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Mardi 12 avril 2011

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Alain Bocquet Président

– Table ronde, ouverte à la presse écrite et audiovisuelle, réunissant les organisations syndicales et des représentants des usagers

Commission d’enquête
sur la situation de l’industrie ferroviaire française : production de matériels
roulants « voyageurs » et fret

La table ronde débute à seize heures quarante-cinq.

M. le président Alain Bocquet. Nous vous remercions, messieurs, d’avoir répondu à notre invitation. Notre rapporteur, Yanick Paternotte, vous prie d’excuser son absence car il est en mission à l’étranger. Il ne peut donc pas être avec nous pour cette table ronde.

Depuis le début de ses travaux, la commission d’enquête a auditionné un grand nombre d’acteurs du monde ferroviaire : les directions générales des entités opératrices, les grands industriels du secteur, leurs sous-traitants, qui sont souvent de petites et moyennes entreprise (PME) ou de très petites entreprises (TPE), et enfin des responsables administratifs, tels que les dirigeants de Réseau ferré de France (RFF) et de l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF).

Installée à la fin de l’année 2010, la commission travaillera pendant six mois. Elle a déjà auditionné de nombreuses personnes : M. Jean Bergé, président de Bombardier Transport, ainsi que plusieurs de ses collaborateurs ; MM. Jean-Pierre Audoux et Jean-Pierre Auger de la Fédération des industries ferroviaires (FIF) ; les dirigeants de Siemens SAS et de sa division Mobility; M. Hubert du Mesnil, président de Réseau Ferré de France, et plusieurs de ses collaborateurs ; M. Philippe Mellier, président d’Alstom Transport, et M. Robert Lohr, président-directeur général de Lohr industrie, accompagnés de leurs équipes de direction ; MM. Daniel Cappelle, président de l’Association des industries ferroviaires (AIF) et Héric Manusset, directeur général de cette association professionnelle ; le président et le directeur général adjoint de l’important équipementier Faiveley ; le président et le directeur général de Valdunes SAS ; M. Antoine Hurel, directeur général adjoint de Veolia Transport ; M. Jean-Claude Volot, médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance ; des représentants de l’Association des régions de France (ARF), conduits par M. Jacques Auxiette, président de sa commission « infrastructures et transports » ; M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, M. Pierre Blayau, directeur général de SNCF GEODIS et président-directeur général de GEODIS, ainsi que d’autres membres de la direction de la SNCF ; M. Denis Huneau, directeur général de l’Établissement public de sécurité ferroviaire; M. Yves Crozet, professeur d’économie, et M. Alain Bonnafous, professeur émérite de l’Université de Lyon 2 ; M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP, avec d’autres membres de la direction du groupe ; et enfin Mme Sophie Mougard, directrice générale du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF).

Lors d’un déplacement dans le Nord, les 7 et 8 avril derniers, nous nous sommes rendus au Salon international de l’industrie ferroviaire (SIFER), et nous nous sommes entretenus, à Douai, avec des représentants d’Arbel Fauvet Rail (AFR). Nous avons également dialogué avec des syndicalistes et des personnels de la gare de triage de Somain, et rencontré des dirigeants de nombreuses PME, d’autres syndicalistes, des élus et des chercheurs à l’occasion d’une table ronde, et visité l’important site du groupe Bombardier à Crespin.

Dès demain, nous nous rendrons à Bruxelles pour rencontrer les services de la Commission et des députés européens compétents dans les activités auxquelles nous consacrons nos travaux. Nous irons ensuite à la rencontre de la société de construction de wagons ABRF à Châteaubriant, puis nous nous entretiendrons, à l’usine d’Aytré près de La Rochelle, avec des dirigeants et des représentants des syndicats d’Alstom. Nous recevrons, par ailleurs, les dirigeants d’Eurostar, ainsi que le président du Groupement des autorités responsables des transports (GART), et nous irons à la rencontre sur son site alsacien de la société Lohr dont nous avons déjà auditionné le dirigeant et fondateur. Nous auditionnerons ensuite M. Thierry Mariani, secrétaire d’État chargé des transports, et M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Nous nous rendrons aussi dans une usine de production d’Alstom à Katowice, en Pologne, et nous rencontrerons des sous-traitants de cette entreprise avant de visiter le site de Siemens Transport à Châtillon.

La commission d’enquête remettra, au plus tard le 15 juin prochain, son rapport au président de l’Assemblée nationale. Ce rapport vous sera présenté le jour même, afin que vous en ayez « la primeur ».

Notre but est de réaliser un état des lieux de l’industrie ferroviaire. Sans viser à l’exhaustivité, nous cherchons à souligner les forces et faiblesses du secteur, qui doit défendre son savoir-faire et ses emplois face à une concurrence désormais mondialisée.

Bien que vous soyez appelés à prêter serment, cette commission n'est pas un tribunal : elle vise, non pas à mettre en accusation telle ou telle institution ou entreprise, ni telle ou telle personnalité, mais à faire le point sur la situation actuelle et sur l’avenir de notre industrie ferroviaire qui est, en effet, à la croisée des chemins.

Parce que nous souhaitons faire des propositions concrètes, notre travail doit être aussi complet que possible et crédible. Nous avons donc besoin de l’avis des syndicalistes. En plus des rencontres de terrain, nous avons décidé d’organiser cette table ronde pour rassembler, dans une attitude d'écoute réciproque, ceux qui partagent, au quotidien, la vie des salariés d'un secteur sans doute plus complexe qu'il n'y paraît.

Afin que la présente réunion soit la plus « productive » possible, je demanderai à chaque responsable de vos organisations de nous faire part de ses positions sous la forme d’un court exposé. Nous vous invitons aussi à nous remettre des contributions écrites, si cela vous semble utile à l’élaboration du rapport.

Après vos interventions, un dialogue s’engagera avec les députés présents.

Je précise que nous avons tenu à associer à cette rencontre des représentants des organisations d'usagers du ferroviaire et des transports publics. Si le secteur des transports est, en effet, massivement financé par l'impôt, les voyageurs acquittent, de plus, un prix d'accès pour leurs trajets. Il est donc normal qu’ils aient la parole.

Notre mission est, je le rappelle, de comprendre comment l'effort de la Nation est employé, et d’ouvrir des pistes pour répondre aux problèmes qui se posent aujourd’hui, dans la perspective du développement de l'emploi et des droits des usagers.

Les personnes auditionnées prêtent serment.

M. Alain Cocq, vice-président du Collectif des démocrates handicapés (CDH). Représentant les personnes handicapées, quel que soit leur handicap, je commencerai par rendre hommage aux personnels de la SNCF et de la RATP, sans qui les trains ne nous seraient pas accessibles, du fait d’un défaut de structuration du matériel : les rampes d’accès étant externes, l’intervention physique de tiers reste requise.

Pour cette raison, le temps d’accès d’une personne à mobilité réduite est, en moyenne, de six à dix minutes. C’est une catastrophe pour les trains cadencés, qui subissent un retard compris entre quinze et vingt minutes quand deux personnes en fauteuil roulant veulent monter et descendre. Seule l’intégration des dispositifs au matériel nous offrirait un accès direct.

Autre problème : il n’existe qu’une ou deux places destinées aux personnes à mobilité réduite par train, alors qu’elles sont au nombre de 3,8 millions en France. Moins de 0,2 % des citoyens à mobilité réduite ont donc accès aux transports ferroviaires. Lorsque nous organisons une réunion importante, seules une ou deux personnes peuvent s’y rendre par le train.

Nous souffrons d’un problème d’accès au service public !

J’appelle, pour finir, votre attention sur le non-respect de la réglementation en vigueur pour les matériels. Le fauteuil que j’utilise est large de 66 centimètres, alors que la largeur des voies d’accès dans les TGV de première génération est de 67 centimètres. Les fabricants réduisent certes la largeur de leurs fauteuils, mais de plus en plus de personnes souffrent de handicaps acquis, de sorte que la taille moyenne des personnes à mobilité réduite est passée de 1,60 à 1,78 mètre. Or, si l’on utilise un fauteuil de 1,58 mètre, comme le mien, on se renverse quand on emprunte une pente latérale de plus de deux centimètres, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer. Pour éviter ce risque, il faut utiliser des fauteuils de 69 centimètres de largeur, mais ce qui empêche d’accéder aux trains ! Ajoutons à cela qu’il faut descendre et tourner dans les TGV à double étage, une fois qu’on a atteint le plateau d’entrée, ce qui est absolument impossible en fauteuil électrique.

Nous demandons que le matériel soit réellement mis en conformité pour faciliter l’accessibilité des 3,8 millions de personnes à mobilité réduite. Faute de temps, je n’évoquerai pas le cas des non-voyants qui rencontrent pourtant de grandes difficultés.

M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports CGT. Militant depuis des années pour la reconquête d'une politique industrielle en France et en Europe, la CGT se félicite de votre initiative. L’organisation de cette table ronde est un acte important, qui donne une place aux représentants des salariés. Il est temps, en effet, de sortir d’un processus de réflexion et de décision limité aux seuls actionnaires, qui n’ont que faire de l'emploi durable et des besoins économiques, sociaux et environnementaux de nos territoires.

Les élus de la Nation ont une légitimité pour s’intéresser à ces questions. Ils en ont même le devoir : il faut assurer une réorientation de la politique industrielle dans la filière de matériel ferroviaire, tâche que les États généraux de l'industrie n'ont pu réaliser. On peut d’ailleurs penser qu’il ne pouvait en être autrement : cette opération, avant tout médiatique, faisait la part belle aux logiques de business financier, qui sont défavorables à l'emploi, à l'augmentation des salaires, à la reconnaissance des qualifications, à la promotion et à la fidélisation des capacités humaines et des savoir-faire, mais aussi à la recherche et à l'innovation ; elles s’opposent, en outre, à l’établissement d’un plan cohérent pour la prise en compte d’un développement humain durable en tant que finalité des productions et à la démocratie et à la promotion de droits nouveaux d'intervention pour les salariés, elles font donc obstacle à la création d’un pôle financier public susceptible de réorienter le financement des entreprises.

Alors que l’industrie du matériel ferroviaire est étroitement concernée par les défis que représentent la maîtrise de l’énergie et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les orientations retenues lors du Grenelle de l'environnement restent à mettre en œuvre concrètement – il faudrait notamment réorienter les systèmes de transport au bénéfice du train, du tramway et du métro. Or, bien peu d’évolutions marquantes ont eu lieu. Il est donc urgent de passer des intentions aux actes. L'industrie de la construction, de la maintenance du matériel et des transports ferroviaires constitue la « boîte à outils » de cette réorientation.

Sans cette industrie, rien n’est possible. Mais, grâce à elle, nous avons un atout considérable dans notre pays, en Europe et aussi dans le monde entier : la filière a un avenir pour peu qu’on s’y intéresse et qu’on lui donne les moyens de répondre aux besoins. Des dizaines de milliers d'emplois sont en jeu sur plusieurs générations.

La CGT souhaite que la filière soit mise en situation de répondre aux besoins des transports qui évoluent considérablement du fait de la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique.

En effet, il convient, en premier lieu, de s’engager dans un report modal massif de la route vers le rail, aussi bien pour le transport de personnes que pour celui des marchandises.

Il importe, en deuxième lieu, de développer les transports collectifs urbains, en particulier les transports en site propre et les transports guidés, suivant des techniques proprement ferroviaires.

En troisième lieu, il est indispensable d’élaborer un schéma national des infrastructures de transport multimodal, qui serait axé, pour prés des deux tiers des décisions et des investissements, sur le mode ferroviaire, et pour le reste sur les transports collectifs urbains.

Il faut, en quatrième lieu, engager la construction de 2 000 kilomètres de lignes TGV supplémentaires d'ici à 2020, et de 4 000 kilomètres supplémentaires à l'horizon 2030, ce qui offre des débouchés considérables dans le domaine des matériels pendant plus de trente ans.

Enfin, il est essentiel d’élaborer un plan prioritaire de régénération et de modernisation du réseau classique, priorité qui figure dans la loi Grenelle 1, et qui offre, elle aussi, des débouchés importants.

Ces orientations nécessiteront des engagements forts et concrets en matière de financement et de maîtrise publique. Il en résultera des besoins considérables en matériels d'infrastructure – rails, appareils de voies ou encore circuits électriques et électroniques – et en matériels roulants, à quoi il faut ajouter les besoins issus du renouvellement des équipements en fin de vie. Je pense, en particulier, aux wagons « fret », aux wagons technologiquement nouveaux pour le transport combiné, aux locomotives, aux rames de TGV, aux voitures pour voyageurs, aux rames TER, aux tramways et aux métros.

La partie « transport » du Grand Paris, qui manifestement fait l’objet d’un traitement à part, ouvrira aussi des débouchés importants.

La CGT avait chiffré assez précisément les besoins nécessaires lors des États généraux de l’industrie. Cette évaluation, qui n’a pas été contestée, reste d'actualité.

La France dispose d'atouts forts dans le domaine sur lequel portent vos travaux. Pionnière et leader à bien des égards, car elle se situe à la pointe de la technologie, elle doit maintenant pousser ses avantages.

Si nous en sommes là, c’est grâce à la coopération réalisée pendant des années entre les entreprises publiques, SNCF et RATP, et les grands groupes industriels, tels qu’Alstom, Siemens et Bombardier, mais aussi grâce à d’autres coopérations avec des PME comme Lohr, et à la dynamique impulsée par les collectivités territoriales, qui sont des autorités organisatrices de transport.

Le TGV est ainsi devenu une vitrine mondiale, les autoroutes ferroviaires « fret » ont vu le jour, le TER a connu un véritable succès grâce à ses matériels modernes, et des projets en site propre ont pu être développés, avec un cofinancement de l'État, en matière de transports urbains.

Alors que le marché domestique est porteur, nous sommes sur le point de ne plus pouvoir répondre aux demandes, faute de moyens, mais aussi à cause des pertes d’expérience et des délocalisations. Pour y remédier, nous devons renouer avec les grandes coopérations et les programmes que nous avons connus en matière de recherche, d'ingénierie, de conception, mais aussi d'assemblage et d’utilisation.

Dans cette perspective, nous avons besoin d’une véritable structuration en filière opérationnelle. Nous devons faire évoluer les pôles de compétitivité concernés en pôles de développement, notamment en matière d’emploi, de qualification, de formation et de fidélisation du salariat, et il importe de les mettre en réseau. Nous avons besoin, par ailleurs, d’une politique volontariste en matière d’emploi : c’est un levier essentiel dans la production – je pense notamment à l'embauche des intérimaires.

Il convient au surplus d’assurer une modernisation et une démocratisation du système en veillant à impliquer les salariés, les constructeurs et les utilisateurs, dont les éclairages peuvent être précieux.

Nous devons aussi faire en sorte que l'approche de la filière repose sur des critères sociaux, des critères environnementaux et des critères de qualité, afin de protéger l'emploi et les salariés, tout en responsabilisant les groupes industriels à l’égard des territoires et à l’égard des réseaux de sous-traitants. Il paraît également souhaitable de renforcer les coopérations européennes, non pour augmenter la marge des grands groupes, mais pour solidifier et ancrer la production grâce à l’élévation sociale des salariés du secteur.

Bien que le secteur soit en pleine croissance, probablement pour de nombreuses années, beaucoup de PME sont aujourd’hui au bord de l'asphyxie. Elles ont besoin d’un plan d'urgence reposant sur la création d’un véritable « pôle public financier » et d’un « fonds national pour l'emploi, la formation et le développement », avec des déclinaisons au niveau régional.

Ajoutons à cela que les commandes et les achats de matériels se font dans le cadre d’un marché mondial, par l’intermédiaire d’appels d'offres. Or le monde entier, et en particulier notre pays, s’est engagé sur la voie d’une réduction des émissions de CO2. Nous devons donc formaliser une responsabilisation des entreprises de transport, qui sont les donneurs d'ordres en matière d'achats.

Dans ce domaine, on peut s’interroger sur le bilan carbone de la délocalisation de la production de matériels. Elle a, en effet, pour conséquence une quantité de transport aberrante, alors que le commerce mondial est responsable de 30 % des émissions de CO2.

Cette question, qui intéresse au plus haut point le législateur, offre des leviers d’action en matière sociale et économique – je pense notamment à la réflexion que nous devons mener sur le développement des circuits courts de production, essentiels pour la ré-industrialisation de la France et pour l’aménagement du territoire.

Pour conclure, la CGT demande la mise en place de comités interentreprises dans les filières, l’institution d'un pouvoir suspensif au profit des comités d'entreprises face aux licenciements économiques, la représentation des salariés dans les conseils de toutes les entreprises cotées en bourse, l'évaluation contradictoire de toutes les aides, ainsi que le développement d’une politique volontariste dans le domaine de l’emploi, de la formation et de qualification.

M. Guy Quievryn (CFDT), membre du comité stratégique de filière. Nos propositions pour l’industrie ferroviaire s’inscrivent dans le cadre d’une vision globale de l’économie : la CFDT n’a jamais voulu séparer l’économique et le social, qu’elle considère comme deux facettes indissociables du développement.

Du reste, la crise a démontré qu’une économie dépourvue de régulation publique et reposant sur le seul critère du rendement financier mettait en péril l’ensemble de la société. Elle a donc contribué à réhabiliter le rôle de l’État et de ses représentants en tant que garants de la cohésion sociale et des enjeux économiques de long terme.

S’il nous paraît salutaire que l’on se saisisse de la question industrielle, la solution ne peut résider, selon nous, ni dans le retour d’un État interventionniste et entrepreneur, ni dans un repli national. Notre développement reposant, en grande partie, sur la capacité exportatrice de nos entreprises, il faut travailler sur tout ce qui favorise, de manière transversale, le développement industriel – la recherche et développement (R&D), la formation, les infrastructures et la fiscalité.

La dimension européenne s’impose, par ailleurs, pour un grand nombre de thèmes essentiels en matière de politique industrielle : le développement d’une stratégie industrielle intégrée, les brevets et la propriété industrielle, le programme cadre de R&D, la politique énergétique, la mobilité, l’environnement et la fiscalité. On ne peut pas ignorer, par exemple, le paquet « climat-énergie », ni le risque de dumping fiscal, social et environnemental qui est élevé.

La France doit en conséquence s’engager en faveur d’une meilleure convergence européenne des politiques menées. Nous devons participer à la mise en place de schémas de co-entreprises et de coopérations, en nous appuyant sur nos atouts actuels. J’observe, en particulier, que nous avons besoin d’un axe franco-allemand fort dans le domaine ferroviaire, tout en rassemblant d’autres partenaires européens. Il conviendrait également de parvenir à proposer des offres complètes, c'est-à-dire « clés en main », tant pour le matériel roulant que pour les infrastructures et la maintenance, ce qui n’est possible que dans le cadre d’une coopération européenne.

J’en viens au développement durable, devenu un facteur essentiel pour la croissance et la compétitivité. Force est de constater que la « croissance verte » n’a été que marginalement prise en compte dans le cadre des États généraux de l’industrie dont l’articulation avec le Grenelle de l’environnement est quasi inexistante. Nous devons veiller à lui conférer une place centrale et à coordonner tous les instruments incitatifs, notamment la formation et les outils fiscaux. Il s’agit tout particulièrement de concilier les mesures fiscales destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre et le développement industriel.

Afin de nous orienter vers une nouvelle politique en faveur de l’industrie ferroviaire, nous devons, en outre, accorder au dialogue social la place qui, à l’évidence, lui revient, si l’on veut conjuguer la dimension sociale et la dimension économique. Pour la CFDT, il est urgent d’améliorer les coopérations interentreprises dans un objectif de compétitivité globale, en associant les donneurs d’ordres, les sous-traitants et les fournisseurs ; de soutenir financièrement les entreprises, en particulier les PME et les TPE ; de disposer d’une R&D porteuse d’avenir ; de créer des conditions favorables à la prévision des compétences et des emplois de demain en vue d’assurer l’adaptation des secteurs concernés, voire de créer de nouveaux gisements d’activités et des filières de formation aux métiers du ferroviaire.

Il convient également d’investir de nouveau dans la formation pour la qualification des salariés – les métiers changent, mais les qualifications se conservent pendant tout la vie –, et de veiller à mieux répartir la valeur ajoutée : seuls les bénéficiaires des hauts salaires et des dividendes ont profité de l’intéressement aux bénéfices, bien souvent au détriment de l’investissement, de l’emploi et de la formation. Redonner aux investissements la place qui leur revient, tout en valorisant les qualifications et les salaires nécessaires à l’avenir de la filière, est donc impératif.

En dernier lieu, il importe de reconnaître le dialogue social comme tremplin de la performance : au lieu de considérer les salariés comme des coûts et des charges, il faut les associer aux choix stratégiques des entreprises. Une telle évolution influerait positivement sur leur motivation et leur performance.

M. Sébastien Listrat, membre du bureau de l’industrie de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA). L’industrie ferroviaire française, dont le chiffre d’affaires est de 3,3 milliards d'euros par an, et qui représente plus de 17 000 emplois directs, se trouve en deuxième position sur le marché européen depuis 2008.

Malgré l’annonce de la construction de voies nouvelles dans les dix prochaines années, on constate que les moyens manquent pour remettre à niveau le réseau. Son état de vétusté est pourtant indéniable.

Des pays émergents tels que la Chine, qui investit 50 milliards d'euros par an dans le secteur ferroviaire, mais aussi la Russie, l'Inde, le Brésil, l'Arabie saoudite, l'Iran et l'Égypte, deviennent en outre des menaces : ces pays disposeront, dans les années à venir, de savoir-faire et de technologies transférés par des grands groupes qui ne cessent de se délocaliser pour de simples raisons financières, au risque de bafouer les normes de sécurité en vigueur dans notre pays. Alors que la France investit beaucoup dans la recherche et le développement, et parvient ainsi à faire évoluer les savoir-faire, en particulier pour les métros automatiques, certains de ces pays s'emparent progressivement de nos technologies pour s'implanter sur nos marchés. Les salariés de « géants » tels qu’Alstom et Bombardier en souffriront, de même que ceux de nos TPE et PME : malgré leur savoir-faire et la qualité de leurs produits, ces entreprises ne pourront pas s’imposer face à une concurrence bon marché, parfois même issue de certains pays européens.

Force est de reconnaître que le monde est en perpétuelle évolution. Mais il faut aussi admettre qu’il est modelé par les acteurs qui nous demandent de nous adapter au changement. L’industrie ferroviaire française est dans la même situation que toutes les autres industries : elle est menacée au motif qu’elle n’est plus concurrentielle, la main-d’œuvre étant bon marché de l’autre côté de la planète, voire de l'autre côté de l'Europe.

Votre commission d'enquête ayant pour but de dégager des solutions pour pérenniser notre industrie ferroviaire, développer l’emploi et améliorer les conditions de travail dans cette filière, l'UNSA propose d’agir en priorité sur deux plans : la concurrence intra européenne et la concurrence extra européenne.

Face à la concurrence des pays d'Europe de l'Est, nous devons mettre en œuvre des politiques permettant de réduire les inégalités entre les États membres de l'Union européenne. Les écarts sont, en effet, considérables tant pour les rémunérations que les durées légales du travail : la durée du temps de travail est légalement fixée à 40 heures par semaine en Bulgarie, en Estonie, en Pologne et en Roumanie, pour une rémunération moyenne inférieure de 70 % à celle pratiquée en France. À moyen terme, nous devons harmoniser le coût horaire du travail dans les différents États membres, tout en instaurant une législation du travail identique.

Pour les mêmes raisons, nous avons besoin de mesures susceptibles de rendre les produits européens aussi concurrentiels que ceux importés de pays émergents, tels que la Chine, le Brésil et l'Inde. L’instauration d’une taxe sur les importations permettrait d’équilibrer les variations de prix entre les différentes zones mondiales. Cela empêcherait la fuite de nos entrepreneurs vers des pays où l'on ferme aisément les yeux sur les questions de sécurité ou encore de conditions de travail, et conduirait à recentrer nos entreprises sur une zone qui cesserait, dès lors, d’être un gouffre financier face à de grands groupes capables de casser les prix. Une telle mesure ne résoudrait sans doute pas toutes les difficultés, mais elle favoriserait la pérennisation de nos emplois, et peut-être le développement de certaines filières où les coûts sont aujourd’hui trop importants pour qu’il y ait des investissements en France.

En France, les conditions de travail étant placées sous le contrôle de diverses instances, telles que l'inspection du travail et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), notre préoccupation première doit être de sécuriser les emplois. Notre pays est reconnu pour son savoir-faire, pour son avance dans le développement de nouvelles technologies, pour sa qualité d'exécution et de fabrication, et pour son adaptabilité face aux nouveaux défis. Mais nous devons faire en sorte que ces qualités l’emportent sur le coût du travail, devenu le critère prépondérant pour l'obtention de nouveaux marchés.

Afin de rester au premier rang aussi bien au niveau européen qu’au niveau mondial, nous avons donc besoin d’une législation communautaire adaptée aux exigences actuelles. Certes, l'Europe est en construction depuis 1957, mais elle ne s'est toujours pas faite aux impératifs actuels !

M. Christian Mahieux, membre du secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires (SUD Rail). Aux yeux de la fédération SUD Rail de l’Union Solidaires Transport et de l’Union Solidaires Industrie, la situation de l’industrie française ne peut pas être appréciée indépendamment du cadre global des transports ferroviaires. Je pense en particulier aux choix politiques réalisés en matière de droit au transport collectif pour tous et toutes, et à la priorité donnée au mode de transport le plus utile pour la société, notamment sur les plans écologique et social.

Il va de soi que le sort de la filière est directement lié au développement des transports ferroviaires. Sans entrer dans un débat qui ne constitue pas le thème principal de cette commission d’enquête, je crois utile de rappeler les points suivants :

En premier lieu, la politique des transports mise en œuvre depuis des décennies favorise, non pas le rail, mais la route. Le choix a ainsi été fait de privilégier le mode de transport où l’exploitation des salariés est la plus importante, et où les marges bénéficiaires sont les plus fortes, au détriment de l’intérêt collectif.

En deuxième lieu, la situation du fret ferroviaire est aujourd’hui alarmante. Au fil des « plans fret » successifs, la SNCF n’a pas cessé de réduire le trafic de marchandises : en 2011, le nombre de tonnes/ kilomètres transportées par Fret SNCF est revenu au niveau qui était celui de l’ensemble des compagnies de chemins de fer françaises en 1911 !

En troisième lieu, les entreprises publiques que sont la SNCF et la RATP ont un rôle essentiel à jouer pour le développement de l’industrie ferroviaire. Dans cette perspective, il convient de leur octroyer un véritable rôle de service public, et donc d’en finir avec la conception de leurs équipes dirigeantes, qui les transforment en entreprises censées conquérir le monde, quitte à abandonner des zones entières de notre territoire, et à ne pas répondre aux besoins des populations locales.

Enfin, le système ferroviaire français est aujourd’hui dans un état très inquiétant. Cela a des conséquences sur la régularité des transports et fragilise considérablement leur niveau de sécurité. Il est en conséquence urgent de recréer un service public ferroviaire intégré, en mettant un terme à l’éclatement qui a résulté de la constitution de RFF et des multiples organismes inventés pour accompagner la privatisation.

Si l’on considère les bénéfices, le chiffre d’affaires et les dividendes versés aux actionnaires des deux groupes qui représentent 70 % du secteur, Alstom et Bombardier, l’industrie ferroviaire se porte bien en France. Toutefois, la situation est beaucoup moins réjouissante pour les salariés de ces deux entreprises, ainsi que pour les PME et PMI de la filière, et plus généralement pour toutes les entreprises sous-traitantes. La réalité quotidienne de leurs salariés est faite de conditions de travail difficiles, de salaires souvent peu élevés, et de la menace permanente du chômage.

Des entreprises telles qu’Alstom et Bombardier, mais aussi la SNCF et la RATP, ont une responsabilité directe dans la délocalisation de certaines activités liées à la construction ferroviaire dans des pays où l’exploitation des salariés est plus grande qu’en France – la Pologne, la Roumanie, l’Inde, ou encore la Chine. Afin de mettre un terme à cette situation, les commandes publiques passées par la SNCF, la RATP et les régions doivent comporter des clauses sociales. Ces entités publiques doivent exiger que l’argent public investi dans la commande de nouveaux matériels ferroviaires ne serve plus à alimenter le chômage.

Le niveau des commandes de matériel de traction et de transport ferroviaire étant intrinsèquement lié au trafic, la responsabilité de la SNCF et de l’État, son actionnaire unique, est directement engagée. L’industrie ferroviaire subit aujourd’hui les conséquences de la politique menée en matière de fret, laquelle consiste à fermer les triages et à abandonner le trafic de wagons isolés. Il en résulte des conséquences presque automatiques pour nombre d’équipementiers.

Le secteur de la construction et de la maintenance des voies ferrées est, lui aussi, directement lié aux choix budgétaires, donc à des décisions politiques. Si j’insiste sur ce point, c’est qu’il ne faut pas oublier que l’industrie ferroviaire ne concerne pas que le matériel roulant, et que la recherche du moindre coût en matière salariale conduit à des situations dangereuses pour la sécurité des travailleurs et des travailleuses directement concernés ainsi que, bien évidemment, pour les usagers du rail.

À terme, l’Union syndicale Solidaires est favorable à l’instauration d’un pôle public comprenant le secteur ferroviaire dans son ensemble, à savoir le transport et la gestion de l’infrastructure, qui seraient réunis dans une seule entreprise publique, les multiples activités confiées à la sous-traitance pour réaliser des économies au détriment des salariés dans les domaines du nettoyage, de la restauration ou encore du gardiennage, et plus généralement l’industrie ferroviaire. Ce serait la solution la plus réaliste pour améliorer l’efficacité du système dans son ensemble, pour offrir le meilleur service au public et pour garantir un cadre social harmonisé et de haut niveau aux salariés.

M. Bruno Duchemin, secrétaire national de la Fédération générale autonome des agents de conduite (FGAAC-CFDT). L’industrie ferroviaire est une des vitrines technologiques de notre pays : nous battons régulièrement des records de vitesse : nous sommes le premier opérateur mondial en matière de grande vitesse. Nous exportons notre savoir-faire dans de nombreux pays, et sommes souvent cités comme un modèle dans le domaine ferroviaire. Notre industrie ferroviaire représente 4 milliards d’euros, et elle emploie des milliers de personnes. Quant à la SNCF, qui est l’opérateur historique et le principal client dans ce domaine, elle reste un « poids lourd » en Europe.

En dépit de ce tableau qui pourrait sembler par trop idyllique, nous avons de fortes inquiétudes pour l’avenir de ce fleuron national, déjà fortement touché au cours des dernières décennies. La concurrence étant devenue mondiale, les pôles de la fabrication et de la compétence ferroviaires se déplacent de l’Europe vers des pays émergents qui ont clairement fait le choix du transport par rail, à l’exemple de la Chine. De nouveaux concurrents mondiaux, très sérieux, se développent dans le secteur, notamment grâce à des investissements lourds décidés par les pouvoirs politiques nationaux.

Alors que nous nous battons en Europe pour détruire les monopoles étatiques, de nouveaux géants qui exploitent des marchés domestiques colossaux, représentant plusieurs centaines de milliards de dollars, menacent notre industrie, et cela à court terme. Nos entreprises sont certes importantes sur le plan national, voire européen, mais leur taille reste insuffisante à l’échelle mondiale.

Du fait de la variation des effets d’échelle, mais aussi de la concurrence interne à l’Europe, laquelle conduit à une division des moyens et à une déclinaison administrative aberrante, nous craignons fort, chaque pays tenant à conserver jalousement ses prérogatives en matière d’homologation des matériels roulants, que les coûts de construction ne permettent pas d’affronter la concurrence mondiale qui émerge aujourd’hui.

Depuis les Ford T et les Liberty ships, chacun sait qu’on peut réduire considérablement les coûts fixes en construisant à grande échelle, mais nous en restons à l’idée que seule la concurrence crée l’émulation, et que celle-ci est indispensable pour fabriquer les meilleurs produits. Le Concorde et le Rafale en apportent une démonstration assez souvent exacte, en particulier dans le domaine aéronautique, mais ils nous montrent aussi que le meilleur produit d’une génération peut se vendre et s’exporter difficilement. L’exemple d’Airbus prouve toutefois que tous les espoirs sont possibles si l’on s’associe au lieu de s’entre-déchirer : on peut même ainsi conserver et conquérir un leadership mondial. Dans le domaine de l’automobile, le développement de motorisations et de plateformes communes a contribué, depuis longtemps, au succès de modèles européens.

Depuis Vercingétorix, notre héritage gaulois nous enseigne, par ailleurs, que « l’union fait la force ». Même si nos livres d’histoire sont magnifiés, ici ou là, par quelques belles pages de bravoure, nous savons que la division, que l’on pourrait en l’occurrence appeler « concurrence interne aux tribus européennes », mène au désastre !

Dans le contexte de concurrence mondiale qui prévaut aujourd’hui, l’Europe devrait donc favoriser l’émergence de « champions européens » sous la forme la mieux adaptée au développement des synergies. Mais elle préfère affaiblir ses « champions » en les exposant à des luttes fratricides, peut-être dans l’espoir que le vainqueur de cette succession de duels sera suffisamment fort pour battre de « nouveaux géants » qui relèvent de pays émergents. La synergie des savoir-faire, des compétences et des applications sur des marchés domestiques de plus grande échelle constitue pourtant la bonne stratégie. L’application de la simple loi du marché, sans dirigisme politique – j’ose employer ce terme –, nous paraît vouée à l’échec.

Force est de constater que la politique économique et sociale des transports manque de cohérence sur le plan national, mais aussi au niveau des institutions européennes. En pleine passion pour le Grenelle de l’environnement, on décrète ainsi le report modal, puis on concède le « 44 tonnes » à la route ! Un autre jour, on décide d’instaurer une écotaxe sur les poids lourds, avant d’en ajourner la mise en place. En agissant ainsi, on se prive d’une manne financière considérable, mais on investit tout de même 7 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 1 milliard apporté par la SNCF, dans la régénération du réseau.

Il faut saluer cet effort, qu’il était temps de réaliser compte tenu du niveau de vétusté actuel, qui est parfois inquiétant. J’observe toutefois qu’on tente de faire en cinq ans des travaux qu’il aurait été préférable d’étaler sur deux ou trois décennies. Il en résulte un fort engorgement des sillons, au moment même où l’on décide d’augmenter la circulation grâce au cadencement. On touche là au problème du financement de RFF, qui doit vendre un maximum de sillons pour boucler son budget, alors que le réseau est en convalescence du fait des nombreuses opérations en cours pour améliorer sa qualité et sa fluidité. « Achetez-moi des sillons en quantité pour équilibrer mon budget, certes les travaux détruiront votre régularité, mais c’est à vous de vous débrouiller avec vos clients captifs, que vous appelez parfois des usagers, de même qu’avec les médias » : tel est, en substance, le discours de RFF !

Quelles que soient ses visées internationales, qui permettent de réaliser des économies d’échelle, toute industrie doit pouvoir utilement s’appuyer sur les bases solides que lui offre son marché domestique. Dans ce domaine, notre secteur ferroviaire connaît une révolution sociale et économique due non seulement à la crise économique, encore très proche, mais aussi à l’instauration de la concurrence. Celle-ci a donné lieu à la création d’une convention collective de branche, dont le premier volet est applicable depuis l’été 2008 pour le transport de fret ; la concertation doit bientôt s’ouvrir pour le transport de passagers.

Nous allons ainsi instaurer la déréglementation dans la branche « voyageurs » en suivant le modèle du dumping social. Dans le secteur du fret, le monopole de la SNCF, présenté comme un obstacle au développement du transport ferroviaire, a déjà disparu, et des entreprises privées se sont donc installées. La déréglementation et la loi du marché devaient tout régler :ces deux « bonnes fées » étant censées permettre le développement du ferroviaire partout en Europe, y compris en France, pourtant considérée comme une terre où les réformes sont impossibles. Le fret ferroviaire devait donc se développer comme jamais !

Quel est le bilan ? Depuis la mise en place de la concurrence, première étape de la libéralisation, le secteur du fret ferroviaire a poursuivi son déclin : le report modal n’a pas eu lieu, et la part des transports routiers n’a fait que croître. Le nombre des camions sur les routes a tellement augmenté qu’il est devenu un problème politique d’envergure nationale, et il sera peut-être l’un des enjeux des prochaines élections. Par ailleurs, même si nous payons tous la facture de l’entretien et de la construction des routes, l’internalisation des coûts externes, pris en charge par les contribuables, n’a jamais été réalisée. Les camions représentent toujours plus de 80 % des émissions de CO2, tandis que les nouveaux entrants dans le secteur ferroviaire roulent au diesel… sous des fils caténaires. Le bilan environnemental est exécrable, mais aucun renversement de tendance n’est envisageable, à court ou moyen terme.

Présenté comme le « champion des champions » du transport privé, Veolia a  jeté l’éponge ! Ses salariés ont démissionné ou ils ont été repris par Europorte, une filiale d’Eurotunnel. Quant à Euro Cargo Rail, l’autre grand concurrent qui reste en lice, il travaille à perte : il ne doit sa survie qu’à la perfusion fournie par la Deutsche Bahn, qui a procédé à la recapitalisation de sa filiale française à hauteur de la totalité de son chiffre d’affaires. Pour sa part, la SNCF, qui ne peut plus effectuer de péréquation entre les trafics dits « rentables » et ceux qui sont « durablement déficitaires » c’est-à-dire d’intérêt général, « réorganise » – il est interdit de dire « abandonne » – le wagon isolé. Personne ne veut le reprendre. Surtout pas ses concurrents privés. Plusieurs dizaines de milliards de tonnes/kilomètres passent donc à la route, laissant des chargeurs sans solution de transport de masse adaptée à leur production, alors même qu’ils avaient réalisé des investissements. Des sites de concentration de wagons tels que les triages disparaissent, entraînant avec eux des pans entiers de l’économie en milieu rural. Les habitants sont alors condamnés à l’exode définitif ou quotidien, s’ils ont retrouvé du travail en ville. Espérons au moins qu’ils prendront le train !

Le bilan économique est donc bien catastrophique.

Le bilan social n'est pas meilleur. Aujourd'hui, le niveau social de la convention collective ne permet pas de réduire l'écart concurrentiel entre la SNCF et les autres entreprises ferroviaires. L'harmonisation sociale souhaitée dans le secteur n'a pas eu lieu. Nous avons vu apparaître des durées de journées de travail dans le ferroviaire, y compris des durées de temps de conduite, qui dépassent tout ce qui peut être raisonnable, avec, parfois, l'accident catastrophique évité par chance ! Les cheminots d’Euro Cargo Rail, en colère, ont fait grève dix jours durant, parce que la convention collective, pourtant basse et peu généreuse, ne leur était pas appliquée, alors que ce sont leurs patrons qui l'ont négociée au sein de l'Union des Transports Publics. Quel bilan, quel gâchis !

Cette situation pose de nombreux problèmes, éthiques, économiques, environnementaux et sociaux. Le triste bilan de la libéralisation du fret ferroviaire inciterait toute personne sensée à être prudente, à réfléchir sur l'opportunité d'un retour d'expérience, à tirer les leçons des erreurs commises.

Il n'y aura pas de développement du ferroviaire par la concurrence, sans harmonisation sociale. Les Allemands, qui ont de l'avance sur nous, nous donnent des leçons en ce sens. Ces questions sont aujourd'hui au centre d’un débat éminemment politique.

Selon le principe de la division, on oppose systématiquement les modes de transport : la route contre le ferroviaire, le ferroviaire contre le fluvial ou l'aérien, l'aérien contre le maritime. Là encore, les divisions ne font pas recette et ne permettent pas de gagner la bataille du rail !

Plutôt que de conserver ce modèle de division interne destructeur, la FGAAC-CFDT appelle à organiser enfin une politique des transports de complémentarité entre les modes. Chacun détient en effet sa pertinence. Les chaînes de transport, de commissionnement, de dédouanement, de manutention portuaire et de logistique, sont aujourd'hui fort longues, depuis que le gros de l'industrie et de la manufacture s'est mondialisé et transporté dans des pays éloignés. Les clients souhaitent souvent des produits « clés en main » qui comprennent l'ensemble des maillons de la chaîne.

De ce fait, l'intégration de GEODIS dans le giron de la SNCF pourrait être un atout, à condition qu'il draine un maximum de transport vers le ferroviaire. Le maximum étant le maximum économiquement pertinent pour la chaîne, et pas seulement pour le maillon du transport terrestre.

Le cas des autoroutes ferroviaires, dont le succès semble se confirmer, est intéressant du point de vue du report modal. Cependant, nous sommes-nous interrogés sur la capacité des entreprises de transport routier, y compris les plus petites, à intégrer ce modèle ? Cela suppose une nouvelle organisation, une nouvelle conception : on ne conduit plus sa remorque de bout en bout avec un tracteur, mais un ou plusieurs tracteurs chargent et déchargent au départ et à l'arrivée. Ce changement de modèle n'est pas accompagné d'une politique incitative.

La FGAAC-CFDT appelle, vous l'avez compris, à une politique industrielle ferroviaire favorisant l'émergence de « véritables champions européens » de taille à lutter avec des « dragons », et à une politique des transports n'organisant plus la division mais qui viserait la cohérence, la complémentarité, en particulier sur les flux nationaux et européens, domestiques et transitant par les ports maritimes.

M. Éric Keller, secrétaire fédéral de la fédération FO de la métallurgie. En lieu et place d’une déclaration générale, nous proposons de verser à votre travail, une contribution, à savoir l’état des lieux que FO métallurgie a réalisé sur notre secteur industriel et dans lequel nous rappelons notre soutien à celui-ci. Notre organisation a également publié, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007, un Livre blanc, pour défendre la métallurgie.

En effet, celle-ci est en danger. Au cours des deux dernières années, 150 000 emplois ont disparu dans la métallurgie, soit 10 % des effectifs. L’Observatoire du « fabriqué en France », mis en place en août dernier et qui couvre dix filières dites stratégiques, a montré que la part des produits fabriqués sur notre territoire et intégrés dans la filière ferroviaire avait diminué de 17 %. Un deuxième indicateur révèle que la filière ferroviaire, bien qu’active, est celle qui a perdu le plus de points en termes d’exportation.

Des décisions internationales doivent être prises pour réglementer les marchés et combattre la concurrence déloyale. Ainsi, les opérateurs chinois ont un avantage compétitif énorme puisqu’ils peuvent financer presque 100 % des projets et qu’il est presque impossible d’exporter en Chine. Aux États-Unis, il existe un quota minimum de fabrication locale, pouvant aller jusqu’à 100 % de la commande, si l’offre implique un financement public – les États-Unis sont passés du « achetez américain » à « achetez aux États-unis ». L’Allemagne est également protectionniste, puisqu’elle observe une politique de non-paiement d’avance et n’effectue aucun paiement durant les phases d’ingénierie et de fabrication.

Le ralentissement des commandes en Europe et leur accélération dans les pays émergents entraînent un glissement progressif des localisations de production dans les pays consommateurs. La localisation de la conception pourrait suivre, tant il est vrai que l’Europe, et particulièrement la France, se montrent frileuses lorsqu’il s’agit de défendre l’industrie. La production locale n’est pas imposée : la communauté d’agglomération du Grand Besançon, malgré un large financement public, n’a-t-elle pas choisi, il y a moins d’un an, un constructeur espagnol plutôt que français.

Par ailleurs, les volumes de commandes se réduisent et les entreprises perdent en visibilité sur leurs charges. Elles embauchent moins. Elles recourent à la sous-traitance et au travail intérimaire. Si la filière ferroviaire a été l’une des dernières à être touchée par la crise de 2008, elle est celle qui en supporte le plus les conséquences et qui a le plus durablement de difficultés à rebondir.

Les constructeurs investissent moins en France car ils jettent leur dévolu sur les pays émergents, des pays clients, au détriment de leurs bases industrielles traditionnelles. La pression sur les prix entraîne une pression sur les fournisseurs et sur les sous-traitants. Elle accélère les délocalisations vers les pays à bas coût. Ceux-ci demandent une part de fabrication locale, y compris pour les sous-traitants, avec une incitation claire de leurs donneurs d’ordres.

Les clients tendent à privilégier le « moins-disant », se tournant vers des produits éprouvés et bon marché, sans nouvelle conception. La standardisation freine l’innovation et limite les efforts de R&D. Après une perte continue des emplois ouvriers, les effectifs des ingénieurs et des cadres pourraient à leur tour être touchés. Les sous-traitants sont d’ailleurs déjà affectés.

M. Philippe Francin de la Fédération des transports CFE-CGC (SNCF). Nous vous ferons parvenir dans les jours qui viennent une synthèse des contributions de plusieurs fédérations, notamment de nos fédérations « métallurgie » et « transports ».

Il est impossible de séparer l’évolution de l’infrastructure de celle du matériel ferroviaire. L’enjeu industriel que représente l’industrie ferroviaire ne doit pas donner lieu aux réflexes éprouvés d’autoprotection, qui ne permettent pas de régler des problèmes purement concurrentiels. Il faut plutôt aller vers une synergie internationale, au moins européenne. Je pense notamment au matériel « voyageurs » du tunnel sous la Manche, qui a encore une capacité de développement considérable, mais qui connaît des sources d’homologation différentes. L’enjeu est bien européen et la délocalisation au cœur du sujet ! Nos industriels ont une responsabilité, protéger nos savoir-faire.

La formation est un autre élément déterminant : le ferroviaire souffre d’un manque de reconnaissance en termes de qualification professionnelle, de titre homologués… La commission paritaire chargée d’élaborer une convention collective devrait se pencher prochainement sur la question de la formation, de la transmission du savoir-faire ou encore de l’homologation des titres.

M. Didier Lesou, CFE-CGC (Alstom Transport). En effet, les formations aux métiers spécifiques du ferroviaire manquent cruellement, et les passerelles entre les écoles d’ingénieur et la filière sont insuffisantes. Il faudrait créer un diplôme, comme il en existe dans l’aéronautique.

Nous avons publié un Livre blanc en 2007, dont quinze pages portent sur l’industrie ferroviaire : nous souhaiterions les voir reprises dans le rapport de votre commission.

M. Jean Lenoir, vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT). Les attentes des usagers et celles des industriels sont assez largement convergentes. Le développement de l'industrie ferroviaire est lié à celui, très attendu par les usagers et les chargeurs, de l'offre pour les voyageurs comme pour le fret. Pourtant, entre le TGV et le TER, celle-ci est devenue très faible et le fret s'effondre, les efforts sur les trains massifs ne compensant pas les pertes du wagon isolé. Cela est contraire aux objectifs du Grenelle de l’environnement.

Pour répondre à ces attentes, il est nécessaire, en complément des actions engagées, de porter les efforts sur les trains Corail et sur le wagon isolé, des prestations qui relèvent aussi de l'équilibre du territoire.

Il est possible d’apporter à court terme des améliorations, sans attendre la remise à niveau des infrastructures. S’agissant du service voyageur, dans le cadre de la convention sur les trains d’équilibre du territoire (TET), les fréquences pourraient augmenter grâce à une amélioration de la productivité du matériel, à l’image de ce que font les compagnies aériennes low cost. Les correspondances, ainsi que les services à bord, pourraient également être améliorés.

Pour ce qui concerne le fret, il convient de modifier l'équation économique entre le fer et la route, notamment par l’intermédiaire d’écoredevances et par la modulation des péages – ceux du train entier doivent contribuer à ceux du combiné et du wagon isolé. Il est indispensable de créer des opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) sur tout le territoire, qui – pourquoi pas ? – pourraient être des PME. Il faut également constituer un transport ferroviaire européen avec l'apport des moyens de la Deutsche Bahn et de la SNCF.

Des opportunités sont à saisir dans les cinq ans qui viennent. Le matériel, pour les trains classiques et pour le fret, est en fin de vie. Il faudra renouveler les premières rames du TGV dans quelques années. Les voitures Corail, très prisées de la clientèle, sont rustiques. Toutefois, bien entretenues, elles pourraient assurer pendant quelques années encore un excellent service, ce qui laisserait le temps de mener, sans précipitation, les études de renouvellement.

Il est nécessaire de dégager une vision du service ferroviaire à moyen terme. Ce serait une erreur stratégique que de spécifier un matériel « au plus juste » aujourd'hui, parce que cela pénaliserait fortement le bilan d'exploitation sur la durée de vie du matériel.

Pour réduire les coûts, les commandes doivent pouvoir bénéficier, comme cela a été le cas par le passé, d'un effet de série, tout en échelonnant les livraisons. Il est donc nécessaire d'avoir de la part de l'État – autorité organisatrice –, des régions pour le TER et de la SNCF pour le fret, une vision à moyen terme sur la consistance des dessertes voyageurs et sur les volumes de fret, en termes de parts modales, conformes au Grenelle de l’environnement.

La politique des transports doit être cohérente avec ces objectifs : il s’agit d’harmoniser les conditions de concurrence – charges, temps de travail, salaires –, les éco- redevances, la réglementation routière sur le 44 tonnes et le méga camion. Il faut miser sur la complémentarité et non sur la concurrence entre ferroviaire et routier.

En matière d'infrastructures, le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) n'incite pas au report modal. Le chiffrage contenu dans le premier document révélait des résultats très faibles. Le document qui vient de sortir n’en parle plus du tout. Il devient donc urgent, à partir de ce catalogue de projets figurant au SNIT, de fixer des priorités et d'accélérer la régénération du réseau classique.

La durée de vie du matériel roulant est très élevée et la concurrence ne cessera de progresser. Le matériel renouvelé devra donc valoriser pleinement le mode ferroviaire : compositions variables, services à bord, possibilité de faire du cabotage pour des dessertes à courte et moyenne distance – et pas uniquement longue distance comme pour le TGV –, voyages de nuit en temps masqué pour les voyageurs, mais délaissés par les services de transport nationaux. Pour valoriser le temps passé dans le train – qui doit être du temps gagné et non du temps perdu –, un haut niveau de confort sera nécessaire.

Un matériel robuste, c'est-à-dire sans sophistications inutiles, de grande capacité, et commandé selon des marchés à tranches, devrait permettre à l’industrie ferroviaire de maîtriser les d’acquisition, mais aussi les charges d'exploitation et de maintenance.

Les nouveaux produits du secteur du fret exigent la construction de matériels spécifiques : « route roulante », transport combiné, fret à grande vitesse, qui représentent autant de solutions d’avenir. Ils devront être conçus à l’échelle européenne.

Dans l'impossibilité de pouvoir cerner l'évolution des besoins sur quarante ans, le matériel moteur doit être polyvalent « voyageur/fret », les équipements spécifiques « voyageurs » ou « fret » pouvant être optionnels pour ménager la possibilité de réaliser des grandes séries à bas coût pour le fret.

M. Éric Guerquin, représentant au STIF de l’Union régionale d’Île-de-France UFC-Que Choisir. Je siège au Comité des partenaires du transport public, une instance consultative placée auprès du Syndicat des transports d’Île de France (STIF). Je me saisis de l’occasion qui m’est donnée de m’adresser au législateur pour vous signaler que le terme de « Syndicat », dans un monde de plus en plus complexe, est source de confusion pour les usagers et même pour les députés européens qui peuvent penser qu’il s’agit là d’un groupement de salariés… Peut-être faudrait-il plutôt employer le terme d’« Autorité » des transports d’Île de France ?

J’assume également la fonction de vice-président de la commission des transports du Conseil économique, social et environnemental d’Île de France. Nous travaillons notamment sur les questions d’accessibilité, ce qui nous amène à nous interroger sur la hauteur des quais, une donnée très variable et qui nécessiterait certainement un travail de normalisation.

L’utilisateur du transport ferroviaire a peu d’influence sur le choix du matériel, encore moins sur le choix du fabricant. Mais il a des demandes : le matériel ferroviaire doit être robuste, de façon à ce que la sécurité soit assurée et que les pannes, sources fréquentes de désorganisation, soient évitées.

Les « standards franciliens » sont spécifiques : le matériel qui roule en zone urbaine est supposé supporter un nombre de voyageurs au mètre carré supérieur à celui des TER. Les franges de la région étant desservies par du matériel de type AGC, aux normes TER, il est impossible pour un train reliant Provins à Paris, par exemple, de s’arrêter dans une gare Eole : on a peur qu’un nombre trop élevé de voyageurs compromette la solidité du plancher ! Du coup, pour se rendre de Provins à Coulommiers, il faut passer par Paris. Il conviendrait de trouver une harmonisation permettant que le matériel régional puisse s’arrêter dans d’autres gares d’Île de France que les gares parisiennes. Par ailleurs, j’ai cru comprendre que les quais franciliens allaient avoir une hauteur particulière, ce qui poserait un véritable problème pour les matériels provenant des autres régions.

Le nouveau matériel, équipé d’ampoules à basse consommation, respecte le Grenelle de l’environnement. Il faut s’en réjouir. Mais quid des écrans vidéo qui se multiplient dans ces rames ? Une telle technologie, hautement « énergétivore », est-elle vraiment nécessaire lorsque l’on sait qu’elle est moins destinée à l’information des voyageurs qu’à la diffusion de messages publicitaires ?

Par ailleurs, les toilettes dans les trains urbains sont en voie de disparition. Ce constat vous semble sans doute loin des débats géostratégiques, mais c’est une réalité qui n’est pas sans importance pour le quotidien des usagers lorsqu’ils subissent des trajets parfois longs. Nous nous sommes laissés dire que les quais seraient prochainement dotés de toilettes, sans avoir pu encore le constater. Mais comme c’est une autre autorité qui est en charge des quais, je crains que cette question ne passe à la trappe…

L’avis des usagers sur le matériel doit être pris en compte. Je tenais à vous faire part de ce qui remonte de la base, même si ce n’est peut-être pas là l’objet premier de votre commission.

M. le président Alain Bocquet. Cela en fait partie ! Nous avons d’ailleurs constaté, lors de notre visite de l’usine Bombardier à Crespin, que la commande des nouveaux Franciliens ne comprenait pas de toilettes.

M. Emmanuel Jamar, président des Ateliers de Joigny et de la Commission « Ateliers » de l’Association française des wagons de particuliers (AFWP). En préalable à mon intervention, je crois utile de préciser que l’AFWP regroupe trois des métiers du fret ferroviaire : les chargeurs, les exploitants détenteurs de matériels ferroviaires privés et les ateliers de réparation, dont je préside la commission.

Permettez-moi aussi de présenter brièvement le métier de la maintenance ferroviaire, fort peu connu du grand public. Avant le 1er juillet 2006, les ateliers de la SNCF assuraient la maintenance des wagons appartenant à la SNCF et les ateliers privés (IP) assuraient celle des wagons dits « de particuliers » (wagons P), les ateliers de la SNCF ne disposant ni de l'équipement ni du savoir-faire pour traiter, nettoyer et dégazer les wagons citernes transportant des matières dangereuses. Depuis, la nouvelle réglementation ferroviaire a fait disparaître les notions de wagons réseaux (wagons R) et de wagons de particuliers (wagons P) : en théorie, et à l'exception du traitement et des réparations sur les wagons transportant des matières dangereuses, un wagon peut être réparé indifféremment dans un IP ou dans un atelier de la SNCF.

On dénombre une trentaine d’ateliers privés, dont 23 appartiennent à notre association. Ils emploient 2 000 collaborateurs hautement qualifiés et traitent 24 000 wagons par an, pour un chiffre d’affaires annuel voisin de 200 millions d’euros.

Les prestations qu’ils offrent sont diverses : entretien périodique des wagons (révisions, épreuves d’étanchéité sur les citernes), traitement des réparations accidentelles, tant sur la superstructure que sur l'infrastructure, nettoyage et dégazage des citernes transportant des matières dangereuses, réparation et remise aux normes des équipements ferroviaires d'interopérabilité, rénovation partielle ou totale de wagons, conformément aux spécifications techniques d’interopérabilité (STI), et construction, dans certains cas, de petites séries de wagons.

Leurs clients sont les détenteurs de matériels ferroviaires, qui, lorsqu'ils sont des entités en charge de la maintenance (ECM), définissent les règles applicables sur leurs matériels. Ces règles, approuvées par l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), sont consignées dans des livrets de maintenance et doivent être appliquées par les ateliers. Pour les détenteurs ne disposant pas de la structure nécessaire pour mettre au point et faire évoluer un livret de maintenance, la direction du matériel de la SNCF propose un contrat d'ingénierie de maintenance.

Les ateliers doivent être titulaires d’un agrément, et la réglementation prévoit qu’ils doivent être audités et approuvés par l'ECM qui leur commande les travaux de réparation. Ils sont les seuls à pouvoir accomplir des actes techniques sur les wagons. Leur responsabilité quant à la sécurité sur le réseau ferré est donc importante. Chevilles ouvrières des ECM, les ateliers doivent – au travers de leurs collaborateurs – connaître les livrets de maintenance et disposer de matériels et d’installations spécifiques. Ils sont un élément important de la fiabilité de l'ensemble du système ferroviaire.

M. Grégoire de Vulliod, directeur général des Ateliers d’Occitanie (AFWP). La profession est depuis peu confrontée à un problème majeur, celui de la desserte des wagons. Historiquement, les ateliers se sont établis dans des zones géographiques où les activité industrielles donc ferroviaires étaient développées. Notre filière a été affectée par les différents plans de la SNCF et les changements d’organisation en résultant, de même que par la désindustrialisation de certaines zones et par l’industrialisation de nouvelles zones.

Aujourd’hui, la SNCF se désengage du wagon isolé. Elle ne les achemine plus dans nos ateliers. Dans le même temps, les nouveaux entrants du secteur ferroviaire ne s’intéressent pas à la livraison de nos ateliers. Nous sommes donc dans une impasse : plus personne ne veut nous acheminer le matériel dans des conditions financières et techniques viables et durables !

Pourtant, les services que nous rendons, notre capacité quantitative et qualitative à réparer les matériels sont indispensables à la bonne marche du système ferroviaire. Il est tout à fait vital, pour l'ensemble des acteurs du système ferroviaire, que notre réseau d'ateliers continue d'exister.

Pour cela, la desserte des wagons doit s'effectuer de manière satisfaisante, fiable, compétitive et surtout pérenne. Notre profession doit déployer des moyens importants, mais il lui faut une visibilité pour investir, cette visibilité que ni l’opérateur historique ni les nouveaux entrants ne lui offrent.

RFF a décidé d’augmenter les frais d’accès au réseau, ce qui représente, pour nos petites structures, un coût très élevé. La SNCF, pour des raisons de rentabilité, nous demande aussi des sommes importantes pour acheminer les matériels. Cela constitue pour nous un handicap, alors que nous souhaitons défendre et développer notre activité. Nous en appelons, mesdames et messieurs les parlementaires, à votre soutien.

M. Christian Garnier, délégué syndical central CGT (Alstom Transport). Permettez-moi d’appeler votre attention sur la stratégie industrielle et sur le financement. Notre groupe, qui tient une place prépondérante dans la fabrication du matériel roulant, a tout de même failli disparaître en 2003 pour des raisons strictement financières. Au moment de son introduction en Bourse en 1998, il a vu trop grand ! La dette qu’il a contractée, y compris à l’extérieur, pour racheter un certain nombre d’entreprises afin de « tuer la concurrence » – qu’il défendait pourtant – a manqué de mettre l’entreprise en cessation de paiements. Cela s’est traduit par la suppression de 11 000 emplois, la perte de 10% du carnet de commandes, et surtout l’entrée de l’État dans le capital à hauteur de 30%. Voilà qui démontre que l’État a effectivement un rôle à jouer, et pas seulement parce que ce sont, en général, des structures publiques qui gèrent les contrats passés avec les entreprises comme la nôtre.

Nous dénonçons aujourd’hui des suppressions d’emplois, la forte dégradation des conditions de travail et la délocalisation massive des activités de production hors d’Europe. Pour prendre un exemple, nous venons d’apprendre que tout ce qui concerne les études de la signalisation des métros – ce n’est tout de même pas rien – va être délocalisé à Bangalore en Inde. Convenez qu’il y a là de quoi s’interroger.

En ce qui concerne le financement, il faut rappeler que l’essentiel des profits d’Alstom se réalise sur des commandes publiques – ce qui n’a rien d’étonnant quand on vend des TER, des TGV, des métros ou des tramways. Or, depuis que l’État a vendu sa participation à l’entreprise Bouygues, ce qui en fait notre premier actionnaire, il semble que l’on reparte à l’aventure. Ainsi, Alstom Transport mobilise 600 millions d’euros pour investir en Italie – où elle ferme pourtant des unités de production – en Allemagne – où elle supprime près de la moitié des emplois – et aux États-Unis – où le marché ferroviaire est pratiquement fermé. La Représentation nationale n’a-t-elle pas son mot à dire dans l’utilisation de l’argent public ? Cette stratégie industrielle conditionne en effet la position des fabricants sur le territoire national – et je ne pense pas seulement aux grands groupes industriels, je pense aussi à la multitude d’entreprises sous-traitantes qui travaillent presque exclusivement pour l’industrie ferroviaire. Par ailleurs, Alstom ne paye plus d’impôt sur les sociétés et bénéficie d’un crédit d’impôt pour sa recherche développement. Pour autant, cela ne l’empêche pas de délocaliser massivement, y compris hors d’Europe, des activités importantes, voire de haute technologie.

Il ne me semble pas inutile de porter ces éléments à votre connaissance. Nous pensons que la Représentation nationale a un rôle important à jouer dans ce domaine.

M. Gérard Voisin. L’orateur précédent vient de nous lancer un appel. Nous travaillons nous-mêmes sur le sujet. La réunion d’un panel aussi complet que possible de professionnels du rail et de membres d’associations représentatives m’offre, aujourd’hui, l’occasion de rappeler la nécessité de porter un regard européen sur l’industrie ferroviaire. Tout est désormais « impacté » par l’Union européenne : je pense principalement, bien sûr, à la libéralisation du transport ferroviaire en Europe.

Pour apporter une première réponse à M. Garnier, je le renvoie au rapport d’information sur la libéralisation du transport ferroviaire en Europe que j’ai rédigé pour le compte de la commission des affaires européennes – il porte le n° 3204. Ce rapport est consultable sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Il comporte au long d’une centaine de pages des études et des propositions, mais aussi des contributions d’un certain nombre de syndicats et d’organisations professionnelles du rail. Je précise que ce rapport a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires européennes, de même que les résolutions soumises à mes collègues ; ces résolutions ont ensuite été amendées par la commission du développement durable. Nous sommes donc au travail.

Face à la difficulté de la modernisation, qui est cependant inéluctable, l’important est de bien comprendre comment s’opère l’interpénétration des différentes compagnies européennes. Il est indéniable que la France éprouve des difficultés dans le domaine du transport ferroviaire, notamment pour ce qui est du fret. Il n’en demeure pas moins que d’autres pays ont su passer le cap. Sachons donc tirer profit de ce qui se passe ailleurs pour éviter de commettre des erreurs.

M. Éric Vinassac, président des Ateliers bretons de réalisations ferroviaires (ABRF). Je puis vous faire part de mon expérience. Président du groupe ABRF qui comporte deux entités dédiées à la maintenance et à la construction de wagons, j’aimerais vous parler de la construction de matériel de fret. Beaucoup a été dit sur la nécessité de pérenniser l’emploi industriel en France et de sauvegarder notre savoir-faire dans les domaines de la maintenance et de la construction de wagons neufs. Il ne reste en effet que trois constructeurs de wagons en France : le site d’Arbel Fauvet Rail à Douai, que vous connaissez bien, monsieur le président ; celui de Châteaubriant, si chaleureusement défendu par votre collègue Michel Hunault ; enfin, celui de SDHF dans le Loiret. On peut, certes, ajouter à ces sites ceux des Ateliers d’Orval et de Ferifos, qui dépendent du groupe fret SNCF, Ermewa. En fait, le savoir-faire est en train de disparaître.

Les entreprises sont en voie d’asphyxie, alors même qu’il faudra renouveler un parc de matériel vieillissant. Au reste, pour ne pas que disparaissent des entreprises faute de commandes passées à temps, mieux vaut prévoir un renouvellement par tranches de ce matériel, et même définir une véritable stratégie industrielle en matière de construction de wagons. Nous aurons besoin de wagons neufs, et de wagons neufs de qualité – même s’il s’agit de fret, il faut bien que les wagons roulent !

La concurrence des pays de l’Est constitue un vrai problème, dans la mesure où nombre d’entre eux se sont tournés vers le low cost, avec toutes les conséquences que l’on connaît sur nos emplois. Toutefois, on en revient aujourd’hui, car il apparaît que les wagons conçus et fabriqués selon des méthodes low cost offrent une moindre sécurité, comme l’ont démontré des incidents récents. Bref, la construction de wagons à l’Est est devenue un faux problème. Nous avons chez nous des entreprises qui sont capables de produire des wagons de qualité. Ne les laissons pas mourir ! Nous comptons sur vous pour leur donner les moyens de survivre !

M. Alain Cocq. Ce débat démontre assez que l’ensemble de la chaîne du transport et de l’industrie ferroviaire relève d’un service public national, qu’il s’agisse du transport des biens ou de celui des personnes. La privatisation de toute cette chaîne s’est opérée sur le fondement de la libre concurrence. Or le Préambule de la Constitution de 1946, qui a valeur constitutionnelle, dispose que toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national doit devenir la propriété de la collectivité. Si un citoyen se trouve lésé parce que son train ne s’arrête plus à la gare du lieu où il habite, il pourrait ainsi soulever une question prioritaire de constitutionnalité sur ce fondement – car si le Traité européen a attaqué le monopole, il a fait fi de cette spécificité constitutionnelle française.

M. Bernard Devert, secrétaire de la fédération CGT des travailleurs de la métallurgie. Je voudrais insister sur le devenir de l’industrie ferroviaire, qui emploie au total 22 000 salariés en France, dont un tiers dans le seul Nord-Pas-de-Calais.

Je pense que cette industrie a un grand avenir en termes de développement. La France a des atouts ; encore faut-il se donner des perspectives de développement industriel ! Je le sais pour siéger au bureau du Conseil national de l’industrie. Le Président de la République dit vouloir relancer l’industrie. Syndicats, patronat, pouvoirs publics, nous avons tous à y prendre notre part. Quand je lis dans le Journal de l’Environnement que 10 à 15% du trafic automobile doivent être reportés sur le trafic ferroviaire ou que je mesure les besoins en termes de sauts technologiques et de coopérations, je ne doute pas que votre commission d’enquête ait un rôle à jouer pour donner une perspective de développement à notre industrie.

Pour autant, aucun avenir ne peut se construire sur une friche. Il faut donc sauver ce qui peut l’être : des entreprises, certes, car beaucoup sont dans les difficultés ou au bord de la faillite, mais aussi des savoir-faire et des compétences. Je m’inquiète d’autant plus que le Livre blanc de la Commission européenne sur les transports mentionne à peine l’industrie. Or, la CGT considère qu’en France comme en Europe, l’industrie ferroviaire peut être un moteur pour le développement, avec ses pôles de compétitivité, ses centres d’essais, et avec un fort investissement collectif, en lien étroit, bien entendu, avec les services publics – SNCF et RATP.

Gardons à l’esprit qu’il est toujours possible d’avoir, en même temps, un transport ferroviaire qui se développe et une industrie qui disparaît. C’est ce qui arrivera si nous conservons la stratégie actuelle.

M. Philippe Pillot, délégué syndical central FO (Alstom Transport). Permettez-moi d’ajouter quelques précisions. L’industrie ferroviaire est disséminée sur l’ensemble du territoire ; ne nous focalisons donc pas sur une région, fût-elle dynamique comme le Nord-Pas-de-Calais. Les clients et les usagers sont d’ailleurs partout.

L’industrie ferroviaire française a vu le jour au début du siècle dernier, au moment de l’électrification de la ligne Paris-Lyon-Marseille. A l’époque, ce sont les Suisses qui ont fourni le matériel. Une partie de l’industrie ferroviaire suisse est alors venue s’installer en France. Toutefois, ils y ont créé leurs propres concurrents, qui sont d’ailleurs toujours là. Quant à l’industrie ferroviaire helvétique, il n’en reste plus grand-chose de comparable ! Un phénomène analogue est aujourd’hui en train de se produire : nous créons nos propres concurrents dans les pays émergents. On peut donc craindre que, tôt ou tard, nous ne connaissions le sort de l’industrie ferroviaire suisse…

M. le président Alain Bocquet. Je vous remercie de votre participation. Sachez que vous pouvez toujours transmettre des contributions écrites à la commission. Nous vous donnons rendez-vous le mardi 14 juin pour la présentation de notre rapport. Il présentera une photographie de la situation de l’industrie ferroviaire et formulera probablement des recommandations qui devraient faire l’objet d’un accord sans trop de difficultés, quels que puissent être les clivages politiques. Leur mise en œuvre pratique n’est certes pas du ressort de l’Assemblée nationale, mais notre travail devrait au moins permettre d’insister sur l’absolue nécessité d’organiser une véritable filière industrielle liée aux transports. Le « bon temps » où la SNCF maîtrisait tout n’est plus, d’où un certain désordre. Puissions-nous contribuer à une prise de conscience, tel est le sens que nous voulons conférer à nos travaux.

La table ronde s’achève à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française : production de matériels roulants "voyageurs" et fret

Réunion du mardi 12 avril 2011 à 16 h 45

Présents. - M. Alain Bocquet, M. Maxime Bono, M. Alain Cacheux, M. Gérard Charasse, M. Marc Dolez, M. Paul Durieu, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Jean-René Marsac, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Antoine Herth, Mme Jacqueline Irles, Mme Marie-Lou Marcel, M. Yanick Paternotte