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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mardi 27 avril 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Table ronde réunissant des représentants d’ordre et de syndicats professionnels : M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat des personnels infirmiers, M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, M. Claude Leicher, président de MG France, Mme Chloé Loyez, étudiante en troisième année du deuxième cycle d’études de médecine à l’Université Paris VI, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, M. Grégory Murcier, président de l’Intersyndicat national des internes des hôpitaux, qui représente les internes de spécialité hors médecine générale, M. Martial Olivier-Koehret, médecin généraliste, ancien président de MG France, M. Matthieu Piccoli, représentant des étudiants en médecine d’Île-de-France, M. Patrick Romestaing, ORL libéral, président de la section Santé publique du Conseil national de l’Ordre des médecins et M. Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers libéraux

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mardi 27 avril 2010

La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête).

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat des personnels infirmiers, M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, M. Claude Leicher, président de MG France, Mme Chloé Loyez, étudiante en troisième année du deuxième cycle d’études de médecine à l’Université Paris VI, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, M. Grégory Murcier, président de l’Intersyndicat national des internes des hôpitaux, qui représente les internes de spécialité hors médecine générale, M. Martial Olivier-Koehret, médecin généraliste, ancien président de MG France, M. Matthieu Piccoli, étudiant en troisième année de deuxième cycle d’études de médecine à l’Université
Paris-Descartes, représentant des étudiants en médecine d’Île-de-France, M. Patrick Romestaing, ORL libéral, président de la section Santé publique du Conseil national de l’Ordre des médecins et M. Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers libéraux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Jusqu’à présent, nous avons surtout procédé à des auditions individuelles. Pour des questions de délais, mais aussi afin de mieux confronter les points de vue, nous avons décidé d’organiser un certain nombre de tables rondes. Nous accueillons ainsi aujourd’hui plusieurs représentants d’ordre et de syndicats professionnels du monde médical.

Prêtent successivement serment :

– M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat des personnels infirmiers ;

– M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français ;

– M. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France ;

– M. Claude Leicher, président de MG France ;

– Mme Chloé Loyez, étudiante en troisième année du deuxième cycle d’études de médecine à l’Université Paris VI, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France ;

– M. Grégory Murcier, président de l’Intersyndicat national des internes des hôpitaux, qui représente les internes de spécialité hors médecine générale ;

– M. Martial Olivier-Koehret, médecin généraliste, ancien président de MG France ;

– M. Matthieu Piccoli, étudiant en troisième année du deuxième cycle d’études de médecine à la faculté de médecine de l’Université Paris-Descartes, représentant des étudiants en médecine d’Île-de-France ;

– M. Patrick Romestaing, ORL libéral, président de la section Santé publique du Conseil national de l’Ordre des médecins ;

– M. Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers libéraux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le Gouvernement a pris la décision de proposer à tous les Français un vaccin contre la grippe A(H1N1), son souhait étant de vacciner, sur la base du volontariat, la part de la population la plus importante possible. Or, le taux de vaccination n’a été finalement que d’environ 10 %. Ma première question sera donc de vous demander ce qui, selon vous, explique ce résultat.

M. le rapporteur. Pour ma part, j’aimerais savoir d’emblée si des rencontres ont eu lieu au printemps dernier entre les organismes que vous représentez et le ministère.

M. Martial Olivier-Koehret, ancien président de MG France. Vous nous interrogez sur l’adhésion de la population à la vaccination. Il convient tout d’abord de se remettre dans le contexte. À l’époque, tous les patients, à toutes les consultations, nous posaient des questions sur la grippe, la prise en charge, les risques, la vaccination. Dans un tel contexte, nous, médecins généralistes, avons connu à plusieurs reprises des difficultés à nous positionner par rapport au discours public, qui suivait la progression des connaissances au sujet de la pandémie grippale. Pendant toute une période, au fil des annonces, il a été difficile de suivre la politique mise en place – possibilité ou non de produire un vaccin, date de disponibilité des produits, nombre d’injections préconisé, etc.

Nous avons pourtant insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’une contribution des médecins généralistes à la prise en charge des patients atteints de la grippe et au processus de vaccination. Le choix de vacciner l’ensemble de la population donnait une dimension altruiste à cette campagne : plus que la protection de chaque individu, en effet, elle visait à empêcher la propagation de la maladie. Mais il manquait une complémentarité avec notre propre approche, selon laquelle les patients souffrant de maladies du cœur ou des poumons, ou ceux pouvant développer certaines complications, devaient être vaccinés tôt. Tout cela a entraîné une certaine confusion dans le fonctionnement du dispositif.

Il convient de rappeler que lors de toute grande campagne de santé publique, les patients interrogent leur médecin généraliste. C’est le message qui est transmis à cette occasion qui entraîne ou non l’adhésion du processus de vaccination. La nécessité d’une complémentarité entre notre intervention et celle des pouvoirs publics est, selon moi, un des enseignements majeurs à tirer de cette crise.

Bien entendu, au cours cette pandémie, nous avons vu s’agiter l’ensemble des acteurs du lobby anti-vaccin, qui ont profité de nos difficultés à tenir un discours carré et cohérent sur la vaccination pour remuer toutes les peurs imaginables. Pour ma part, j’ai été mis en cause à plusieurs reprises au cours de réunions ou de colloques pour avoir pris position en faveur de la vaccination, dont certains – même des médecins – contestait le principe même.

Si nous avons eu des difficultés à définir la politique publique engagée, c’est parce que pour la première fois, une crise sanitaire a été retransmise en direct sur tous les écrans. La totalité des informations était disponible, mais il n’existait aucun recul pour les appréhender, ce qui rendait la situation particulièrement complexe.

M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français. Vous n’avez pas prononcé le mot, mais au fond, vous vous demandez ce qui explique l’échec du schéma vaccinal retenu. En effet, alors que l’objectif initial était de vacciner la plus grande part de la population, on n’est pas parvenu à vacciner un plus grand nombre de personnes que lors d’une campagne de vaccination contre la grippe saisonnière. Selon moi, il existe au moins quatre raisons à cet échec.

La première est l’absence de message clair, qui a entraîné des doutes et des interrogations chez les Français, au point de voir remis en question, comme l’a dit mon confrère, le principe même de la vaccination. Nous avons connu une communication pour le moins intempestive au sujet de la dangerosité potentielle du virus, d’une part, et des éventuels effets secondaires du vaccin, d’autre part. J’en veux pour preuve les messages contradictoires concernant la détection d’un éventuel cas de syndrome de Guillain-Barré, d’ailleurs infirmée par la suite. Toutes les campagnes de vaccination peuvent faire apparaître des effets secondaires, mais c’était vraiment une erreur de mettre l’accent sur de tels effets lors d’une campagne de vaccination de masse.

La deuxième raison, que je n’ai d’ailleurs jamais entendu citer jusqu’à présent, est l’absence de formation préalable des professionnels, contrairement à ce qui avait été décidé d’un commun accord lors de la campagne de vaccination contre la grippe aviaire. À l’époque, en effet, nous étions en concertation permanente, ce qui n’a pas été le cas lors de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1). Cette formation aurait non seulement eu pour but de préparer les professionnels à ce type de pandémie, mais surtout de leur permettre de délivrer un message unique. Or contrairement à ce que nous avions proposé dès le printemps, une telle formation n’a pas eu lieu en 2009, ce qui a été une grosse erreur.

La troisième raison est que les modalités retenues, que je qualifie volontiers de « militaro-soviétiques », ont complètement révolté les médecins – et plus largement les Français. Le choix a été effectué de donner l’exclusivité à des centres de vaccination et de court-circuiter tout le réseau de proximité. Songez pourtant que ce pays compte 55 000 médecins généralistes, 3 000 pédiatres, 60 000 infirmières libérales !

Les raisons invoquées pour justifier cette mise à l’écart systématique du tissu de proximité ont profondément heurté les professionnels, qu’il s’agisse de l’absence de réfrigérateurs, des problèmes liés au conditionnement ou du prétendu risque d’encombrement des cabinets. En fait, comme lors de toute épidémie, on n’a observé qu’une augmentation de 10 % de l’activité en médecine de ville – un afflux facile à absorber. En outre, alors que les autres pays étaient donnés en exemple, on s’est aperçu que presque tous pratiquaient la vaccination dans des cabinets médicaux, individuels ou de groupe.

Écartés du dispositif, non formés, incapables de délivrer un message unique, les médecins ont pourtant été amenés à produire des certificats de non-contre-indication pour des enfants vaccinés dans des centres spéciaux ou des établissements scolaires ! Cela les a irrités profondément.

Par ailleurs, il est curieux, lorsque l’on veut toucher toute une population, de réserver la vaccination aux seuls détenteurs de bons. La raison invoquée, à savoir la nécessité d’une traçabilité, ne tenait pas : comme la prose pour M. Jourdain, la traçabilité est, Dieu merci, quelque chose que nous pratiquons tous les jours. Lors de toute vaccination – et celle-ci était à nos yeux une vaccination ordinaire –, nous remplissons des dossiers médicaux.

Notons que toute cette stratégie était en contradiction avec une loi qui vient d’être adoptée, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, laquelle était censée remettre le médecin généraliste au centre du dispositif dit de « médecine de proximité ».

Enfin, passant rapidement sur les longues files d’attente que l’on a vu se former à l’entrée des centres de vaccination – lesquelles ont provoqué l’hilarité dans les cabinets –, je rappellerai qu’il n’a pas été permis aux médecins d’obtenir auprès de ces centres les doses nécessaires pour vacciner leurs propres patients.

La quatrième raison est que le choix de ce schéma vaccinal a désorganisé profondément l’ensemble du système de santé, en raison notamment des réquisitions intervenues. Certains médecins étaient ainsi contraints de quitter leur cabinet, dont la salle d’attente était pleine, pour rejoindre leur poste dans des centres de vaccination vides ! De même, la réquisition des stagiaires a déséquilibré le fonctionnement de la médecine de ville. Les hôpitaux et les services de santé au travail ont connu le même sort. Enfin, à la fin de l’année dernière, les médecins généralistes ont dû doubler le nombre de gardes sous prétexte de mobilisation autour de la vaccination.

Reste à tirer les leçons de tout cela, car ce qui nous importe, c’est l’avenir. Je suppose que vous aurez des questions à nous poser à ce sujet. Mais je crois avoir donné les raisons ayant conduit à l’échec du schéma vaccinal retenu.

M. Grégory Murcier, président de l’Intersyndicat des internes des hôpitaux. Avec l’accès illimité et irraisonné à toutes les sources d’information comme le permet la société actuelle, chacun ou presque changeait d’avis plusieurs fois par jour. Tout le monde – jusqu’à des urologues ! – donnait son avis sur telle antenne ou dans tel journal. Comme si moi, interne en chirurgie maxillo-faciale, j’avais donné mon avis sur la qualité du vaccin et l’opportunité de se faire vacciner… Comment le Français moyen aurait-il pu s’y retrouver ? Je rejoins donc les deux intervenants précédents quant au manque de cohérence de l’information fournie aux citoyens.

Ajoutez à cela le fait que l’épidémie s’est révélée un peu moins grave que prévu et la propension, très française, à toujours trouver une raison pour ne pas faire ceci ou cela.

Telles sont selon moi les seules raisons importantes du manque de succès de la campagne de vaccination, même si les éléments qui ont été cités ont forcément eu un impact.

M. le rapporteur. Avez-vous participé aux campagnes de vaccination ?

M. Grégory Murcier. J’ai été réquisitionné de façon légale – ce qui permettait d’être rémunéré. Dans la pratique, l’association locale des internes de Saint-Étienne s’est mise en rapport avec la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et la direction des affaires médicales de son CHU.

L’ensemble des associations des internes de France a largement contribué à la qualité de l’organisation, dans la mesure où les DRASS ont été relativement inefficaces, voire parfois totalement incompétentes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce qui signifie ?

M. Grégory Murcier. Nombre de DRASS n’ont pas été capables de faire un planning, alors que c’est à la portée de tout un chacun avec le tableur Excel, voire avec un papier et un crayon. Manquaient-elles de personnel ? Étaient-elles submergées ? Quoi qu’il en soit, les associations d’internes ont souvent remplacé les DRASS en ce domaine.

Les plannings ont été organisés plus facilement à certains endroits qu’à d’autres. Nous recevions une convocation. Nous remplissions un papier attestant de notre présence. Il était renvoyé à la DRASS, ce qui nous permettait d’être payés lorsque nous étions intervenus dans les heures permettant une rémunération.

M. le rapporteur. Avez-vous été rémunéré ?

M. Grégory Murcier. Pas moi, dans la mesure où j’ai travaillé de midi à seize heures, un lundi, sur mes heures de travail. En revanche, tous mes collègues qui ont été réquisitionnés à des moments où ils pouvaient être payés, l’ont été. L’un d’eux a même touché 1 700 euros en un mois !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Étiez-vous défrayés de vos frais de transport ?

M. Grégory Murcier. Oui, sur pièces justificatives.

M. le rapporteur. Le service hospitalier où vous travaillez a-t-il été désorganisé ?

M. Grégory Murcier. Non, les quatre internes se sont organisés pour ne pas quitter le service le même jour. Je pense que cela s’est passé de la même façon dans tous les CHU de France. Certes, à Paris, suite à l’intervention présidentielle, on est allé jusqu’à faire réquisitionner des internes par la force publique, et cette effervescence a duré quelques semaines, ce qui nous a obligés à taper régulièrement du poing sur la table. Mais le problème tenait plutôt à un manque d’organisation du ministère de la santé.

M. Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers libéraux. Je répondrai d’abord à M. le rapporteur que nous avons effectivement eu, au cours de l’été, trois réunions au cours desquelles on nous a répondu la même chose, à savoir que l’on n’avait pas besoin de nous.

Depuis le départ, le choix avait été fait d’une vaccination collective. Nous n’étions pas là pour revendiquer quoi que ce soit. La seule chose que nous demandions, c’est que les réquisitions ne désorganisent pas la chaîne des soins de ville que les infirmiers libéraux avaient en charge, concernant notamment les patients lourds.

La ministre était présente lors de l’une de ces réunions – qui réunissait les quatre syndicats d’infirmiers libéraux et la présidente de l’Ordre national des infirmiers, dont l’approche est d’ailleurs différente de celle des syndicats. Nous lui avons indiqué que nous n’entretiendrions pas la polémique qui était née autour de cette vaccination, notamment à propos des adjuvants. Nous ne sommes pas des sociétés savantes et nous n’avions aucune légitimité à intervenir sur de tels sujets.

En revanche, nous avions à dire que se poserait un jour, en raison du choix qui avait été fait, la question de la vaccination des personnes âgées dépendantes, handicapées, et des personnes fragiles, immunodéprimées, qui sont à leur domicile mais intransportables. On nous a répondu encore une fois que l’on n’aurait aucun besoin de nous et que nous n’avions aucun souci à nous faire. En somme : de quoi nous mêlions-nous ? Nous avons rétorqué que si l’on n’avait pas besoin de nous pour le moment, il pourrait en aller différemment plus tard : le dispositif prévoyait en effet que des équipes mobiles pourraient se rendre au domicile des malades. Or, comment de telles équipes auraient-elles pu se constituer et être rapidement opérationnelles sans nous alors que nous savons, pour le vivre au quotidien, qu’une telle organisation n’est pas facile à mettre en place ? De même, nous avons mis en avant le fait que 62 000 infirmières libérales visitaient en moyenne 35 foyers par jour, ce qui correspond déjà à plus de 2 millions de personnes dépendantes. Certes, la priorité n’était pas de vacciner les personnes âgées ni les personnes dépendantes. Mais à un certain moment, elles devaient bien faire partie des gens à vacciner.

Les vaccinations se font sur prescription médicale, sauf la revaccination de la grippe saisonnière, mais il faut se rappeler qu’à l’époque, on projetait une vaccination en deux injections. Il nous paraissait donc cohérent de proposer nos services, même si l’on nous avait fait comprendre que l’on n’avait pas besoin de nous.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Au cours de ces discussions, a-t-il été question du coût de la vaccination ?

M. Philippe Tisserand. Il n’était pas question de coût, puisque l’on n’avait pas besoin de nous.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous évoqué la question ?

M. Philippe Tisserand. Non. De toute façon, le coût est déterminé dans la convention. Nous avions également dit aux services de la ministre qu’il s’agissait d’une crise sanitaire, que nous ferions preuve de civisme et que notre vocation n’était pas d’être des « travailleurs saisonniers » : les infirmiers libéraux n’avaient pas l’intention de se faire de l’argent sur la vaccination antigrippale.

Que l’on nous ait dit que l’on n’avait pas besoin de nous, tant mieux après tout : nous avons assez de travail. Mais que l’on nous réquisitionne ensuite dans les conditions que nous craignions et que nous avions anticipées, à savoir l’après-midi pour le lendemain, imaginez un peu les conséquences : les infirmières libérales, associées à deux, ont quotidiennement voire biquotidiennement à visiter 80 malades, sous perfusion, sous chimiothérapie, dépendants, alités, avec des escarres, avec des nutritions parentérales, des dialyses péritonéales, etc. Une telle réquisition est inacceptable, surtout quand les représentants syndicaux se sont déplacés trois fois au cours de l’été, quitte à écourter leurs vacances, pour écouter les conseillers de la ministre fanfaronner et leur dire que l’on se passerait de nous.

M. le rapporteur. Ces trois réunions n’ont donc abouti à aucun résultat ?

M. Philippe Tisserand. Sinon que le même message a été passé, de la première à la dernière réunion – une en juillet, une en août et une en septembre, à laquelle je me suis d’ailleurs abstenu d’aller.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-ce qu’à votre connaissance un nombre significatif d’infirmiers libéraux a refusé d’être réquisitionné ?

M. Philippe Tisserand. Il y a eu des refus, même si je ne les ai pas quantifiés. En tant que président de la fédération nationale, je suis intervenu auprès de M. Guy Boudet, de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins : dans des cas précis, il n’était pas possible de réquisitionner – parfois sous la menace – des personnes ayant une obligation légale de continuité des soins, sauf à obliger des professionnels à n’avoir d’autre choix que de contrevenir à la loi.

M. Thierry Amouroux, secrétaire général du syndicat des personnels infirmiers. Nous avons, nous aussi, assisté à des réunions, qui n’ont débouché sur rien. On nous a réunis pour pouvoir dire qu’on nous avait réunis, mais on n’a absolument pas tenu compte de notre avis.

M. le rapporteur. Où avaient lieu ces réunions ?

M. Thierry Amouroux. Au cabinet de la ministre.

Nous avons immédiatement alerté les autorités sur le fait que la circulaire Hortefeux du 21 août allait à l’encontre de nos pratiques professionnelles. Celle-ci organisait en effet un fractionnement des tâches. Or, qu’une équipe soignante prépare les injections, puis qu’une deuxième injecte et enfin qu’une troisième équipe, administrative, assure la traçabilité à l’hôpital, constitue une faute professionnelle : la même personne doit préparer, injecter et noter ce qu’elle a fait.

Cette circulaire nous imposant des conditions d’exercice incompatibles avec notre déontologie, des infirmières salariées ont freiné des quatre fers, alors qu’elles étaient prêtes à aller vacciner pour répondre aux besoins de santé de la population.

Nous avons soulevé le problème au cours de plusieurs réunions. Chaque fois qu’il nous était signalé par une infirmière ou une étudiante en soins infirmiers, nous alertions la direction des affaires sanitaires et sociales pour qu’elle rappelle les bonnes pratiques professionnelles. Au mois d’octobre, le Haut conseil de la santé publique avait lui-même précisé que l’on ne pouvait pas fractionner les tâches. Mais, comme vous avez pu le constater vous-même, ces dysfonctionnements ont perduré dans les centres de vaccination.

La circulaire Hortefeux prévoyait par ailleurs que les personnes entreraient en file indienne dans les gymnases pour remplir un questionnaire proposé par un agent administratif et qu’en fonction des croix cochées, elles pourraient passer directement dans la file de vaccination, au rythme d’une personne toutes les deux minutes, sans avoir vu un médecin. Nous avons indiqué qu’en tant qu’infirmiers, nous ne vaccinerions pas quelqu’un qui n’aurait pas rencontré préalablement un médecin.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous êtes donc responsables de la réquisition des médecins ?

M. Thierry Amouroux. Nous nous sommes positionnés très clairement, par écrit, dès le mois de septembre.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela veut dire que, fin août, la présence des médecins n’était pas prévue ?

M. Thierry Amouroux. Cette présence était prévue. Mais seulement pour les personnes qui avaient coché certaines contre-indications.

Dans un pays évolué, au XXIe siècle, on ne peut pas piquer, comme en médecine vétérinaire, un « troupeau humain » au rythme d’une personne toutes les deux minutes. C’est incompatible avec les attentes de la population et explique qu’il était difficile de trouver des infirmiers qui acceptent de travailler dans de telles conditions.

Les réquisitions ont été faites n’importe comment et ont donné lieu à de nombreux dysfonctionnements, que nous avons signalés à l’époque. Par exemple, en raison des réquisitions des étudiants en soins infirmiers, des centres de formation ont été fermés pendant plusieurs semaines, ce qui a eu forcément une incidence sur la formation de ces professionnels.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce point a déjà été abordé. J’habite près d’une école d’infirmières et il m’a semblé que l’enseignement avait été considérablement désorganisé. Pourtant, le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris nous a dit que les réquisitions n’avaient pas eu de conséquences fâcheuses, les étudiants ayant finalement obtenu leurs examens, en plus grand nombre même que les autres années.

M. Thierry Amouroux. Certains ont bien eu leur bac en 1968…

Si l’on fixe un temps de formation précis, c’est qu’on estime que ce laps de temps est nécessaire pour former un professionnel. Remplacer des semaines de formation par une présence dans un gymnase, où l’on se livre à des pratiques contraires aux pratiques professionnelles, aura forcément un impact.

M. Martial Olivier-Koehret. Je tiens à répondre à la question de M. le rapporteur, qui est fondamentale. Dès avril-mai, le syndicat a mis en place, à titre individuel, une cellule de veille, alimentée par les médecins généralistes, pour fournir aux collègues les informations que le cabinet ministériel nous dispensait au cours de contacts réguliers. Puis, très rapidement, des réunions ont été organisées tous les quinze jours ou toutes les trois semaines entre les médecins libéraux et le cabinet. On ne peut donc pas prétendre qu’il n’y avait pas de transparence. Mais, comme on nous disait tout, on nous disait aussi des choses contradictoires d’une réunion à l’autre, ce qui ne facilitait pas l’organisation des choses. La communication n’était pas suffisamment rigoureuse pour qu’elle puisse produire ses effets.

Une autre question portait sur les 10 % de personnes qui ont accepté d’être vaccinées. Je remarque que s’il y avait eu 1 000 morts de la grippe – et 10 000 encore plus –, il y aurait eu beaucoup plus de candidats à la vaccination. Il faut se rappeler le contexte.

Dans le cadre de ces réunions régulières, auxquelles tous les services du ministère participaient, nous avons demandé qu’il y ait des réunions départementales. Certaines ont eu lieu entre avril-mai et juillet. Un certain nombre de comités départementaux de l’aide médicale d’urgence, de la permanence des soins et des transports sanitaires ont travaillé sur la mise à disposition des masques ou encore sur l’organisation des relations entre les professionnels et l’administration. Là où il y a eu anticipation et organisation, il n’y a pas eu de réquisitions. Mais là où il n’y a pas eu suffisamment de réunions locales, il y a eu des réquisitions, comme en Seine-saint-Denis et dans une dizaine de départements. De fait, lorsque nous sommes intervenus, nous avons pu mettre en place des dispositifs qui permettaient à l’administration de trouver des volontaires pour les centres de vaccination et de ne plus avoir besoin de réquisitionner.

M. le rapporteur. Tout le monde était-il convié à ces réunions ?

M. Martial Olivier-Koehret. Il s’agissait de réunions de médecins libéraux –regroupant unions régionales, syndicats et ordres – avec les différents services de l’État. MG France a demandé par deux fois que les médecins libéraux se réunissent avec les médecins hospitaliers ; nous nous étions d’ailleurs exprimés en ce sens avec ces derniers, avec François Aubart et les sociétés de pneumologie et d’anesthésie. Mais cela n’a pu se faire. De même n’a-t-il pas été possible de pousser la logique d’organisation qui avait prévalu jusqu’en juillet et qui aurait dû aboutir à ce que la ministre bascule, au moins pour partie, la vaccination sur les médecins généralistes, qui seraient intervenus en complémentarité des centres.

À l’époque, nous nous demandions en effet si nous serions capables, soit avec les infirmiers, soit en direct, d’assurer la totalité des vaccinations. Nous étions sûrement capables de vacciner nos patients, ceux que nous voyons régulièrement pour des pathologies ; sans doute aussi les personnes isolées en s’organisant en équipes de soins de ville avec les infirmiers. Mais le reste de la population ?...

Une logique d’organisation progressive a donc prévalu jusqu’en juillet dans les réunions successives où l’on nous a tout dit, y compris ce qu’on ne savait pas. La transparence peut rendre les choses difficiles et brouiller le discours public qui a besoin d’être cohérent, stable et répété pour être entendu de la population.

M. Guy Lefrand. Monsieur Chassang, existe-t-il un compte rendu des réunions auxquelles vous participiez ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Si vous le permettez, M. Chassang répondra lorsque nous aurons entendu M. Leicher, l’actuel président de MG France.

M. Claude Leicher, président de MG France. Pour l’honnêteté et la transparence des débats, il nous faut, les uns et les autres, nous replacer dans la situation dans laquelle nous étions le 26 avril, quand l’épidémie a été annoncée.

Pour ma part, j’ai pu analyser la situation à partir de quatre points de vue différents : en tant que l’un des vice-présidents nationaux de MG France à l’époque ; en tant que participant à l’organisation départementale dans la mesure où j’ai aidé la DASS de mon département à trouver les médecins ; en tant que médecin exerçant en maison de santé – nous sommes quatre médecins généralistes, et nous avons décidé que la moitié d’entre nous participerait à l’effort de vaccination collective en centres de vaccination ; et en tant que citoyen, avec deux petits-enfants de moins de six mois et une personne asthmatique dans la famille.

Je remarque d’abord qu’il n’y avait pas de consensus sur la réalité de cette épidémie au moment où elle a démarré. En avril, en mai et en juin, tout le monde s’est demandé ce qui se passait. On était à peu près sûrs qu’il y aurait une pandémie, mais on n’en connaissait pas le degré de gravité.

Au mois de juin, nous avons commencé à organiser des réunions départementales. Personnellement, j’ai organisé une réunion de mon secteur de garde. Le 15 juin, j’ai présenté le dispositif tel qu’il était, à savoir une déclinaison du dispositif aviaire. Les médecins, très dubitatifs, se demandaient pourquoi les consultations pour patients grippés ne seraient pas faites dans les cabinets de médecine générale, mais dans des centres dédiés. Heureusement, à partir du 20 juillet, on a admis qu’il s’agissait d’une grippe de gravité normale qui devait donc être prise en charge en ambulatoire.

L’incertitude régnait sur ce qui se passait. Nous nous interrogions : fallait-il vacciner toute la population, ou fallait-il ne vacciner que les personnes à risque ? Le sentiment des médecins généralistes, dans leur ensemble, était plutôt de vacciner essentiellement et d’abord les personnes à risque puis, éventuellement, s’il restait du temps et des vaccins, les autres.

S’il n’y avait pas de consensus sur la réalité, il n’y en avait pas non plus sur les procédures choisies. On a compris assez rapidement que les procédures n’étaient pas des procédures issues du ministère de la santé, mais du ministère de l’intérieur, ce qui était une erreur en termes de stratégie d’organisation. D’où cette dualité entre le discours qui nous était fait – on ne vous réquisitionnera pas parce que l’on n’a pas besoin de vous – et la réalité : un tiers des médecins qui ont été dans les centres de vaccination étaient des médecins libéraux.

Par ailleurs, il n’y avait pas de connaissance et pas de confiance dans le dispositif ambulatoire de la part de l’administration de la santé, qui ne possédait pas son sujet : elle ne savait pas qui elle pouvait réquisitionner, à quel moment, quelles étaient les personnes à protéger, etc.

Au niveau départemental, nous avions demandé que les secteurs de garde se rencontrent pour s’organiser. S’il fallait recommencer une opération comme celle-là, je suggérerais que ce soit au niveau des secteurs de garde de médecine de ville que l’organisation se fasse – quitte à les mutualiser dans certains endroits s’ils sont trop petits numériquement –, et que les médecins du secteur de garde s’organisent pour proposer une réponse à la fois en termes de prise en charge des patients malades et, éventuellement, de prise en charge de la vaccination.

J’exerce dans une maison de santé pluridisciplinaire, avec trois autres médecins, sept infirmiers et d’autres professionnels de santé. Nous aurions pu très facilement nous transformer en centre de vaccination rapproché avec une organisation, comme nous le faisons d’ailleurs tous les ans pour la vaccination de la grippe saisonnière, et avec un échange d’informations, ce qui n’est pas prévu dans le dispositif de vaccination de grippe classique. Nous avons demandé, mais nous ne l’avons pas obtenu, d’avoir un retour d’informations systématique pour mettre nos dossiers à jour. Quoi qu’il en soit, il existe ainsi des points d’accès libéraux, soit individuels soit de groupe, comme le sont les maisons de santé, qui sont susceptibles de répondre à un afflux même très important de demandes de soins ou de vaccination.

On peut expliquer le manque d’adhésion de la population par la perte de crédibilité de la parole publique comme de la parole médiatique : cette épidémie, d’abord annoncée comme potentiellement très grave, a ensuite été considérée comme n’étant pas grave, avant d’être jugée comme pouvant être grave et nécessitant une vaccination, sachant que, dans un second temps, il a été demandé de se faire vacciner par précaution parce qu’il pourrait y avoir un deuxième pic !

Ce manque de constance du discours public a traduit en fait un phénomène dont on ne parle pas beaucoup, à savoir la faillite de l’expertise. Les experts ont fait d’emblée une hypothèse maximaliste, qu’ils n’ont jamais remise en cause, et les politiques n’ont jamais pu adapter leurs mesures à la réalité du développement de l’épidémie. Marc Gentilini le dit très clairement : l’expertise scientifique doit conduire à examiner au moins deux ou trois hypothèses différentes concernant une pandémie afin que l’on puisse moduler le dispositif suivant le degré de gravité de cette dernière.

La grande qualité de notre système libéral est son adaptabilité. Nous pouvons voir dans une même journée vingt patients ou soixante. Nous pouvons coopérer avec les infirmiers et les pharmaciens. Une des premières mesures que nous avons demandées quand on nous a annoncé que les vaccinations seraient possibles en ville, c’était que le circuit de vaccination passe aussi par les pharmaciens et que le vaccin puisse être distribué à la population par les 26 000 pharmacies existant en France. C’était évidemment indispensable pour nous ; commencer à vacciner la population sans avoir accès au vaccin n’était pas cohérent.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur Chassang, comment se passaient les réunions en question ? Avez-vous des comptes rendus ? Pourquoi cette désorganisation, alors que vous aviez multiplié, tout au long de l’été, les réunions dans un certain nombre de départements : des médecins absents, des infirmiers remplacés par des pompiers, des horaires d’ouverture changeant du jour au lendemain, etc. ?

Notre objectif est de savoir comment faire la prochaine fois. Nous sommes conscients que si 50 millions de Français avaient voulu se faire vacciner, on en aurait été incapable, en tout cas selon cette procédure.

M. Michel Chassang. Il n’y a pas eu de comptes rendus officiels de ces réunions. Simplement, nous avions nous-mêmes – je parle de mon syndicat CSMF – élaboré en interne des comptes rendus officieux que nous avons publiés sur notre site. Ils sont naturellement à votre disposition.

Dans ces réunions, on ne discutait pas de l’essentiel, à savoir, comme nous l’avons dit et redit depuis l’origine, que l’exclusion des centres de proximité, en particulier les cabinets, constituait une erreur fondamentale qui conduirait à l’échec.

Il s’agissait de pures séances d’information sur la propagation du virus, sur la nécessité ou non du port de masques, sur la disponibilité du vaccin, sur son conditionnement, etc. Nous avons eu la désagréable surprise, à plusieurs reprises, d’apprendre que la ministre faisait des conférences de presse avant même l’organisation et la tenue de ces réunions, quand ce n’était pas de façon concomitante, à quelques minutes près. Cela laisse entrevoir combien la concertation était peu importante.

M. Thierry Amouroux. En effet.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’ai quatre questions récurrentes depuis le début des auditions.

Premièrement, un médecin libéral est-il capable de regrouper par dix des patients pour les vacciner, dès lors qu’on lui donne la dose ou qu’il va la chercher quelque part ? On nous a déjà répondu par la négative, en avançant notamment des problèmes de conservation, ce qui me paraît assez surprenant.

Deuxièmement, pouvait-on envisager la vaccination dans un centre médical, de quatre médecins, par exemple ? Pourquoi une telle hypothèse a-t-elle été refusée ?

Troisièmement, j’ai lu dans la presse qu’il y aurait eu un problème lié au montant facturé au médecin par acte de vaccination : n’y aurait-il pas eu, tout simplement, derrière tout cela, un problème de gros sous ?

Depuis janvier, existent des doses individuelles qui, j’imagine, passent par le réseau pharmaceutique. On peut donc se faire vacciner dans le secteur libéral. Peut-on savoir combien d’actes auraient été facturés à 6 euros, au lieu des 22 euros habituels ?

M. Michel Chassang. L’impossibilité supposée, pour les praticiens, d’utiliser des flacons multidoses de dix doses, ne tient pas. Les praticiens ont, en moyenne, entre 20 et 30 patients par jour et il leur aurait été tout à fait facile d’organiser des séances de vaccination collective.

Cela dit, il existe deux types de vaccins : l’un dont la validité, une fois le flacon ouvert, n’est que de 24 heures, et un autre où elle est de huit jours.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Et s’agissant de ceux qui ont été livrés ?

M. Michel Chassang. Ils ne l’ont été qu’a posteriori, en tout cas à partir du mois de janvier.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mais pas avant ?

M. Michel Chassang. Je ne peux pas répondre à la question.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mais entre octobre-novembre et janvier ? Je vise les vaccins que vous utilisiez dans les centres. J’imagine que si ce n’était pas vous qui vacciniez, vous avez eu la curiosité d’aller regarder à quoi ils ressemblaient.

M. Michel Chassang. Il ne s’agissait pas d’obliger tous les cabinets à vacciner. Il s’agissait de laisser la possibilité à ceux qui s’en sentaient capables de le faire, en particulier aux cabinets de groupe où le problème se pose avec beaucoup moins d’acuité.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous voulez donc dire qu’à côté des centres de vaccination, les médecins du secteur libéral qui le souhaitaient seraient venus chercher des vaccins qu’ils auraient utilisés au gré des rendez-vous qu’ils fixaient ?

M. Michel Chassang. Nous avions proposé que les centres de vaccination interviennent en complément. Nous ne demandions pas l’exclusivité.

M. le rapporteur. Comment aller chercher ces flacons, alors que les centres avaient déjà du mal à les obtenir ? Un problème de logistique se posait.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-ce que les centres pouvaient servir justement de lieux de ressources ?

M. Michel Chassang. Au lieu de renforcer les centres, il aurait mieux valu diminuer leur activité.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas ce que je veux dire. Est-ce que les médecins de ville auraient pu, concrètement, aller chercher leurs dix vaccins pour la journée, tout en conservant la traçabilité ?

M. Michel Chassang. Oui, nous l’avions proposé également. Nous aurions pu travailler avec les municipalités, s’agissant notamment de l’acheminement des vaccins et de l’approvisionnement des cabinets volontaires.

Quel était le prétexte du refus gouvernemental ? Une supposée suractivité des cabinets médicaux en période d’épidémie et la règle selon laquelle les patients grippés ne devaient pas fréquenter des patients non grippés : c’est ce qui se passe tous les jours !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. On s’est sans doute conformé aux dispositions relatives à la grippe H5N1.

M. Michel Chassang. Une seconde raison invoquée était que les médecins amenés à soigner des patients extrêmement nombreux seraient incapables d’assumer les vaccinations.

Votre troisième question portait sur la facturation.

M. le rapporteur. Il y a eu une polémique à ce propos.

M. Michel Chassang. Certes. Mais je suis prêt à étudier le coût global du dispositif, pour qu’on puisse le comparer à ce qu’il aurait coûté, même à 22 ou 23 euros de l’époque.

La rémunération de 6,60 euros était réservée à un contexte bien précis, une modification de la nomenclature limitant cette cotation aux vaccinations de groupe. En clair, elle s’appliquait à une vaccination organisée dans le cabinet du médecin, et non pas à une vaccination qui se faisait à l’occasion d’une consultation.

Y a-t-il eu des facturations à 6,60 euros ? À ma connaissance, non.

M. le rapporteur. Les médecins auraient-ils tous été volontaires pour entrer dans le système ? À votre avis, quel pourcentage de cabinets aurait refusé de participer ?

M. Michel Chassang. Le conditionnement multidose était incontestablement un frein pour un certain nombre de cabinets, notamment ceux qui ont une faible activité. Mais j’estime que la moitié au moins d’entre eux était capable de vacciner ; ils auraient été volontaires si la possibilité leur en avait été donnée.

M. Martial Olivier-Koehret. Vous parlez des conditionnements de dix doses. Mais, jusqu’en septembre, il s’agissait de 50 doses. Ce n’est que progressivement que l’on a su qu’il y aurait des flacons à 10 doses, puis des flacons unidose.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas ce qu’on nous a expliqué jusqu’à présent.

M. Martial Olivier-Koehret. Il faut se rappeler du contexte de l’époque où, au fur et à mesure, la donne changeait.

La vaccination n’est pas un acte anodin, il faut disposer d’un réfrigérateur, assurer la sécurité du circuit, sachant que, lorsque vous reconditionnez le vaccin, vous pouvez, sur un flacon de dix doses, en perdre une à chaque fois. Des calculs ont été faits et cet aspect précis constituait un frein.

On a dit dès le départ que ceux qui étaient volontaires devaient pouvoir participer. On a ainsi assisté à une polémique au sein de la profession, la moitié de celle-ci estimant qu’il ne fallait pas vacciner.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je pense que c’est extérieur au problème de la Commission.

M. Martial Olivier-Koehret. De la Commission, mais pas de la grippe…

Enfin, il fallait un circuit pour mettre les vaccins à notre disposition. On aurait pu s’appuyer éventuellement sur les pharmaciens, car ceux qui sont allés les chercher dans les centres n’ont pu, pour la plupart, en avoir parce que ces derniers préféraient les garder.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce n’était pas une réticence : c’était une interdiction qu’on leur avait faite.

M. Martial Olivier-Koehret. Mais sans le dire publiquement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. De la même façon qu’on a toujours vacciné sans bons à certains endroits.

M. Martial Olivier-Koehret. C’est un autre point.

Les autorités européennes avaient demandé une pharmacovigilance extrêmement précise, puisque l’on s’attendait à des complications. Il fallait pouvoir suivre les vaccins, surtout avec les deux injections. Il fallait utiliser exactement le même vaccin, suivre les numéros de lots. La traçabilité était organisée par la Caisse nationale d’assurance maladie. Mais à partir du moment où vous demandez à cette dernière d’organiser un dispositif administratif, vous pouvez être sûr qu’il ne marchera pas ! Des cabinets recevaient ainsi des patients qui se plaignaient de ne pas avoir reçu leur bon, alors qu’ils en avaient besoin.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous entendrons les représentants de la Caisse nationale d’assurance maladie avec plaisir !

M. Martial Olivier-Koehret. Je n’ai pas entendu parler de facturation à 6 euros. C’était une question de communication. Il y avait une espèce de crainte à dire à la population qu’il y aurait un coût lié à la vaccination. Si, en tant que médecins libéraux, nous avons plus d’activité, il est normal que nous ayons plus de facturation. Cela ne pose pas de problème. Ce qui pose problème, c’est lorsque l’on reçoit des patients dans des conditions inhabituelles par rapport à notre pratique, si l’on ne fait pas d’examen, d’interrogatoire, s’il ne s’agit que de piquer à la chaîne. Cela nécessite alors de mettre en place un système complémentaire, en distinguant nos patients que l’on suit régulièrement, pour lesquels on a un dossier et dont on connaît les facteurs de risques, du reste de la population qui n’est pas malade, mais qui a juste besoin, à un moment donné, d’une vaccination, parce que tel est le choix du pays.

Enfin, en janvier, plus personne quasiment n’a été vacciné. L’épidémie était passée et n’intéressait plus personne. Elle ne faisait plus la une des magazines. La peur avait disparu.

M. le rapporteur. Conseilliez-vous aux patients de se faire vacciner ?

M. Martial Olivier-Koehret. On conseille toujours aux patients d’entrer dans les dispositifs de vaccination lorsque ces vaccinations sont disponibles. Lorsqu’ils posent la question de savoir s’il leur faudra recommencer l’année suivante, nous leur répondons toujours par l’affirmative car, sinon, on assisterait à une chute des vaccinations.

Mme Marie-Louise Fort. Vous avez procédé, dans le cadre de la médecine générale, à la vaccination habituelle de la grippe, qui a lieu tous les ans. Pensez-vous qu’il aurait été possible de procéder aux deux vaccinations en cas de besoin ? Cela n’aurait pas provoqué de dépenses supplémentaires pour la sécurité sociale.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Sauf que le vaccin n’était pas disponible.

M. Martial Olivier-Koehret. Non seulement il n’était pas disponible, mais il y avait une contre-indication à les faire en même temps.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je me souviens qu’on indiquait, à l’époque, qu’il fallait trois semaines ou un mois de décalage entre les deux injections.

M. Philippe Tisserand. Si la campagne de vaccination de grippe saisonnière a été avancée c’est parce qu’une recommandation tendait à privilégier la vaccination pour la grippe saisonnière.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La campagne de publicité autour de la vaccination contre la grippe saisonnière a en effet été avancée début septembre, étant indiqué qu’il fallait un délai trois semaines entre les deux vaccinations.

Monsieur Philippe Gaertner, votre réseau de pharmacies aurait-il pu servir de relais ? Comment le dispositif aurait-il pu fonctionner ?

M. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Je voudrais revenir sur la première question que vous avez posée et sur la perception, par les pharmaciens, de cette réticence à se faire vacciner. Pourquoi n’a-t-on vacciné que 6 millions de personnes, vu du côté du comptoir ?

On a constaté, au mois de septembre, une certaine incompréhension chez nos clients, entre la vaccination saisonnière et la vaccination pandémique. La campagne de vaccination saisonnière a démarré plus tôt que l’année précédente, vers le 22 ou le 23 septembre – ce qui est la date habituelle de la campagne saisonnière. Pour nous, il ne fallait pas attendre, parce qu’on savait qu’on devrait revacciner avec le vaccin pandémique trois semaines après. Cela s’est fait un peu plus rapidement qu’habituellement pour que l’on puisse faire le deuxième vaccin derrière.

Je ne reviens pas sur la confusion des patients, qui se demandaient s’il fallait ou non se faire vacciner avec des vaccins adjuvantés. Ce fut très largement médiatisé et la question a suscité une forte inquiétude.

Au cours des réunions qui se sont tenues au ministère, ce dernier a mis en avant le fait que le risque de suractivité empêcherait une prise en charge de la vaccination pandémique, sans oublier les difficultés liées au flacon multidose. Telles sont les deux raisons officielles qui nous ont été fournies pour nous expliquer que les pharmaciens ne participeraient pas. Une troisième raison a été fournie au moins deux fois dans les réunions, mais j’ose espérer qu’elle n’a été prise au sérieux par les services de l’État : il n’y avait pas de réfrigérateurs dans les pharmacies !

M. le rapporteur. Qui gérait ces réunions ?

M. Philippe Gaertner. À la fois les services de l’État et le cabinet.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous avez eu le souvenir que quelqu’un vous ait dit cela ?

M. Philippe Gaertner. Bien sûr.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mais qui ? Un représentant du ministère de la santé, du ministère de l’intérieur ?

M. Philippe Gaertner. Toutes nos réunions se sont tenues au ministère de la santé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Après tout, si les représentants de l’État qui étaient présents appartenaient bien au ministère de la santé et pas à celui de l’intérieur, un sous-préfet aurait pu poser la question !

M. Philippe Gaertner. Nous les avons en tout cas rassurés sur ce point, en leur faisant remarquer qu’en tout état de cause, ce n’était pas une raison valable.

Le vaccin a été disponible à partir du début novembre, moment où la campagne de vaccination grand public a commencé. Pendant une semaine, les gens sont venus dans les officines, parfois deux fois par jour, pour obtenir ce vaccin pandémique. Voyant qu’ils ne l’obtiendraient pas chez nous et qu’ils devaient aller non pas chez leur médecin mais dans un centre, ils ont dit qu’ils n’iraient pas. Un centre de vaccination n’est pas l’endroit ou les Français que j’ai rencontrés dans mon officine ou qu’ont reçu mes confrères ont l’habitude d’aller pour se faire vacciner.

À mon sens, ce changement de système a été l’une des raisons majeures de la réticence de nos concitoyens. Je l’ai d’ailleurs signalé le 12 novembre, dans un communiqué de presse rédigé conjointement avec la CSMF, communiqué que je vous remettrai.

Notre syndicat a par ailleurs envoyé 28 circulaires à nos adhérents entre le mois de mai et aujourd’hui. On ne peut donc pas parler d’un manque de mobilisation des structures syndicales.

Mon point de vue de pharmacien est qu’à partir du moment où la chaîne pharmaceutique fonctionnait, les officines étant livrées entre deux et quatre fois par jour, on aurait pu s’adresser à ces dernières pour approvisionner les médecins généralistes.

J’ai moi-même essayé de me faire vacciner, ce qui était un peu compliqué compte tenu de mes fonctions nationales. Il me fallait aller dans le centre dédié, à huit kilomètres de mon officine, lequel n’était malheureusement ouvert que le mardi, de 9 heures à 12 heures 15 et de 14 heures 30 à 17 heures. De surcroît, les réunions au ministère, justement au sujet de la grippe, étaient nombreuses.

M. le rapporteur. Aujourd’hui, vous avez dans vos officines des doses vaccins.

M. Philippe Gaertner. De mémoire, nous en avons obtenu à partir du 28 janvier. Dans mon officine, il me semble que nous n’avons eu qu’une seule demande de flacon multiple, qui a été fournie à un médecin sur demande insistante d’un patient. Je peux vous dire que les neuf autres doses du flacon multidose n’ont pas été utilisées.

Enfin, de mon point de vue, la durée de validité des flacons aurait certainement permis, dans un cabinet libéral, d’assurer la vaccination dans le cadre classique.

M. Patrick Romestaing, président de la section Santé publique du Conseil national de l’Ordre des médecins. Ce pays, comme d’autres, a traversé des mois d’instabilité et d’informations contradictoires. Les choix de santé publique faits par les gouvernements en place ont été essentiels, même s’ils ont été difficiles à faire. On ne saurait les discuter.

Dans le contexte d’une annonce de pandémie qui s’annonçait très grave, quelle autre décision les politiques pouvaient prendre que de lancer une vaccination de l’ensemble de la population ? Mais il faut distinguer les choix de santé publique des choix politiques concernant l’organisation de la vaccination.

S’agissant des choix de santé publique, de par ma fonction au Conseil national, j’ai siégé dans toutes les réunions du Comité technique des vaccinations et j’ai entendu, comme témoin, les échanges entre toutes les personnes qui s’occupent de vaccination dans ce pays et, entre autres, de la vaccination contre la grippe A(H1N1). J’ai trouvé que ces débats étaient extrêmement sérieux, très documentés, et les interventions tout à fait pertinentes.

J’ai relayé ces débats au niveau du Conseil national en disant que, selon les experts, les vaccins étaient nécessaires et qu’ils ne présentaient aucune dangerosité, même avec des adjuvants.

C’est pour cette raison que le Conseil national, le 22 septembre – à l’époque peu de gens s’exprimaient en ce sens –, a diffusé un communiqué rappelant aux médecins qu’ils devaient être en situation de soigner dans le cadre d’une situation épidémique qui s’annonçait lourde, et qu’ils devaient être eux-mêmes vaccinés afin de ne pas contaminer leurs patients. On peut regretter que des voix, qui font parfois autorité dans le pays, se soient élevées pour dire que ce vaccin n’avait pas de raison d’être et que cette épidémie n’était pas dangereuse. On le sait maintenant. À l’époque, on ne le savait pas.

L’organisation constitue un autre aspect de la question, évidemment essentiel. L’ensemble des interventions a montré indiscutablement des dysfonctionnements. Ces dysfonctionnements ont été très variables. Il convient de signaler que, dans certains endroits, tout s’est bien passé. J’exerce dans le Rhône, qui n’est pas le département le moins peuplé de ce pays. Or il n’y a eu aucune réquisition de médecins généralistes ou spécialistes. Les centres ont parfaitement fonctionné avec des médecins volontaires du secteur libéral, du secteur salarié et hospitalier ; les internes, les assistants chefs de clinique se sont mobilisés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi cela a-t-il mieux fonctionné dans le Rhône qu’à d’autres endroits ? Et si le Rhône a été un exemple, autant en tirer profit.

M. Patrick Romestaing. Je ne sais pas si le Rhône est un exemple. Mais je crois qu’il est très important, dans ce type de situation, que les structures qui ont l’habitude de travailler ensemble partagent leurs informations. Ce fut le cas dans notre département, mais aussi dans beaucoup d’autres, entre le préfet, le directeur de la direction des affaires sanitaires et sociales, le représentant des organisations représentatives au sein des Unions régionales des médecins libéraux ou des conseils de l’Ordre. Ainsi, quand on a eu vent de réquisitions préfectorales, il m’a été facile, en tant que président d’Ordre, d’appeler le directeur de la direction des affaires sanitaires et sociales pour lui dire que la situation était suffisamment difficile pour les médecins en exercice libéral pour ne pas risquer de jeter de l’huile sur le feu et pour lui suggérer d’agir autrement. Le message a été entendu et il n’y a pas eu de réquisitions.

Les médecins en activité sur le terrain nous disaient qu’ils étaient débordés, qu’il leur était difficile de se déplacer pour aller chercher des vaccins quelque part et qu’ils ne pouvaient pas faire venir au cabinet des patients avec, dans la salle d’attente, d’autres patients atteints de grippe peut-être très contagieuse.

Par ailleurs, le conditionnement multidose n’était pas aussi simple que cela à gérer. Certains médecins ayant utilisé une dose du flacon multidose sur une journée, ils se sont demandés s’ils pouvaient continuer à utiliser ce dernier le lendemain, même en disposant d’un réfrigérateur.

Les médecins ont éprouvé également des difficultés pour se faire vacciner eux-mêmes dans les centres de vaccination – même si, à Lyon, les hôpitaux ont organisé en permanence des lieux dédiés de vaccination pour les personnels de santé, où l’on pouvait se rendre sans difficulté.

Tout cela explique qu’au-delà du message brouillé que l’on entendait dans les médias, les médecins eux-mêmes et l’ensemble des professionnels de santé se sont beaucoup interrogés sur la façon de procéder et même, pour certains, sur l’utilité d’une vaccination et sa dangerosité. D’où une certaine réticence de la part des professionnels de santé et, en fin de compte, un taux de vaccinés sur l’ensemble du pays qui n’est pas du tout en adéquation avec l’ensemble des moyens mis en place par le ministère.

M. le rapporteur. Avez-vous été convié aux réunions ministérielles de juillet, août et septembre ?

M. Patrick Romestaing. J’ai participé à toutes les réunions, sauf une, où Michel Legmann est allé en personne. Effectivement, c’était surtout des réunions d’information, mais on pouvait tout de même y prendre la parole et donner son avis. Pour ma part, j’ai appelé l’attention sur le peu d’investissement des personnels salariés non hospitaliers dans le fonctionnement des centres de vaccination. Mon propos a d’ailleurs été entendu et relayé sur le terrain.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. De ce que j’entends aujourd’hui, l’Ordre et les syndicats ont une position très différente sur la question de savoir si l’on aurait dû pouvoir se faire vacciner chez les médecins libéraux.

M. Matthieu Piccoli, représentant des étudiants en médecine d’Île-de-France. Je suis étudiant hospitalier en cinquième année de médecine et j’ai été réquisitionné à plusieurs reprises.

S’agissant de l’échec de la campagne, j’ajouterai une raison qui n’a pas été mentionnée depuis le début de cette réunion, à savoir que c’était les patients qui prenaient la responsabilité finale de la vaccination. Ils devaient signer le bon de vaccination, ce qui ne se fait pas a priori pour toutes les vaccinations habituelles. À côté des laboratoires qui ne prenaient pas de risque en cas d’effets indésirables, les professionnels qui prescrivaient ou qui injectaient le vaccin étaient couverts par la réquisition. Le patient était un peu laissé seul dans sa décision de se faire vacciner.

À ceux que j’ai vaccinés, je demandais s’ils étaient allés voir auparavant leur médecin généraliste : dans quatre cas sur dix, ils y étaient allés pour lui demander si cette vaccination ne présentait pas de risques.

M. Grégory Murcier. Je précise que les internes officiaient sous l’autorité d’un médecin senior et qu’ils faisaient le contrôle des contre-indications. Les externes, comme M. Matthieu Piccoli, vaccinaient. Il faut dire que la quatrième année d’externat, une fois validée, donne une équivalence « infirmier », mais uniquement en cas de réquisition.

M. Matthieu Piccoli. L’organisation était tout de même beaucoup plus anarchique pour nous que pour les internes : ces derniers avaient la chance d’être gérés par le centre hospitalier régional universitaire. Nous, nous étions gérés directement par la direction régionale de l’action sanitaire et sociale. Or, en fait, ce sont les associations locales qui ont fait le travail des directions régionales des affaires sanitaires et sociales : à aucun moment nous n’avons reçu une seule circulaire d’information officielle, signée par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales ou la préfecture, sur la réquisition, sur nos droits, sur nos devoirs, sur notre rôle d’ « agents vaccinateurs » ou sur les différences de protocoles avec ceux utilisés au quotidien à l’hôpital – partage des tâches ou utilisation des aiguilles. En effet, les seringues utilisées à l’hôpital ont des aiguilles que l’on peut enlever ; on prélève le produit dans le flacon avec une aiguille, qui perce l’opercule de sécurité, puis on change d’aiguille pour l’injecter dans le patient ; ce n’était pas possible sur les seringues qui ont été utilisées pendant toute la campagne de vaccination, malgré toutes les remarques qui ont été faites dès le début ; je ne dis pas que c’était dangereux, je ne dis pas qu’il aurait fallu faire autrement, je dis juste que l’on n’a eu aucune information à ce propos, alors que tous les comités locaux d’hygiène précisaient qu’il fallait faire autrement.

Sur place, nous avons rencontré des problèmes de gestion des stocks et de fourniture, les chefs de centre et les personnels administratifs n’étant pas formés à toutes les problématiques et n’ayant pas non plus connaissance des différents documents officiels – dispositions vaccinales, remboursement des frais de transports, rémunération des vaccinations... Nous sommes d’ailleurs très déçus de la prise en charge des frais de transport et de la rémunération.

M. le rapporteur. À combien se montait votre rémunération ?

M. Matthieu Piccoli. Théoriquement, elle aurait dû être 16,18 euros bruts par heure, à savoir 4,5 actes infirmiers.

M. le rapporteur. Avez-vous été indemnisé ?

M. Matthieu Piccoli. À l’heure actuelle, j’attends encore 80 % de ma rémunération. Mais je ne vais pas pleurer.

Mme Marie-Françoise Fort. Toute peine mérite salaire !

M. Matthieu Piccoli. Croire que, parce que l’on va rémunérer les étudiants, ils vont être plus dociles, c’est un peu mépriser nos études, qui sont extrêmement difficiles. Penser que, sous prétexte que l’on va nous donner un peu d’argent, cela va nous calmer et que nous accepterons une formation un peu moins bonne que celle que l’on aurait dû avoir, c’est problématique.

M. le rapporteur. C’était sur la base du volontariat ?

M. Matthieu Piccoli. Non, nous avons reçu des coups de téléphone avec des menaces : on vous envoie la police, on sait où vous habitez ; vous vous exposez à des contraventions de catégorie IV si vous ne vous présentez pas. Parfois, ce n’était même pas la direction régionale des affaires sanitaires et sociales qui appelait, mais des sociétés privées qui étaient chargées de contacter les étudiants.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Des étudiants en médecine sont-ils disposés à témoigner par écrit du fait qu’ils auraient été contactés par des sociétés privées pour être réquisitionnés par l’État ?

M. Matthieu Piccoli. Oui.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous demande de faire parvenir à l’Assemblée, à la présidence de la Commission d’enquête, des témoignages d’étudiants en médecine qui auraient été réquisitionnés, pour le compte de l’État, par des sociétés privées.

M. Matthieu Piccoli. Je dis qu’ils ont été contactés par téléphone, pas qu’ils ont été réquisitionnés…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pour moi, c’est la même chose. Mais de quelles sociétés privées s’agissait-il ?

M. Matthieu Piccoli. C’est une très bonne question. En tout cas, ce n’étaient pas des gens de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. À quel endroit ? Dans quels départements ? Quelles sociétés ?

M. Matthieu Piccoli. Nous allons essayer de trouver des étudiants qui accepteront de formuler un témoignage par écrit.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Et éventuellement d’indiquer de quelles sociétés privées il s’agissait, s’ils s’en souviennent.

M. Matthieu Piccoli. Le problème est qu’il n’y avait aucune trace écrite.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Si dix étudiants témoignent qu’ils ont été appelés par des sociétés privées, on peut se dire qu’il y a eu un problème.

M. Matthieu Piccoli. Une fois sur place, on n’a pas adapté les ressources humaines aux besoins réels des centres. Il faut savoir qu’il y avait 156 centres en Île-de-France et qu’environ 3 400 étudiants ont été mobilisés. Sur l’ensemble de la région, 300 étudiants ont été mobilisés par jour, alors qu’à certains moments, les centres étaient relativement vides.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. A-t-on tenu compte de votre domicile ?

M. Matthieu Piccoli. Non. Les facultés de médecine parisiennes étaient affectées à un département : par exemple, la faculté de médecine de Paris V, Paris-Descartes, était affectée au département de Paris pour les étudiants en cinquième année, et au département de l’Essonne pour les départements en sixième année ; les étudiants de la faculté de médecine de Paris VI étaient affectés soit au département de la Seine-et-Marne, soit à la Seine-Saint-Denis, soit aux Hauts-de-Seine.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est assez logique, mais cela ne tient pas compte du domicile.

M. Matthieu Piccoli. Ni du domicile, ni du lieu de stage, ni de la proximité entre la faculté et les départements.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’était assez logique, si ce n’est que cela ne tenait pas compte du domicile des étudiants.

M. Matthieu Piccoli. Ni de leur lieu de stage, non plus d’ailleurs que de la proximité des facultés avec les différents départements de la région.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela signifie qu’on n’a jamais établi une liste des étudiants en médecine des différentes facultés pour s’en servir comme fichier. Le problème a été traité université par université.

M. Grégory Murcier. Les directions régionales des affaires sanitaires et sociales manquaient totalement, je l’ai dit, d’organisation. Si on leur avait demandé en plus de connaître l’adresse personnelle des étudiants…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Lorsqu’on menace quelqu’un d’une contravention de quatrième classe, mieux vaut connaître son adresse !

M. Matthieu Piccoli. Au final, nous avons été heureux quand tout cela a été terminé. Il aurait été possible de beaucoup mieux anticiper, puisque la campagne de vaccination se préparait depuis longtemps, mais les responsables régionaux n’ont été contactés qu’à la mi-décembre. Et heureusement que l’épidémie n’a pas été grave ! Quasiment aucun étudiant réquisitionné n’a refusé d’aller vacciner, preuve de leur bonne volonté.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ces réquisitions ont-elles eu des conséquences sur vos études ?

M. Matthieu Piccoli. À Paris, nous avons été mobilisés durant les semaines, parfois même les jours, qui précédaient nos examens. Et lorsqu’on faisait valoir qu’on était réquisitionné la veille ou le jour d’un examen, on nous répondait qu’aller vacciner était prioritaire sur tout autre élément.

M. le rapporteur. Pourriez-vous nous transmettre les dates de vos examens ?

M. Matthieu Piccoli. Tout à fait.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les examens n’ont pas lieu partout à la même date ?

M. Matthieu Piccoli. Non. On aurait parfaitement pu adapter le dispositif en tenant compte des dates des examens dans chaque faculté.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les examens auraient peut-être aussi pu être décalés…

Mme Chloé Loyez, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France. Il n’y avait aucune concertation avec nos responsables pédagogiques.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les vaccins, eux, peuvent n’être pas livrés à la date prévue, mais la date des examens, elle, est intangible !

Mme Chloé Loyez. La situation a été particulièrement difficile en Île-de-France, mais je voudrais me placer d’un point de vue plus général, concernant l’ensemble du territoire.

Encore étudiants en médecine, loin d’être diplômés, nous étions plutôt comme des citoyens lambda face à cette grippe, n’ayant pas la connaissance du virus, de sa transmission ni des vaccins que peuvent avoir les médecins seniors. En tant que futurs professionnels de santé, les étudiants de cinquième et sixième années ont néanmoins été réquisitionnés pour vacciner, la validation de la quatrième année des études de médecine donnant équivalence pour assurer des soins infirmiers. Mais aucune information ni aucune formation sur cette grippe ni la gestion de la pandémie ne leur ont été données dans leurs CHU – non de la faute de ces derniers, mais par absence totale d’organisation. La seule information qui leur a été délivrée, tant sur cette grippe que sur les modalités de leur réquisition, a été celle que nous leur avons nous-mêmes transmise par le biais de nos représentants locaux, et c’est bien cette information-là qui a été la plus efficace.

Au niveau national, nous avons eu dès fin juillet des réunions avec le cabinet de la ministre de la santé mais ce ne sont pas les quelques réunions en conférence de presse avec la ministre qui ont été les plus efficientes. Nous avions un interlocuteur au sein du cabinet que nous rencontrions et avec qui nous avions des contacts réguliers. Les choses se passaient d’ailleurs plutôt bien avec lui. Nous étions informés, nous recevions les documents du Haut conseil de la santé publique. En revanche, du côté de l’administration de la santé, c’était la désorganisation totale. Les directions des affaires médicales, les directions régionales des affaires sanitaires et sociales, les préfectures, censées être en relation avec le ministère de la santé ou le ministère de l’intérieur, en savaient dix fois moins que nous, et même que les étudiants de deuxième ou troisième année, sur ce qui devait se faire.

Les étudiants recevaient des informations contradictoires, ce qui ne pouvait que nuire à la bonne marche du dispositif. Je veux pour exemple emblématique de la cacophonie qui régnait alors, la déclaration – qui nous est restée en travers de la gorge – de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Valérie Pécresse, annonçant triomphalement dans la presse fin novembre que les étudiants en médecine seraient mobilisés dans les centres de vaccination, sur la base du volontariat, sans percevoir aucune rémunération, et que cette expérience serait très bénéfique pour leur formation… alors que depuis le mois d’août, nous négociions avec le ministère de la santé la question de la rémunération et avions insisté auprès de nos interlocuteurs pour que notre formation initiale ne pâtisse pas des réquisitions. Mais il n’y avait aucune coordination des acteurs au niveau local – les directions régionales des affaires sanitaires et sociales et les préfectures agissaient chacune dans leur coin, sans prendre contact avec les représentants des étudiants, ni même les responsables pédagogiques ou les doyens. Il n’est pas étonnant dès lors que les choses se soient très mal passées dans certaines villes.

En fait, le même manque de communication constaté au sujet de la pandémie, a prévalu auprès des étudiants. Ceux-ci ne savaient pas quel serait leur rôle exact ni comment ils allaient être réquisitionnés. Nous, leurs représentants, le savions, et essayions de les tenir informés, mais nous ne disposions que de moyens « amateurs » pour ainsi dire. Les étudiants ignoraient s’ils seraient rémunérés mais, plus grave, car la rémunération passait vraiment au second plan pour eux, s’ils seraient couverts en cas de problème chez un patient qu’ils auraient vacciné.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Jusqu’à quand ne l’ont-ils pas su ?

Mme Chloé Loyez. Jusqu’au bout.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il a été dit partout à l’ouverture des centres que la réquisition permettait précisément que vous soyez couverts.

Mme Chloé Loyez. Nous le savions, nous. Nous avons diffusé l’information auprès des étudiants – j’ai moi-même rédigé un livret d’explications à ce sujet. Le problème est que lorsqu’ils consultaient leur doyen, leur direction des affaires médicales ou leur chef de centre, on ne savait pas leur répondre. Et il est arrivé que la personne de la directions régionales des affaires sanitaires et sociales qui les appelait ne soit pas elle-même capable de leur répondre, et ce jusqu’au bout, hélas.

Les villes où les choses se sont bien passées, comme Reims, sont celles où il y a eu une concertation entre tous les acteurs, où les représentants des étudiants et les responsables pédagogiques ont vraiment été associés au dispositif et où il y a eu un réel effort de cohérence dans la communication.

M. le rapporteur. Dans quelle faculté étudiez-vous ?

Mme Chloé Loyez. Paris VI, mais j’ai suivi pendant des semaines ce qui se passait dans les 35 facultés de médecine.

Mme Marie-Louise Fort. Vous nous avez dit, monsieur, qu’on a fait endosser la responsabilité aux personnes qui se faisaient vacciner en leur faisant signer un document. Vous nous dites, madame, qu’en tant qu’étudiants en médecine de cinquième et sixième années ayant simplement une équivalence pour assurer des soins infirmiers, vous ne saviez pas trop sur quel pied danser mais, à ma connaissance, il y avait dans chaque centre des médecins diplômés, internes ou généralistes réquisitionnés. Vous vacciniez sous la responsabilité de l’État et de ces médecins. En fait, vous avez rempli le rôle d’infirmier vaccinateur sans avoir de responsabilité. Les centres se trouvaient placés sous la gestion médicale stricto sensu de deux médecins.

M. Matthieu Piccoli et Mme Valérie Loyez. Théoriquement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’ai vu des étudiants en médecine devoir continuer à vacciner en l’absence de deux des trois médecins et des deux infirmiers diplômés d’État censés être présents.

Mme Chloé Loyez. Le problème n’était pas que les étudiants n’étaient pas couverts, mais qu’ils n’arrivaient pas à obtenir de message clair. Le statut des externes stipule qu’ils exercent leurs fonctions d’étudiants hospitaliers dans un service hospitalier, sous la responsabilité d’un chef de service. Dès lors qu’ils sortaient de ce cadre, les étudiants se demandaient légitimement s’ils demeuraient sous la responsabilité de leur chef de service ou passaient sous celle du chef de centre. Et comme ni les directions des affaires médicales de leurs centres hospitaliers universitaires ni les directions régionales des affaires sanitaires et sociales ne savaient leur répondre, même si nos représentants locaux pouvaient, eux, les informer correctement, cela n’avait pas le même poids et ne suffisait pas à les rassurer, notamment sur leur couverture.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Qui exerçait l’autorité hiérarchique sur les étudiants dans les centres de vaccination ?

Mme Chloé Loyez. Le chef de centre.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dans ma ville, le chef de centre, c’était le trésorier-comptable.

Mme Marie-Louise Fort. Pour avoir visité différents centres dans ma circonscription, j’ai constaté que les chefs de centre n’étaient souvent pas des médecins et qu’ils devaient toutefois veiller à ce que soient présents en permanence les médecins capables d’assurer la bonne marche des choses.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mais si les étudiants qui vaccinaient rencontraient un problème médical, ce n’est pas au chef de centre qu’ils pouvaient en référer.

Mme Marie-Louise Fort. Il appartenait aux médecins d’intervenir.

M. Matthieu Piccoli. À la réserve près qu’au tout début de la campagne, quand l’organisation était encore très chaotique, des internes ont dû exercer la responsabilité de médecin référent de centre et des externes la fonction d’interne, en ayant par exemple à prescrire des vaccins, des doses et des voies d’injection.

M. Grégory Murcier. Il faut distinguer entre l’Île-de-France, où la situation a vraiment été extrêmement tendue à certains moments, et le reste du pays, où il y a eu aussi des difficultés, mais de manière beaucoup plus disparate. L’Île-de-France a été un point noir, où les difficultés n’avaient pas été du tout anticipées. Et en effet, dans certains endroits, les étudiants en médecine de cinquième et sixième années ont été amenés à faire des choses qu’ils n’avaient pas à faire, de même d’ailleurs que les internes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous une idée de la raison pour laquelle la situation a été si difficile en Île-de-France ?

M. le rapporteur. Dans ma ville, où il n’y a pas de faculté de médecine, nous n’avions pas d’internes seulement des stagiaires de l’hôpital local et des élèves de l’institut de formation en soins infirmiers, qui étaient d’ailleurs ravis de venir vacciner. Des médecins retraités, des médecins militaires, des médecins du travail venaient le soir remplir le rôle de surveillant médical. Il est vrai que les candidats à la vaccination signaient sous leur seule responsabilité, un formulaire dans lequel ils indiquaient s’ils étaient ou non sous anticoagulants, diabétiques ou non, asthmatiques ou non, allergiques à l’œuf ou non, et s’ils prenaient un traitement particulier.

M. Matthieu Piccoli. Ils confirmaient également par leur signature qu’ils souhaitaient se faire vacciner.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela, c’est normal. Mais on leur demandait par exemple non pas s’ils étaient allergiques à l’œuf, ce que chacun aurait pu comprendre, mais à l’ovo-albumine, dont le citoyen lambda, moi le premier, ne sait pas ce que c’est.

L’expérience vécue a été très différente selon les centres. J’ai néanmoins eu l’impression d’une souffrance générale des intervenants, même là où les choses ne se sont pas particulièrement mal passées.

On pourrait débattre longuement de la réquisition. Je ne dis pas qu’elle n’était pas nécessaire, je ne dis pas non plus que la vaccination aurait dû pouvoir se pratiquer aussi dans les cabinets libéraux, bien que ce soit là plutôt mon sentiment. Il ne me choque pas qu’on réquisitionne les médecins en cas de situation grave, dans la mesure où le pays les a formés et payés pour cela. La désorganisation qui a entouré ces réquisitions et entraîné une souffrance des acteurs est un autre sujet. Pour le reste, j’ai vu dans le centre de vaccination de ma ville une infirmière scolaire réquisitionnée tout faire pour éviter d’avoir à vacciner car elle ne savait plus le faire !

Pensez-vous que les étudiants en médecine sont assez sensibilisés, informés, formés en matière d’épidémiologie et de risques pandémiques pendant leur cursus ? La grippe semble une maladie familière mais on s’aperçoit en réalité qu’elle demeure une grande inconnue, y compris pour ceux chargés de gérer une épidémie.

Mme Chloé Loyez. Les facultés de médecine ont une large autonomie dans l’enseignement qu’elles dispensent. Elles ont des objectifs à remplir, mais elles s’organisent comme elles le souhaitent pour les atteindre. Certaines assurent peut-être un enseignement spécifique, mais dans l’ensemble ce n’est pas le cas. Cela ne fait l’objet que d’un cours de santé publique et d’infectiologie, parmi d’autres.

M. Grégory Murcier. Je me souviens très vaguement de quelques cours sur le sujet, ayant d’ailleurs obtenu ledit certificat en session de rattrapage seulement.

Puisque l’un des objectifs de cette commission d’enquête est de voir comment faire mieux la prochaine fois, je dirai qu’il faudrait mettre en place des centres de vaccination dans des lieux fixes, ouverts à horaires fixes, ne changeant pas tous les jours, et adaptés aux besoins de la population, ce qui n’est clairement pas le cas quand ils sont ouverts de 9 heures 30 à 11 heures et de 14 heures à 17 heures 30.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. À la fin, les centres étaient ouverts quasiment jusqu’à minuit. Je me souviens qu’on voulait dans ma commune ouvrir le centre les 24 et 31 décembre de 8 heures à 22 heures, ce à quoi je me suis opposé. J’ai fait savoir au préfet que je fermais le gymnase car je trouvais cela ridicule.

M. Grégory Murcier. De 18 heures à 24 heures, nous étions rémunérés, ce qui était toujours mieux. Un autre intérêt est qu’on pouvait, avec ces horaires plus amples, toucher davantage de population.

L’une des leçons à tirer de cet épisode est que nous n’avons pas une administration capable de gérer une crise de santé publique. S’il y a des endroits où les choses se sont bien passées, dans beaucoup d’autres, les directions des affaires médicales ou encore les directions régionales des affaires sanitaires et sociales n’ont même pas été capables de réunir tous les intéressés en un même lieu pour établir un planning ! Il a fallu que j’explique au responsable des affaires médicales de mon centre hospitalier universitaire que le mieux était de convoquer l’ensemble des internes dans un amphi avec des représentants de la directions régionales des affaires sanitaires et sociales et de la direction des affaires médicales pour confectionner le planning du mois à venir. Personne n’y avait pensé avant !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dans quel département ?

M. Grégory Murcier. La Loire. C’était à Saint-Étienne. Pour que les choses se passent bien, comme cela a été le cas à Lyon ou Clermont-Ferrand, il suffisait que le directions régionales des affaires sanitaires et sociales ou le directeur des affaires médicales ait un peu de jugeote. Mais certains étaient totalement débordés. Les situations étaient très disparates, alors qu’il suffirait de créer un modèle tout simple, prêt à être utilisé en cas de crise.

Mme Chloé Loyez. La désorganisation a été à son comble lorsque les étudiants ont commencé à être envoyés dans les centres. Les choses ne se sont bien passées que là où ce sont les étudiants qui ont établi eux-mêmes les plannings. Sinon, il est arrivé que des étudiants soient appelés à 22 heures pour aller vacciner le lendemain à 8 heures à l’autre bout du département, sans qu’on tienne compte ni de leur lieu de stage ni de leur lieu de résidence. Ils ne savaient pas si leurs frais de transport seraient pris en charge, ni parfois même comment se rendre dans ces lieux… Je ne parle même pas de la rémunération. Il est arrivé aussi qu’ils soient réquisitionnés des jours où ils devaient passer des examens ou leur évaluation de stage. Comme il n’y avait aucune communication avec nos centres hospitaliers universitaires et nos chefs de service, ceux-ci nous disaient de ne pas aller vacciner mais de venir passer nos examens ou notre évaluation !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. M. Matthieu Piccoli nous a déjà expliqué tout cela, et nous l’avons bien compris. Y a-t-il des éléments nouveaux que vous souhaiteriez apporter ?

Mme Chloé Loyez. Je voudrais en venir à nos propositions, toutes simples, pour faire mieux si une nouvelle urgence sanitaire se présentait.

Il faudrait :

1.° Mettre tous les acteurs de terrain autour d’une même table au même moment pour faire face ensemble aux difficultés et organiser la réponse.

2.° Mieux impliquer qu’aujourd’hui les étudiants dans l’information et la formation à la réponse aux urgences sanitaires.

3.° Les réquisitionner dans le respect des dispositions législatives et réglementaires régissant la réquisition : on leur avait dit qu’ils recevraient un ordre de réquisition signé du préfet, garantissant qu’ils étaient couverts et seraient rémunérés, mais dans la plupart des villes, ils ne l’ont pas reçu, tout s’étant fait dans la précipitation.

4.° Privilégier le volontariat et tenir compte des lieux de stage ou de résidence des étudiants dans leur affectation.

5.° Se donner les moyens d’évaluer efficacement les besoins sur le terrain et d’adapter en conséquence les moyens humains déployés : il y a en effet eu surréquisition, des étudiants ne comprenant pas pourquoi ils avaient dû quitter leur stage pour aller dans des centres de vaccination totalement vides.

6.° Prévoir une rémunération en fonction des compétences des étudiants, et cela en amont de leur réquisition, et non pas ultérieurement, dans la plus totale anarchie comme cela s’est fait.

7.° Assurer une prise en charge logistique, incluant frais de transports et frais éventuels de logement – il a fallu que certains étudiants logent sur place. Je pense notamment à ceux de la faculté de médecine de Caen qui ont été envoyés dans des centres très éloignés où ils sont parfois restés une semaine entière et ont dû trouver eux-mêmes à se loger sur place, en faisant appel aux communes ou autres collectivités.

Les étudiants en médecine étaient volontaires pour aller vacciner. Pleinement conscients de leur rôle en tant que futurs professionnels de santé, ils savaient pertinemment qu’ils pouvaient être appelés à la rescousse en cas de crise sanitaire. Déjà en responsabilité auprès de patients au cours de leurs stages, ils n’ignoraient ni leur rôle ni leurs devoirs. Ils n’étaient absolument pas de mauvaise volonté.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Mais ils n’ont eu ni l’information ni la formation qui auraient été nécessaires.

M. Matthieu Piccoli. Juste un mot pour expliquer pourquoi cela s’est particulièrement mal passé en Île-de-France. Tout d’abord, la région regroupe un sixième de la population française. Ensuite, c’était la préfecture qui décidait, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales n’étant chargée que d’appliquer les décisions prises, sans aucune marge de manœuvre, alors qu’elle n’en avait pas vraiment les moyens. La direction régionale des affaires sanitaires et sociales, en dépit de sa bonne volonté, a été complètement dépassée.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Partout en France, les préfectures décidaient et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales appliquaient les décisions. Ce n’est pas propre à l’Île-de-France.

M. Philippe Tisserand. Les élèves infirmiers ont manifesté le 17 décembre 2009 devant le ministère de la santé, à l’appel de leur président, M. Grégoire Cristofini. L’entretien que celui-ci a accordé à la revue dont je suis directeur de la publication, corrobore totalement ce que viennent de nous dire les représentants des étudiants en médecine. « Nous avons subi, nous déclarait-il, des pressions et des menaces inacceptables de la part des centres de vaccination et des DRASS. Nous devions vacciner sans respect des protocoles habituels de soins, avec notamment des aiguilles qu’il fallait « recapuchonner », alors que ce geste exposant les professionnels à des risques de piqûre accidentelle est strictement interdit », poursuivait-il.

Dès le premier jour de la campagne, des infirmières retraitées, notamment de l’Oise – je pourrais retrouver leur nom si cela vous intéresse – m’ont appelé pour me dire que, volontaires, elles s’étaient rendues dans les centres, mais qu’au vu de ce qui s’y passait, elles étaient reparties, refusant de vacciner dans de telles conditions. Elles exigeaient d’avoir à leur disposition des seringues avec des trocarts permettant de pomper le vaccin dans les flacons multidoses, dont les bouchons étaient d’ailleurs très durs. « Nous ne vaccinons pas des veaux », me disaient-elles, « il n’est pas dans notre culture professionnelle de piquer le patient avec la même aiguille que celle qui a transpercé un bouchon qui le sera dix fois. » Et les médecins généralistes présents étaient d’accord avec elles.

Par ailleurs, environ la moitié des élèves infirmiers en Île-de-France travaillent à l’extérieur pour financer leurs études. Vu les conditions et l’ampleur des réquisitions
– jusqu’à 40 heures –, certains ont perdu leur emploi. Les élèves infirmiers ont, au total, le sentiment d’avoir été utilisés pour accomplir une tâche dans des conditions ne correspondant pas à ce qu’on leur enseigne.

Nous, infirmiers libéraux, savions parfaitement que nous ne pourrions pas vacciner tout le monde mais avions proposé au ministère de la santé de vacciner les patients que nous visitons tous les jours. Il y avait certes au début le problème des flacons multidoses, mais des flacons unidose ont bien été disponibles par la suite ! Les arguments sur les conditions de conservation et d’acheminement des vaccins ou l’impératif de traçabilité, qu’on nous a opposés pour nous interdire de vacciner ces patients, ne m’ont pas convaincu. On pouvait penser que des personnels qui pratiquent quotidiennement des chimiothérapies à domicile dans le cadre de protocoles très lourds auraient été capables de faire un vaccin !

S’agissant du coût de l’opération, j’ai l’impression que les conseillers de la ministre de la santé ne savent pas bien compter. En effet, si les infirmiers libéraux avaient pu vacciner les patients chroniques ou dépendants qu’ils visitent à domicile, il n’y aurait pas eu de surcoût. Une vaccination sur prescription médicale est en effet facturée 3,20 euros et le déplacement 2 euros. C’est par ailleurs méconnaître totalement la nomenclature des actes infirmiers, dont la facturation est dégressive. Le premier acte chez un patient est facturé à taux plein, le deuxième à demi-tarif, et au-delà, ils ne le sont plus. Les infirmiers libéraux réalisent 400 millions de séances de soins par an auprès de personnes âgées dépendantes, facturées à la demi-heure et dont la facturation intègre tous les actes infirmiers, hormis les perfusions et les grands pansements. C’est dire qu’une vaccination pratiquée dans ce cadre n’aurait rien coûté de plus.

M. Thierry Amouroux. Nous n’étions pas inquiets quant à la gestion d’une crise sanitaire réelle. La canicule de 2003 a montré que les professionnels savent s’auto-organiser pour faire face à un pic d’activité. Cet été-là, ils ont travaillé bien au-delà de leurs horaires normaux, sans avoir besoin d’être réquisitionnés ni que la technostructure s’en mêle.

Dans le cas de cette pandémie, il y a eu deux phases. De fin avril à l’été, nul ne pouvait exclure que les conséquences de cette grippe soient très graves, et il était logique de commander autant de vaccins. Puis dès le début septembre, avec le recul par rapport à ce qui s’était passé dans l’hémisphère Sud, on savait qu’il fallait vacciner les personnes à risque, les femmes enceintes, les malades chroniques, les enfants qui, d’une manière générale, en raison de la proximité de leur vie sociale, sont plus exposés à la transmission des virus, mais il n’était plus évident qu’il faille vacciner l’ensemble de la population. C’est alors qu’est apparu un problème de sens. En France, les experts se fondaient sur une hypothèse maximaliste. Mais dans chaque pays, les ordres de priorité étaient différents et il n’y avait nulle part de certitude scientifique avérée. Lorsque seule une minorité de médecins et d’infirmiers se fait vacciner, cela ne peut guère avoir d’effet d’entraînement sur le reste de la population...

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Qui, parmi vous, n’est pas vacciné ?

M. Thierry Amouroux. Je ne le suis pas.

Mme Chloé Loyez. J’ai essayé de me faire vacciner, mais n’ai pas réussi.

M. Philippe Gaertner. Moi non plus.

M. Michel Chassang. Moi je l’ai été, avec un vaccin de contrebande, si j’ose dire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous fait vacciner vos enfants ?

M. Thierry Amouroux. Oui, c’étaient des personnes à risque.

M. le rapporteur. Pourquoi ne vous êtes-vous pas fait vacciner vous-même, si je puis me permettre de vous poser cette question ?

M. Thierry Amouroux. Je n’ai aucun facteur de risque particulier.

M. le rapporteur. Vous étiez entouré de personnes pouvant avoir cette grippe…

M. Thierry Amouroux. La grippe A(H1N1) est plus contagieuse que la grippe saisonnière, mais nettement moins grave. D’après les chiffres communiqués le 20 avril 2010 par l’Institut national de veille sanitaire, il y a eu 312 décès et 1 334 cas graves constatés depuis le début de l’épidémie, alors que la grippe saisonnière fait chaque année entre 2 000 et 4 000 morts.

M. Grégory Murcier. Il faut tout de même souligner que les personnes décédées de la grippe A(H1N1) étaient souvent des personnes en bonne santé, sans facteur de risque particulier.

M. Thierry Amouroux. J’ai d’ailleurs trouvé choquante la communication à ce sujet. L’administration disait que cette grippe était plus grave parce la moyenne d’âge des victimes n’était que de 39 ans, alors que d’ordinaire les victimes de la grippe saisonnière sont âgées de plus de 65 ans. Toute vie n’a-t-elle pas le même prix ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Grégory Murcier.

M. Thierry Amouroux. Mais c’est ce qu’a dit l’Administration.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Tous les experts les plus éminents, quels qu’ils soient, nous ont dit que ce qui était surprenant c’était que des personnes en bonne santé n’ayant aucune raison de décéder d’une grippe saisonnière pouvaient décéder de la grippe A(H1N1). On dit souvent que la grippe saisonnière ne fait qu’accélérer la fin de vie de personnes âgées déjà fragilisées. On ne dispose pas d’assez de recul pour savoir qui parmi les quelque 300 personnes mortes de la grippe A(H1N1) en est décédé directement. En revanche, cette grippe aurait provoqué quelque 1 300 syndromes de détresse respiratoire aiguë contre une dizaine seulement pour la grippe saisonnière. Je ne sais pas si elle est plus grave ou moins grave que la saisonnière, elle l’est en tout cas assez pour qu’il ait paru nécessaire de se mobiliser…

M. Martial Olivier-Koehret. Il faut compter aussi avec le fait que sans avoir de signes cliniques, on pouvait transmettre le virus.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il ne s’agit pas de porter de jugement de valeur sur qui s’est fait ou non vacciner. Mais vous paraît-il inconcevable que l’on puisse, en cas de crise sanitaire, imposer une vaccination à des professions spécifiques comme les professionnels de santé, les policiers, les gendarmes, les pompiers, particulièrement indispensables à ce moment-là au fonctionnement de la société, sans qu’elle le soit au reste de la population ?

M. Thierry Amouroux. À l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le taux de vaccination a été de 18 % chez les infirmières et de 32 % chez les médecins.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, que nous avons déjà auditionné, nous l’a dit.

M. Grégory Murcier. Mais à Saint-Etienne, où il y a eu le premier mort de la grippe A(H1N1), le taux est monté à 90 % !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le jour même où on a ouvert les centres de vaccination à la population générale, on a parlé de deux cas de syndrome de Guillain-Barré. Je le sais car c’est en allant me faire vacciner que j’ai entendu sur France Info parler pour la première fois de cette sinistre maladie…

M. Claude Leicher. Ce que je retiens, c’est qu’on a fait courir un risque à la population de par l’organisation des centres et les pratiques qui y ont eu lieu, que les procédures habituelles n’ont pas été respectées ou que certains personnels appelés, pour ne plus pratiquer de soins depuis longtemps, avaient perdu certaines habitudes. Nous avons été frappés du nombre d’appels que nous avons reçus de la part de médecins vaccinateurs incapables de répondre à des candidats à la vaccination ayant apporté leurs ordonnances. Lorsqu’un médecin a cessé d’exercer la médecine depuis quelques années, beaucoup de noms de médicaments ne lui disent plus rien ! Dans le cas de polypathologies complexes, certains avaient également des difficultés à discerner des contre-indications.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je pense, pour ma part, qu’il était ridicule de réquisitionner, par exemple, des médecins du travail, extrêmement spécialisés dans un domaine très particulier.

M. Claude Leicher. On s’est aperçu que l’acte de vaccination que l’on croyait si simple ne l’était pas. Je n’hésite pas à dire qu’il a été, en l’espèce, galvaudé. Certains se sont étonné que les médecins généralistes demandent une consultation pour faire une vaccination, mais pour les vaccins, il y avait plus de trente indications différentes selon l’âge, les pathologies éventuelles, un état de grossesse ou non… C’est bien d’ailleurs pourquoi l’avis d’un médecin était obligatoire dans les centres et que la vaccination, d’une manière générale, comporte nécessairement une consultation, conformément aux procédures et à la loi. La vaccination contre la grippe saisonnière est comptée comme une consultation. Deux tiers des vaccinations habituelles contre la grippe saisonnière sont dites d’opportunité. L’assurance maladie ne prend en charge le vaccin que pour six millions de personnes à risques, alors que dix à onze millions de doses de vaccin sont délivrés chaque année dans les officines. Au-delà des strictes populations cibles, nous vaccinons aussi des mères avec de jeunes enfants, beaucoup d’enseignants et de professionnels de santé, non pas parce qu’ils présentent un facteur de risque mais parce qu’ils ne veulent pas transmettre la maladie ou ne peuvent pas se permettre d’être malades.

Cette campagne de vaccination a, hélas, été dominée par la peur : peur de ne pas faire assez, peur que les gens ne soient pas vaccinés assez tôt, peur de ne pas cibler les bonnes personnes… La canicule de 2003 a, à l’évidence, laissé des traces indélébiles. Or, les véritables leçons de cette canicule n’ont toujours pas été tirées. Personne ne sait par exemple que nous avons perfusé plusieurs dizaines de milliers de patients à domicile dès juin 2003 et que les ventes de solutés de perfusion en officine ont explosé dès ce mois-là…

Que proposer donc ? Tout comme en médecine de catastrophe, on n’expérimente jamais un dispositif nouveau, il faudrait, dans un cas comme celui de la grippe A(H1N1), s’appuyer sur des dispositifs éprouvés, dont les professionnels ont l’habitude. Le médecin traitant tel que défini dans la loi de 2004 doit être le pivot autour duquel articuler les campagnes de santé publique et les dispositifs nécessaires, susceptibles de monter en puissance en fonction de la gravité avérée. L’administration de la santé commence à le comprendre en matière de dépistage et de prévention, pas assez hélas puisque chaque fois qu’on organise un dépistage, on invente en même temps une administration pour cette campagne, ce qui coûte cher à l’État tout en étant bien souvent redondant sans toucher davantage de population.

Dès le mois de juin, en tout cas dans mon secteur de garde, les généralistes avaient compris que la grippe A(H1N1) était à la fois très contagieuse et atypique – les lésions pulmonaires observées n’étaient pas habituelles. D’où la nécessité de prendre des précautions particulières.

Une autre proposition est que des vaccinations dites d’opportunité puissent aussi avoir lieu, comme c’est souvent le cas pour la grippe saisonnière.

Ce qui caractérise l’organisation de la médecine libérale, c’est sa souplesse, son adaptabilité. Il est tout à fait possible d’envisager, dans un contexte particulier, de passer un contrat particulier avec les praticiens.

Et surtout, il faudrait être attentif à l’organisation territoriale pour garantir un égal accès de tous à la vaccination. Les secteurs de garde, lesquels, même s’ils demeurent perfectibles, présentent l’avantage d’exister déjà et de fonctionner, peuvent être la base territoriale de l’organisation de la médecine virale. Parlant de secteur de garde, je ne pense pas seulement aux généralistes, mais aussi aux pharmaciens, aux infirmiers, aux kinésithérapeutes… Il y a là un socle sur lequel se fonder si besoin. Notre souci était de protéger l’hôpital. Nous ne voulions pas que les services d’urgence, les SAMU et le 15 soient encombrés par des cas n’ayant rien à y faire. J’appelle d’ailleurs votre attention sur le fait que nous réclamons depuis des années un numéro de téléphone distinct pour la permanence des soins et l’aide médicale d’urgence, que nous n’obtenons pas du fait de la pression exercée par les hospitaliers, ce qui est, à mon avis, un mauvais calcul de leur part.

L’organisation et le rodage préalables de notre système de santé sont une condition indispensable de succès de tout dispositif mis en place en cas de pandémie. Chacun doit savoir d’avance ce qu’il doit faire et ne pas faire, notamment ne pas se précipiter aux urgences hospitalières. Si le système n’est pas ainsi préalablement « huilé », tout dispositif, aussi parfait soit-il en théorie, échouera en pratique.

M. Martial Olivier-Koehret. La connaissance de l’épidémie était fonction des données recueillies. On a constaté dans l’hémisphère Sud que l’épidémie avait avorté très vite par rapport à ce qui était annoncé. L’Institut national de veille sanitaire ou les groupes régionaux d’observation de la grippe annonçaient ici une explosion de cas, qui n’a pas eu lieu, comme l’a confirmé le dispositif de recueil hebdomadaire volontaire que nous avions mis en place chez les généralistes à partir de juillet. Cette distorsion entre ce qui était annoncé et ce qui a été constaté a aussi contribué à affaiblir la valeur du discours public. Il y a besoin d’un recueil professionnel organisé à partir des observations des professionnels.

M. le rapporteur. Par « recueil professionnel », vous entendez le réseau Sentinelles ?

M. Martial Olivier-Koehret. Une explosion de cas avait été annoncée, que nous ne constations pas d’après notre propre dispositif de recueil de données.

M. le rapporteur. Vous mettez en cause le réseau Sentinelles ?

M. Martial Olivier-Koehret. Je mets en cause la gestion de la situation par l’Institut national de veille sanitaire et les groupes régionaux d’observation de la grippe. Reportez-vous aux déclarations de l’époque, ils avaient annoncé une explosion de l’épidémie, qui ne s’est pas produite. Cela a contribué à vider les centres de vaccination.

M. le rapporteur. Vous mettez également en doute le nombre de consultations hebdomadaires pour syndrome grippal ?

M. Martial Olivier-Koehret. Plus exactement, les extrapolations qui en ont été faites. Les prévisions ne se sont pas avérées, même si nous avons constaté une augmentation d’activité.

M. Michel Chassang. De 10 %.

M. Martial Olivier-Koehret. Cela n’a rien d’exceptionnel.

J’en viens à la réquisition, sans même parler de ce qui s’est passé dans un département comme la Seine-Saint-Denis où elle palliait une désorganisation et une absence totale d’anticipation des moyens locaux, mais comme mode d’assurance de la responsabilité des professionnels et vecteur de leur rémunération, puisque c’est ainsi que les choses nous ont été présentées.

Les dispositifs d’exception sont sujets à dysfonctionnement. D’une manière générale, mieux vaut s’appuyer sur le réseau existant – médecins généralistes, pharmaciens, infirmiers libéraux… –, qui, en l’espèce, a bien fonctionné. Le problème tenait sans doute au mode d’exercice libéral. Il faut donc définir dans le cadre de notre activité libérale un mandat de santé publique par lequel nous puissions passer des soins dispensés à nos seuls patients à des soins à l’ensemble de la population, avec un autre mode d’exercice, une autre organisation et une autre répartition des responsabilités. Ce mandat explicite de santé publique, pour être accepté par les professionnels, devrait avoir fait l’objet d’une négociation. Cette proposition rejoint celles de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’État qui a formé plusieurs dizaines de milliers d’infirmiers et de médecins doit pouvoir leur imposer des obligations en cas de problème majeur de santé publique. Vous auriez souhaité que les médecins généralistes volontaires soient associés à la campagne de vaccination. Mais on pourrait imaginer aussi que cela ne se fasse pas seulement sur la base du volontariat….

M. Michel Chassang. Oui, mais dans les cabinets.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je ne voudrais pas qu’on me dise un jour que les médecins ne veulent pas d’une telle option. Je profite donc du fait que nous vous auditionnions pour mettre les choses parfaitement au clair.

M. Martial Olivier-Koehret. Il faudrait que cela ait été clairement expliqué et négocié.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Que vous receviez à un moment mission de service public pour faire face à une urgence sanitaire ne me choque pas.

M. Martial Olivier-Koehret. Nous avons déjà, de fait, un mandat de santé publique dans notre activité.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La structure existante doit demeurer libérale dans les conditions d’activité normale mais aussi pouvoir être organisée différemment, selon un protocole précis, en matière de santé publique.

M. Claude Leicher. Il faudrait un contrat.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Lequel n’existe pas aujourd’hui.

M. Martial Olivier-Koehret. Pour nous occuper de l’ensemble de la population, et non plus de nos seuls patients, il faut que des règles soient clairement définies. Dans les transports, il arrive fréquemment qu’en cas de problème de santé d’un voyageur, on demande s’il y a un médecin à bord. S’il y en a un, il doit intervenir et il intervient.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est là un problème individuel de déontologie. Aux termes du serment d’Hippocrate que vous avez prêté, vous devez assister tout malade. En cas de crise sanitaire, la logique est un peu différente. Une obligation vous serait faite, comme il en existe déjà pour les gardes.

M. Martial Olivier-Koehret. Il faut ici dire que l’ÉPRUS n’a pas fonctionné lors de cette pandémie.

M. Michel Chassang. Il faut, d’une manière générale, que notre système de santé mette beaucoup plus l’accent sur la prévention. Aujourd’hui, en matière de prévention et de santé publique, au lieu d’utiliser les réseaux de proximité, comme les médecins de famille, les pédiatres… on a tendance à utiliser des circuits parallèles. Ce qui s’est passé pour la grippe A est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. Il faudrait au contraire faire appel aux réseaux de proximité, en prévoyant une diversification des modes de rémunération mais aussi des lignes budgétaires spécifiques au sein de l’ONDAM, avec des crédits alloués à la prévention plus importants qu’aujourd’hui.

M. le rapporteur. J’en suis tout à fait d’accord. Des pays comme la Suède ou l’Allemagne sont en avance sur nous et ont une véritable culture en matière de prévention.

M. Michel Chassang. Il n’y a d’ailleurs pas eu de problème autour de la grippe A dans ces pays.

M. Patrick Romestaing. Une remarque, si vous le permettez, monsieur le président. Les médecins du travail sont des médecins comme les autres et je ne suis pas d’accord avec vous. Un centre de vaccination n’est pas un centre de chirurgie cardiaque ou de neuro-chirurgie. Assurer une présence, repérer des contre-indications et répondre aux questions éventuelles des candidats à la vaccination, tout médecin, muni d’un minimum de documentation, peut le faire.

Je voudrais revenir sur un point abordé par Claude Leicher, même si cela déborde un peu du sujet, car c’est une question récurrente. Nous nous battons depuis longtemps afin d’obtenir un numéro unique pour les urgences. Le 15 est en effet toujours encombré. Nous avons à Lyon un numéro spécial médecine libérale/professionnels de santé à dix chiffres, qui bien entendu soutient difficilement la concurrence face à un numéro à deux chiffres ! Et quand une personne compose ce numéro, situé au même endroit que le 15, pour des raisons de sécurité, au bout de vingt secondes, l’appel est rerouté vers le 15, à la grande surprise d’ailleurs de celui qui appelle. J’insiste sur cette demande d’un numéro spécifique.

Pour le reste, chacun l’aura compris, mieux vaut, en cas de crise, partir de l’existant que d’ajouter un nouvel élément à un ensemble déjà complexe. Ainsi pourrait-on peut-être s’appuyer sur les CODAMU, les comités départementaux d’aide médicale urgente, qui gèrent la permanence des soins pour l’ensemble des professionnels de santé sur le territoire et où tous les acteurs sont représentés – médecins libéraux et hospitaliers, infirmiers, transports sanitaires… – pour coordonner l’action en cas de nouvelle pandémie du type grippe A. Il faudrait simplement veiller à y associer les chefs de clinique, les internes et les étudiants en médecine.

Mme Chloé Loyez. L’ÉPRUS n’a pas fonctionné, nous en sommes d’accord. Vous semblez, monsieur, lui en faire le reproche. Or, pour travailler régulièrement avec l’établissement depuis sa création et l’aider à recruter étudiants en médecine, en soins infirmiers, en pharmacie, en kinésithérapie, en écoles de sages-femmes, pour la réserve sanitaire de renfort, je dois dire que l’ÉPRUS, s’il semble avoir des moyens financiers suffisants, ne dispose pas des moyens humains nécessaires. Personne n’y est délégué pour communiquer auprès des étudiants, des responsables pédagogiques ni des doyens. Rien n’est prévu pour que l’engagement d’un étudiant à l’ÉPRUS constitue un plus dans son cursus, et pas seulement une contrainte pour lui. Les étudiants qui faisaient partie de la réserve sanitaire de renfort de l’établissement étaient les derniers à être envoyés dans les centres de vaccination, au motif qu’ils devaient rester mobilisables au cas où les services d’urgence auraient été débordés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous invite à poursuivre à l’issue de l’audition cette discussion avec notre rapporteur, qui a rapporté la loi ayant créé l’ÉPRUS.

M. le rapporteur. L’ÉPRUS, tout nouveau, est encore en rodage. Le hasard a voulu qu’il ait à faire face à une première expérience grandeur nature avec la grippe H1N1.

Mme Chloé Loyez. Je ne fais aucun reproche à l’ÉPRUS. Je dis au contraire que cet établissement devrait avoir beaucoup plus de moyens humains.

M. Philippe Gaertner. Un mot sur deux aspects qui ont concerné plus particulièrement les pharmaciens. Tout d’abord, le Tamiflu avec l’arrivée le 21 décembre – on peut d’ailleurs se demander pourquoi seulement à cette date-là – du stock d’État, alors que la diminution du nombre de cas était alors déjà avérée. L’arrêté « pandémie » sur le Tamiflu n’a d’ailleurs toujours pas été levé, ce qui laisse perplexe sur le suivi. Les officines fonctionnent toujours avec les stocks d’État, qui arrivent à péremption en mai 2010.

Enfin, j’ai déjà interpellé deux fois la Direction générale de la santé (DGS) en réunion sur l’organisation des gardes pour les pharmacies d’officine, puis de nouveau par écrit en proposant des astreintes. J’attends encore à ce jour sa réponse.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En Seine-Saint-Denis, les gardes de pharmacie ne sont tout simplement plus assurées. J’ai interpellé à plusieurs reprises le préfet, l’Ordre des pharmaciens…

M. Philippe Gaertner. Ce sont les syndicats qui ont l’obligation de s’occuper des gardes. Et rassurez-vous, dans nombre de départements, le système fonctionne parfaitement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce qui se passe dans le mien est un vrai scandale de santé publique. Les pharmacies n’assurent plus les gardes, au prétexte qu’il y en a une ouverte 24 heures sur 24, Porte de Montreuil. Mais comment fait une mère seule qui a besoin d’un médicament pour son enfant à 2 heures du matin si elle n’a pas de véhicule ? Mais je m’arrête là, car cela n’a rien à voir avec le sujet de cette commission d’enquête.

Il me reste, madame, messieurs, à vous remercier.

La séance est levée à vingt heures cinq.