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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 2 juin 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 39

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Philippe Coste, ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Paris

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE
LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 2 juin 2010

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Philippe Coste, ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Paris.

La séance est ouverte à dix-sept heures onze.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons maintenant M. Philippe Coste, ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Paris.

M. Philippe Coste prête serment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous propose de nous faire part de votre expérience et de votre sentiment sur l’organisation de la campagne de vaccination. Vous nous expliquerez aussi sans doute aussi les raisons de votre départ de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Paris.

M. Philippe Coste, ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales. La direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de Paris est une DDASS très exposée, qui connaît souvent des situations tendues, qu’il s’agisse de l’afflux de familles de réfugiés, de problèmes d’évacuation d’immeubles détruits par un incendie ou d’autres crises sanitaires, comme la légionellose ou le saturnisme. Dans le cas de la pandémie de grippe A(H1N1), le défi était cependant encore plus important à relever.

Du point de vue de notre organisation, le plan variole s’est avéré d’emblée inopérant. Il a donc fallu inventer un nouveau dispositif pour assurer une vaccination de masse dans le cadre d’exigences de sécurité sanitaire fortes : celui-ci a exigé une logistique lourde.

Cette mobilisation a commencé dès la première hospitalisation, le 28 avril 2009. La première réunion spécifique sur la grippe a eu lieu le 20 mai, pour la mise en œuvre du plan blanc élargi. Cette réunion a été suivie de réunions successives avec le secrétaire général de la ville de Paris, avec la question de la mise en place, d’une part, de centres de coordination sanitaire et sociale dans chaque arrondissement pour répondre aux besoins de la population et, d’autre part, de centres de vaccination dédiés. C’est à ce moment-là qu’ont été évoquées l’utilisation possible de gymnases et la mobilisation des médecins de ville et des médecins de dispensaires et de centres de santé pour assurer la vaccination.

Ces réunions se sont poursuivies au mois de juillet, tant avec le comité départemental de l’aide médicale urgente, le CODAMU, qu’avec les caisses primaires d’assurance maladie, l’ordre des médecins ou l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris.

Une première circulaire sur l’organisation des centres est intervenue le 21 août ; elle a d’ailleurs été modifiée le 23 octobre. Le 2 septembre, j’ai été désigné responsable de l’équipe opérationnelle départementale : nous avons poursuivi les réunions auprès du préfet de police, avec les différents acteurs jusqu’à l’organisation du test national qui a eu lieu dans le gymnase Renoir le 15 septembre 2009. Lors de cet exercice, ont été identifiés les principaux besoins, tant informatiques que logistiques : il est ainsi apparu nécessaire de nommer un responsable du centre de vaccination et de disposer d’un logisticien pour organiser le fonctionnement du centre, notamment pour la gestion des files d’attente.

Le 10 octobre, un plan départemental prévoyant l’ouverture de vingt-deux centres de vaccination a été transmis, plan qui a été revu le 15 octobre, pour tenir compte de l’ouverture de centres pédiatriques, ce qui a paru plus adapté en termes de productivité à Paris.

Nous avons ensuite été confrontés à la réalité de la mise en œuvre de ce plan départemental, au lancement de la vaccination proprement dite.

Les problèmes que nous avons alors rencontrés ont été essentiellement liés à la gestion des ressources humaines. En effet, il est tout d’abord apparu que nous ne disposions pas d’un logiciel adapté pour organiser les plannings et les horaires. Nous avons ensuite eu des difficultés à mobiliser les fonctionnaires des autres administrations, certains personnels ayant fait part de leurs doutes sur l’intérêt de l’opération. S’agissant des internes et des élèves infirmiers, les personnels qui les encadrent se sont montrés parfois peu coopératifs : je rappelle que les infirmières ont notamment manifesté devant le siège de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris et que certains élèves infirmiers craignaient que leur mobilisation ne nuise à leur scolarité.

L’absence de visibilité a également constitué un problème, notamment sur les moyens financiers, puisque nous ne disposions d’aucune enveloppe dédiée pour financer l’opération.

Enfin, le dernier problème a été constitué par l’afflux dans les centres de vaccination : d’abord vides, ils se sont trouvés dès la troisième semaine confrontés à une affluence plus massive, au moment même où nous avions des difficultés à mobiliser les professionnels pour assurer la vaccination et où nous étions donc naturellement tentés de réduire le rythme des vacations. Pour faire face à un certain absentéisme, nous avons donc fait appel à des groupes plus volontaires, en particulier à des médecins généralistes retraités qui s’étaient dits prêts à être mobilisés.

Cette campagne de vaccination a été néanmoins, au-delà de son effet direct, l’occasion de tirer des leçons utiles pour l’avenir : nul doute que si une expérience de ce type devait être renouvelée, les instructions nationales seraient données plus rapidement, puisque l’on pourrait s’appuyer sur ce qui a déjà été fait. Des difficultés qui ont été rencontrées ne le seraient plus à l’avenir : par exemple, pour la mobilisation des médecins du travail, les gestionnaires, installés à Paris, ont fait parvenir des listes sur lesquelles figuraient de nombreux médecins exerçant en banlieue parisienne, et qui auraient donc été plus utiles s’ils avaient été mobilisés dans les départements limitrophes de Paris. En tout état de cause, le retour d’expérience est toujours utile et profitable.

Un constat qui a été dressé est celui d’un inégal accès de fait à la vaccination et d’une forte corrélation entre le gradient social et l’appétence pour la vaccination : c’est un point sur lequel il faudra continuer de travailler.

M. Jean-Pierre Door, Rapporteur. Quel est le nombre final de personnes vaccinées à Paris ?

M. Philippe Coste. Au moment où j’ai quitté mes fonctions, Paris était le premier département en pourcentage de la population vaccinée, ce qui est d’ailleurs assez logique, au regard de la forte densité de la population à Paris. Pour la ville de Paris, vingt-deux gymnases étaient prévus, mais douze seulement ont été utilisés au départ. Nous avions sélectionné les meilleurs d’entre eux au regard de nombreux critères tels que l’accessibilité générale ou l’accessibilité aux personnes handicapées, et dans onze d’entre eux, il était possible de mettre en place une seconde chaîne de vaccination, permettant ainsi de fluidifier l’activité, en particulier dans l’hypothèse où se présente un cas clinique qui demande plus de temps.

Ce n’est qu’ensuite, après mon départ, que la totalité des vingt-deux centres de vaccination ont été ouverts.

S’agissant des résultats de la vaccination, le démarrage a été assez lent : le premier jour, le 12 novembre, 1 000 personnes ont été vaccinées. Le jeudi suivant, c’étaient 2 000 personnes qui se soumettaient à la vaccination. Le rythme s’est encore accru de semaine en semaine, puisque l’on est passé de 2 900 vaccinations le jeudi d’après à 3 600 le jeudi suivant, puis à 4 500 vaccinations le jeudi 10 décembre. Le jeudi 24 décembre, en revanche, on ne comptabilisait plus que 866 vaccinations. La date officielle de fermeture des centres de vaccination fût le 8 février 2010. Je ne dispose pas du taux de vaccination final de la population parisienne, donnée qu’il faudrait demander au directeur de l’agence régionale de la santé de Paris. À mon départ, 2,9 % de la population parisienne était vaccinée, ce qui était important, mais tenait aussi au mode de fonctionnement qui avait été retenu pour les centres de vaccination, qui avaient été orientés vers la productivité.

M. Jean-Christophe Lagarde, Président. Comment a été opéré le choix des centres de vaccination ? La ville a-t-elle proposé des lieux ? La préfecture de police est-elle intervenue aux côtés de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ? Quand vous sont parvenues les instructions nationales, puisque vous indiquez qu’elles ont été tardives ? Quelles ont été les difficultés logistiques spécifiques à Paris, au regard de la fréquentation des centres ? Lorsque nous avons auditionné les syndicats de médecins et d’infirmiers, ils nous ont fait part du caractère désordonné des réquisitions à Paris : comment les choses se sont-elles déroulées ? Enfin, pouvez-vous revenir sur les raisons de votre départ ?

M. Philippe Coste. S’agissant des réquisitions, elles ont parfois été mal vécues, mais elles étaient nécessaires d’un point de vue juridique pour assurer la couverture assurantielle des professionnels concernés.

M. Jean-Christophe Lagarde. Comment s’est opéré le choix des personnes réquisitionnées ?

M. Philippe Coste. Les médecins généralistes n’ont pas été réquisitionnés à Paris, car il était convenu qu’il fallait maintenir le système de soins pour les personnes malades, qu’elles soient touchées par la grippe ou par une autre pathologie d’ailleurs.

S’agissant des instructions nationales, lorsque j’ai dit qu’à l’avenir, elles seraient diffusées plus tôt, ce n’était pas un reproche : il s’agissait d’expliquer que de nombreuses décisions avaient été prises avant l’été, car il était nécessaire de les prendre, mais la première circulaire ministérielle a été diffusée à la fin du mois d’août.

S’agissant de mon départ, je dirai qu’il n’était pas programmé : le directeur de cabinet de la ministre m’a expliqué qu’on me reprochait de ne pas avoir su mobiliser les internes de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Pourtant, sur ce point, les pouvoirs de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales sont limités.

M. Gérard Bapt. C’est plutôt le rôle de l’agence régionale de l’hospitalisation !

M. Philippe Coste. Il n’y a pas eu spécialement de difficultés avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Paris a la densité médicale la plus importante en France : il n’y a donc pas eu de difficulté majeure pour mobiliser des médecins. Il s’est agi peut-être davantage d’un problème relationnel : l’organisation parisienne est spécifique, puisqu’elle implique des relations étroites avec le secrétaire général de la ville de Paris, le préfet de police, le préfet de Paris et le préfet délégué à la zone de défense, et le contexte peut donc parfois être difficile… Mon poste avait en tout état de cause vocation à disparaître quelques semaines plus tard, à la faveur de la naissance des agences régionales de la santé, qui signait la disparition des directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales.

Mme Catherine Génisson. Vous avez dit que la principale difficulté concernait les ressources humaines : y a-t-il d’ailleurs eu sur ce point une cohérence dans la logique des consignes qui ont été données ? On a en effet eu l’impression qu’au départ, la participation des médecins généralistes était bien prévue, et qu’ils n’ont été écartés que dans un second temps. S’agissant de la mobilisation du monde hospitalier et de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, ne pensez-vous pas que dans ce type de contexte, il vaudrait mieux se tourner d’emblée vers la médecine générale ou administrative plutôt que de solliciter l’hôpital, qui n’est pas a priori le plus apte à répondre à ce type de sollicitation ? Enfin, le plan départemental initial était composé de douze centres : le passage à vingt-deux centres a-t-il conduit à une amélioration en termes de fonctionnement et d’accueil de la population ?

M. Philippe Coste. Le passage à vingt-deux centres a pu améliorer la fluidité des centres, mais en termes d’effectifs vaccinés, il n’y a pas eu d’amélioration avec le passage à vingt-deux centres malgré l’augmentation de moyens qui a été nécessaire pour faire fonctionner dix centres supplémentaires.

Mme Catherine Génisson. Ce passage à vingt-deux centres n’a-t-il pas justement compliqué la situation ?

M. Philippe Coste. Il est évident que plus le dispositif est dispersé, moins on peut mutualiser les moyens : c’est ce que j’expliquais tout à l’heure en évoquant la seconde chaîne de vaccination.

S’agissant du recours aux médecins, la situation n’est pas la même en fonction des zones : des professionnels disponibles peuvent exister dans toutes les catégories. Il faut en tout état de cause faire d’abord appel à des volontaires et le cas échéant, procéder à la mobilisation des professionnels à moindres frais en termes de santé publique. Je pense par exemple à la médecine du travail, dont certaines activités peuvent être plus facilement différées que celles d’un interne par exemple. L’association de médecins retraités présidée par le Docteur Xavier Emmanuelli effectue d’ailleurs un travail très utile dans ce genre de situations.

M. le rapporteur. Combien de personnes au sein de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ont été mises à contribution pour l’élaboration et la mise en œuvre du plan départemental parisien ?

M. Philippe Coste. La direction départementale des affaires sanitaires et sociales compte environ deux cents personnes, dont cent dix personnes dans le secteur de la santé : l’ensemble des services a été sollicité, et je leur rends hommage devant vous. Les personnels ont également travaillé le week-end et le 11 novembre, la veille de l’ouverture des centres de vaccination, lorsque j’ai lancé un appel à la mobilisation des personnels, vingt-cinq personnes se sont portées candidates. L’opération a suscité une très forte adhésion de la part de l’ensemble des personnels.

Mme Catherine Lemorton. Je reviens à ce qui a été présenté comme votre mutation : elle est intervenue à un moment où l’opposition dénonçait déjà les modalités de la mise en œuvre de la campagne de vaccination. Que vous a-t-on reproché exactement de plus que le fait de ne pas avoir pu mobiliser les internes de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris ? Que faites-vous désormais ?

M. Philippe Coste. Je vous ai dit la vérité et je ne peux rien dire de plus. Les semaines qui ont suivi mon départ de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ont été difficiles. J’ai été ensuite nommé conseiller général pour les établissements de santé, et j’effectue actuellement une mission sur les relations entre l’État et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

M. Jean-Paul Bacquet. Ne pensez-vous pas avoir fait les frais d’une décision prise en raison d’une certaine intolérance des médias dans cette affaire ?

M. Philippe Coste. Chacun peut avoir son sentiment sur ce sujet, et mon avis n’importe pas davantage qu’un autre.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-huit.