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Mardi 17 mai 2011

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Alain Bocquet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, et de M. Thierry Mariani, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports.

Commission d’enquête
sur la situation de l’industrie ferroviaire française : production de matériels
roulants « voyageurs » et fret

La séance est ouverte à seize heures trente.

M. le président Alain Bocquet. Messieurs les ministres, soyez les bienvenus.

Nous arrivons au terme de nos auditions et presque à la fin de notre programme de déplacements. Il nous reste encore à nous rendre en Pologne à l’usine Alstom de Katowice et à rencontrer les dirigeants de Siemens Mobility à Châtillon.

Nos auditions ont été nombreuses : nous avons rencontré les industriels, les responsables syndicaux, les dirigeants de RFF, de la SNCF, d’Eurostar, de l'Établissement public de sécurité ferroviaire et aussi de nombreux autres acteurs de la filière, notamment des sous-traitants et fournisseurs de toutes tailles – le secteur compte beaucoup de TPE – et de différentes spécialités.

C'est la situation difficile de certains sous-traitants qui a conduit mon groupe politique à demander la création de cette commission d'enquête. La filière ferroviaire française reste une filière d'excellence, ses métiers relèvent de la haute technologie. C'est pourquoi il importe de ne pas la classer au rang des « vieilles industries », même si ses origines remontent au XIXè siècle.

Les activités de construction ferroviaire sont aujourd'hui insuffisamment perçues et défendues, et les pouvoirs publics ont une part de responsabilité. Le secteur n'a certes pas le poids économique et la visibilité médiatique de l'automobile ou de l'aéronautique, et contrairement à ces secteurs, la question du ferroviaire n'est désormais abordée que sous l'angle de la concurrence entre « l'opérateur historique » et « les nouveaux entrants » ou de l'accès au réseau dont RFF est désormais le propriétaire et le gestionnaire.

Bruxelles semble ne plus connaître le secteur ferroviaire qu'en ces termes, et non en tant que filière industrielle à part entière. Nos rencontres avec les grandes directions de la Commission ont largement conforté cette impression ! Or, cette pente est d'autant plus fâcheuse que les industries ferroviaires sont désormais confrontées à la concurrence de pays émergents – chacun pense à la Chine – et à une intensification de la pression sur les coûts de production de la part de certains pays, notamment en Europe de l'Est.

Certes, au niveau mondial, le marché ferroviaire connaît une croissance durable – pensons aux grandes étendues de différents continents et au fait que sur 500 villes de plus d’1 million d’habitants, 300 n’ont ni métro ni tramway. Mais les marchés des grands pays européens, comme la France ou l'Allemagne, ne sont plus la « chasse gardée » des constructeurs nationaux, même si l'on constate, en Allemagne, une alliance objective entre la Deutsche Bahn et Siemens, qui aboutit toujours à fermer les principaux marchés de matériels aux autres acteurs européens !

Sur ce point, je souhaiterais insister sur la différence entre les deux rives du Rhin. En France, la SNCF et RFF ont été clairement séparés, au point qu'ils paraissent consacrer une partie de leurs forces à lutter l'un contre l'autre. Cela n'a pas été le cas en Allemagne, où la Deutsche Bahn a encore largement la main sur la gestion des infrastructures : elle continue donc à s'attribuer les bons sillons de circulation ! En France, RFF ne semble même plus en mesure d'attribuer des sillons pour que nos constructeurs effectuent les essais d'homologation de leurs nouveaux matériels. Il faut qu'ils aillent en Allemagne ou en République tchèque pour le faire ! De même, les ateliers privés de réparation ferroviaire se heurtent aux plus grandes difficultés pour rapatrier des matériels à réparer du fait de l'abandon du wagon isolé par la SNCF !

Comment a-t-on pu diverger à ce point entre les deux pays, s'agissant de la mise en œuvre de directives européennes ? Pourquoi la France s'est-elle rajoutée des contraintes par rapport à son principal voisin ? Ces questions me paraissent devoir vous être posées, même si les décisions fondatrices relèvent des gouvernements précédents !

J'en viens au cœur de notre sujet. Savez-vous que les constructeurs français de wagons de fret seront en grave péril si rien n'est fait, à court terme, pour conforter leurs plans de charge ? Avec Arbel Fauvet Rail (AFR) et les ABRF, c’est tout un savoir-faire qui disparaîtra, et la France ne construira plus jamais de wagons de marchandises, quels que soient les besoins !

L'âge moyen des wagons de la SNCF et de ses filiales dépasse les trente ans. Notre opérateur, que beaucoup estiment englué dans sa réforme du fret, ne disposera bientôt que de vieux matériels inadaptés aux besoins des chargeurs, s'il ne programme pas un vrai plan de renouvellement et de rénovation. Plus généralement, comment la France concilie-t-elle les ambitions du Grenelle de l’environnement et la modernisation des transports ferroviaires ? Cette question ne me paraît pas anodine pour les industries ferroviaires dans leur ensemble.

Ne faut-il pas enfin que les accords commerciaux négociés par l'Union européenne, ainsi que les appels d'offres, intègrent des clauses de réciprocité ? Ne faut-il pas cesser d'ouvrir nos marchés à des constructeurs de pays où il nous est impossible de vendre directement les mêmes types de matériels ? Cela pourrait viser la Chine mais aussi le Japon et la Corée du Sud, qui ne jouent pas le jeu de la concurrence internationale, voire notre voisin espagnol !

Ces interrogations résultent de constatations faites au cours de nos travaux. Je rappelle que la commission d'enquête a pour but de défendre la filière ferroviaire française, son savoir-faire incontestable, donc l’emploi industriel. Je sais cette orientation partagée par les membres de notre commission. Nous serons soucieux de formuler des propositions concrètes, réalistes et en rapport avec les enjeux auxquels est confrontée cette industrie.

M. Thierry Mariani, secrétaire d’État chargé des transports. Le développement du transport ferroviaire, pour les marchandises comme pour les voyageurs, est un enjeu majeur pour notre pays et une priorité du Gouvernement.

Le secteur ferroviaire est porteur des principaux défis de notre pays : c'est l'une des façons de se déplacer les plus respectueuses de l'environnement : elle a été consacrée par le Grenelle de l'environnement. La construction de quatre nouvelles lignes à grande vitesse sera lancée simultanément dans les prochaines années, tandis que les 140 kilomètres de la première phase de la ligne Rhin-Rhône seront inaugurés dès cette année.

Le ferroviaire est aussi une solution à de nombreux enjeux d'aménagement du territoire. Notre défi est de réussir en même temps les projets nouveaux et la fiabilisation du réseau existant.

De plus, les projets ferroviaires ont une forte dimension industrielle, tant pour ce qui concerne la voie, les aiguillages et la signalisation que le matériel roulant, à destination des passagers ou des marchandises.

Cette activité représente au total 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an, dont un quart à l’international, sur un marché mondial où la concurrence est très forte, voire inégale comme vous l’avez indiqué, monsieur le président.

La question de l'emploi est évidemment essentielle, puisque les activités ferroviaires françaises font travailler, au total, près de 200 000 personnes. L'industrie ferroviaire représente à elle seule plus de 17 000 salariés, dont la moitié chez Alstom, et de nombreux emplois à haute qualification en production comme en recherche-développement, y compris chez les sous-traitants. C'est enfin un enjeu budgétaire et de finances publiques.

La part de marché des modes alternatifs à la route est aujourd'hui de 14 %. Le Grenelle de l'environnement a fixé un objectif de 25 % à l'horizon 2022. À cette fin, nous devons faire passer le fret ferroviaire de la morosité à la croissance. Pour mobiliser tous les moyens au service de cet objectif, le Gouvernement conduit depuis le 16 septembre 2009 l'Engagement national pour le fret ferroviaire. Cela passe par l'amélioration de la qualité de l'infrastructure, donc par des investissements importants et par la définition d'un réseau orienté fret.

Nous devons développer les solutions innovantes, porteuses de nouveaux reports modaux, telles que la création d'un réseau d'autoroutes ferroviaires cadencées, l'aide au transport combiné, la création d'opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) et le développement du fret à grande vitesse entre aéroports.

Ce programme majeur représente plus de 7 milliards d'investissement en faveur du fret ferroviaire d'ici à 2020. Nous pouvons déjà saluer plusieurs avancées concrètes. Les autoroutes ferroviaires se développent bien avec quatre allers et retours quotidiens déjà opérationnels entre Perpignan et le Luxembourg. Les travaux du tunnel du Mont-Cenis, aujourd'hui terminés, permettront prochainement de faire passer plus de trains, avec un nouveau service d'autoroute ferroviaire franco-italienne qui prendra la suite du service expérimental en place depuis 2004. L'aide au transport combiné a, quant à elle, été augmentée de 50 % et quatre opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) ont vu le jour en 2010. Enfin, le programme d'installations permanentes de contresens (IPCS) lancé en 2010 permettra d'améliorer la capacité des axes principaux en cas d'incidents ou de travaux.

L’engagement national pour le fret ferroviaire doit entraîner une baisse de 2 millions du nombre des trajets de poids lourds sur les routes françaises, et autant en économie d'émissions de C02.

Les entreprises françaises de construction et surtout de réparation de wagons traversent actuellement une période difficile. Du fait de la crise et de la baisse du trafic, les opérateurs ont réduit leurs commandes et confient ces missions en priorité à leurs propres ateliers. La vraie solution, à long terme, c'est le nouveau développement du fret ferroviaire, notamment grâce aux nouveaux entrants qui possèdent déjà 18 % du marché. À court terme, l'État réfléchit à une meilleure organisation du marché et un meilleur lissage des commandes.

Un autre grand défi des prochaines années, c'est le développement du transport de passagers. Le Grand Paris pourrait impliquer plus de 2 milliards d'euros d'investissement en matériel. Le transport international de passagers a été ouvert à la concurrence fin 2009. Des contacts ont déjà été pris par une entreprise privée avec mes services pour mettre en place dès cette année des trains de nuit entre la France et l'Italie.

La France n'a pas ouvert à la concurrence le transport national, mais le Gouvernement étudie la question. Le sénateur Grignon me rendra demain les conclusions de son rapport sur le sujet. Là encore, l’arrivée de nouveaux opérateurs peut signifier de nouvelles propositions en termes de matériel roulant et de qualité de service.

L'activité des constructeurs n'est pas limitée à la production de matériels neufs. La rénovation et la maintenance font partie de leur portefeuille d'offres. Or, les Français nous demandent d'abord, en matière de transport public mais aussi de fret, d'assurer la qualité du service existant, d'éviter les retards et de réaliser le plus vite possible les travaux nécessaires pour limiter les perturbations. Les pouvoirs publics ont besoin des constructeurs pour relever ce défi.

Le Gouvernement a mis tous les moyens en œuvre pour l'entretien et le renouvellement du réseau, tout en assumant son rôle d'autorité organisatrice nationale. J'ai signé en décembre, avec la SNCF, la convention pour la gestion des trains d'équilibre du territoire. Par cet acte fort, le Gouvernement marque son engagement en faveur de la qualité de service en garantissant la pérennité de quarante destinations qui concernent plus de 100 000 voyageurs par jour.

Pour rester un concurrent crédible face à la route, le rail doit pouvoir afficher, comme le transport routier, environ 3 % de gains de productivité par an. La meilleure façon d'y parvenir, c'est l'innovation. Les constructeurs de matériel roulant sont les premiers concernés. Nous y travaillons avec eux, notamment dans les groupes européens de normalisation de l'Agence ferroviaire européenne de Valenciennes. Même quand la production n'est pas à 100 % en France, nous avons tout à gagner à ce que la recherche et développement y reste.

Par ailleurs, les gains de capacité de l'infrastructure peuvent venir du matériel : un meilleur freinage permet de faire rouler les trains plus près les uns des autres en toute sécurité. Les systèmes de freinage les plus modernes, qui utilisent des semelles composites, sont en outre moins bruyants. L'augmentation du nombre de trains ne doit pas être synonyme d'accroissement des nuisances : le bruit de roulement, l'efficacité énergétique des moteurs ou les émissions de particules des moteurs diesels sont au cœur du programme du « véhicule du futur » financé par le Grand emprunt national.

Au titre de cette initiative, le Gouvernement a annoncé le 9 mai que le projet d'Institut de recherche sur la technologie ferroviaire « Railenium » faisait partie des projets retenus. Il représente un investissement de 550 millions, essentiellement dans la région Nord-Pas-de-Calais, y compris la construction d'une boucle d'essais ferroviaires.

Nous le savons tous, dans certains secteurs, nos entreprises ont du mal à lutter contre la concurrence étrangère, surtout pour des activités non qualifiées, où le coût de la main d'œuvre est presque le seul critère. Dans l'industrie ferroviaire, il en va autrement. Avec sa très haute valeur ajoutée, ses emplois très qualifiés, elle doit continuer à vendre en France, en Europe et dans le monde entier, à partir de sa base française.

Sur un marché où les commandes sont irrégulières, par nature, la meilleure façon de les lisser dans le temps, c'est d'élargir son aire géographique. Ainsi, une belle entreprise comme Faiveley, basée historiquement à Tours, travaille aujourd'hui à 90 % à l'international.

Pour jouer, la concurrence doit être ouverte. Or, sans revenir sur les problèmes de taux de change, plusieurs pays dont l'industrie exporte en Europe ont fermé leur marché national par le biais des accords de l’OMC. Sur ce point, l'État travaille activement au sein des instances européennes pour mettre fin à l’absence de réciprocité que vous avez dénoncée, monsieur le président.

Le ferroviaire constitue un système, dont le matériel roulant est une pièce maîtresse. Si nous voulons être aux côtés de notre industrie nationale, nous attendons aussi beaucoup d'elle en termes de qualité de service et d'innovation.

Le Gouvernement compte sur votre commission d'enquête pour tracer les pistes qui permettront de préserver et de développer l'industrie ferroviaire française. Les problèmes existent, qu'il s'agisse de la forte irrégularité des commandes ou du déséquilibre de la concurrence internationale, mais les opportunités sont grandes. Soyez assurés que le Gouvernement est mobilisé pour aider le secteur à les relever.

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Ce sujet représente en effet un défi majeur pour l'industrie française. Mon collègue Thierry Mariani a parfaitement résumé les enjeux, notamment en matière de réglementation et de suivi du secteur ferroviaire. Je souhaiterais pour ma part évoquer plus directement l'industrie ferroviaire, ses entreprises, son savoir-faire et ses emplois, en insistant sur son poids en France et son positionnement dans une concurrence internationale toujours plus vive.

Notre filière ferroviaire recouvre trois segments principaux d'activité. D’abord, la construction des matériels roulants, avec les motrices, les voitures de voyageurs, les wagons de marchandises et l'ensemble des composants, depuis les bogies jusqu'aux roues, en passant par les freins. Ce segment représente 77 % du marché français et surtout 80 % des exportations de la filière ferroviaire, dont vous connaissez les principaux acteurs – Alstom, Bombardier et Siemens Mobility.

Ensuite, les infrastructures et la signalisation – la fabrication des rails, des caténaires, des appareils de contrôle et de sécurité – c'est-à-dire 18 % du marché français.

Enfin, la réparation et le reconditionnement des appareils roulants, autrement dit la « maintenance », qui représente 5 % du marché.

L'industrie ferroviaire, dans ses trois composantes, emploie directement 17 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 4,1 milliards en 2009, dont 1,1 à l'export. Elle contribue de manière positive à notre balance commerciale à hauteur de 720 millions. Il s'agit surtout d'un secteur historique et emblématique. La France a toujours misé sur le développement du train : avec le lancement du TGV en 1981, le sauvetage d'Alstom par l'État en 2004 ou, plus récemment, le lancement des chantiers du Grenelle de l'environnement. Et la France a su exporter ses productions.

Notre industrie ferroviaire dispose de nombreux atouts, liés à cette tradition et à l'existence d'entreprises publiques et privées de premier plan. L'originalité de notre filière ferroviaire est d'être concentrée autour de quelques grands acteurs, qui l'animent avec le concours de nombreuses PME. Je pense évidemment à Alstom, en premier lieu – la filiale Transport de ce groupe emploie 8 800 personnes en France sur onze sites. Elle a acquis un leadership mondial dans la très grande vitesse. Je pense aussi à la SNCF, à la RATP ou à Systra, leur filiale commune, qui enregistre de grands succès à l'international depuis sa création en 1997.

Autour de ces acteurs de premier rang, gravitent de nombreuses PME, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, ce berceau historique du ferroviaire que vous connaissez bien, monsieur le président, et qui rassemble toujours près de 60 % des effectifs de cette industrie. Les trois grands constructeurs y sont implantés ainsi que la quasi-totalité des grands organismes et instituts du ferroviaire.

Toutefois, ce seul constat ne suffirait pas à assurer l'avenir de l’industrie ferroviaire française. Elle a su tirer parti hier de l'ouverture à la concurrence du marché européen. Elle peut aujourd'hui bénéficier de perspectives de croissance favorables sur le marché mondial. Les besoins des pays émergents sont immenses, du fait d’un sous-équipement important, d’une forte croissance économique, de la saturation de leurs infrastructures routières et de leur dynamisme démographique.

Ces marchés ne sont pas, c’est vrai, intégralement ouverts à la concurrence, ils peuvent être volatils, et nos grands acteurs devront rester vigilants. Ils constituent néanmoins, pour les années à venir, une opportunité pour notre industrie, reconnue pour ses compétences et son haut niveau de fiabilité.

Toutefois, beaucoup d'incertitudes demeurent. Tout d'abord, la filière ferroviaire n'a pas été épargnée par la crise de 2008 et 2009. Si le plan de relance mis en œuvre par le Gouvernement et le soutien important des collectivités aux projets de tramway, ont permis de préserver le marché national, l'industrie française a connu un fort repli des commandes à l'exportation, qui sont passées de 40 à 30 % de l'activité entre 2007 et 2009. Cette crise se conjugue à un essor de la concurrence internationale, avec notamment les chinois CNR et CSR, le coréen Hyundai, les japonais Kawasaki et Hitachi et les espagnols Caf et Talgo.

La filière ferroviaire a ensuite pu manqué de structuration, voire parfois de solidarité entre les différents acteurs. Je crois d'ailleurs que c'est l'un des sujets de préoccupations de votre commission. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité réagir en créant un comité de filière.

Cette conjonction de la crise et d'un manque de solidarité au sein de la filière a entraîné des difficultés pour plusieurs entreprises, notamment dans le domaine de la construction et de la maintenance des wagons. Des entreprises comme les Ateliers Bretons de Réalisations Ferroviaires (ABRF) dans les Pays-de-la-Loire, Ansaldo Breda à Cannes ou ACC à Clermont-Ferrand en subissent les conséquences : je connais vos inquiétudes à leur sujet.

Je tiens à vous dire que nos deux ministères sont très attentifs à leur devenir. Toutes les solutions sont examinées chaque fois, afin de leur donner la bouffée d'oxygène nécessaire pour surmonter la crise et préserver les emplois. Plus globalement, le Gouvernement a mis en œuvre toute une série d'actions pour accompagner la filière et lui permettre de continuer à innover.

Je passe rapidement sur les mesures générales prises pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, comme la suppression de la taxe professionnelle, la réforme du crédit impôt recherche ou le soutien à l'exportation. L'industrie ferroviaire est le principal bénéficiaire des 420 millions d’euros engagés chaque année au titre du FASEP (Fonds d'études et d'aides au secteur privé) et de la RPE (Réserve pays émergents), permettant d'accompagner des projets emblématiques comme les métros du Caire ou de Hanoï, ou encore la ligne à grande vitesse marocaine. Je tiens également à rappeler l'accélération de la politique des pôles de compétitivité. La région Nord-Pas-de-Calais bénéficie du pôle de compétitivité « I-TRANS », un des 18 pôles reconnus à vocation mondiale. Il a permis, à ce jour, de labelliser 67 projets d'innovation et 28 projets de recherche, pour un montant de quelque 230 millions d’euros.

Le secteur ferroviaire bénéficie également de mesures spécifiques. D’abord, la constitution d'un comité stratégique de filière ferroviaire (CSF), créé dans le cadre des États généraux de l'industrie, par mon prédécesseur, Christian Estrosi. Le CSF, présidé par le sénateur Louis Nègre, également président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), doit permettre une concertation de l'ensemble des acteurs, y compris les partenaires sociaux, en vue d’élaborer des propositions d'actions pour dynamiser la filière. Il a constitué des groupes de travail thématiques, qui ont déjà commencé à travailler.

De leur côté, les grands groupes prennent conscience de l'intérêt de développer des coopérations avec leurs sous-traitants, sous peine de fragiliser le réseau local. M. Henri Lachmann a raison de souligner qu’il ne faudrait plus parler de donneurs d’ordres et de sous-traitants mais de partenaires, comme en Allemagne. C’est une révolution qu’il faudrait mener à bien dans la filière ferroviaire comme dans bien d’autres.

Alstom, la RATP et la SNCF font désormais partie des 36 grands comptes qui ont adhéré aux engagements volontaires de l'association « Pacte PME », en vue de bannir sept mauvaises pratiques identifiées par le Médiateur de la sous-traitance, comme la modification unilatérale des conditions d'un contrat ou l'interruption du contrat en dehors des cas prévus. Ces engagements complètent ceux déjà pris dans le cadre de la charte des bonnes pratiques. Je fonde de grands espoirs sur ce partenariat volontaire.

L'industrie ferroviaire bénéficie enfin de la labellisation, comme Institut de recherche technologique (IRT), du projet « Railenium », qui figure parmi les six IRT qui ont été lauréats, le 9 mai dernier, de l'appel à projets dans le cadre du programme des Investissements d'avenir. Ce projet vise à créer un centre de R & D de niveau mondial dédié à l'infrastructure ferroviaire, disposant d'une boucle d'essais de cinq kilomètres pour réaliser des tests jusqu'à 120 km/h. C'est un projet de très grande ampleur, avec un budget de 550 millions, étalé sur la période 2012-2021, dont 20 % sont apportés par l'État et 15 % par le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Ce projet démontre la capacité de l'État et des régions à se mobiliser ensemble pour soutenir l'industrie, notamment ferroviaire.

C'est un autre exemple des actions mises en œuvre pour permettre à la filière française de prendre une longueur d'avance technologique par rapport à la concurrence étrangère, dans les domaines comme ceux de la durabilité des infrastructures, de la réduction de la consommation d’énergie et de la diminution des coûts de maintenance.

J'ajoute que, dans le cadre des Investissements d'avenir, l'industrie ferroviaire bénéficiera de 150 millions d’euros au sein du programme « Véhicule du futur ». L’appel à projets doit être lancé très prochainement par l'ADEME. Ces fonds financeront des programmes de R & D. Les projets seront pilotés par des industriels et orientés notamment vers la maîtrise des consommations énergétiques et des nuisances environnementales du transport ferroviaire.

Nous avons de nombreux défis à relever, et d’abord celui de la réciprocité entre entreprises françaises et étrangères. Dans le domaine ferroviaire, 30 % des marchés étrangers ne sont pas ouverts à la concurrence. C’est pourquoi j'ai confié, en janvier 2011, à M. Yvon Jacob, ambassadeur pour l'Industrie, une sur la réciprocité industrielle, afin de cerner les principaux problèmes et de faire des propositions. Je suis en contact étroit avec la Commission européenne et son commissaire chargé de l'Industrie, M. Antonio Tajani, pour faire avancer cette question essentielle, en dehors de toute tentation protectionniste. Puisque nous ouvrons nos marchés, nous attendons la réciprocité absolue.

Il reste également beaucoup à faire pour mieux structurer la filière à l'international. Le comité stratégique de filière est une bonne réponse qui demande toutefois à être approfondie. Il faut constituer une « équipe de France du ferroviaire », capable de vendre nos savoir-faire et nos compétences à l'étranger. Le président de la SNCF, lors de son audition devant votre commission, a proposé de jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Ce travail pourra se conduire dans le cadre du CSF. Le Gouvernement disposera d'ailleurs bientôt d'une analyse indépendante, grâce au rapport demandé à M. Abate sur la compétitivité de la filière ferroviaire. Nous rencontrons fréquemment la difficulté de faire travailler ensemble nos entreprises dans le cadre d’appels d’offre internationaux.

Notre détermination est claire : nous voulons agir pour accompagner notre industrie ferroviaire dans son développement. Si l'histoire fait remonter la première locomotive aux Anglais, la « Micheline », comme son nom l’indique, était bien française, le TGV est bien français, et nous allons essayer d’agir ensemble, vous et nous, pour que les transporteurs ferroviaires de demain soient en grande partie français !

M. Yanick Paternotte, rapporteur. La SNCF, à l’époque de son monopole, avait un leadership naturel. Est-il concevable qu’elle remplisse encore ce rôle pour structurer la filière ferroviaire et pour mener la « Maison France » à l’exportation ?

Nous avons interrogé les dirigeants d’Eurostar sur leur appel d’offres pour acquérir dix nouvelles rames. Celui-ci soulève des questions s’agissant de l’évolution des règles de sécurité, qui devraient être autorisées a priori ou a posteriori par la Commission intergouvernementale (CIG). Nous les avons également interrogés sur leur option stratégique : en permettant à Siemens de tester des rames dans le tunnel, n’introduisaient-ils pas un cheval de Troie de la Deutsche Bahn ? Nous avons été surpris par ce que j’appelle la naïveté des réponses des dirigeants d’une société dont, je tiens à le rappeler, le capital est majoritairement détenu à 55 % par la SNCF.

La constitution d’un « Airbus » ou d’un « EADS du ferroviaire » ne permettrait-elle pas de concilier deux objectifs : celui de construire une filière ferroviaire européenne et celui d’éviter les monopoles ? Les relations bilatérales franco-allemandes laissent-elles percevoir une volonté d’aller dans ce sens, même si ni Alstom, ni Bombardier ni Siemens ne semblent vouloir s’entendre ?

La presse a évoqué des « chicailleries » entre RFF et la SNCF, l’une accusant l’autre de lui refuser de bons sillons, l’autre rétorquant qu’il n’existait aucun problème : le Gouvernement pourrait-il siffler la fin de la partie et garantir le fonctionnement normal de ces deux entités ? De mon point de vue, l’urgence est de mieux électrifier le réseau fret afin de créer des sillons fiables et durables.

Nous nous sommes déplacés, hier, en Alsace pour visiter l’entreprise Lohr Industrie, une belle entreprise qui connaît des difficultés de financement et de commandes. L’attribution rapide de la concession de l’autoroute ferroviaire atlantique accompagnée de la possibilité, pour cette entreprise, de fournir du matériel, permettrait assurément à celle-ci de passer le cap, voire de se développer. Quelles informations pouvez-vous nous donner à ce sujet ? Quel est le rôle du Fonds stratégique d’investissement (FSI) vis-à-vis de cette entreprise et de celles qui connaissent des problèmes équivalents ?

Enfin, monsieur le ministre de l’industrie, vous avez parlé de la mission confiée à M. Abate : j’ignore dans quel cadre il agit. La commission d’enquête a été dernièrement informée de façon indirecte qu’un audit sur la situation de l’industrie ferroviaire aurait été commandé par Bercy au Boston Consulting Group et que le Centre d’analyse stratégique, qui dépend des services du Premier ministre, s’apprêterait à en faire également un travail du même type. Confirmez-vous cette double information ? Si oui, la commission d’enquête trouverait regrettable de tels doublons.

M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. M. Pepy a exprimé, lors de son audition devant votre commission d’enquête, son souhait de faire jouer à la SNCF un rôle catalyseur dans le pilotage de la filière ferroviaire : je m’en réjouis bien évidemment. Il est logique qu’un des plus grands acteurs de la filière, voire son premier donneur d’ordres, veuille s’impliquer. La décision appartient évidemment au comité stratégique de filière (CSF), mais nous facilitons les discussions de la SNCF avec ses partenaires.

De plus en plus, dans les grands secteurs – c’est la même chose dans le nucléaire -, les pays achètent à la fois du matériel et un service qui les rassure. La SNCF est une grande entreprise, qui donne les preuves de sa fiabilité : en allant à elle, ses clients étrangers savent qu’ils se tournent vers un opérateur de qualité – il en est de même lorsque des clients du nucléaire se tournent vers EDF. Il est donc souhaitable que la SNCF et son président s’impliquent au tout premier rang dans la filière ferroviaire.

M. le secrétaire d’État chargé des transports. La SNCF détenant 55 % du capital d’Eurostar, la London and Continental Railway 40 % et les chemins de fer belges (SNCB) 5 %, je ne vous cache pas qu’il m’apparaît surprenant que la SNCF n’ait que deux postes d’administrateurs sur les douze constituant le conseil d’administration. C’est totalement déséquilibré.

Le 7 octobre 2010, Eurostar a annoncé la commande d’une dizaine de rames à grande vitesse à l’allemand Siemens. Chacun connaît ici la controverse entre motorisation répartie et motorisation concentrée. Tous les élus locaux le savent, lorsqu’un appel d’offres contient des conditions, on choisit l’attributaire qui les remplit et non celui qui les remet en cause. J’ai assuré mon homologue allemand, aussi attentif que moi au respect de la concurrence, qu’il ne s’agissait pas, de notre part, d’une tentation protectionniste mais de la volonté d’assurer la sécurité. Je lui ai rappelé que, le 11 septembre 2008, la catastrophe, due à un incendie, avait été évitée de justesse dans le tunnel, grâce, précisément, aux mesures de sécurité très strictes qui y sont appliquées. Parmi ces règles figure la longueur des trains qui permet, quel que soit l’endroit où ils sont arrêtés, d’atteindre les issues de secours. Il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre les trains Siemens mais de rappeler qu’avant d’accepter toute commande, les conditions de sécurité doivent être strictement respectées.

L’Agence ferroviaire européenne a présenté ses conclusions sur la question le 22 mars dernier : elle a souligné que les règles qui s’appliquent actuellement dans le tunnel sous la Manche n’interdisent pas explicitement la motorisation répartie, pourvu qu’un niveau de sécurité équivalent à celui de la référence soit démontré. En clair, la commande ne pourra avoir lieu que lorsque sera clairement apportée la preuve du respect des règles de sécurité.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué dans votre question une « forme de naïveté » : c’est également mon sentiment !. Lorsque des règles de sécurité très strictes existent, tous les concurrents, quelle que soit leur nationalité, doivent les respecter et se battre à armes égales.

Avec la modification de règles de sécurité pour une société qui participait au marché, je ne suis pas certain que la SNCF, qui est membre du conseil d'administration d’Eurostar sans avoir la position qu’elle mériterait, ne fasse pas, à moyen terme, une très mauvaise opération.

La position du Gouvernement est claire : nous respectons les règles de la concurrence – le marché est ouvert – mais dans le cadre du respect préalable des règles de sécurité.

M. le ministre. Deux modèles coexistent : à côté d’Airbus, il y a les partenariats, qui se développent dans le secteur automobile, notamment en matière de véhicules hybrides ou électriques. Des alliances spécifiques sont passées, y compris entre des concurrents historiques, comme c’est le cas de Renault qui tisse actuellement des liens avec Daimler-Benz.

L’État n’a pas à définir la bonne stratégie, mais les acteurs européens ont besoin de mieux coopérer pour acquérir une dimension nouvelle face à une concurrence internationale en plein développement. L’État fera tout ce qui est de son ressort pour encourager ces évolutions – « Airbus ferroviaire » ou partenariats – et utilisera, le cas échéant, ses leviers financiers. Je noterai simplement que le modèle « Airbus », selon plusieurs experts, ne serait pas le plus efficace pour l’industrie ferroviaire française, du fait que les entreprises du secteur sont généralement les premières dans leur spécialité. En tout cas, l’État accompagnera toute coopération renforcée.

M. le secrétaire d’État. S’agissant des relations entre RFF et la SNCF, chacun a eu vent de déclarations discordantes. J’ai réuni MM. Pepy et du Mesnil pour leur rappeler les règles du jeu. Ils ne sont du reste pas en cause personnellement.

La séparation entre l’exploitation et la gestion de l’infrastructure, inscrite dans la loi de 1997, est le seul cadre dans lequel les deux entreprises publiques doivent travailler. Ce cadre a permis de clarifier les rôles tout en rendant les décisions plus transparentes. Il est le seul à même de présider à l’ouverture du marché. Il est enfin en cours d’amélioration, avec la création de la Direction de la circulation ferroviaire (DCF) et la mise en place de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF). L’État tranchera en cas de conflit mais il n’est pas question de revenir sur la séparation opérée en 1997.

Nous avons plusieurs priorités. Tout d’abord, réussir la mise en service du « cadencement 2012 » entre RFF et la SNCF, qui s’annonce difficile. Il convient également d’améliorer la qualité du service en termes de ponctualité, de régularité et d’information des clients. Les deux sociétés doivent avoir pour objectif commun de redresser la situation du fret ferroviaire – la mission de RFF étant d’octroyer les sillons nécessaires. Il convient enfin de garantir la fourniture de capacités d’infrastructures en quantité et en qualité, et de mener à bien le programme de rénovation du réseau RFF-SNCF.

Pour l’avenir, il s’agit, avec le « paquet social ferroviaire », de préparer l’ouverture à la concurrence par la mise en place d’un cadre social harmonisé, notamment en termes de statuts. Il conviendra également de tirer les enseignements du rapport Grignon, qui me sera remis demain, sur les modalités d'une ouverture à la concurrence des trains régionaux ; de poursuivre l’évolution de l’organisation du secteur comme le rapprochement entre la DCF et RFF et l’autonomie des gares ; et de continuer à travailler sur les équilibres financiers, le niveau des péages, le financement de l’entretien du réseau et le rythme de poursuite des grands projets.

S’agissant des relations entre RFF et la SNCF, je le répète, la séparation actée en 1997 ne sera pas remise en cause, d’autant que, contrairement à certains de nos partenaires, la France applique ainsi de manière exemplaire les directives européennes.

S’agissant des difficultés de Lohr Industrie, chacun connaît leur origine. Cette entreprise regroupe quatre pôles d’activités – les remorques « porte-voitures », le transport public de voyageurs, le ferroutage et la division « services ». Alors que les porte-voitures représentent les deux tiers de son chiffre d’affaires, c’est malheureusement l’activité qui a été la plus affectée par la crise, et le marché, très cyclique, tarde à repartir.

Ses créanciers ont aidé le groupe, ce qui lui donne le temps de rechercher un investisseur. Les prochains mois seront consacrés à la recherche de partenariats industriels et financiers, et l’État accompagnera cette société autant qu’il le pourra.

M. le secrétaire d’État. Le service d’autoroute ferroviaire atlantique constituera un service de longue distance destiné à absorber une partie du trafic routier sur l’axe atlantique. Il reliera le sud de l’Aquitaine au sud de l’Île-de-France et au Nord-Pas-de-Calais. À terme, il pourra être prolongé dans le Pays Basque espagnol.

Le projet, qui est porté par l’État, RFF et les régions Aquitaine, Poitou-Charentes, Centre, Île-de-France et Nord-Pas-de-Calais, comporte deux volets principaux : les travaux sur l’infrastructure ferroviaire sous la maîtrise d’ouvrage de RFF, et la procédure de consultation pour la désignation de l’opérateur chargé de la mise en place et de l’exploitation du service, conduite sous la direction des services des transports.

Sur les trois candidats retenus en 2009, Lorry Rail, OptiCapital et le groupement Combi-Ouest/Euro Cargo Rail, seul Lorry Rail, c'est-à-dire celui qui implique Lohr Industrie, a remis des offres qui sont en cours d’analyses. L’objectif de l’État est de signer le contrat d’ici à la fin de l’été 2011 pour permettre la mise en place du service par l’opérateur au deuxième trimestre 2013.

M. le rapporteur. L’entreprise Lohr semble connaître des difficultés de financements bancaires : elle ne souhaite pas véritablement accueillir de partenaire. Il serait donc préférable pour l’entreprise que le contrat soit garanti avant la fin de l’été.

M. le président Alain Bocquet. Cela lui permettrait d’anticiper les premières commandes.

M. le ministre. Pour revenir à vos questions sur les audits, nous parlons probablement d’une même étude sur la compétitivité de la filière ferroviaire, confiée, à l’issue de la dernière rencontre, désormais classique, entre l’État et les représentants des grandes entreprises dans lesquelles l’État détient des participations, à M. René Abate, qui est effectivement un ancien dirigeant du Boston Consulting Group devenu consultant indépendant. Nous attendons le rapport pour la fin juin.

M. le président Alain Bocquet.  Messieurs les ministres, nos collègues de la commission vont à présent vous poser quelques questions.

M. Marc Dolez. Je tiens, non sans une certaine gravité, à appeler votre attention sur la situation de l’entreprise AFR Titagarh de Douai. Il est urgent d’agir. Voilà une entreprise centenaire, disposant d’un savoir-faire reconnu, qui a retrouvé depuis un an une solidité financière certaine, mais qui, faute de commandes suffisantes, se trouve confrontée à de graves difficultés. Si on n’agit pas immédiatement, AFR Titagarth, comme d’autres entreprises du secteur, ne sera plus en mesure, le moment venu, de profiter du développement du fret et de la nouvelle organisation que vous appelez de vos vœux.

Ne pourriez-vous obtenir de la SNCF, messieurs les ministres, qu’elle anticipe ses commandes ? Cela permettrait de donner à AFR Titagarh l’oxygène dont elle a besoin. La situation de cette entreprise est emblématique de la situation du secteur ferroviaire. Il appartient à l’État de demander à la SNCF et à sa filiale Ermewa de prendre toutes leurs responsabilités.

M. Alain Cacheux. Dans le cadre de la commission d’enquête, nous avons visité un grand nombre d’entreprises ferroviaires : ce qui est frappant, c’est le décalage existant entre les orientations de l’action gouvernementale et la réalité du terrain, qu’il s’agisse de la nature des mesures prises ou des délais ; je pense notamment à l’appel d’offre pour l’autoroute ferroviaire atlantique. Alors que les premières propositions ont été remises en 2009, comment expliquer un délai de dix-huit mois avant la signature du projet ? Ne pourrait-on pas mieux mobiliser les services de l’État pour soutenir l’industrie ferroviaire ?

La mise en place de l’autoroute ferroviaire entre Perpignan et Luxembourg n’a pas connu, semble-t-il, de difficultés particulières et n’a pas nécessité de moyens financiers exceptionnels. Ne pourrait-on pas accélérer la mise en œuvre des autres autoroutes ferroviaires, compte tenu, notamment, du bénéfice attendu en termes d’émission de gaz à effets de serre.

N’est-ce pas, enfin, le moment d’inciter l’Europe à lever les obstacles techniques et juridiques à la mise en œuvre de ces autoroutes, qui sont rentables à partir de 1 000 kilomètres ? L’Europe, dans le cadre du « plan Climat », y aurait tout intérêt.

M. Gérard Charasse. Messieurs les ministres, vous avez rappelé la situation du transport ferroviaire, fret et « voyageurs », dans le cadre de l’aménagement du territoire, qu’il s’agisse des infrastructures ou du matériel roulant.

Douze lignes malades ont été répertoriées ; j’en emprunte une chaque semaine depuis quatorze ans. Les trains Teoz ont remplacé les Corail : c’est une véritable catastrophe. Si on a utilisé les talents du couturier Christian Lacroix, on s’est peu préoccupé de l’aménagement des wagons, de la qualité des sièges, de l’emplacement des bagages ou des commodités. À côté, les anciennes rames Corail, c’était du luxe ! Quant à la gare de Vichy, elle a été refaite sans que l’accessibilité au quai numéro 2 pour les personnes à mobilité réduite ait été prévue !

Ne pourriez-vous pas obliger RFF et la SNCF, en liaison avec les élus de la région, à se préoccuper sérieusement d’une ligne, par ailleurs rentable, et de ses voyageurs ? Les réunions se succèdent sans aucun autre résultat que de nous annoncer régulièrement un changement de gare d’arrivée à Paris !

M. Jean Grellier. Lohr Industrie nous a lancé hier un cri d’alarme. Certaines banques demandent sa partition, alors que ce sont ses complémentarités qui font sa richesse. En cas de partition, elle perdrait toute capacité de recherche et développement, et donc d’innovation. C’est, du reste, le problème majeur rencontré par de nombreuses filières industrielles françaises.

Le passage de relais – on le sent pour les ABRF et Lohr Industrie – constitue une difficulté supplémentaire, dont la dimension psychologique est certaine. Si la puissance publique – État et collectivités locales – n’accompagne pas les entreprises dans ces moments délicats, elles risquent de rencontrer des difficultés majeures.

La filière manque en fait d’un pilote capable de déterminer la stratégie pour les dix à quinze prochaines années. Le Grenelle de l’environnement ne suffit pas, car sa mise en œuvre suppose une volonté très forte des industriels pour forcer la porte et développer de nouvelles structures. De plus, ils sont confrontés, de la part de la puissance publique, à des problèmes de délais. L’État doit donner des perspectives pour permettre à l’industrie de se positionner par rapport aux enjeux de l’avenir.

Il est significatif que le président de la RATP ait reconnu devant nous qu’il avait des difficultés à trouver une sous-traitance organisée : la RATP a subi cinq ans et demi de retard sur un marché, parce que les nouveaux investisseurs n’étant pas des industriels, ils se montrent donc incapables de répondre aux besoins industriels de leurs clients.

Les filières prévues dans le cadre des États généraux de l’industrie ne prennent pas en considération toute la réalité du terrain.

Enfin, notre rencontre avec la Commission européenne n’a pas laissé de nous inquiéter, et M. Dominique Riquet, député européen actif au sein de la commission « Transports » et maire de Valenciennes, nous a même quelque peu démoralisés : à ses yeux, compte tenu de l’environnement général, il sera difficile de maintenir une filière ferroviaire européenne. Qu’en est-il de vos échanges avec vos homologues européens sur le sujet ? La stratégie allemande, tout en respectant la réglementation, ne permet-elle pas de protéger le marché allemand ? Comment promouvoir une véritable stratégie européenne ?

M. Michel Hunault. Messieurs les ministres, vous me permettrez de rendre hommage aux députés qui sont à l’origine et s’impliquent activement dans cette commission d’enquête. La représentation nationale veut prendre toute sa part dans la réflexion visant à trouver des solutions aux problèmes que connaît la filière ferroviaire. Nous souhaitons vous aider, tout en relayant les cris d’alarme des industriels et des salariés d’un secteur qui manque de débouchés.

L’État subventionne les régions pour les conforter dans leur fonction d’autorités organisatrices des transports : quel est son effort en la matière ?

Vous avez la volonté, monsieur le secrétaire d’État, de soutenir l’industrie nationale et vous me l’avez encore assuré dans l’hémicycle la semaine dernière. Il n’existe plus que deux ou trois groupes français qui travaillent sur les wagons de marchandises. À Châteaubriant, la commission d’enquête a visité le site des ABRF. Nous ne sommes pas là pour favoriser telle ou telle entreprise, nous voulons, au contraire, construire une filière où chacun pourra développer sa spécialité. Or, des commandes concrètes sont nécessaires pour permettre à plusieurs entreprises de passer l’été. Il convient de faire en sorte que ce soit des industries nationales et non étrangères qui remportent certains appels d’offres en cours.

M. Paul Durieu. Nombreuses sont les PME qui font de gros efforts d’organisation, notamment en répondant de manière conjointe aux appels d’offres. Leur point faible, c’est la recherche et développement. Comment l’État compte-t-il les aider en la matière ?

M. le ministre. Monsieur Dolez, à la suite du dépôt de bilan d’AFR en 2010 et de son redémarrage après rachat par la société indienne Titagarh, l’État a accompagné cette entreprise, qui a récemment obtenu une prime à l’aménagement du territoire de 900 000 euros. Par ailleurs, en sus des 80 salariés qui ont été repris, l’État a permis à 22 autres de revenir dans l’entreprise grâce à la formule du contrat de transition professionnelle. L’État suit aussi le projet de diversification avec une gamme de produits pour le génie civil, comme la construction de ponts métalliques.

Si l’entreprise va mieux, il reste que son plan de charge ne donne pas toute satisfaction et qu’elle n’a que peu de visibilité après septembre 2011. Aussi est-elle en discussion à ce sujet avec la SNCF.

M. le secrétaire d’État. La SNCF ne travaille plus avec AFR Titagarh après avoir rencontré des difficultés majeures. La nouvelle société est en quelque sorte en observation pour une période de deux ans.

En effet, la SNCF avait une créance liée à des prestations d’ingénierie effectuées par Eurailtest. Les créanciers chirographaires, dont la SNCF, ne seront pas indemnisés par le repreneur, et les provisions liées à cette affaire dans les comptes et bilans d’Eurailtest sont annulées, conformément aux règles comptables en vigueur. Toutefois, un rendez-vous est prévu entre SNCF Geodis et la nouvelle direction d’AFR jeudi prochain.

Vous nous avez saisi à plusieurs reprises pour que nous incitions la SNCF à acheter des wagons : or, la SNCF, qui je le rappelle n’est pas subventionnée, n’a pas un grand besoin de wagons. Ce sont d’ailleurs des marchés à faibles marges. Nous demandons toutefois à la SNCF de lisser les commandes pour assurer la pérennité de la filière et de viser des produits à forte valeur ajoutée – les porte-voitures, le transport des matières dangereuses et les autoroutes ferroviaires.

M. le président Alain Bocquet. Seules deux entreprises fabriquent encore des wagons en France : les ABRF et AFR Titagarh. Or, le marché du fret repartira en Europe dans les deux ou trois ans qui viennent. Il serait dommage que nos entreprises aient disparu d’ici là.

M. le secrétaire d’État. J’étais dimanche à Abou Dabi avec le directeur export de Lohr Industrie : il m’a demandé, lui aussi, pourquoi la conclusion du projet d’autoroute ferroviaire était aussi longue.

Je lui répondrai ce soir, comme à vous maintenant, que l’ouverture de la ligne Perpignan-Bettembourg n’exigeait pas de travaux d’infrastructure. En revanche, la nouvelle autoroute ferroviaire atlantique ne pourra pas être ouverte avant 2013 parce qu’elle exige, elle, de lourds travaux d’infrastructure – d’autant qu’elle recoupe le futur trajet de la LGV Bordeaux-Tours, ce qui crée des complications techniques.

S’agissant, monsieur Charasse, de la ligne Paris-Clermont, le président du conseil régional m’a fait récemment de mêmes remarques que les vôtres. La convention relative aux trains d’équilibre du territoire comporte un volet « matériels ». Des commandes seront bientôt passées.

M. Gérard Charasse. La signalisation de la ligne pose également de sérieux problèmes !

M. le secrétaire d’État. Le cadencement, qui démarrera le 11 septembre 2011, entraînera un bouleversement des horaires en raison non seulement de l’arrivée de la LVG Rhin-Rhône mais aussi et surtout à cause du lancement d’un programme d’entretien d’une durée de trois ans – programme qui entraînera inévitablement, à court terme, des retards. Je tiens à le signaler, 2 milliards d’euros sont consacrés annuellement à la régénération des infrastructures.

M. le ministre. S’agissant des banques, je tiens à rappeler, monsieur Grellier, le rôle important joué par le Médiateur du crédit, M. Rameix, qui a permis de consolider 13 700 entreprises et 237 000 emplois. La Médiation du crédit est une structure qui fonctionne donc.

Le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) permet, quant à lui, de mettre toutes les parties autour de la table : 69 entreprises et 100 000 emplois ont ainsi été sauvés.

La structuration de la filière – je partage votre diagnostic – est en cours. C’est une création récente, qui n’a pas encore eu le temps de produire ses effets.

Au plan européen, les choses avancent doucement, d’autant que l’idée d’une politique industrielle européenne n’allait pas de soi. Le commissaire européen Tajani est le premier à employer ces mots. Seuls, sept ou huit pays portent ce projet.

Monsieur Hunault, le FSI a rencontré à plusieurs reprises les dirigeants des ABRF. Toutefois, les conditions d’intervention de cet organisme, ainsi que du CIRI, ne sont toujours pas réunies, faute d’un dossier de projet industriel formellement constitué. Dès que l’entreprise l’aura présenté, nous veillerons à ce que son examen par le FSI se fasse rapidement.

Messieurs les députés, nous partageons tout à fait votre préoccupation de voir les entreprises françaises remporter des appels d’offres – dans le cadre, toutefois, d’appels d’offres européens.

Monsieur Durieu, s’agissant de la recherche et développement, je partage votre diagnostic. Le pôle de compétitivité « I-Trans » permet aux entreprises ferroviaires de bénéficier de la diffusion de la R & D : 320 partenaires sont impliqués dans ce pôle.

L’Institut de recherche technologique « Railenium » vient également d’être labellisé : ce projet sera doté de 550 millions d’euros.

J’insisterai encore sur des dispositifs généraux tels que le CIRI, qui représente une dépense fiscale de 4,2 milliards, et les aides à l’innovation d’Oséo. La France, et donc le secteur du ferroviaire, ne sont pas si mal dotés !

M. le secrétaire d’État. Monsieur Hunault, je vous ai répondu dans l’hémicycle sur la situation des ABRF à Châteaubriant.

S’agissant des dotations « transports » versées par l’État aux régions, contrairement à ce que prétendent certains conseils régionaux, elles sont loin d’avoir diminué : elles ont même augmenté de près de 30 % depuis 2002. Cette année-là, les dotations s’élevaient en exploitation à 1,071 milliard, en matériel à 208 millions, en tarifs sociaux à 179 millions, ce qui faisait un total de 1,460 milliard. En 2009, les dotations se sont élevées à 1,975 milliard et, cette année, elles atteignent 2,005 milliards, auxquels il convient de rajouter 1,5 milliard de prise en charge des péages. L’effort de l’État pour soutenir les régions en matière de transport s’élève donc à plus de 3,5 milliards. Contrairement à certains de nos voisins européens, qui ont réduit les subventions, l’État a donc poursuivi son effort en dépit de la crise.

Je tiens à préciser que la région des Pays-de-la-Loire a reçu 85 millions de compensation, le Nord-Pas-de-Calais 152 millions, le Limousin 55 millions et la région PACA 145 millions. L’État continue de soutenir les transports régionaux et accroît son soutien chaque année.

M. le président Alain Bocquet. Je vous remercie, messieurs les ministres.

C’était notre dernière audition. Nous travaillons depuis près de six mois, toutes tendances confondues, et nous nous orientons, s’agissant du constat et des recommandations, vers une unanimité.

Ce qu’il manque à cette filière, qui est d’un savoir-faire exceptionnel, c’est de retrouver, après la disparition du monopole de la SNCF, une nouvelle organisation. Nous sommes à la croisée des chemins. L’enjeu est mondial : il suppose de jouer collectif non seulement au plan national mais également au plan européen, d’autant que cette filière répond à l’exigence de développement durable.

L’industrie ferroviaire française est une grande industrie par sa potentialité. Contribuons tous à son développement. Il y faut une véritable volonté politique.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française : production de matériels roulants "voyageurs" et fret

Réunion du mardi 17 mai 2011 à 16 h 45

Présents. - M. Alain Bocquet, M. Claude Bodin, M. Alain Cacheux, M. Gérard Charasse, M. Marc Dolez, M. Paul Durieu, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Michel Hunault, Mme Jacqueline Irles, M. Gérard Menuel, M. Yanick Paternotte, M. Jean Proriol, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Gilles Cocquempot, Mme Marie-Lou Marcel