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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 19 janvier 2011

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Christian Kert, vice-président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur le marché de l'art

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 19 janvier 2011

La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

(Présidence de M. Christian Kert, vice-président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend, dans le cadre d’une table ronde ouverte à la presse sur le marché de l'art, M. Martin Bethenod, auteur du rapport « Propositions en faveur du développement du marché de l’art en France », directeur du Palazzo Grassi à Venise, ancien commissaire général de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), M. Patrick Bongers, président du Comité professionnel des galeries d’art, M. Guillaume Cerutti, président-directeur général de Sotheby’s France, accompagné de Mme Aude de Margerie, responsable juridique, Mme Francine Mariani-Ducray, présidente du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, accompagnée de M. Thierry Savy, secrétaire général, et de M. Pierre Taugourdeau, secrétaire général adjoint en charge des questions juridiques.

M. Christian Kert, président. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue aux représentants des organismes et des institutions culturelles qui ont bien voulu venir traiter devant notre commission de l’évolution du marché de l'art en France.

Cette table ronde intervient dans un contexte d’interrogations sur l’attrait que présente la place de Paris, notamment pour l’art contemporain, s’agissant aussi bien des ventes aux enchères publiques que de l’implantation des galeries. Cette préoccupation a animé plusieurs de nos débats depuis quelques mois. Nous aurons sur ce même thème une discussion en séance publique à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la réforme des ventes aux enchères. La Commission des lois a examiné en décembre dernier cette proposition de loi, adoptée par le Sénat, mais nous n’avons pas encore d’indication sur la date de son inscription à l’ordre du jour de la séance publique.

Notre propre Commission a noté que les acteurs du marché de l’art évoquent de façon récurrente le déclin de l’attrait de la place de Paris, et les chiffres paraissent sans appel : la part de marché de la place de Paris est passée de 9,3 % en 2003 à environ 6 % en 2008. De nombreux rapports soulignant les difficultés du marché français de l'art ont été publiés ces dernières années, notamment le vôtre, monsieur Bethenod, en 2008, et les constats sont partagés.

En premier lieu, le morcellement des opérateurs français semble représenter un certain handicap. Les ventes sur le marché français sont par ailleurs toujours majoritairement constituées d’œuvres d’artistes nationaux, ce qui n'est pas le cas des places concurrentes. Ensuite, à l’inverse de ce qui est constaté ailleurs, les ventes réalisées en France concernent assez peu l’art contemporain. Enfin, un certain nombre de contraintes réglementaires ou fiscales paraissent provoquer des difficultés.

Ces constatations avaient conduit l’ancienne ministre de la culture, Mme Christine Albanel, à proposer, le 2 avril 2008, à la suite des conclusions du rapport Bethenod, un plan de renouveau du marché de l’art. Ma première question porte sur l’application de ce plan : quel bilan pouvez-vous en tirer ? Ensuite, notre fiscalité est-elle concurrentielle ? Que pensez-vous enfin du droit de suite des artistes ?

M. Martin Bethenod, directeur du Palazzo Grassi. Après avoir dirigé la foire internationale d’art contemporain (FIAC) pendant cinq ans, j’ai pris quelque distance avec ce marché. Mais, à la lumière de cette première expérience et aussi de la mission d’étude qui a débouché sur le rapport que vous venez de mentionner, j’ai pu adopter le point de vue d’un acteur économique du marché de l’art qui se demande comment regagner des parts de marché, comment se positionner, comment se développer, comment, d’une manière plus générale, redonner du lustre à la place de Paris, valoriser la scène artistique française marchande et non marchande, et affirmer la capacité de tous les acteurs à se fédérer.

Nous parlons d’un domaine auquel il est très difficile d’appliquer le volontarisme qui peut s’exercer ailleurs. Le dynamisme du marché de l’art dépend d’éléments fragiles : la capacité de ce marché à se fédérer en mettant en avant ce qui rassemble ses acteurs plutôt que ce qui les oppose ; l’instauration d’un climat global de confiance ; la compétitivité, qui peut souffrir de certaines distorsions de concurrence sur le plan international car le marché de l’art est l’un des plus mobiles qui soit, tout vendeur et tout acheteur passant très facilement d’une place à l’autre.

Lorsque j’ai commencé l’étude que m’avait confiée Mme Christine Albanel, tous les acteurs et les observateurs du marché de l’art que je rencontrais me décrivaient celui-ci comme un maquis d’intérêts antagonistes souvent inconciliables : le premier marché contre le second marché, les maisons de ventes contre les galeries, les grandes maisons de ventes contre les petites, le contemporain contre l’ancien, les courtiers contre les galeristes… En ressortait l’impression que, quelque initiative que l’on prenne, elle susciterait plus de mécontentements que de satisfactions, ce qui est un facteur d’immobilisme assez puissant. De plus, m’expliquait-on, ces oppositions prospéraient dans un climat général menaçant, celui du clivage majeur entre secteur privé et secteur public consubstantiel au système français, nourri de méfiance et d’incompréhension mutuelles.

Mais, dans l’exercice de mes fonctions à la FIAC, j’ai pu me rendre compte qu’à l’occasion de cette foire, la scène parisienne bénéficie d’un dynamisme suffisant pour que les commissaires-priseurs organisent à ce moment-là des ventes importantes, et de grandes institutions culturelles publiques leurs vernissages. Il m’est donc apparu qu’une synergie, non seulement de l’ensemble des galeries mais de tous les acteurs du marché de l’art, était possible ; la fatalité des antagonismes paraissait surmontable, des éléments de consensus pouvaient naître. De même, pour conduire notre étude, nous avons rencontré plus d’une centaine d’acteurs du marché de l’art et nous avons ainsi pris conscience que certaines convergences étaient envisageables. C’est pourquoi nous avons privilégié deux orientations.

La première porte sur le nécessaire développement, en France, du nombre des collectionneurs, car on ne peut imaginer un marché de l’art durablement fort sans une forte demande intérieure. L’affirmation de cette priorité doit conduire d’une part à créer des incitations en leur faveur – principalement symboliques par la voie de la reconnaissance et de la valorisation –, d’autre part à instaurer un climat de confiance en rendant plus largement et plus facilement applicables les dispositifs existants que sont la dation, le mécénat et les textes relatifs aux trésors nationaux.

Le deuxième axe doit être de renforcer la compétitivité de la place de Paris face à ses concurrentes. Il est évident que, dans un marché mondial et mobile, tout dispositif réglementaire et technique visant à protéger tel ou tel acteur en isolant le marché français de l’art, en l’érigeant en exception, manque son but et fragilise l’ensemble du marché en détournant ses flux vers d’autres scènes. Au-delà des antagonismes, c’est bien d’un dynamisme global que nous avons besoin.

La question des coûts de transaction, tout aussi importante, amène à celle du droit de suite. On s’est beaucoup demandé en quoi celui-ci nous dessert. C’est qu’il introduit une distorsion dans le marché international de l’art au détriment des pays qui l’appliquent. Cette distorsion serait justifiée si le droit de suite produisait par ailleurs des effets positifs. Il faut donc se demander s’il sert et à quoi il sert. Or toutes les études ont montré que le droit de suite n’a pas vraiment d’impact redistributif et qu’il tient plutôt de l’effet d’aubaine pour certaines successions importantes. La priorité doit-elle être de faire d’une rente aux ayants droit d’artistes disparus le cœur de l’organisation du marché français de l’art ? Je ne le crois pas, et je pense qu’en se focalisant sur cette question on évite de s’interroger sur les thèmes autrement plus importants que sont la rémunération et les moyens de subsistance des artistes, autrement dit leur statut économique et social.

Enfin, pour avoir assisté récemment, à Florence, à une table ronde sur un sujet connexe à laquelle participaient plusieurs hauts responsables internationaux de foires et de maisons de ventes ainsi que de grands antiquaires milanais et new-yorkais, je puis vous dire que nombre d’entre eux, notamment les Italiens, considèrent la réglementation française du marché de l’art comme un modèle. Il faut nous en souvenir quand nous exprimons des points de vue critiques.

M. Patrick Bongers, président du comité professionnel des galeries d’art. Propriétaire d’une galerie à Paris, je défends des artistes contemporains. Avant la deuxième guerre mondiale, puis jusqu’aux années 1960, tous les grands créateurs séjournaient à Paris et, un puits de création s’étant ainsi creusé, le monde entier venait ici se fournir en œuvres d’art.

Aujourd’hui, Berlin a très nettement pris le pas en Europe, essentiellement en raison des possibilités que cette ville offre en locaux, d’atelier comme d’exposition. Vastes et nombreux, ils permettent aux artistes de travailler dans de bonnes conditions et d’attirer un public venant de toute l’Europe. Cela doit nous inciter à mener une réflexion sur les ateliers dont peuvent disposer les artistes à Paris et sur nos espaces d’exposition. L’expérience menée dans le treizième arrondissement parisien a montré que l’on peut, à partir de locaux existants, fédérer de dynamiques acteurs du marché et susciter un nouveau regard de l’étranger.

Les acteurs privés du marché de l’art jouent un rôle central, aussi bien pour la défense et le soutien de la création et des artistes que pour le développement du marché en essayant de positionner les œuvres dans les lieux appropriés, institutions ou grandes collections privées. Notre marché est plus confidentiel, plus discret et moins lisible que celui des maisons de vente. Les dernières études réalisées par le comité des galeries d’art, il y a déjà un certain temps, faisaient pourtant apparaître que le marché privé des galeries représentait environ cinq fois celui des ventes publiques. Depuis lors, les choses ont sans doute quelque peu évolué dans le sens inverse de ce que j’aurais souhaité, c’est-à-dire plutôt en faveur des maisons de vente que des galeries. Nous demeurons cependant des acteurs très importants, et c’est incontestablement nous qui soutenons la création qui, demain, constituera le patrimoine artistique national.

Certes, toute fiscalité est ressentie comme pénalisante par les acteurs d’un marché, mais le fait est que le droit de suite tend à nous défavoriser par rapport à la concurrence étrangère. Étant en contact direct avec les artistes en exercice, je puis affirmer que ce droit a un effet dévastateur, car il affecte la revente des tableaux entrés dans nos stocks. Une galerie qui fait bien son travail et soutient les artistes mène une politique d’achat. Les tableaux qu’elle garde en stock étant taxés au terme de trois ans s’ils sont vendus plus de 10 000 euros, les galeries sont dissuadées d’acheter et préfèrent aujourd’hui prendre les œuvres en dépôt. De ce fait, le soutien à la création ne peut être aussi dynamique et volontaire qu’il serait souhaitable. Nous espérons que les conclusions du rapport en préparation sur le droit de suite permettront de résoudre ce grave problème.

Les questions de TVA nous posent d’autres problèmes. Lorsqu’un galeriste achète une œuvre à un artiste étranger vivant dans un pays non tiers, la taxe à l’importation est récupérable, mais elle est applicable au taux plein de 19,6 % lors de la vente. En revanche, si l’œuvre est achetée à un artiste vivant dans un pays tiers, la TVA, applicable au taux réduit, n’est pas récupérable lors de l’importation, mais elle s’applique aussi au taux réduit lors de la revente ! Cela conduit à opérer des choix qui dépendent moins de la création elle-même que de l’endroit où elle se fait, ce qui n’est pas bon pour nos artistes et pour la défense de notre création.

Si l’on veut que la création française soit lisible à l’étranger, il faut d’abord la défendre en France. Le Palais de Tokyo, dans sa nouvelle version, devrait permettre de mieux exposer nos artistes, dont beaucoup, à cinquante ans, n’ont jamais bénéficié d’une exposition rétrospective, si bien que les collectionneurs qui se sont intéressés à eux ne peuvent pas faire le point sur leurs créations. Nous avons, de façon urgente, besoin d’un lieu où exposer ces artistes en milieu de carrière, et montrer ainsi aux collectionneurs français et étrangers que nous nous occupons de nos artistes. Si nous le faisons en France, il y a de meilleures chances que l’on s’intéresse à eux à l’étranger.

L’autre sujet qui nous préoccupe est la teneur de la directive « services », dont la proposition de loi du Sénat assure la transposition, avec la possibilité donnée aux maisons de ventes aux enchères de procéder de gré à gré, autrement dit d’exercer notre métier de marchand. C’est pour nous un problème considérable, mais nous n’avons pas grand espoir de modifier la tendance. Toutefois, dans la mesure où cette faculté sera ouverte aux maisons de vente, il nous semble logique que, dans le même esprit, les ventes publiques soient désormais régies par les règles commerciales communes, et en premier lieu que les enchères soient conclues toutes taxes comprises, comme le sont les prix dans les galeries. On comprend mal pourquoi, aujourd’hui, un acheteur ne connaît pas, au moment où tombe le marteau, le montant exact de ce qu’il devra payer. Il y a là une réflexion sérieuse à mener en faveur de la défense du consommateur.

M. Guillaume Cerutti, président-directeur général de Sotheby’s France. Je dirige la filiale française de Sotheby’s, entreprise américaine cotée à la bourse de New York, dont l’activité française représente environ 10 % du chiffre d’affaires mondial de la maison mère.

Nous occupons en France la position de leader sur le marché des ventes aux enchères d’art contemporain : en 2010, nous avons réalisé dans ce domaine un chiffre d’affaires d’environ 30 millions d’euros, soit à peu près 20 % de notre chiffre d’affaires.

La part de la France dans le marché mondial de l’art en général et de l’art contemporain en particulier s’est érodée. Cette érosion ne date pas des dernières années. Il y a quarante ans de cela, la France tenait la première place. Aujourd’hui, nous sommes en quatrième position, très loin derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, qui sont les deux grandes places, avec environ 30 % à 35 % chacune de la valeur des objets échangés dans le monde. Depuis une petite dizaine d’années, le phénomène qui révolutionne le marché de l’art, comme d’autres marchés, est l’émergence de l’Asie, où les ventes représentent à peu près 15 % du marché mondial. Elles étaient presque nulles il y a dix ans.

Quatre facteurs expliquent l’érosion de la place de Paris. Il y a d’abord l’histoire : notre pays a ignoré la mondialisation du marché de l’art au cours des vingt ou trente dernières années. Jusqu’en 2001, le marché français était fermé à la concurrence internationale. Depuis cette date seulement, Sotheby’s et sa rivale historique, Christie’s, organisent des ventes aux enchères à Paris. Nous avons ainsi laissé émerger d’autres places, et le marché international s’est installé à Londres et à New York où, pour d’autres raisons liées aux transactions financières, il a trouvé un terreau favorable. Lorsqu’on évoque les possibilités de rebond du marché français, il faut prendre la mesure du déport intervenu et comprendre que les habitudes prises sont difficiles à remettre en cause.

Deuxième facteur : comme pour beaucoup d’autres marchés, la force d’une nation se structure autour de ses entreprises. Les États-Unis disposent aujourd’hui d’un champion national avec Sotheby’s. Il en va de même du Royaume-Uni avec Christie’s – même si son actionnaire majoritaire est actuellement français, ses gènes demeurent anglais. Ces deux entreprises ont atteint une taille mondiale et développé une stratégie qui l’est tout autant. Sotheby’s est représentée partout dans le monde et vend aux enchères dans plus de dix pays. Sa politique de recherche de clientèles, de promotion des ventes et d’organisation d’événements valorise les œuvres présentées. La France dispose d’atouts formidables et notamment d’une multitude d’acteurs extrêmement dynamiques mais il lui manque un champion national de la carrure de Sotheby’s ou de Christie’s. Le classement établi par le Conseil des ventes volontaires montre que ces deux entreprises occupent les deux premières places mondiales, la première entreprise française du secteur, Artcurial, se situant à la quinzième : bien que très active, elle ne joue pas dans la cour des grands. En outre, depuis quelques années, les entreprises chinoises sont parmi les premières du monde, non en raison d’une stratégie mondiale mais parce qu’elles s’appuient sur un marché domestique en plein essor : dans les quinze premières entreprises mondiales du secteur figurent aujourd’hui six ou sept entreprises chinoises, potentiellement les géants de demain. En France, Drouot, marque historiquement très forte, n’est qu’une ombrelle abritant l’activité de soixante-dix commissaires-priseurs autonomes, hors d’état de développer une stratégie mondiale.

La troisième raison de la faiblesse française tient à notre droit. Il a certes été adapté en 2001, l’autorisation étant dorénavant accordée aux entreprises internationales d’organiser des ventes aux enchères à Paris. Mais cette adaptation a été faite a minima et de façon partielle, sans que l’on aille jusqu’à permettre aux entreprises étrangères de proposer en France la totalité des services qu’elles offrent dans les autres pays. Les ventes privées, autorisées à Sotheby’s et à Christies’s partout dans le monde comme additionnelles à leurs ventes publiques, leur permettent de trouver, plus rapidement et plus discrètement que par la vente publique, un acheteur pour une œuvre grâce à leur réseau mondial de clientèle. Cela n’est pas admis en France. Votre Assemblée sera prochainement saisie d’une proposition de loi, votée en première lecture au Sénat à la fin de 2008 et examinée par votre Commission des lois en décembre 2010, qui prévoit d’autoriser les ventes privées. Il est important de le faire. Ce type de ventes assure de 15 et 20 % du chiffre d’affaires mondial de notre entreprise. Mais, quand un client vient nous voir en France pour réaliser une vente privée, nous sommes actuellement contraints de l’orienter vers nos collègues établis à Londres ou à New York. La transaction sera certes faite par Sotheby’s, mais ailleurs qu’à Paris ; ce qui est très frustrant.

Je pourrais citer d’autres exemples de cette ouverture incomplète de la réglementation française aux réalités économiques mondiales et qui explique pour partie notre relative défaveur par rapport à nos concurrents internationaux.

Il me faut également évoquer la question du droit de suite. La réglementation française en la matière est moins favorable que celle en vigueur dans d’autres pays européens et encore moins que dans d’autres pays du monde, où elle n’existe le plus souvent pas. Il s’agit en effet d’une invention française, étendue à d’autres pays d’Europe mais inconnue de New York ou de Hong-Kong. Il nous faut donc veiller, sinon à remettre en cause le droit de suite, du moins à retenir une règle du jeu unifiée qui nous permette d’être compétitifs, par exemple face à nos collègues britanniques.

La quatrième raison expliquant notre retard est la politique culturelle française, qui n’a jamais considéré le marché de l’art comme une priorité. Historiquement, le ministère de la culture fut bâti autour de la défense des artistes et du patrimoine, ainsi que de la démocratisation culturelle, mais les industries culturelles, qui aujourd’hui structurent fortement la consommation de millions de personnes en France et de milliards de personnes dans le monde, n’ont pas été prises en compte dans l’organisation du ministère.

Nous bénéficions d’un des dispositifs les plus performants au monde pour la protection du patrimoine national, grâce aux régimes de la préemption, du classement des œuvres, du mécénat, de la dation et de nombreux pays envient ce système. Malheureusement, nous sommes tombés dans la caricature consistant à opposer la protection du patrimoine national au marché de l’art, le second étant considéré comme un danger pour la première. Bien au contraire, je prétends que valoriser la présence d’un marché de l’art très attirant en France valorise la culture française, l’intérêt pour la place de Paris, ses institutions culturelles et les événements qui s’y déroulent. Les orientations retenues jusqu’ici par le ministère de la culture, qu’il s’agisse de son organisation ou des signaux envoyés au monde des arts, portent donc une certaine responsabilité dans l’effacement du marché français. Les choses doivent maintenant évoluer.

La France dispose néanmoins d’atouts qui me rendent optimiste. Le premier est que notre pays conserve une très forte tradition créative. Rappelons un chiffre significatif : les ventes annuelles en France ne représentent certes que 5 à 7 % du marché mondial de l’art en valeur, mais 20 % du nombre d’objets vendus. La France reste une nation foisonnante en termes d’échanges d’objets d’art ; en revanche, les transactions les plus élevées s’opèrent à l’étranger.

En deuxième lieu, il n’existe pas d’endroit dans le monde aussi attrayant que Paris pour le déroulement d’événements culturels. Quelle autre capitale peut se vanter de présenter, en même temps, une exposition sur Monet, une sur Basquiat et une sur Mondrian ? Lorsque nous organisons, à Paris, de prestigieuses ventes aux enchères, nous constatons à quel point les acteurs du marché international sont heureux de venir.

Que faire ? D’abord, faire évoluer la réglementation ; vous aurez bientôt à connaître d’une proposition de loi à ce sujet. Ensuite, définir, au niveau européen, un droit de suite unifié, en adaptant le régime français au système anglais plutôt que l’inverse. Enfin, créer un contexte propice par l’action des pouvoirs publics : depuis quelques années, la densité des événements organisés à Paris et le dynamisme retrouvé de la FIAC ont commencé à changer un peu l’état d’esprit. Quelques signaux supplémentaires venant de l’État permettraient de continuer dans le bon sens. Mais la reconquête sera un processus très long, à la mesure de la durée de l’érosion connue au cours des quarante dernières années.

Mme Francine Mariani-Ducray, présidente du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Je vous parlerai du rôle actuel du Conseil des ventes, de l’avancée que constitue la transposition de la directive « services » et des dispositions propres au marché français figurant dans la proposition de loi en cours d’examen.

Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a été créé par la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 qui a mis fin au monopole historique, de plus de cinq cents ans, des commissaires-priseurs français et qui a ainsi complètement modifié le secteur des ventes publiques et par là même la structure du marché de l’art en France.

Le rôle du Conseil consiste à contrôler et à accompagner l’accès des opérateurs du marché des ventes volontaires au statut, aujourd’hui, de société de ventes volontaires et, demain, d’opérateur de ventes volontaires. Les formes juridiques seront alors beaucoup plus libres qu’actuellement. Nous passerons du régime de l’agrément à celui du récépissé de simple déclaration, c’est-à-dire du contrôle a priori, en pratique assez léger, à un système de veille sur le marché afin que le maximum d’opérateurs se trouve placé dans des conditions de saine concurrence.

Le Conseil conservera à la fois son rôle administratif et disciplinaire : la capacité de sanctionner les comportements contraires à la réglementation demeurera. Le nombre de décisions disciplinaires est, heureusement, extrêmement faible chaque année, car il existe bien d’autres manières d’agir. Mais il arrive aussi au Conseil, lorsque les démarches amiables sont inefficaces, de porter certaines affaires devant le juge, notamment lorsqu’il constate que des sociétés de ventes volontaires ne répondent pas à l’ensemble des exigences de qualification, compte tenu du rôle essentiel dévolu au commissaire-priseur.

Avec la Chambre nationale des commissaires priseurs judiciaires, le Conseil participe par ailleurs à la formation des commissaires-priseurs. Il exerce enfin un rôle d’observation du marché afin d’en appréhender les éléments constitutifs, le marché des enchères étant en permanence en interaction avec le marché de l’art au sens le plus large.

La vente volontaire aux enchères est une forme de commerce qui ne vaut pas seulement pour les objets d’art et de collection mais aussi, aujourd’hui, pour l’ensemble des biens d’occasion, et qui vaudra demain également pour les biens neufs. Parmi les biens adjugés, plus de la moitié concerne l’art au sens large, mais une autre partie porte sur des objets industriels tels que les automobiles d’occasion, et même sur des bêtes – les ventes de chevaux ont beaucoup augmenté au cours des dernières années.

La présence, au sein du Conseil des ventes, de professionnels du marché de l’art est un élément précieux de sa composition. Elle pose cependant un problème au regard du droit européen et des droits de la défense entendus au sens large. Mais, à titre personnel, je me réjouis que la Commission des lois de l’Assemblée nationale soit parvenue à trouver une formule maintenant un Conseil qui, dans sa formation plénière, comporte des professionnels, y compris en activité, qu’il s’agisse de marchands ou de commissaires priseurs. Sans eux, nous ne pourrions avoir de débats éclairés sur les questions qui se posent dans le marché de l’art. Il est en revanche normal que, dans sa formation disciplinaire, le Conseil ne compte pas de professionnels. On conciliera ainsi les principes du droit européen et du droit français avec la nécessaire coopération entre personnes ne provenant pas du monde de l’économie et personnes insérées dans l’économie culturelle, secteur particulièrement complexe.

L’adoption de la proposition de loi me paraît urgente dans la mesure où elle vise à transposer, avec déjà un retard de plus d’un an, la directive européenne et à améliorer le dynamisme potentiel des entreprises françaises en facilitant la diversité des formes commerciales et les choix d’activités. J’ajoute que si les ventes de gré à gré figurent désormais au nombre des activités ouvertes aux maisons de ventes aux enchères publiques volontaires, il ne sera pas pour autant interdit aux marchands de gré à gré de s’engager dans les activités d’enchères publiques s’ils y voient un intérêt. Le décloisonnement des activités doit s’entendre dans les deux sens. Les stratégies d’entreprises pourront ainsi évoluer dans un contexte plus équitable.

Sans redonner les chiffres qui figurent dans le rapport annuel du Conseil pour 2009, je rappelle que le volume global des adjudications est de l’ordre de 2,2 milliards d’euros annuellement, dont plus de la moitié concerne les objets d’art. Depuis deux ans, nous procédons aussi, grâce aux éléments que nous rassemblons, à l’analyse du marché mondial des ventes aux enchères. Nous avons ainsi, l’année dernière, identifié environ 11 000 sociétés de ventes dans le monde exerçant des métiers très proches de ceux pratiqués par les sociétés françaises, dont 3 200 œuvrant sur le marché de l’art.

Les dix sociétés qui ont eu le plus fort volume d’activité en 2009 ont déjà publié leurs chiffres pour 2010. On relève que leur volume d’adjudication a été de 676 millions d’euros. À le comparer aux 708 millions d’euros enregistrés lors du pic d’activité de 2007, la crise semble en voie d’être effacée.

Plus généralement, le déclin du marché français de l’art ne me paraît pas inéluctable. La France a des atouts considérables et un marché de l’art dynamique. Je citerai en premier lieu une concentration de savoirs impressionnante. Le lien interactif puissant et fructueux entre les institutions publiques patrimoniales et les acteurs du monde artistique est un autre facteur déterminant, et la diversité des acteurs un élément constructif. L’ouverture engagée par la loi du 10 juillet 2000, qui va se poursuivre avec la transposition de la directive, a eu un effet positif. La vente de la collection Bergé - Saint Laurent, comme certaines ventes aux enchères intervenues en 2010 au cours desquelles des records mondiaux ont été atteints, montrent qu’une préparation bien conduite porte ses fruits, et il n’y a aucune raison que ce marché ne se développe pas en France comme ailleurs. Enfin, l’immense richesse du patrimoine mobilier français est un autre de nos atouts ; toutefois, ce patrimoine s’exporte plus qu’il ne s’importe.

Je tiens que la France peut être un lieu majeur d’échanges commerciaux dans le domaine de l’art, un marché de premières ventes et de découverte des artistes contemporains aussi bien qu’un marché portant sur le patrimoine plus ancien. Alors que la mondialisation se renforce et que de nouveaux acteurs apparaissent, la révision de la législation me semble avoir des effets constructifs pour le marché français de l’art, pour lequel le pessimisme ne me paraît pas de mise.

M. Michel Herbillon. Ces très intéressantes interventions successives m’ont laissé perplexe car, tout en décrivant les nombreux atouts potentiels de la France, on reprenait l’antienne de l’érosion du marché français de l’art. On peut se demander pourquoi, si nous disposons de tels atouts, l’érosion n’est pas endiguée. À entendre M. Cerutti, je ne pense pas que l’examen de la proposition de loi adoptée par le Sénat, à supposer qu’elle soit inscrite prochainement à l’ordre du jour de notre séance publique, modifiera les choses, puisque, selon son analyse, les difficultés s’expliquent par le fait que nous avons trop longtemps ignoré la mondialisation et que nous n’avons pas de champion national – ce qui, incidemment, ne doit point trop déplaire à Sotheby’s.

Quelles seraient selon vous les évolutions législatives et réglementaires souhaitables ? Le droit de suite a été évoqué, mais rien n’a été dit du mécénat ; les textes à ce sujet devraient-ils être modifiés ? M. Bethenod a mentionné l’incidence fulgurante de la concomitance entre la tenue de la FIAC et de grands événements artistiques parisiens ; peut-on imaginer une même convergence lors de l’organisation de grandes ventes aux enchères ? Dans un autre domaine, il ne me paraît pas que l’on puisse décider par décret que le développement du marché de l’art en France est l’une des priorités du ministère de la culture, ce qu’il n’est pas à ce jour… Enfin, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou ailleurs en Europe ou en Asie, les collectionneurs ont en France une réputation sulfureuse ; les relations entre l’art et l’argent dans notre pays demanderaient une analyse psychanalytique, mais cette particularité culturelle ne peut être ignorée.

J’ai été frappé par l’immense succès de la vente Bergé - Saint Laurent ; il serait intéressant d’en déterminer les raisons pour savoir quels types d’événements encourager. Comment, enfin, expliquer la faiblesse permanente des ventes d’art contemporain en France ?

M. Patrick Bloche. L’assouplissement du cadre législatif et réglementaire entrepris depuis une dizaine d’années a fait évoquer une reconquête, mais certains de nos invités estiment que l’essor du marché français de l’art a été pénalisé par la fiscalité alors que la mondialisation se renforçait. Il faut ajouter que le poids des corporatismes a de beaucoup retardé l’adaptation du marché français de l’art ; et c’est ainsi qu’après avoir laissé passer bien des trains on s’efforce à présent de rattraper le temps perdu. M. Cerutti juge qu’en France les industries culturelles ont mauvaise presse et qu’elles ne sont pas suffisamment prises en compte dans la dynamisation des politiques culturelles. Disons que toutes les industries culturelles ne sont pas sur le même plan – qui ignore le poids de l’industrie du cinéma sur la décision politique ? Ceux qui souhaitent développer le marché de l’art en France ne devraient-ils pas chercher à renforcer leur capacité d’influence ?

Sans en être très surpris, j’ai entendu critiquer le droit de suite, dont il a été dit qu’il portait préjudice au marché français de l’art sans avoir d’effet redistributif. M. Bethenod a parlé à ce sujet de « rente versée aux ayants droit d’artistes disparus » ; mais n’est-ce pas le cas pour l’ensemble des auteurs ? J’entends ce que vous dites, mais si l’on supprime ce droit, comment rémunère-t-on les artistes plasticiens ? De tous les artistes, ce sont ceux dont la situation est la plus précaire ; pour le plus grand nombre, le RSA est leur seul revenu, ou ils se trouvent contraints d’exercer une autre activité professionnelle.

À propos de Paris, les opinions varient. Pour M. Cerutti, la ville continue d’avoir un rôle d’impulsion. M. Bongers, plus critique, a évoqué Berlin ; il va sans dire que disposer d’ateliers et d’espaces d’exposition immenses sur d’anciennes friches industrielles en plein centre est un avantage certain. Pour autant, quand un artiste s’installe à Montreuil ou à Aubervilliers, on ne peut considérer qu’il soit perdu pour Paris et que Paris ne jouerait plus son rôle ! Maire du onzième arrondissement parisien, où fleurissent les galeries, j’en viens à me demander si une alchimie ne se crée pas. L’absence de visibilité des galeries ne tient-elle pas à l’absence de mise en réseau, à une approche de l’activité trop centrée sur l’espace national ? Il n’empêche : Paris a un grand potentiel.

Mme Françoise de Panafieu. Ma seule question concerne nos propres travaux. La directive « services » n’a pas encore été transposée alors qu’elle aurait dû l’être en 2009 au plus tard, et la France a déjà été rappelée à l’ordre à ce propos. Or l’examen de la proposition de loi adoptée par le Sénat n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour de la séance publique de notre assemblée ; avons-nous une chance de la voir aboutir avant la fin de la session ?

Mme Monique Boulestin. Le Syndicat national du commerce de l’antiquité, de l'occasion et des galeries d'art moderne et contemporain s’inquiète de l’impact de la transposition de la directive « services » sur le marché de l’art. En ouvrant complètement les ventes de gré à gré aux sociétés de ventes volontaires, ne risque-t-on pas de déstabiliser le marché français et d’aboutir de ce fait à une perte de compétences et d’emplois, comme c’est déjà le cas en Grande-Bretagne où 30 % des antiquaires et galeristes ont mis la clef sous la porte ?

Mme Colette Langlade. Que les galeries ne veuillent plus acheter d’œuvres d’artistes vivants n’est-il pas un effet collatéral de la loi du 10 juillet 2000 ?

M. Jean Ueberschlag. Dans une autre ville que Paris au moins, monsieur Cerutti, on peut voir en même temps trois expositions de peintres majeurs ; cette ville est Bâle. Comme vous le savez, Art Basel a supplanté la FIAC. N’est-ce pas la typiquement française culpabilisation des collectionneurs qui a conduit à cela ? En France, l’art contemporain est considéré comme destiné à une élite. La législation doit tendre à attirer et à encourager les amateurs ; aussi longtemps que nous ne ferons pas des efforts en ce sens, nous aurons en France des visiteurs mais pas d’acheteurs. Il existe dans notre pays une multitude de lieux d’exposition d’art contemporain mais, parce qu’ils sont considérés comme une source de dépense au profit d’une élite, ils ne sont pas soutenus. Je puis en témoigner pour avoir demandé une aide de fonctionnement à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) après avoir ouvert dans la ville dont je suis le maire – Saint-Louis, ville jumelle de Bâle – un musée d'art contemporain dessiné par l’architecte Jean-Michel Wilmotte dans une ancienne distillerie, et m’être entendu proposer une petite participation au financement d’un salaire, assortie de conditions drastiques, notamment le choix par la DRAC du salarié en question. Que l’on sache s’ouvrir sur le monde, et Paris retrouvera dans le marché international de l’art la place qu’il n’aurait jamais dû perdre !

Mme Françoise Imbert. Vous considérez que le marché français de l’art est entravé par des freins fiscaux et réglementaires, et qu’il y a trop peu de collectionneurs en France. Quelles mesures précises permettraient, selon vous, d’en accroître le nombre, qu’il s’agisse de collectionneurs particuliers ou d’entreprises, et de faire aussi que le marché de l’art n’ait plus la réputation d’être réservé à une élite ? Par ailleurs, existe-t-il des formations spécifiques au marché de l’art ? Si c’est le cas, sont-elles délivrées par des établissements publics ? À qui s’adressent-elles ?

M. Pierre-Christophe Baguet. La création d’espaces sous douane permettrait-elle de régler les difficultés fiscales évoquées ? Si ce type de mesure était adopté, le marché national le supporterait-il ?

M. Michel Pajon. Mises à part quelques ventes phares, le marché de l’antiquité connaît une sérieuse crise et le nombre des antiquaires est en chute libre en France. Dans ce contexte, le moment n’est-il pas mal choisi pour ouvrir le marché des ventes de gré à gré aux sociétés de ventes volontaires, un secteur dominé par deux mastodontes, Sotheby’s et Christie’s, au risque de mettre en péril le maillage territorial qui assure la dynamique du marché français ? Et, en ouvrant les ventes aux enchères à des opérateurs qui n’ont pas les compétences artistiques exigées aujourd’hui des commissaires priseurs, ne risque-t-on pas de déstabiliser davantage encore le marché français de l’antiquité ?

M. Jacques Grosperrin. Le marché de l’art intéresse les spéculateurs en quête de plus-values et, sur internet, une bourse se consacre à l’achat et à la vente de parts d’œuvres d’art. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Par ailleurs, la Cour des comptes déplore la faiblesse du Conseil des ventes chargé de réguler la profession. Qu’en pensez-vous ?

Mme Marie-Hélène Thoraval. Le marché français de l’art représente 20 % en volume mais seulement 10 % en valeur du marché mondial. Quelle conclusion en tirer sur la cote des artistes français ?

M. Martin Bethenod. En ce qui concerne les collectionneurs, la situation s’est améliorée depuis une dizaine d’années ; des mesures ont été prises qui vont dans le bon sens. La France compte de grands collectionneurs d’art contemporain connus, mais ceux-là ne forment que la pointe de la pyramide. Il y a aussi en France des collectionneurs « éclaireurs » et « défricheurs » qui se sont constitués en réseau par le bais de l’Association pour la diffusion internationale de l’art français – une initiative inconcevable il y a quelques années encore –, ainsi qu’un très grand nombre de collectionneurs qui réalisent des transactions tournant autour de 10 000 euros. D’ailleurs, les galeries étrangères ne se seraient pas intéressées à la FIAC si elles n’avaient pas eu le sentiment de pouvoir trouver en France un réseau de collectionneurs.

Bâle a pris, et de très loin, la première place au cours des années 1980-1990, alors que la place française déclinait. Le marché français est actuellement en situation de développement potentiel, une tendance qu’il faut prendre garde à ne pas ralentir ou inverser. Cela implique par exemple de donner aux collectionneurs le sentiment que, lorsque la loi favorise les collections d’entreprise, la réglementation ne rend pas la loi inapplicable, et aussi de mieux traiter les grands donateurs et ceux qui font des dations.

Il n’y a pas, au nombre des galeries françaises, de poids lourd d’envergure internationale. Le secteur français des galeries, émietté, est plutôt un marché de défricheurs, de pépinière. C’est un atout et un problème : les galeries françaises portent les couleurs d’un artiste jusqu’à ce qu’il obtienne une reconnaissance internationale, moment où il se tourne vers une grande galerie internationale…

Un mot sur le marché de l’antiquité. J’appelle l’attention sur le fait que les grandes sessions de ventes aux enchères à Londres et à New York drainent vers les antiquaires des milliers de collectionneurs ; les deux marchés ne sont donc pas forcément antagonistes. Si le marché de l’antiquité perd du terrain, sur le plan mondial, c’est en raison d’un certain manque de dynamisme et d’une incapacité à se fédérer. Par le biais de la FIAC, les galeries ont redonné à la place de Paris un rôle moteur ; je ne suis pas certain que la Biennale des antiquaires joue ce rôle. Il serait bon d’engager une réflexion sur un événement fédérateur.

M. Patrick Bongers. Le droit de suite ne profite en rien aux artistes dont le marché est inexistant ; n’en bénéficient que ceux qui, ayant un marché très actif, n’en ont pas réellement besoin.

Nous avons en France un marché de consommateurs, et l’on pourrait prendre des mesures favorisant le mécénat d’entreprise ou, comme nous le réclamons depuis longtemps, les professions libérales. Des ouvertures seront nécessaires pour nous aider à aider la création. Mais il y a aussi un marché de circulation, qu’un port franc dynamiserait. D’une manière générale, il faut tout faire pour inciter les artistes à réinvestir Paris car, s’ils sont là, les collectionneurs internationaux suivront.

M. Guillaume Cerutti. M. Herbillon s’est mépris : sur le marché très particulier qui est le nôtre, un acteur ne se lamente jamais de la puissance d’un concurrent, car cette puissance renforce le marché dans son ensemble. C’est ce qui nous fait déplorer l’affaiblissement de Drouot, et c’est pourquoi nous appelons de nos vœux des sociétés de ventes aussi fortes que possible.

Les conclusions de l’excellent rapport de M. Bethenod avaient fait l’objet d’un consensus ; pour ainsi dire aucune n’a été mise en œuvre. De même, j’apprends aujourd’hui que la proposition de loi de transposition de la directive « services » n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour de votre séance publique. La preuve est faite que le marché de l’art n’est pas considéré comme une priorité dans notre pays. Sans doute les professionnels ne se sont-ils pas assez fait entendre.

Il est important de créer en France un espace sous douane comme il en existe à Genève et maintenant à Singapour, avec des localisations temporaires très bénéfiques. Ce serait un signal positif.

Je ne crois aucunement que l’ouverture du marché des ventes de gré à gré représente une menace pour les antiquaires. Ce type de transactions a toujours eu lieu ; simplement, ce n’est pas nous qui les réalisions, mais nos sociétés filiales. L’important est de parvenir à relocaliser ce marché en France.

Beaucoup doit effectivement être fait pour repositionner les artistes français, mais il y a des interactions : un marché local puissant favorise les artistes du pays considéré, comme on le voit avec Damien Hirst, dont la vitalité de la cote est pour partie due à la renommée et au dynamisme de la galerie Saatchi. Nous nous battons pour obtenir des prix élevés pour les artistes français – et nous avons été très heureux des résultats que nous avons plusieurs fois obtenus pour Pierre Soulages – mais il y a bien d’autres choses à faire à ce sujet.

Mme Francine Mariani-Ducray. Il conviendra, lors du débat sur la taxation du patrimoine, de ne pas revenir sur les dispositions favorables aux collectionneurs. Je souligne par ailleurs que la profession de commissaire-priseur ne disparaît pas : les opérateurs de ventes volontaires pourront adopter des formes juridiques diverses, mais un commissaire-priseur devra continuer d’assurer la préparation et le déroulement des ventes.

S’agissant des ventes de gré à gré, ce n’est pas parce que l’on interdira à une société de vente d’avoir une activité de courtage de gré à gré que l’on contraindra des clients potentiels à aller vers un antiquaire. Mieux vaut multiplier le nombre des opérateurs. De plus, je le redis, la concurrence s’exercera dans les deux sens.

Il n’existe pas, pour les métiers de l’art, de formation universitaire spécifique. L’École du Louvre a de tout temps dispensé un enseignement aux acteurs du marché de l’art, et l’ESCP Europe Paris a mis au point une formation en ce domaine. Il serait d’ailleurs judicieux de transformer la qualification de commissaire-priseur en titre universitaire.

Enfin, il a beaucoup été question du ministère de la culture. Je rappellerai tout de même que c’est à son initiative qu’a été créé l’Observatoire du marché de l'art – la seule enceinte de rencontres régulières informelles des acteurs du marché –, dont on a fêté hier les vingt ans d’existence. Je me félicite de cette longévité mais je regrette qu’il n’y ait pas d’interprofession privée, comme il en existe dans d’autres pays. La capacité d’influence des acteurs privés du marché de l’art en serait ainsi renforcée.

M. Christian Kert, président. Madame, Messieurs, je vous remercie. J’indique à Mme de Panafieu que je saisirai notre Présidente, Michèle Tabarot, pour que l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi de réforme des ventes volontaires puisse être évoquée en Conférence des présidents.

La séance est levée à douze heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 19 janvier à 10 heures 30 :

Présents. - Mme Marie-Hélène Amiable, M. Pierre-Christophe Baguet, M. Eric Berdoati, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, Mme Marie-George Buffet, M. Édouard Courtial, Mme Pascale Crozon, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, M. François Deluga, Mme Marianne Dubois, Mme Valérie Fourneyron, M. Michel Françaix, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Claude Greff, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Michel Herbillon, Mme Françoise Imbert, M. Olivier Jardé, M. Régis Juanico, M. Christian Kert, M. Yvan Lachaud, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Geneviève Levy, M. Apeleto Albert Likuvalu, M. Alain Marc, Mme Muriel Marland-Militello, Mme Martine Martinel, M. Didier Mathus, M. Jean-Philippe Maurer, M. Michel Ménard, M. Michel Pajon, Mme Françoise de Panafieu, M. Jean-Luc Pérat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Jean Roatta, M. Marcel Rogemont, Mme Marie-Hélène Thoraval, M. Jean Ueberschlag

Excusés. - Mme Sylvia Bassot, M. Christian Blanc, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Jean-François Copé, M. Bernard Depierre, Mme Martine Faure, M. Pierre Lequiller, Mme Marie-Josée Roig, M. Patrick Roy, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Marc Roubaud