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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 12 mai 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. John Ryan, chef de l’unité « Menaces sur la santé » au sein de la direction générale de la santé de la Commission européenne, de M. Patrick Le Courtois, membre de l’agence européenne du médicament, et de M. Denis Coulombier, membre du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE
LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 12 mai 2010

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d’enquête)

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La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. John Ryan, chef de l’unité « Menaces sur la santé » au sein de la direction générale de la santé de la Commission européenne, M. Patrick Le Courtois, membre de l’Agence européenne du médicament, et M. Denis Coulombier, membre du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je remercie tous les participants d’avoir répondu à l’invitation de la commission d’enquête parlementaire sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) en France.

Je signale aux membres de la commission que, bien entendu, il a été demandé à un représentant de l’Organisation mondiale de la santé de bien vouloir exposer la stratégie de celle-ci devant la commission, au besoin par visioconférence. Mais, après réflexion, l’Organisation mondiale de la santé a décliné l’invitation. Je le regrette profondément : un acteur essentiel des campagnes de vaccination, leur « déclencheur », ne s’exprimera pas devant nous et n’aura donc pas l’occasion d’expliquer sa stratégie, ce qui risque d’alimenter certaines suspicions.

Il nous a été indiqué qu’il était de tradition, pour cette organisation, de ne jamais répondre aux commissions parlementaires nationales et qu’elle menait ses propres enquêtes. Cette réponse n’est guère satisfaisante !

M. Gérard Bapt. Le Parlement européen, lui, a pu mener une enquête.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En revanche, d’autres ont bien voulu se déplacer et c’est avec eux que nous allons aborder la question des recommandations internationales en matière de lutte contre les pandémies, notamment contre la grippe A(H1N1).

Messieurs, je vous propose de décrire votre rôle, notre commission attendant aussi de vous un avis, nourri des différentes expériences nationales, sur l’organisation de la campagne de vaccination en France et sur son bilan, que nous avons estimé suffisamment décevant pour nous pencher sur la question.

M. John Ryan, chef de l’unité « Menaces sur la santé » au sein de la direction générale de la santé de la Commission européenne. Je remercie votre commission de m’offrir la possibilité de présenter la position de la Commission européenne concernant de la gestion de la pandémie au niveau de l’Union européenne.

Permettez-moi de rappeler tout d’abord les compétences de la Commission européenne en matière de santé publique et de gestion des crises sanitaires. Depuis 1999, l’Union européenne dispose d’une législation qui a instauré un système d’information mutuelle. Les États membres sont ainsi tenus de s’informer réciproquement et de coordonner leurs dispositifs pour quarante-neuf maladies transmissibles identifiées.

Toutefois, le traité sur l’Union européenne ne prévoit pas d’harmonisation en matière de santé publique. Les seules exceptions concernent le sang et les organes, qui sont considérés comme des marchandises pouvant circuler d’un pays à l’autre et pour lesquels le traité prévoit la possibilité d’une législation imposant certains niveaux de sécurité. Dès lors, la responsabilité de la gestion des crises sanitaires incombe principalement aux États membres.

Par ailleurs, le règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la santé a valeur de traité international et tous les États membres y sont parties contractantes. En matière de maladies transmissibles, nous avons établi un lien entre les déclarations faites au niveau communautaire et celles faites au niveau de l’Organisation mondiale de la santé : si un État déclare une infection à cette dernière, le système communautaire en est informé en même temps, et vice versa.

Après les attaques terroristes perpétrées aux États-Unis en 2001, le Conseil des ministres de l’Union européenne a mis en place un comité de sécurité sanitaire pour répondre au risque d’utilisation d’agents pathogènes. Ce comité a également compétence pour la préparation des pandémies grippales.

Il faut enfin mentionner deux agences pouvant jouer un rôle important dans la gestion des crises sanitaires. Il s’agit, d’une part, du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies dont le siège se trouve à Stockholm. Représenté ici par le docteur Coulombier, il a la responsabilité de l’analyse des risques et suggère les stratégies à prendre en cas d’infection. Il s’agit, d’autre part, de l’Agence européenne du médicament dont le siège est à Londres et qui représentée ici par le docteur Le Courtois. Ces deux agences appuient l’action des États membres et de la Commission européenne sur les plans législatif et de l’action communautaire.

J’en viens à la présentation des différentes étapes de la gestion de la crise de la grippe au niveau communautaire.

Nous avons été informés des premiers cas d’apparition du nouveau virus de la grippe par des contacts bilatéraux avec les États-Unis et le Mexique. Ces cas ont été confirmés quelques jours après par l’Organisation mondiale de la santé. La Commission européenne a immédiatement convoqué le comité de sécurité sanitaire afin de discuter de la situation, laquelle était encore assez vague puisqu’aucun cas n’était décelé en Europe. Il était absolument nécessaire de partager nos informations avec nos partenaires internationaux et avec l’Organisation mondiale de la santé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourriez-vous préciser les dates ?

M. John Ryan. Les réunions du comité de sécurité sanitaire ont eu lieu immédiatement après que la Commission européenne eut reçu les informations. Elles sont devenues quotidiennes par la suite. Dans un souci de transparence, la Commission européenne a publié leur compte rendu sur son site internet.

Nous avons par ailleurs innové en convoquant, dans le même cadre, le comité réglementaire qui avait été créé par une décision communautaire relative aux maladies transmissibles. Nous avons pu ainsi adopter une définition des cas de grippe A(H1N1), ce qui a permis aux États membres de collecter des informations sur des bases identiques. Il s’agissait là plus d’une mesure de surveillance que d’une démarche d’harmonisation.

Ces réunions, auxquelles l’Organisation mondiale de la santé était systématiquement associée, ont permis aux États membres d’apprécier l’évolution de la transmission de l’infection par le virus et de considérer les mesures qui s’imposaient, par exemple pour les voyageurs en provenance des zones à risque ou qui souhaitaient s’y rendre, pour le traitement des personnes infectées dans l’Union européenne ou encore pour les mesures d’hygiène (lavage des mains, isolement des personnes infectées, port du masque...).

Dans un deuxième temps, nous avons mis en place un dispositif de surveillance communautaire qui nous a permis d’avoir une vision harmonisée de la transmission du virus au niveau de l’Union européenne.

Le comité de sécurité sanitaire a permis aux États membres de se mettre d’accord sur trois aspects importants de la gestion de la crise : la fermeture des écoles, qui faisait polémique à l’époque car on n’était pas certain de son efficacité, la prise en charge des ressortissants qui tombaient malades à l’étranger (fallait-il les traiter sur place ou les rapatrier) et la définition des groupes à risque qui devaient être vaccinés en priorité.

Pour ce qui est des stocks d’antiviraux, le plan pandémique de l’Union européenne, qui date de 2005, avait encouragé les États membres à en constituer en prévision d’une pandémie. Certains l’avaient fait, d’autres pas et ces derniers se trouvaient en situation de pénurie. De plus, certains avaient commandé des vaccins, d’autres ne l’avaient pas fait. La première démarche de la Commission européenne a consisté à aider les États membres à organiser leur approvisionnement lorsque leurs stocks étaient insuffisants. Nous nous sommes inspirés des appels d’offres existants et avons repris les exemples suédois, néerlandais et allemand.

La Commission européenne a pu ainsi répondre à l’appel à l’aide de la Bulgarie pour constituer un stock suffisant d’antiviraux. L’Union européenne a également mobilisé des stocks pour aider l’Ukraine, pays qui n’était absolument pas préparé.

Alors que le comité de sécurité sanitaire assurait la coordination de ces actions, le Conseil des ministres s’est réuni à quatre reprises et a adopté des conclusions publiques quant aux démarches à suivre. En septembre 2009, la Commission européenne a adopté une communication assortie de cinq documents de travail – eux aussi dans le domaine public – analysant, entre autres, les problèmes de communication avec le public ou de stratégie vaccinale.

La Commission européenne a également convoqué, au niveau ministériel, une réunion du G7 et du Mexique, qui s’est tenue en décembre.

Pour ce qui est de l’évaluation de la gestion de la crise, la Commission européenne a demandé dès le mois d’avril 2009 à une agence extérieure d’analyser l’action communautaire. Le premier rapport de cette agence est disponible. Le second, qui analyse plus particulièrement l’aspect vaccinal, est en préparation. Ils alimenteront tous deux les débats d’une conférence qui se déroulera les 1er et 2 juillet 2010, au début de la présidence belge de l’Union. Cette conférence sera suivie d’un Conseil des ministres informel les 5 et 6 juillet. Nous espérons que cette démarche d’évaluation, lancée dès l’année dernière « en temps réel », nous permettra de tirer quelques leçons et d’améliorer notre performance à l’avenir.

Le plan pandémique de l’Union européenne, qui date de 2005, doit être révisé à la lumière de ce que nous a appris cette crise. La Commission européenne a l’intention d’en proposer une mise à jour avant la fin de l’année.

Vous le voyez, nous essayons de tirer des conclusions le plus rapidement possible. Nous aimerions en outre intégrer les résultats des enquêtes menées aux différents niveaux (national, Conseil de l’Europe, etc.).

L’Organisation mondiale de la santé suit une démarche similaire visant à une révision de ses plans pandémiques, très critiqués pour ce concerne la déclaration de la pandémie. La Commission européenne souhaite pour sa part une approche concordante de cette organisation et de l’Union européenne concernant cette déclaration de pandémie. Nous voulons éviter que les annonces de Mme Margaret Chan à Genève ne soient pas suivies par l’Union européenne.

Nous nous employons donc à évaluer l’action menée dans les premiers mois de la pandémie, à en tirer les leçons, à travailler avec les instances nationales, telle votre commission d’enquête, et à examiner les mesures que l’on peut proposer au plan communautaire pour faire mieux la prochaine fois.

M. Denis Coulombier, membre du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies. La création, en 2005, du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies à Stockholm s’est faite sur proposition de la Commission européenne au Parlement européen à la suite de l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003. Cette épidémie a fait apparaître un besoin de coordination technique et scientifique au niveau européen, à la fois pour soutenir les États membres et pour conseiller la Commission européenne face à des problèmes qui dépassent le cadre national.

Dès le départ, la préparation à la pandémie grippale a été l’une de nos priorités. La Commission européenne et l’Organisation mondiale de la santé procédaient déjà à des réunions annuelles consacrées à la coordination dans ce domaine. Nous avons engagé une revue des plans de préparation des pays de l’Union européenne ainsi que de la Norvège, du Lichtenstein et de l’Islande, mis au point un protocole d’évaluation, organisé le suivi de réunions régulières entre tous les partenaires et publié plusieurs rapports qui faisaient l’état des lieux de la préparation en Europe.

Ces rapports ont établi que l’Europe est une des régions du monde les mieux préparées à la survenue d’une pandémie grippale. Ils ont cependant mis en évidence que du travail restait à faire quant à la mise en œuvre opérationnelle de ces plans jusqu’au niveau le plus périphérique ou leur interopérabilité au sein de l’Union européenne.

Le centre, qui a pour mandat de détecter les maladies émergentes, dispose d’un système de contact et de suivi avec différents partenaires (le « renseignement épidémiologique », ou epidemic intelligence) qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous avons donc reçu très tôt – dès le 21 avril – les informations en provenance des États-Unis concernant l’occurrence de deux premiers cas véritablement documentés sur cette nouvelle souche de grippe que l’on ne pouvait identifier précisément. Nous avons rempli notre fonction de conseil en publiant une première évaluation le 23 avril – soit vingt-quatre heures après, compte tenu du décalage horaire –, laquelle a été remise à jour le lendemain. Le 24 avril, nous avons activé notre plan de crise. Bref, nous avons reconnu très tôt le potentiel pandémique de cette nouvelle souche et nous avons communiqué ces informations aux États membres et à différents partenaires à travers des mécanismes de coordination tels que le comité de sécurité sanitaire.

Dès le 25 avril, nous avons diffusé un rapport quotidien. Sans entrer dans le détail de notre action durant la pandémie, je précise que nous avons fourni des documents et présenté des options au fur et à mesure que les informations devenaient disponibles, en particulier au début de la pandémie, moment où l’on s’interrogeait sur sa sévérité au vu des données initiales en provenance du Mexique. Les connaissances ont évolué au cours des premières semaines.

M. Patrick Le Courtois, membre de l’Agence européenne du médicament. L’Agence européenne du médicament est une agence de l’Union européenne créée en 1995, après trente années d’harmonisation communautaire. En matière d’autorisations de mise sur le marché, elle prépare les avis scientifiques concernant l’évaluation des produits de santé, dans le cadre d’une procédure d’enregistrement appelée « procédure centralisée ». Ces avis donnent lieu à une décision de la Commission européenne après consultation des États membres. Depuis l’année dernière, le Parlement européen exerce un droit de regard sur les décisions de la Commission européenne en la matière.

Cette procédure européenne est obligatoire pour les produits issus des biotechnologies. C’est pourquoi elle s’est appliquée aux vaccins mock-up, ou vaccins maquettes, qui comportent, pour les vaccins initiaux, un procédé biotechnologique.

Certains produits destinés à différentes indications thérapeutiques ou certains types de médicaments peuvent également être soumis à la procédure centralisée.

L’agence ne dispose pas de ressources d’évaluation propres : elle s’appuie entièrement sur les ressources d’évaluation et d’expertise des autorités nationales d’enregistrement des médicaments. Elle fonctionne en réseau, avec plusieurs comités scientifiques.

L’un d’entre eux, le comité pour les médicaments à usage humain (Committee for medicinal products for human use, ou CHMP), a autorité pour émettre des avis scientifiques concernant l’autorisation de mise sur le marché des médicaments. Il est composé de délégués et de remplaçants nommés par les États membres, l’agence assurant son secrétariat administratif et scientifique.

D’un point de vue pratique, pour chaque dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché, le comité désigne deux rapporteurs qui travaillent indépendamment. Les équipes d’évaluation et d’experts proviennent des agences nationales. Le comité prend ses décisions de façon collégiale et le plus souvent consensuelle, parfois en votant. Il s’appuie sur des groupes de travail, dont un qui est consacré aux vaccins et un autre qui évalue la qualité pharmaceutique des produits biologiques – ce qui inclut les vaccins. Le président du comité est un Français qui travaille à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Celui du groupe de travail sur les produits biologiques est également un Français travaillant pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Celui du groupe de travail « vaccins » est allemand et travaille au Paul-Ehrlich Institut, l’autorité allemande en charge de l’enregistrement des produits biologiques.

L’évaluation des produits de santé au niveau européen est donc totalement ancrée dans l’expertise et l’évaluation nationales.

D’une manière générale, l’agence et le comité évaluent le rapport bénéfice/risque des médicaments, sans considération de leur rapport coût/efficacité, qui n’est pas de sa compétence. Ils ne font pas de recommandations sur les stratégies de vaccination, lesquelles restent du ressort des États membres. C’est pourquoi tous les résumés de caractéristiques des produits indiquent que l’on doit suivre les recommandations nationales en la matière.

L’agence a commencé à se préparer à la pandémie de grippe en 2003, en coordination avec la Commission européenne – en particulier la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs –, l’Organisation mondiale de la santé et les autorités réglementaires. Elle a consulté l’association européenne des producteurs de vaccins tout au long du processus.

L’agence a participé aux travaux du comité de sécurité sanitaire et a commencé à publier dès 2004 des lignes directrices concernant les vaccins maquettes. Un plan d’action a été rendu public. Nous avons formé les évaluateurs des agences nationales à la procédure à mettre en œuvre et à l’évaluation des dossiers. Dès 2007, des recommandations en matière de pharmacovigilance et de gestion des risques étaient diffusées. Le premier vaccin maquette, le Focetria du laboratoire Novartis, a été autorisé en 2007. En 2008, nous avons mis en place un plan de continuité d’activité pandémique. Le deuxième vaccin maquette, le Pandemrix de GlaxoSmithKline, a été autorisé cette même année, de même que, au début de 2009 – juste avant le début de la pandémie –, le Celvapan du laboratoire Baxter.

Par ailleurs, en 2005, une modification de la législation pharmaceutique a introduit de nouvelles procédures réglementaires permettant une évaluation rapide des vaccins, en particulier les vaccins maquettes, en cas de pandémie.

Les recommandations du comité pour les médicaments à usage humain ont suivi trois principes.

Premièrement, en cas de pandémie, le vaccin devait être disponible le plus rapidement possible après l’identification du virus, mais nous devions disposer de suffisamment d’informations sur sa sécurité et sur son efficacité. C’est le cas des vaccins saisonniers, dont on connaît le mode de fabrication et pour lesquels la souche est modifiée de façon relativement simple chaque année. Le concept du vaccin maquette a consisté à autoriser un vaccin avant qu’une pandémie ne débute, en se plaçant dans l’hypothèse la plus contraignante, c'est-à-dire celle d’un virus pour lequel la population est naïve, d’où le choix de développer et de valider les vaccins à partir du virus de la grippe aviaire H5N1. Cette hypothèse a conduit à établir des critères biologiques d’efficacité plus sévères que pour les vaccins saisonniers.

Deuxièmement, il était nécessaire de disposer de suffisamment de vaccins dans une situation d’incertitude quant au rendement des souches virales pandémiques, donc de diminuer la quantité d’antigène nécessaire à leur production tout en maintenant une efficacité suffisante. Pour répondre à ces deux contraintes, il a été proposé que les vaccins soient adjuvantés : on diminuait ainsi par deux voire par quatre la quantité d’antigène par rapport à un vaccin saisonnier habituel.

Troisièmement, on devait disposer d’alternatives aux vaccins traditionnels cultivés sur œufs. D’où la proposition de développer des vaccins pandémiques sur des cellules, comme c’est le cas pour d’autres types de vaccins. C’est ce que le laboratoire Baxter a fait.

Les vaccins développés à partir du virus H5N1 ont été testés sur des populations naïves, c’est-à-dire des populations qui n’ont jamais été en contact avec le virus et qui n’ont donc aucune protection immunitaire. Les études ont montré que deux doses de vaccin étaient nécessaires pour atteindre une réponse immunologique suffisante.

Dès l’annonce de la survenue du nouveau virus, en avril 2009, l’agence a tenu des réunions téléphoniques quotidiennes avec la Commission européenne et le comité de sécurité sanitaire, ainsi que des téléconférences, plusieurs fois par semaine, avec l’Organisation mondiale de la santé et de nombreuses autorités réglementaires dans le monde, en particulier celles des États-Unis, du Canada et du Japon, avec lesquelles elle a passé des accords de confidentialité. Elle a également rencontré l’association européenne des producteurs de vaccins et chacune des firmes, de façon à déterminer ce que serait leur stratégie.

Après l’émission de recommandations en faveur d’un vaccin monovalent, formulées au début du mois de mai 2009, les firmes nous ont informés qu’elles demanderaient, pour ce qui concerne la procédure centralisée, l’autorisation d’utiliser trois vaccins maquettes et qu’elles déposeraient par ailleurs trois nouveaux dossiers devant être évalués selon une procédure d’urgence. L’agence ne disposait pas de dossier de vaccin saisonnier autorisé que l’on pût modifier, si jamais cette stratégie avait été proposée. On ne comptait que deux vaccins saisonniers, l’un qui n’était autorisé que pour les personnes âgées et un autre que la firme n’était pas en mesure de mettre en production. La question ne s’est donc pas posée.

Comme vous le savez, quatre autres vaccins ont été autorisés au niveau national, au-delà des vaccins maquettes.

Un vaccin nouveau non adjuvanté de Sanofi, initialement destiné à faire l’objet d’une autorisation selon la procédure centralisée, a finalement été autorisé selon la procédure décentralisée par la France qui a été le pays de référence, en novembre dernier.

L’agence a en outre émis un avis scientifique concernant deux nouveaux vaccins adjuvantés au début de l’année 2010.

En ce qui concerne les vaccins maquettes, elle a demandé aux firmes dès le mois de mai 2009 de réaliser des essais cliniques supplémentaires avec le virus A(H1N1) afin de valider le nombre de doses nécessaire, y compris dans les populations ou dans les tranches d’âge pour lesquelles on ne disposait pas encore de données pour le virus H5N1 – puisque les essais le concernant étaient en cours. L’agence leur a également demandé de mettre en place un suivi intensif de pharmacovigilance, un suivi de cohorte de 9 000 personnes vaccinées pour chaque produit, des registres de femmes enceintes et des études d’efficacité clinique – études auxquelles nous avons travaillé avec le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, qui a par ailleurs réalisé de telles études indépendamment des firmes.

Sur cette base, l’agence a rendu un avis positif, le 24 septembre 2009, pour les vaccins Focetria et Pandemrix incorporant le virus A(H1N1). Ces produits ont fait l’objet d’une décision de la Commission européenne cinq jours plus tard, selon une procédure exceptionnelle. Pour le vaccin Celvapan, l’avis a été rendu le 1er octobre, l’évaluation du dossier ayant pris plus de temps.

Pour ce qui est de la réduction de deux à un du nombre de doses de vaccin nécessaire pour les adultes, le comité a évalué les données au fur et à mesure que les firmes les fournissaient. Celles-ci ont déposé une demande en vue de cette réduction à la mi-octobre 2009, en se fondant sur des données très préliminaires. Le comité a, dès le mois d’octobre 2009, envisagé la possibilité de n’administrer qu’une seule dose, tout en continuant à recommander plus formellement deux doses. Ce n’est qu’en novembre, après avoir reçu des données scientifiques consolidées qui l’ont rassuré, qu’il a émis un avis favorable à l’administration d’une dose unique.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourriez-vous préciser la date de cet avis ? Cette information pourrait être utile, voire déterminante.

M. Patrick Le Courtois. Je vous la fournirai.

Pour le vaccin Celvapan, le comité a maintenu sa recommandation selon laquelle deux doses étaient nécessaires. Un comité d’experts indépendants des équipes d’évaluation nationales, que nous avons convoqué en février, a confirmé l’efficacité du produit et cette posologie.

L’agence a communiqué régulièrement et rapidement les informations relatives aux différentes étapes de la procédure, aux résultats de l’évaluation et aux recommandations du comité. Elle a créé une page internet dédiée aux vaccins et à la pandémie et a commencé à publier des informations dès le 29 avril 2009. Les autorités réglementaires nationales et le comité de sécurité sanitaire ont toujours été informés par avance de toute communication importante de l’agence.

Nous avons recueilli des informations en matière de pharmacovigilance dès que l’on a commencé à utiliser les vaccins et avons produit des rapports hebdomadaires à partir du début du mois de décembre 2009. Ces données ont, jusqu’à présent, montré une bonne tolérance aux vaccins contre la grippe A(H1N1). Leur efficacité biologique et immunologique a déjà été démontrée. Les données préliminaires des études d’efficacité clinique, produites au niveau national ou par le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, font apparaître une efficacité de l’ordre de 70 %. Une étude allemande publiée la semaine dernière conclut même à une efficacité de 98 %. Les résultats d’études de l’agence de protection sanitaire britannique, pour l’instant non publiés, sont eux aussi très prometteurs, y compris en ce qui concerne les enfants alors que les vaccins saisonniers ont une efficacité relative dans cette catégorie.

L’Agence européenne du médicament a engagé, elle aussi, une démarche interne d’évaluation de façon à se préparer à la conférence organisée par la présidence belge. Nous y avons associé le groupe des directeurs des agences réglementaires nationales. Nous nous concentrons sur les questions de procédure, opérationnelles et scientifiques. Cette pandémie a en effet soulevé un grand nombre de questions sur le plan scientifique. Nous pensons être en mesure de présenter nos propositions au début du mois de juillet.

L’agence travaillera avec ses partenaires institutionnels sur les modifications nécessaires de la procédure réglementaire et sur les recherches à effectuer, en concertation avec les producteurs de vaccins.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je voudrais d’abord interroger Monsieur Ryan sur les pistes de révision du plan communautaire, lesquelles sont en cours de préparation pour la fin de l’année. Faut-il renforcer la coopération européenne pour acquérir des vaccins en commun ? L’absence de collaboration entre États n’a-t-elle pas, dans un climat de « foire d’empoigne » – chacun voulant disposer du vaccin le premier –, permis aux laboratoires de profiter de la concurrence entre les pays et n’a-t-elle pas empêché d’anticiper les capacités de production nécessaires pour faire face à une nouvelle pandémie ?

Nous avons entendu hier des praticiens et des responsables du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale nous expliquer que, en raison du règlement sanitaire international, il avait fallu attendre que soit atteint le niveau 6 de l’alerte à la pandémie pour déclencher le processus permettant de disposer de vaccins. Ne faudrait-il donc pas, à l’initiative de la France ou de l’Union européenne, amender ce règlement ?

Monsieur Coulombier, à partir de quel moment la sévérité de la grippe A(H1N1) est-t-elle apparue plus faible qu’on ne le craignait aux mois d’avril et mai 2009 ? Comment appréciez-vous la stratégie vaccinale de la France par rapport à celles d’autres pays : doit-elle être généralisée ou bien plus ciblée en fonction des populations à risque ?

Par ailleurs, Monsieur Ryan, pourquoi l’Europe devrait-elle intervenir dans le domaine de la définition des populations à risque à la place des États membres, lesquels semblent a priori les mieux placés pour agir ?

Enfin, Monsieur Le Courtois, l’Agence européenne du médicament a-t-elle été déjà saisie de demandes d’autorisation de mise sur le marché de vaccins trivalents en vue de la saison prochaine, notamment pour la vaccination contre la grippe saisonnière ?

M. John Ryan. Nous nous sommes engagés à réviser le plan pandémique communautaire, nécessairement lié au plan de l’Organisation mondiale de la santé. Le plan communautaire date de 2005, les travaux d’élaboration de celui-ci ayant commencé en 2002. En décembre 2008, la présidence française a fortement appuyé notre démarche en adoptant les conclusions du Conseil des ministres qui demandaient une telle révision à la Commission européenne, et ce antérieurement à la pandémie de grippe A(H1N1). En effet, les États membres avaient relevé un point faible dans le dispositif : l’insuffisance des mesures d’accompagnement et de préparation des secteurs autres que celui de la santé publique. Il ne sert à rien de disposer de stocks de vaccins et d’avoir formé des professionnels de santé si, par ailleurs, l’électricité est coupée et les magasins sont vides… Un plan doit intégrer tous les secteurs vitaux de la société dans une démarche de préparation à la survenance d’une pandémie. La mise à jour de notre plan visera essentiellement à intégrer ces éléments et elle interviendra avant la fin de cette année. Nous intégrerons aussi les leçons tirées de l’expérience récente, notamment concernant la définition de la pandémie. Celle-ci a fait l’objet de controverses au sein de l’Organisation mondiale de la santé tenant aux modalités de prise en compte de la gravité de la pandémie en fonction des zones géographiques. Nous devons nous mettre d’accord avec l’Organisation mondiale de la santé pour réviser le règlement sanitaire international, en cohérence avec l’approche communautaire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Qu’en sera-t-il si des divergences persistent ?

M. John Ryan. Nous sommes trop liés les uns aux autres pour cela. Un accord devrait intervenir rapidement.

La pandémie a été déclarée à la suite d’infections observées aux États-Unis et au Mexique. Mais imaginons que l’infection ait commencé dans une autre partie du monde et que les informations n’aient pas été communiquées à temps à l’Organisation mondiale de la santé. Il est donc essentiel de mettre en place un partenariat assez fort au niveau international et que les mêmes règles soient appliquées partout. Il faut, avant tout, une cohérence internationale.

II y a quelques années, la Commission européenne avait proposé de constituer un stock de vaccins et d’antiviraux mobilisable en cas de besoin. Le Conseil des ministres en a discuté à plusieurs reprises et a finalement rejeté cette idée. On envisageait alors une situation que nous avons vécue depuis, certains États ayant procédé à l’achat de vaccins, d’autres non. Toutefois, nous allons maintenant étudier la possibilité d’une approche commune d’acquisition de vaccins et d’antiviraux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Sans forcément constituer de stocks.

M. John Ryan. Nous pouvons, en effet, imaginer un système plus léger. Car l’origine du problème est financière : les États qui ont investi dans les vaccins ne sont pas disposés à les fournir aux autres États membres qui n’ont pas suivi la même démarche, d’autant qu’ils pourraient en avoir besoin plus tard. D’où l’idée d’un partage virtuel des stocks entre ceux qui en avaient trop et ceux qui n’en avaient pas assez, et ce en utilisant des systèmes communautaires pour faciliter les échanges. Cela a bien fonctionné dans le cas de la Bulgarie, comme pour la vente de surplus de vaccins entre États membres à la suite du passage de deux doses à une seule. Des solutions sont donc possibles sans investir trop d’argent.

Peut-on définir une stratégie vaccinale commune ? Cela ne me paraît pas possible au niveau des vingt-sept États européens car les infections se déplacent géographiquement. On ne peut donc avoir en permanence la même approche dans tous les États membres. Toutefois, on peut chercher à éviter des approches trop différentes concernant les groupes « cibles » à vacciner. C’est pourquoi le comité de sécurité sanitaire a pris l’excellente décision d’essayer de définir quels étaient ces groupes cibles et d’obtenir, sur cette base, un minimum d’accord entre les États membres. Le reste des décisions appartenait librement à ces derniers : ainsi, certains pays ont choisi de vacciner d’abord les responsables politiques, les parlementaires, les hauts fonctionnaires ou encore les pompiers…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En France, les parlementaires ont été sacrifiés !

M. John Ryan. La décision était nationale et dépendait, pour partie, de l’état des stocks.

M. Denis Coulombier. Dès le départ, nous avons eu l’impression, en raison des informations en provenance du Mexique, que la sévérité de la pandémie pouvait être relativement importante : beaucoup de personnes étaient hospitalisées.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ces informations vous paraissaient-elles alors fiables et vous semblent-elles toujours l’avoir été ? De nombreuses personnalités que nous avons auditionnées ont prétendu que la gravité du mal avait été surévaluée au Mexique où des décès non liés à la grippe avaient été imputés à celle-ci.

M. Denis Coulombier. À la fin du mois d’avril 2009, nous avons envoyé un agent de liaison du centre de crise de Stockholm à celui d’Atlanta afin d’avoir accès à des informations fiables. Le centre américain avait déjà dépêché des équipes au Mexique pour faire le tri des informations exploitables. Nous avons alors réalisé que la sévérité annoncée résultait d’un biais très connu dans les données de surveillance : quand celles-ci ne dépendent pas d’un système très performant, on ne voit apparaître que le sommet de l’iceberg, c’est à dire les cas les plus graves repérés dans les hôpitaux.

La question du degré de sévérité est, bien sûr, la première que l’on se pose lors de l’émergence d’une souche pandémique. Les expériences tirées du passé montrent que l’on ne peut rien déterminer à l’avance : en 1919, la pandémie de la grippe espagnole s’est avérée particulièrement sévère, tandis que les pandémies suivantes ont été d’une sévérité beaucoup plus modérée.

Notre évaluation en date du 30 avril 2009 montrait que le virus présentait un potentiel pandémique. Toutefois, ce terme décrivait seulement la propagation géographique de l’infection et pas nécessairement la sévérité de la maladie elle-même. Toute la difficulté d’évaluer la sévérité d’une pandémie provient de ce que celle-ci possède toujours deux dimensions : la sévérité de la maladie pour chaque individu et sa sévérité collective – en cas de population naïve, la maladie se diffuse plus largement que pour une grippe saisonnière dans la mesure où, dans ce dernier cas, une grande partie de la population est déjà protégée. Nous avons rapidement compris que les symptômes de la maladie n’étaient pas spécialement sévères et que sa gravité ne pouvait pas être mesurée par les statistiques de mortalité, ce qu’on appelle la létalité.

Le propre d’une pandémie réside également dans ses conséquences sur les groupes à risque, d’où l’importance de déterminer ceux-ci au niveau de l’Union européenne. Chaque pays ne peut, pour le faire, attendre d’observer les cas qui vont émerger sur son territoire : on l’a bien vu aux États-Unis, qui ont bénéficié des informations fournies par des pays déjà touchés par la pandémie. De telles informations ont permis d’identifier les groupes à risque. On a, par exemple, noté une surmortalité des enfants – les éléments de cette étude ont été publiés il y a quelques semaines dans Eurosurveillance. Toutefois, le suivi des statistiques de mortalité, lequel est assuré pour la grippe saisonnière, n’est pas encore réalisé pour la grippe pandémique car l’analyse des données prend un certain temps. Nous savons cependant que, si la mortalité n’a pas été modifiée sur le plan quantitatif, elle a été qualitativement différente.

M. Gérard Bapt. La mortalité a été plus élevée chez les enfants. Mais par rapport à quoi ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quand vous êtes-vous rendu compte de cette sévérité effective de la pandémie et quand avez-vous émis un avis  sur celle-ci? Quel a été l’impact de cette sévérité sur la mortalité ?

M. Denis Coulombier. La sévérité de la pandémie a été caractérisée à la fin du mois de mai 2009 au Mexique. Quand des cas de grippe A(H1N1) sont apparus en Europe, nous avons compris rapidement que nous n’étions pas en face d’une pandémie particulièrement sévère.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La sévérité de la pandémie était-elle plus ou moins grande que celle d’une grippe saisonnière ? Vous avez dit qu’elle ne l’était « pas plus », ce qui est une litote. Quand on regarde les chiffres, il semble qu’elle ait été moindre.

M. Denis Coulombier. La comparaison est difficile à établir. En effet, la sévérité ne s’exprime pas seulement par des statistiques quantitatives de mortalité. Il faut aussi prendre en compte l’aspect qualitatif : la grippe pandémique est plus sévère que la grippe saisonnière pour les femmes enceintes, mais elle l’est moins pour les personnes âgées.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Autrement dit, la grippe A(H1N1) tuerait moins que la grippe saisonnière mais pas les mêmes catégories de personnes.

M. Denis Coulombier. Nous ne le savons pas encore. Les données de mortalité associées à la grippe saisonnière, dont nous disposons, sont relativement complexes et doivent être mises en corrélation avec la circulation du virus. II est souvent difficile pour un médecin d’attribuer un décès exclusivement à la grippe plutôt qu’à une autre affection car le facteur grippal peut intervenir parmi d’autres. Les statistiques sont utilisées afin d’essayer de faire la part des choses.  S’agissant de la pandémie grippale, les statistiques ne seront pleinement exploitables que dans les années qui viennent.

La mesure de la mortalité provoquée par la pandémie provient des statistiques fournies à notre demande par les États membres. Le chiffre ainsi obtenu, qui est de 3 000 selon le dernier état, est très sous-estimé. On ne peut encore le rapporter aux statistiques générales.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Qu’en est-il de la vaccination ?

M. Denis Coulombier. Le vaccin demeure un excellent outil de prévention et de lutte contre la pandémie. Je confirme les données relatives à son efficacité telles qu’elles ont été publiées récemment par une revue allemande.

S’est posée la question de la disponibilité de vaccins en quantité suffisante lors de la survenance de la vague pandémique en Europe. Cette disponibilité variait beaucoup d’un pays à l’autre. D’où le choix de se concentrer sur les populations à risque, ce qui ne réduit pas sensiblement la pandémie mais permet de prévenir les cas les plus sévères. Nous avons formulé des recommandations en ce sens.

M. Patrick Le Courtois. La plupart des vaccins saisonniers – environ 99 % – sont autorisés au niveau national. L’Agence européenne du médicament ne connaît que deux vaccins autorisés qui n’ont jamais été utilisés : celui de Sanofi qui, finalement, n’a pas été commercialisé, et celui de Novartis qui n’a jamais été mis en production. Ces vaccins étaient plus spécialement destinés aux personnes âgées.

Mme Marie-Louise Fort. Je suis très choquée par le refus de l’Organisation mondiale de la santé de se présenter devant notre commission d’enquête alors que cette institution est financée à hauteur de 60 % par des organismes privés et de 40 % par les États membres. Monsieur Ryan et de nombreuses personnes auditionnées, dont notre ministre de la santé, ont fait référence aux travaux de l’Organisation mondiale de la santé. Des informations importantes pourraient donc nous manquer. Au minimum, cet organisme devrait accepter de fournir une contribution écrite, comme cela s’est pratiqué dans le cadre d’autres commissions d’enquête. Il faut donc insister encore auprès de l’Organisation mondiale de la santé, et peut-être nous rendre sur place.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je partage votre indignation s’agissant d’un organisme international financé par des États. Ses représentants ont refusé de venir devant nous et nous ne pouvons les y obliger en raison de leur statut international. J’avais proposé une audition par visioconférence ; il m’a été répondu que, traditionnellement et par principe, l’Organisation mondiale de la santé ne répondait pas aux commissions d’enquête parlementaire nationales. Je pense donc que lorsque nous remettrons notre rapport à l’Assemblée nationale, celui-ci pourra insister sur l’absence de transparence de cette organisation et sur son manque de volonté de coopération avec les organes représentatifs des nations ! Je pourrai, bien sûr, refaire une demande mais je dispose déjà d’un refus officiel par écrit.

Mme Marie-Louise Fort. Comment s’appuyer sur un organisme dont les études et les décisions servent souvent de références alors qu’il échappe à tout contrôle ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je propose que nous mentionnions notre indignation dans le rapport.

M. Denis Coulombier. Je me permets de rappeler que l’Organisation mondiale de la santé est contrôlée par les États membres qui en font partie, lesquels délèguent des experts en son sein…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ne vous faites pas l’avocat de cette organisation contre laquelle nous sommes très irrités ! Nous représentons nous-mêmes un État qui en est membre. Quand un organisme gère une crise de façon aussi discutable, quand il s’auto-évalue, quand autant de questions se posent sur son rôle et sur l’indépendance de ses experts, la moindre des choses de sa part serait d’être transparent. L’auto-évaluation rencontre des limites, surtout lorsque l’organisme en question dépend d’États souverains qui essaient de comprendre ce qui s’est produit et qui, en plus, payent la facture des conséquences des décisions de celui-ci.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Pour l’élaboration d’un autre rapport parlementaire, je me suis rendu auprès de l’Organisation mondiale de la santé il y a environ trois mois et j’ai rencontré ses principaux dirigeants. Nous avons évoqué la politique d’évaluation alors en cours et qui faisait appel à des audits externes. Peut-être cette organisation se sentait-elle bridée par ces audits…

Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur le virus de la grippe aviaire H5N1, l’organisation avait accepté de tenir une visioconférence avec nous et Mme Chan, alors vice-présidente, y avait participé. Nous devrions donc adresser une nouvelle demande à l’Organisation mondiale de la santé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Voilà une précision utile mais qui constitue une preuve supplémentaire des mensonges de cette organisation concernant son refus de répondre aux commissions d’enquête. Son évaluation interne ne peut en constituer un motif. Dans une situation similaire, et alors qu’elle n’en avait pas l’obligation, la Cour des comptes a accepté de venir s’exprimer devant nous à huis clos.

M. le rapporteur. J’ai pu examiner sur place le fonctionnement du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies et rencontré à ce titre votre collègue M. René Snacken. J’ai pu observer comment étaient évalués les risques en fonction d’incertitudes documentées et ai compris qu’il existait des liens très étroits entre ce centre et celui d’Atlanta. Le renseignement, la préparation à la crise et le conseil scientifique ont bien fonctionné. Quant à la communication, ne fait-elle pas partie des fonctions qui doivent être revues pour l’avenir, ainsi que me l’a laissé entendre le directeur du centre ? Et si oui, de quelle façon ?

Un rapport sur la lutte contre la grippe aviaire H5N1 avait révélé un défaut de coordination et de coopération entre les États européens. C’est d’ailleurs pour cette raison que fut mis en place le comité de sécurité sanitaire et qu’on a renforcé le règlement sanitaire international, non sans douleur je crois. Quels sont les liens entre le comité, les centres pour la prévention et le contrôle des maladies et l’Organisation mondiale de la santé ? Peuvent-ils être renforcés ?

Monsieur Ryan a déclaré que le traité sur l’Union européenne ne prévoyait pas d’harmonisation des politiques, sauf en ce qui concerne le sang et les organes humains. Pour autant, à l’occasion de la préparation contre une pandémie de grippe de type H5N1, nous avions réfléchi à ce que pourrait être une « ingérence sanitaire », termes employés à Pékin lors de la conférence internationale sur le sujet. Lorsque nous avons reçu ici la commissaire européenne à la santé, nous avons évoqué avec elle la nécessité d’un renforcement de la coopération et de la coordination dans le domaine sanitaire, les virus n’ayant pas de passeport et ignorant les frontières. J’estime donc que la stratégie vaccinale, qu’elle soit massive ou ciblée, doit viser l’ensemble des pays. Quels que soient les moyens, financiers ou médicaux, des uns et des autres, la solidarité des vingt-sept États membres doit prédominer ; la commissaire européenne nous a du reste indiqué qu’elle travaillait en ce sens. Comment peut-on donc renforcer cette coopération afin de parvenir à des stratégies communes ou harmonisées ? La pandémie de grippe A(H1N1) doit nous y aider.

On a enfin observé un décalage entre la validation des vaccins par la Commission européenne et celle opérée par la Food and drug administration américaine, qui est intervenue plus tôt, de même que pour les organismes similaires chinois ou australien. Ce retard européen était-il dû au fait que les procédures que nous appliquons sont plus « sécurisées » ?

M. Denis Coulombier. En ce qui concerne la communication du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, les responsabilités sont clairement partagées : l’évaluation des risques est assurée par les agences et la gestion des risques par la Commission européenne. Durant la pandémie, la communication s’est déployée à trois niveaux : le niveau scientifique, celui médias et celui du public.

Au premier niveau, celui de la communication scientifique, nous avons été très actifs : plus d’une centaine d’articles a été publiée sur les différents aspects de la pandémie. Aux deuxième et troisième niveaux, nous avons été moins performants : il faut sans doute y voir un  « péché » de jeunesse.

M. le rapporteur. La cellule de surveillance d’Atlanta comprend quatre cents personnes qui étudient les messages reçus en temps réel, alors qu’il n’y en a que dix ou douze  à Stockholm.

M. Denis Coulombier. Nous connaissons un vrai problème d’échelle : nous comptons trois cents personnes en Europe contre dix à douze mille aux États-Unis. Pour autant, nous ne sommes pas vraiment isolés : l’agence s’appuie sur les ressources fournies par les États membres et a de nombreux contacts opérationnels avec les autres centres dans le monde. Les Américains et les Chinois nous ont ainsi envoyé des officiers de liaison.

M. John Ryan. La communication a été identifiée comme un problème clé, et ce avant même la propagation de la pandémie. C’est pourquoi, au sein du comité de sécurité sanitaire, nous avons créé un réseau de communicants qui a été activé lors la survenance de la pandémie. Il tenait des réunions journalières et a permis d’adresser des messages identiques au public et à la presse de chaque État membre.

Il a été procédé, au sein de ce réseau, à une analyse de nos points faibles en matière de communication. Celle-ci est disponible. Toutefois, nous n’avons pas utilisé les nouveaux réseaux que sont facebook et twitter ; nous devons donc nous moderniser sur ce terrain. Les groupes antivaccination se sont avérés beaucoup plus actifs que nous dans l’utilisation des nouveaux supports de communication.

Comment mesurer rapidement l’état d’esprit de l’opinion publique dans un contexte de pandémie ? Un baromètre mis en place par la Commission européenne a montré que 98 % des personnes interrogées étaient conscientes de l’existence de la pandémie, 80 % se considéraient comme bien informées et 57 % estimaient ne pas devoir être touchées par elle, ce qui traduit des contradictions dans la perception des risques.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il y a peut-être moins de populations naïves que vous ne le croyez…

M. John Ryan. Les sources d’information sanitaire provenaient pour 65 % de la télévision et pour 33 % des journaux. Enfin, 55 % des personnes n’étaient pas disposées à se faire vacciner, ce qui montre que nous n’avions pas réussi à faire passer notre message.

Il est donc important, pour la prochaine fois, de mettre en place des méthodes de communication plus efficaces en direction des populations, qui ne perçoivent pas toujours les choses comme les perçoivent leurs gouvernements. Nous allons donc étudier, lors de la présidence belge, comment activer des réseaux de communication plus performants et mettre en place de bonnes pratiques en la matière.

Il faut savoir que nous possédons davantage de pouvoir en matière de santé des animaux : nous pouvons prendre à leur encontre des mesures contraignantes que nous ne pouvons pas prendre à l’égard des êtres humains – mis à part le cas du sang ou celui des organes. Toutefois, compte tenu de l’expérience fournie par cette crise, nous proposerons des améliorations en ce domaine

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Si je comprends bien, pour se trouver, en tant qu’individu, sous la coupe de l’Union européenne, il faut se mettre en pièces détachées…

M. John Ryan. Il n’existe pas de règles européennes concernant la vaccination des enfants qui voyagent d’un pays à l’autre alors qu’il en existe pour les chiens… Des exemples comme celui-ci nous aident à formuler des propositions d’amélioration.

M. Patrick Le Courtois. Je voudrais donner quelques précisions sur les délais de réaction à la pandémie : aux États-Unis, la Food and drug administration a approuvé le 15 septembre 2009 quatre vaccins élaborés sur la base de vaccins saisonniers ; l’Agence européenne du médicament a émis un avis favorable pour les deux vaccins maquettes le 24 septembre 2009, avis qu’elle a transformé en décision le 29 septembre, ce qui représente donc deux semaines d’écart entre les décisions américaine et européenne.

La Food and drug administration espérait pouvoir délivrer les autorisations de mise sur le marché à la fin du moins d’août mais prévoyant, en raison des données fournies par le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies d’Atlanta, qu’elle allait recommander deux doses pour les personnes de moins de cinquante ans et une seule dose pour les autres, elle a attendu de disposer des résultats de petits essais cliniques réalisés chez des adultes avant de prendre sa décision – c’était inhabituel car, en général, cette administration autorise la mise sur le marché des vaccins saisonniers sans essai, fondant seulement sa décision sur des données relatives à la qualité pharmaceutique des produits.

Le décalage de deux semaines  pour l’Europe s’explique, s’agissant des vaccins maquettes, par les difficultés qu’ont rencontrées les fabricants avec le rendement des souches, de 30 % inférieur à celui que l’on obtient habituellement. Ceux-ci ont donc dû changer de souches, d’où une évaluation réglementaire plus longue et plus complexe. Notre objectif initial visait la mi-septembre.

Le vaccin Celvapan a également rencontré des difficultés de fabrication, ce qui nous a conduit à diligenter une inspection de bonnes pratiques de production en Autriche, provoquant, là encore, un retard de deux semaines.

L’harmonisation des schémas de vaccination en Europe est une question très importante car de plus en plus de vaccins sont autorisés selon la procédure centralisée au niveau européen. Il existe en effet un lien direct entre le développement des médicaments, les populations sur lesquelles il faut faire des études afin de disposer de données cliniques, et les schémas de vaccination. Plus la normalisation sera importante au niveau européen, plus il sera aisé de développer les vaccins et de les mettre rapidement à la disposition du public.

M. Gérard Bapt. Monsieur Le Courtois, comment l’Agence européenne du médicament est-elle financée ? Pourriez-vous nous indiquer qui est le président français du groupe « vaccins » ? Les conflits d’intérêts des experts de vos différents groupes apparaissent-ils sur votre site internet – ce qui n’était pas le cas récemment ?  Les débats en commission sont-ils publics ? Vous avez indiqué que le vaccin de Sanofi avait été « finalement » autorisé selon la procédure décentralisée : pourquoi ce mot ?

J’ai constaté que Messieurs Ryan et Coulombier, parlant d’harmonisation, ont manifesté une certaine distance à l’égard de l’Organisation mondiale de la santé.

Par ailleurs, on parle beaucoup de communication, mais si le message de base n’est pas crédible, celle-ci ne sera pas reçue, sauf à réinstaurer un régime de type soviétique.

Le prochain sondage d’opinion, à l’occasion de la prochaine alerte, ne risque-t-il pas de donner des résultats encore plus mauvais que les précédents, compte tenu de l’expérience que nous venons de vivre ?

Vous avez dit être très attentifs à la notion de sévérité de la pandémie. Or, depuis le 1er mai 2009, les critères de morbidité et de mortalité ont disparu de la définition de la pandémie par l’Organisation mondiale de la santé, ainsi que pour apprécier l’opportunité de passer d’une phase d’alerte à la suivante. Au vu de l’expérience vécue – je pense notamment à la commande par la Grèce de vingt-deux millions de doses de vaccin pour une population de douze millions d’habitants –, exigerez-vous une meilleure concordance entre les approches de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Europe à cet égard ?

Vous avez évoqué un taux de mortalité supérieur chez les enfants. Mais par rapport à quoi ? Toutes les statistiques montrent que, davantage touchés par la grippe, il en mouraient moins que les personnes âgées, qui, elles, sont moins touchées. Pourriez-vous donc préciser si ce taux s’applique à la pandémie ou bien à la grippe saisonnière ?

Nous savons qu’en France, les structures de surveillance sanitaire sont particulièrement élaborées ; il suffit de consulter à cet égard le site internet de l’Institut de veille sanitaire. Généralement, on ne meurt pas à la maison d’un syndrome respiratoire aigu, on en meurt à l’hôpital. Toutes les informations statistiques sont donc disponibles. Ne peut-on dès lors s’interroger sur une stratégie vaccinale qui repose sur une vaccination « barrière » destinée à toute la population mais arrivant trop tard ? On a recensé en France 1 330 cas graves d’hospitalisation, dont plus de 90 % identifiés comme atteints du virus de la grippe A(H1N1). On a constaté que seuls dix-sept d’entre eux avaient été vaccinés, et moins d’une semaine seulement avant leur hospitalisation, ce qui rendait celle-ci inopérante. Dans tous ces cas, qu’il y eut ou non un vaccin ne changeait donc rien.

Enfin, vous avez cité une étude allemande datant de deux semaines et prouvant l’efficacité de la vaccination. Peut-on en connaître les références et savoir quel laboratoire l’a financée ?

M. John Ryan. La Commission européenne n’a pas cherché à établir une distance entre elle et l’Organisation mondiale de la santé. La création de cette dernière remonte à 1948, le règlement sanitaire international est applicable et nous avons en général de bons contacts avec cette instance. De plus, il existe un lien entre le système pharmaceutique communautaire et les décisions de l’organisation. Nous travaillons donc en étroite liaison, non seulement pour les pandémies mais aussi sur des thèmes de santé publique tels que le tabac, l’alcool ou la nutrition.

Cela dit, il existe certainement des leçons à tirer de cet événement. Le système comporte des faiblesses et il faut y apporter des améliorations.

Un exemple : les cas de mélamine contenue dans le lait chinois n’ont jamais fait l’objet d’une information en application du règlement sanitaire international. J’estime donc important de renforcer les systèmes d’alerte et la confiance entre les États membres de l’Organisation mondiale de la santé.

Il faut également améliorer la définition de la pandémie. D’après l’organisation, la modification de certains documents en avril 2009, qui soulève aujourd'hui une controverse, ne concerne pas cette définition : il s’agit plutôt de documents annexes. Telle est l’explication qui a été donnée au public et au Conseil de l’Europe.

Notre dispositif communautaire étant mis en œuvre après que soit intervenue la déclaration d’une pandémie par l’Organisation mondiale de la santé, il est stratégiquement important de procéder à une clarification.

Pour ce qui d’un futur « eurobaromètre », j’espère qu’il sera meilleur que l’ancien. Les améliorations que nous envisageons concernent de nouveaux outils et la création de messages en commun. Nous sommes beaucoup plus actifs qu’auparavant dans ce domaine.

M. Denis Coulombier. L’étude qui montre une surmortalité statistique chez les enfants pendant la période pandémique se fonde sur les données des années passées.

M. Gérard Bapt. Donc on ne peut affirmer qu’elle est le fait de la pandémie.

M. Denis Coulombier. L’observation de la mortalité est indépendante. Le programme EuroMoMo (European monitoring of excess mortality for public health action), mis en place il y a quelques années et financé sur des fonds européens, enregistre la mortalité en continu. Toute analyse statistique vise à établir des corrélations temporelles entre différentes situations (comme la pollution, par exemple) et la mortalité de certains groupes. Or les experts ont remarqué un petit accroissement statistique de la mortalité des enfants durant la période correspondant à la vague de pandémie en Europe. Leur hypothèse est qu’il existe un lien de causalité entre l’une et l’autre. Mais cela reste une hypothèse et l’analyse doit se poursuivre. Aujourd'hui, on ne connaît aucun autre phénomène pouvant expliquer cette petite variation.

M. Gérard Bapt. Dans tous les pays, les chiffres montrent qu’il y a eu beaucoup moins de morts chez les enfants que chez les personnes âgées.

M. Denis Coulombier. C’est une autre comparaison. Dans l’étude que je cite, la comparaison porte sur la mortalité des enfants par rapport aux années passées. Il n’est nullement affirmé qu’il y aurait eu plus de morts que dans les autres groupes d’âge.

La variation de mortalité n’est pas considérable mais elle a justifié une publication dans une revue scientifique.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En d’autres termes, la grippe A(H1N1) tue plus les enfants que la grippe saisonnière mais, pour autant, elle ne tue pas plus les enfants que les personnes âgées.

M. Denis Coulombier. Pour compléter cette analyse, il semble que la grippe A(H1N1) a touché davantage d’enfants que ne le fait la grippe saisonnière. Sans doute, pour un enfant malade, le risque de décès n’est-il pas plus important, mais davantage d’enfants ont été malades. Pour un même niveau de létalité, il en résulte plus de morts.

Par ailleurs, s’il est exact que les infections respiratoires aiguës sévères sont enregistrées, l’attribution d’un décès à la grippe peut se révéler difficile. Par exemple, le démarrage de la grippe – avant même qu’elle soit symptomatique – peut être le facteur qui entraînera une décompensation de l’équilibre précaire d’un patient diabétique âgé et provoquera le décès. Il n’est pas évident, pour un clinicien, de déterminer ce qui est à l’origine de cette décompensation. D’où le recours aux études statistiques, qui permettent d’éviter ces biais.

Je vous remets une copie de l’étude allemande dont il a été question. Elle n’a pas été financée par les laboratoires. C’est l’équivalent allemand de l’Institut de veille sanitaire qui l’a réalisée, sur la base d’études rétrospectives de cas. La revue où l’article est publié possède un comité de lecture composé d’experts.

M. Patrick Le Courtois. La formule « finalement autorisé » est sans doute un abus de langage de ma part. N’y voyez aucune intention ! La firme Sanofi a comparé les procédures centralisée et décentralisée pour son vaccin non adjuvanté, sachant qu’elle avait décidé de recourir à la procédure centralisée pour un vaccin quasi identique avec adjuvant – ce dossier a reçu un avis favorable du comité au premier trimestre de cette année. Elle a estimé que l’évaluation serait plus rapide dans le cadre de la procédure décentralisée, le maniement de la procédure centralisée étant un peu plus complexe. Elle nous l’a fait savoir au début de l’été. Le recours à l’Agence européenne du médicament n’était, en l’occurrence, pas obligatoire.

En moyenne, le financement de l’agence provient à 75 % des redevances des firmes – c’est le cas de nombreuses agences réglementaires en Europe – et à 25 % de la Commission européenne.

Le groupe de travail « vaccins », dont le président est allemand, et qui ne comprend pas de Français, n’est pas constitué de représentants des États. Le comité choisit dans une liste les experts qui lui semblent les mieux à même de réaliser ce travail. Le professeur Jean-Hugues Trouvin, qui travaille à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, préside le groupe « qualité biologique ».

La commission d’enquête du Sénat nous a longuement interrogés, il y a une semaine, sur la question complexe des conflits d’intérêts. La gestion de ces conflits fait partie du règlement qui a mis en place l’Agence européenne du médicament. Sur cette base, nous avons établi une procédure consistant à évaluer le risque de conflits d’intérêts en fonction de l’importance du travail et des avis des experts dans le processus décisionnel. Par exemple, les présidents de comité ne doivent avoir aucun conflit d’intérêts. Il en va de même des experts qui rapportent sur un dossier. Par contre, un niveau défini de conflit d’intérêts peut être toléré dans certains comités, ce qui limite leur engagement dans certains travaux.

M. Gérard Bapt. Ces conflits d’intérêts font-ils l’objet d’une publication ?

M. Patrick Le Courtois. La procédure est publiée sur le site de l’agence, de même que les conflits d’intérêts des membres du conseil d’administration et des comités. Pour l’instant, seul le nom des experts participant aux groupes de travail apparaît. Les conflits d’intérêts de tous les experts travaillant pour l’agence sont néanmoins disponibles sur place et font l’objet de très nombreuses consultations. Notre intention est de mettre rapidement en ligne ces informations.

M. Gérard Bapt. Au vu des résultats de l’étude allemande que l’on vient de nous distribuer, il semblerait que le nombre de décès soit équivalent que l’on ait pas, peu ou beaucoup vacciné. Cela mérite réflexion.

M. Jean Mallot. En utilisant la procédure des vaccins maquettes, on a glissé de quelque chose que l’on connaît à quelque chose que l’on ne connaît pas. Cela étant, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, il a été demandé des examens cliniques complémentaires, notamment sur les populations considérées comme moins bien « testées » pour le vaccin. De ce point de vue, combien d’essais cliniques a-t-on réalisés sur les enfants, en particulier sur la tranche d’âge de six à vingt-quatre mois ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que les firmes avaient demandé à la mi-octobre 2009 la validation du passage de deux à une injection et que cette possibilité avait été reconnue, avant que l’on ne donne un avis favorable en novembre. Pourriez-vous être plus précis au sujet des dates, qui ont leur importance.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous remarquez que les groupes antivaccination ont été plus actifs que vous sur internet. Avez-vous réalisé une cartographie de l’importance de leurs campagnes ? On entend dire que la France est le premier pays touché. Est-ce exact ? Plus généralement, pourquoi les groupes antivaccination remportent-ils à certains endroits plus de succès qu’ailleurs ?

M. Patrick Le Courtois. La stratégie des États-Unis a consisté à n’utiliser que des produits déjà utilisés comme vaccins saisonniers et à y incorporer la nouvelle souche pandémique de la même manière que l’on procède avec les souches saisonnières. Comme certains doutes subsistaient, l’administration a demandé, par exception, quelques données cliniques chez l’adulte pour vérifier la validité de cette stratégie. Les Américains ont donc fait un pari, et ils nous l’ont dit. On notera que la vaccination saisonnière de la femme enceinte et de l’enfant est beaucoup plus fréquente aux États-Unis qu’en Europe.

Par ailleurs, les États-Unis sont très réticents quant à l’utilisation des adjuvants. On n’y propose aucun vaccin saisonnier adjuvanté, ce qui n’est pas le cas en Europe où, notamment, plus de 40 millions de personnes – surtout dans les pays septentrionaux – ont été vaccinées avec un de ces produits. Cette réticence est liée au traumatisme de la crise sanitaire et politique de 1976, lorsqu’un vaccin adjuvanté a provoqué des cas de maladie de Guillain-Barré. De plus, les groupes antivaccination sont plus influents aux États-Unis qu’ils ne le sont en Europe.

Pour en revenir aux vaccins maquettes, qui ont pour la première fois fait l’objet d’une autorisation, le comité a été extrêmement prudent. C’est pourquoi, au mois d’octobre, en dépit d’éléments montrant leur efficacité avec injection d’une seule dose, il a préféré disposer de données définitives issues d’essais « propres » et d’éléments concernant la deuxième dose, afin d’être pleinement assuré de l’efficacité de ces vaccins sur les populations naïves – cet aspect étant, si je puis dire, son obsession.

De plus, le développement des vaccins maquettes s’est fait par étapes, si bien que l’on ne disposait pas de données concernant le nombre de doses nécessaire pour certaines tranches d’âge. Ce n’est pas sans lien avec les recommandations faites en direction des populations à risque : à un certain moment, nous nous sommes trouvés dans la situation où les données disponibles pour les vaccins maquettes contre la grippe A(H1N1) ne concernaient pas les populations recommandées. Des extrapolations étaient possibles, voire acceptables dans une situation de pandémie très sévère, mais, comme on a su assez tôt que la pandémie était modérée, on a demandé des essais supplémentaires.

Outre le comité qui se prononce sur les autorisations de mise sur le marché, l’Agence européenne du médicament comporte un comité pédiatrique, lequel a fortement recommandé que l’on réalise des essais chez les enfants, y compris les plus jeunes, en parallèle avec les essais pratiqués sur les adultes.

Il se trouve que les firmes ont réalisé ces essais de façon séquentielle, en raison des difficultés auxquelles elles se sont heurtées au niveau des comités d’éthique pour faire de telles études chez les enfants alors que l’on ne disposait pas de résultats concernant les adultes. En général, dans le développement des médicaments, on attend ces résultats avant de passer aux essais chez les enfants. Mais, en la matière, les deux catégories étaient très différentes d’un point de vue immunologique et il a semblé préférable de mener les études en parallèle.

Bref, nous avons reçu les résultats des essais cliniques chez les enfants quelques semaines après les résultats concernant les adultes.

En septembre, des données très préliminaires collectées sur un tout petit nombre de sujets vaccinés avec des lots expérimentaux de Pandemrix contenant plus de vaccin que la version commercialisée montraient déjà qu’une seule dose pourrait être suffisante. Vers la mi-octobre, les firmes nous ont demandé de pouvoir modifier leurs demandes d’autorisation de mise sur le marché en passant de deux à une dose de vaccin, sur la base de données qui, je le répète, n’étaient pas complètement finalisées et qui montraient qu’une dose pourrait être suffisante. Invité au Conseil des ministres de la santé au mois d’octobre, j’ai communiqué cette information au commissaire qui a indiqué aux ministres que l’agence, suite à cette demande des firmes, allait évaluer les données et se prononcer une semaine plus tard. Le 22 octobre 2009, l’agence a émis un avis selon lequel elle continuait à recommander deux doses bien que beaucoup d’éléments montrent qu’une dose pourrait être suffisante. Sur la base de ces informations, certains pays ont décidé d’attendre la confirmation formelle du comité, d’autres ont décidé de passer immédiatement à une seule dose. Ce n’est qu’en novembre 2009, au vu de données supplémentaires, que le comité a été complètement convaincu qu’une dose suffisait et qu’il a modifié l’autorisation de mise sur le marché en ce sens.

M. Jean Mallot. À quelle date précisément ?

M. Patrick Le Courtois. Je vous ferai parvenir cette information.

Pour ce qui est des essais cliniques avec les vaccins contre la grippe A(H1N1) – qui ont commencé en août 2009 –, quatre cents à cinq cents personnes, dont deux cents enfants et adolescents, ont été enrôlées pour chacun des vaccins. Les chiffres sont moindres pour les enfants plus jeunes : dix-sept enfants de six à onze mois pour un des vaccins, quatre-vingt pour un autre et soixante-cinq pour le troisième.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les mouvements antivaccination qui existent aux États-Unis sont-ils, d’après vous, d’origine sectaire ?

M. John Ryan. Nous ne disposons pas d’une cartographie d’ensemble de tous ces mouvements. Selon l’expérience dont nous disposons, des groupes tels que ceux s’opposant à la vaccination contre l’hépatite B, le papillome humain ou la rougeole, les oreillons et la rubéole, s’organisent par groupes de langue. À titre d’exemple, en Suisse, des mouvements s’adressent aux populations parlant allemand, ce qui leur procure un impact dans les cantons alémaniques de la Suisse mais non dans les cantons francophones. Aux Pays-Bas – mais il ne s’agit pas véritablement d’un phénomène sectaire –, nous avons observé, dans une zone déterminée, des croyances religieuses régionales hostiles à la vaccination des enfants. Il ne faut pas, pour autant, stigmatiser des populations identifiées en fonction de leur langue ou de leur religion. Mais, si nous voulons définir une stratégie communautaire, il nous faut intégrer tous les facteurs d’acceptation, et donc tenir compte de ces groupes minoritaires, même si nous ne rencontrons pas de problème avec la majorité. Dans une pandémie, on ne peut tenir à l’écart une partie de la population.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous pu identifier l’origine des campagnes sur internet incitant à ne pas se faire vacciner ?

M. John Ryan. Non. Pour nous, le plus important à l’avenir est que, en cas de pandémie, les pays se fassent confiance et définissent une stratégie commune : on n’arrête pas les virus aux frontières des États, comme l’Ukraine a cru pouvoir le faire en fermant les siennes. C’est pourquoi nous travaillons aussi avec l’Organisation mondiale de la santé, même si on ne peut espérer placer tous les pays du monde au même niveau. Notre but est que, sur le plan communautaire, les êtres humains bénéficient d’une protection au moins équivalente à celle des animaux.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous remercie. Si vous rencontrez des représentants de l’Organisation mondiale de la santé, vous pouvez leur rappeler qu’ils nous ont menti par courrier et qu’il va nous falloir en tenir compte.

La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.