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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A (H1N1)

Mardi 13 avril 2010

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président, puis de Mme Jacqueline FRAYSSE, vice-Présidente

– Audition de M. le Professeur Pierre Bégué, membre de l’Académie de médecine

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A (H1N1)

Mardi 13 avril 2010

La séance est ouverte à dix heures trente.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête,
puis de Mme Jacqueline Fraysse, vice-présidente)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) entend M. le professeur Pierre Bégué, membre de l’Académie de médecine.

M. Pierre Bégué prête serment.

M. Pierre Bégué, membre de l’Académie de médecine. Je suis membre de l’Académie de médecine, professeur émérite de pédiatrie – je n’exerce plus – et j’ai présidé le Comité technique des vaccinations, où j’ai sévi – ou agi – pendant douze ans. J’ai aussi vécu l’épisode douloureux de l’hépatite B. Ce n’est pas le sujet du jour, les deux maladies et les deux campagnes ne sont nullement superposables ; cependant, du point de vue du sentiment public, la première affaire a eu des conséquences sur la seconde et, si vous m’interrogez à ce propos, je ne manquerai pas de répondre à vos questions.

L’Académie de médecine a publié deux communiqués relatifs à la grippe A, disponibles sur son site, que je vous remettrai.

Le premier communiqué date du 13 octobre 2009. Rédigé après une réunion à laquelle ont participé le directeur général de la santé et des experts impliqués dans la campagne, il émet des recommandations et des remarques en début de campagne. Il approuve la vaccination, alors qu’une polémique sévit, tant dans les médias que sur internet. Cette désinformation ou contre-information a démarré très tôt, dès les grandes vacances, et s’est enflammée début septembre. Les critiques portaient tantôt sur la justification de la vaccination, tantôt sur la fiabilité des vaccins, en particulier des adjuvants. L’Académie insiste sur la vaccination des personnes à risque. Elle souhaite que les généralistes soient impliqués et que les personnels de santé soient vaccinés en premier. Elle recommande qu’une évaluation soit mise en place parallèlement à propos de l’efficacité vaccinale, des effets secondaires et du rapport coût/efficacité.

Le deuxième communiqué date du 9 février 2010 mais a été rédigé en janvier. En fin de campagne, après le quatrième trimestre 2009, il s’agit surtout d’une analyse critique de la situation.

La campagne vaccinale, très relayée par les médias, est jugée trop alarmiste et répétitive, en contraste avec une épidémie quantitativement très proche de la grippe saisonnière. Inversement, le profil particulier des malades admis en réanimation et décédés n’a été que rarement mentionné : la prédominance de la tranche d’âge des quinze à soixante-cinq ans et la mortalité de 20 % de personnes sans facteurs de risque ont été très peu commentées alors que ces éléments auraient mieux soutenu l’objectif. Le caractère très médiatique de l’information, le contraste entre des propos alarmistes et une pathologie relativement bénigne ainsi que les débats anti-vaccinaux risquent d’avoir altéré la confiance du public et d’amoindrir son adhésion si une prochaine alerte sanitaire grave survient. Cette observation, que nous avons été, je crois, les premiers à formuler, a été depuis lors largement reprise.

L’absence de recours initial aux médecins généralistes et aux pédiatres, vaccinateurs habituels en France, a été mal comprise. La profession médicale aurait certainement largement accepté de participer, comme en témoigne une enquête effectuée entre juin et septembre, publiée en janvier 2010 dans Vaccine, la grande revue internationale de vaccinologie, dont je vous ai apporté une copie : plus de 60 % des 1 500 praticiens interrogés y auraient été très favorables ; les autres étaient sans opinion ou plutôt opposés. Même si le recours unique aux centres de vaccination a permis d’obtenir une meilleure traçabilité des vaccinés et des effets indésirables, le bénéfice final en matière de communication avec les personnes et de couverture vaccinale est douteux. Le fait de ne pas disposer, dans un premier temps, de vaccins monodoses a sûrement constitué aussi un facteur très limitant : il est inadapté de proposer des flacons de dix doses d’un produit qui se périme probablement du matin au soir – après, il a été admis qu’il pouvait durer un peu plus longtemps –, pour des raisons de coût et d’organisation des cabinets.

La succession des avis relatifs à l’utilisation des vaccins et des antiviraux – l’Académie énumère les principaux après son communiqué – a aussi gêné la compréhension de la campagne. Il aurait fallu expliquer que les modifications de stratégie vaccinale étaient tout simplement liées aux résultats des essais vaccinaux en cours et à l’arrivée de vaccins sans adjuvant. Là encore, l’implication des médecins de famille aurait facilité la communication.

La vaccination de masse, souvent confondue avec la généralisation à une tranche d’âge, est toujours difficile en France – chacun se souvient des difficultés suscitées par la vaccination en milieu scolaire contre l’hépatite B. Il aurait fallu en tenir compte pour le choix et pour la communication. Pourtant, voici ce qui est publié sur le site du Center for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta : « L’État et les gouvernements locaux devraient chercher à minimiser l’anxiété publique » et « la vaccination reste la meilleure protection ».

Enfin, l’Académie demande à nouveau une évaluation et une meilleure concertation entre les acteurs concernés par la mise en œuvre de ce type d’action de prévention.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pouvez-vous mieux expliquer pourquoi vous distinguez vaccination de masse et généralisation de la vaccination ?

Au vu de la faible virulence du virus – qui, d’après une des personnes auditionnées précédemment, était connue très tôt –, la vaccination de masse était-elle justifiée ?

M. Pierre Bégué. Je suis vaccinologue, pas virologue. Nous nous renvoyons tous la balle !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est bien pourquoi nous vous posons cette question.

M. Pierre Bégué. Mais je suis aussi infectiologue. Dans l’absolu, une pandémie grippale était attendue depuis des années. Au début des années quatre-vingt-dix – j’ai été en fonction jusqu’en 1997–, avec M. Hannoun et d’autres, nous nous réunissions déjà pour préparer la pandémie grippale ! C’est peu de temps après – je venais de quitter mes fonctions – que la peur de la grippe aviaire est apparue. Pour faire face à sa gravité, des structures ont été mises sur pied, avec souvent une organisation de style militaire – j’en profite pour rendre hommage à l’armée, qui connaît très bien les pandémies et les épidémies.

Quand un virus absolument nouveau arrive, les chercheurs le traquent. En attendant de connaître sa structure, ils peuvent s’attendre à ce qu’il soit susceptible de se répandre largement ; c’est une des conditions pour parler de pandémie. Mais l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, semble en avoir oublié une autre : la gravité. Quand le virus du chikungunya est apparu, nul ne savait que son avancée en Europe serait contenue, le moustique porteur ne vivant que dans des zones très chaudes. Revenons à la grippe : l’OMS, influencée par l’épidémie du Mexique, a statué sur le fait que la pandémie serait potentiellement grave. J’ignore jusqu’où je puis aller dans votre enceinte…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Jusqu’au bout !

M. Pierre Bégué. Le 12 janvier 2010, jour même où se réunissait ma sous-commission de l’Académie, chargée de la vaccination, afin de travailler sur le communiqué, le prix Nobel Luc Montagnier, nous adressait le courriel suivant : « L’analyse moléculaire du virus disponible dès le début de son irruption mexicaine et américaine montrait que cette nouvelle souche d’origine porcine ne possédait aucun des gènes de virulence possédé par le H1N1 de la grippe espagnole et le virus H5N1 d’origine aviaire. Nos “experts” clairement ont suivi les avis de ceux de l’OMS et non celui d’experts américains. J’ai moi-même eu ces informations en une heure en juillet 2009 de Peter Palese (Mount Sinai Hospital New York) qui participait au Comité américain ad hoc. Mais personne ne m’a consulté du côté ministère français de la santé. »

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourriez-vous nous confier une copie de ce courriel ?

M. Pierre Bégué. Naturellement, d’autant qu’il est parvenu au secrétariat de l’Académie.

M. le rapporteur. J’ai eu connaissance de ce courriel de Luc Montagnier à l’Académie de médecine, dans laquelle il faisait état de recherches américaines tendant à contester la virulence du virus. Comment expliquez-vous que le président Obama ait déclaré l’urgence sanitaire à deux reprises, d’abord quelques semaines après ces recherches, devant le Congrès, puis, au mois de décembre, en exigeant la vaccination de toute la population ? S’il a eu connaissance de cette information, lui aussi aurait dû stopper toutes les opérations.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il ne reçoit pas les courriels destinés à l’Académie de médecine !

M. Pierre Bégué. À l’époque, nul ne savait comment l’épidémie allait s’étendre.

Mais je parlais de gravité, de virulence… Quand un microbe est inconnu, il est certes impossible de deviner sa virulence mais la biologie moléculaire moderne s’appuie sur les gènes graves des virus connus, comme celui de la grippe espagnole, dont un exemplaire a été récupéré et étudié, sans parler de H5N1, que nous connaissons par cœur. Je vous livre simplement cet avis pour que vous sachiez que les avis des virologues eux-mêmes divergent, après quoi chaque pays prend des décisions plus ou moins dictées par le principe de précaution.

Ce qui a fait peur, aux États-Unis comme chez nous, c’est l’impact sur la population vierge. La grande majorité des sujets âgés ont rencontré des éléments du fichu virus de la grippe et en conservent des traces immunitaires ; ils sont par conséquent moins susceptibles, en théorie, de développer des formes graves. Ils sont également peu susceptibles de propager la maladie – je réponds là un peu à l’interrogation concernant le taux de 30 % –, contrairement aux enfants, qu’il est important de protéger parce qu’ils véhiculent beaucoup de maladies respiratoires ; c’est pourquoi les Américains ont décidé, il y a sept ou huit ans, de vacciner les enfants contre la grippe. Avec la grippe H1N1, c’est encore pire puisque les adultes jeunes ne sont pas protégés. Deux gravités se superposent : celle du virus et celle de la population atteinte. D’ailleurs, même si le nombre de cas est faible, la démonstration statistique est faite : personne n’y pense mais, rien qu’en France, une quarantaine de personnes jeunes, ne présentant aucun facteur de risque, sont tout de même décédées.

Le débat n’est donc pas si simple. L’Académie de médecine, le 13 octobre, a soutenu la campagne vaccinale, considérant qu’il convenait de se méfier énormément du tour que pouvait prendre une telle épidémie. En effet, personne n’a jamais pu expliquer pourquoi, mais vous savez tous que les formes les plus sévères apparaissant à la deuxième vague, en fin d’épidémie, même pour la grippe saisonnière.

En outre, seul Jean-Daniel Flaysakier, excellent journaliste médical, s’est aventuré à faire la remarque suivante : il est avéré que les morts décomptés ont été victimes de la grippe A, tandis que les sujets âgés censés être victimes de la grippe saisonnière meurent d’autres maladies, décompensées par la grippe : si 5 000 insuffisants cardiaques et pulmonaires attrapent la grippe, 2 000 vont mourir. Cela aurait dû être dit immédiatement.

M. Jean-Paul Bacquet. Vous avez salué le savoir-faire logistique des militaires mais vous avez laissé entendre que, du point de vue de la communication, nous n’avions pas été très bons. Je déplore pour ma part que les professionnels de santé n’aient pas du tout été associés, non pas au geste vaccinal mais comme vecteurs de communication pour expliquer l’intérêt d’une vaccination de masse. J’ai l’impression qu’il n’a pas été tenu compte des antécédents, soit par déni d’échec, soit par absence de prise de conscience des conséquences possibles. L’arrêt de la vaccination contre l’hépatite B a été dû bien davantage à une médiatisation outrancière et inadaptée qu’à un refus de vaccination de la part des professionnels de santé. J’ai déjà cité l’exemple d’une vaccination de masse contre la méningite, dans une partie du Puy-de-Dôme : la même organisation logistique, assortie d’un manque de communication par le biais des médecins, a produit exactement les mêmes effets négatifs que la campagne contre la grippe A. Pourquoi continuer de ne pas tenir compte des échecs des campagnes de vaccination précédentes ? En matière de logistique, nous sommes bons ; en matière de communication, nous sommes nuls.

Dans les décisions qui ont été prises en matière de vaccination de masse, quel a été, à votre sens, le poids du principe de précaution, inscrit dans la Constitution et que la médiatisation érige en protection presque certaine et systématique ?

M. Pierre Bégué. À propos de la communication, tout a déjà été dit. J’ai connu, au niveau de la Direction générale de la santé, le même défaut de communication à propos de l’hépatite B. L’organisme censé aider à la communication est l’INPES, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, mais cela ne suffit pas.

Nous pourrions débattre du fait que les médecins n’ont pas été engagés pour vacciner. J’appartiens à un réseau d’information sur la vaccination émanant de la Société de pédiatrie, lequel a eu l’impression d’être totalement ignoré, tout comme a été ignoré son communiqué assez sévère de décembre que je tiens à votre disposition. Même si les médecins ne sont pas très bons dans le domaine des vaccins, ils pourraient se mettre à la disposition de leurs patients et apporter des réponses médicales à leurs interrogations, quitte à ce que des argumentaires écrits leur soient diffusés afin qu’ils puissent, comme les médecins américains, répondre aux questions délicates.

J’irai plus loin, mais je ne vous apprendrai rien car cela figure dans un rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques technologiques : en France, l’instruction en « vaccinologie » – c’est le nom actuel – des étudiants en médecine est déficitaire depuis au moins quarante ans. Quand j’ai commencé mes études, il n’existait que quatre vaccins ; de nos jours, le calendrier doit en comporter au moins dix-sept ou dix-huit. La discipline a été complètement abandonnée car il était d’usage, à l’instar de grands contemporains aujourd’hui décédés, de penser que les maladies infectieuses étaient terminées : il y avait les antibiotiques d’un côté, les vaccins de l’autre. J’ai beaucoup travaillé sur les antibiotiques – M. Bégaud le sait – mais je suis passé aux vaccins, partant du constat effrayant que l’effet de nouveaux antibiotiques s’amoindrissait à très grande vitesse et jugeant que la vaccination offrait un salut possible. Les Scandinaves et les Américains, à l’inverse de nous, sont très bien formés en matière de vaccination, matière dans laquelle nous conservons beaucoup de retard tant sur le plan scientifique comme que professionnel – nous l’observons dans les congrès. Cela dit, lors des entretiens post-universitaires ou des formations médicales continues – je ne sais plus quel est l’intitulé en vigueur mais c’est la même chose –, si un sujet de vaccinologie est traité avec compétence par les intervenants, je vous assure que les médecins présents apprennent beaucoup et qu’ils en sont ravis.

Le problème de la France n’est pas né avec l’affaire de l’hépatite B : il existait bien avant ! En 1988, avec Jean-François Girard, alors directeur général de la santé, quand il a été question de lancer, l’année suivante, la campagne vaccinale ROR, rougeole-oreillons-rubéole, nous avons procédé à un an d’enquêtes auprès des professionnels pour déterminer ses modalités. En parallèle, par le biais du CFES, le Comité français d’éducation pour la santé, nous avons mis sur pied des réseaux de surveillance, et, dès 1992, c’est-à-dire deux ans avant la campagne de l’hépatite B, nous connaissions le nombre d’opposants à certaines vaccinations, parmi les familles et les médecins ; nous savions même, par exemple, que 90 % des praticiens ne voulaient pas vacciner les nourrissons ou que 70 % ne voulaient vacciner que les adolescents. La défiance vis-à-vis du ROR était déjà très grande, et nous avions classé les familles en quatre catégories : 3 à 5 % d’entre elles s’y opposaient ; 20 % désiraient réfléchir et manifestaient plutôt un désaccord ; 20 à 30 % étaient d’accord sous réserve d’être informées ; à peine 30 à 40 % de familles se disaient confiantes. Ces ordres de grandeur sont connus, ils n’ont pas changé. Je ne suis donc pas du tout étonné de ce qui s’est passé.

Quand il est question de vaccination de masse en France, les cheveux se hérissent sur les têtes, des blocages se produisent immanquablement. J’ai œuvré à l’OMS pendant huit ans, très discrètement, pauvre petit conseiller temporaire au bureau des vaccins, à Copenhague, mais nous y travaillions tout de même pas mal. J’y ai rencontré un certain nombre de vaccinologues émérites et compétents, membres du comité des sages, lequel est un peu attaqué. Certains pays sont preneurs de vaccinations de masse, surtout en Europe de l’Est mais aussi en Angleterre, à condition que les pédiatres et les médecins de famille soient mis à contribution ; en France, c’est beaucoup plus difficile. Je rejoins M. Bégaud : la vaccination de masse aurait dû être discutée avec les acteurs de terrain, c’est-à-dire avec ceux qui se chargent du travail ; or, en France, depuis des années, le travail de vaccination est effectué à 90 % par les médecins de famille et les pédiatres. Pour preuve, il a fallu aménager des centres de vaccination car il n’en existait pas !

M. Guy Lefrand. L’Académie a regretté l’absence de recours aux médecins généralistes mais on nous dit que, pour des raisons de délais et de coût, il était obligatoire de commander des vaccins multidoses. Eu égard aux difficultés d’utilisation et de gestion des flacons, le recours aux médecins généralistes était-il envisageable ou bien, au contraire, ce choix de conditionnement justifie-t-il que les autorités n’aient pas fait appel à eux ?

M. Pierre Bégué. Je ne suis pas industriel mais je peux comprendre que les vaccins multidoses posent moins de problème que les vaccins monodoses et que le coût varie en fonction de l’emballage. Je rappelle tout de même que, dans notre pays, en 1986, la malheureuse épidémie d’infection par le VIH – virus de l’immunodéficience humaine – a conduit le comité technique des vaccinations, que je présidais, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France et la direction générale de la santé à décider de ne plus vacciner qu’avec des flacons monodoses. Aux États-Unis, il est habituel d’utiliser des vaccins multidoses, de même que dans les pays du tiers-monde, où tous les patients se présentent simultanément. En France, nous ne travaillons pas dans les mêmes conditions. Et il existe plusieurs sortes de vaccins multidoses : pour un vaccin se périmant rapidement, un conditionnement en dix doses n’est pas comparable à un conditionnement en trois doses – les médecins généralistes auraient peut-être pu écouler des flacons de trois doses, en trente-six heures, à leur cabinet. Vous savez que des vaccins monodoses sont maintenant disponibles : tapez « CDC » et « grippe » sur un moteur de recherche, vous obtiendrez « vaccin monodose », pas « vaccin multidoses ».

Pardonnez-moi de dévier vers un autre sujet : aux États-Unis, le vaccin a été administré uniquement sans adjuvants, alors que la France a retenu les deux options. Un danger existe-t-il ? Convient-il d’ouvrir le débat ?

Aux États-Unis, comme l’adjuvant à base de squalène était nouveau, la FDA, la Food and Drug Administration, n’a pu autoriser la généralisation de son usage et elle n’a pas voulu aller plus loin, tout en sachant que la vaccination sans adjuvants requiert l’injection d’une deuxième dose.

Les adjuvants sont-ils dangereux ? Nous en utilisons un depuis près de cinquante ans, l’aluminium ; il nous en a été administré à tous et rien ne nous est arrivé. Il n’en demeure pas moins que, il y a six ou sept ans, un anatomopathologiste a affirmé avoir découvert une corrélation avec des maladies musculaires ou des maladies de faiblesse généralisée : la myofasciite à macrophages était née. La biopsie fait évidemment apparaître de l’aluminium là où le vaccin a été pratiqué, mais il est destiné à agir sur les cellules immunitaires – en particulier les cellules dendritiques, cellules extrêmement importantes, dont on ne parle que depuis dix ou quinze ans –, pour qu’elles s’organisent mieux, qu’elles captent l’antigène et le véhiculent tout de suite aux cellules fabriquant des anticorps. C’est le seul rôle de l’aluminium – malheureusement, pour certains vaccins viraux pour lesquels un adjuvant est nécessaire, l’aluminium ne fonctionne pas.

Aux États-Unis, le vaccin contre le cancer du col de l’utérus de GSK, le Cervarix, a dû attendre longtemps avant d’être autorisé dans la mesure où il contient un nouvel adjuvant – qui n’est pas le squalène ; pour autant, le Gardasil, un autre vaccin ayant le même objet, est commercialisé dans ce pays alors qu’il contient du bon vieil aluminium.

Le vaccin contre la grippe a toujours requis un adjuvant parce que c’est un mauvais vaccin : si vous vous faites vacciner contre la grippe saisonnière en novembre, vous ne fabriquez plus d’anticorps en mars, surtout si vous avez quatre-vingts ans ! Pardonnez-moi d’être bavard mais je suis animé par la passion, et nous entendons tellement de bêtises…

La pandémie de grippe H1N1 était avérée car des cas étaient apparus en Australie, au Mexique, à New York, en Angleterre et en Pologne. Or une vraie pandémie repart à la saison suivante. Quand le cabinet de la ministre, en mars ou avril, a réfléchi à la commande de millions de doses de vaccin, il s’est tout de même soucié que ses effets durent un peu. Imaginez qu’il ait fallu rouvrir tous les centres de vaccination en septembre pour faire face à une deuxième pandémie ! Pour moins gâcher et faire durer un peu les effets du vaccin, il convient de trouver un bon adjuvant, ce qui n’est pas le cas de l’aluminium. Mais nous disposons du fameux squalène – ce n’est pas de l’huile de requin mais un composé chimique –, et la France, depuis des années, administre aux sujets âgés un vaccin baptisé Safeguard, répertorié dans le Vidal, qui rallonge la durée d’immunité. Nous connaissions parfaitement cet adjuvant ; il n’est pas administré par centaines de millions de doses mais tout de même par centaines de milliers de doses.

En Suède, c’est le vaccin adjuvé qui a été injecté aux femmes enceintes. Leur immunité étant affaiblie, il importe de peser le risque et le bénéfice : le risque est qu’elles fassent une petite réaction ; le bénéfice est qu’elles échappent à une grippe grave. À partir d’une certaine durée de grossesse, il est indiqué de les vacciner. À la deuxième injection de vaccin adjuvé, la réaction peut être locale – une injection unique m’a été administrée et je n’ai eu aucun effet secondaire –, voire générale, mais il ne faut pas exagérer, cela se résume à des petites fièvres et des petites douleurs, sans commune mesure avec le syndrome de Guillain-Barré. Celui-ci, au demeurant, n’a rien à voir avec le vaccin ; il est le plus souvent imputable à la grippe. Mais, quand quelqu’un est touché, allez savoir si c’est dû à la grippe ou au vaccin ! Pour l’hépatite B, c’était pareil : nous avions demandé à vacciner uniquement la tranche d’âge des nourrissons et des enfants, point à la ligne – je le sais, c’est moi qui suis allé à la sécurité sociale pour négocier les milliards nécessaires –, mais le Gouvernement a décidé de vacciner les adultes de vingt à quarante ans, c’est-à-dire les victimes potentielles de la sclérose en plaques. Allez donc savoir s’il y a un lien entre le vaccin et la maladie.

M. Guy Lefrand. Vos digressions sont fort intéressantes mais j’attends une réponse précise à ma question : l’usage de vaccins multidoses aurait-il tout de même permis de faire participer les médecins généralistes ou cela aurait-il posé problème ?

M. Pierre Bégué. Oui, cela leur aurait posé problème, je l’ai indiqué en introduction. Comme l’a dit M. Bégaud, si des gens de terrain avaient été sollicités, il en serait ressorti que, dans un pays où c’est le privé qui vaccine, il fallait demander à l’industrie de ne pas produire de vaccins en dix doses. Notre tissu de santé publique n’est pas constitué de centres médicaux, hormis les centres de PMI – protection maternelle et infantile –, destinés non pas aux vaccinations mais aux enfants et aux jeunes adolescents.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Au demeurant, les centres de PMI n’ont pas été sollicités non plus.

M. le rapporteur. Les États-Unis, marqués par l’impact du problème du syndrome de Guillain-Barré dans les années 1975-1976, n’emploient pas d’adjuvants : les 250 millions de doses de vaccins n’en contenaient pas. Mais ils ont acheté des stocks d’adjuvants, qu’ils ont mis de côté au cas où la pandémie aurait été plus importante, de façon à accroître le nombre de doses disponibles. Par ailleurs, les États-Unis se sont fournis en vrac, par cent doses, mais les vaccins y sont administrés par voie nasale. Ils sont élaborés à base de virus atténué et non inactivé, ce qui peut poser un problème car le virus peut se réveiller ; c’était leur angoisse et ils ont maintenant commandé des vaccins injectables.

Toute l’Europe a commandé des flacons de dix doses mais la Suède, pour sa part, s’est approvisionnée dans ce conditionnement auprès d’un seul laboratoire et uniquement en vaccins contenant des adjuvants : les 9 millions de Suédois devaient être vaccinés de la sorte, femmes enceintes comprises, des brochures leur recommandant cette vaccination en attestent. La France a choisi de commander une gamme de quatre produits : avec et sans adjuvants ; sur culture d’œuf ou sur culture cellulaire pour les personnes allergiques. Avons-nous eu raison ou non de nous engager dans ce choix à la carte ?

La France possède un système de soins particulier. Outre-atlantique, les vaccins n’ont pas été administrés par les médecins mais par le personnel infirmier, dans les aéroports et les supermarchés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est d’autant plus facile qu’ils sont administrés par spray nasal.

M. le rapporteur. En Scandinavie et en Grande-Bretagne, les médecins assurent la « capitation », une prise en charge globale du patient, qui inclut le volet santé publique. Le système de soins français est totalement différent : de nature libérale, il fonctionne à l’acte, le médecin généraliste ne se préoccupant pas obligatoirement de santé publique et ne connaissant pas forcément tout de la vaccination – ce qui constitue un défaut. Cette coexistence de systèmes de soins divers pose un problème réel. Comment faire pour mieux s’organiser à l’avenir ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’intervention de M. le rapporteur contient davantage d’affirmations que de questions…

Quelle différence faites-vous, en particulier du point de vue de la vaccination, entre une grippe saisonnière et une grippe comme la H1N1v, alors qu’une deuxième vague puis vraisemblablement une troisième et une quatrième sont annoncées ? Pourquoi nous y préparons-nous différemment ? Le professeur Hannoun nous a expliqué précédemment que la pandémie n’a été arrêtée que grâce à trois facteurs de chance et que l’action menée n’a eu aucun effet mais servira peut-être pour la prochaine vague. Pourquoi ne pas traiter la grippe H1N1v comme la grippe saisonnière, dès la prochaine vague ? Ne convient-il pas d’identifier les populations à risque, qui auraient accès aux trois vaccins ? Je trouve un peu inquiétant que personne n’en parle encore.

Je formulerai à mon tour une observation, mais moins longue que celle de notre rapporteur. Vous avez beaucoup parlé de l’hépatite B, qui a manifestement beaucoup traumatisé le monde médical. Toutefois, en tant que patient et en tant que maire, je vous assure que personne ne m’a parlé du problème de l’hépatite B ; les citoyens ont seulement ressenti des doutes à propos de la grippe.

Vous avez indiqué que la peur de la pandémie enflait depuis les années quatre-vingt-dix et a été encore renforcée par la grippe aviaire. La réaction excessive au premier virus venu n’est pas seulement due au principe de précaution ; l’attente de la communauté médicale a aussi joué. Ce n’est pas condamnable en soi mais cela a contribué au phénomène de communication et à l’alerte générale.

Tout le monde – j’imagine que c’est aussi le cas des vaccinologues – s’accorde pour dire que le virus de la grippe est imprévisible. Communiquer quand on ne sait pas, alors que l’on représente le savoir, c’est sacrément compliqué, en premier lieu pour l’autorité politique.

M. Pierre Bégué. Le prochain vaccin saisonnier comportera les vaccins classiques contre la grippe saisonnière plus celui contre le H1N1.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. D’habitude, le vaccin s’adresse à des personnes âgées ou dites « à risque ». Cette année, à qui conviendra-t-il de l’élargir ?

M. Pierre Bégué. Seules sont affectées par une grippe saisonnière les personnes dont les anticorps accusent une baisse. L’organisme, normalement, conserve très longtemps les anticorps produits contre les grippes saisonnières successives. Du reste, l’armée ne vaccine pas tous les ans mais tous les trois ans, ce qui s’avère suffisant, les études le prouvent, du moins pour des sujets jeunes, les virus n’étant pas totalement étrangers les uns aux autres.

La question de l’élargissement va en effet se poser. Conviendra-t-il de s’occuper des nourrissons âgés de plus de six mois, qui n’ont pas encore rencontré la grippe ? Outre les sujets âgés, sur lesquels la grippe pandémique fait peser un risque modéré, convient-il de vacciner des malades jeunes et qui ne sont atteints par aucune des indications figurant sur la liste des ALD, les affections de longue durée ? S’il ne l’a pas déjà fait, le comité technique des vaccinations devra se saisir du sujet et en discuter, c’est son rôle. Une information spécifique devra sans doute être encore dispensée, à cause du risque de résurgence, peut-être pas en septembre mais plus sûrement vers novembre. Cette année, si vous n’avez pas eu l’impression que la grippe resurgissait, c’est parce que tout le mois d’octobre a été très chaud ; nous autres pédiatres avons d’ailleurs constaté un recul de trois semaines des épidémies de bronchiolite et de rotavirus.

Oui, nous sommes traumatisés par l’affaire de l’hépatite B.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mais personne n’a fait l’amalgame.

M. Pierre Bégué. Sauf les détracteurs des vaccins, en particulier un personnage couramment convié à la télévision, notamment à l’émission « C dans l’air ». Ancien conseiller d’une personnalité très importante, il usurpe le titre de professeur et, dès le mois de septembre, il avait mis en ligne environ dix ou quinze pages consacrés à dénigrer la vaccination de la grippe et revenant sur l’hépatite B. De plus, il a débattu dans les médias face à un pauvre vaccinologue ne faisant pas le poids, subjugué par le personnage. L’affaire de l’hépatite B est exploitée par les anti-vaccination, à cause de la vaccination de masse.

M. Jean Mallot. De qui parlez-vous ?

M. Pierre Bégué. Je parle de Marc Girard, l’homonyme d’un très grand vaccinologue, désormais membre de l’Académie de médecine.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quelle est la différence entre grippe saisonnière et grippe A ?

Par ailleurs, quelle est la probabilité que ce virus mute ? Les personnes vaccinées sont très peu nombreuses, les personnes immunisées le sont davantage mais les données sur les personnes ayant contracté le virus varient de façon assez extravagante. Si une mutation intervient, toutes les recherches en cours, y compris celles portant sur le vaccin contre la grippe saisonnière, serviront-elles ?

M. Pierre Bégué. L’effet du vaccin contre la grippe saisonnière ne serait pas affecté.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En cas de mutation, le vaccin initial ne servira plus à rien.

M. Pierre Bégué. Une mutation brutale est fort peu probable. Une alarme a été lancée en Norvège, je crois, après une toute petite mutation, mais celle-ci n’interfère aucunement sur la virulence du virus.

M. Bernard Bégaud. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, monsieur le président. En matière de risque sanitaire, la communication est toujours nimbée d’incertitude. Quels sont les effets des téléphones portables ou des nanotechnologies ? Qui peut répondre à ces questions ? Mais il importe de respecter certains principes de communication, de ne pas se réfugier derrière son ignorance pour communiquer maladroitement. Il est tout à fait possible d’élaborer des schémas de communication gérant l’incertitude.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La population méconnaît complètement ce qu’est la grippe. Depuis la création de notre commission d’enquête, moi qui n’exerce pas de profession médicale, j’ai appris des tas de choses. Comment communiquer en direction d’une cible complètement ignorante du sujet, dépourvue de « culture grippale » ? Quiconque a le nez qui coule raconte qu’il a attrapé la grippe, ce qui en fait une maladie bénigne, banale, sans intérêt ni importance. Toutefois, la grippe aviaire a fait peur à la population, qui ne comprenait pas comment un poulet pouvait tuer à travers la grippe ; d’autant que les mécanismes de mutation du virus ne sont pas connus.

Pas moins de quinze années ont été nécessaires pour faire comprendre ne serait-ce que les voies de transmission du VIH, cependant que des crétins continuaient à raconter n’importe quoi. Pour la grippe, c’est un peu pareil. Il est compliqué de communiquer en direction d’une population peu éduquée ; il convient de combler un peu ce déficit d’éducation de la population au phénomène grippal, notamment pour l’informer qu’il existe un risque certain de pandémie virulente.

(Mme Jacqueline Fraysse, vice-présidente de la commission d’enquête, remplace
M. le président Jean-Christophe Lagarde au fauteuil de la présidence.)

M. Michel Lejeune. Le doute de la population à propos de la vaccination n’est-il pas inversement proportionnel au danger ? Un rush vers les centres de vaccination s’est produit lorsque a été annoncé le décès de quelques personnes qui étaient en parfaite santé avant d’avoir contracté la grippe. Le doute s’est installé dès lors que l’effet grippe a été atténué ; en cas de pandémie vraiment meurtrière, je crois que la population changerait d’avis.

Nous venons de passer un premier pic mais chacun sait que toute pandémie en comporte deux et le second se produira probablement à l’automne. Que préconisez-vous ? Estimez-vous qu’il faut poursuivre les vaccinations ? Procéder à des vaccinations associées ? À l’aune de ce qui s’est passé, ne convient-il pas de modifier la stratégie de communication ?

M. Pierre Bégué. La question est très difficile. L’Académie de médecine n’est rien : nous avons demandé à participer, le cas échéant, à la concertation préalable à une éventuelle deuxième campagne vaccinale mais nous n’avons encore reçu aucune réponse. Il est essentiel de prendre dès aujourd’hui – nous sommes déjà mi-avril – une position à propos de l’opportunité de l’extension des indications classiques de la vaccination contre la grippe. Le vaccin sera disponible. Mais faudra-t-il l’administrer aux personnes n’ayant encore reçu qu’une dose ? Il serait mal venu, monsieur le rapporteur, de critiquer la France en l’incriminant d’avoir choisi une diversité de vaccins – avec adjuvants, sans adjuvants et sur culture cellulaire pour les personnes allergiques à l’œuf.

M. Jean Mallot. Qui optait pour tel ou tel vaccin et à quel moment ?

M. Pierre Bégué. Pour les femmes enceintes et les nourrissons gravement immunodéprimés, le vaccin non adjuvé Panenza était recommandé. Les personnes appartenant à l’une des catégories à vacciner mais sujettes à l’une des quelques rares allergies avérées à l’œuf ont également pu être traitées. Ce choix d’un éventail de vaccins n’est pas critiquable, bien au contraire, mais il complique les indications : les schémas, renouvelés dans les différents avis, étaient tout de même complexes. Pour les praticiens, c’est difficile à gérer mais pas excessivement – la direction générale de la santé et le Haut conseil de la santé publique ont fourni des tableaux pourvus de couleurs –, d’autant qu’ils connaissent leurs patients.

Les sujets ayant reçu le vaccin avec adjuvant, normalement, seront protégés. En revanche, ceux qui ont reçu une seule injection de vaccin sans adjuvant courent un risque, sans oublier tous les petits qui n’étaient pas encore nés où l’étaient à peine lors de la campagne précédente : il convient peut-être de les ajouter à la liste des sujets à risque pour toutes les grippes et plus seulement pour la grippe saisonnière. Peut-être est-ce déjà décidé ; honnêtement, je ne suis pas au courant des délibérations du comité technique des vaccinations. S’ensuivra une concertation puis sans doute une communication spécifique.

Tout le monde a jugé que la communication était mauvaise. Celle-ci doit être conduite, je crois, par des médecins, très calmement, en expliquant les conséquences possibles sans affoler la population, mais seulement une fois prises les décisions ministérielles – il s’agit, c’est évident, de ne pas enfoncer une épée dans les reins du Gouvernement. Si j’étais en position de responsabilité, c’est ce que je ferais. Il faut maintenant travailler avec les virologues avertis et les spécialistes de la communication en santé publique.

Mme Marie-Louise Fort. Une commission d’enquête n’a pas vocation à intenter un procès à charge mais plutôt à présenter une vision pour l’avenir. En vous écoutant, je trouve néanmoins que de nombreux doutes subsistent.

Combien de cas de grippe H1N1 ont été comptabilisés exactement ? Il fut un temps où chaque cas suspect faisait l’objet d’analyses permettant de confirmer l’infection.

Chacun a certes le choix mais, sans avis éclairé, il est difficile de prendre une décision. Lors du deuxième pic de l’épidémie, les médecins généralistes seront-ils véritablement entraînés pour participer à la prévention ou du moins à l’information de leurs patients, afin que l’éventuelle deuxième vague de vaccination soit conduite dans les meilleures conditions ? Compte tenu du peu de temps qui reste d’ici à l’automne, cela vous semble-t-il possible ? Quelles décisions la ministre de la santé doit-elle prendre pour faire en sorte que la France soit opérationnelle à l’automne prochain et empêcher toute polémique sur la question ?

À votre connaissance, Luc Montagnier a-t-il envoyé le même courriel à d’autres destinataires ?

M. Pierre Bégué. Je l’ignore mais je pourrai regarder dès demain sur l’adresse électronique de l’académie s’il y avait d’autres destinataires. Quoi qu’il en soit, il était adressé à la sous-commission de la vaccination.

Vous avez raison, nous sommes en avril, il est temps de décider s’il convient de mener une nouvelle action contre la grippe H1N1 ou au contraire de se borner à vacciner contre la grippe saisonnière. Dans ce second cas de figure, le système est connu depuis longtemps et nous pourrions faire confiance à l’industrie. Je suis méchant mais, durant toutes mes années de lutte en faveur de la vaccination ROR dans ce pays, j’ai constaté que nous étions toujours doublés par le vaccin contre la grippe : les industriels nous demandaient de programmer le ROR à la rentrée des classes afin de ne pas les gêner. La vaccination contre la grippe est importante mais il est embêtant que l’industrie soit toujours en filigrane, voire plus.

L’appel en faveur de la vaccination émanera-t-il encore de l’industrie ou bien le ministère décidera-t-il de lancer une deuxième vague ? Celui-ci, en tout cas, devra prendre une décision car la question lui sera posée. Or quiconque croit à la pandémie considère forcément qu’il convient de vacciner les personnes qui ne le sont pas encore ou du moins qui ne sont pas protégées, et qu’il convient par conséquent de mener une action positive avec les médecins de famille après les avoir fait asseoir autour de la table. M. Door a raison, cela aura un coût, mais il ne faut pas exagérer, l’aménagement des centres de vaccination n’a pas été gratuit.

Les médecins et les infirmiers seront mis à contribution. Il y a quelques années, il a en effet été décidé – malgré l’avis plutôt défavorable de l’Académie de médecine, rédigé par mes soins – que la deuxième vaccination de la grippe pourrait être effectuée par un infirmier, sur délégation de tâche. Cela peut nettement faciliter les choses, à condition que les infirmiers soient favorables à la vaccination. Je vous communiquerai, pour vos archives, l’article excellent que j’ai déjà évoqué, relatif aux médecins : 30 % n’étaient pas disposés à vacciner ; parmi le personnel soignant, tout le monde n’était pas très chaud non plus mais certains ou certaines auraient vacciné si cela leur avait été demandé. Il faut seulement communiquer calmement. La grippe, comme beaucoup de maladies, fait certes l’objet d’un défaut d’information, mais il faut rester calme. Les gens ne sont pas sots, il faut les informer sans les paniquer. L’éducation et la prévention sont, de toute évidence, très mal faites.

Bref, il est urgent de déterminer si, oui ou non, la démarche sera poursuivie. Si la réponse est positive, il faudra impérativement recourir aux soignants, médecins et infirmières, sans les mettre devant le fait accompli mais en travaillant avec eux. En effet, pour un professionnel de santé, rien n’est pire que de se retrouver avec des textes rigides et contraignants à propos desquels il n’a pas été consulté.

Mme Jacqueline Fraysse, présidente. Il est nécessaire d’expliquer de nouveau à la population le rôle de la vaccination, connu depuis Pasteur mais qui tend à être oublié. La vaccination a constitué un formidable progrès de santé publique. Notre génération a connu, par exemple, la poliomyélite, qui détruisait des vies dès la plus tendre enfance. Répéter ces vérités ferait du bien au corps médical, et, surtout, la population a besoin de les entendre.

Une autre question fondamentale mériterait d’être abordée : celle du risque. Nous autres médecins, nous évaluons constamment le rapport bénéfice/risque de nos actes. Quel acte présente le plus d’avantages et le moins d’inconvénients ? Aucun geste, quel qu’il soit, n’est exempt d’inconvénients, chacun doit le savoir ; le risque est plus ou moins grand mais il existe toujours, il faut arrêter de raconter le contraire aux gens. Les vaccins ont toujours présenté des risques, comme tout traitement. L’objectif est de réduire ces risques autant que possible, de les évaluer au mieux mais nous ne les supprimerons pas. Dire la vérité à la population contribue à la responsabiliser.

Que convient-il de faire dans l’immédiat ? Le Gouvernement se décrédibiliserait encore plus s’il n’adoptait pas des dispositions s’inscrivant dans la lignée de celles mises en œuvre durant la pandémie. S’il se comportait comme s’il n’a pas cru à la pandémie, ce serait embêtant ! Il convient de prendre en compte ce qui s’est passé : une deuxième vague de vaccination s’impose, en élargissant le champ de la vaccination saisonnière habituelle. Reste à déterminer les cibles auxquelles il doit être élargi ; il incombe aux scientifiques compétents en la matière de le déterminer. En tout cas, faire l’économie de poursuivre les actions liées à la pandémie est inenvisageable ; ce serait grave, ce serait du gâchis, notamment financier.

M. Pierre Bégué. Je souhaite revenir sur la notion de gravité. On entend couramment que cette grippe n’est pas grave,…

Mme Jacqueline Fraysse, présidente. Elle peut l’être !

M. Pierre Bégué. … mais les malades présentent tout de même souvent des symptômes comme s’ils avaient un rhume. Par ailleurs, il est assez dur d’évaluer sa prévalence. Le meilleur test, la PCR, est très onéreux. Les tests rapides coûtent moins cher mais sont inopérants : si le résultat est positif, le sujet a la grippe ; en revanche, si le résultat est négatif, le sujet a tout de même 50 % de risque d’être malade. Les enquêtes relatives à la diffusion de la grippe, pour être fiables, doivent mobiliser des fonds importants et être menées par des épidémiologistes de haut niveau.

Nous devons aussi parler du Mexique. On entend tout le temps que des foules de malades y présentaient déjà une insuffisance respiratoire. Des pays ne possédant par le même système de santé ne peuvent être comparés ; il convient notamment de distinguer les dispositifs de réanimation. À cet égard, les situations à New York, au Mexique – surtout dans la zone concernée – et en France sont très différentes. Dans notre pays, vous êtes pris en charge extrêmement rapidement après avoir été conduit dans un service de réanimation par le SAMU, le service d’aide médicale d’urgence. Pour 1 800 ou 1 900 malades admis en réanimation avec le syndrome grippal, 300 décès sont enregistrés ; les choses sont cadrées. À New York, il faut trouver un service pour venir vous chercher, surtout si vous ne disposez pas de la sécurité sociale ; le système n’est donc pas aussi performant, on le constate en examinant les chiffres des décès. L’épidémie de rougeole de 1987, aux États-Unis, a provoqué un nombre élevé de morts. Au Mexique, ce fut encore pire ; et le problème est survenu dans une zone où la pneumopathie sévit toute l’année, compte tenu d’un environnement animal extrêmement préjudiciable. Mon ami Antoine Flahault, qui s’est rendu au Mexique il y a trois jours, est au courant de la situation.

Comment faire pour rechercher les formes bénignes alors que les tests efficaces sont très chers et que les tests bon marché ne sont pas fiables ? Quant aux formes graves, elles ne peuvent être comptabilisées qu’en France car nous savons ce que nous faisons ; aux États-Unis ou plus encore au Mexique, au-delà de certaines limites, cela pourrait conduire à un affolement.

M. Bernard Bégaud. Un gros travail d’information en direction de la population est nécessaire et il convient d’éviter un piège redoutable : en matière vaccinale, si chacun raisonne en fonction de son intérêt individuel, cela pose un problème ; les messages doivent surtout être collectifs. S’agissant de la variole ou de la poliomyélite, par exemple, qui ont déjà été évoquées, le rapport bénéfice/risque, pour un sujet qui se fait vacciner, est très mauvais ; en effet, la population étant presque entièrement immunisée, la probabilité qu’il attrape la maladie est quasi nulle, alors que la probabilité qu’il fasse un petit accident ne l’est pas totalement. Je rappelle que la variole a pu être éradiquée que parce que 100 % de la population a joué le jeu. Il faut donc se méfier de l’égoïsme ambiant et il convient d’adresser des messages collectifs de santé publique affichant des objectifs généraux.

Pour l’éducation de la population, les médecins ne doivent pas être négligés car ils constituent des relais fondamentaux. Comme le disait M. Bégué, il est très dommageable que ces grands enseignements de santé publique ne soient pas relayés au cours des études médicales. Je sais de quoi je parle car j’ai été doyen de faculté de médecine et j’ai participé à la réforme : la France est le pays du monde dit « développé » qui enseigne le moins le médicament.

Les industriels du secteur pharmaceutique sont des collègues et des partenaires, et il est nécessaire de travailler avec eux. Toutefois, nombre de problèmes proviennent du fait que nous leur avons abandonné la conduite des campagnes d’information : le dérapage concernant l’hépatite B ne se serait pas produit si l’industrie ne s’était pas occupée de la campagne.

L’information est une mission cruciale.

M. le rapporteur. Savez-vous si le nombre de grippes saisonnières et, par voie de conséquence, le nombre d’hospitalisations ont diminué ?

M. Pierre Bégué. Oui, nettement.

M. Bernard Bégaud. Il n’y en a presque pas eu.

M. le rapporteur. Une grippe a remplacé l’autre. Nous demanderons aux représentants de la sécurité sociale quels bénéfices financiers elle a retiré de cette décrue.

Je prolongerai le propos de Mme Fraysse. Compte tenu des réactions de l’opinion publique et à la lumière des analyses formulées par les personnes successivement auditionnées, vous inclus, je crains que la campagne de vaccination de septembre soit un « flop » dramatique. Vous aussi ?

M. Bernard Bégaud et M. Pierre Bégué. Oui !

M. le rapporteur. Parmi nos recommandations, nous conseillerons peut-être que le turbo soit immédiatement enclenché en matière d’information et de communication sur la campagne de vaccination à venir.

Nous allons en discuter avec les professionnels de l’industrie pharmaceutique – nous auditionnons les premiers cette après-midi. Cela dit, dès janvier, une fois passé l’épisode d’urgence, ils ont été en mesure de fournir des vaccins unidoses. Des stocks de vaccins unidoses peuvent donc être mis à la disposition des médecins libéraux ; il faudra relayer l’information auprès d’eux afin qu’ils reprennent leur cartable sur l’épaule et s’engagent dans cette campagne de vaccination individuelle.

M. Bernard Bégaud. Au demeurant, cela ouvre une porte de sortie au Gouvernement.

M. le rapporteur. Comment cela ?

M. Bernard Bégaud. Revenir vers les médecins risque de passer pour un aveu d’échec. Mais le Gouvernement pourrait très hypocritement – ce que personne n’imagine –déclarer qu’il peut enfin travailler avec les médecins généralistes, ses amis de toujours, maintenant que les vaccins unidoses sont disponibles.

M. Pierre Bégué. Je voudrais donner du grain à moudre à Mme la présidente. La perception de la vaccination peut changer très vite.

Quand l’URSS s’est transformée en fédération – à l’époque, je collaborais au bureau des vaccins de l’OMS –, les vaccinations ont été abandonnées : résultat, entre 1992 et 1997, 250 000 cas de diphtéries et 4 500 morts ont été comptabilisés. Au service des maladies infectieuses de Saint-Pétersbourg, j’avais constaté que les victimes du croup n’étaient pas des enfants de trois ans, comme il y a un siècle, mais des adultes de vingt ou trente ans en réanimation respiratoire, présentant des fausses membranes diphtériques très étendues et qui étaient en train de mourir. La diphtérie ne sera jamais éradiquée car elle repart dès que de taux de couverture vaccinale tombe à 40 ou 50 %.

De même, en 1992, des cas de poliomyélite ont été observés en Hollande et deux personnes en sont mortes : un gamin et un pauvre homme d’une soixantaine d’années, qui n’avait jamais été en contact avec le virus. L’affaire est connue, elle a fait l’objet de publications et le directeur général de la santé nous l’a racontée. Une petite confrérie chrétienne radicale, qui vit au Nord-Est des Pays-Bas et compte environ 70 000 membres, n’accepte pas les vaccinations. Les enfants de cette confrérie sont scolarisés dans des écoles spéciales ; en effet, aucune loi n’oblige les parents à faire vacciner leurs enfants mais ceux qui s’y refusent doivent trouver une école qui les accepte. Bref, un jeune âgé de treize ans a contracté la poliomyélite en nageant dans une rivière et a transmis la maladie à quelque soixante ou soixante-cinq personnes, soit un cas pour mille, conformément aux prévisions. Pour couvrir un peu la communauté, son chef a accepté qu’une dose de vaccin soit délivrée par voie orale, mais pas par voie injectable. Par la suite, la génétique a démontré que le virus était de souche pakistanaise et le virus circule toujours dans le monde entier, même dans les pays où plus personne ne contracte la poliomyélite, et, contrairement à ce que pensaient naguère les scientifiques, il ne sera probablement jamais possible de l’éradiquer. Il suffirait de tenir ce langage aux gens. Si un tel message passait à la télévision, pensez-vous qu’ils ne comprendraient pas ? Nul besoin de longs discours, cela nous concerne directement ! Dans le cas que je viens de citer, l’intérêt individuel et l’intérêt collectif se rejoignent.

M. Jean-Paul Bacquet. Autrefois, durant leur service militaire, les Cantalous et les Savoyards contractaient la rougeole, la varicelle et d’autres maladies.

M. Pierre Bégué. En 1917, une épidémie de rougeole a empêché d’embarquer des milliers de jeunes soldats américains, âgés de vingt à vingt-cinq ans, et plusieurs centaines d’entre eux sont morts. C’est pourquoi les Américains surveillent les maladies infectieuses.

M. Philippe Vitel. On a successivement expliqué à nos compatriotes qu’il fallait deux injections, puis une seule si le vaccin contenait des adjuvants, puis une seule dans tous les cas. Là aussi, le doute peut nuire à la compréhension de l’information. Alors qu’une deuxième campagne va être lancée, quelle consigne sera donnée à ceux qui sont déjà vaccinés ?

Enfin, pour illustrer la pauvreté de la communication relative à la vaccination, je vais vous livrer une anecdote. Dans une réunion publique, en présence d’une assistance assez bien « cérébrée », j’ai demandé aux personnes à jour pour le vaccin contre le tétanos de se signaler : une personne sur cinq a levé la main. Lors d’une rencontre préparatoire à l’examen du projet de loi HPST – hôpital, patients, santé et territoires –, des conseillers techniques, à qui je faisais part du problème, m’ont rétorqué que la France est un pays « survacciné » et qu’il n’y avait rien à ajouter…

M. Pierre Bégué. Votre première remarque est la plus importante : le doute est semé. Il aurait fallu expliquer à la population – je crois que cela figure dans un de nos communiqués et il me semble en avoir parlé en introduction, en tout cas c’était dans nos intentions – que trois mois au moins étaient nécessaires pour fabriquer le nouveau vaccin et que, par précaution, lorsqu’un vaccin est prêt, il fait l’objet d’essais, d’abord sur des adultes puis sur des enfants. Il faut aussi procéder à des dosages d’anticorps : pour la première dose, les résultats sont obtenus très vite ; pour la deuxième dose, les résultats, fondamentaux, tardent un peu plus. En l’espèce, les délais ont été extrêmement brefs : la première série de résultats a été disponible fin septembre et la seconde fin octobre. D’aucuns ont jugé que c’était très long mais c’est la règle pour des essais. Dès qu’ils ont été connus, les résultats ont été envoyés aux États-Unis et surtout à Londres, à l’EMEA, l’European Medicines Agency, avant de redescendre dans nos différentes agences, qui les ont immédiatement répercutés. L’opinion publique a eu l’impression que nous ne savions pas alors que nous savions, mais au terme d’une procédure tout à fait inhabituelle : non pas une AMM – autorisation de mise sur le marché – tranquille, obtenue au bout de quatre ans de recherches, mais une AMM de vaccin débobinée de semaine en semaine. D’où l’importance de la communication : pour ma part, je n’aime pas la télévision mais nous ne manquons pas de vaccinologues jeunes, compétents, dynamiques et calmes qui auraient su expliquer la situation, M. Bégaud l’a dit.

M. Bernard Bégaud. William Dab, par exemple, n’a jamais été consulté par le cabinet.

M. Pierre Bégué. Les sujets n’ayant reçu qu’une injection de vaccin sans adjuvant méritent d’en recevoir une seconde mais cela sera un peu compliqué. Quant aux sujets ne faisant pas partie d’une population à risque et qui ont reçu une seule injection de vaccin adjuvé, ils sont certainement protégés.

M. Bernard Bégaud. Je suis tout à fait d’accord, une fois de plus, avec M. Bégué, mais je souhaite revenir sur la notion de « survaccination », quitte à me recoiffer de ma casquette de polémiste.

Une autre faute française – je ne veux pas pointer à nouveau du doigt l’industrie pharmaceutique – consiste à mettre sur le même plan les vaccins majeurs, cités ce matin, et les vaccins plus mineurs, en abreuvant la population de messages. Si un vaccin contre la calvitie est découvert un jour, des campagnes publicitaires passeront à la télévision ! Les messages finissent par se diluer et l’on oublie l’essentiel. Nous pourrions polémiquer sans fin sur la nécessité du vaccin contre le cancer du col de l’utérus, administré aux jeunes filles. Ce n’est pas un vaccin majeur mais son lancement a dû être accompagné de messages télévisés car il est cher et, au départ, il n’était pas remboursé. En revanche, les messages en faveur des vaccins majeurs ne sont ni vus ni entendus. C’est problématique car il importe d’expliquer sans relâche ce qu’est un risque sanitaire et de dire la vérité.

Ce qui inquiète la population, c’est l’inconnu : quand les gens ne savent pas, ils ont peur, ce phénomène a été indubitablement démontré à maintes reprises ; quand on leur parle, même en faisant état d’un risque, ils ressentent beaucoup moins la peur. En l’occurrence, ce principe n’a pas été appliqué.

Mme Jacqueline Fraysse, présidente. Convient-il de revacciner les enfants de deux ou trois ans, voire plus jeunes, qui ont déjà été vaccinés ?

M. Pierre Bégué. Ce sera vraisemblablement nécessaire car la plupart d’entre eux ont reçu des vaccins sans adjuvant.

M. Jean-Paul Bacquet. Vos interventions renforcent mon pessimisme à propos des prochaines campagnes de vaccination et de la prise de conscience de la population. Cependant, je vous remercie car vous avez tous deux très bien décrit la situation et mis en évidence nos insuffisances.

Je ne poserai pas une question mais je dresserai un constat. Je suis médecin et je crois que les comportements face à la vaccination contre la grippe A traduisent une évolution sociétale générationnelle vis-à-vis de tout ce qui est médical. Les Français sont des enfants gâtés de la médecine, au point, cela a été dit, qu’ils ont pu croire à la fin des maladies infectieuses et à la persistance des seules maladies dégénératives, cancers et autres. Il est sûr que le cancer faisait moins de victimes quand les gens mouraient d’une maladie infectieuse avant cinquante ans ou d’une maladie traditionnelle d’usure entre cinquante et soixante ans. Notre vision est donc totalement faussée ; le sida nous a d’ailleurs réveillés en nous rappelant que les maladies existent encore et tuent toujours. Quand j’exerçais, j’avais l’habitude de dire qu’un patient de quatre-vingt-dix-neuf ans et demi ne peut mourir que d’une erreur médicale. Ceux qui se passionnent pour les maladies nosocomiales et incriminent les médecins en faisant des amalgames oublient que les personnes qui en meurent, s’ils n’avaient pas été hospitalisés, auraient succombé bien avant d’une affection rénale, hépatique, diabétique ou autre.

À propos de la vaccination, il me semble que nous vivons exactement le même phénomène : après l’affaire de l’hépatite B – personne n’a fait le parallèle entre les deux dossiers –, l’opinion publique a été déstabilisée et, des années plus tard, l’effet se fait toujours sentir. Le drame de Lübeck, en 1959, est encore d’actualité quand il s’agit de dénoncer la nocivité du vaccin BCG. Le manque de courage politique manifesté à l’occasion de l’arrêt de la vaccination en milieu scolaire contre l’hépatite B – je vois les choses ainsi – n’a fait que confirmer le poids de l’opinion publique. Celle-ci, forgée à partir d’informations bonnes ou mauvaises, a intégré que la médecine guérit tout et elle refuse de ne pas comprendre l’incompréhensible. Or exercer la médecine revient souvent à se battre contre l’inacceptable.

Personnellement, je n’ai pas voté en faveur du principe de précaution et je ne le ferai jamais car je considère qu’il constitue une insulte à la recherche médicale – la présidente le sait. Je suis un rescapé de la tuberculose, que j’ai contractée étant enfant ; j’en suis sorti grâce à la streptomycine. Aujourd’hui, à cause du principe de précaution, cet antibiotique ne pourrait pas être mis sur le marché ; en vertu du principe de précaution, tous les rescapés de la tuberculose seraient sous terre.

M. Pierre Bégué. Le 11 mai, l’Académie de médecine organise une session sur le thème « Vaccination et société », avec Michel Setbon, sociologue, et trois autres intervenants.

M. Jean-Paul Bacquet. Aujourd’hui, l’intérêt individuel l’emporte sur l’intérêt collectif ; la notion même de santé publique n’est plus comprise.

Mme Jacqueline Fraysse, présidente. Il faut dire que nous ne travaillons guère sur le sujet.

M. Philippe Vitel. Les salons de médecines douces ou parallèles, qui pullulent tous les dimanches, ne rendent pas service non plus.

M. le rapporteur. N’est-ce pas la Cour de cassation qui avait établi un lien de cause à effet entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques ? Les responsables politiques ont été coincés par cette décision judiciaire.

M. Jean-Paul Bacquet. Qu’un ministre, médecin lui-même, déclare qu’il s’en remet à la sagesse des médecins, c’est la négation de l’action politique.

Mme Jacqueline Fraysse, présidente. Monsieur Bégaud, monsieur Bégué, je vous remercie d’avoir consacré un peu de votre temps pour alimenter notre réflexion.

La séance est levée à midi quinze.