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Commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Mercredi 13 octobre 2010

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence M. Henri Emmanuelli, Président

– Audition ouverte à la presse, de M. Jean-Hervé Lorenzi, professeur d’économie à l’université de Paris-Dauphine, président du Cercle des économistes

M. le président Henri Emmanuelli. Monsieur le professeur, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de la commission d’enquête. Vous êtes professeur agrégé d’économie à l’université Paris-Dauphine et, depuis 1995, président du Cercle des économistes. Vous avez écrit de nombreux ouvrages et articles sur les questions monétaires et financières, notamment sur la crise financière, les divers acteurs de la finance et les phénomènes de bulle spéculative. Vous exercez des responsabilités au sein de plusieurs compagnies financières, après diverses expériences dans le monde industriel et administratif. Vous êtes donc pour nous un témoin particulièrement précieux.

La crise grecque a ravivé de nombreuses interrogations, à propos notamment de la sensibilité des marchés financiers aux rumeurs, des conflits d’intérêt affectant certains opérateurs, du mécanisme des Credit Default Swaps, les CDS, et des effets déstabilisants des outils permettant les ventes à terme et à découvert de certains produits financiers. Notre commission cherche donc à répondre à un ensemble de questions. Qui se livre aux attaques spéculatives, et à partir de quelles zones ou marchés ? Quel est le rôle des hedge funds ? Quelles sont les méthodes employées ? Quel est le rôle des agences de notation ? Trois ans après la crise des subprimes, les acteurs compétents ont-ils pris les bonnes décisions, et au bon moment, pour stopper les mouvements spéculatifs ? Bref, nous essayons de comprendre ce qui s’est passé et, bien sûr, nous aimerions savoir quelles sont vos recommandations.

(M. Jean-Hervé Lorenzi prête serment.)

M. Jean-Hervé Lorenzi, professeur à l’université Paris-Dauphine, président du Cercle des économistes. Il est difficile de parler de la spéculation sans donner son sentiment sur la crise – tant sur son origine que sur sa capacité à se résorber. C’est un sujet particulièrement complexe : depuis quinze jours, en vue de cette audition, je me suis plongé dans tous les travaux portant sur la spéculation, mais il est peu de domaines aussi flous et malaisés à aborder. Je ne suis donc pas certain de vous apporter une contribution très significative, ni dans l’analyse ni en termes de propositions, mais je me dis, pour me donner du courage, que mes collègues n’y parviendraient sans doute pas davantage.

Pour adopter une démarche intellectuelle rigoureuse, il faut évidemment commencer par définir la spéculation, mot qui peut être employé dans de nombreux sens. Nicholas Kaldor, économiste britannique d’origine hongroise qui a été, en matière de croissance, l’un des interprètes de Keynes, avait rédigé en 1951, à la demande du Parti travailliste, un rapport sur la productivité et la compétitivité de l’économie britannique. Spécialiste de l’économie réelle – j’avais eu moi-même l’occasion de le rencontrer –, il connaissait également très bien les mécanismes de la spéculation. Il l’a définie comme « l’achat (ou la vente) de marchandises en vue d’une revente (ou d’un rachat) à une date ultérieure, là où le mobile d’une telle action est l’anticipation d’un changement des prix en vigueur, et non un avantage résultant de leur emploi, ou une transformation ou un transfert d’un marché à un autre ». En somme, le mobile qui pousse le spéculateur à agir n’est pas le développement de l’activité réelle, mais l’anticipation de l’évolution d’un prix. Bien qu’elle émane d’un économiste de grand talent, cette définition reste un peu floue.

Au demeurant, l’une des raisons pour lesquelles nous avons tant de mal à comprendre précisément ce qui s’est passé au cours des trois dernières années est la séparation entre, d’une part, les économistes du réel, qui examinent ce qui se passe sur les marchés des biens et services ou sur le marché du travail et, d’autre part, les économistes spécialisés dans l’analyse des marchés financiers – non pas du marché de la monnaie, lequel est pour nous un point de passage naturel, mais des marchés de titres financiers, caractérisés par des mécanismes et des comportements spécifiques, notamment le mimétisme. Les économistes du réel, dont je fais partie, sont assez étrangers à cet univers de la finance.

Je retiendrai quatre mots pour rendre compte de la situation présente : incertitude, incompréhensible, inconnu, ambiguïté de la régulation.

Incertitude, d’abord.

Il me faut à ce sujet évoquer brièvement mon interprétation de la crise. Il s’agit en fait, comme toujours, d’une crise de l’économie réelle. Elle frappe par sa rapidité et sa brutalité. En dix ans, entre 5 % et 10 % – 7 % d’après mes calculs – de la valeur ajoutée des pays de l’OCDE – essentiellement les États-Unis et les pays européens – ont été transférés, directement ou indirectement, vers les pays émergents. C’est un mouvement de délocalisation sans précédent. Dans le rapport que j’avais rédigé en 2005 pour le Conseil d’analyse économique, j’avais montré que les délocalisations passées, qui détruisaient environ un emploi industriel sur dix, étaient gérables ; ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Les conséquences sont de trois ordres, et en lien avec les phénomènes spéculatifs. Aucune n’a trouvé de solution aujourd'hui. C’est pourquoi il est difficile de parler de fin de crise.

Il s’agit, premièrement, de la création de liquidités à l’échelle mondiale, dans des conditions non régulées. Quelles que soient les méthodes de calcul retenues, le taux de croissance des liquidités a été, de 2002 à 2008, de l’ordre de 15 % par an, pour un taux de croissance de l’économie réelle compris entre 4 % et 5 %. Ce décalage incite nécessairement à une utilisation des liquidités sans rapport avec l’économie réelle, c'est-à-dire spéculative. À cet égard, les déclarations des banquiers centraux japonais, américain et anglais, favorables à la création de liquidités en contrepartie d’achats de titres – ce qui a évidemment l’avantage pour eux de faire baisser le taux de change de leur monnaie vis-à-vis de l’euro –, sont très dangereuses car c’est ainsi que l’on fabrique des bulles spéculatives, l’argent mis en circulation trouvant à s’utiliser sur les marchés des matières premières ou de l’immobilier – dans les pays émergents comme dans ceux de l’OCDE. Nous sommes, donc, en train d’assister à la mise en place des conditions de la spéculation à venir.

Deuxièmement, la crise d’origine réelle entraîne, de fait, une répartition des revenus dans les pays développés – au sein desquels la France présente quelques particularités – qui n’est pas à l’avantage des salariés, dont le nombre diminue du fait de la concurrence des pays émergents, laquelle pèse également sur le niveau des salaires. Il en résulte que le seul moyen de maintenir l’activité est de distribuer du crédit aux ménages, ce qui aboutit au surendettement. Se pose alors la question de la répartition du risque. Dans une petite étude intitulée 2007-2010 : une seule crise, j’ai tenté de montrer que, qu’il s’agisse des mécanismes de titrisation ou de la volatilité des prix des matières premières, le problème était toujours le non-contrôle de cette répartition et du contenu même de ce risque. Il ne s’agit pas exactement de spéculation telle que définie par Kaldor, mais les produits qui sont vendus ne le sont pas dans des conditions de transparence et de véracité des prix.

Troisièmement, la brutalité des transferts d’activité a eu pour conséquence une demande très fluctuante de ressources rares, à commencer par les matières premières. La volatilité des prix constatée depuis 2007, et qui a gagné les marchés de l’énergie et de l’agroalimentaire, est pour partie de nature spéculative ; mais intuitivement, je pense que ce sont les déséquilibres de marché qui déclenchent la spéculation, laquelle rétroagit à son tour sur les marchés. Je ne pense pas que la spéculation soit à l’origine de la volatilité des marchés – mais je n’ai aucune certitude, même après avoir lu tous les travaux sur le sujet. Patrick Artus et moi-même, il y a quelques jours, avons ainsi constaté ensemble que les spreads sur les dettes souveraines avaient significativement augmenté ces dernières semaines et que parallèlement, la volatilité des prix des matières premières s’était accrue ; nous pensons que la spéculation n’est pas en cause et qu’il faut plutôt chercher l’explication dans le fait que beaucoup d’investisseurs institutionnels ont décidé de se retirer des marchés de dette souveraine, au moins pour l’instant, et que la demande de stockage a augmenté sur les marchés de matières premières. L’origine des mouvements spéculatifs, donc, me semble plutôt à rechercher dans l’économie réelle.

Sur ces trois éléments d’incertitude que sont l’abondance des liquidités, l’endettement des ménages et la volatilité du prix des matières premières, il n’y a aujourd’hui pas l’amorce d’une solution. Les propositions du Président de la République pour le G20 sont intéressantes, en particulier sur la volatilité du prix des matières premières. Il y a également celles sur les taux de change, mais je lui souhaite bon courage.

Deuxième mot que je retiens : incompréhensible.

Ce qui est incompréhensible, c’est d’abord le rôle de la spéculation. Dans un travail que je viens de réaliser pour le Cercle des économistes sur les équilibres agro-alimentaires mondiaux, j’ai consacré une partie à la financiarisation des marchés, sujet sur lequel j’ai donc répertorié les études qui avaient été faites. Beaucoup de travaux ont été consacrés aux CDS des dettes souveraines, pour tenter d’isoler la composante spéculative. Concernant le prix du pétrole, un rapport de Jean-Marie Chevalier, Patrick Artus et Philippe Chalmin montre la difficulté du sujet, en étant prolixe sur les prévisions de prix et très peu disert sur la spéculation. En ce qui concerne les produits dérivés, les transactions porteraient sur 600 000 milliards par an – chiffre repris par Michel Barnier –, soit l’équivalent de dix fois le PIB mondial. Ce rapport ne paraît pas très surprenant, s’agissant d’un côté de transactions financières et de l’autre de production de richesses réelles ; mais il conduit à l’idée que les chiffres de la spéculation sont moins impressionnants que l’on imagine, même si l’on ne peut nier son rôle perturbateur et accélérateur et sa contribution à l’opacité du système.

Les travaux effectués sur les CDS de dette souveraine, sur les denrées alimentaires et sur le pétrole vont dans tous dans le même sens. Environ 10 % seulement des transactions sur CDS de dette souveraine seraient de nature spéculative. Pour les produits agricoles, la situation est variable selon les produits et les périodes. Concernant les produits pétroliers, Jean-Marie Chevalier observe que le baril valait 42 dollars en septembre 2007, 102 dollars fin janvier 2008 et 147 dollars à la fin juin ; sur un peu plus de 100 dollars d’augmentation, la spéculation stricto sensu en expliquerait 30. En outre, si la spéculation explique 30 % à 50 % du prix à terme, le marché à terme lui-même détermine totalement le marché au comptant.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Quels critères retient-on pour calculer ces pourcentages ?

M. Jean-Hervé Lorenzi. Tous les calculs qui ont été faits au cours des cinq dernières années se fondent sur une distinction entre les auteurs des transactions : venant d’un hedge fund, la transaction sera classée comme spéculative ; venant d’une banque, elle ne le sera qu’éventuellement.

Troisième mot : inconnu.

La plupart des valorisations des produits dérivés sont faites à partir de modèles comme celui de Black et Scholes, souvent un peu incompréhensibles mais qui donnent une « base scientifique » à l’idée que la spéculation ne serait qu’un marché parmi d’autres, obéissant à des règles rationnelles. Les difficultés rencontrées sur les marchés financiers ont été l’occasion de mettre en évidence ce qui pose problème dans cette modélisation, qu’il s’agisse du mimétisme des acteurs ou, surtout, comme Nicole El Karoui vous l’expliquera mieux que moi, de ce qui se passe en « queue de distribution » sur la courbe de probabilités.

Comment agir dans un univers incertain ?

Le discours sur les produits dérivés est toujours le même. On dit qu’ils sont utiles, ce qui est vrai, parce qu’ils contribuent à stabiliser le comportement des acteurs, qu’il s’agisse de producteurs de pétrole ou de produits agro-alimentaires ou des investisseurs qui souhaitent, par exemple, acheter de la dette souveraine – et qu’il est bon de rassurer au moment de leur décision d’investissement. On dit, ensuite, qu’ils donnent aux marchés beaucoup plus de liquidité. Ce à quoi nous avons assisté en matière financière, c’est avant tout une crise de liquidité. Les produits dérivés offrent aux acteurs de marché la garantie de pouvoir en sortir.

Mais il faut aller au-delà. Keynes, qui avait le sens de la formule, écrivait dans La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie : « Les spéculateurs peuvent être aussi inoffensifs que des bulles d’air dans un courant régulier d’entreprise. Mais la situation devient sérieuse lorsque l’entreprise n’est plus qu’une bulle d’air dans le tourbillon spéculatif. Lorsque, dans un pays, le développement du capital devient le sous-produit de l’activité d’un casino, il risque de s’accomplir dans des conditions défectueuses. » L’idée d’une économie de casino n’est pas nouvelle ! Comment les choses se présentent-elles aujourd’hui ?

Nous connaissons la conjoncture macroéconomique des trois prochains semestres : la croissance devrait être de l’ordre de 1,5 ou 1,6 % en France, de 1,1 ou 1,2 % en Europe, et approcher 2 % aux États-Unis. Même si on n’est pas capable de déterminer précisément le coefficient multiplicateur négatif des restrictions budgétaires, nul ne peut nier leur impact ; on restera donc très en deçà de la croissance potentielle. L’Allemagne elle-même verra sa croissance très largement déterminée par sa politique budgétaire, et donc probablement maintenue légèrement en dessous de 2 %. Le contexte est donc difficile, même s’il ne s’agit pas de récession. S’il n’y a pas de crise des changes – et c’est une épée de Damoclès qui est suspendue au-dessus de l’économie mondiale –, néanmoins les problèmes d’équilibre des marchés de biens et services et du marché du travail ne seront pas résolus. Il va bien falloir songer à compenser le transfert d’au moins 5 % de notre valeur ajoutée – ce qui représente un très grand nombre d’emplois – vers les pays émergents ; or personne n’a la moindre idée des activités nouvelles qui pourraient prendre le relais. On parle beaucoup des emplois dans les maisons de retraite, mais cela ne représente pas plus de 0,1 % du PIB et des emplois. Dans ces conditions, il est difficile de prévoir, et même d’imaginer ce qui se passera en 2012 ou 2013.

Pour concevoir la régulation, il faut se poser quatre questions.

Tout d’abord, en quoi les produits dérivés – futures, options, collars, caps,… – nous aideront-ils à financer les investissements nécessaires – que j’évalue à 150 milliards d’euros – dans un monde qui aura radicalement changé ? Je passe sur le problème des changes, en sommeil tant que l’Europe n’a pas la capacité d’afficher une position ; le jour où elle en aura une, on entrera dans un jeu à trois, extrêmement compliqué à gérer. La donnée essentielle est que les pays émergents vont devoir financer leurs infrastructures et répondre à la demande de biens et services des centaines de millions de personnes arrivées sur le marché du travail. Cela ne sera possible qu’avec une baisse de leur taux d’épargne et l’arrêt des flux d’épargne qui vont aujourd'hui des pays émergents vers les États-Unis.

De même, l’Europe a une balance des paiements courants à peu près équilibrée, mais elle a besoin d’investir dans un système productif nouveau. Nous avons beaucoup d’épargne, mais comment surmonter l’aversion au risque des épargnants dans des pays marqués par le vieillissement ? Ce qui est vrai pour la France l’est aussi pour l’ensemble des pays européens. Il faut organiser un transfert de l’épargne vers le long terme, afin de changer la trajectoire de notre croissance. Dans un rapport que je suis en train de rédiger avec trois collègues du Conseil d’analyse économique sur la croissance potentielle en France, trois hypothèses sont identifiées : retrouver les 2 % de croissance potentielle en récupérant ce qui a été perdu pendant trois ans – mais ce n’est pas réaliste ; ne pas récupérer, mais parvenir à retrouver le même niveau de croissance ; ne pas récupérer et avoir une croissance potentielle plus faible.

Les produits dérivés seraient-ils capables de favoriser la prise de risque par l’épargnant ? C’est une question qu’il faut impérativement se poser. Pour ma part, j’imagine par ailleurs que, pour les 150 milliards que j’évoquais, l’État pourrait jouer un rôle d’assureur ou de réassureur ; cela permettrait de réduire l’aversion au risque – qui est une question macroéconomique majeure de notre pays.

En second lieu, peut-on accepter que de grands pays comme l’Espagne – qui a la perspective de quatre ou cinq années difficiles – soient à la merci des décisions d’intervenants comme M. Soros, dont personne n’a oublié la stratégie sur la livre sterling ? Les propositions qui ont vu le jour – réforme Dodd-Frank, préparation du sommet de Séoul, projet de directive Barnier – sont pleines de bonnes intentions mais il faudrait, me semble-t-il, décider – les Allemands l’ont fait pour la vente à découvert de CDS sur dette souveraine – que la dette souveraine doit rester en dehors du champ des CDS.

En troisième lieu, et alors que le marché des CDS est passé de 1 500 milliards de dollars en 2001 à 60 000 milliards en 2008, croissance sans rapport avec celle du sous-jacent, il serait indispensable d’imposer le passage par des chambres de compensation. Tout le monde en parle, mais encore faudrait-il le décider.

Enfin, comment mutualiser les risques ? Il faudrait prévoir des mécanismes, comme pour les calamités agricoles. Je vous laisse en parler avec Mme El Karoui.

Le sujet étant très complexe, ces quatre propositions ne résolvent pas tous les problèmes mais je crois qu’elles vont dans le bon sens.

M. le président Henri Emmanuelli. Ma conviction profonde est que la première chose à faire est d’obtenir les informations. Est-ce votre avis ?

M. Jean-Hervé Lorenzi. Oui. Il ne faut pas oublier que la stratégie des hedge funds repose sur deux paramètres : l’asymétrie d’information et la volatilité.

L’information est nécessaire, mais à cet égard n’oublions pas que nous avons vécu pendant trente ans sur l’hypothèse, chère à M. Fama, de l’efficience des marchés, y compris celle des marchés financiers. Les valeurs étaient censées intégrer l’ensemble de l’information disponible... Il faut se résoudre au constat que, dans leur immense majorité, les marchés financiers ne sont pas efficients, et que, le plus souvent, l’information contenue dans les prix n’est pas complète. Je demande que l’on inverse la charge de la preuve : que ceux qui affirment que les marchés sont efficients nous le prouvent, de manière concrète, sur le fonctionnement des marchés dans les vingt dernières années !

M. Paul Giacobbi. Pour avoir une information sur le volume des marchés, il suffit d’aller sur le site de la Banque des Règlements Internationaux, mais ce sont des chiffres bruts. Et avec le trading à haute fréquence, il est impossible de savoir ce qui se passe : à 10 000 opérations par seconde, personne ne voit où va l’argent. S’agissant de la qualité des créances, j’ignore quel peut être le montant des créances irrécouvrables dans le système financier mondial. On a parlé de 800 milliards, de 80 milliards – chiffre qu’avait avancé M. Strauss-Kahn –, aujourd’hui certains vont jusqu’à 12 000 milliards... Le manque d’information est terrifiant.

M. Jean-Hervé Lorenzi. Le premier chiffre date du 8 août 2007, dans le contexte de la crise des subprimes : 30 milliards de dollars de créances douteuses. C’était déjà beaucoup. En septembre, l’OCDE avançait le chiffre de 300 milliards. Un mois et demi après, le FMI annonçait 700 milliards. Le chiffre admis aujourd'hui est de 4 000 à 4 500 milliards, dont la moitié n’est pas vraiment localisée. D’aucuns avancent le chiffre de 12 000 milliards.

M. Paul Giacobbi. Quand on a lancé l’alerte pour AIG, on a parlé de 600 milliards…

Notre commission se donne pour but de trouver des mesures régulatrices de la spéculation. C’est mission impossible. Sur le New York Mercantile Exchange (NYMEX) et les marchés pétroliers, on ne connaît pas réellement l’identité des intervenants : quand une banque intervient, on ne sait pas si c’est pour le compte d’un opérateur ou d’un spéculateur. Quand le prix du baril est monté jusqu’à 150 dollars, entre 70 % et 80 % des intervenants n’étaient pas identifiés comme pétroliers ; le surlendemain, pour répondre à un besoin de liquidités, les spéculateurs ont vendu – et le prix du baril est retombé à 70 dollars en quelques semaines. C’était, comme par hasard, le prix d’équilibre évalué par l’Agence internationale de l’énergie. Jusqu’à présent, nous avons soigné l’addiction à la liquidité par des injections massives ; si on n’agit pas en sens inverse, de nouvelles bulles spéculatives éclateront.

M. Jean-Hervé Lorenzi. Entre 2001 et 2003, le prix du brent a varié dans une fourchette de 21 à 27 dollars. En prenant ne serait-ce qu’un prix cible, autour de 75 dollars par exemple, nous ferions un grand pas. Le débat est avant tout un débat d’idées. Prétendre que les marchés sont efficients quand le baril atteint 150 dollars, c’est nier l’évidence. Introduire une fourchette de prix reviendrait déjà à remettre un peu de rationalité dans l’univers des marchés.

M. le président Henri Emmanuelli. La seule chose qui ne soit pas compliquée, et qui dépend de la volonté des politiques, c’est d’exiger la transparence des transactions. Je ne dis pas qu’il faut interdire quoi que ce soit, mais qu’il faut commencer par savoir qui fait quoi. Que chaque pays exige que les contrats soient enregistrés dans une chambre de compensation ne me paraît pas un objectif hors de portée, même si je mesure la difficulté pour y parvenir.

Il me reste à vous remercier.

L’audition s’achève à 17 h 35.