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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 28 avril 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Jacques Berger, directeur général délégué de Sanofi Pasteur

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 28 avril 2010

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Jacques Berger, directeur général délégué de Sanofi Pasteur.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Jacques Berger, directeur général délégué de Sanofi Pasteur.

M. Jacques Berger prête serment.

M. Jacques Berger. Je vous remercie de me donner l’opportunité de présenter, comme j’ai eu l’occasion de le faire il y a quelques jours devant la commission du Sénat, ce que Sanofi Pasteur a réalisé dans le cadre de cette pandémie, et l’esprit dans lequel il l’a fait.

Nous sommes des industriels, des producteurs de vaccins dont le métier est d’être prêt à répondre à des besoins de santé publique. Dans le cas d’une éventuelle pandémie, cela signifie être capable de fournir le plus rapidement possible le plus de doses possible d’un vaccin satisfaisant aux exigences réglementaires, efficace et bien toléré – un tel vaccin étant considéré par l’ensemble de la communauté scientifique comme la solution la plus efficiente pour enrayer la progression d’une pandémie.

Le groupe Sanofi Aventis est l’un des leaders mondiaux dans le secteur de la santé. Il emploie 100 000 personnes dans le monde, dont 26 000 en France. Sanofi Pasteur, sa division vaccins, qui est lui-même l’un des leaders mondiaux dans ce domaine, développe, produit et distribue chaque année 1,6 milliard de doses dans plus de 150 pays. Il emploie 12 000 personnes dans le monde, dont près de 6 000 en France.

À partir de deux de ses sites, l’un en France à Val-de-Reuil, l’autre aux États-Unis, Sanofi Pasteur couvre environ 40 % des besoins mondiaux en vaccins contre la grippe saisonnière, ce qui le place au premier rang des producteurs mondiaux.

Sensibilisé par la situation que le monde a connue avec le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), puis avec le H5N1 en 2004, Sanofi Pasteur, comme quelques autres producteurs, s’est mobilisé pour se préparer à une éventuelle pandémie de grippe. Tous les efforts que nous avons déployés depuis cette période ont été orientés dans ce sens.

Sur le plan industriel, nous avons adapté et augmenté nos unités de production, fabriqué des lots pilotes puis des lots à grande échelle, optimisé nos processus de production. S’agissant du développement, nous avons fait porter nos efforts sur l’amélioration de la productivité des souches, la diminution de la quantité d’antigène nécessaire, la réalisation de lots cliniques et les études cliniques correspondantes.

Parallèlement, nous avons eu des discussions avec les autorités réglementaires pour réfléchir avec elles aux voies d’obtention des autorisations de mise sur le marché les plus adaptées à cette situation potentielle.

Enfin, nous avons mis en place, dans l’ensemble de Sanofi Pasteur, un « plan de continuité » afin d’assurer au mieux, même en situation de pandémie, la poursuite de notre activité – non seulement la production du vaccin contre la grippe pandémique, mais aussi celle de tous les autres vaccins.

Ce processus de préparation s’est bien entendu déroulé en étroite collaboration avec la communauté scientifique et avec les autorités de santé publique – OMS, autorités réglementaires telles que la Food and Drug Administration (FDA) et l’Agence européenne du médicament (EMEA), autorités de santé de pays très impliqués dans la préparation à une éventuelle pandémie.

À partir de la fin d’avril 2009, c’est-à-dire après l’apparition des premiers cas au Mexique et la décision de l’OMS, le 25 avril, de déclarer « une urgence de santé publique de portée internationale », Sanofi Pasteur a décidé de mettre en place un mode de fonctionnement spécifique pour mieux répondre à cette situation de risque pandémique.

Trois équipes de crise ont alors été constituées : une équipe aux Etats-Unis, pour coordonner les efforts déployés à partir de nos unités en Amérique du Nord ; une équipe en France, pour coordonner les actions entreprises à partir du site de Val-de-Reuil ; une équipe globale pour assurer la cohérence de nos actions et optimiser le partage d’expériences entre les équipes française et américaine.

Dès le mois de mai 2009, sur la base des informations disponibles, nous avons décidé d’appliquer trois grands principes, qui ont ensuite servi de schéma directeur à l’ensemble de notre action : un principe de santé publique ; un principe de responsabilité ; un principe de transparence et de dialogue.

Une pandémie est avant tout un énorme défi de santé publique. Lorsque la pandémie est apparue au Mexique, le défi était pour nous de poursuivre la production du vaccin contre la grippe saisonnière, puisque nous assurions 40 % des besoins mondiaux, tout en développant et produisant deux formes de vaccin contre la grippe A(H1N1), l’un avec adjuvant et l’autre sans, de façon à répondre aux besoins exprimés par certaines autorités de santé.

L’application du principe de responsabilité nous a amenés à refuser de « sur-promettre », en termes de quantité comme en termes de délais, à avoir une attitude raisonnable et cohérente en matière de prix, et à porter une attention particulière aux pays les plus pauvres, laquelle s’est traduite en particulier par une donation de 100 millions de doses via l’OMS.

Enfin, nous avons décidé d’appliquer le principe de transparence et de dialogue dans toutes nos interactions avec les autorités de santé, en veillant à rester strictement dans notre rôle et dans notre compétence de producteur de vaccins.

C’est sur la base de ces principes que nos processus de production, nos démarches réglementaires et nos programmes d’études cliniques ont été lancés. Ces actions ont été entreprises conformément aux bonnes règles pharmaceutiques, en utilisant l’expérience acquise depuis de nombreuses années dans la production de vaccins contre la grippe et les enseignements apportés depuis 2004 par notre plan de préparation à une éventuelle pandémie.

Durant toute cette période, nos contacts avec les différentes autorités de santé publique ont été renforcés afin d’assurer la cohérence des actions menées.

Le processus de production lui-même n’a pu démarrer que début juin 2009, une fois la souche reçue de l’OMS et après son adaptation à l’environnement industriel.

En France, nous avons alors décidé d’interrompre brièvement notre production de vaccin saisonnier destiné aux pays de l’hémisphère nord, pour produire les premiers lots de vaccin H1N1 nécessaires à nos études cliniques, afin de ne pas retarder leur démarrage. Une fois ces lots cliniques terminés, la production de vaccin saisonnier a repris jusqu’au terme initialement prévu. Nous avons ensuite démarré immédiatement la production industrielle de vaccin H1N1.

C’est à cette même période, c’est-à-dire début juillet 2009, que les contacts avec les autorités françaises ont abouti à la signature d’un avenant au contrat initial que nous avions signé en 2005 dans le cadre de la préparation à une éventuelle pandémie. Par cet avenant, 28 millions de doses ont été commandées à Sanofi Pasteur le 13 juillet.

Nos études cliniques effectuées en Europe ont démarré le 18 août. Il y en a eu en France et en Finlande, ainsi qu’en Inde. D’autres études ont été lancées simultanément aux États-Unis avec le vaccin produit sur notre site américain.

Fin août, des réunions avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et d’autres agences européennes ont montré que, puisque nous ne disposions pas de dossier prototype dit « mock up », il serait possible d’utiliser pour le vaccin non adjuvanté Panenza la voie réglementaire appelée DCP (procédure décentralisée). L’intérêt de celle-ci était de nous permettre d’espérer une autorisation de mise sur le marché à la mi-novembre, c’est-à-dire plus tôt que ce que permettait l’autre voie réglementaire européenne (dite centralisée), que nous avions initialement choisie pour nos deux vaccins.

C’est ainsi que l’autorisation a été obtenue le 13 novembre, et la vaccination avec Panenza a pu commencer en France quelques jours plus tard, avec les premières quantités que nous avions livrées. Nos livraisons se sont poursuivies, principalement en décembre. Au 1er janvier, nous étions, sauf erreur, le laboratoire qui avait livré le plus de doses à la France, soit 14 380 000 doses.

Le métier de Sanofi Pasteur, développer et produire des vaccins, est difficile. Être le mieux préparé possible et répondre de façon efficace à l’apparition d’une pandémie représentait, pour Sanofi Pasteur et pour tous ceux qui ont le même métier, un défi considérable. Il nous fallait répondre non seulement aux besoins en vaccin contre la grippe A(HlNl) mais aussi en vaccin saisonnier, pour l’hémisphère nord et pour l’hémisphère sud. Nous avons pu relever ce défi grâce à une mobilisation sans précédent de nos collaborateurs. Je suis fier de dire que notre société, dans laquelle je travaille depuis quarante ans, a mis toutes ses forces dans la bataille, en toute transparence et de manière parfaitement responsable.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. À quelle date le Panenza a-t-il été livré en France ?

M. Jacques Berger. Les vaccins ont été livrés la semaine du 12 novembre, mais ils ont été retenus puisque la DCP n’était pas à son terme.

M. le rapporteur. Le Panenza non adjuvanté est donc arrivé après le début de la campagne.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En effet, les femmes enceintes, convoquées en priorité, n’ont pas pu bénéficier du vaccin non adjuvanté les premiers jours. Confirmez-vous que ce retard n’était pas dû à un délai de production, mais à la délivrance de l’autorisation ?

M. Jacques Berger. Oui. L’enregistrement a été effectif le 16 novembre, très exactement.

M. Gérard Bapt. Le contrat prépandémique de 2005 portait-il bien sur 14 millions de traitements, donc 28 millions de doses ?

M. Jacques Berger. C’est cela. C’était une tranche optionnelle, portant sur 14 millions de traitements. On avait alors la conviction que deux injections étaient nécessaires.

M. Gérard Bapt. Au moment de la livraison, en novembre, ne saviez-vous pas qu’une seule dose était suffisante ?

M. Jacques Berger. Non. Cela n’a été confirmé par l’EMEA autour du 20 novembre.

M. Gérard Bapt. Vous avez développé un vaccin non adjuvanté aux États-Unis, sous une dénomination différente, qui était disponible dès le mois de septembre. L’obtention de l’AMM aux États-Unis a, semble-t-il, été beaucoup plus rapide qu’en Europe. Comment expliquez-vous ce retard de deux mois, retard d’autant plus regrettable que la population cible du Panenza était celle des enfants ?

M. Jacques Berger. Le vaccin produit aux États-Unis a été disponible cinq semaines avant le Panenza. Il y a une explication très simple à ce délai : en France, nous ne disposons que d’un seul bâtiment. Nous avons donc interrompu la production du vaccin saisonnier, que nous avions pris l’engagement de réaliser dans les quantités requises tant pour l’hémisphère Nord que pour l’hémisphère Sud, pour fabriquer quelques lots de vaccin H1N1 destinés aux études cliniques ; ce n’est qu’ensuite que nous avons pu débuter la production de Panenza. Aux États-Unis, l’un des deux bâtiments du site a pu être consacré immédiatement à la production du vaccin H1N1.

M. Gérard Bapt. Le délai n’est donc pas dû à l’obtention tardive de l’AMM.

M. Jacques Berger. Il y a une autre différence : aux États-Unis, le système de variation applicable pour passer d’une souche à l’autre ne nécessite pas de disposer au préalable des résultats des études cliniques. C’est la combinaison de ces deux facteurs qui explique que le vaccin américain ait été disponible plus tôt.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourriez-vous évaluer le retard dû aux différences de procédure en matière d’études cliniques ?

M. Jacques Berger. Techniquement, les études cliniques n’ont pas pu commencer en France avant le 18 août. La souche a été disponible dans les premiers jours de juin ; il a fallu ensuite réaliser le travail d’amplification, qui nécessite trois ou quatre semaines ; puis nous avons pu fabriquer des lots cliniques, naturellement soumis à divers contrôles. C’est alors que les études cliniques ont pu être lancées. Il a fallu attendre les résultats de l’administration de la première dose, puis ceux de la seconde injection. Ces derniers étaient nécessaires pour la finalisation du dossier DCP, qui est intervenue au tout début du mois de novembre. Nous avons ainsi reçu un avis favorable pour l’enregistrement le 13 novembre, et la licence a été confirmée le 16 novembre.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Combien de temps les études cliniques ont-elles duré ?

M. Jacques Berger. Elles ont débuté le 18 août. Nous avons reçu les derniers résultats dans les premiers jours de novembre.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est donc pas la phase de production qui a posé problème.

M. Jacques Berger. Les lots cliniques ont été fabriqués durant la deuxième quinzaine du mois de juin. Le processus pharmaceutique et réglementaire nécessaire pour que ces lots puissent être utilisables en études cliniques s’est achevé le 18 août.

M. Gérard Bapt. Alors qu’il s’avérait qu’une seule dose était suffisante, on a attendu les résultats des études cliniques sur la deuxième injection pour accorder l’AMM…

Votre capacité de production en France était insuffisante, étant entendu que l’on recommandait que les enfants et les femmes enceintes, publics prioritaires, reçoivent un vaccin non adjuvanté. Lors de votre audition par la mission d’information sur la grippe aviaire, présidée par M. Jean-Marie Le Guen et dont le rapporteur était M. Jean-Pierre Door, vous disiez déjà que votre capacité de production serait insuffisante dans le cadre d’une pandémie de type H5N1. Nous avions alors souligné la nécessité d’investissements supplémentaires et d’une aide de l’État. Ces investissements ont-ils été réalisés ? L’État français ou un autre État européen vous ont-ils aidé à accroître votre capacité de production ?

M. Jacques Berger. La réponse est non. Nous n’avons pas reçu d’assistance particulière des autorités pour accroître nos capacités. En revanche nous avons décidé nous-mêmes de les augmenter. Des usines sont en construction, depuis plusieurs années déjà, au Mexique et en Chine.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les vaccins qui y seront produits seront-ils en partie destinés à l’Europe ?

M. Jacques Berger. Le but est plutôt de produire là où il y a des besoins.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La production ne serait-elle pas mutualisée dans le cadre d’une pandémie ?

M. Jacques Berger. L’existence de ces unités libérera automatiquement des capacités dans les unités de production européennes pour répondre à nos propres besoins.

M. le rapporteur. Actuellement, quelle est votre capacité de production ?

M. Jacques Berger. En ce qui concerne le vaccin saisonnier, elle est d’environ 200 millions de doses par an.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Et qu’en est-il pour le vaccin H1N1 ?

M. Jacques Berger. Il est très difficile de le dire car le rendement est très différent selon la souche et selon la période pendant laquelle on procède à la fabrication. En 2009, nous disposions d’une « fenêtre de tir » entre la fin de la production du vaccin saisonnier destiné à l’hémisphère nord et le début de la production du vaccin saisonnier destiné à l’hémisphère sud. La situation aurait été différente si l’OMS nous avait demandé d’arrêter la production de vaccin saisonnier – que nous assurons à hauteur de 40 % des besoins mondiaux.

M. Gérard Bapt. Dès le contrat prépandémique, vous aviez expliqué aux membres de la mission d’information sur la grippe aviaire que, dans le cadre d’une pandémie, vous exigeriez d’être déchargés par les États de toute responsabilité relative au vaccin, hors défaut de fabrication et de transport. Tel fut bien le cas dans le cadre des avenants. Pensez-vous à l’avenir maintenir cette exigence ?

Aux États-Unis, les laboratoires publient systématiquement les conflits d’intérêts concernant les médecins en rapport avec les firmes. Il semble que les sociétés françaises, ainsi que l’Ordre des médecins, refusent cette pratique. Celle-ci a pourtant le mérite de couper court aux doutes qui peuvent se faire jour et nuire au succès d’une démarche de santé publique. Pensez-vous que Sanofi Aventis, au vu de ce qui s’est passé au cours des derniers mois, pourrait changer d’attitude et publier systématiquement les contrats de recherche ou d’essais qu’il passe avec des médecins français ?

M. Jacques Berger. Il n’a jamais été question de nous décharger de notre responsabilité. En revanche, nous avons considéré qu’un partage devait se faire entre les laboratoires et les autorités publiques : les laboratoires assument la responsabilité pharmaceutique, et les États doivent endosser celle qui est liée à l’organisation d’une vaccination de masse, laquelle peut déclencher l’association d’effets secondaires sans lien avec la vaccination. Cela n’est pas nouveau et apparaissait déjà dans le contrat signé en 2005.

Nous sommes sensibles à la question du lien d’intérêt, qu’il convient de distinguer du conflit d’intérêt. Le monde du vaccin est, en nombre de personnes impliquées, très réduit. Il y a de grandes chances que, souhaitant développer les meilleurs produits et donc faire appel aux meilleurs experts, nous consultions les mêmes que ceux dont les structures de santé vont demander l’avis avant de prendre une décision difficile. Ce n’est pas un problème si la transparence est assurée. Dans cette perspective, et bien avant la pandémie, Sanofi Aventis a fait en sorte que l’expert informe les structures avec lesquelles il travaille de sa collaboration avec notre société.

M. Gérard Bapt. Merck et Lilly publient eux-mêmes les contrats qu’ils passent avec les experts.

M. Jacques Berger. Nous serons favorables à tout ce qui permettra de garantir la transparence maximale, ne serait-ce que pour éviter des débats sans fondement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pensez-vous qu’il faille légiférer ou modifier la réglementation, ou les laboratoires peuvent-ils faire eux-mêmes le nécessaire ?

M. Denis Jacquat. Ils se heurteront au refus de l’Ordre des médecins.

M. Yves Bur. La transparence est en effet une question qu’il faudra trancher rapidement. Le débat existe au sein du Leem (Les entreprises du médicament) sur le sujet. L’adoption des mêmes règles qu’aux États-Unis permettrait de mettre fin aux suspicions. J’avais obtenu l’adoption d’un amendement visant à assurer la transparence des financements des associations, mais il apparaît que l’industrie du médicament accepte difficilement de publier la liste des bénéficiaires.

Le contrat de commande des vaccins faisait-il mention de délais ou de dates de livraison ? Avez-vous pu les respecter ou en avez-vous été empêchés par la durée de la procédure de certification ?

Vous avez eu des négociations sur le prix avec l’État français, mais aussi avec d’autres acheteurs dans le monde. Pourriez-vous nous faire parvenir un tableau comparatif de vos conditions commerciales ?

M. Jacques Berger. Les délais de livraison inscrits dans les contrats étaient indicatifs, pour une raison simple : beaucoup de paramètres étaient inconnus à ce stade – date de disponibilité des réactifs en provenance de l’organisation mondiale de la santé et des centres de référence et productivité de la souche, laquelle peut varier de 30 à 100 %.

Nous avons cependant fait des estimations et, comme on peut le lire dans les dispositions contractuelles publiées par la presse, nous avons dit que nous pensions effectuer la livraison en décembre. En fait, nous l’avons commencée en novembre et poursuivie, pour l’essentiel, en décembre. À la fin de l’année, il ne restait qu’un petit solde, qui a été livré dans la première semaine de février. A ma connaissance, je le répète, Sanofi Pasteur était au 1er janvier le laboratoire qui avait livré le plus de doses à la France.

Notre système de prix a été très simple. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous avons souhaité dès le départ qu’il soit raisonnable, et tel a bien été le cas puisque notre prix a été le plus bas de ceux qui ont été pratiqués. Le prix – 6,25 euros la dose, prix fait à la France – a été le même pour tous les acheteurs, la seule différence concernant le coût du transport, et exception faite de trois pays dans lesquels nous effectuons une dernière étape de production, qui ont bénéficié d’un prix un peu inférieur.

M. Yves Bur. Vous n’avez donc pas tenu compte du volume de la commande.

M. Jacques Berger. Non. Dès l’établissement de notre politique de prix, nous avons été fermes sur ce point. Enfin, pour les pays les plus pauvres, il y a eu application des règles du tier pricing et gestion par l’OMS de la donation que nous avons effectuée.

M. le rapporteur. Combien avez-vous produit de doses au total ?

M. Jacques Berger. Environ 200 millions, issues de nos sites américain et français.

M. le rapporteur. Comment la renégociation avec les autorités françaises s’est-elle passée ?

M. Jean-Paul Bacquet. Pourriez-vous également nous préciser combien vous avez vendu de doses, et éventuellement, combien vous en avez repris ?

M. Jacques Berger. Officiellement, la résiliation a été formulée le 4 janvier ; la chronologie est la suivante.

Lors d’une réunion en novembre avec le directeur de cabinet de la ministre de la santé, celui-ci m’a très clairement fait entendre que si nous avions l’opportunité de trouver de nouveaux acheteurs, le contrat que nous avions passé avec les autorités françaises serait revu à la baisse. Je n’avais pas pris d’engagement, mais c’était pour moi un engagement moral.

Le 23 décembre, ayant acquis – à tort – la conviction que nous allions pouvoir vendre ailleurs 9 des 28 millions de doses commandées, j’ai proposé aux autorités françaises de réduire la commande d’autant. Le 24 décembre après-midi, j’ai reçu la confirmation écrite que cette diminution était la bienvenue. Il était prévu qu’après les fêtes, le 4 janvier, nous finalisions cette décision dans un avenant au contrat. Mais avant de recevoir cet avenant, j’ai été informé par un coup de fil qu’il s’agirait d’une résiliation, qui allait être annoncée quelques heures après et qui porterait non pas sur 9, mais sur 11 millions de doses : le ministère nous imposait une réduction supplémentaire de 2 millions de doses par rapport à ce que j’avais proposé.

Nous étions prêts à une réduction volontaire de 9 millions de doses, pensant pouvoir les vendre ailleurs ; mais la décision des autorités françaises a eu un impact important : des pays avec lesquels nous avions des discussions les ont interrompues ou ont réduit leurs commandes, et un pays a annulé la sienne.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Lequel ?

M. Jacques Berger. La Grèce.

Une toute petite partie seulement des 11 millions de doses a pu être vendue. Les doses formulées ont été perdues. Un certain volume en vrac pourra être réutilisé pour la fabrication du vaccin saisonnier, l’OMS ayant pris la décision d’inclure la souche H1N1 dans les vaccins saisonniers destinés à l’hémisphère sud et à l’hémisphère nord.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il nous a été souvent expliqué que la décision de créer des centres de vaccination était liée à l’exigence des laboratoires de produire des vaccins en flacons multidoses. Il semblerait qu’aucun n’ait souhaité produire de monodoses, arguant de délais trop importants. Combien de temps supplémentaire fallait-il à votre entreprise pour le faire, sachant que le conditionnement en doses unitaires est d’usage pour les autres vaccins ?

M. Jacques Berger. Les monodoses sont destinées aux pays comme la France, mais les campagnes internationales de vaccination, assurées notamment par l’Unicef, utilisent des flacons multidoses, d’emploi et de conservation plus aisés.

Un laboratoire pharmaceutique n’a aucune raison de refuser de produire des doses unitaires s’il le peut, d’autant qu’elles seraient vendues plus cher. Mais le problème était celui de la capacité de production. La responsabilité d’un laboratoire comme le nôtre étant de mettre à disposition le plus rapidement possible la plus grande quantité possible d’un vaccin, le conditionnement en flacons multidoses s’imposait. Si nous avions dû produire des doses unitaires, nous aurions pris un très grand retard dans la livraison des quantités souhaitées. Je suis prêt à chiffrer ce délai. Il ne s’agir en rien de mauvaise volonté ; un conditionnement en doses unitaires n’aurait pas permis de répondre à l’enjeu de santé publique, et ses conséquences auraient été majeures si la pandémie s’était révélée sévère.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il serait souhaitable que vous puissiez nous transmettre votre estimation chiffrée.

Par ailleurs j’observe que le vaccin saisonnier, dont vous avez dû interrompre la chaîne de production, est conditionné en monodoses.

M. Jacques Berger. À ce stade, il s’agissait de vrac.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Néanmoins je ne comprends pas en quoi il était plus compliqué de produire le vaccin H1N1 en doses unitaires.

M. Jacques Berger. Nous n’avions pas une capacité de répartition en seringues unitaires suffisante, dès lors qu’il s’agissait d’aller le plus vite possible. Et il n’est pas pensable de se doter, pour répondre à un besoin ponctuel, d’unités de répartition qui resteraient ensuite inutilisées pendant des années. Par ailleurs, le coût du vaccin serait plus élevé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Merci de bien vouloir également nous communiquer par écrit une estimation de ce coût supplémentaire.

M. Jacques Berger. Les autorités françaises nous ayant fait savoir qu’il pourrait être utile de disposer d’un certain nombre de doses en seringue, nous en avons fourni 300 000 au début du mois de novembre, au même prix unitaire que les autres. Mais s’il avait fallu conditionner toutes les doses sous cette forme, le prix en aurait été affecté.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous livré d’autres doses unitaires ensuite ?

M. Jacques Berger. Non. Nous en avons produit 380 000 en tout, dont 80 000 à destination d’un autre pays.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vos unités de production vous auraient-elles permis de produire sous les deux conditionnements en même temps ?

M. Jacques Berger. Nous commençons par produire le vrac. Nous disposons ensuite de deux machines, l’une permettant la répartition en seringues unitaires, l’autre en flacons multidoses. Il s’agit de deux chaînes différentes. Mais nous avons indiqué très clairement aux autorités que le seul moyen de livrer rapidement les quantités demandées était le conditionnement en flacons multidoses.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La machine permettant la répartition en seringues unitaires ne pouvait-elle pas continuer à produire après la fabrication des 300 000 doses ?

M. Jacques Berger. Cela n’aurait pas suffi, compte tenu du temps réduit dont nous disposions.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Combien de vaccins monodoses contre la grippe saisonnière produisez-vous annuellement ?

M. Jacques Berger. Environ 140 ou 150 millions, mais la production est répartie sur l’ensemble de l’année.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce qui fait à peu près 12 millions en un mois…

M. Jacques Berger. Je comprends que ces estimations soient un élément important, et plutôt que de risquer de faire aujourd’hui une erreur, je préfère vous faire parvenir par écrit des éléments chiffrés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Notre seul objectif, comprenez-le bien, est de rechercher les moyens d’améliorer la gestion du risque pandémique.

M. Jacques Berger. Nous sommes tout à fait prêts à participer à cette analyse, disposant aussi d’une expertise dans ce domaine.

M. le rapporteur. Avez-vous commencé la production du vaccin trivalent ?

M. Jacques Berger. Dès le mois de décembre dernier.

Chaque année, pour la campagne de vaccin contre la grippe dans l’hémisphère nord, qui a lieu dans les derniers mois de l’année, les souches sont annoncées par l’OMS vers le 15 février, et la production de vrac et la mise sous forme pharmaceutique se déroulent jusqu’au mois d’août. Pour la campagne de l’hémisphère sud, nous sommes informés des souches dans le courant de la première quinzaine de septembre, nous débutons alors la production et les vaccins sont commercialisés durant les premier et deuxième trimestres de l’année.

Aussitôt la production du vaccin H1N1 terminée, nous avons, dès le mois de décembre 2009, repris la production du vaccin saisonnier à destination de l’hémisphère sud, dont la campagne est en train de se dérouler. Nous avons déjà commencé la production destinée à la campagne 2010 de l’hémisphère Nord. Dans les deux cas, nous produisons à la fois des vaccins saisonniers et des vaccins trivalents, ces derniers incluant pour la première fois la souche A(H1N1).

M. Gérard Bapt. Sachant que vous avez fourni à la mi-novembre 300 000 doses unitaires et que Novartis en a livré 500 000 fin novembre-début décembre, une campagne de vaccination décentralisée aurait été possible beaucoup plus tôt.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela paraît évident.

Monsieur Berger, que pensez-vous du nombre relativement faible de personnes qui ont fini par se faire vacciner ?

M. Jacques Berger. Comme tout le monde, j’ai été très frappé par la méfiance dont ont fait preuve les Français, en s’appuyant sur tout ce qui a pu être dit sur les adjuvants ou sur les vaccins en général. Je le regrette beaucoup, étant bien placé pour connaître les bénéfices de la vaccination.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Beaucoup de rumeurs ont été répandues, notamment sur la façon dont étaient produits les vaccins. Ne serait-ce qu’au regard de vos intérêts commerciaux, votre communication sur le sujet n’a-t-elle pas été défaillante ?

M. Jacques Berger. Sur le plan de la santé publique, mais aussi parce que c’est notre métier, nous serions bien sût très heureux que la couverture vaccinale, de manière générale, soit meilleure. Nous sommes prêts, là encore, à réfléchir avec les autorités aux moyens d’y parvenir.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. À l’occasion de cette pandémie, j’ai découvert, comme beaucoup de Français, que les vaccins comportaient généralement des adjuvants. Peut-être serait-il utile, pour couper court aux soupçons, que les laboratoires informent les citoyens sur la façon dont ils produisent les vaccins.

M. Jean-Paul Bacquet. J’ai un avis totalement opposé au vôtre, monsieur le président. Incontestablement, les nouveaux moyens de communication amplifient les arguments des opposants à la vaccination, qui ont toujours existé : que serait-il advenu du BCG si le drame de Lübeck était survenu à l’ère d’Internet ? Mais je pense que la mission d’éducation sanitaire revient entièrement aux pouvoirs publics et qu’il n’appartient pas aux laboratoires de communiquer en la matière. Cela ne ferait qu’aggraver la situation car cette initiative serait perçue comme une tentative de justification à visée commerciale.

Je regrette que les pouvoirs publics n’assument pas leur responsabilité en matière de vaccinations, qu’elles soient facultatives ou obligatoires. Il est anormal, par exemple, que des enfants puissent aller à l’école sans avoir reçu les vaccins obligatoires.

La non-adhésion des professionnels est responsable, en grande partie, de l’échec de cette campagne. Comment avez-vous perçu la médiatisation de leurs arguments ?

M. Jacques Berger. Nous avons tous constaté un problème majeur de communication, lié à l’utilisation par les opposants à la vaccination des nouveaux moyens que, nous-mêmes, nous n’avons pas la possibilité d’utiliser de la même façon. Les laboratoires sont-ils les mieux placés pour parler favorablement des vaccins ? J’en doute et je pense que cette démarche serait mal perçue. Je serais très favorable, en revanche, au lancement d’une réflexion sur le sujet, associant les acteurs concernés aux pouvoirs publics, car on voit circuler sur Internet des affirmations effarantes, notamment contre les laboratoires – qui, s’ils sont loin d’être parfaits, s’efforcent de bien faire leur travail.

M. Gérard Bapt. Puis-je vous suggérer, d’une part, de publier systématiquement les conflits d’intérêts et, d’autre part, d’assurer la transparence des contrats, que vous aviez dit couverts par le secret commercial avant de finalement tout révéler ?

M. Jacques Berger. Nous n’avions rien demandé en matière de confidentialité. Je me suis aperçu que le contrat que j’avais signé s’est retrouvé très vite dans la presse. Nous n’avons jamais communiqué sur ces aspects et nous ne nous le serions jamais permis, estimant que c’était aux autorités françaises de le faire si elles le décidaient.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les laboratoires ont demandé le huis clos à la commission sénatoriale, sous prétexte de confidentialité des contrats. J’ai, pour ma part, refusé le huis clos.

M. Jacques Berger. Pourtant, les contrats ont été publiés par la presse dès le mois de novembre et leur contenu peut être consulté sur l’Internet.

M. Gérard Bapt. C’est au sujet des clauses de la renégociation que les laboratoires ont demandé le secret.

M. Jean-Paul Bacquet. J’aimerais avoir une réponse à ma question sur la non-adhésion des médecins de vaccination. Les propos de certains d’entre eux n’ont fait que justifier les absurdités que l’on pouvait lire sur l’Internet.

Les médecins généralistes ont été totalement exclus de la campagne. J’avais, dès le départ, fait part au préfet de ma surprise de ne pas voir siéger un seul d’entre eux à la cellule de crise de mon département. L’enseignement post-universitaire est très déficient en France et n’est souvent assuré que dans des visées commerciales. Or une campagne de ce type exigeait une formation massive et immédiate des professionnels de santé. Il y a quelques années, une vaccination de masse contre la méningite a été organisée dans le Puy-de-Dôme ; elle s’est très mal passée parce que, là aussi, on a mis à l’écart les médecins, qui n’ont reçu ni information ni formation.

M. Jacques Berger. Les commentaires négatifs sur la vaccination formulés par des médecins jouissant d’une certaine autorité sont évidemment très dommageables car ils créent la cacophonie et offrent un appui aux groupes anti-vaccinaux.

Les professionnels de la santé sont, avec Internet et les médias, une source d’information des citoyens. Il me paraît important d’associer les médecins afin qu’ils soient les ambassadeurs de la vaccination. Dans le cas qui nous occupe, le fait que celle-ci ne soit pas passée par eux constituait une difficulté supplémentaire pour les mobiliser ; mais il faudra tirer de cette expérience les conclusions qui s’imposent.

M. Jean-Paul Bacquet. Si les médecins avaient été associés à la campagne, je suppose que vous auriez fait fonctionner votre réseau de visiteurs médicaux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse le maillon le plus vertueux de la chaîne médicale !

M. le rapporteur. Quel est le montant de l’indemnisation que vous avez reçue de l’État dans le cadre de la renégociation du contrat ?

M. Jacques Berger. La résiliation concernait, selon l’ÉPRUS, 2 millions de doses. Son impact financier est aisément chiffrable – il suffit de multiplier le nombre de doses par leur coût unitaire. Les propositions successives que nous avons faites n’ont pas été acceptées. Nous avons reçu il y a dix jours une notification de l’ÉPRUS indiquant que la compensation s’établira à 16 % de la valeur de la commande, soit 2 millions d’euros pour une commande qui représentait 12,5 millions d’euros.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourriez-vous nous indiquer le prix de revient d’une dose ?

M. Jacques Berger. Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Tous les coûts de ne sont pas encore identifiés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous deviez avoir une estimation du coût de revient lorsque vous avez fixé le prix unitaire.

M. Jacques Berger. C’était effectivement une estimation. Je rappelle que le prix que nous avons pratiqué – 6,25 euros – est inférieur à celui qui figurait dans le contrat de 2005 – 6,50 euros.

M. le rapporteur. Quel est le prix de la dose du vaccin saisonnier ?

M. Jacques Berger. En Europe, il se situe autour de 6 euros. Il est un petit peu plus bas en France.

M. Gérard Bapt. L’indemnisation porte-t-elle sur les 2 millions ou sur les 11 millions de doses que vous n’avez pas livrées ?

M. Jacques Berger. L’ÉPRUS considère qu’elle concerne les 2 millions dans la mesure où, quatre heures avant l’annonce officielle de la résiliation, j’avais moi-même proposé une réduction de 9 millions de doses, acceptée par les autorités.

M. Gérard Bapt. Votre coopération n’a pas été récompensée !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur Berger, je vous remercie.

La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.