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Mercredi 16 mars 2011

Séance de 17 heures 10

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Alain Bocquet Président

– Audition de M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, M. Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF, M. Pierre Blayau, directeur général de SNCF Geodis et président directeur général de Geodis, M. Jean-Michel Genestier, directeur général adjoint « branche transports et logistique » en charge des affaires publiques et Mme Karine Grossetête, conseillère, chargée des relations avec le Parlement (audition ouverte à la presse à partir de 17 heures 10)

Commission d’enquête
sur la situation de l’industrie ferroviaire française : production de matériels
roulants « voyageurs » et fret

La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

M. le président Alain Bocquet. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, accompagné de M. Pierre Blayau, qui a en charge les activités « fret » et « logistique ».

Je tiens d'emblée à préciser que cette commission d'enquête n'est pas un tribunal. Elle n'a pas vocation à instruire le procès de telle ou telle institution ou entreprise. Mon groupe politique a pris l'initiative de la création de cette commission afin de comprendre la situation des industries ferroviaires françaises face à la concurrence européenne et mondiale. Je crois pouvoir dire que l'orientation de la démarche est partagée par tous les membres de la commission d’enquête. Notre but, au terme de nos travaux, est de faire des propositions favorables au développement de la filière, donc à l'emploi – car le secteur ferroviaire est, à l'échelle mondiale, un secteur en croissance régulière et durable.

La SNCF a des responsabilités économiques, techniques et sociales. Elle gère, à la fois, un service public national et d'autres activités essentielles à notre économie mais déjà ou bientôt confrontées à la concurrence.

Le 17 février dernier, vous avez présenté, monsieur Pepy, les résultats du groupe SNCF : son chiffre d'affaires s’élève à près de 30,5 milliards d'euros, est en croissance significative ; la marge opérationnelle est passée de 6,8 % à 7,1 % et le résultat net récurrent atteint 231 millions d'euros contre à peine 3 millions pour l'exercice précédent. Celui qui ne s'intéresserait qu'à ces seuls chiffres pourrait conclure à une bonne année 2010.

Or, une succession d'événements, pour certains très médiatisés, relativise ce résultat global. L'état du réseau et de certains matériels, l'insatisfaction qui en résulte pour les usagers, notamment en Île-de-France, et la situation du fret ont été des « points noirs » pour l'entreprise. Concernant la ponctualité des grandes lignes, vous avez même déclaré le 13 février à Europe 1 que l'ancien matériel TGV s'avérait plus fiable que les rames récentes ! Vous comprendrez que cette nostalgie des « rames orange » intéresse notre commission, car il y va de la crédibilité technique de la construction ferroviaire française.

S'agissant du fret, tous les interlocuteurs de la commission d’enquête ont spontanément évoqué le « dépérissement » de cette activité, sans que nous ayons nous-mêmes employé cette expression, et alors que les résultats de SNCF Geodis seraient, eux aussi, redevenus positifs en 2010 !

Il me paraît donc opportun de vous interroger sur les perspectives générales de vos activités, au regard des orientations de la nouvelle lettre de mission que vient de vous adresser le Président de la République.

Cette lettre de mission fait-elle d'ailleurs référence à une filière industrielle ferroviaire française et au rôle qui, à mon sens, pourrait être celui de la SNCF dans sa fonction d'opérateur pour l'acquisition et la maintenance des matériels, sans oublier l'accompagnement de nos industriels à l'exportation ? Vous pouvez le constater, monsieur le président, la commission d’enquête a choisi de fonder sa réflexion sur la notion de « filière ferroviaire française ».

À ce titre, je vous pose la question de votre action, pour partie conjointe avec la RATP, de promotion de l'ingénierie ferroviaire française, au travers de vos filiales Systra et Inexia. Quelles sont leurs capacités d'accompagnement de notre industrie à l'international et, plus généralement, quelle est leur stratégie dans un contexte de concurrence exacerbée ? Nos interlocuteurs ont regretté devant la commission d’enquête que les industriels français ne sachent pas « chasser en meute » sur les marchés d'exportation !

Je souhaite également vous poser quelques questions d’actualité. Quels seront les coûts du programme de rénovation des 12 lignes prioritaires que vous avez annoncé dans l'urgence ? Quels seront le rythme de réalisation et la répartition de la charge financière entre la SNCF, RFF, les régions, voire d'autres collectivités ? Lors de votre première annonce, monsieur le président, il nous avait semblé que la SNCF s'engageait à en supporter sinon la totalité, du moins la majeure partie par un prélèvement sur son bénéfice d'exploitation.

Le président de RFF nous a d'ailleurs affirmé que ces 12 lignes n'étaient pas les plus dégradées du réseau. Selon lui, c'est le mécontentement des usagers qui vous aurait poussé à agir dans cette direction, tout en nous déclarant comprendre votre position. Qu'en est-il exactement ?

S'agissant du fret, RFF semble considérer que l'amélioration des sillons serait possible à un coût raisonnable, à condition de faire les bons choix dans le cadre d'une bonne programmation. Partagez-vous cette analyse ? RFF dispose en pleine propriété d'une vingtaine de terminaux multimodaux : avez-vous établi ensemble une stratégie de développement concernant les sites en question ? Concernant les matériels roulants hors TGV, pourriez-vous indiquer à la commission d'enquête leur âge moyen, qui semble particulièrement élevé, notamment dans le parc du fret ? L'industrie ferroviaire française de la construction et de la maintenance des wagons de marchandises, très menacée dans son existence, recevra-t-elle des commandes significatives de la SNCF dans les prochaines années, y compris pour des travaux de maintenance ?

Au sujet de l'attribution de sillons de fret à d'autres opérateurs, que répondez-vous aux critiques selon lesquelles RFF n'aurait pas le contrôle sur le produit qu'il leur vend, du fait de la délégation de ses missions à la SNCF, opérateur historique ? À combien estimez-vous la perte d'activité « fret » de la SNCF, qui serait imputable, si on reporte à de récentes déclarations à la presse de M. Blayau, à un manque ou encore à une indisponibilité des créneaux dont RFF a la responsabilité d'attribution ? Les travaux ainsi que les rénovations en cours sur le réseau appellent-ils, selon vous, une meilleure programmation ?

Il paraît également opportun que vous répondiez à une autre critique, formulée par des acteurs industriels et des opérateurs, selon laquelle : « il y aurait beaucoup de pneus dans SNCF Geodis ! ». La route resterait donc une préoccupation essentielle pour cet ensemble, en contradiction avec le Schéma national d'infrastructures de transport (SNIT), l'outil de mise en œuvre des orientations du Grenelle de l’environnement. Cette contradiction, si elle existe, ne résulte-t-elle pas de la structure propre à SNCF Geodis comme de son modèle économique ? Existe-t-il en Europe des entités comparables par la taille et les différentes activités ? Si oui, pourriez-vous nous les présenter en précisant leurs origines et les résultats qu'elles obtiennent ?

Telles sont, monsieur le président et monsieur le directeur général, mes premières questions. D'autres vous seront posées par le rapporteur et par nos différents collègues, après votre exposé liminaire

(M. Guillaume Pepy prête serment.)

M. Guillaume Pepy, président de la SNCF. D’abord, je crois utile de donner quelques « éléments de paysage » sur cette industrie ferroviaire qui est absolument vitale. On peut la résumer en trois chiffres : 4 milliards d’euros, soixante-dix entreprises et 14 000 emplois. Les deux grands constructeurs implantés sur le territoire national que sont Alstom et Bombardier réalisent 70 % du chiffre d’affaires, les PME-PMI se partageant les 30 % restants.

La SNCF au sens large, dont le chiffre d’affaires s’élève effectivement à 30 milliards d’euros, pèse pour moitié dans le chiffre d’affaires de cette industrie, à hauteur de 2 milliards d’euros. Nous sommes numéro 1 européen pour la grande vitesse, numéro 2 européen pour les transports de proximité (métro, bus, TER) et numéro 4 pour la logistique des marchandises. Nous avons donc une responsabilité particulière vis-à-vis de cette industrie. Nous sommes, du reste, nous-mêmes une entreprise industrielle puisque quelque 23 000 de nos salariés sont employés pour la maintenance du matériel ferroviaire dans nos ateliers pour l’entretien (fonction de « station-service »), la réparation (garage) ou la transformation des trains afin de leur donner une seconde, voire une troisième jeunesse.

Nous sommes le premier client mondial d’Alstom et de Bombardier, ce qui révèle l’importance de l’engagement financier des régions, de la SNCF et de toutes les autorités organisatrices.

Sur ces quelque 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisés avec la SNCF, 1,5 milliard concerne le matériel roulant et les 500 millions restants, les équipements de signalisation, d’infrastructure ou électrique, les achats de pièces et tout ce qui touche à la rénovation.

Il est de notre responsabilité de nous assurer, à chaque moment, que l’industrie ferroviaire française est parmi les tout premiers leaders mondiaux. Il en va de notre intérêt d’avoir un partenariat étroit avec ce secteur, dont nous sommes le premier client. Nous sommes extrêmement attentifs à la solidité du tissu des PME-PMI, car chacun sait que la faiblesse de l’industrie ferroviaire tient au risque qu’un seul composant d’un rapport qualité-prix insuffisant ne pénalise la valeur du train. La valeur de la chaîne industrielle des sous-traitants commande donc directement la performance du train.

En tant qu’entreprise publique, nous avons également une responsabilité en termes d’aménagement du territoire et d’emploi. Nous avons aidé à trouver des solutions à des dossiers comme ceux de Lohr Industrie, Cannes-la-Bocca Industries, Compin. Dès lors que les considérations économiques sont raisonnables, nous exerçons donc notre responsabilité.

Nous sommes également très engagés dans le développement durable et agissons, aux côtés des industriels, pour que le train de l’avenir soit « écodurable », ce qui est loin d’être le cas aujourd'hui en termes de recyclage ou d’origine des composants.

Le centre de gravité de l’industrie ferroviaire se déplace actuellement vers l’Asie, qui est devenue à la fois le premier client et le premier fournisseur mondial de matériel. Ce déplacement est très brutal, en raison du choix, qui a été fait par la Chine, de privilégier le ferroviaire sur la route et l’air.

Le deuxième constructeur mondial du ferroviaire est chinois : il s’agit de CSR (China South Locomotive and Rolling Stock Corporation Limited), l’une des deux grandes compagnies chinoises de production de trains.

La maturité des marchés est très différente en fonction des types de matériels. Pour le transport des marchandises, la capacité de production française et européenne excède la demande. Chacun s’oriente vers la production à bas coût dans les pays de l’Est voire en Inde. Un des grands acteurs du Nord-Pas-de-Calais, qui produit encore en France, a été racheté par un groupe indien. Le marché des transports de la vie quotidienne dans les villes, les agglomérations et les régions explose. Ce marché d’avenir est également le plus mondialisé et le plus compétitif. Des exemples : Alstom a le Coradia, Bombardier le Spacium, Siemens l’Avanto, Stadler le FLIRT. Ces plateformes de matériel ont une vocation mondiale.

Le TGV est un marché de niches, c'est-à-dire spectaculaire et symbolique qui incarne les qualités les plus achevées mais qui est limité en termes quantitatifs. Il se produit seulement quelque soixante trains à très grande vitesse chaque année en Europe.

L’avenir de l’industrie ferroviaire française dépend assez largement de la demande solvable des autorités organisatrices pour les trains régionaux, du bilan économique de la SNCF et du développement du marché ferroviaire lui-même. Le redressement progressif des fondamentaux économiques de la SNCF, grâce notamment au travail effectué par Pierre Blayau dans le domaine du fret, en vue de respecter notre engagement d’un retour à l’équilibre en 2014, nous encourage évidemment. Les actions structurelles que nous menons doivent permettre à la SNCF d’être « le bon client » d’une industrie ferroviaire française pérenne.

L’inquiétude concerne tout d’abord le TGV : chacun sait ici que j’ai plusieurs fois tiré le signal d’alarme sur l’évolution du modèle économique français. Elle concerne ensuite le coût du matériel ferroviaire sur toute sa durée de vie : ce coût, en France comme en Europe, contrairement à notre attente, est tendanciellement à la hausse. Nous pensions que les matériels neufs, une fois les investissements effectués, coûteraient moins cher que les anciens sur toute leur durée de vie : cet espoir a été trompé. Les matériels modernes contiennent une grande quantité de systèmes informatiques et de techniques sophistiquées qui résistent difficilement au temps. L’entretien des trains coûte malheureusement de plus en plus cher. C’est une mauvaise surprise. Notre obsession, aujourd'hui, est donc celle du coût de possession des matériels sur leur durée de vie. Nos choix se feront dans l’intérêt des autorités organisatrices et de la SNCF.

L’avenir de l’industrie ferroviaire française dépend non seulement de la SNCF, de la RATP, de Veolia ou d’autres acteurs, mais également de la compétitivité de la filière aux plans européen et mondial. Elle repose sur deux facteurs. Le premier est la réputation : nous travaillons main dans la main avec l’industrie ferroviaire française. Pour reprendre votre expression, monsieur le président, nous souhaitons « chasser en meute », pour autant que les règles de l’OMC et celles de l’Union européenne, qui sont plus strictes, nous le permettent. Nous soutenons l’industrie ferroviaire française et européenne.

L’industrie ferroviaire française doit également se fixer le cap de la mondialisation et de la consolidation – c’est le second facteur. Il y a un très grand nombre de fabricants en Europe : cinq ou six de très grande taille, une dizaine de taille moyenne ou de petite taille. Face aux Chinois, qui n’ont en tout et pour tout que deux grandes sociétés de construction ferroviaire pour un projet s’élevant à 100 milliards de dollars, l’industrie européenne devra se fédérer et trouver des partenariats. Dans les vingt prochaines années, les acteurs isolés trouveront difficilement leur place.

Je ferai quelques propositions. Nous souhaitons jouer un rôle dans le pilotage de la filière, du fait que nous pesons, comme je l’ai dit, pour moitié dans son chiffre d’affaires. Ensuite, la France doit être plus présente dans la « bagarre de l’influence européenne » qui se joue actuellement à Bruxelles et à Strasbourg, notamment sur la question des normes techniques. Troisièmement, si l’Europe doit appliquer ses règles en matière de concurrence, elle ne devrait par pour autant oublier de conduire une politique européenne de compétitivité dans le secteur ferroviaire, qu’il s’agisse du choix des technologies ou des segments de marchés, de la recherche, des pôles de compétitivité, des anneaux d’essais ou des centres techniques, afin de contribuer au succès de son industrie ferroviaire.

Il faut également que l’État et les pouvoirs publics assurent de nouveau le pilotage d’un grand programme de recherche sur les transports ; cela a existé dans le passé sous le nom de PCRD ou Programme cadre de recherche et de développement, en vue de favoriser l’innovation dans le secteur. Le pays doit définir des priorités et des lignes directrices : nous ne pourrons pas progresser sur tous les domaines, tous les composants et toutes les gammes de tous les produits.

Enfin, il faut jouer le label France sur les marchés stratégiques mondiaux que sont l’Amérique du Sud ou l’Asie. Cela est d’autant plus indispensable que certains pays européens, tels que l’Allemagne et l’Espagne, appliquent déjà une « stratégie de pays ». L’union appartient à notre culture, elle est dans nos pratiques. Il convient d’en réaffirmer l’utilité. Les grandes « bagarres » du futur seront, pour beaucoup d’entre elles, des « bagarres » entre pays.

M. le président Alain Bocquet. Le rapporteur et les membres de la commission vont à présent vous poser quelques questions.

M. Yanick Paternotte, rapporteur. Les différentes auditions se rejoignent sur un point : la filière industrielle manque d’un pilote. La SNCF ne devrait-elle pas, au moins, favoriser l’émergence de grappes d’entreprises dans le secteur ?

Par ailleurs, puisque le TGV est un marché de niche, ne conviendrait-il pas de favoriser un consortium européen, une sorte d’« Airbus du rail » ? Ne pourrait-on pas commencer par une meilleure standardisation des plateformes technologiques ?

Les formes et les standards des TER sont différents d’une région à l’autre. Alors que la SNCF joue souvent un rôle de conseil, il n’existe ni produit TER standardisé ni connexion avec les régions européennes développant les mêmes gammes de produits. Or, si on veut baisser les coûts pour être compétitif, il convient de fabriquer non pas des séries limitées mais de grandes séries, afin d’éviter la délocalisation de nos fabricants dans les PECO, voire plus loin. Ne pourrait-on pas partir des attentes des clients – les donneurs d’ordres et les payeurs – et des usagers pour en arriver à la fabrication de produits plus standardisés ?

M. Guillaume Pepy. Si les pouvoirs publics le souhaitent, la SNCF, parce qu’elle est une entreprise publique, se propose pour l’exercice d’un pilotage effectif de la filière, notamment en liaison avec Alstom, Bombardier, la mission de M. Jean-Claude Volot sur la sous-traitance et le tissu des PME-PMI. Nous sommes à un moment clé. Nous étions numéro 1 mondial incontesté : nous avons désormais face à nous d’autres pays ou d’autres entreprises qui nous disputent le leadership sur tel ou tel segment du marché. Il est tout à fait urgent de définir les priorités de la filière.

En matière d’harmonisation technique européenne, l’Europe est « au stade zéro ». Pour pouvoir évoluer dans un cadre européen, une locomotive doit être homologuée dans chacun des vingt-sept pays de l’Union européenne, contrairement à ce qui se passe dans les secteurs de l’automobile ou de l’aérien. Si on ne crée pas un régulateur et un système d’homologation européens, la taille critique de l’industrie n’augmentera pas et la circulation des hommes et des marchandises ainsi que l’ouverture du marché européen ne progresseront pas. L’homologation d’une locomotive dans un seul pays peut coûter jusqu’à un million d’euros et exiger un délai de 18 mois et il faut multiplier ces données par 27 ! Tels sont les obstacles techniques à l’« Europe du rail ».

Une forme de partenariat est nécessaire, tous les acteurs en conviennent. Il ne faut pas toutefois en conclure immédiatement à la création d’un « Airbus du rail ». Par-delà la beauté du mot, ce serait préjuger de la solution. Prétendre à la fusion immédiate des trois ou quatre acteurs principaux me paraît prématuré. Une fois que la volonté politique d’un partenariat se sera manifestée, il faudra laisser les industriels choisir les combinaisons les plus efficaces.

Après 18 mois d’un débat parfois difficile, la RATP et la SNCF se sont mises d’accord, sous l’égide de l’État, pour bâtir un véritable pôle public de l’ingénierie ferroviaire français : Systra. C’était la bonne solution. Le nouveau patron de cette entité a pris hier ses fonctions. Nous sommes dans une dynamique positive, avec un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, que nous espérons doubler d’ici à 2015. Il devrait atteindre le milliard en 2016 ou 2017. La France doit jouer un rôle de tout premier plan dans l’ingénierie ferroviaire, le métier « source-amont » de la filière.

S’agissant des 12 lignes sensibles, la SNCF a vocation non pas « à tendre la sébile » aux autorités organisatrices et aux régions mais à faire son métier. RFF et la SNCF bâtissent ensemble des plans d’urgence pour répondre à une détérioration de la qualité du service que, pour ma part, je n’ai jamais niée. Certains plans sont déjà en place. Nous publierons les premiers résultats au début du mois d’avril. Compte tenu du degré de mobilisation, ils devraient être encourageants. Il s’agit de résoudre un problème d’ordre structurel. Le réseau ferroviaire français est en travaux comme il ne l’a jamais été : c’est une excellente nouvelle, même si, comme pour la route ou dans les aéroports, des travaux en cours ne sont jamais synonymes de ponctualité. Nous devons donc composer avec des limitations temporaires de vitesse, des circulations à voie unique ou des retards du fait de chantiers de nuit. Les prochaines années seront celles de la reconstruction d’une partie du réseau. Les Français doivent faire preuve de patience avant de retrouver une qualité de service qu’ils attendent.

M. Pierre Blayau, directeur général de SNCF Geodis et président-directeur général de Geodis. Les volumes du fret ont fortement baissé, en raison d’un niveau d’activité relativement faible. La baisse a débuté en 1990 et elle a entraîné des pertes oscillant entre 300 millions et 600 millions d’euros par an. La consommation de cash s’est élevée à quelque 3 milliards sur les cinq dernières années.

Nous avons porté à la connaissance des cheminots, du public et des chargeurs les raisons de cette situation. La première est la désindustrialisation de la France. Le transport des produits traditionnellement éligibles au train – produits sidérurgiques, charbon ou voitures – a considérablement baissé. La crise a accéléré le phénomène : elle a touché très durement l’ensemble du transport de marchandises.

La deuxième raison tient aux conditions dans laquelle la SNCF a été mise en concurrence. Celle-ci, saine en soi, a privé la société de 10 % à 20 % des parts de marché de trains massifs.

La troisième raison, c’est la concurrence routière. Les conditions dans lesquelles les chargeurs peuvent recourir à un mode de transport ou à un autre sont favorables à la route pour des raisons de prix, de flexibilité, d’adaptation, de coûts des infrastructures et de péages.

À ces raisons, il faut ajouter l’organisation du travail à la SNCF qui n’est pas optimale. La concurrence a été faussée non seulement par les différences existant entre le statut de cheminot et les conditions de travail des salariés des autres opérateurs ferroviaires, mais également par une organisation trop lourde, qui doit être modernisée.

Le schéma directeur a été supporté par l’engagement national pour le fret ferroviaire, un programme d’investissement de dix ans à hauteur de 7 milliards d’euros, principalement tourné vers des travaux visant à fluidifier le réseau et à assurer la circulation des trains de marchandises : 80 % de cet engagement doivent être portés par RFF, les 20 % restants concernant les opérateurs ferroviaires de proximité et le transport combiné pour lesquels la SNCF a pris des engagements. La SNCF s’est également engagée à investir 1 milliard d’euros, un montant que la réorganisation permettra de dégager.

Ce schéma s’articule autour de trois grands axes. Le premier est le développement des nouveaux trafics, porteurs de report modal. L’autoroute ferroviaire constitue une très bonne surprise : Lorry Rail est presque saturé avec quatre allers-retours quotidiens, et ce résultat est d’autant plus remarquable que l’activité était très faible à la fin de l’année 2009. Nous sommes passés, en ce début d’année 2011, à 35 000 équivalents semi-remorques transportés contre 17 000 il y a un an, c'est-à-dire un doublement

S’agissant du trafic des combinés, nous avons pris le contrôle de Novatrans pour bâtir un opérateur de la même taille que les opérateurs allemand – Kombiverkehr – ou suisse – Hupac. Ces nouveaux trafics sont porteurs de commandes de wagons. Nous avons ainsi commandé à Lohr Industrie des wagons très spécifiques pour assurer la montée de semi-remorques sur le train.

Le deuxième axe de travail est l’ajustement de l’offre, non pas dans la perspective de trafics innovants mais en vue de rationaliser notre propre trafic conventionnel. Il s’agissait tout d’abord de transformer le wagon isolé, qui a fait l’objet de nombreux débats publics. Nous ne l’avons pas abandonné : nous avons mis en place des lignes d’axe, dans le cadre d’un maillage territorial réduit mais plus dense. En dépit de quelques réserves, les chargeurs ont adhéré à cette nouvelle offre.

Nous avons également réorganisé, toujours en vue d’ajuster l’offre à la demande, les plans de transport de nos trains massifs, d’abord en sortie ou en entrée de port – Le Havre, Marseille et Anvers –, ensuite vers l’Europe, jusqu’au sud de Moscou.

Enfin – troisième axe –, nous réformons l’organisation de la SNCF afin de la rendre plus performante, ce qui nous a permis d’acheter récemment des locomotives : l’âge moyen du parc marchandises – trente ans pour les wagons et dix-neuf ans pour les locomotives électriques – baissera bientôt grâce à la mise hors service des matériels les plus anciens.

L’année 2011 devrait nous permettre d’assister, pour la première fois, à l’inversion des trajectoires en termes de volumes, après la stabilisation de 2010. Si la trajectoire de croissance s’annonce très modeste cette année, les perspectives d’appels d’offres de nos clients et la pénétration de nos nouveaux produits nous font espérer une progression de 10 % entre 2010 et 2012. Nous escomptons par ailleurs pour 2011 un volume de wagons isolés légèrement supérieur à 200 000, dans le cadre de la nouvelle offre « multilots-multiclients ». Le wagon isolé demeure donc dans la gamme de produits de la SNCF, mais présenté de façon différente. Certes, le niveau est inférieur à 2008-2009 avec ses 300 000 wagons et à la période antérieure à la crise avec 500 000 wagons en 2006 et en 2007.

Nous inverserons également la trajectoire des comptes en 2011, avec une amélioration de quelque 100 millions d’euros. C’est un signe encourageant. Compte tenu de nos possibilités en matière de réorganisation du travail et de politique commerciale, nous avons l’espoir, évoqué par M. Guillaume Pepy, de revenir à l’équilibre en 2014.

Je ferai une seule réserve. Elle concerne la disponibilité de l’infrastructure, une préoccupation que nous partageons, en dehors de tout esprit polémique, avec RFF. Si la tendance au désordre constatée au cours des deux premiers mois de cette année se poursuivait dans l’attribution des sillons, les annulations de dernière minute, les remplacements de sillons et les « plages travaux », le tout aboutissant à des impossibilités de circuler, une part de 10 % du chiffre d’affaires de la SNCF concernant le transport ferroviaire de marchandises serait perdue – elle le serait également pour nos concurrents logés à la même enseigne ! C’est évidemment la route qui en tirerait tout le bénéfice.

S’agissant des activités routières de SNCF Geodis, je tiens à rappeler que la SNCF, qui est passée récemment de quelque 45 % à plus de 98 % de participation dans Geodis, est depuis très longtemps, au moins cinquante ans, le premier transporteur routier français. Le groupe comprend des marques comme Calberson, France-Express, Bourgey-Montreuil. Il devance Norbert Dentressangle.

Dans le chiffre d’affaires de SNCF Geodis – quelque 9 milliards d’euros en 2011 –, le routier représente 2,5 milliards, le commissionnement de transport maritime 2,5 milliards aussi, les activités de logistique entre 1 milliard et 1,2 milliard et le fret ferroviaire 1,5 milliard. La balance entre les différentes activités est donc relativement équilibrée et cette configuration est identique à celle de plusieurs de nos concurrents.

La part routière de SNCF Geodis représente un important gisement d’emplois – le transport routier de marchandises représente en France quelque 350 000 emplois, et il occupe, à la SNCF, 15 000 salariés contre 10 000 à 11 000 cheminots pour le fret ferroviaire. En outre, les territoires sont irrigués par les activités de transport routier portées par la SNCF et par le développement de nos marques que j’ai précédemment citées. Nous jouons donc un rôle majeur dans le tissu économique des régions.

Je tiens aussi à rappeler que 80 % du transport routier de marchandises concernent des trajets inférieurs à 300 kilomètres : il serait difficilement concevable d’organiser pour des trajets aussi courts des transports ferroviaires de substitution. Nous nous efforçons d’améliorer la performance économique du transport routier de la SNCF concurrencé par les « grands » du secteur et par les entreprises des pays de l’Est, dont les conducteurs ont des conditions sociales très inférieures aux conducteurs français. C’est pourquoi nous nous battons sur la qualité du service rendu tout en améliorant la performance écologique, notamment par des investissements en matière de traction. Notre objectif est de nous conformer aux normes européennes les plus exigeantes. Nos chauffeurs suivent également des plans de formation à la conduite économe. De plus, nous avons investi dans des logiciels de transport qui permettent de rationaliser les circulations de camions. Nous inscrivons enfin les transports routiers dans le cadre d’offres bi- ou multimodales, avec la combinaison des offres ferroviaire et routière.

Notre modèle est l’allemand DB Schenker, prestataire mondial en logistique, dont la part routière est, je le rappelle, trois fois plus importante que la part ferroviaire d’activité.

M. Gérard Voisin. Monsieur Blayau, vous venez de nous prouver combien le transport routier représente pour la SNCF une part importante du transport des marchandises. Je rattache vos propos aux conclusions du rapport sur la concurrence ferroviaire en Europe que j’ai récemment présenté pour le compte de la Commission des affaires européennes comme à celles du rapport sur l’écotaxe que j’avais précédemment rédigé.

Monsieur le président de la SNCF, vous avez annoncé que votre objectif est de réussir l’ouverture à la concurrence européenne et que cette réussite passe obligatoirement par la prise en compte des aspects sociaux liés aux personnels du rail de la compagnie historique que vous avez en charge. Pouvez-vous nous préciser les évolutions que vous envisagez, qu’il s’agisse des aspects techniques ou humains ?

Pensez-vous, par ailleurs, que la nouvelle Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), présidée par notre ancien collègue Pierre Cardo, permettra de répondre aux questions tenant à la répartition des tâches entre la SNCF et RFF, en vue de faciliter l’ouverture à la concurrence, laquelle est un gage, pour le client, d’une amélioration des transports et d’une baisse des prix ? J’ajoute que je préfère au mot « usager » le mot « client », qui implique, de la part de la SNCF, une responsabilité différente de celle qui fut la sienne au cours des dernières décennies.

M. Bernard Carayon. Le pré choix de rames Siemens par Eurostar aurait pu se comprendre si les règles de sécurité avaient préalablement évolué. Cette décision d’Eurostar comporte un risque et constitue une indélicatesse, d’autant que le marché allemand ne donne pas l’exemple de l’ouverture ! Est-il normal que le principe de réciprocité, qui est un principe d’équité, ne soit pas appliqué par une société dont vous détenez plus de 50 % du capital ?

Vous avez évoqué également le morcellement de l’industrie ferroviaire européenne et souhaité, comme première étape, une harmonisation technique. Par-delà la formule au demeurant sympathique d’un « Airbus ferroviaire », n’avez-vous pas le sentiment que le pire ennemi d’une synergie industrielle au niveau européen est en réalité la Commission européenne elle-même. Sa maudite doctrine de la concurrence constitue un terrible frein à tout effort de construction d’une politique industrielle européenne ?

Par ailleurs, la législation française vous paraît-elle adaptée à la protection du secret des affaires ou du secret industriel, ou pensez-vous au contraire qu’elle est lacunaire ? Pourriez-vous, dans ce cas, nous donner des exemples ?

Vous avez aussi déploré l’intégration, dans les nouveaux trains, de technologies à la fois sophistiquées, coûteuses et fragiles. La SNCF s’apprêterait elle à acheter des trains rustiques chinois ?

Enfin, je représente l’Assemblée nationale à la Conférence nationale de l’industrie et vous avez rappelé que la SNCF avait également une forte activité industrielle, avec 23 000 salariés qui se consacrent à la maintenance de l’outil ferroviaire. Votre filière « maintenance » y est-elle représentée ? Je ne le crois pas.

M. Philippe Duron. Vous avez affirmé que le modèle du TGV, qui est un marché de niche, est actuellement en cours de fragilisation économique. On sait, par ailleurs, que les concurrents chinois annoncent pour leurs futurs matériels des performances supérieures à celles des matériels français : pensez-vous qu’il faille repositionner le concept et donc modifier l’utilisation du TGV français ? Celui-ci est-il aujourd'hui la solution pour l’ensemble des besoins du territoire ?

Vous avez également évoqué la mise sous surveillance de douze lignes sensibles et la nécessité de remplacer, demain, les trains Corail et Téoz qui arrivent en fin de vie. Faut-il se diriger vers une homologation de matériels existants, qu’ils soient français ou étrangers, ou mettre à l’étude une nouvelle commande française d’un matériel performant, relativement rapide, intermédiaire entre les autorails à grande capacité (AGC) et le TGV ?

M. Jean Grellier. Chacun sait que la qualité des infrastructures ferroviaires est déterminante : quel bilan tirez-vous du système de gestion du réseau et quelles modifications souhaiteriez-vous voir adopter ?

S’agissant de l’avenir des TER, quelle organisation comptez-vous mettre en place pour répondre à la concurrence tout en participant à leur potentiel de développement ?

Existe-t-il effectivement une place pour un train intermédiaire entre le TGV et le TER ? Comment faire pour que les investissements nécessaires soient supportables par les collectivités et que le produit reste abordable pour les usagers ?

En raison de la concurrence entre la SNCF et les opérateurs privés, la situation du fret est parfois confuse dans les territoires. Dans le nord des Deux-Sèvres, Thouars abrite désormais une filiale de la SNCF, Logistra, créée pour répondre à un marché spécifique. Or, cette filiale est « à 100 % SNCF », pour des questions d’organisation et de statut du personnel. Comment clarifierez-vous sa situation ? Quelle organisation adopterez-vous pour répondre à la volonté politique de développer le fret SNCF ?

Enfin, quel bilan tirez-vous des pôles de compétitivité et quel rôle souhaiteriez-vous que les fonds publics jouent en matière d’innovation ?

M. Michel Hunault. Ma question sera simple : qu’est-ce que le président de la SNCF attend d’une commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire ?

M. Guillaume Pepy. Monsieur Hunault, l’industrie ferroviaire française est vitale. Elle a, de plus, vocation à rester parmi les premières du monde. Il faut savoir qu’on roule beaucoup français dans le monde, qu’il s’agisse de SNCF Keolis, de la RATP, de Veolia ou de Transdev. Notre industrie ferroviaire, qui peut s’appuyer sur des opérateurs solides, est toutefois concurrencée, au plan mondial, par des groupes puissants. J’attends donc des travaux de cette commission d’enquête qu’ils contribuent à une prise de conscience des problèmes et à la recherche de solutions concrètes permettant le renforcement de la filière dans le cadre d’une meilleure structuration. Elle doit se trouver un pilote, choisir ses combats et, à cette fin, se fédérer. Les travaux de cette commission d’enquête constitueront une étape importante sur cette voie.

Monsieur Carayon, la Commission européenne est une force de progrès sur la question de l’harmonisation technique et de l’homologation. Il faudrait plus d’Europe pour fédérer les Vingt-sept autour du projet de création d’une agence de sécurité délivrant les homologations de matériels : 27 autorités nationales ne remplaceront pas une coordination européenne dans le secteur.

M. Bernard Carayon. Certes, mais la Commission européenne constitue-t-elle un frein ou un levier pour fédérer l’industrie européenne ?

M. Guillaume Pepy. En tant qu’industriel et en tant qu’opérateur, il me semble que la Commission a une conception de son rôle excessivement marquée par l’obsession de la concurrence à l’intérieur de l’Europe et insuffisamment centrée sur l’atout que constitue la compétitivité de l’industrie européenne vis-à-vis de ses concurrents mondiaux.

La législation sur le secret industriel et commercial est un sujet très important. La SNCF et la RATP, et de manière générale les entreprises publiques, sont des acteurs de plus en plus importants de la compétition mondiale : le secret industriel et commercial doit être aussi bien protégé à la SNCF, à la RATP et plus généralement dans les pôles publics que dans les sociétés de droit privé. Je prendrai un seul exemple : on joue à l’heure actuelle en Arabie Saoudite une partie redoutable avec d’autres concurrents. Toutes les informations relatives aux comptes de la SNCF, à ses investissements, à son financement et à ses conditions de trésorerie devraient donc être aussi bien protégées que pour une société cotée en Bourse. Or, de ce point de vue, le droit français reste lacunaire.

Je tiens, par ailleurs, à vous rassurer : la SNCF n’a pas l’intention d’acheter du matériel chinois d’un type rustique. S’il existe une législation européenne des appels d’offres, dont les règles sont extraordinairement strictes – vous ne pouvez exclure a priori aucune entreprise en Europe –, en revanche, les règles de l’OMC ne vous obligent pas à accueillir un fabriquant en provenance de n’importe quel pays du monde dans n’importe quelles conditions. La SNCF considère aujourd'hui qu’elle n’a aucun intérêt, en tant qu’opérateur et en tant qu’acteur industriel, à favoriser l’arrivée en France d’acteurs chinois.

Enfin, nous serions effectivement heureux que notre branche « maintenance » participe aux travaux relatifs à la structuration des filières industrielles.

Vous le savez, Alstom a formé un recours relatif au marché lancé par Eurostar et remporté par Siemens, demandant à la Haute Cour de justice de Londres de statuer sur la régularité de la procédure d’appel d’offres. Par ailleurs, quel que soit le vainqueur, la Commission intergouvernementale franco-britannique (CIG) devra, en fonction des résultats de l’expertise qui sera rendue cet été, décider si elle autorise la circulation de trains à motorisation répartie dans le tunnel sous la Manche. Nous attendons que ces deux questions soient tranchées.

M. Bernard Carayon. Mais était-il véritablement judicieux d’attribuer ce marché en anticipant l’évolution, seulement éventuelle, des normes de sécurité ?

M. Guillaume Pepy. L’arrêt de la Haute Cour éclaircira ce point. Il faut savoir que dans une lettre adressée en mars à tous les candidats à l’appel d’offres, la Commission intergouvernementale franco-britannique avait laissé entendre que cette nouvelle génération de trains pourrait faire l’objet d’une étude destinée à leur autorisation de circulation, créant ainsi une incertitude. Les termes de ce courrier étaient d’une telle ambiguïté que le Gouvernement français a, par la suite, souhaité remplacer son représentant au sein de la Commission, considérant manifestement qu’il n’avait pas pris la position qui convenait.

L’Autorité de régulation des activités ferroviaires a été créée par la loi dite « ORTF » du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires. L’organisation et le fonctionnement de la nouvelle Autorité ont été précisés par un décret du 2 septembre 2010. Ce régulateur, dont le secteur ferroviaire avait grand besoin, est un excellent outil qui a fait un remarquable début.

Des interrogations se font entendre sur le mécanisme d’attribution des sillons créé par la loi « ORTF ». Le texte n’étant entré en application qu’il y a un an, je suggère d’attendre avant d’envisager un autre système.

M. Yanick Paternotte, rapporteur. M. Maxime Bono et moi-même venons de remettre un rapport d’information sur le contrôle de l’application de cette loi, et nous avons rendu un avis favorable.

M. Guillaume Pepy. Je l’ignorais, mais je m’en félicite.

Si l’on ouvre le marché ferroviaire à la concurrence, la question vitale qui se pose pour l’opérateur historique est de savoir si les conditions d’une concurrence équitable, raisonnable et régulée sont réunies. On ne peut donc faire l’impasse sur le cadre social, sinon il y aura un double statut, certains feront du dumping et le ferroviaire ne se développera pas. Aussi ai-je été très satisfait que, dans la deuxième lettre de mission qu’il m’a adressée, le président de la République me charge de préparer l'ouverture à la concurrence « dans un cadre social harmonisé ». Il ne s’agit pas de placer l’ensemble des salariés du secteur ferroviaire « sous statut SNCF ». En revanche, certaines règles relatives à l’organisation du temps de travail ou encore liées à la sécurité des circulations et à la définition des métiers, doivent être communes à tous les salariés du secteur, quelle que soit l’entreprise pour laquelle ils travaillent.

Comme Alstom, nous pensons qu’il y a une place pour la très haute vitesse en Europe et dans le monde – probablement plus proche du 350 ou du 380 km/heure que du 320 km/heure. La France commettrait une erreur en n’investissant pas dans ce secteur.

Par ailleurs, il y a aussi place, entre le TGV et le TER, pour des trains « grandes lignes ». Il existe un marché tout à fait significatif – de quelque 500 à 800 trains – pour de tels trains. Il ne faut donc pas négliger le secteur des automotrices roulant entre 160 et 230 ou 250 km/heure – soit du matériel régional « boosté », soit des TGV dont on dégraderait la performance. N’oublions que les Allemands ont retenu une option plus basse de trains roulant entre 250 et 300 km/heure et non celle de la très haute vitesse.

Lors du colloque sur « l’Ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires » organisé en janvier dans les murs de l’Assemblée nationale, le président de RFF a indiqué que le réseau français n’a pas, aujourd’hui, une qualité suffisante pour supporter les circulations qu’il assure. Il a décrit une situation très difficile. Une course de vitesse est engagée entre la modernisation du réseau et le développement du trafic ; dans cette course, nous gagnons certains épisodes et nous en perdons d’autres.

Comme chacun le sait, le sénateur Grignon doit rendre un rapport sur les conditions de l’ouverture à la concurrence des trains régionaux de voyageurs. La SNCF ne demande pas que l’ouverture soit repoussée, car tout retard artificiel rendrait le choc plus rude. Mais l’ouverture doit se faire dans des conditions telles que le service public se développe à un meilleur coût pour les collectivités, ce qui suppose des gains d’efficacité ; et que les salariés n’en soient pas les victimes – d’où la nécessité d’un cadre social harmonisé. En bref, le seul objectif de l’ouverture à la concurrence ne doit pas être idéologique : il s’agit de développer le trafic ferroviaire dans des conditions économiques raisonnables. Si l’on se place dans cette optique, on peut réussir une ouverture à la concurrence.

Ce qui concernait le secteur ferroviaire avait été réduit à sa plus simple expression dans la définition des priorités du Grand emprunt. Je me félicite donc des initiatives tendant à constituer un pôle de formation, de recherche et d’expérimentation digne du niveau de l’industrie ferroviaire française dans le Nord-Pas-de-Calais, et j’ai bon espoir que les deux ministres concernés sauront convaincre M. Ricol, commissaire général à l'investissement, de la pertinence de ce choix.

M. Pierre Blayau. Pour répondre à M. Grellier, je précise que Fret SNCF opère « sous statut cheminot » avec l’organisation du travail qui vaut pour tous nos conducteurs cheminots. Nous avons aussi des filiales de droit privé. Certaines, telle Logistra, sont commissionnaires de transport ; VFLI se concentre sur le trafic « spot », au coup par coup. Il y a une différence pour l’organisation du travail entre des entités telles que VFLI, Logistra ou nos concurrents d’une part, et Fret SNCF d’autre part. Nous estimons l’écart de compétitivité à 30% des coûts directs, et la convergence des organisations de travail serait très utile à la SNCF. Notre stratégie consiste à défendre au maximum Fret SNCF dans le cadre de la réorganisation et du travail sur la qualité, tout en saisissant toute opportunité permettant à la SNCF de ne pas perdre un marché en utilisant Logistra ou VFLI.

M. le président Alain Bocquet. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française : production de matériels roulants « voyageurs » et fret

Réunion du mercredi 16 mars 2011 à 16 h 15

Présents. - M. Alain Bocquet, M. Bernard Carayon, M. Gilles Cocquempot, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Michel Hunault, M. Yanick Paternotte, M. Jean Proriol, M. Gérard Voisin, M. André Wojciechowski

Excusés. - M. Maxime Bono, M. Gérard Charasse, M. Antoine Herth, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac