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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mardi 11 mai 2010

Séance de 20 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Paul Castel, directeur général des Hospices civils de Lyon, président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mardi 11 mai 2010

La séance est ouverte à vingt heures.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Paul Castel, directeur général des hospices civils de Lyon, président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Paul Castel, directeur général des hospices civils de Lyon, président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires.

M. Paul Castel prête serment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. On nous a précédemment indiqué que la vaccination s’était remarquablement bien déroulée à Lyon et, plus généralement, dans le département du Rhône, et que les relations entre l’administration préfectorale, les administrations locales, les représentants du monde médical et les milieux hospitaliers avaient été très bonnes. Même si vous n’avez pas été directement impliqué, pouvez-vous nous dire, à partir de cette expérience, quelles sont les clés d’une vaccination réussie ?

M. Paul Castel, directeur général des hospices civils de Lyon, président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires. Je ne sais pas si les choses se sont remarquablement bien passées, mais j’ai le sentiment qu’il y a eu un gros investissement et un engagement civique de tous les acteurs ainsi que, au sein des quinze établissements des hospices civils de Lyon, une forte mobilisation du corps médical, des personnels soignants et de tous nos partenaires internes et externes afin de faire face à une charge de travail importante. Le préfet délégué à la sécurité avait organisé un système de pilotage hebdomadaire avec un responsable médical et un responsable soignant et à aucun moment, lors de ces réunions, je n’ai senti, en dépit de certaines périodes de saturation, le moindre sentiment de « ras-le-bol ».

Je crois aussi que le message est bien passé au sein des hospices civils grâce à l’engagement personnel d’éminents médecins qui nous ont aidés à mobiliser la communauté médicale et soignante. Le taux de vaccination des médecins a ainsi dépassé 60 %, tandis qu’il était de 26 % chez les infirmières et les aides soignants, chez qui nous nous sommes heurtés à un certain scepticisme, d’ailleurs relayé par les syndicats, au motif que le mot d’ordre venait de la direction et que la vaccination aurait en fait été destinée à éviter de trop nombreux arrêts de travail…

Au cours de cette période, les internes, les étudiants et les élèves infirmiers ont eu une attitude formidable.

Nous avons par ailleurs accompli un important travail d’organisation, en coopération avec les autorités départementales – si ce n’est à leur place – pour ce qui avait trait au planning.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il nous a déjà été rapporté que des internes et les étudiants en médecine avaient parfois été contraints de suppléer le personnel des directions régionales des affaires sanitaires et sociales.

M. Paul Castel. Certains ajustements techniques ont été nécessaires. Nous avons eu des discussions et le préfet nous a écoutés, mais il est vrai que nous disposions d’une certaine expérience et que notre implication a sans doute permis d’améliorer la réactivité. Nous voulions aussi éviter une certaine désorganisation qui aurait pu conduire à ce qu’un interne volontaire trouve le centre de vaccination fermé au moment où il s’y présentait.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vos services n’ont donc pas été désorganisés, en particulier parce que vous vous êtes impliqués dans l’organisation du dispositif, allant parfois jusqu’à vous substituer aux autorités.

M. Paul Castel. Nous ne nous sommes pas substitués aux autorités, avec lesquelles nous avons travaillé en parfaite complémentarité. Nous avons apporté notre expérience et nos capacités aux exécutants parce que nous sentions qu’il était parfois nécessaire, sur le plan technique, que nous intervenions à leur place, par exemple dans l’établissement des plannings, tout simplement parce qu’il s’agissait davantage de nos métiers que des leurs.

La situation a parfois été tendue dans les centres, notamment au début quand les files d’attente étaient importantes et il nous a alors fallu mobiliser davantage de personnel, sans que cela ne désorganise à aucun moment le fonctionnement de l’hôpital.

Avec le recul, je me réjouis que l’hôpital n’ait pas été appelé à intervenir immédiatement dans la vaccination car cela aurait davantage provoqué des dysfonctionnements majeurs, avec l’annulation d’une partie de notre activité et des conséquences pour les consultations et les urgences. Je craignais beaucoup de telles situations qui, fort heureusement, ne se sont pas produites.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Les centres de vaccination étaient donc en dehors de l’hôpital. Vous y avez envoyé régulièrement des internes et des étudiants. Ces derniers n’ont-ils jamais rechigné à s’y rendre ?

Par ailleurs, à quelle date avez-vous commencé à pratiquer des vaccinations au sein des hôpitaux ?

M. Paul Castel. Les vaccinations hospitalières ont été ouvertes au public dès le 9 décembre 2009. Mais auparavant, nous avions déjà ouvert la vaccination aux familles et aux proches des personnels soignants, même lorsqu’ils se présentaient sans bon de vaccination. Il nous semblait en effet essentiel de vacciner ces personnes dont le nombre n’a pas été négligeable.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le directeur général de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris nous a dit sensiblement la même chose : au-delà des personnels soignants, avant ou juste après le lancement de la campagne de vaccination générale, on a vacciné à l’hôpital des personnes qui n’avaient pas reçu de bon puisqu’elles n’étaient pas prioritaires et qui venaient de leur propre initiative.

Certes, cela s’est aussi produit dans les centres de vaccination, mais on ne comprend du coup pas bien ce que vous nous dites quant au risque de perturbation de votre activité : cette dernière aurait-elle été davantage affectée quand vous envoyiez vos internes dans des centres de vaccination extérieurs ou si vous leur aviez demandé d’y consacrer un peu de leur temps, au sein de votre établissement ?

M. Paul Castel. C’est pour l’essentiel sur la base du volontariat que médecins et internes se sont rendus dans les centres de vaccination. Nous nous organisions afin que leurs plages horaires de travail au sein de l’hôpital soient assurées par eux-mêmes ou par des personnes qui se substituaient à eux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela aurait donc pu être fait au sein de l’hôpital où ils exerçaient.

M. Paul Castel. Non, car à l’hôpital il fallait continuer à accueillir les urgences, qui sont, chaque année, au nombre de 315 000 au sein des hospices civils de Lyon, auxquelles s’ajoutent 70 000 urgences pédiatriques. Nous avons pu maintenir notre organisation du travail tout en consacrant des moyens humains à la vaccination. Tout n’a pas été idyllique, mais les choses se sont globalement bien passées alors que, quand le cabinet de la ministre et le préfet nous ont demandé de prévoir la vaccination dans nos établissements, nous avons véritablement craint de ne pas pouvoir maintenir simultanément nos activités, ne serait-ce que parce que la vaccination exigeait des locaux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il s’agissait donc d’un problème immobilier.

M. Paul Castel. Non, cela aurait exigé aussi du personnel administratif…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il aurait suffi que le personnel qui s’est rendu dans les gymnases se rendît à l’hôpital. Et, pour la population, il paraît plus normal de se faire vacciner à l’hôpital que dans un gymnase…

M. Paul Castel. Peut-être, mais cela aurait fait peser un risque sur le fonctionnement de l’hôpital. Là, les choses se sont faites de façon pragmatique et étalée, et je porte un jugement positif sur cet étalement.

M. le rapporteur. À la fin du mois de décembre et au début du mois de janvier, lorsque l’on a organisé les vaccinations intra-hospitalières, vous avez bien dû mettre des locaux à disposition. Il aurait suffi de le faire plus tôt…

M. Paul Castel. Bien que les hospices civils et la préfecture l’aient annoncée dans la presse, la vaccination intra-hospitalière n’a pas drainé vers l’hôpital le même flux que lors du pic de la demande dans les gymnases. Ainsi, à l’hôpital Édouard Herriot, il nous a suffi d’aménager rapidement un bâtiment. Mais même cela n’a pas été sans difficulté : à l’arrivée des premiers patients, le préfet délégué à la sécurité et moi-même avons constaté que l’accès des personnes handicapées n’était pas possible.

Je ne dis pas qu’il est impossible de vacciner à l’hôpital, mais cela nécessite une organisation particulière et risque, notamment en début de période hivernale, de se conjuguer avec nos difficultés habituelles liées aux affluences aux urgences, à l’insuffisance de lits et au manque de fluidité faute de place en soins de suite.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Votre appréciation diffère radicalement de celle du directeur de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et cela alimentera notre réflexion.

M. le rapporteur. Avez-vous été amenés à envoyer des internes et des externes en dehors de l’agglomération lyonnaise ? Pouvez-vous par ailleurs nous indiquer comment s’est passée l’indemnisation de ces personnels ?

M. Paul Castel. Nous nous sommes rapidement mis d’accord avec l’autorité préfectorale pour limiter la mobilité de notre personnel au Grand Lyon et à la proche périphérie. En dehors de quelques dépannages très ponctuels, nous ne sommes ainsi pas allés jusque dans l’Ain, département pour lequel nous nous sommes tournés vers l’hôpital de Bourg-en-Bresse. Nous nous sommes également mis d’accord avec les hôpitaux de Villefranche-sur-Saône et de Valence. De la sorte, il n’y a pas eu de problèmes de déplacement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Tout cela a donc été négocié au sein de votre comité de pilotage hebdomadaire. Tel n’a manifestement pas été le cas à Paris, ce qui a conduit à envoyer des personnels assez loin.

M. Paul Castel. En effet, nous nous sommes mis d’accord avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

Cette dernière ayant parfois été un peu lente à valider les certificats de service fait, qui seuls permettent aux comptables publics d’effectuer des paiements, il y a eu quelques retards dans l’indemnisation. Mais cela n’a pas suscité de récriminations.

Nous avons d’ailleurs beaucoup insisté auprès des autorités sur la nécessité de ne pas décourager les jeunes médecins volontaires.

M. Gérard Bapt. Les répartiteurs pharmaceutiques nous ont dit qu’ils vous avaient livré les doses de vaccin, mais qu’ils n’avaient pas récupéré celles qui n’avaient pas été utilisées. Les détenez-vous toujours en stock où les avez-vous rapatriées vers l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires ? Pouvez-vous nous indiquer le nombre de vaccins qui vous ont été livrés et de ceux que vous conservez en stock ?

M. Paul Castel. Je ne dispose pas ici des chiffres, mais je pourrai vous les communiquer ultérieurement et vous indiquer plus précisément ce que sont devenus les vaccins non utilisés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Préalablement à la vaccination, les hôpitaux ont été approvisionnés en masques et en antiviraux. Comment les choses se sont-elles passées ? Avez-vous été informés préalablement ? Vous a-t-on fait payer tout cela ?

Au-delà, la grippe A(H1N1) a-t-elle eu pour les établissements de santé un coût qu’il leur faut désormais assumer ?

M. Paul Castel. On nous a livré de grandes quantités de ces matériels, sans véritable évaluation préalable de nos besoins, mais en concertation avec les équipes de nos pharmacies pour la localisation des livraisons. Cette préparation en amont a évité des difficultés.

S’agissant du coût de l’opération, nous avons perçu une première dotation de 400 000 euros, mais nous avons demandé un complément car nous estimons que le coût global, incluant celui des examens biologiques, a atteint 2,9 millions d’euros.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. S’agit-il uniquement des prélèvements biologiques qui ont été pendant un temps systématiquement réalisés pour vérifier que les patients étaient effectivement atteints de la grippe A(H1N1), ou aussi des examens auxquels on a procédé ultérieurement, lorsque l’épidémie s’est développée et que l’on a renoncé à cette détection systématique ?

M. Paul Castel. Nous avons communiqué à l’agence régionale de santé le coût de l’ensemble des examens biologiques liés à la grippe A(H1N1) ; je suis dans l’incapacité de dire s’ils ont été plus importants lors de la période à laquelle vous avez fait référence.

M. le rapporteur. A-t-on procédé à un dosage biologique pour tous les patients ?

M. Paul Castel. Je l’ignore. Mais je vous communiquerai le détail, en distinguant les deux périodes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous aujourd’hui la possibilité d’utiliser les masques et les produits hydro-alcooliques stockés à l’occasion de l’épidémie ?

M. Paul Castel. Je vérifierai le nombre de masques toujours en stock. Nous en avions d’ailleurs déjà auparavant et il y a donc un problème de péremption. Sans doute pourrons-nous en écouler un peu, mais je ne puis vous dire dans quelle proportion.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Au total, pensez-vous que les modalités retenues par les pouvoirs publics pour la campagne de vaccination ont été satisfaisantes et efficaces ?

M. Paul Castel. Globalement, oui. Il est facile de dire a posteriori que les choses auraient pu être mieux faites, mais on ignorait comment la situation allait évoluer et on a logiquement agi dans un souci de précaution. Vues depuis l’hôpital public, je trouve que les choses se sont bien passées. En tant que président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires, j’ai d’ailleurs interrogé mes collègues à ce propos et la quinzaine d’entre eux qui m’a répondu partage mon évaluation positive.

Les réunions hebdomadaires, voire bihebdomadaires, ont facilité la coordination et évité, du moins à Lyon, toute opposition entre les services de santé et la préfecture.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Aujourd’hui, la campagne de vaccination semble avoir été un échec parce que l’on a vacciné bien moins de personnes qu’on ne le prévoyait. Pensez-vous qu’il serait possible d’améliorer certaines choses si nous devions affronter à nouveau une pandémie conduisant à vacciner une part importante de la population ?

M. Paul Castel. On a pu constater des lourdeurs, en particulier dans les procédures mises en œuvre par l’Assurance maladie, dont on peut comprendre qu’elles visaient à garantir la sécurité mais qui ont été trop administratives, ont pris beaucoup de temps et ont entraîné des erreurs. Ainsi, l’idée que les choses étaient compliquées s’est répandue de bouche à oreille et cela a eu un effet dissuasif. Il y aurait sans doute là des choses à changer.

Peut-être pourrait-on aussi envisager d’impliquer les établissements de soins privés, même si l’hôpital public a tiré une certaine fierté d’être appelé à exercer ces missions de service public.

Nos craintes d’être submergés se sont révélées assez largement injustifiées : nous n’avons pratiquement pas été amenés à déprogrammer nos activités.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Peut-être parce qu’il y a eu peu de cas graves…

M. Paul Castel. En effet : il y a eu dix décès à Lyon.

Nous étions parfois à la limite de nos capacités en réanimation, mais nous avons reçu des dotations satisfaisantes en équipements de respiration et nous n’avons jamais été en situation de rupture.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Globalement, assez peu de personnes ont été hospitalisées par rapport à ce que l’on pouvait craindre. Or, vous nous dites que vous étiez à la limite de la rupture : que se serait-il passé si vous aviez dû accueillir des milliers de personnes en détresse respiratoire comme on l’annonçait ?

M. Paul Castel. Il aurait fallu déprogrammer et décaler une série d’activités qui ont quand même été réalisées au cours de cette période. Nous y avions été préparés à l’occasion de simulations, qui se sont déroulées au cours de la première phase du plan de lutte contre la pandémie grippale, d’avril à la fin du mois de juillet, à partir des informations en provenance de l’hémisphère sud, mais nous n’y avons pas été acculés. C’est aussi au cours de cette première phase que nous avons, à la demande du ministère de la santé, organisé le pilotage des opérations et mobilisé nos équipes.

Nous sommes ensuite passés à une phase plus active et plus opérationnelle, en particulier avec l’acheminement des médicaments. La phase suivante a été celle de la vaccination des personnels et des populations à risque, avant que nous en venions à la vaccination externe.

M. le rapporteur. Je suppose qu’en tant que président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires, vous avez eu des contacts avec vos collègues. Ces derniers partagent-ils l’impression que vous venez de nous livrer ?

M. Paul Castel. En effet, nous avons eu des échanges, dont je pourrai vous transmettre la teneur. On y retrouve peu ou prou ce que je viens de vous dire, la situation n’ayant pas paru particulièrement compliquée dans les grandes métropoles, à l’exception de Paris.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Merci beaucoup, professeur, d’avoir participé à cette audition.

La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.