition des droits ont perçu – sachant que l’une d’entre elles n’a eu aucune activité – 1 260 millions d’euros, leurs comptes faisant apparaître des disponibilités de l’ordre de 3 220 millions d’euros. La plus importante de ces SPRD est la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) qui comprend 130 000 sociétaires et qui a perçu, cette année-là, 760 millions d’euros pour un montant de disponibilités de 1 340 millions d’euros. Sur les 2 100 agents, en équivalent temps plein, employés par l’ensemble des SPRD, 1 500 étaient des salariés de la SACEM et 200 de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), deuxième par ordre d’importance. Précisons que la moitié des SPRD comptent moins de 50 salariés.

L’originalité juridique de la Commission permanente réside dans sa qualité d’instance administrative chargée de contrôler les comptes et la gestion de ces sociétés, ainsi que ceux de leurs filiales et des organismes qu’elles contrôlent. Il fallait des motifs très puissants pour qu’un examen public fût institué sur des sociétés privées, régies par le code civil, dans lesquelles ni l’État ni des collectivités publiques ne détiennent d’intérêt, soit sous la forme de participation au capital, soit par le versement de subventions, soit encore par la mise à disposition de personnels.

L’enjeu culturel que représente pour notre pays la gestion collective des droits explique pour partie cette exception très remarquable. À cela s’est ajoutée la volonté du législateur que le Parlement, le Gouvernement et les sociétaires soient mieux informés de l’activité des sociétés. En effet, leur gestion soulevait de nombreuses interrogations, voire de vives critiques pour la principale d’entre elles. La loi du 1er août 2000 dispose donc qu’après avoir contrôlé les sociétés et leur avoir adressé un premier rapport, la Commission permanente présente un rapport annuel de synthèse au Parlement, au Gouvernement et aux assemblées générales des sociétés. Son contenu figure entre autres sur les sites internet de la Cour des comptes et du ministère chargé de la culture.

La Commission permanente n’entend pas se substituer aux organes de décision des sociétés, qui ne peuvent donc considérer les observations formulées dans les rapports comme une restriction des pouvoirs qu’ils tiennent de la loi et de leurs statuts. Nos remarques sont destinées à assurer l’information indispensable et à suggérer d’éventuelles rectifications. La plupart des sociétés, en particulier la SACD, en reconnaissent l’intérêt et en font bon usage. D’autres se montrent plus réticentes, considérant, à tort, les constats et les recommandations de la Commission permanente comme des empiétements sur leurs compétences.

Le contrôle de la Cour des comptes a été d’emblée écarté, notamment à la demande de la SACEM. La Haute juridiction se limite à héberger la Commission permanente et à assurer son secrétariat. L’organisation et le fonctionnement de celle-ci sont proches de ceux de la Cour, mais sont dépourvus de pouvoirs juridictionnels. Il ne faut donc pas confondre les deux instances, comme cela arrive trop souvent.

La Commission permanente constitue un organisme collégial dont les membres, proposés par leur chef de corps ou par leur ministre, sont nommés pour cinq ans par décret : un conseiller maître à la Cour des comptes – président –, un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation, un membre de l’Inspection générale des finances et un membre de l’Inspection générale des affaires culturelles. Elle détermine de façon autonome le programme annuel de ses contrôles, qui comprend deux étapes : l’une concerne chaque société, l’autre le rapport annuel.

Dans les deux cas, elle respecte une procédure contradictoire : aucun de ses rapports n’est arrêté sans que les sociétés contrôlées aient pu, au préalable, fait connaître leurs observations écrites ou aient été auditionnées à leur demande. Les réponses des sociétés figurent toujours en annexe des rapports. Le débat étant ainsi clos, on peut s’étonner que le président du directoire de la SACEM ait exposé, devant l’assemblée générale de ses sociétaires, le 15 juin dernier, des arguments qu’il n’avait pas présentés à la Commission permanente en vue du rapport d’avril 2010. La démonstration que ses conclusions en auraient été modifiées n’a donc pas été apportée, s’agissant notamment des rémunérations des dirigeants de la société.

Le nombre élevé des sociétés d’auteurs et d’interprètes, caractéristique du système français, ainsi que leur étroite imbrication dans les mécanismes de perception et de répartition des droits a conduit la Commission permanente à adopter une approche à la fois globale et transversale de l’examen de leurs comptes sans négliger, pour autant, la situation propre de chacune d’elles. Il fallait toutefois tenir compte de ce que, au côté des sociétés ayant directement pour associés des ayants droit, coexistent neuf sociétés dites intermédiaires et regroupant elles-mêmes d’autres sociétés. En outre, les différentes SPRD appliquent des règles comptables spécifiques, qu’il a donc fallu harmoniser. Avec l’appui du Parlement, cet objectif n’a été atteint qu’en 2008. L’homogénéité des règles est devenue effective pour l’exercice 2009.

La Commission permanente a cependant pratiqué, depuis 2000, une analyse systématique des comptes de l’ensemble des sociétés, ce qui lui a permis, pour 2009, de présenter une synthèse des principaux flux et ratios financiers de chaque société. Ses rapports successifs permettent seuls de suivre les évolutions significatives de l’activité des sociétés, telles que décrites par leurs comptes, couvrant une période marquée par la numérisation des œuvres et de leurs modes d’accès, qui ont sensiblement modifié la gestion collective des droits.

L’examen de flux financiers pour la période de 2006 à 2008 fait ressortir des données globales méritant qu’on les rapproche de la situation de chaque société. N’incluant pas l’exercice 2009, dont les comptes n’étaient pas encore disponibles, il porte sur les perceptions, les montants dont les sociétés disposent en fin d’année, l’utilisation et les affectations des droits, les charges de gestion et de personnel, les dépenses d’intérêt général et la trésorerie.

La croissance des perceptions continue de se ralentir, en particulier pour les droits de reproduction mécanique et pour la copie privée sonore. Il se confirme ainsi que la poursuite à un rythme soutenu des avancées technologiques modifie profondément les usages culturels et les modes d’exploitation économique, comme en témoigne la crise de l’industrie discographique. Dans ces conditions, si la situation d’ensemble des SPRD n’est pas encore alarmante, les ressources de certaines d’entre elles souffrent d’une réelle incertitude.

En additionnant les perceptions de l’année et les restes des perceptions de l’année précédente, on obtient les montants disponibles de chacune des sociétés en début d’année. On constate alors que les sommes inutilisées en fin d’année demeurent toujours très supérieures à celles d’une année complète de perception. Parallèlement, les droits utilisés dépassent à peine la moitié des sommes disponibles, malgré la décélération des perceptions dont j’ai parlé. La Commission permanente souligne aussi le retard structurel des affectations aux ayants droit. Celles-ci ne représentent qu’un peu plus de 40 % des montants disponibles. On peut en conclure que certaines sociétés ne mobilisent pas suffisamment leurs réserves.

De 2006 à 2008, contrairement à ce qu’on observait depuis 2004, le poids des charges de gestion des perceptions s’est accru, en particulier dans les sociétés d’auteurs. Il faut relever ici la progression des charges de personnel alors que l’effectif salarié diminue. Pour financer leur gestion, les sociétés réduisent leurs prélèvements sur les perceptions, mais lui affectent une part croissante des produits financiers qu’elles tirent du placement de leur trésorerie. On peut qualifier celle-ci d’aisée car elle a progressé de plus de 20 % en moyenne entre 2006 et 2008. Les délais avec lesquelles les sommes disponibles sont réparties expliquent cette situation. La Commission permanente a constamment souligné que le choix d’affecter les produits de trésorerie au financement de la gestion plutôt qu’aux ayants droit, qui en sont pourtant les propriétaires, doit leur être expliqué afin que le coût complet des SPRD leur apparaisse clairement.

Le montant des dépenses d’intérêt général, destinées à l’action culturelle et artistique, mission très importante de la gestion collective des droits, progresse un peu plus vite que les perceptions. Mais leur part, de l’ordre de 8,5 % en moyenne, est très variable d’une société à l’autre, ce que retracent les tableaux figurant dans le rapport.

Outre cet examen des comptes et de la situation financière des sociétés auquel procède la Commission permanente tous les deux ans, nous retenons chaque année des thèmes de contrôle portant sur la gestion des sociétés elles-mêmes. À cet effet, nous leur adressons des questionnaires et pratiquons des investigations sur pièces et sur place, menées par une équipe de huit à dix rapporteurs. Un échantillon représentatif des sociétés est arrêté selon les sujets. Compte tenu de leur poids économique, la SACEM, la SDRM et la SACD ont toujours figuré sur la liste.

La Commission permanente a consacré son premier rapport aux méthodes comptables et aux flux financiers des SPRD. Le deuxième a traité de trois thèmes : les charges de gestion, les aides accordées à l’action artistique et culturelle et la participation des associés à la gestion.

De 2006 à 2010, les thèmes suivants ont été successivement examinés : la répartition des droits, en 2006 ; leur perception, en 2007 ; les relations des sociétés avec leurs homologues étrangères, en 2007 ; l’action artistique et culturelle, en 2008 ; la trésorerie, en 2009 ; enfin les rémunérations et la politique salariale, en 2010.

En outre, notre dernier rapport a exposé, de manière ponctuelle, une grave affaire de fausses déclarations dont la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) a été victime de la part de l’un de ses associés. La Commission permanente peut, en effet, décider de contrôler une société sur un point particulier.

Ses contrôles ne donnent pas seulement lieu à des constats et à des critiques, ils expriment aussi des recommandations précises. Deux années après les avoir formulées, la Commission permanente en examine les suites. Il est ainsi possible de mesurer et d’exposer les progrès accomplis et les obstacles rencontrés.

Trois réflexions prospectives me serviront de conclusion.

En premier lieu, on ne peut encore mesurer aujourd’hui les effets des dispositions législatives et réglementaires prises pour réprimer le téléchargement illégal. Mais la chute continue du marché phonographique remet aussi en cause les relations nouées entre, d’un côté, la SDRM, société étroitement liée à la SACEM, et, de l’autre, la SACD et la SCAM. Or, ces relations constituent un élément caractéristique de notre système de gestion collective. En outre, la mission présidée par M. Patrick Zelnik, sur le thème « Création et Internet », a, d’une part, exposé les moyens de développer l’offre légale de musique sur internet, encore bien hésitante, et, d’autre part, recommandé de créer, dans le secteur numérique, un nouveau système de gestion collective obligatoire par les SPRD des droits exclusifs des producteurs et des artistes-interprètes. Sur ce sujet, une médiation a été confiée à M. Emmanuel Hoog pour rapprocher les points de vue divergents des professionnels concernés. D’un côté, on trouve les producteurs de phonogrammes opposés à la gestion collective des droits sur internet, de l’autre les artistes-interprètes qui souhaitent l’apparition et le développement d’une offre légale, qu’ils considèrent comme essentielle pour l’avenir de la diffusion de leurs œuvres.

En deuxième lieu, le contrôle de la Commission permanente sur les relations des SPRD françaises avec leurs homologues étrangères a montré à quel point la gestion collective des droits était affectée par sa dimension internationale, plus particulièrement européenne. Dans ce cadre, non seulement le régime de la rémunération pour copie privée, mais aussi le caractère quasi monopolistique de fait des SPRD à la française se trouvent contestés. L’application du principe de la libre concurrence, fondement de l’Union européenne, est de nature à bousculer nos pratiques nationales. Mais la position de la Commission européenne gagnerait à être clarifiée concernant les droits d’auteur sur internet.

En troisième lieu, l’organisation de la gestion collective à la française est source d’interrogations. La France combine, sur un mode historique que l’on se plaît à faire remonter à Beaumarchais, étendard de la SACD, une extrême spécialisation des sociétés par type de droits et une forte mutualisation des moyens, notamment en personnels, pour en collecter la perception. C’est ce qui explique le nombre très élevé des SPRD, dont certaines n’exercent qu’une faible activité, et le rôle central de la SACEM, dotée d’un fort réseau territorial, d’ailleurs en cours de réorganisation. Les moyens de cette société servent ainsi à percevoir les droits destinés à ses propres associés et à en collecter pour d’autres sociétés qui lui en ont confié le mandat.

À l’occasion de son dernier rapport, qui traitait en particulier de la politique salariale et des rémunérations au sein des sociétés de perception et de répartition des droits, la Commission permanente a voulu rapprocher les données propres à la comptabilité de chaque société concernant les facturations et les prélèvements opérés par d’autres sociétés pour les prestations effectuées à leur profit. Elle a ainsi constaté qu’un tel exercice, nécessaire pour justifier les tarifs et les coûts supportés, se révélait malaisé, voire impossible, en l’état actuel de l’information dont les sociétés disposent elles-mêmes. La SACEM, principal prestataire de services pour le reste des organismes de gestion collective, n’a pu fournir qu’une estimation forfaitaire et globale des charges de personnel s’y appliquant, et a indiqué qu’elle n’avait pas, jusqu’à présent, retenu comme prioritaire l’établissement d’une gestion analytique des coûts permettant de fonder avec plus d’exactitude et d’objectivité ses facturations directes ou indirectes à d’autres sociétés. Elle a néanmoins indiqué vouloir progresser dans cette voie. Et aucune des sociétés destinataires de ses prestations n’a pu évaluer la charge salariale correspondante, au-delà des barèmes des prélèvements applicables. Cela signifie que ni la SACEM ni les sociétés tributaires de ses prestations ne se sont préoccupées de fonder la rémunération de ce type de service sur une comptabilité analytique, notamment des moyens en personnels. Concernant des montants bien moindres, la situation est comparable pour les tâches effectuées par la SACD au bénéfice d’autres sociétés.

L’absence de telles bases objectives expose les barèmes en vigueur au risque de ne refléter que l’inégale force de négociation des parties. Elle prive en outre les associés de chaque société d’une appréciation complète et vérifiable de l’ensemble des frais de structure et des charges de personnel justifiant les prélèvements de gestion qui grèvent, en cascade, les montants des droits mis en répartition. Elle ne permet pas davantage de s’assurer que les économies d’échelle, censées résulter de la mutualisation des moyens entre sociétés, sont réelles et équitablement redistribuées. Les progrès que la SACEM entend réaliser, grâce à son remarquable, bien que tardif, effort de modernisation et de réorganisation, rendent indispensable une plus grande clarté en ce domaine. C’est pourquoi, la Commission permanente a retenu comme thème spécifique de sa campagne de contrôle, pour avril 2011, l’analyse détaillée du système des refacturations entre les sociétés. On se situe là au centre du système de la gestion collective des droits.

M. Marcel Rogemont. Pour avoir, avec d’autres collègues, poussé au vote de la loi de 2000, et à ce que soit en particulier effectué le contrôle des sociétés d’auteurs, je me félicite des rapports successifs de la Commission permanente qui permettent à la représentation nationale de disposer ainsi d’une meilleure appréciation à la fois du fonctionnement du système et des flux financiers correspondants.

S’il n’y avait qu’une seule question à soulever sur l’ensemble des sept rapports successifs de la Commission permanente, quelle serait, selon vous, la plus importante, celle sur laquelle notre attention de législateur devrait porter en priorité ?

Le rapport publié en avril dernier traite de la question des rémunérations des dirigeants des SPRD. Concernant la SACEM, les cinq plus élevées atteignent, en moyenne, 364 000 euros. Pouvez-vous nous indiquer le montant de la première d’entre elles ? Il est en effet curieux de constater que ces cinq rémunérations sont très supérieures aux autres, de l’ordre du double de celles relevées à la SACD, même si celle-ci compte moins d’ayants droit.

Avez-vous l’impression que les adhérents disposent d’une réelle maîtrise du fonctionnement de leur société ? Pour en avoir discuté avec certains d’entre eux, j’ai le sentiment d’une certaine opacité. Des initiatives seraient-elles à prendre pour améliorer l’information des associés ?

Par ailleurs, comment expliquez-vous que des sommes aussi importantes – de l’ordre de 760 millions d’euros de droits perçus à la SACEM et de 1,34 milliard d’euros en réserves – restent non distribuées ? S’agit-il de montants qui n’ont pas été distribués alors qu’ils auraient dû l’être, ou bien de sommes affectées à d’autres utilisations, par exemple des pensions de retraite ? Le taux de retour par rapport aux perceptions me paraît assez faible, surtout pour certaines sociétés, où il avoisine les 40 %.

Au regard de l’Union européenne, la multiplication des SPRD pose peut-être un problème. Le législateur devrait-il intervenir en la matière ? Quelles initiatives seraient éventuellement à prendre pour réduire le nombre de sociétés dès lors que la mutualisation des moyens le permettrait ?

Mme Colette Langlade. Vous avez mentionné un ralentissement de la croissance des perceptions des droits de reproduction et une incertitude sur l’affectation des ressources. Vous avez également fait état de montants disponibles en fin d’année qui demeuraient toujours positifs. Pour quelle raison ?

Vous avez indiqué un retard des versements, au détriment des ayants droit, pour environ 40 % du disponible, et estimé que les sociétés ne mobilisaient pas suffisamment leurs réserves. Comment peut-on améliorer le système ? Les sociétés s’investissent-elles suffisamment ou existe-t-il un problème également du côté des ayants droit ?

Le rapport évoque des disparités salariales entre hommes et femmes dans les SPRD. Il mentionne aussi une augmentation des frais de personnel en face d’une diminution du nombre de salariés. Il semblerait que soient en cause les salaires des hommes plutôt que ceux de femmes. Qu’en est-il en réalité ?

M. Patrick Bloche. Je suis heureux de cet échange direct qui, à ma connaissance, n’avait jamais été effectué. J’en remercie la présidente de notre Commission.

Comme dans le film de l’arroseur arrosé, c’est le souci de transparence du législateur qui a abouti, lors du débat parlementaire ayant conduit à la création de la Commission permanente, à la formule finalement arrêtée. Cet objectif demeure, en tant que principe et revendication d’une société démocratique.

Nombre de sociétaires des SPRD que nous rencontrons, nous interpellent sur le maigre revenu – ou la maigre restitution – qui leur est alloué. Les frais de gestion des sociétés d’auteurs et d’autres ayants droit ne sont-ils pas excessifs, réduisant de ce fait les sommes restituées ?

Les SPRD évoquent souvent la redevance pour copie privée et le pourcentage de 25 % des sommes collectées affecté à l’action culturelle, considérant que, par ce mécanisme, elles participent au financement de la politique culturelle. Avez-vous été conduit, pour ce rapport ou pour d’autres, à examiner comment le produit de la redevance pour copie privée était attribué, selon quelles règles de transparence et avec quelle objectivité ?

Bien qu’il s’agisse d’un autre débat, des échos nous parviennent selon lesquels la Commission européenne s’intéresserait de près aux SPRD. Elle remet par ailleurs régulièrement en cause l’existence de la rémunération pour copie privée. Que faut-il en penser ?

Faut-il adapter la loi afin que vous puissiez travailler avec plus d’efficacité encore, aller plus loin dans vos investigations et que, ensemble, nous fassions encore progresser la transparence ?

M. Michel Pajon. Le taux de perception varie selon l’organisme collecteur et selon l’accord passé entre l’organisme et l’auteur ou entre l’organisme et le représentant de l’organisateur – syndicats ou producteurs de spectacles, par exemple. Ne vous semblerait-il pas nécessaire de procéder à une clarification des taux applicables, afin de les rendre moins opaques, moins aléatoires et donc plus lisibles pour les utilisateurs – je pense plus particulièrement aux théâtres municipaux ? Il est en effet très difficile de connaître très précisément en amont, c’est-à-dire lors de l’achat d’un spectacle, le montant à régler auprès de ces organismes et, par conséquent, les coûts propres à chaque représentation.

Par ailleurs, comment se fait-il que les bénéficiaires théoriques des SPRD ne défendent pas mieux leurs intérêts alors que ces structures semblent ne pas redistribuer avec suffisamment d’efficacité l’argent qu’elles prélèvent ?

M. Hervé Féron. Je souhaite revenir sur l’organisation de la gestion collective en France, rendue complexe par l’existence de sociétés intermédiaires. L’usine à gaz que vous décrivez, monsieur Menasseyre, génère des frais de gestion astronomiques. Dans cet amas de sociétés organisées en poupées russes, chacune facture ses services à l’autre, diminuant de fait la part qui revient aux artistes. La Commission permanente dénonce ce fonctionnement depuis plusieurs années sans qu’un changement ait lieu pour autant. Alors que le montant des perceptions est en baisse, pensez-vous que le législateur devrait intervenir pour que la gestion collective profite aux artistes, et non aux sociétés qui collectent et redistribuent ?

Dans votre rapport, vous pointez l’absence de comptabilité analytique. Vous écrivez « qu’un exercice aussi simple et nécessaire du point de la vérité des tarifs et des coûts s’avérait impossible en l’état actuel de l’information des sociétés elles-mêmes ». Ces dernières organisent elles-mêmes le brouillard qui conduit aux notes de frais que vous constatez. L’État ne devrait-il pas contraindre ces sociétés à organiser une économie de gestion et la transparence de leurs frais ?

Quant à la rémunération des dirigeants des sociétés de gestion, celle-ci ne connaît apparemment pas la crise ! Pourquoi la Commission permanente n’a-t-elle pas jugé utile de diffuser le montant exact de ces rémunérations ? Les chiffres que l’on peut lire sont toutefois déjà édifiants : « La rémunération la plus élevée, celle du Président du directoire de la SACEM, se situe à plus de 87 % au-dessus de celle qui la suit immédiatement au sein de sa propre société ». Alors que l’industrie du disque affiche un marché en baisse de plus de 50 % en cinq ans, « pour l’ensemble des sociétés, la croissance moyenne des [...] principales rémunérations a crû d’environ 9 % entre 2005 et 2008, et de près de 10,3 % si l’on s’en tient aux cinq principales d’entre elles pour toutes les sociétés ». La Commission permanente a-t-elle pu trouver une réelle justification à la flambée des rémunérations des cadres dirigeants ?

Toujours dans le septième rapport de la Commission permanente, on apprend, page 237, qu’« un cadre dirigeant licencié en 2008 s’est vu octroyer une indemnité de licenciement de plus de 30 000 euros et une indemnité transactionnelle brute de 213 600 euros », la SACEM ayant fait valoir, pour expliquer le choix de la voie transactionnelle, que celle-ci « avait pour objet d’éviter le déclenchement de procédures judiciaires pouvant potentiellement [lui] nuire ». Or, on peut lire sur le site de France Info que, selon vous, « peut-être ce personnage avait-il beaucoup de choses à dénoncer dans l’hypothèse d’un procès ». Que sous-entendiez-vous ?

Enfin, ces sociétés financent avec des fonds non reversés aux ayants droit des actions artistiques et culturelles. Vous préconisez une harmonisation des critères de choix et des pratiques déontologiques. Avez-vous constaté, là aussi, des pratiques non conformes avec le droit ou l’éthique ?

M. Alain Marc. Les petits organisateurs de spectacles – associations de la loi de 1901, comités des fêtes, associations de parents d’élèves, etc. – ont parfois du mal à comprendre les critères qui président au prélèvement et au reversement des droits, et il faut reconnaître qu’un grand flou existe en la matière. La Commission permanente ne pourrait-elle pas obliger la SACEM, par exemple, à être beaucoup plus précise en la matière, car ces organisateurs n’agissent pas dans leur intérêt personnel ?

Mme Françoise Imbert. Dans votre rapport, vous pointez la forte inégalité salariale entre femmes et hommes que vient d’évoquer ma collègue Colette Langlade. Quelle solution préconisez-vous pour faire évoluer cette délicate question de la rémunération des dirigeants ? La définition d’une politique salariale doit-elle être recommandée aux différentes sociétés ? Quelle est la marge de manœuvre de la Commission permanente en ce domaine ?

Par ailleurs, on parle depuis plusieurs années de la crise de l’industrie discographique et du piratage des œuvres. Moins de droits seraient collectés par les sociétés et moins de revenus seraient reversés aux auteurs. Qu’en est-il ? Quelles sont les perspectives prévisibles dans ce secteur ?

M. Bernard Menasseyre. La question de M. Rogemont renvoie à l’esprit même de la création de la Commission permanente par la loi de 2000, à savoir que c’est par la clarté des informations données aux principaux acteurs que sont les sociétaires et les pouvoirs publics, dont le ministère, que l’on peut espérer changer les choses. Par sa seule vertu, l’explication donne en effet aux sociétaires l’occasion de demander des comptes.

Dans cet exercice de contrôle public sur des sociétés de droit privé, régies par le code civil, la situation, en dépit des obstacles rencontrés, a incontestablement progressé en dix ans : les dialogues se sont noués et les sociétés sont moins réticentes. Nous avons d’ailleurs formulé des recommandations très précises, qui feront l’objet d’une analyse. Ainsi, nous avons consacré une partie de notre rapport à l’action artistique et culturelle, évoquée par M. Bloche, en rappelant, en matière de copie privée, les dispositions du code de la propriété intellectuelle et en insistant sur les conflits d’intérêt pouvant naître de la distribution des aides. Le prochain rapport annuel, qui sortira au mois d’avril 2011, fera à cet égard état des problèmes qui auront été résolus avec certaines sociétés et des obstacles que certaines autres continuent à élever contre la mise en œuvre de nos propositions.

À ce propos, je tiens à appeler votre attention sur un sujet très technique : certaines sociétés imputent des frais de gestion sur les crédits d’action artistique et culturelle alors que d’autres les prennent en charge sur leur budget général, considérant qu’il leur revient de donner tout son élan à l’action artistique. Cette différence d’appréciation justifierait peut-être l’intervention du législateur. La Commission permanente n’est qu’une instance dépourvue de moyens autres que ceux d’informer, et elle a besoin des relais que sont les sociétaires et les pouvoirs publics, au nombre desquels figure le Parlement – sans oublier le ministère, acteur peut-être un peu lointain et que je souhaiterais plus présent…

M. Rogemont et Mme Langlade m’ont également interrogé sur l’importance des sommes disponibles en fin d’année, question qui intéresse toute la gestion collective, qu’il s’agisse de la rémunération ou de la répartition des droits, cette dernière n’étant pas toujours d’un exercice très aisé. Pour prendre l’exemple des sociétés d’artistes-interprètes, il est parfois très difficile d’identifier certains bénéficiaires, ce qui est tout aussi vrai pour le multimédia où il est parfois difficile de suivre les diffusions sur certaines chaînes de télévision, surtout lorsqu’il s’agit de celles, nouvelles, de la télévision numérique terrestre.

Les SPRD, notamment la SCAM, s’efforcent de repérer, pour toute prestation qui mérite d’être rémunérée, les ayants droit. Il n’en reste pas moins que les sommes qui ne sont pas réparties servent, comme le montre la partie de notre rapport relative à la trésorerie, à alimenter les fonds placés par les sociétés – dans des conditions qui mériteraient d’ailleurs d’être mieux présentées aux associés. Le fait de ne pas trop accélérer les répartitions peut en effet donner le sentiment qu’il s’agit là d’un moyen d’augmenter les produits financiers pour les affecter au financement de la gestion.

La Commission permanente a indiqué à plusieurs reprises que les sociétés, quand elles présentent leurs frais de gestion, devraient faire apparaître non seulement ce qui relève des prélèvements, mais aussi ce qui provient du produit des fonds placés. Cette présentation globale permettrait d’appréhender le coût complet de la gestion.

M. Christian Phéline, rapporteur général de la Commission de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Pour faciliter mes réponses, je regrouperai les questions posées en quatre chapitres : l’organisation d’ensemble de la gestion collective à la française, et les raisons de sa complexité particulière ; les rémunérations des principaux dirigeants et la parité hommes-femmes ; la gestion et ses coûts ; enfin les utilisateurs, qui contestent parfois le niveau ou la complexité des frais de gestion. Toutes ces questions entrent bien dans le champ d’un organisme de contrôle comme le nôtre, dont la mission principale est d’informer et de conduire les sociétés elles-mêmes, leurs ayants droit et les représentants de la Nation à réfléchir sur l’efficacité d’un système dont le principe n’est d’ailleurs contesté par personne.

Si l’organisation des sociétés est complexe, cela résulte d’abord de la libre délibération des associés, à laquelle nos recommandations ne sauraient se substituer, même si le législateur a pu jouer un rôle en la matière – la loi de 1985, qui a instauré diverses licences légales correspondant à des utilisations nouvelles ou à des ayants droit nouveaux avec les droits voisins, a incité voire obligé les sociétés de gestion collective à s’organiser pour les prendre en charge.

Cette complexité résulte du croisement de deux préoccupations des associés ou des sociétés : d’une part, constituer, face à des droits nouveaux ou à de nouveaux bénéficiaires de licences légales existantes, une société, voire plusieurs sociétés spécialisées pour chaque droit ou pour chaque catégorie d’ayants droit ; d’autre part, mutualiser au contraire leurs moyens, chaque fois que cela est possible ou paraît plus efficace, afin de faire prendre en charge par les plus grosses sociétés des opérations de collecte au bénéfice des plus petites, lesquelles n’ont alors plus qu’à se charger de la répartition.

Nous avons souvent souligné que cette complexité était parfois excessive ou entraînait, même quand elle était justifiée, le risque d’une absence de transparence du fait de frais de gestion en cascade. Ces observations ont parfois été mal comprises alors qu’il n’était pas question pour nous de remettre en cause l’objectif poursuivi – une meilleure économie d’ensemble et une mutualisation des moyens – ou le fait que la SACEM assure toute une série de tâches pour d’autres sociétés intermédiaires ou d’ayants droit. Nos remarques, en tout état de cause, restent actuelles.

Il en va ainsi de celle relative aux sociétés qui avaient été créées pour des droits ou des catégories d’ayants droit spécifiques, mais qui, pour avoir trop anticipé la suite, n’avaient qu’une existence très formelle : cela devait conduire à réfléchir sur leur capacité à perdurer.

Par ailleurs, certaines complexités étaient sans doute évitables. Tel est le cas pour une société, sans moyens propres, qui s’en remet à la SACEM – ce que nous ne contestons pas – pour percevoir la rémunération pour copie privée, sonore et audiovisuelle. Certes, la loi l’autorise, mais cette distinction apparaît comme de plus en plus artificielle dans la mesure où ces deux sociétés finissent par avoir entre elles des échanges financiers complexes. Notre observation a été contestée, mais elle n’était sans doute pas dénuée de fondement puisque, finalement, il a été décidé de les fusionner.

De la même façon, nous avons présenté des observations sur la complexité de l’intervention de la Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique des auteurs (SDRM), qui assure la collecte de ce droit et de la rémunération pour copie privée. L’un d’entre vous a déploré qu’aucun changement n’ait eu lieu. Pourtant, deux importantes sociétés d’auteurs, historiquement associées depuis le début de leur existence à la SDRM, ont décidé de s’en retirer avec toutes les conséquences qui en découleront pour elles en termes de collecte des droits de reproduction mécanique et de rémunération pour copie privée.

Enfin, nous avons signalé que, dans un système aussi compliqué, avec une cascade de sociétés intermédiaires, les ayants droit finaux et les sociétés elles-mêmes risquaient d’avoir le plus grand mal à connaître l’effet cumulé de l’ensemble des prélèvements. À chaque étape, on a en effet tendance à oublier ce qui a été fait antérieurement et à ne voir que le taux de prélèvement au niveau de sa société. Dans ces conditions, les ayants droit n’ont pas forcément une visibilité d’ensemble des prélèvements qui s’opèrent tout au long de la filière.

Le président de la Commission permanente a déjà abordé les questions salariales. Nous avons effectivement trouvé intéressant d’appeler l’attention sur la disparité entre les hommes et les femmes, aussi bien en termes de niveau de responsabilités que de salaires. La situation diffère cependant selon les sociétés. C’est ainsi que la SACEM nous a indiqué, quand nous l’avons contrôlée, qu’elle avait déjà passé un accord en la matière, dont elle attendait de nombreuses améliorations. Nous aurons l’occasion, lors d’un prochain contrôle, d’apprécier la portée des dispositions prises.

Quant à la diminution des effectifs et à la poursuite de la croissance de la masse salariale, ce phénomène est-il lié à la disparité salariale entre les hommes et les femmes ? Je crois que non. D’une part, la diminution des effectifs est l’indice d’un très réel effort de restructuration et de productivité dans les sociétés, notamment à la SACEM. D’autre part, la poursuite de la croissance de la masse salariale ne tient pas à un effet d’inflation particulier sur cette période, qui aurait été marquée par une relance des rémunérations individuelles. Elle tient, pour l’essentiel, aux départs en retraite. Les entreprises ont tendance à profiter du renouvellement des générations pour mettre au point une organisation plus performante, qu’il s’agisse d’une réorganisation territoriale ou d’une amélioration des systèmes informatiques.

S’agissant des salaires, nous avons présenté des observations sur des transactions individuelles. S’il n’y a pas lieu de commenter outre mesure ces accords privés, il nous a cependant semblé important que les associés aient connaissance de certaines pratiques, lorsqu’elles sont insuffisamment justifiées.

Pour ce qui est des frais de gestion, je ne reviendrai pas sur l’explication donnée par le président de la Commission permanente sur l’ampleur de la trésorerie, sachant que certains chiffres sont interprétés de façon fallacieuse, notamment sur internet : si l’on peut y lire que le montant disponible en fin d’année représente environ deux fois les perceptions de l’année, certains en concluent que, lorsqu’elles perçoivent un euro, les sociétés en gardent pour elles la moitié et ne distribuent aux ayants droit que l’autre moitié. C’est confondre répartition et taux de gestion – à savoir ce que coûte la structure par rapport à ce qui est distribué aux ayants droit.

Il n’en reste pas moins que cette trésorerie importante est le reflet des délais nécessaires pour assurer les opérations allant de la perception à la répartition individuelle aux ayants droit, au niveau de chaque société. Ces délais s’expliquent par la difficulté de ces opérations – même si des gains de productivité sont toujours possibles.

Les provisions sociales sont pratiquées par les sociétés lorsqu’elles sont nécessaires. Mais elles n’expliquent pas, à elles seules, la situation. Un autre élément, qui a fait à plusieurs reprises l’objet des observations de la Commission permanente, doit être pris en considération : l’effet de trésorerie qui résulte, non pas de la répartition des droits eux-mêmes vis-à-vis des ayants droit, mais de la mise en réserve, volontaire ou de fait, de ressources affectées, selon le vœu du législateur, à l’action artistique et culturelle. Là encore, une certaine inertie est normale, entre l’affectation annuelle des ressources obligatoires à l’action artistique et culturelle et leur bonne utilisation, qui suppose de recueillir des projets, de les analyser et de mettre en œuvre les décisions prises. Cela justifie une certaine marge de trésorerie.

Nous avons néanmoins observé que certaines sociétés pratiquaient une politique de mise en réserve de ces ressources, l’argument avancé étant le « lissage » de la ressource afin de mieux l’utiliser. Il est en effet de bonne gestion d’éviter les coups d’accordéon et d’assurer une utilisation régulière des fonds qui peuvent connaître des pics ou des creux. Cela dit, l’argument est parfois poussé plus loin : dans un contexte d’incertitude de la ressource, où la copie privée pourrait connaître une inflexion tendancielle durable, ces sociétés souhaitent se prémunir contre ce risque par une mise en réserve importante. Cette réaction est assez illusoire : s’il y a une tendance durable à la baisse, le fait d’avoir constitué ces réserves ne leur fera gagner que quelques années. Il faut apporter des réponses structurelles à cette question, et pas une réponse de gestion. Par ailleurs, le législateur a très clairement indiqué que les ressources devaient être « utilisées ». Nous entendons qu’elles le soient dans un délai raisonnable. Les sociétés n’ont donc pas à décider de les mettre en réserve durablement, pour des motifs mêmes légitimes.

Le taux de perception est-il excessif ? Nous essayons de l’analyser et nous enregistrons les efforts d’organisation que font les sociétés – notamment la SACEM, dans son réseau territorial. Ce sera ensuite aux associés d’apprécier si ces efforts sont menés à un rythme suffisant.

S’agissant des taux, je vous invite malgré tout à faire preuve de beaucoup de prudence. Il est très difficile de faire des comparaisons entre les sociétés, qui n’ont pas les mêmes frais de gestion, de personnel, et qui n’assurent pas les mêmes tâches. Par exemple, la SACEM, avec ses 1 500 salariés, son réseau territorial, assure des tâches de perception et de répartition pour ses propres ayants droit – le monde de la musique – et assure par mandat des tâches de collecte qui bénéficient à l’ensemble du système en matière de copie privée, de rémunération équitable et de droits de reproduction mécanique ; elle agit alors sur ses moyens propres, et contre rémunération, pour la SDRM, pour Sorecop, pour Copie France, etc. C’est pourquoi, dans nos tableaux relatifs aux rémunérations, nous calculons deux taux de gestion pour la SACEM – pour elle-même et par rapport à l’ensemble de ses tâches de perception. À l’inverse, à l’autre bout de la filière, on trouve des sociétés plus petites dont les tâches de collecte peuvent être assurées contre rémunération par d’autres sociétés ; l’essentiel des tâches de leur personnel propre est d’assurer la répartition individuelle, laquelle peut d’ailleurs être extrêmement complexe. Ces ratios sont donc objectifs, mais leur interprétation doit être faite de façon circonstanciée.

Vous avez enfin évoqué le niveau des barèmes, leur complexité et leur manque de lisibilité, auxquels se heurtent certains utilisateurs – associatifs, théâtres, etc.

Il faut savoir que les taux de perception ont une origine différente selon les droits dont on parle. Pour certaines licences légales, les barèmes résultent de débats au sein de commissions administratives où les points de vue en présence se confrontent et sont arbitrés, comme c’est le cas pour la copie privée. Ces procédures sont légitimes ; elles sont censées permettre d’établir le meilleur barème à un moment donné. Dans le domaine de la gestion collective volontaire, les associés s’en remettent aux sociétés pour négocier des barèmes, assurer la collecte et la répartition. Cela résulte là encore de négociations et d’accords. Mais ceux-ci sont d’une autre nature, puisqu’ils sont conduits par les sociétés elles-mêmes.

Bien évidemment, le point de vue des utilisateurs doit être entendu. Mais c’est plutôt à la SACEM elle-même – puisque c’est principalement d’elle qu’il s’agit – qu’il faudrait s’adresser pour connaître les évolutions qu’elle peut envisager, pour la rendre sensible à la situation difficile de certains domaines d’exploitation, et pour obtenir – ce qui rejoint notre propre préoccupation – que les barèmes soient lisibles pour tout le monde : les utilisateurs, les ayants droit et les sociétés elles-mêmes. Les systèmes en vigueur sont en effet souvent peu connus par ceux qui les mettent en œuvre ou par leurs partenaires au sein de la gestion collective.

M. Jacques Grosperrin, président. Merci pour l’ensemble des réponses que vous avez apportées à la Commission.

Présidence de M. Michel Herbillon, vice-président.

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend ensuite M. Claude Lemesle, président du conseil d’administration de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), et M. Bernard Miyet, président du directoire, accompagnés par MM. Claude Gaillard et Jean-Luc Vialla, membres du directoire, sur la gestion collective des droits d’auteur et droits voisins.

M. Michel Herbillon, président. En l’absence de la présidente de notre Commission, Mme Michèle Tabarot, que je vous prie d’excuser, je souhaite la bienvenue à M. Claude Lemesle, président du conseil d’administration de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), et à M. Bernard Miyet, président du directoire, accompagnés par deux membres du directoire, MM. Jean-Luc Vialla, directeur de la gestion, et Claude Gaillard, directeur des relations avec les sociétaires.

Cette audition s’inscrit dans une série consacrée à la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins, question sur laquelle l’actualité est aujourd’hui soutenue.

La France a toujours été pionnière en matière de défense de la création. L’année 2010 marque le dixième anniversaire de la loi du 1er août 2000, dite loi Tasca, qui a mis en place la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, dont nous venons d’entendre le président et le rapporteur général. Messieurs, nous serons très intéressés par le bilan que vous tirez des dix dernières années : la mise en œuvre de la loi a-t-elle permis de répondre à l’objectif visé, à savoir garantir la transparence du fonctionnement des sociétés de droits dans leurs missions de perception et de répartition ?

Par ailleurs, les évolutions de l’environnement économique et technologique du secteur de la création ont des répercussions directes sur la gestion collective. Vous qui êtes représentants des ayants droit, quelle est votre approche de la loi Hadopi ? De quels moyens vous dotez-vous pour vous adapter à l’univers numérique ? À cet égard, nous avons noté avec intérêt l’accord auquel vous êtes parvenus en septembre avec la société YouTube.

Quel avis portez-vous sur la gestion collective des droits préconisée par le rapport Zelnik-Cerutti-Toubon ?

Enfin, comment jugez-vous les initiatives européennes qui s’annoncent pour créer un marché unique des droits, voire des guichets uniques pour favoriser le développement des offres légales en ligne ?

M. Claude Lemesle, président du conseil d’administration de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Merci, mesdames et messieurs les députés, de nous permettre de dialoguer avec vous de notre principal objet, le droit d’auteur, ce droit de l’homme institué, pour la première fois au monde, par l’Assemblée constituante le 19 janvier 1791.

Par principe, le président du conseil d’administration de la SACEM est un créateur. Je n’échappe pas à la règle : j’ai composé des chansons pour une centaine d’artistes, parmi lesquels Joe Dassin, Serge Reggiani, Gilbert Bécaud, Nana Mouskouri, Michel Sardou, Michel Fugain, Gilbert Montagné, Roberto Alagna ou encore Dalida.

J’ai été élu en juin dernier à la tête du conseil d’administration. Depuis sa création, le 30 janvier 1851, notre société présente la caractéristique assez originale d’être autogérée par les créateurs : ce sont les auteurs, les compositeurs et les éditeurs qui la gouvernent. Ce sont eux, en conséquence, qui nomment et révoquent le président du directoire et les cadres supérieurs.

La SACEM ne reçoit aucune subvention publique. Par ailleurs, nous, les créateurs, ne bénéficions pas d’une assurance chômage. Toute déstabilisation de la gestion collective entraînerait des conséquences dramatiques pour nos revenus, notre protection sociale, nos retraites, et l’avenir même de la création.

M. Bernard Miyet, président du directoire de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). La SACEM est le navire amiral de la vingtaine de sociétés de gestion collective de droits d’auteurs et de droits voisins. C’est la seule à être autogérée et dont les revenus des membres dépendent en quasi-totalité des sommes qui transitent par elle. Les revenus des adhérents des autres sociétés d’auteurs peuvent en effet provenir de deux sources : dans le secteur de l’audiovisuel, la moitié des revenus des créateurs provient du producteur, l’autre moitié seulement transitant par la gestion collective.

La SACEM est également la seule société de droits à gérer un répertoire mondial. Contrairement aux idées reçues, elle ne gère pas seulement celui de ses adhérents. Sur les 760 millions d’euros de perceptions qui lui sont propres, la SACEM en répartit 650 millions, soit 85 % des sommes collectées, auprès des auteurs, compositeurs et éditeurs du monde entier. Les sociétés de perception de droits sont reliées les unes aux autres par des accords de réciprocité : chacune d’entre elles confie à sa correspondante à l’étranger la gestion de l’ensemble de ses droits dans le pays dont elle relève. Dans la mesure où ces sociétés constituent des monopoles naturels, qui se sont imposés dans tous les pays, cette organisation permet d’ouvrir à tout exploitant, du plus petit au plus grand, le répertoire des œuvres mondiales avec simplicité et efficacité, dans des conditions de sécurité juridique absolue. Jusqu’à ce jour – car la politique de l’Union européenne remet en cause cette organisation – et comme ses correspondantes dans le monde, la SACEM offre à tout exploitant une autorisation portant sur le répertoire mondial et centralise les flux de revenus ensuite redistribués aux ayants droit du monde entier. Tel n’est pas le cas des autres sociétés d’auteurs : le positionnement international de la SACEM est unique en France.

Du fait de cette organisation, tous les répertoires sont négociés en même temps, validés dans une autorisation et ainsi dotés de la capacité d’être exploités. Ce mode de fonctionnement est aussi créateur d’une égalité de traitement de l’ensemble des ayants droit en matière de musique : le revenu qui revient à chacun d’eux, français ou étranger, est exactement le même sur chaque marché. La gestion collective et les accords de réciprocité conclus entre les sociétés d’auteurs écartent ainsi toute apparition du syndrome du « plombier polonais ». Cette organisation est essentielle tant pour la préservation de la diversité culturelle que pour la protection du revenu du répertoire français face au répertoire anglo-saxon – je n’évoquerai pas ici les petits répertoires linguistiques européens.

La SACEM est aussi la seule société d’auteurs dont la présence sur l’ensemble du territoire soit finement ramifiée. Chaque année, nous traitons de 620 000 à 650 000 contrats. Nous ne négocions pas seulement avec YouTube, monsieur le président, mais aussi avec le bar-tabac du coin ! Nous avons passé des accords avec iTunes et Amazon. Nous sommes aujourd’hui en pourparlers avec TF1 et France Télévisions.

Notre monopole naturel ne devant rien à la loi, son maintien nous impose des sujétions.

D’abord, il nous est impossible d’abuser de notre position dominante sous peine de nous retrouver devant les tribunaux. En conséquence, nous ne pouvons imposer nos tarifs : ils sont tous négociés, avec chacun de nos partenaires. Le talent des négociateurs, leur capacité à convaincre leurs interlocuteurs peut avoir pour conséquence, pour les créateurs, des différences de gains de plusieurs dizaines de millions d’euros.

Le reproche au terme duquel la SACEM aurait procédé à une hausse débridée des droits d’auteur est infondé. Leur caractère contractuel rend une telle démarche impossible. Le tarif qui a été multiplié par trois en trois ans, c’est celui de la « rémunération équitable », fixé, dans le cadre d’une économie plus administrée, par une commission administrative représentative des organismes d’artistes interprètes et de producteurs de disques ainsi que des utilisateurs, et présidée par un magistrat de la Cour des comptes. Ce qui a augmenté, ce ne sont donc pas les droits d’auteur, mais les droits voisins, du fait d’une décision à caractère administratif.

Son monopole naturel interdit aussi à la SACEM tout comportement discriminatoire. Dans une catégorie donnée, tous les exploitants, quelle que soit leur taille, ont la faculté d’obtenir les mêmes conditions d’accès au répertoire des œuvres musicales.

En 2001, l’Union européenne a adopté une directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. La France a attendu dix ans pour la transposer, par la loi Hadopi ! Pendant ce temps, 60 % du marché phonographique ont disparu, sans compensation. Les gains obtenus grâce à l’évolution du marché de l’internet n’ont en effet représenté que 10 % des pertes subies. En 2009, le marché phonographique ne représentait plus que 11 % du montant des droits que nous percevons, alors qu’il en représentait 21 % en 2003. Depuis cinq ans, les revenus de la SACEM stagnent ; en euros constants, ils ont diminué de 5 %.

Le seul secteur qui, sur internet, n’ait fait l’objet d’aucune mesure d’aide ou de soutien, c’est celui des droits des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Au contraire, pour soutenir la production audiovisuelle et la fiction, l’État a créé le Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP). En même temps, la « rémunération équitable » en faveur des producteurs et artistes interprètes a été multipliée par trois, et un crédit d’impôt institué.

Pour préserver la part des sociétaires dans cette situation de stagnation, notre gestion doit être rigoureuse. Nous avons donc dû procéder à des réductions d’emplois : en quatre ans, notre effectif en contrat à durée indéterminé est passé de 1 520 à 1 400 salariés. Avec la restructuration de notre réseau au cours des années à venir, ce mouvement va continuer, de façon à préserver l’équilibre entre rémunération des ayants droit et financement de la gestion.

Chaque année, nous gérons non seulement 620 000 contrats, mais aussi entre 5 000 et 7 000 sociétaires nouveaux et 250 000 œuvres françaises nouvelles enregistrées. Notre base de données comprend 40 millions d’œuvres. Nous collectons et exploitons aussi des milliards d’informations ; nous analysons à la seconde ce qui est diffusé sur les radios et télévisions ; 80 % de nos répartitions sont effectuées sur la base de programmes précis. Nous ne nous contentons d’approches analogiques que lorsque le coût de gestion des données serait supérieur aux droits à répartir.

Le système de répartition de la SACEM est reconnu dans le monde entier comme le plus précis et le plus transparent. Toutes les règles en sont disponibles sur son portail à l’intention de ses membres. Si vous le souhaitez, nous vous les communiquerons sur support papier.

Non seulement internet ne nous rapporte rien – 1 % de nos rentrées –, mais il nous contraint à des investissements informatiques considérables. La gestion des droits sur internet est en effet très complexe, coûteuse et détaillée, et ce pour des micro-transactions et des micro-paiements à effectuer à nos membres. Nous ne pouvons pas échapper à ce très lourd effort. Contrairement aux idées reçues, nous sommes en situation de concurrence. Nous devons lutter contre les autres sociétés d’auteurs européennes pour conquérir des ayants droit et des exploitants. Pour cela, il nous faut être les plus performants.

Contrairement à une autre idée reçue, aucun auteur, compositeur ou éditeur français n’est soumis à une obligation d’adhésion à la SACEM. Chacun d’eux est libre d’adhérer à la société de son choix, et même, dans certains cas, seulement pour certains droits ou certains territoires. Ainsi, certains ayants droit dont l’activité aux États-Unis est importante sont membres d’une société d’auteurs américaine pour le continent nord-américain et de la SACEM pour le reste du monde.

La capacité d’attraction de la SACEM est forte. Sur ses 132 000 membres, 14 500 sont étrangers. Depuis sa création, elle est considérée à l’étranger comme un modèle. Celui-ci a du reste essaimé dans le monde entier.

Depuis 2005, notre situation est devenue encore plus concurrentielle. Une recommandation de la Commission européenne a permis aux grands éditeurs internationaux de retirer leurs droits de tous les accords de réciprocité des sociétés d’auteurs. Leurs répertoires ne font donc plus partie des licences globales pour internet négociées auparavant. Ils peuvent aussi n’être confiés qu’à une seule société d’auteurs pour l’ensemble de l’Europe. Être attractive pour attirer les grands répertoires anglo-américains est donc essentiel pour la SACEM, afin d’exister en Europe et de protéger son propre répertoire.

Dans cette situation, c’est non à des sociétés anglo-saxonnes, mais à la société d’auteurs allemande, la GEMA, et à la SACEM que les grands éditeurs multinationaux ont confié leur répertoire. Les contrats de centralisation les plus importants des exploitants, notamment des « majors » du disque – qui ont eux aussi le droit de demander des licences pour l’ensemble de l’Europe à une seule société – sont également gérés par la GEMA et la SACEM. La qualité des équipes, celle des outils, notamment informatiques, ainsi que les relations personnelles sont les raisons de ce succès.

Enfin, la politique de l’Union européenne est créatrice de confusion. Jusqu’à présent, grâce au monopole naturel, une société de droits pouvait garantir à un exploitant une licence sûre sur le répertoire mondial, sans qu’il ait à se soucier des détails juridiques, et notamment de la répartition des droits : une œuvre de hip-hop ou de rap peut relever de 40 ayants droit, entre lesquels il faut répartir les 7 centimes d’euro que rapporte chaque téléchargement sur internet !

Du fait de la remise en cause du monopole naturel par l’Union européenne, aucune société d’auteurs européenne ne peut plus détenir ni les droits paneuropéens, ni les droits mondiaux de son répertoire national. Cette règle vaut bien sûr pour la SACEM et la GEMA. Pourtant, elles détiennent chacune en toute sécurité juridique les droits mondiaux de deux des plus importants répertoires américains !

Le nouveau droit européen a introduit une confusion considérable pour les exploitants. Ils doivent s’adresser à de multiples sociétés pour obtenir des morceaux de répertoires. Devant la situation intenable ainsi créée par le dogme du marché intérieur poussé à l’extrême et la logique antimonopolistique mal comprise, la Commission européenne réfléchit à une directive. Cependant, l’orientation de celle-ci n’est toujours pas connue, et les directions générales poursuivent la négociation, sur la base d’approches divergentes.

Au milieu de cette confusion, nous nous efforçons, au moyen de négociations beaucoup plus complexes qu’autrefois, de continuer à attribuer des licences globales. Les radiodiffuseurs refusent en effet les licences européennes répertoire par répertoire : ils trouvent plus simple de gérer une licence mondiale sur le plan national. Pour accorder une licence nationale à YouTube et Amazon, nous avons dû négocier avec tous les ayants droit.

M. Michel Herbillon, président. Quels rapports la SACEM entretient-elle avec la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) ? Quelles sont pour elle les conséquences de la mise en œuvre de la loi Hadopi ?

Le versement des droits aux auteurs pourrait-il être rendu plus rapide et les frais de gestion seraient-ils susceptibles d’être diminués ?

Quelles sont les attentes de la SACEM à l’égard de la Carte Musique Jeunes ? Celle-ci va-t-elle favoriser le téléchargement légal ?

M. Marcel Rogemont. Le dispositif Hadopi vous semble-t-il constituer une solution durable ? S’il constitue simplement une étape, quel est l’objectif final ?

Selon vous, quel est l’avenir des sociétés de perception des droits d’auteur au sein de l’Union européenne ? La conception française de la perception ne semble guère prisée par la Commission européenne. Quelles relations entretenez-vous avec elle ? Travaillez-vous à structurer la pensée européenne sur les droits de perception ?

Comment justifier que les cinq plus hauts salaires de la SACEM soient deux fois et demie plus élevés que ceux des autres sociétés du secteur ?

Enfin, à la page 53 de son rapport annuel 2009, la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits expose à la fois que la trésorerie de la SACEM a fortement augmenté et que les droits qu’elle perçoit ont fortement baissé. L’accroissement du volume de la trésorerie pourrait-il avoir pour origine le souhait de maintenir le volume des revenus financiers, alors que le rendement des produits faiblirait ?

Mme Colette Langlade. Monsieur Miyet, vous avez affirmé au journal Le Monde que, depuis 2000, la diffusion de la musique à la télévision sur les chaînes généralistes aux horaires d’écoute significative a été divisée par deux, et que les radios dévoient le système des quotas en reléguant la diffusion de la musique francophone à des horaires sans auditeurs.

Comment allez-vous innover, et à quelle échéance ? Quels formats proposer pour mettre en valeur la création musicale francophone ? Travaillez-vous à faire mettre en œuvre par les médias la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qu’ils semblent avoir quelque peu oubliée ?

M. Patrick Bloche. La place de la musique sur les chaînes, notamment publiques, de télévision nous interpelle fortement.

Lors de la discussion du projet de loi Hadopi, mes collègues du groupe SRC et moi-même considérions qu’il n’apporterait pas un euro de plus à la création. Je constate avec vous, monsieur Miyet, que la mise à contribution des fournisseurs d’accès internet à travers le COSIP profite essentiellement, sinon exclusivement, à la production audiovisuelle et cinématographique.

Auriez-vous des suggestions à transmettre à la représentation nationale pour une répartition plus équitable de la taxe abondant le COSIP ? Vous le savez, cette taxe rapporte beaucoup plus que prévu : c’est une mine d’or !

Si elle a beaucoup enthousiasmé certains d’entre nous, la proposition du rapport Zelnik sur la gestion collective obligatoire a en revanche suscité un tir de barrage du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), c’est-à-dire des majors. Que pense la SACEM de cette proposition très dynamique ? Auriez-vous des propositions à formuler ?

Enfin, selon la presse, la Commission européenne souhaiterait s’intéresser de nouveau aux sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur. Quels sont ses objectifs ? Des menaces récurrentes sur la rémunération pour copie privée sont-elles susceptibles de réapparaître ?

M. Michel Pajon. Monsieur le président Lemesle, à l’occasion de la présentation à la presse du rapport 2009 de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, vous avez déclaré que celle-ci outrepassait les limites de sa fonction. Est-ce parce qu’elle y relevait l’importance des frais de gestion de votre société – 15,7 euros pour 100 euros perçus – en épinglant tout particulièrement les rémunérations de ses dirigeants ? Sinon, quelle en est la raison ?

Mme Monique Boulestin. La SACEM a fourni à la Commission permanente de contrôle des explications conjoncturelles et structurelles pour expliquer l’augmentation particulièrement forte de sa trésorerie au moment de la crise financière. Or, celle-ci a durement touché nombre d’artistes. Nous souhaiterions davantage de clarté dans la transmission de vos données financières. Une gestion plus transparente des montants que vous percevez permettrait d’abonder le fonds de retraite des artistes. En effet, au lieu d’être redistribuée équitablement, la majorité des produits financiers perçus est affectée au financement des charges de gestion.

M. Hervé Féron. Le rapport de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception décrit la gestion collective des droits en France comme une « usine à gaz » générant des frais de gestion astronomiques ; l’existence de multiples sociétés intermédiaires, chacune facturant ses services à l’autre, diminuerait la part revenant aux artistes.

Le rapport pointe également l’absence de comptabilité analytique. Selon lui, un exercice aussi simple et nécessaire du point de vue de la vérité des tarifs et des coûts s’avère impossible compte tenu de l’état actuel d’information des sociétés elles-mêmes. Ces sociétés organisent elles-mêmes le brouillard qui conduit aux notes de frais que l’on constate.

Par ailleurs, malgré la baisse du montant des perceptions, les rémunérations des dirigeants de la SACEM ne connaissent apparemment pas la crise. Il semblerait utile et sain que leur montant exact soit diffusé.

Le rapport indique, page 238, qu’un salarié, licencié pour des faits qui lui avaient été reprochés, a pu partir avec une indemnité de licenciement de 30 000 euros et une indemnité transactionnelle de 213 000 euros. Selon la SACEM, cette transaction avait pour objet d’éviter le déclenchement de procédures judiciaires. Il est possible de lire sur le site de France Info la relation de propos de M. Bernard Menasseyre selon lesquels ce personnage aurait peut-être eu bien des faits à dénoncer en cas de procès. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, en application de la loi Hadopi, quatre organisations, la SACEM, la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) et la Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique (SDRM) ont aujourd’hui le droit de collecter les adresses IP. Un marché a donc été lancé pour « flasher » les abonnés. Il a été remporté par la société TMG. Or, au moment du vote de la loi Hadopi 1, cette société a procédé à une augmentation de capital. M. Thierry Lhermitte, fervent défenseur de Hadopi, a acheté 5 000 titres au prix de 10 euros chacun et en est devenu administrateur. N’est-il pas étonnant qu’une société qui réalise 1 million d’euros de chiffre d’affaires en 2007 offre 50 % de son capital pour seulement 50 000 euros à une personne qui soutient publiquement, haut et fort, cette loi, avant de remporter l’appel d’offre le 25 janvier 2010 ? Pouvez-vous aussi nous expliquer la procédure de l’appel d’offre ?

Mme Martine Martinel. Selon le rapport de la Commission permanente, la situation du personnel féminin à la SACEM serait moins favorable que dans d’autres sociétés. Que pouvez-vous nous en dire ?

Monsieur Miyet, lors des Troisièmes Rencontres internationales de la culture à Avignon, vous êtes intervenu vigoureusement contre la remise en cause des sociétés d’auteurs. Comment commenteriez-vous les propos de la commissaire européenne en charge de la stratégie numérique aux termes desquels il faut regarder au-delà des intérêts corporatistes et nationaux pour établir une nouvelle approche du copyright ?

Mme Françoise Imbert. Comme les débits de boissons et les commerces usant de musique enregistrée, les associations organisant des manifestations musicales ont l’obligation de verser des droits à la Société civile pour la perception de la rémunération équitable (SPRE). Une décision du 5 janvier 2010 de la commission administrative ad hoc a multiplié ces droits par trois. Même si cette augmentation est étalée sur quatre ans, elle peut avoir de lourdes conséquences sur les petites associations, en particulier sur celles qui travaillent en milieu rural. Ne serait-il pas possible de les faire bénéficier du tarif préférentiel institué en faveur des manifestations gratuites organisées par les associations qui utilisent des œuvres culturelles dans un but d’intérêt général, ou encore de l’abandon des droits d’auteur pratiqué pour les opérations organisées dans un but de solidarité nationale, comme le Téléthon ?

Mme Pascale Crozon. Si vous avez signé un accord collectif relatif à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, il semble que les efforts à faire soient encore conséquents. Les représentants de la SACEM ce matin sont exclusivement des hommes ! Quelle politique comptez-vous mettre en place pour résorber au plus vite les écarts de salaire entre les hommes et les femmes à la SACEM ? Ces écarts vont de 10 % à 32 % !

M. Jean-Luc Pérat. Comme ma collègue Françoise Imbert, j’évoquerai les associations qui essaient de faire vivre les territoires et les collectivités. Bon nombre d’entre elles organisent chaque année une ou plusieurs manifestations. Les prélèvements auxquels elles sont assujetties au titre des droits d’auteur et des droits voisins peuvent parfois paraître démesurés au regard des recettes et du temps passé à les organiser. Ces prélèvements pourraient aboutir à mettre à mal la volonté de dynamisme qui caractérise les acteurs de ce monde associatif. Ne faudrait-il pas revoir les stratégies de perception, de façon à mieux accompagner les actions sur le terrain ?

M. Bernard Miyet. La gestation de la loi Hadopi nous a demandé beaucoup de temps, après bien des atermoiements et des remises en cause. Ne convenait-il pas de préférer une approche pédagogique permettant de responsabiliser les internautes et d’orienter la consommation de musique vers les flux légaux ? Le choix de la Hadopi a été fait conjointement avec les autres secteurs alors même que la licence globale aurait été le moyen idéal de tout faire transiter par la SACEM, laquelle serait, il est vrai, apparue comme une forteresse. Nous n’avons donc pas cherché à favoriser la « boutique SACEM », d’autant que les problèmes que connaissent la musique et le cinéma sont liés. Comment pourrait-on adopter la licence globale pour la musique et non pour le cinéma ? Il est incohérent de vouloir imposer la licence globale à la musique pour des raisons de libertés publiques, d’accès à la culture ou de répartition des financements et de la refuser pour les mêmes raisons au cinéma et à l’audiovisuel. Nous estimons au contraire qu’il convient de faire le choix de la solidarité entre tous les genres artistiques, la littérature ou la presse posant du reste les mêmes problèmes de libertés publiques. Ce choix responsable a été fait en accord avec le conseil d’administration de la SACEM.

Il n’en reste pas vrai que la Hadopi est un pari. Durant dix années, la jeunesse, sur les plans sociologique, technologique et économique, a déporté son budget de l’achat de musique vers les abonnements téléphoniques ou l’achat de matériels. De plus, les mémoires des ordinateurs contiennent à l’heure actuelle des capacités de stockage considérables : il n’y a pas de reconstitution possible de ce qui a été téléchargé en masse. On ignore si l’effet économique de la Hadopi permettra de récupérer les marges perdues.

Vous avez évoqué la Carte Musique Jeunes, mise en œuvre sur la proposition de la commission Zelnik. Certes, elle permet d’orienter le public vers la consommation légale payante, ce qui est un point positif. En revanche – c’est le revers de la médaille –, elle n’a aucun effet sur la consommation et la production, du fait que la subvention favorise toutes les œuvres, françaises et étrangères, notamment anglo-américaines, contrairement à une politique d’orientation des marchés.

S’agissant de la société TMG, chargée de traquer les pirates pour le compte de la Hadopi, je tiens à rappeler que, lorsque l’appel d’offre a été lancé, personne ne savait que Thierry Lhermitte en deviendrait actionnaire. Les partenaires, qu’ils appartiennent au milieu du cinéma ou à celui de la musique, qu’il s’agisse des producteurs et des sociétés d’artistes interprètes ou d’auteurs-compositeurs, lesquelles n’ont aucun rapport avec M. Thierry Lhermitte, n’ont pris en considération que les mérites comparés des sociétés ayant répondu à l’appel d’offre. Ce choix a, de plus, été validé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Par ailleurs, si nos agents assermentés ont la possibilité d’établir des constats, ils ne peuvent relever que des numéros et non les adresses IP, auxquelles nous n’aurons jamais accès, même en cas de récidive. Nous ne saurons donc jamais qui se cache derrière les numéros transmis à la Hadopi. C’est à elle qu’il appartient de saisir les fournisseurs d’accès, qui sont les seuls en mesure de connaître l’identité des internautes, à laquelle les ayants droit n’auront jamais accès.

Quant aux salaires des cadres de la SACEM, ils ne sont pas fixés dans le secret. J’ai été nommé par un conseil d’administration qui a débattu de ma propre rémunération et qui, outre le fait que je remets en cause mon mandat tous les trois ans, peut me révoquer à tout instant. Le conseil d’administration est par ailleurs informé chaque année du montant exact des dix salaires les plus élevés ; il en est de même de l’assemblée générale, au moins depuis dix ans, c’est-à-dire depuis que j’occupe mes fonctions. Les salaires sont donc fixés en toute clarté. Je tiens à préciser que ces dix principaux salaires représentent 0,25 % des perceptions, ce qui ne saurait jouer sur le montant des droits.

Pour le reste, la SACEM est une société de niveau international, qui est forte de 1 500 collaborateurs et qui gère 620 000 contrats. Elle est amenée à négocier notamment avec Steve Jobs, les présidents de France Télévisions et de TF1 ou le patron d’Amazon. Elle est présente dans quatre-vingt-une délégations régionales. On ne saurait donc facilement la comparer à d’autres sociétés. Je recrute mes collaborateurs non pas dans la fonction publique, dont j’ai démissionné pour accepter la règle du secteur privé, mais sur le marché du travail. Je prendrai un exemple : nos systèmes informatiques sont si complexes que le directeur informatique de la SACEM vaut, sur le marché, un prix qui ne correspond à aucun indice de la fonction publique.

M. Claude Lemesle. Le salaire du président du directoire est à la hauteur des problématiques actuelles du droit d’auteur, dont le traitement exige un faisceau de qualités très larges. Lorsqu’il y a dix ans M. Jean-Loup Tournier a souhaité quitter ses fonctions, il nous a été très difficile de le remplacer. Nous nous sommes tournés vers M. Bernard Miyet, à l’époque secrétaire général adjoint de l’ONU. Il nous a demandé une rémunération équivalant à celle qu’il recevait à ce poste, et nous avons accepté ses conditions parce qu’il était, à nos yeux, la personne capable de remplir de telles fonctions.

La SACEM verse de 2 millions à 2,5 millions d’euros pour ses hauts salaires. Alors que la société enregistre 132 000 auteurs, compositeurs et éditeurs et que ses perceptions et versements de droits en concernent 500 000 dans le monde entier, une économie de 500 000 euros permettrait de verser un euro supplémentaire à chaque ayant droit !

M. Marcel Rogemont. L’argument est faible !

M. Claude Lemesle. C’est votre avis, mais ce n’est pas le mien, car je préfère, en tant que président du conseil d’administration, pouvoir recruter, à la tête du directoire, des personnes dont le profil très pointu permet de rapporter davantage aux auteurs, compositeurs et éditeurs.

Par ailleurs, lorsque j’ai affirmé que la Commission permanente de contrôle avait outrepassé sa mission, je faisais allusion à un incident qui s’est déroulé avant la conférence de presse : le président de la Commission permanente de contrôle avait demandé à la suite de l’assemblée générale de la SACEM au président du directoire non seulement son rapport de gestion, ce qui était normal, mais également l’allocution du président du conseil d’administration, ce qui était inadmissible. Le président de la Commission permanente de contrôle n’a pas, en effet, à contrôler la prise de parole devant les sociétaires réunis en assemblée générale du président du conseil d’administration. Celui-ci a, du reste, refusé à l’unanimité de communiquer cette pièce au président de la Commission permanente de contrôle.

M. Bernard Miyet. S’agissant de la question des droits d’auteur à verser par les petites associations ou les associations humanitaires lorsqu’elles organisent des manifestations, je tiens à rappeler que les auteurs-compositeurs ne partagent aucun des avantages sociaux des artistes interprètes qui, eux, bénéficient du régime des intermittents du spectacle et de l’assurance-chômage. Les auteurs-compositeurs, qui n’ont pas de caisse de retraite, devraient-ils, en plus, payer pour les seconds qui en ont une, la Société pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), et dont la Société pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI) et la Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes de la musique et de la danse (SPEDIDAM), gèrent les droits ? Je rappellerai que les auteurs-compositeurs, outre la répartition des droits, disposent d’un système d’action sociale propre à la SACEM, qui ne coûte rien à la collectivité.

En effet, sur les sommes perçues au titre de l’exécution publique, 10 % vont au régime d’allocations d’entraide de la SACEM (RAES) dédié aux auteurs-compositeurs et, de manière limitée, aux éditeurs. L’action culturelle s’élève, quant à elle, à 14 millions d’euros.

Les auteurs compositeurs n’ont donc pas d’autres ressources que les droits qu’ils reçoivent de la SACEM. S’il est normal que, s’agissant des petites associations ou des associations humanitaires, l’artiste interprète soit rémunéré et qu’il comptabilise ses heures pour l’assurance chômage, pourquoi en irait-il différemment de l’auteur-compositeur ? Je le rappelle aux élus que je rencontre : les associations organisatrices de manifestations doivent accepter de rémunérer les auteurs-compositeurs au même titre qu’ils rémunèrent les employés municipaux, EDF pour la consommation électrique ou le traiteur, sans oublier ce que coûtent la présence des pompiers ou la location de la salle. On ne saurait demander aux seuls auteurs-compositeurs l’abandon de leurs revenus ! Il y va du respect d’un principe fondamental de justice.

Nous avons passé des accords collectifs contractuels avec l’Association des maires de France (AMF) ou des fédérations représentatives sur le plan national ; ces accords prévoient des dégrèvements sous certaines conditions. Nous nous dirigeons du reste vers des formules forfaitaires en vue de simplifier la gestion et de réduire le coût. Si, pour le Téléthon ou la Fête de la musique, le conseil d’administration a décidé d’abandonner les droits, nous préférons, pour ce qui concerne toutes les autres manifestations, procéder à des dons plutôt que d’abandonner les droits : en effet, l’abandon des droits ne pénaliserait que les auteurs-compositeurs dont les œuvres seraient jouées, alors qu’un don, qui peut aller jusqu’à compenser la somme perçue, repose sur l’ensemble de la communauté. Il convient assurément d’améliorer encore les relations avec les associations : toutefois, il serait injuste que seuls les auteurs-compositeurs soient appelés à abandonner leurs revenus.

M. Jean-Luc Vialla, membre du directoire de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), chargé de la gestion. En tant que conseiller maître à la Cour des comptes, je pourrais être membre de la Commission permanente de contrôle, ce qui m’autorise à commencer par une critique à son encontre.

La Commission permanente de contrôle ne sait, en effet, que regarder dans le rétroviseur. Le fait que nous ayons signé, à la fin de l’année 2008, avec la totalité des organisations syndicales, y compris la CGT et le CFDT, qui sont majoritaires, un accord sur l’égalité entre les hommes et les femmes montre que nous étions conscients du problème existant en la matière. Nous ne l’avons jamais nié. Je suis très fier des résultats obtenus puisque nous rattrapons notre retard à un rythme soutenu que peu d’entreprises françaises pourraient égaler. C’est ainsi qu’en 2009 seize des dix-sept cadres nommés ont été des femmes, ce qui aura une incidence rapide sur l’échelle des rémunérations. La société de services qu’est la SACEM reposait sur une base pyramidale très large répondant à un schéma classique : les fonctions administratives peu qualifiées, notamment de saisie informatique, étaient assurées presque uniquement par des femmes, ce qui avait un effet mathématique sur la hiérarchie des salaires. L’évolution est rapide, compte tenu de la nomination de cadres féminins. Le poste très en vue de responsable des relations commerciales avec l’ensemble des services internet a été attribué, de manière naturelle, à une femme l’année dernière. Notre directoire, composé de cinq membres, comprend une femme. Un tel ratio peut sembler insuffisant, mais il est toutefois supérieur à la moyenne des entreprises françaises équivalentes.

La Commission permanente de contrôle doit cesser de se figer sur le passé et prendre en considération le fait qu’une entreprise évolue.

Je prendrai un autre exemple. Il est vrai que nous n’avons pas de comptabilité analytique, mais nous n’avions pas non plus de business plan lorsque je suis arrivé il y a trois ans, ce qui faisait que nous ne pouvions faire aucune prévision de nos recettes et de nos dépenses. Je me suis attaché à la mise en œuvre d’un tel cadrage de nos activités, qui nous a demandé un an de travail, avant de passer à l’objectif suivant : la comptabilité analytique, que nous avons commencée cette année. Nous avons déjà couvert une partie de nos activités. Le système sera entièrement opérationnel à la fin du mois de janvier 2011, c’est-à-dire dans deux mois. Or la Commission permanente de contrôle n’a pas tenu compte des informations que nous lui avions communiquées sur le sujet alors qu’une évolution aussi rapide aurait dû la satisfaire.

Il est vrai, par ailleurs, que nous disposons d’une trésorerie importante, qui correspond au rythme des répartitions. Toutefois, si cette trésorerie augmente, c’est avant tout parce qu’elle est bien gérée. Le conseil d’administration nous fixe des critères très rigoureux, notamment en ce qui concerne la notation des fonds sur lesquels nous plaçons l’argent, ce qui nous a permis d’éviter d’en perdre durant la crise financière. En 2008, nous avons même réussi à progresser entre 3 % et 4 %, ce qui n’est pas sans effet mécanique sur une trésorerie de près de 700 millions.

Si notre trésorerie a, en 2008 et 2009, effectivement augmenté davantage que nos recettes, ce n’est pas seulement en raison de sa progression naturelle, mais c’est également parce que nous nous sommes conformés à des règles prudentielles élémentaires, ce pour quoi la Cour des comptes nous aurait félicités si elle nous avait contrôlés. Comme vous le savez, le RAES est non pas un régime de retraite, mais un régime d’entraide : nous en constituons progressivement les réserves – elles atteignent aujourd’hui quelque 150 millions d’euros –, ce qui est essentiel pour remplir des engagements portant sur les trente ou quarante prochaines années.

De plus, comme nous ne disposions pas des éléments de programmes nécessaires à la répartition des recettes, nous n’avons pu répartir qu’avec retard celles que nous avions touchées dans le cadre des premiers contrats que nous avions signés en 2008 et 2009 avec certains grands fournisseurs d’accès à internet. Dès 2010, les répartitions seront en très forte progression – la dernière répartition est en progression de 14,7 %, alors que nos recettes n’ont crû que de 3 % à 4 %. Avant de nous accuser, à tort, de constituer des réserves de trésorerie, la Commission permanente de contrôle aurait dû affiner son analyse en tenant compte notamment des rythmes de paiement décalés de nos principaux clients. Du reste, le conseil d’administration ne tient pas à ce que nous constituions des réserves de trésorerie. Celle-ci a pour avantage de dégager entre 20 à 25 millions d’euros par an, qui entrent dans les recettes de fonctionnement de la Société et nous permettent d’abaisser les taux de perception sur les recettes.

M. Bernard Miyet. En ce qui concerne les notes de frais, je tiens à rappeler que la page 238 du rapport de la Commission permanente de contrôle ne fait que citer la lettre de licenciement pour faute grave envoyée à un salarié. Toutes les notes de frais, y compris les miennes, sont vérifiées quotidiennement par le trésorier du conseil d’administration. Il existe également dans cette maison une commission des comptes élue par l’assemblée générale, qui se réunit toutes les semaines, sans parler des commissaires aux comptes ni de la Commission permanente de contrôle. En termes de suivi, je ne connais aucune société qui soit autant contrôlée que la SACEM !

Est-il acceptable de laisser penser que le salarié que nous avons licencié connaît de nombreux parlementaires et que ces derniers auraient eu accès à des informations spéciales ? J’ai fait savoir à M. Bernard Menasseyre, président de la Commission permanente de contrôle, qu’il est inacceptable de lancer une affirmation qui, loin d’être étayée par une preuve, repose sur de simples allégations. J’ai de plus écrit au premier président de la Cour des comptes pour protester. La SACEM n’a rien à cacher dans cette affaire !

J’en viens aux sociétés intermédiaires. Comment peut-on à la fois nous féliciter de mutualiser les coûts et nous reprocher la présence de sociétés intermédiaires chargées de cette tâche ? Le problème se résoudra de lui-même du fait que la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) ont refusé que les ayants droit du cinéma et de l’audiovisuel assument la chute catastrophique du marché phonographique, qui ne les concernait pas : elles sont donc sorties de la SDRM. Dans le même temps, nous continuons, sous forme de mandat, de gérer pour ces sociétés certaines opérations. Du reste, que ce soit dans le cadre d’une société intermédiaire ou dans celui d’un mandat, il s’agit toujours d’une relation contractuelle, la différence étant que la SACEM n’opérera plus dans le cadre de structures communes au sein desquelles les décisions ont été constamment adoptées à l’unanimité des partenaires. La situation sera clarifiée, tout en permettant de conserver une coopération souhaitable entre sociétés d’auteurs et d’assurer, sous une forme juridique différente, la mutualisation des moyens.

M. Claude Gaillard, membre du directoire de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), chargé des relations avec les sociétaires. Le calendrier actuel prévoit quatre répartitions annuelles. Selon les modes d’exploitation, le rythme est trimestriel ou semestriel. Accélérer les rythmes supposerait de régler des préalables échappant pour la plupart à la SACEM.

En effet, pour répartir les droits, il ne suffit pas de les avoir encaissés : encore faut-il disposer des éléments de programmation ou de diffusion de l’usager. Il appartient donc à ce dernier – c’est une obligation légale – d’établir et de remettre à la SACEM l’intégralité des programmes qu’il a diffusés. Or cette phase nous réserve trop souvent de mauvaises surprises. C’est ainsi que les programmes de télévision nous parviennent trois ou quatre mois après leur diffusion et qu’il faut encore quatre semaines à la SACEM pour identifier toutes les œuvres que nous représentons, les affecter de leurs coefficients, calculer la durée de la diffusion à la seconde près et procéder à la mise en répartition. Si les diffuseurs accélèrent leur propre rythme de remise des programmations, nous pourrons accélérer la répartition.

Malheureusement, la tendance actuelle n’est pas, du côté des diffuseurs, à l’accélération, notamment en ce qui concerne certaines chaînes de service public, dont nous avons reçu avec retard des programmations portant sur des mois entiers, ce qui nous a contraints, puisque nous n’étions pas techniquement en mesure de répartir les redevances dont nous disposions, de reporter de trois mois la répartition. M. Bernard Miyet a appelé l’attention du président de France Télévisions sur la nécessité de respecter strictement les délais de remise des programmes.

En ce qui concerne internet, nous sommes confrontés à des enjeux de volume redoutables. Vingt-quatre heures de programmes sont mis en ligne chaque minute sur YouTube, ce qui représente 1 440 années de programmes par an ! Les délais incontournables de traitement ne permettront évidemment pas de répartir les droits de manière quasi instantanée, d’autant que nous sommes dans une phase de démarrage.

La SACEM est, certes, disposée à accélérer ses rythmes de répartition, mais ceux-ci, je le répète, sont tributaires de la capacité des usagers à nous communiquer dans les délais impartis les données qui nous sont nécessaires.

M. Bernard Miyet. Ce n’est pas la SACEM qui augmente unilatéralement et autoritairement ses tarifs pour accroître les ressources de la SPRE : la multiplication par trois en quelques années de la rémunération équitable relève d’une décision d’une commission administrative à laquelle nous sommes totalement étrangers puisque nous n’y siégeons pas. La SACEM n’a donc pas de réponse à donner à la question posée à ce sujet.

Elle n’est pas non plus concernée par le régime de gestion collective préconisé par la mission Zelnik puisqu’il s’agit des relations entre les producteurs de disques et les artistes interprètes. Cela dit, la gestion collective, qui s’applique aux droits d’auteur et que nous pratiquons, nous paraît en effet la meilleure solution. S’agissant des droits voisins, la difficulté est d’appliquer la réglementation aux sites situés à l’étranger et aux répertoires détenus par des producteurs multinationaux.

Pour ce qui est de la Carte Musique Jeunes, nous sommes favorables à une contribution compensatoire permettant de mieux tenir compte des flux et d’orienter une partie des ressources vers la production nationale, comme cela se fait dans l’audiovisuel.

Concernant la télévision, ce n’est pas la musique qui est en cause, mais la chanson française. En dix ans, le volume global de musique diffusée sur les chaînes a augmenté de 16 %, tandis que la place de la chanson française aux heures de grande écoute baissait de 50 %. Les problèmes considérables que posent l’exposition de la chanson française et la rémunération des auteurs-compositeurs et des artistes interprétant le répertoire français devraient faire l’objet d’une attention beaucoup plus grande dans les cahiers des charges et les décrets d’application. La représentation nationale est, de ce point de vue, un bon vecteur.

S’agissant des enjeux européens, l’approche des autorités françaises est en cohérence avec notre propre conception. Dans la confusion ambiante, il semblerait que la Commission européenne prépare une directive concernant les œuvres dites « orphelines », mais la question se pose plus pour les œuvres littéraires, notamment dans le cadre d’Europeana, que pour la musique, où le type de licence accordée permet de puiser sans limite dans le répertoire. La réflexion sur les licences en ligne est encore inaboutie, alors que, désormais, les répertoires sont fragmentés et que l’on ne peut plus trouver auprès d’un guichet unique la possibilité d’accéder à l’ensemble du répertoire, que ce soit au niveau national ou niveau européen. La réflexion menée sur la transparence et la gouvernance des sociétés de gestion collective ne nous pose pas de problèmes. Elle peut inquiéter en revanche des sociétés plus petites qui ne disposent pas des mécanismes de contrôle que nous avons établis.

Quant à la copie privée, les incertitudes demeurent. C’est pour nous une préoccupation forte. Les autorités françaises en sont pleinement informées et ont une position claire. Reste que les fabricants de matériel – dont plus aucun n’a aujourd’hui d’activité industrielle dans notre pays – font pression pour que la rémunération soit, sinon supprimée, du moins réduite à peu de chose.

M. Michel Herbillon, président. Messieurs, nous vous remercions pour toutes les précisions que vous nous avez apportées.

La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 24 novembre à 9 heures :

Présents. – M. Pierre-Christophe Baguet, M. Marc Bernier, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, M. Bruno Bourg-Broc, M. Xavier Breton, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Édouard Courtial, Mme Pascale Crozon, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, M. François Deluga, M. Bernard Depierre, M. Marc Dolez, M. David Douillet, M. Yves Durand, M. Gilles d’Ettore, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Valérie Fourneyron, M. Michel Françaix, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Claude Greff, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Michel Herbillon, Mme Sandrine Hurel, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Olivier Jardé, M. Régis Juanico, M. Christian Kert, M. Yvan Lachaud, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Pierre Lequiller, Mme Geneviève Levy, M. Alain Marc, Mme Muriel Marland-Militello, Mme Martine Martinel, M. Gilbert Mathon, M. Jean-Philippe Maurer, M. Michel Ménard, M. Michel Pajon, Mme Françoise de Panafieu, M. Jean-Luc Pérat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Jean Roatta, M. Marcel Rogemont, Mme Marie-Josée Roig, M. Daniel Spagnou, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean Ueberschlag

Excusés. – Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, M. Christian Blanc, Mme Marie-George Buffet, M. Patrick Roy, Mme Michèle Tabarot