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Commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Mercredi 15 septembre 2010

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 5

Présidence M. Henri Emmanuelli, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. François Pérol, président de la Fédération bancaire française

L’audition débute à 18 h 40.

M. le président Henri Emmanuelli. Merci, monsieur François Pérol, d’avoir répondu à notre invitation pour faire profiter notre commission d’enquête de votre riche expérience, d’abord de haut fonctionnaire en charge des questions économiques et financières, puis de secrétaire général adjoint de la Présidence de la République et, enfin, de banquier. Vous êtes en outre président, depuis peu, de la Fédération bancaire française.

M. François Pérol prête serment.

M. le président Henri Emmanuelli. L’objet de nos travaux, qui semble assez large, sera resserré progressivement. Nous savons bien sûr que la spéculation peut être aussi utile que dangereuse pour les économies.

Quels ont été à votre sens les acteurs de la crise actuelle et que peut-on faire pour éviter qu’elle ne se reproduise ?

M. François Pérol, président de la Fédération bancaire française. La spéculation entendue au sens de la manipulation du marché, de la déformation de la réalité économique, est évidemment nuisible au bon fonctionnement du marché et contraire à sa logique. Le marché doit être au service de l’économie, notamment pour assurer son financement. C’est un outil central : il fait le lien entre l’épargne et l’investissement, privé et public, il permet aux entreprises et aux États de lever des capitaux et aux épargnants de placer les leurs. Il est le lieu de la formation des prix. Il convient donc que toutes les données et informations dont il dispose soient justes, et il est normal que ces informations entraînent des fluctuations des prix.

La spéculation entendue au sens de la manipulation du marché nuit au bon processus de formation des prix. Or, si les prix sont mal formés, l’épargne ne se dirige pas vers les bons investissements. Il est donc essentiel de faire en sorte que le marché soit le plus ouvert, le plus transparent, le plus liquide possible afin que les prix puissent se former correctement. Pour cela, le marché doit être développé.

Le prix dépend à la fois de l’évaluation des risques et de la liquidité du marché. Plus le marché est liquide, ce qui signifie que les acteurs sont nombreux, plus ces acteurs considèrent que le risque, et donc leur coût d’intervention, est faible. Les règles du marché doivent viser à établir de telles conditions.

La crise grecque, qui a été à l’origine de votre réflexion, s’est déclenchée bien avant que les choses ne s’emballent sur les marchés. La situation économique et financière de la Grèce était déjà unanimement considérée comme préoccupante, mais l’élément déclencheur a été d’apprendre que les gouvernements successifs avaient communiqué aux marchés des informations inexactes sur l’endettement du pays et le niveau de son déficit rapporté à sa production intérieure. C’est l’incertitude qui en est résultée et la perte de confiance dans l’émetteur de la dette qui ont entraîné les mouvements des marchés, les acteurs se rendant compte qu’ils avaient été trop optimistes sur la situation des finances publiques et que leurs informations étaient inexactes. Dans ce genre de cas, l’inquiétude est amplifiée par l’incertitude : ainsi, dès qu’il apprend qu’une entreprise a communiqué des données inexactes au marché, un investisseur ne croit plus à rien sur sa santé financière et la gravité réelle de la situation, ce qui ne peut aboutir qu’à une forte dégradation du marché.

Il est possible que certains acteurs de très court terme aient vu là une possibilité de profits, en anticipant une dégradation très prononcée de la situation, mais ce ne sont pas leurs mouvements qui ont créé la crise : tout au plus ont-ils pu l’aggraver ou l’entretenir.

Aujourd’hui, l’inquiétude persiste sur la situation de la Grèce en tant qu’émetteur, ce qui se traduit dans l’écart de taux avec les autres pays européens.

L’exposition des banques françaises en Grèce est relativement faible sur la dette de l’État et un peu plus élevée sur le reste de l’économie. Au total – en comptant l’État, les banques et les agents privés –, elle s’élève à 53 milliards d’euros, dont 9,5 milliards sur la dette souveraine à fin avril 2010. Lors de l’annonce du plan de soutien à la Grèce, nous avons pris l’engagement de conserver nos positions et nous l’avons tenu. Mais, encore une fois, ce n’est pas la spéculation qui a déclenché la crise : c’est l’annonce, grave en tant que telle, que l’émetteur avait communiqué de fausses informations.

Il est possible d’agir pour que le marché remplisse au mieux sa mission, c’est-à-dire finance l’économie. La réflexion s’organise autour de plusieurs axes. Le premier axe concerne la réglementation des agences de notation, notamment en matière de conflits d’intérêts. Un autre porte sur les marchés dérivés : il s’agirait de mettre en place une standardisation et une compensation centrale systématique des produits dérivés, afin de limiter au maximum le risque systémique. Une réforme de la directive sur les services financiers est aussi à l’étude, qui devrait améliorer la transparence des marchés, c’est-à-dire permettre la connaissance des interventions de chaque acteur et réduire la fragmentation des marchés. L’ensemble de ces réformes permettrait de rendre le marché plus transparent et plus liquide. Les banques françaises les appuient et contribuent à leur élaboration. Ces réformes sont nécessaires pour corriger les dysfonctionnements des marchés.

M. le président Henri Emmanuelli. Quelles sont les conséquences des accords de Bâle III sur vos fonds propres ?

M. François Pérol. L’accord de dimanche dernier entre les gouverneurs de banques centrales est la traduction exigeante des engagements pris par les chefs d’État et de gouvernement au G20. Il impose aux banques un renforcement très significatif de leur capital : au final, si l’on tient compte d’une définition plus restrictive et de l’augmentation du niveau minimum de capital, le ratio minimal de capital est de 5 à 6.

Les banques françaises ont la capacité de s’adapter à ces nouvelles normes : elles sont solides, ainsi que l’ont démontré les tests de résistance de juillet dernier. Elles ont déjà commencé à renforcer leur capital – leurs fonds propres durs, ou fonds propres tier one, ont été augmentés de 30 % depuis deux ans – et leur modèle est assez solide pour leur permettre de respecter sans difficulté le nouveau ratio.

La conséquence de l’accord est que, toutes choses étant égales par ailleurs, il faut plus de capital pour exercer la même activité. Cela influe sur la capacité des banques à distribuer du crédit. Si les accords Bâle III ont défini un cadre très clair en matière de ratio minimal, plusieurs points très importants restent en discussion. C’est le cas du ratio de levier, qui n’est pas une mesure de risque et devrait à notre sens rester un indicateur de surveillance prudentielle, pas une norme dont le respect est sanctionné. Une autre réflexion a cours sur les établissements dits systémiques, et surtout sur l’opportunité de leur imposer une surcharge en capital. Nous ne pensons pas que cela soit nécessaire. En effet, d’autres moyens existent pour diminuer le risque systémique, à commencer par le renforcement de la supervision et une meilleure régulation des marchés. Enfin, les résultats de la discussion sur les ratios de liquidités pourraient modifier fondamentalement la façon dont les banques financent leurs activités et peser sur leur rentabilité.

Tous ces sujets restent ouverts. Les accords de Bâle traduisent un dosage déjà exigeant, et il ne faut pas aller au-delà. On demande aux établissements de changer le numérateur de leur ratio de solvabilité, en ayant la sagesse de leur laisser le temps de s’adapter. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi un dénominateur – les risques qu’ils prennent ! Si la contrainte sur le numérateur est encore accentuée, les établissements devront ajuster le dénominateur, c’est-à-dire prendre moins de risques ou les sortir de leur bilan. Cela débouchera sur un modèle de banque moins intermédié que ce qu’il est aujourd’hui en France, avec plus de marché, plus de titrisation et moins de crédit.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. On a beaucoup entendu, pendant la crise, que les établissements de grande taille constituaient un risque majeur – parce qu’on ne les laissera jamais tomber. Mais l’augmentation des fonds propres ne pousse-t-elle pas justement à la concentration ? Par ailleurs, quelle est la part que vous attribuez à la titrisation dans la crise financière ? Considérez-vous que les tests de résistance, qui ont fait l’objet de critiques, soient efficaces ou qu’ils doivent être améliorés ? Enfin, que pensez-vous de l’idée d’interdire ou de limiter les ventes à découvert à nu ?

M. François Pérol. S’il faut limiter la taille des établissements, cela ne doit être que dans l’objectif de maintenir la concurrence sur les marchés. De ce point de vue, c’est une décision parfaitement légitime. Pour le reste, la taille n’est pas en tant que telle un indicateur de la qualité de la gestion, de la supervision, de la régulation d’un établissement. Sur le marché français, par exemple, aucun des grands établissements qui seraient qualifiés de systémiques si l’on parvenait à s’entendre sur une définition finale n’a fait faillite ni n’a mis l’économie française en danger. En Irlande, en revanche, des établissements de moindre taille ont mis en danger l’ensemble de l’économie du pays. Quant aux États-Unis, si certains très grands établissements bancaires ont montré des défaillances fondamentales, de nombreuses faillites ont aussi été le fait de petits établissements. La taille n’est donc aucunement un critère de prévention du risque et il ne servirait à rien de la limiter a priori plutôt que de s’intéresser à la qualité professionnelle des établissements.

La titrisation peut jouer un rôle utile dans le financement de l’économie si elle est correctement appréhendée. Dans le cas américain, il y avait un très grand nombre d’intermédiaires entre la prise de risque initiale et la vente finale aux investisseurs, ce qui a conduit à une déconnexion totale entre l’appréciation du risque et le portage final. Ce sont ces véhicules de titrisation, qui comportaient un grand nombre d’instruments de crédit dont le risque avait été mal apprécié et qui étaient souvent proposés par des établissements non bancaires – les plus nombreux dans la distribution des subprimes – qui ont conduit aux difficultés que nous avons connues. Sur les marchés européens, où les crédits immobiliers sont attribués selon une analyse « toute bête » de la capacité de remboursement de l’emprunteur, les véhicules de titrisation sont parfaitement sécurisés. Nous les avons peu développés, parce que nous préférons conserver ces crédits dans nos bilans, mais ils peuvent être utiles au fonctionnement de l’économie. Si les normes de Bâle sont appliquées de façon stricte, ce qui devrait être le cas, elles conduiront les établissements à diminuer la taille de leur bilan et à développer la titrisation. Il faudra donc absolument veiller, sur ce marché, à ce que la prise de risque ne soit pas complètement déconnectée du portage final. Dans ce but, nous défendons l’idée d’un label européen pour les véhicules de titrisation.

Pour ce qui est des tests de résistance, nous sommes heureux que les vingt-sept régulateurs européens se soient livrés ensemble à l’exercice, et publient l’intégralité de ses résultats. Il ne me semble désormais pas possible de ne pas reconduire ce genre d’opération. Ces tests ont été critiqués, notamment par le Wall Street Journal, en des termes assez peu amicaux d’ailleurs. Mais l’objet des tests tels qu’ils ont été conçus par les régulateurs était d’apprécier l’impact d’une crise de la dette souveraine sur le niveau de solvabilité des banques, et la méthode qu’ils ont définie nous semble parfaitement adaptée à cet objectif. Ils ont eu l’occasion de préciser publiquement le pourquoi et le comment de l’opération.

Enfin, le mécanisme de la vente à découvert à nu peut présenter un intérêt dans certains cas particuliers. Lorsque vous vous portez candidat à une adjudication de titres d’État, par exemple, vous devez vous couvrir pour ne pas exposer votre bilan à une position directionnelle. Par définition, vous n’avez pas encore les titres mais vous les vendez à découvert à nu parce que vous êtes quasiment certain de les obtenir. Le délai entre l’adjudication et le dénouement de l’opération n’est que de quelques jours. Le risque final est pris par les investisseurs, qui, eux, prennent des positions directionnelles sur les marchés, mais généralement pas par les banques adjudicatrices.

Dans d’autres cas, les ventes à découvert à nu sont beaucoup plus contestables : elles peuvent créer des distorsions importantes et présenter un risque considérable pour l’acteur, qui n’est pas assuré de trouver sur le marché les titres qui lui sont nécessaires.

Mais si certaines de ces ventes sont nuisibles au bon fonctionnement du marché, il ne faut pas oublier celles qui sont utiles. C’est pourquoi il me semble bien préférable de les réglementer, comme c’est en cours en Europe, plutôt que de les interdire absolument. D’autant que, dans ce dernier cas, les États, qui procèdent en ce moment à des émissions importantes, trouveraient des marchés moins liquides et que les banques spécialistes de la dette auraient plus de mal à remplir leur mission.

En 2008, les régulateurs ont interdit, aux États-Unis puis ailleurs, les ventes à découvert à nu sur certains titres. C’était nécessaire sur le moment, mais il faut garder à l’esprit que de telles mesures ne peuvent être efficaces que si elles sont internationales – tout comme la réglementation d’ailleurs.

M. Louis Giscard d’Estaing. Les établissements bancaires français ont-ils participé à la spéculation sur la dette souveraine grecque ? Dans l’affirmative, par quels mécanismes ? On sait que l’Allemagne avait quant à elle pris la décision de stopper les possibilités d’intervention spéculative sur la dette souveraine…

Les établissements bancaires français sont-ils satisfaits des conditions de transparence et d’information dans lesquelles s’effectue le portage d’actions ?

Que pensez-vous de l’application de la Volcker Rule dans le modèle bancaire français ?

Enfin, nous avons été surpris de constater que les banques françaises n’étaient pas aussi solides que nous le pensions et que de grands établissements espagnols obtenaient de meilleurs résultats aux tests de résistance, alors qu’ils sont très exposés au marché immobilier domestique. Comment l’expliquez-vous ?

M. François Pérol. Les banques françaises ne sont pas des acteurs majeurs sur le marché de la dette souveraine grecque, avec des positions de 9,5 milliards d’euros – elles sont plutôt exposées sur le marché économique, surtout par le biais de leurs filiales en Grèce. J’imagine donc difficilement qu’elles aient pu contribuer à la spéculation sur la dette grecque, d’autant qu’elles veillent à respecter l’ensemble de la réglementation. À titre d’exemple, l’exposition de l’établissement que je préside n’atteint pas 100 millions d’euros, ce qui est dérisoire pour une dette de plusieurs centaines de milliards.

À propos du portage d’actions, vous faites référence aux opérations par lesquelles des établissements financiers acquièrent des titres pour le compte d’opérateurs qui souhaitent demeurer discrets. À titre personnel, je pense que le marché doit avoir la meilleure connaissance possible des opérateurs qui interviennent sur chaque titre, y compris dans les opérations de portage. C’est une information utile pour les autres investisseurs.

La Volcker Rule établit une distinction entre les activités pour compte propre de la banque et ses activités pour le compte de sa clientèle. En pratique, c’est difficile. Certaines opérations relèvent clairement du compte propre : des positions directionnelles prises par une banque sur son bilan, par exemple. Mais la banque peut aussi utiliser son compte propre pour le service d’un client. Ainsi, la banque chargée d’une émission obligataire est le teneur de marché pour ce titre : elle intervient sur le marché pour contribuer à la formation du prix. C’est son compte propre et son bilan qui sont mobilisés pour cela, mais c’est indispensable pour proposer un service de qualité à son client – l’émetteur. Pour lui obtenir un bon prix de marché, il faut intervenir sur ce marché et, pour cela, il importe d’avoir des « livres » et d’être capable de vendre et d’acheter. Il en est de même pour une couverture de change : vous devez être capable de proposer un prix à votre client, et donc de prendre position sur le marché, le tout sur votre compte propre.

Voilà pourquoi la distinction entre compte propre et compte de tiers est en pratique difficile à effectuer pour les banques qui veulent rendre à leurs clients, et notamment aux grandes entreprises, tous les services qu’ils attendent, du crédit au financement de marché – puisque les entreprises connaissent toutes désormais, elles l’ont appris de la crise, la nécessité de diversifier leurs modes de financement. Nous attendons donc de voir comment la Volcker Rule sera appliquée en pratique. Chacune des banques de notre fédération a sans doute un pourcentage différent d’opérations pour compte propre dans le total de ses activités, sans compter les divergences d’interprétation. Chacune décide aussi de ce qu’elle veut faire de son bilan. À titre d’exemple, mon établissement a décidé de placer en gestion extinctive les activités de compte propre lorsque ce n’était pas utile à nos clients, d’abord parce que ces activités mobilisent des fonds propres importants, ensuite, il faut bien le dire, parce que nous n’avons pas été brillants par le passé en ce domaine et, enfin, parce que ces activités ne répondent pas à notre vocation. Mais d’autres peuvent faire des choix différents.

Je pense que, si une banque – ce n’est le cas d’aucune banque française – réalise l’essentiel de ses profits sur des activités de compte propre, un peu comme le fait un fonds d’investissement mais dans le cadre, pour ce qui le concerne, du mandat donné par ses clients, ses dirigeants doivent être confrontés à des décisions difficiles lorsqu’il leur faut intervenir dans l’intérêt de leurs clients. Mais ce n’est qu’une opinion personnelle. Pour le reste, nous attendons avec un grand intérêt de voir de quelle façon les États-Unis appliqueront la Volcker Rule.

Je ne suis pas très bien placé pour commenter la situation des banques espagnoles. Elle est contrastée : un certain nombre a parfaitement passé les tests de résistance, d’autres ont besoin d’une recapitalisation. Cela s’explique par le fait qu’elles sont très diversement exposées à l’économie domestique, parce que les très grandes banques espagnoles sont de très grandes banques internationales et qu’une grande part de leurs activités se fait hors d’Espagne.

Quant aux banques françaises, les tests ont montré qu’elles disposaient d’un « coussin » de fonds propres important, y compris dans le scénario le plus tendu, celui d’une double récession aux États-Unis. C’est dû au fait qu’elles ont déjà considérablement renforcé leurs fonds propres.

M. Dominique Baert. Pensez-vous qu’il faille réguler de façon différente les produits financiers selon qu’ils sont adossés à des actifs ou à des indices ? Avez-vous étudié leur volatilité selon cette distinction ? Autrement dit, la sensibilité aux risques est-elle différente selon que les produits sont adossés à l’économie réelle ou à l’économie virtuelle ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l’idée du Centre d’analyse stratégique de renforcer les ratios prudentiels des vendeurs de CDS (Credit Default Swaps), qui, s’ils provisionnent mal le risque qu’ils assurent, pourraient devenir les maillons de transmission d’une crise systémique ?

M. François Pérol. J’avoue humblement n’avoir jamais pensé à une régulation différenciée selon que les produits sont adossés à des actifs ou à des indices. Mes services n’ont jamais étudié la question. Au premier abord, je ne suis pas sûr que les indices se rattachent davantage à l’économie virtuelle : ils ne font que refléter des actifs. Quoi qu’il en soit, nous allons approfondir la question et vous transmettrons nos réflexions.

Pour ce qui est des CDS, les accords de Bâle III ont prévu un renforcement considérable des fonds propres exigés pour mener les activités considérées comme les plus risquées. Les régulateurs ont fait de ce principe un élément important de la définition des risques moyens pondérés. La préoccupation que vous évoquez est donc prise en compte. En revanche, d’un point de vue plus global, il nous semble que le dispositif gagnerait en sécurité si ce type de produits faisait l’objet d’une compensation systématique, avec une chambre centrale de compensation permettant aux acteurs d’avoir connaissance de l’ensemble des transactions, comme cela se fait déjà dans d’autres domaines. Ce serait la solution la plus structurante, qui améliorerait la transparence et le bon fonctionnement du marché.

M. le président Henri Emmanuelli. Pourrez-vous nous faire savoir quelle est la part des opérations de crédit et des opérations de marché dans les résultats des banques, et parmi ces dernières, la part des opérations pour compte propre et pour compte de tiers ?

M. François Pérol. La Fédération ne dispose pas de données de ce type. À ma connaissance, les banques ne les calculent pas. Ce serait plutôt du ressort de la Commission bancaire. Pour ce qui concerne le groupe que je dirige, nous considérons que nos activités pour compte propre représentent 20 % de nos activités de marché, mais ce n’est pas une estimation standardisée.

M. le rapporteur. Toutes les critiques qui ont été portées contre les agences de notation pendant la crise vous paraissent-elles justifiées ?

Les opérations de marché connaissent des évolutions technologiques constantes qui mettent les autorités de contrôle face à un défi permanent, et très coûteux. La course aux meilleurs équipements est-elle sans fin, ou faut-il interdire certaines évolutions technologiques ?

Pensez-vous que le projet de loi sur la régulation bancaire et financière, actuellement examiné au Sénat et auquel Mme Lagarde veut apporter des compléments, répondra aux principales questions soulevées par la crise ?

Enfin, qu’attendez-vous de la présidence française du G8 et du G20 ?

M. François Pérol. Lorsque les agences notent des émetteurs pour le compte des investisseurs et donnent leur analyse de la solvabilité d’une entreprise ou d’un État, elles jouent un rôle indispensable. Ce que l’on peut dire, c’est qu’elles n’ont pas toujours été très heureuses dans le choix du moment de leurs interventions.

M. le président Henri Emmanuelli. Les agences ne sont-elles pas, pour les banques, un moyen d’externaliser le travail d’expertise ? Ces dernières ne renoncent-elles pas à mener leurs propres analyses ?

M. François Pérol. Nous effectuons toujours nos propres expertises sur le risque de chaque émetteur. Elles sont appuyées sur nos relations avec nos clients. C’est une approche différente de celle des agences de notation, qui travaillent pour le compte des investisseurs. C’est pourquoi leur analyse de la solvabilité des émetteurs est utile.

En revanche, pour ce qui est de la notation des produits, l’expertise des agences n’a pas résisté à l’épreuve des faits et de nombreuses questions se sont fait jour sur leurs conflits d’intérêts ou sur la qualité de leur expertise. Lorsqu’un véhicule de titrisation perd vingt-sept crans de notation en une semaine, on peut se poser des questions… C’est pourquoi les règles européennes sur le fonctionnement des agences me semblent aller dans le bon sens, même si elles ne peuvent jamais être parfaites.

Quant aux avancées technologiques, il me semblerait dommage de les interdire par principe.

M. le président Henri Emmanuelli. Quelle est leur utilité économique ? Le high frequency trading, notamment, suscite des critiques.

M. François Pérol. Il est vrai que des dysfonctionnements peuvent se produire, comme il y en a eu en mai sur le marché américain, mais ce mécanisme ne me paraît pas avoir créé de si graves problèmes sur le marché des actions. Les innovations technologiques sont utiles si elles contribuent à la liquidité du marché sans le dérégler. Pour ma part, j’hésiterais à les interdire par principe ; c’est de toute façon au régulateur qu’il appartient de se prononcer.

Le projet de loi de régulation financière me paraissait déjà extrêmement complet. Je ne sais pas ce qui doit y être ajouté mais, en tout état de cause, il faut bien garder à l’esprit que, sur ces sujets, l’évolution est permanente.

Enfin, l’agenda fixé pour la présidence française du G20 me semble extrêmement ambitieux, et à juste titre.

M. le président Henri Emmanuelli. Les régulateurs semblent s’inquiéter de l’application de la directive européenne sur la fragmentation des marchés, notamment pour ce qui est de certains grands opérateurs à Londres. Les annonces de Mme Lagarde visent à prendre en compte cette préoccupation.

M. François Pérol. La directive sur les services financiers va être révisée. Elle avait fait le choix d’introduire une concurrence entre différentes plateformes de négociation, en pensant provoquer une baisse des coûts qui profiterait aux émetteurs. Je ne suis pas sûr que cet objectif ait été atteint. Le fonctionnement des marchés « actions » français était, auparavant, fondé sur une règle de concentration des ordres, l’inconvénient étant qu’il n’y avait qu’une plateforme, l’avantage que toute la liquidité se faisait sur cette plateforme – sous réserve des grandes opérations qui ne se traitent de toute façon qu’en dehors des marchés. Cela ne fonctionnait pas si mal. La révision de la directive sera précédée d’un bilan des avantages et des inconvénients du système actuel pour tous les acteurs. Nous verrons ce qu’il en sortira.

M. le président Henri Emmanuelli. Merci, monsieur le président, pour toutes ces informations. Nous transmettrons ultérieurement à vos services quelques questions plus techniques.

L’audition s’achève à 19 h 50.