Accueil > Commissions d'enquête > Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A (H1N1) > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 2 juin 2010

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de Mme Valérie Lévy-Jurin, maire-adjointe de Nancy, présidente du réseau français des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé, membre de l’Association des maires de France

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE
LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 2 juin 2010

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend Mme Valérie Lévy-Jurin, maire-adjointe de Nancy, présidente du réseau français des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé, membre de l’Association des maires de France.

La séance est ouverte à dix-huit heures.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons maintenant madame Valérie Lévy-Jurin, maire-adjointe de Nancy, présidente du réseau français des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé, membre de l’Association des maires de France.

Mme Valérie Lévy-Jurin prête serment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous propose de nous exposer le rôle du réseau français des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé ainsi que la position de l’Association des maires de France sur l’organisation de la campagne de vaccination.

Mme Valérie Lévy-Jurin, maire-adjointe de Nancy, présidente du réseau français des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé, membre de l’Association des maires de France. Le réseau des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé existe depuis vingt ans. Il a pour objet de défendre le rôle des villes et des politiques urbaines dans les politiques de santé publique, que ce soit en matière de transports, d’urbanisme ou d’éducation. Il regroupe soixante-dix villes de taille relativement importante et a conclu des conventions avec le ministère de la santé, par exemple pour réduire les inégalités sociales dans le domaine de la santé.

S’agissant de l’avis des collectivités locales sur l’organisation de la campagne de vaccination, il est difficile de dégager une analyse globale du fait des disparités qui peuvent exister entre départements, liées à l’histoire locale, mais aussi aux liens qui ont pu être noués avec l’administration par certains, aux relations interpersonnelles, ou à l’expérience de crises que certains territoires ont déjà vécues.

On peut néanmoins observer deux éléments de contexte qui peuvent expliquer l’insatisfaction qui s’est fait jour. En premier lieu, la réforme générale des collectivités territoriales : les personnels des directions départementales des affaires sanitaires et sociales étaient inquiets quant à leur avenir, et à la crise sanitaire s’ajoutait ainsi une insécurité psychologique. En second lieu, il existait un climat de tension entre les services de l’État et les collectivités locales, dans un contexte budgétaire difficile. Le regard que l’État porte sur nous n’est jamais désintéressé, alors que le domaine de la santé a toujours été affirmé comme relevant de sa compétence exclusive…

Des points positifs sont à souligner. Les collectivités locales ont fait généralement preuve de bonne volonté, car elles tiennent à protéger la santé de leurs populations, et leurs personnels se sont bien mobilisés. En outre, on a pu observer que la culture des situations de crise s’est progressivement installée en France au fil des crises sanitaires. Les plans de continuité de services se sont imposés comme des outils importants, ils ont été étoffés, travaillés, et les personnels y ont porté une grande attention. Plus généralement, nous avons eu l’occasion de redécouvrir les messages d’hygiène et de retrouver une culture de l’hygiène, ce qui constitue également un point positif.

Cela étant, il existe une grande disparité entre collectivités locales, et notamment entre, d’une part, les petites communes et, d’autre part, les moyennes et grandes villes. Les élus ruraux nous ont fait part de leur sentiment de solitude et ont regretté de n’être pas informés, alors que sévissait une véritable cacophonie médiatique et qu’ils sont eux-mêmes le premier relais de l’information vers leurs administrés. Ils auraient voulu bénéficier de la même information que les maires des grandes villes.

Les services d’hygiène des grandes villes ont pour leur part joué un rôle très important et ont contribué à assurer des solidarités entre territoires limitrophes. Ces services font parfois sourire l’État, mais ils ont une capacité de réaction efficace. Les médecins directeurs ont été très fiables et se sont intensément mobilisés, souvent aux dépens de leurs missions de base.

L’information des élus a été perçue comme étant très verticale. Dans les messages que nous avons recueillis, nombreux sont ceux qui déplorent les « ordres », « instructions », ou « injonctions » faits aux collectivités. Il en a été de même pour l’organisation, ressentie comme stéréotypée, standardisée et ne prenant pas en compte les spécificités locales, comme par exemple l’existence, dans certains cas, de services de santé scolaire, sur lesquels l’État n’a donc pas pu s’appuyer. La ville de Grenoble a ainsi dû interpeller la préfecture pour signaler l’existence d’un service qui aurait pu contribuer à désengorger les centres de vaccination. Le recours à une organisation trop standardisée a donc fait fi des atouts que présentaient les collectivités.

On peut également regretter la méconnaissance des habitudes et des populations concernant les choix des lieux où ont été établis les centres de vaccination, choix parfois surprenants qui n’ont pas pris en compte les contraintes budgétaires pour les collectivités qui devaient gérer les annulations de spectacles ou de manifestations sportives, ni la desserte de ces lieux par les transports en commun. Des lieux ont été imposés et il a fallu un bras de fer pour que soient adoptées des solutions plus acceptables sur le plan budgétaire. Certaines villes ont même eu des mouvements d’humeur et ont réclamé une réquisition des locaux où ont été installés les centres.

Les relations, nouées sur le mode du commandement, ont ainsi été mal vécues car les nombreux ajustements en cours de campagne ont été interprétés comme des contradictions. Ainsi, la commune de Champeix a travaillé durant tout l’été sur l’établissement d’un centre et au mois d’octobre cette solution a été abandonnée au bénéfice du recours à des centres de vaccination situés dans des communes voisines. Tous ces ajustements ont été faits par fax, même pas par téléphone ! Il aurait fallu, dès le départ, un véritable dialogue et de la modestie pour qu’il y ait compréhension.

Autre incompréhension : l’exclusion des médecins généralistes du dispositif de vaccination. Ils sont pourtant des acteurs importants des territoires, et contribuent pour une part à l’attractivité de ces derniers.

La question des indemnisations constitue évidemment une demande forte des communes. De nombreux frais n’ont pas été pris en compte pour leur calcul. Les sommes atteintes sont parfois importantes – 63 000 euros pour Metz, 90 000 euros pour Villeurbanne – et les remboursements prévus sont parfois inférieurs au dixième des frais engagés. La mise à disposition de locaux n’a parfois pas été prise en compte. Tout cela appelle une révision des modalités de calcul des indemnisations.

Pour conclure, je dirai qu’après une fin de crise brutale, les territoires attendent aujourd’hui des bilans établis au niveau des départements et regrettent que l’État, souvent demandeur d’évaluations, n’en ait pas conduit pour l’instant.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Je vous poserai trois questions : l’Association des maires de France, qui mène de nombreuses campagnes d’information auprès des communes, a-t-elle agi de même pour la campagne de vaccination ? Ne pensez-vous pas qu’il faudrait renforcer le rôle des référents sanitaires dans les communes ? Le réseau que vous présidez a-t-il eu des contacts avec l’Organisation mondiale de la santé lors de la gestion de la crise ?

Mme Valérie Lévy-Jurin. Les associations d’élus ont transmis des informations, mais celles-ci étaient très générales ; l’organisation a pour sa part été spécifique à chaque département. L’Association des maires de France a pu fournir des informations régulières, car elle était en contact avec la cellule de crise interministérielle.

Le réseau des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé a également transmis des informations, concernant par exemple les achats de masques et leur stockage, et a répondu aux questions récurrentes qui lui étaient posées. En revanche, aucun contact particulier n’a été établi avec l’organisation, car celle-ci considère que le système français est exemplaire et que la tradition vaccinale dans notre pays est forte. Elle se préoccupe donc davantage des pays en voie de développement. Nous sommes néanmoins en contact avec son bureau de Copenhague qui est chargé des villes santé.

Les médecins directeurs et les responsables de services d’hygiène existent surtout dans les grandes villes, qui appartiennent à des agglomérations ou d’autres établissements publics de coopération intercommunale. Il faudrait d’ailleurs sans doute rattacher ces services à ces établissements publics, car ils ont joué un rôle important en termes de solidarité entre territoires de santé et les établissements publics de coopération intercommunale sont désormais dotés de compétences dans le domaine de la santé, dans lequel ils pourraient être des « fers de lance ».

Mme Catherine Lemorton. On peut regretter que les relations avec l’Organisation mondiale de la santé soient si limitées, car de nombreuses leçons auraient pu être tirées des conséquences de la fermeture de centres de vacances dans l’hémisphère Sud sur l’évolution de la pandémie… Comment pourrait-on optimiser ces retours d’expérience ? Un jour surviendra une nouvelle pandémie, et les informations émanant de l’Organisation mondiale de la santé seront précieuses.

Mme Valérie Lévy-Jurin. Notre réseau tient des réunions régulières à un niveau européen élargi, où sont présentes Jérusalem ou des villes turques. La prochaine réunion, qui se tiendra en Norvège, aura lieu en présence de représentants de l’Organisation mondiale de la santé. Nous les interpellerons, en tant que « pouvoirs locaux », sur ce sujet pour améliorer notre efficacité la prochaine fois.

En conclusion, je tiens à souligner que si les collectivités locales sont des partenaires des pouvoirs publics lors des crises sanitaires, elles ne souhaitent évidemment pas devenir gestionnaires de ces crises. Elles souhaitent en revanche que leur savoir-faire soit reconnu, et qu’on les respecte.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures trente.