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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A (H1N1)

Mercredi 28 avril 2010

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Philippe Chêne, président de Baxter France

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A (H1N1)

Mercredi 28 avril 2010

La séance est ouverte à dix-sept heures vingt-cinq.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) entend M. Philippe Chêne, président de Baxter France.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Philippe Chêne, président de Baxter France.

M. Philippe Chêne prête serment.

M. Philippe Chêne, président de Baxter France. C’est un plaisir et un honneur pour moi, en tant que président de Baxter France, d’être devant vous aujourd’hui, accompagné de M. Denis Cavert, responsable de notre division « biosciences », qui abrite les vaccins. Je m’efforcerai d’apporter des réponses à toutes vos questions. Je vais commencer par présenter très rapidement notre entreprise et le contexte dans lequel nous avons apporté notre contribution au plan de gestion de la pandémie H1N1.

Baxter est une entreprise globale d’origine américaine créée dans les années trente, qui emploie environ 47 000 personnes dans le monde, dont 340 en France sur notre site de Maurepas, dans les Yvelines. Nous sommes un laboratoire un peu atypique, dans la mesure où nous sommes spécialisés dans la fabrication de médicaments, mais aussi de dispositifs médicaux, dans les domaines de la nutrition, de la thérapie rénale et des biosciences, avec la production de médicaments dérivés du plasma. La plupart de nos produits sont de prescription hospitalière et s’adressent à des malades atteints de maladies graves et chroniques ou à des patients qui se trouvent en situation critique à l’hôpital.

Depuis quelques années, Baxter a investi aussi dans la prévention en mettant au point des vaccins, domaine dans lequel nous sommes désormais un acteur à part entière compte tenu des innovations que nous avons apportées.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Depuis combien de temps ?

M. Philippe Chêne. Depuis le début des années quatre-vingt-dix pour l’activité de recherche et depuis 2006, sur notre site européen de Bohumil en République tchèque, pour la production de vaccins à partir de la technologie de culture cellulaire.

Nous avons développé un vaccin pandémique, appelé Celvapan, qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché de la Commission européenne le 7 octobre 2009. Ce vaccin a la particularité d’être produit sur culture cellulaire et non sur œuf – et il ne contient pas d’adjuvant. On a toujours considéré que cette technologie était complémentaire de la culture sur œuf. Elle offre un double avantage : elle permet la mise à disposition de vaccins commerciaux dans des délais plus rapides (en général douze semaines) ; elle permet aux autorités de diversifier leurs approvisionnements et, éventuellement, de s’affranchir de produits cultivés sur œuf, ce qui constitue un avantage non seulement en cas de virus aviaire, mais aussi pour les patients allergiques aux protéines d’œuf. Celvapan a été le premier vaccin sans adjuvant élaboré à partir de la technologie de production sur cellules Vero à obtenir une autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne.

Concernant notre contribution au plan Pandémie mis en place par les autorités françaises, on nous a expressément demandé l’été dernier de livrer le plus grand nombre de vaccins possible. Nous avons été sollicités en raison des avantages que représente notre technologie – disponibilité plus rapide, absence de protéines d’œuf et absence d’adjuvant.

Nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour répondre à la demande de la France, bien qu’il n’y ait pas eu de contrat de préréservation : nous avions travaillé entre 2005 et 2009 avec les autorités sanitaires pour faire connaître notre technologie, mais cela n’avait pas débouché sur la signature d’un tel contrat.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-ce parce que l’État ne le souhaitait pas ?

M. Philippe Chêne. Je pense qu’une évaluation avait été faite du potentiel des différentes sociétés, ainsi que de l’état d’avancement de la culture cellulaire. C’est une technologie récente, qui ne permet pas pour l’instant, eu égard à nos capacités, de produire des volumes très importants. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons toujours présenté notre offre comme complémentaire et non pas concurrente des autres en termes de volumes disponibles ; mais un tel avantage n’a sans doute pas été pris en compte.

Le 10 août dernier, nous avons signé un contrat avec l’EPRUS, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, sur le fondement de l’article 3-7 du code des marchés publics, contrat aux termes duquel nous mettions à disposition de l’État 50 000 doses de notre vaccin Celvapan en multidoses. C’est évidemment un contrat d’appoint par rapport à la quantité commandée par le Gouvernement : il représentait 0,05 % du total.

Les 12 000 premières doses sont arrivées sur le territoire national le 29 août, sur notre site de Maurepas, lequel avait été sécurisé à la demande des autorités. L’EPRUS en a pris possession le 27 octobre. L’enregistrement de ce vaccin était intervenu le 7 octobre. Nous avons livré le solde, soit 38 000 doses, le 10 décembre. À cette date, notre contrat était ainsi honoré, les 50 000 doses ayant été livrées et payées par l’EPRUS. Nous n’avons donc pas été concernés par les résiliations de commandes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi ne pouviez-vous pas produire ces 50 000 doses en monodoses ?

M. Philippe Chêne. Celvapan est un vaccin pandémique, dont la production a été organisée pour répondre à cette caractéristique. Nous avions des contrats de réservation avec d’autres États, prévoyant une livraison en multidoses. Les 50 000 doses livrées aux autorités françaises ont été prélevées sur ces contrats de réservation ; elles n’ont pas été produites spécifiquement pour la France.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Au total, combien avez-vous produit de doses de vaccin ?

M. Philippe Chêne. Nous en avons livré en Europe, sur l’ensemble de la période, environ 11 ou 12 millions.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Et aux États-Unis ?

M. Philippe Chêne. Nous n’en avons pas livré, du fait que l’enregistrement est européen. En revanche, nous avions des contrats de réservation avec la Nouvelle-Zélande et d’autres pays hors Europe qui reconnaissent les enregistrements européens.

M. Gérard Bapt. Y a-t-il eu des résiliations de la part d’autres pays ?

M. Philippe Chêne. Je ne crois pas que l’on puisse parler de résiliations au sens de celles qui ont eu lieu en France. Tous les pays avec lesquels nous avons travaillé, hormis la France, avaient conclu un contrat de réservation, lequel comportait des clauses d’ajustement à différents stades de la pandémie. C’est ainsi que la Grande-Bretagne, à laquelle était destinée la plus grande partie de notre production, avait la possibilité, par contrat, de moduler les volumes en fonction des besoins.

M. Gérard Bapt. Le principe de responsabilité, qui a été transféré à l’État pour cause de circonstances exceptionnelles, sauf problèmes de production ou de logistique, est-il à vos yeux intangible pour l’avenir ?

M. Philippe Chêne. Oui, mais les vaccins, notamment pandémiques, sont des produits de santé un peu particuliers. Notre responsabilité pharmaceutique est totale, au sens où nous nous engageons à produire des vaccins et des médicaments de qualité conforme au dossier d’enregistrement. En revanche nous n’avons aucune influence sur les stratégies, l’organisation des campagnes, les conditions de vaccination ; il est donc très difficile pour les laboratoires d’assumer ce type de responsabilité.

M. Gérard Bapt. Pour des raisons de transparence sur les éventuels conflits d’intérêts, deux firmes américaines, Merck et Lilly, ont décidé de publier systématiquement les contrats passés – quelle qu’en soit la nature – avec des médecins. Est-ce que votre société, qui est américaine, applique les mêmes règles aux États-Unis ? Qu’en est-il en Europe ?

M. Philippe Chêne. C’est un sujet sensible, sur lequel nous devons travailler tous ensemble. En tant que société américaine, nous avons un code de conduite et des procédures très strictes, visant à déconnecter les relations avec les experts, dans leur domaine d’expertise, de tout intérêt commercial.

La législation française existante, si elle est appliquée, peut être assez efficace ; tous ces contrats doivent être déclarés au Conseil de l’Ordre.

M. Gérard Bapt. Qui ne les publie pas…

M. Philippe Chêne. Même si je ne suis que président de la filiale française de Baxter, je pense pouvoir dire que notre entreprise est très ouverte à ce type de publication.

M. Gérard Bapt. Concernant la transparence, se pose aussi le problème du secret commercial et industriel. J’avais correspondu avec vous lorsque j’étais allé étudier les contrats à l’EPRUS ; votre société était celle qui occultait le plus largement son contrat. Vous étiez mis en accusation de tous côtés et je vous avais demandé quel était l’intérêt pour vous de maintenir cette opacité. Vous aviez interrogé votre maison mère et, trois jours après, vous aviez libéré toutes les clauses de confidentialité – et je vous en rends hommage. Ne croyez-vous pas que ce devrait être systématique ? Quel avantage commercial ou industriel une firme pourrait-elle retirer du fait d’avoir accès à un contrat dans lequel les processus de production ne sont pas indiqués ?

M. Philippe Chêne. Je vous remercie d’avoir rappelé que, notamment à la suite de nos échanges, j’avais décidé de lever la confidentialité sur l’ensemble du contrat, en obtenant pour cela l’accord de la maison mère et une décision symétrique de l’ÉPRUS.

Par principe, en général, nous ne dévoilons pas nos contrats commerciaux. Mais compte tenu de la sensibilité de ce type de contrat et de la suspicion que la non-transparence provoque – alors qu’il n’y a pas grand-chose dans ces contrats –, à titre personnel, je n’aurais aucun problème à lever le voile.

M. le rapporteur. Je reviens à votre vaccin sur culture cellulaire. Quel était le prix de la dose ?

M. Philippe Chêne. 10 euros. C’est le prix que nous avions évoqué dès 2005 lorsque nous avions commencé à travailler avec les autorités de santé sur des contrats de réservation.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le prix a-t-il été identique pour tous les pays ?

M. Philippe Chêne. Grosso modo, oui, mais l’économie des contrats n’est pas tout à fait la même partout. Dans certains pays, nous avons des contrats de pré-réservation. Cela signifie que, dès le départ, nous nous engageons à mettre à disposition un pourcentage de notre capacité, les personnels et les matériels qui seront nécessaires à une production de masse rapide ; des fees sont payés très régulièrement, en amont des crises, ce qui nous permet d’entretenir l’outil de production. De ce fait, le prix unitaire de la dose vendue lorsque la pandémie est déclarée peut varier un peu en fonction des montants déjà réglés dans le cadre des contrats de pré-réservation.

M. Yves Bur. Il ne s’agit donc pas de remises en fonction du volume.

M. Philippe Chêne. Je n’ai pas en tête les prix exacts retenus dans chaque cas mais les contrats étaient à peu près identiques en termes de valeur.

M. le rapporteur. Baxter est un nouveau venu dans le domaine du vaccin. Allez-vous développer des vaccins saisonniers, en particulier le fameux vaccin trivalent ?
Pourra-t-on le faire sur culture cellulaire ?

M. Philippe Chêne. L’objectif est effectivement d’entrer sur le marché des vaccins saisonniers dès l’automne 2010 en Europe. La commission des affaires sociales du Sénat s’étant étonnée qu’une société américaine teste ses vaccins en Europe et pas aux États-Unis, je souligne que le centre de recherches qui a mis au point la culture cellulaire est en Autriche, à Vienne ; nous avons construit en République tchèque l’usine qui produit le vrac, et la formulation finale et le conditionnement du vaccin se font à Vienne. C’est donc tout naturellement que nous avons d’abord postulé pour les enregistrements européens.

Nous allons lancer un vaccin saisonnier produit par culture cellulaire. Nous avons un programme de développement en Asie et en Amérique du Nord, et nous envisageons de renforcer nos capacités en Europe.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous prévu de développer le vaccin trivalent ?

M. Philippe Chêne. Oui, sur culture cellulaire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Votre réponse concernant les prix me paraît trop floue. Nous serions intéressés de savoir si l’État français vous a sollicités pour d’éventuelles pré-réservations d’autres pandémies. Mais surtout, puisque vous dites qu’en cas de pré-réservation, on vous verse régulièrement une certaine somme pour entretenir l’outil de production – ce qui n’avait pas été évoqué par le représentant de Sanofi que nous venons d’entendre –, pourriez-vous nous préciser quelle proportion de la dépense il faudrait consacrer à cette réservation pour pouvoir, ensuite, obtenir rapidement et à un prix moindre les doses nécessaires ?

Nous risquons en effet d’être un jour confrontés à une pandémie plus grave. Pour faciliter les campagnes de vaccination, il faudrait améliorer nos capacités de production. J’aimerais donc savoir à quel coût il serait possible d’adapter par avance l’outil industriel.

J’imagine que lorsque vous produirez des vaccins saisonniers, ce coût de pré-réservation sera moindre.

M. Philippe Chêne. Si d’autres n’ont pas évoqué ces coûts, c’est bien, en effet, parce que leur outil de production était solvabilisé par l’existence d’une activité saisonnière, ce qui n’était pas notre cas. Nous allons entrer sur le marché des vaccins saisonniers à l’automne prochain, mais cela ne mobilisera d’ailleurs pas l’ensemble de notre capacité.

Je ne saurais cependant pas vous dire aujourd’hui la part exacte que représentent ces coûts.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est pourquoi nous souhaiterions une réponse par écrit.

M. Philippe Chêne. Vous m’avez également demandé si nous avions été sollicités par les autorités pour un contrat de pré-réservation : pas encore, mais nous avons initié un contact en ce sens la semaine dernière.

M. Gérard Bapt. J’ai lu que, dans le vaccin, le plus cher était l’adjuvant, et le moins cher l’antigène. Est-ce exact ? Vous produisez sans adjuvant. Or il n’y a pas de grosse différence de prix.

Vous produisez également des vaccins contre le méningocoque. S’agit-il de culture cellulaire ?

M. Philippe Chêne. Non.

M. Gérard Bapt. Sur œuf ?

M. Philippe Chêne. Non plus.

M. Gérard Bapt. Concernant le vaccin qui nous occupe aujourd’hui, vous dites avoir livré 11 à 12 millions de doses en Europe. Quelles ont été les données de la pharmacovigilance ? Des doutes avaient été émis, notamment en Allemagne, sur le caractère risqué de la production par culture cellulaire.

M. Philippe Chêne. L’utilisation de la culture cellulaire dans la production de vaccins pandémiques et/ou saisonniers est nouvelle, mais la technologie de la culture cellulaire a été développée dans les années quatre-vingt-dix et a été utilisée, par exemple, pour produire des vaccins antivarioliques de deuxième génération – que l’on avait d’ailleurs proposés à la France à l’époque, dans le cadre du plan Biotox. Ces vaccins antivarioliques ont été achetés par certains pays européens, dans le cadre de la lutte contre le bioterrorisme, à la suite des attentats du 11 septembre, et nous en avons livré entre 200 et 220 millions de doses au gouvernement américain. De nombreuses études cliniques ont été réalisées sur cette technologie.

Sur l’ensemble des 11 millions de doses que nous avons livrées, il est très difficile pour nous de savoir combien ont été réellement utilisées. On peut néanmoins penser que quelques millions de doses l’ont été. À ma connaissance, aujourd’hui, les rapports de pharmacovigilance ne font état que d’effets secondaires connus de la vaccination grippale ou de la vaccination en général, tels que fièvre, fatigue, douleur au niveau du site d’injection ou maux de tête. La semaine dernière, nous avons d’ailleurs eu confirmation de l’avis favorable – non encore publié – de l’EMEA pour une autorisation de mise sur le marché définitive, et non plus uniquement dans le cadre de la crise pandémique. On peut donc être rassuré sur la culture cellulaire.

S’agissant du détail des coûts de production, l’adjuvant coûte probablement cher parce qu’il est conditionné séparément ; mais je peux difficilement, dans ma position, comparer les coûts des modes de fabrication par culture cellulaire et par culture sur œuf.

M. Jean-Paul Bacquet. Les médecins ont peu adhéré à la campagne de vaccination. Y voyez-vous une réaction d’humeur liée à la décision de ne pas les y associer, ou la manifestation du fait qu’ils ne considèrent plus la vaccination comme indispensable ?

M. Philippe Chêne. J’espère que c’est une réaction d’humeur. Dans le pays de Pasteur, on doit se souvenir que la vaccination a pu éradiquer des maladies graves. Quant aux effets indésirables des vaccins, nous disposons dans nos pays développés de systèmes de pharmacovigilance qui permettent de les suivre de façon très précise. On insiste beaucoup sur la nécessité de développer les actions de prévention, ne serait-ce que pour des questions de coût ; or les vaccins font aussi partie de la prévention, aussi bien que les campagnes anti-tabac ou anti-alcool. Ils doivent retrouver leur place, y compris en France. Un sondage montre que 70 % des Français en ont peur : je trouve cela dramatique, non seulement en tant qu’industriel, mais aussi en tant que citoyen.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures.