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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 8 octobre 2008

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS et de M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil, sur les politiques environnementales

M. le président Didier Migaud. Sur la question des politiques environnementales qu’il serait souhaitable d’instaurer dans un cadre national, mais aussi transnational, nous accueillons M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS et M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil.

L’Assemblée s’apprête en effet à examiner le projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Cette loi de programme devrait être suivie de dispositions plus normatives, dont certaines figurent déjà dans le projet de loi de finances pour 2009 que nous allons examiner prochainement. Je pense notamment aux mesures fiscales « vertes » qui porteront sur plusieurs secteurs, comme le logement, l’agriculture biologique, la filière « bois », les activités polluantes ou encore les transports, et qui prendront le plus souvent la forme d’incitations, et non de pénalisations.

La fiscalité n’étant pas la seule solution envisageable, bien qu’elle soit l’un des principaux instruments d’une politique environnementale, j’espère que vous nous ferez part de votre analyse sur l’équilibre qu’il faudrait instaurer entre la norme et la fiscalité dans ce domaine. Quel jugement global portez-vous sur la fiscalité environnementale en France ? Les mesures proposées dans le projet de loi de finances – renforcement de la taxe générale sur les activités polluantes, prêt à taux zéro pour les travaux d’amélioration de la performance énergétique des logements anciens, « verdissement » du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt – vous semblent-elles aller dans le bon sens ? Par quelles actions faut-il également accompagner ces interventions selon vous ?

Les préoccupations environnementales n’étant pas seulement nationales, nous souhaiterions également connaître votre opinion sur les actions envisageables au niveau international, qu’il s’agisse de la taxe applicable aux émissions de carbone, sur laquelle nous avons eu l’occasion d’interroger le directeur général de l’OMC, ou bien de la proposition française de TVA à taux réduit sur les produits verts.

Je vous propose de commencer par quelques propos introductifs, avant de répondre aux questions que nos collègues souhaiteront vous poser.

M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil. Pour me présenter brièvement, je vous indique que je suis ingénieur de formation et que j’ai fait pendant 15 ans du conseil en organisation, avant de m’intéresser, depuis maintenant une dizaine d’années, à la contrainte « carbone ». Auteur du bilan « carbone » pour le compte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, j’ai également des activités d’enseignement et j’ai participé à la rédaction du « pacte écologique » de la fondation Hulot sur la question de la taxe carbone.

Le fait d’exercer des fonctions politiques n’impliquant pas que l’on ait des connaissances en physique très précises, je voudrais rappeler que l’énergie est la grandeur caractérisant le changement d’état d’un système. Il y a ainsi création d’énergie quand on change la température ou la vitesse d’un objet, quand on modifie une forme ou une composition chimique, quand on déplace un corps, quand on modifie une composition atomique ou quand un rayonnement apparaît ou disparaît.

Vous comprendrez donc que l’énergie est ce qui permet de transformer le monde : il est équivalent d’affirmer que l’on consomme de l’énergie ou que l’on modifie l’environnement. En d’autres termes, il n’y a pas d’activité de transformation des ressources naturelles sans création d’énergie : elle est au centre de toutes les activités.

L’énergie que nous consommons provient à 80 % des hydrocarbures, le reste étant produit pour moitié à partir de bois, et pour moitié par des technologies nucléaires et hydroélectriques. Il faut ajouter que les trois quarts du charbon extraits dans le monde servent à faire tourner des centrales électriques dont dépendent 40 % de l’électricité mondiale. Cela fait du charbon la première source d’énergie utilisée aujourd’hui.

Utilisés de façon croissante depuis le début de l’ère industrielle, les hydrocarbures ont en commun deux caractéristiques : ils sont disponibles en quantité finie, et leur emploi produit des émissions de CO2 qui perturbent les échanges d’énergie entre l’espace et le sol, ce qui a pour effet de modifier le climat.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, il faut savoir que leur importance est inversement proportionnelle à la place que la presse leur accorde. Comme vous le voyez sur le graphique que je vous présente, les deux principales énergies renouvelables sont le bois et l’hydroélectricité, dont la contribution est considérablement plus importante que celle des éoliennes. Quels que soient les investissements réalisés, le développement des éoliennes et de l’énergie photovoltaïque ne modifiera en rien le prix de l’énergie dans les années qui viennent.

S’agissant des hydrocarbures, cela fait plus de trente ans que nous avons atteint la quantité totale du pétrole extractible, qui est probablement comprise entre 2 000 et 3 000 milliards de barils. Le fait que les « réserves prouvées » continuent à s’accroître n’est que le fruit d’un artefact comptable.

Or, quand il y a un stock donné, la production annuelle atteint un maximum, puis tend vers zéro à l’infini – c’est un théorème. Le seul point qui fait débat, c’est de savoir quand on atteindra le maximum de production, dont l’existence a été déjà été constatée dans certains bassins pétroliers.

À ce jour, environ 1 150 milliards de barils de pétrole ont été produits, et la production a été multipliée par huit depuis 1950 – tout va donc très vite. S’il existe 1 500 milliards de barils extractibles, la production devrait se stabiliser autour de 90 millions de barils par jour au cours des 15 prochaines années, avant de décliner. Tel est le scénario retenu par M. Yves Mathieu de l’Institut français du pétrole. Par contre, si la quantité totale est de 2 000 milliards de barils, le pic devrait avoir lieu en 2020.

Nul ne peut savoir quel prix on atteindra alors, mais il est certain que les marchés devraient se comporter de façon erratique : le coût du baril pourrait atteindre 300 ou 400 dollars, avant de redescendre à 40 dollars à la suite d’une récession. En tout cas, il est probable que les prix deviennent très volatiles et dépassent des niveaux inenvisageables aujourd’hui.

Dans ces conditions, tout plan de développement fondé sur une courbe croissante de production est voué à l’échec. Selon M. Claude Mandil, ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie et auteur d’un rapport remis au Premier ministre en avril dernier, il est erroné de croire que la tendance actuelle peut se prolonger.

Il en résultera naturellement des conséquences économiques, comme on peut déjà le constater aux États-Unis, où la courbe représentant le prix des hydrocarbures présente une corrélation avec celle du taux de chômage depuis que ce pays a cessé d’être auto-suffisant. Dès 2006, il était évident que le taux de chômage augmenterait et que le déficit de l’État se creuserait : le prix de l’énergie influe beaucoup plus sur l’économie que les programmes politiques, car les infrastructures, l’emploi et l’aménagement du territoire en dépendent.

Si l’on utilisait toutes les ressources énergétiques disponibles, le pic de production serait seulement repoussé de 2010 ou 2020 à 2050. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas parce que les réserves de charbon sont égales à 300 fois la production annuelle que l’on dispose de trois siècles de réserves exploitables en toute tranquillité.

Le problème ne concerne donc pas les générations futures, mais les générations actuelles. Nous en sommes au calme avant la tempête ! Si l’on choisit de basculer du pétrole vers le charbon et le gaz, le pic des émissions de CO2 se prolongera jusqu’en 2050 et, dans ces conditions, la planète ne se réchauffera plus de 2 ou 3, mais de 5 à 6 degrés.

Si l’on souhaite en revanche que le pic de CO2 ne se prolonge pas, il ne faudra pas émettre plus de carbone que la quantité contenue dans les réserves prouvées de pétrole et de gaz. Il ne faudra pas produire d’énergie en utilisant du charbon sans recourir à des techniques de capture et de séquestration du CO2.

Que signifient par ailleurs trois degrés de plus ? De 1860 à 2000, la moyenne des températures estivales en Suisse a été comprise entre 15 et 20 degrés, avec 5 degrés de plus en 2003. Étant donné que les continents se réchauffent plus vite que les océans, la température d’été pourrait augmenter de 4 à 5 degrés si la température moyenne s’accroît de 3 degrés. L’été 2003 sera donc considéré comme « normal » au sens statistique du terme, et un été sur deux sera jugé plus chaud.

Notre écosystème français en pâtira naturellement : il faudra dire adieu aux hêtres, aux épicéas et aux chênes, et s’attendre à de très vives tensions sur les productions agricoles. Cinq degrés, c’est en effet ce qui nous sépare d’une ère glaciaire. Les sociétés actuelles seraient incapables de faire face à un tel changement sans de grandes violences, de véritables bains de sang. Le risque n’est pas que les pingouins meurent sur la banquise ; le problème, c’est nous.

Compte tenu de l’inertie du climat, il sera bien trop tard pour revenir en arrière lorsque nous commencerons à souffrir des conséquences néfastes du réchauffement climatique. Du fait de la limitation des stocks d’énergie, les émissions de CO2 vont certes décroître, mais la quantité présente dans l’atmosphère ne se stabilisera pas au moment du pic de production. Ce gaz très inerte reste en effet très longtemps dans l’atmosphère. Pour que la quantité totale diminue, il faudra attendre que les quantités émises soient deux fois inférieures à celles de 1990.

Si l’on attend d’être au-delà du pic des émissions pour agir, parce qu’il n’y aura plus assez de combustible fossile à ce moment-là, nos enfants auront à gérer un problème environnemental qui ira en s’aggravant, avec des moyens d’adaptation décroissants. L’énergie, c’est en effet ce qui permet de transformer le monde, c’est notre capacité d’adaptation. La climatisation, le transport, le système de soins, tout dépend de l’énergie.

Le cœur du problème, ce sont les prix. De 1880 à 1970, le prix du baril de pétrole est resté aux environs de 20 dollars en termes constants, alors même que le pouvoir d’achat augmentait dans le même temps. Le vrai prix de l’énergie, à savoir le temps qu’il faut travailler pour acheter un kilowattheure, a été divisé par dix en un siècle. Le coût de l’énergie n’ayant fait que baisser, il a été possible d’en consommer de plus en plus, et l’inversion de cette tendance posera bien des difficultés.

Peut-on anticiper le problème en donnant un signal prix à l’énergie ? C’est la position que je défends. En 1979, c’est-à-dire en plein choc pétrolier, on constate ainsi que la consommation des véhicules neufs a baissé dans tous les pays du monde. Bien que l’effet de cette évolution ait été masqué par l’augmentation du parc automobile, le consommateur a réagi à un signal prix. Et dès le contre-choc pétrolier, il s’est à nouveau adapté en cessant d’acheter des véhicules plus économes en pétrole.

En France, la courbe des émissions par secteur d’activité depuis 1960 offre un autre exemple de cette sensibilité aux prix, puisque l’on remarque une rupture de pente au moment des deux chocs pétroliers. La première réaction, c’est la récession, puis les programmes d’économie d’énergie finissent par produire leurs effets à terme. On constate par ailleurs que les particuliers s’adaptent moins vite que l’industrie : les plus réticents à réagir ne sont pas les industries, mais les consommateurs.

Un autre exemple, cette fois plus durable, nous est offert par la comparaison internationale des politiques de prix. Ainsi, la consommation annuelle de carburant par personne est cinq fois plus élevée aux États-Unis qu’en Europe, où les taxes sont historiquement plus élevées, ce qui reflète un signal prix de long terme. La diésélisation du parc automobile français est également très révélatrice.

On peut donc espérer réduire la consommation d’énergie fossile au moyen d’une augmentation du prix du CO2, que ce soit en taxant les émissions ou bien l’énergie elle-même. En revanche, tant que la loi sur le Grenelle de l’environnement ne fera pas place à la notion de signal prix, on n’avancera pas, quels que soient les bonus et les malus ou le montant de la TGAP. Le vrai courage consiste à augmenter durablement et de façon prévisible le prix de l’énergie.

À cet égard, je signale que la prévisibilité de cette augmentation compte sans doute beaucoup plus pour les acteurs économiques que son ampleur.

M. le président Didier Migaud. Je donne la parole à M. Olivier Godard.

M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS. Je vous remercie de m’avoir invité à échanger avec vous sur la question du développement durable et des moyens d’action offerts par les instruments économiques. Je ne reviendrai pas sur les données déjà présentées par Jean-Marc Jancovici…

M. Jean-Marc Jancovici. Je tiens d’ailleurs à disposition mon diaporama, ainsi qu’un court texte que j’ai rédigé et un rapport de l’institut de l’entreprise sur la taxe carbone.

M. le président Didier Migaud. Nous allons les faire distribuer.

M. Olivier Godard. Depuis l’adoption de la Charte de l’environnement, les politiques publiques doivent viser à un développement durable. Cette notion signifie que les enjeux environnementaux ne doivent plus être traités à côté de la question de la croissance, ou bien par un renoncement à cette croissance, mais au contraire par une action sur les principales composantes physiques du parc productif, qu’il s’agisse des choix technologiques, des ressources exploitées, des structures de consommation, ou encore de l’organisation spatiale de l’activité économique.

L’objet du développement durable est d’assurer la préservation et la valorisation du capital naturel pour le plus grand bénéfice des hommes, et non pour celui de la nature en elle-même. Comme nous agissons au sein d’une économie de marché régulée, la question environnementale doit être placée au centre de la régulation économique, faute de quoi on ne fera que se payer de mots.

Parviendra-t-on au résultat souhaité par une correction spontanée des prix de marché – qui n’intègrent qu’une partie des coûts – ou bien par l’extension de la régulation au moyen des prix ? Selon moi, nous n’atteindrons un développement durable que lorsque la question des ressources sera intégrée de façon routinière dans les mécanismes économiques, comme le sont déjà les autres facteurs de production.

De nombreux travaux théoriques et pratiques ont démontré que les mécanismes de prix ont un grand potentiel en matière d’efficacité économique, c’est-à-dire de maîtrise des coûts. En jargon, on appelle cela une internalisation des effets externes. J’ajoute que les mécanismes de prix sont le meilleur moyen de concilier un impératif collectif avec la préservation des libertés individuelles, lesquelles sont beaucoup plus restreintes lorsque l’on recourt à la contrainte réglementaire.

Afin d’intégrer les facteurs environnementaux dans le système économique sous la forme de prix, on ne dispose en effet que de deux méthodes.

La première est que les autorités publiques fixent un prix quand il n’existe pas, ou bien qu’elles le corrigent quand il existe déjà, avant de laisser les agents s’adapter au signal prix par l’intermédiaire des quantités. C’est précisément ce que permet de réaliser une fiscalité conçue en vue de produire un effet incitatif sur les comportements, et non d’engranger des ressources budgétaires. Le recours à des subventions, qui ne sont rien d’autre que des taxes négatives, peut produire le même résultat, qu’il s’agisse d’un crédit d’impôt ou d’autres formules.

Le deuxième type d’instrument envisageable repose sur une autre variable : les autorités publiques déterminent un plafond quantitatif et organisent une répartition des droits à produire, puis laissent un prix de marché se former. Le système européen des quotas de production de CO2 en est un bon exemple.

Pour ce qui est des marchés de droits, il existe une alternative : soit la répartition initiale des plafonds se fait à titre gratuit, et le mécanisme s’apparente à une aide d’État ou à une subvention du point de vue du droit communautaire ; soit on met ces droits aux enchères, comme le propose la Commission européenne pour les émissions de CO2.

Il n’y a guère de différence entre le recours à une taxe et l’instauration d’un marché de permis, à ceci près qu’on dispose d’une plus grande certitude concernant les quantités dans le deuxième cas, puisqu’il existe un plafond. Le prix final est en revanche plus incertain : il faut se contenter de prévisions économiques sur le prix d’équilibre du marché. Le choix dépend donc du type d’incertitude que l’on accepte le moins volontiers : la question est de savoir s’il vaut mieux être certain des quantités produites, ou bien du prix que paieront les acteurs économiques.

Dans les deux cas, il importe de veiller à la prévisibilité du système : les acteurs économiques doivent connaître le calendrier des restrictions quantitatives ou bien celui de l’évolution du régime de prix. C’est d’ailleurs le principal inconvénient du marché européen de quotas de CO2 : en raison des contraintes internationales, les règles du jeu n’ont valu que pour de brèves périodes, et nul ne sait quelles seront les règles applicables demain. Une telle incertitude nuit fortement à l’effet incitatif de ce type de mécanismes, car on n’investit pas sur une période courte.

Il existe par ailleurs des circonstances plus ou moins favorables à l’instauration d’instruments économiques reposant sur les prix, que ce soit par l’intermédiaire d’une taxation ou d’un marché de permis. Le mieux est de se trouver face à de très nombreux agents placés dans des situations hétérogènes du fait de leur développement technologique ou de la taille de leur activité.

Il importe également que les agents économiques disposent de marges de manœuvre suffisantes pour répondre aux incitations. En effet, lorsque la demande est absolument rigide, parce qu’il n’existe pas d’autre option, l’instauration d’une taxe ne modifiera pas les comportements. Il faut que les agents puissent recourir à des solutions variées pour réaliser leur activité.

La fiscalité environnementale nécessite donc non seulement que l’on facilite la compréhension du système grâce à des mesures d’information des acteurs, mais aussi que l’on lève les obstacles réglementaires et institutionnels qui contraindraient les comportements.

Il faut en outre prendre en compte les effets induits sur l’offre réelle. Il suffit de songer à ce qui passerait si l’on augmentait la fiscalité des carburants sans qu’il soit possible de développer l’offre de transports collectifs : les agents qui ont besoin de se déplacer perdraient en bien-être, ce qui ne serait guère conforme à l’objectif de développement durable. Il faut au contraire susciter un basculement d’un mode de transport à un autre afin de satisfaire la demande. Tel est précisément l’enjeu des instruments incitatifs.

De façon symétrique, l’expérience a démontré que l’existence d’un signal prix était une condition d’efficacité pour la réalisation d’autres politiques. Lorsque des actions de maîtrise de l’énergie ont été instaurées à rebours du signal prix, notamment lors des contre-chocs pétroliers, les comportements des agents ont été plus sensibles aux prix qu’aux mesures incitatives.

Les politiques publiques ont en outre eu pour effet fâcheux d’amplifier les cycles : on a commencé à démanteler les initiatives de maîtrise de l’énergie à la suite de la détente sur les prix du pétrole, puis on les a renforcées quand les prix ont à nouveau augmenté. Il serait bien préférable d’assurer la pérennité des signaux envoyés aux acteurs économiques.

Après ce rapide tableau des instruments économiques dont nous disposons, j’en viens à la question du changement climatique en elle-même. La fiscalité environnementale peut naturellement concerner la gestion de l’eau, des déchets ou des espaces naturels, mais le changement climatique doit être considéré comme une priorité.

Notre génération porte en effet une immense responsabilité morale. Martin Weissman, un économiste renommé de Harvard, a cherché à traduire sous forme de probabilités les conséquences d’une augmentation de la température : si la concentration de CO2 ne dépasse pas 550 parties par million, objectif sérieux mais difficile à atteindre, la température devrait augmenter de trois degrés ; ce chiffre n’étant qu’une médiane, il existe une probabilité d’environ 5 % que la variation dépasse 11 degrés.

Or, nul ne peut prévoir quelle sera la réaction à un tel changement. On sait seulement que les phases d’extinction massive des espèces vivantes correspondent à des évolutions de moins de 8 degrés. Sans verser dans le catastrophisme, il devrait en résulter un conflit pour la survie entre les espèces, y compris l’humanité.

Il y a bien sûr 95 % de chances que la température n’augmente pas dans de telles proportions, mais il faut bien mesurer ce que cela signifie : en un an, le risque pour un soldat américain de perdre la vie en Irak est dix fois inférieure à cette probabilité de 5 %. Peut-on accepter un risque dix fois supérieur à celui qu’encourt un soldat partant se battre en Irak ?

Il faut être pleinement conscient de la voie dans laquelle nous nous engageons si nous ne réagissons pas de façon énergique. Et c’est pourquoi le recours à la fiscalité écologique, qui est le seul moyen de faire évoluer les comportements, est aujourd’hui une nécessité.

Bien sûr, les catastrophes que j’ai évoquées ne se produiront pas dans dix ou vingt ans, mais dans 150 ou 200 ans. Il n’en reste pas moins que les processus physiques en jeu sont irréversibles et qu’il faudra réduire les émissions de gaz avant 2020.

À cet égard, je rappelle que nous avons commencé à nous préoccuper de ces questions au début des années quatre-vingt-dix, avec la création du groupe interministériel sur l’effet de serre. Depuis cette époque, il y a eu la convention de Rio, le protocole de Kyoto ainsi que plusieurs plans « climat » en France. Si notre pays est parvenu à stabiliser ses émissions au niveau de 1990, nous ne les avons pas encore réduites. Il a tout de même fallu 15 ans pour parvenir à ce seul résultat.

Pour aller plus loin, il faudra changer de braquet. La fiscalité est donc appelée à jouer un rôle éminent, de même que les marchés de droits. L’urgence à laquelle nous devons faire face ne saurait se résumer à la crise financière actuelle : il faut aussi réorganiser notre économie en fonction des nouveaux enjeux environnementaux.

Il nous reste à peu près dix ans pour y parvenir. Or j’imagine mal, en tant que chercheur, comment notre société pourra changer aussi radicalement dans un délai aussi court. Contrairement au problème posé par le trou de la couche d’ozone, il n’y pas qu’un seul secteur industriel concerné. Il faudra au contraire organiser une transformation générale de notre économie.

Chacun sait que la réduction des émissions de gaz par un « facteur 4 » exige une action internationale, mais il ne faudrait pas en faire un préalable. Nous avons besoin d’une mobilisation de grande ampleur, qui doit être une priorité publique. N’oublions qu’il y a deux types de crise : les crises du passé, qui résultent d’erreurs de gestion, à l’image de la crise financière actuelle, et les crises de l’avenir, comme celle du climat, dont on constate seulement les premiers effets.

Bien que les phénomènes observables à l’heure actuelle ne soient pas encore plus épais qu’un trait de crayon, ils auront demain la taille de ma main si nous ne prenons pas nos responsabilités dès maintenant.

M. le président Didier Migaud. Merci beaucoup pour ces communications. Nous en venons maintenant aux questions.

M. Camille de Rocca Serra. Vous demandez l’instauration d’un signal prix non seulement pour la production d’énergie, mais aussi pour l’ensemble des biens. Par ailleurs, si l’on suit les graphiques qui nous ont été montrés, il faudrait visiblement privilégier le nucléaire, que vous ne semblez pas remettre en cause. Il faudrait enfin consentir un effort considérable afin de porter la part des énergies renouvelables à un niveau suffisant pour réduire les émissions de CO2.

Jusqu’à présent, nous avons favorisé la production de l’énergie éolienne et de l’énergie photovoltaïque par l’intermédiaire des prix de rachat. Or, comment nos grandes entreprises pourront-elles affronter la concurrence internationale si elles doivent racheter ce type d’énergies deux ou trois fois plus cher ? Pour modifier les comportements, il faudrait créer des distorsions de prix considérables.

Pour ce qui est des biens consommés, le texte de mise en œuvre du Grenelle propose de taxer seulement certains produits. De votre côté, vous demandez que tous les biens soient concernés, ce qui signifie une véritable révolution économique.

Dans le contexte de la globalisation, je me demande comment nos entreprises pourront rester concurrentielles et ne pas détruire d’emplois. Vous avez en effet montré qu’il faut un temps d’adaptation pour que les effets produits par les changements de comportement soient perceptibles. En attendant que les pays émergents se rangent au même constat que le nôtre, comment ferons-nous ?

Croyez-vous que la France aura la capacité de pousser l’Union européenne à la suivre, si elle se montre la plus vertueuse ? Par ailleurs, l’Union européenne sera-t-elle capable d’influer sur les comportements mondiaux afin d’éviter des distorsions de concurrence avec les entreprises des autres pays ?

M. Jean-Marc Jancovici. Il s’agit d’un problème différentiel. La seule question que se posent l’électeur et le consommateur est de savoir s’il peut éviter de payer, que ce soit maintenant ou plus tard. Or, la réponse est négative. Le mieux est d’accepter tout de suite une souffrance qui sera moindre que celle à laquelle on s’expose plus tard.

Il est effectivement vrai que certains secteurs et certains types de consommations pâtiront de la hausse du coût de l’énergie. Mais ce qui arrivera demain, si l’on ne fait rien, sera une rupture violente, semblable à celle qui vient d’affecter les marchés financiers. Il en résultera beaucoup plus de dégâts que si l’on adopte une gestion prévisionnelle dès maintenant. Ce qui n’est pas très agréable, en revanche, c’est que cela concernera tout le monde, y compris les smicards.

M. le président Didier Migaud. Et qu’en est-il du nucléaire ?

M. Jean-Marc Jancovici. Ce secteur représentant aujourd’hui 5 % de l’énergie mondiale, il me semble difficile de porter cette proportion à 80 % dans 20 ou 30 ans. C’est une excellente idée de produire de l’énergie nucléaire, et les États-Unis feraient bien de suivre notre exemple, mais cela ne suffira pas.

La seule manière de régler le problème est d’envoyer un signal prix aux producteurs d’énergie. Les producteurs et les consommateurs s’adapteront, les premiers en changeant leur mode de production, les seconds leur mode de consommation.

Quant au système du bonus-malus, c’est une très mauvaise idée, car ce sera une usine à gaz d’un point de vue fiscal. Il faudrait régler 10 000 problèmes depuis le sommet de l’État.

M. Jean Launay. Vous avez évoqué la notion de responsabilité morale. Or, on peut se demander si le laxisme que l’on constate chez les Américains en matière financière ne concerne pas également les questions écologiques. Les États-Unis se sont en effet exonérés, dans une large mesure, des objectifs de Kyoto. Ce type de comportement n’influence-t-il pas les courbes qui nous ont été montrées ?

Comment pourrons-nous éviter d’agir seuls de notre côté ? Outre les États-Unis, il y a des pays plus qu’émergents qui ont aussi leur responsabilité dans la situation actuelle, notamment la Chine et la Russie.

Ma seconde préoccupation concerne la fiscalité environnementale. Un récent rapport sur les prélèvements obligatoires montre que la France est l’un des pays européens qui ont le moins recours à ce type de prélèvements. J’aimerais savoir ce que vous pensez de cette situation.

Pour ce qui est des incitations fiscales, il me semble enfin que les entreprises intègrent les efforts consentis par la collectivité publique sans que le consommateur en perçoive les effets à la baisse. Une comparaison avec nos voisins européens serait peut-être instructive.

M. Gérard Bapt. Pour revenir sur ce que vous avez dit à propos des smicards, je dois rappeler que leur consommation est contrainte : ils n’ont pas fait le choix d’habiter dans des logements mal isolés ou de se déplacer sur de longues distances pour se rendre sur leur lieu de travail. Seuls des ménages plus aisés peuvent réaliser de tels choix. Il faudra donc beaucoup de courage politique pour agir.

Par ailleurs, quand il est question d’une responsabilité morale à l’égard des générations futures, on pense souvent à d’autres sujets, comme le poids de la dette, et trop peu à la consommation énergétique. Le problème est précisément que nos concitoyens sont beaucoup moins sensibles à ce type de préoccupations qu’aux difficultés sociales actuelles.

M. Michel Pajon. J’ai trouvé les analyses qui nous ont été présentées très intéressantes, mais je m’interroge tout de même sur le rôle très limité que vous accordez à la recherche. Est-ce parce que vous avez la certitude qu’il n’y aura plus d’innovation majeure en matière énergétique, ou bien parce que vous ne croyez pas en l’importance de ce phénomène ?

Par exemple, peut-on aujourd’hui affirmer que l’on s’est heurté à une limite physique dans le domaine de l’énergie photovoltaïque, ou bien est-il au contraire possible d’augmenter les rendements ? La même question vaut pour l’énergie éolienne, et l’on peut également songer au moteur à hydrogène ainsi qu’à d’autres solutions pour produire l’énergie qui va manquer.

S’agissant du problème de la responsabilité, je rappelle que l’ensemble des pays émergents n’est pas directement responsable de la situation actuelle. Il faut se mettre à leur place : peut-on leur demander de renoncer à une croissance qui leur est encore plus indispensable qu’à nous, alors qu’ils n’ont pas pris part à l’accumulation actuelle de CO2 dans l’atmosphère ? On peut comprendre que ces pays protestent si on leur demande de faire maintenant ce que nous n’avons pas été capables de réaliser au cours des dernières décennies.

Cela étant, il est vrai les efforts que nous consentirons ne pourront sans doute pas compenser les émissions des grands pays émergents. La crise économique peut bien sûr bouleverser la situation, mais nous n’en sommes pas encore à ce stade.

M. le président Didier Migaud. Pour prolonger les questions qui viennent d’être posées, avez-vous des exemples étrangers à nous présenter en matière de fiscalité écologique ? Par ailleurs, même si chacun doit bien sûr commencer par agir à son propre niveau, comment arrivera-t-on à faire prendre conscience au reste du monde qu’il existe une urgence environnementale ? J’aimerais par exemple savoir comment ce message se diffuse dans des pays tels que la Chine ou l’Inde.

Enfin, si un signal prix doit être instauré au niveau national, ne faut-il pas imaginer des formules permettant à ceux qui souffrent le plus dans notre pays de ne pas pâtir d’une nouvelle remise en cause de leur pouvoir d’achat ? C’est une question de justice. Le même problème se pose au demeurant à l’égard des pays en voie de développement.

M. Olivier Godard. Pour modifier l’offre énergétique, toutes les techniques ne faisant pas usage du carbone - et par ailleurs sûres - me semblent bonnes. À cet égard, il n’y a pas de raison de frapper le nucléaire d’ostracisme.

Il n’en reste pas moins que la production d’énergie nucléaire ne permet pas de faire tourner une voiture. Ce n’est donc pas la panacée, d’autant qu’il existe des difficultés tenant à la rareté de la ressource première, aux risques encourus et à l’ampleur des investissements nécessaires.

Il faut en outre agir sur la demande : la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Jusqu’à présent, on s’est toujours soucié de satisfaire la demande, comme si c’était un impératif catégorique. Sans limiter la satisfaction des besoins, on peut pourtant rechercher une meilleure efficacité de la consommation. C’est un immense chantier qui doit être traité comme une priorité.

S’agissant de la dimension internationale du problème, vous savez que le jeu international se trouve très vite bloqué : à partir du moment où se forme une coalition d’acteurs souhaitant gérer un bien collectif, l’intérêt des acteurs qui ne participent pas à l’effort commun augmente : les uns supporteront l’ensemble des coûts, tandis que les autres bénéficieront des avantages sans rien payer. Ceux qui ne souhaitent pas participer trouveront facilement des raisons pour rester hors du jeu.

Une idée souvent avancée est qu’il ne faudrait s’engager qu’au rythme où les autres avancent, c’est-à-dire en fonction de la coordination internationale. Or c’est cela qui nous a conduits à l’impasse. Il faut que des pays se portent volontaires pour que quelque chose se produise. Cela étant, il serait un peu court que la France agisse seule : c’est à l’échelle européenne qu’il faut aller de l’avant, quels que soient les résultats de la négociation post Kyoto, ne serait-ce que pour préserver la chance qu’un accord plus large soit conclu plus tard, au vu de l’expérience européenne.

S’il est nécessaire que l’Europe donne l’exemple, ce n’est pas seulement pour des raisons morales, même s’il faut assumer le fait que nous avons produit le CO2 aujourd’hui présent dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle ; il s’agit également de montrer à d’autres pays que le changement est possible. C’est sans doute cela qui produira un effet d’adhésion.

Pour y parvenir, il faudra y aller franchement, sans chipoter. La crise financière actuelle montre malheureusement que l’Europe est très douée pour les grandes proclamations, mais beaucoup moins pour porter un grand projet commun. La crédibilité de l’Europe dans les négociations internationales sur le climat reste également à établir.

En matière de fiscalité, il me semble que l’idée d’un « double dividende » a été trop vite rejetée au motif qu’elle serait trop idéaliste. Or, à mes yeux, il n’y a pas deux, mais plutôt six avantages à espérer de l’instauration d’un marché de permis.

Le premier dividende est environnemental : il s’agit de préserver l’environnement en donnant un prix aux émissions de CO2. On peut également attendre de la fiscalité environnementale une plus grande efficacité économique, car le recours au marché favorise la maîtrise des coûts, contrairement à une approche normative.

Dans la mesure où l’on touche à l’ensemble de l’activité économique, on peut en outre dégager une masse financière considérable qui permettra de mener une réforme fiscale très ambitieuse. Il faudra notamment s’interroger sur l’efficacité environnementale de toutes les mesures en vigueur et dégager de nouvelles ressources financières si l’on réduit effectivement la base budgétaire de la TIPP par un « facteur 4 ».

Grâce à la fiscalité environnementale, on pourra également éviter certaines dérives constatées en matière d’aménagement du territoire, notamment l’implantation d’un habitat individuel éloigné des centres et totalement dépendant des véhicules. Il faut anticiper les difficultés des ménages qui seront piégés dans ce type d’habitat quand le choc pétrolier annoncé se produira.

N’oublions pas non plus l’indépendance énergétique de notre pays : l’aspect conflictuel des ressources énergétiques ne fera que s’accentuer. Quand on sait comment la Russie utilise déjà la question du gaz, on peut se douter que tout ne se passera pas dans le calme au Moyen Orient, qui sera le dernier lieu de production pétrolière. La maîtrise de la demande d’énergie sera un facteur stratégique essentiel pour l’indépendance de notre pays.

Enfin, nous ne pourrons jamais faire face au défi environnemental sans mobiliser toutes les ressources de la recherche. Pour cela, nous avons besoin d’une recherche finalisée et bien soutenue, préservée de la « traversée du désert » qui se produit trop souvent quand on cesse de bénéficier d’une aide publique avant d’être porté par un marché. Étant donné que les prix influencent l’orientation du système de recherche, l’intégration du coût du carbone dans les prix, de façon lisible, devrait donner un signal en faveur du développement d’innovations utiles pour faire face aux difficultés environnementales. Il faut peser sur le progrès technique au lieu d’attendre qu’il arrive de l’extérieur. C’est le sixième « dividende ».

Dernier point sur lequel j’aimerais insister, il n’y a pas de développement sans solidarité, c’est-à-dire sans que chaque groupe social ressente qu’on lui demande un effort juste. Pour préserver la justice sociale, la réorientation des modes de vie nécessitera naturellement des mesures d’accompagnement.

Réforme fiscale, politique sociale, politique de l’énergie et indépendance nationale, tout est lié. Il faudra s’occuper de tout cela en même temps.

M. Jean-Marc Jancovici. Si je puis ajouter quelques remarques, nous faisons face à un pari de Pascal inversé : soit chacun attend que les autres agissent, et l’on est sûr que tout le monde sera perdant ; soit on agit en acceptant le risque que les autres ne se décident pas assez vite, et l’on engrange immédiatement un bénéficie, notamment en matière d’indépendance.

Je rappelle que l’urgence n’est pas seulement écologique, mais aussi économique, car nous sommes à cinq ans du pic de production du pétrole. À mesure que l’on se rapproche des limites, on se rend compte que l’économie et l’environnement sont une seule et même réalité : toute activité économique consiste en une transformation des ressources naturelles.

Il faut donc se convaincre que la fonction de production reposant sur deux facteurs, le capital et le travail, est erronée : il faut ne pas oublier également de prendre en considération les ressources naturelles. Aujourd’hui, le facteur limitatif n’est plus la quantité de bras disponibles ou le capital. La nécessité de la fiscalité environnementale n’est que la conséquence de la réintégration des ressources naturelles dans la fonction de production.

Il me semble même que les prélèvements assis sur les ressources naturelles doivent être la colonne vertébrale du système fiscal de demain. Étant donné que 99 % des hydrocarbures consommés en France sont importés, on rendra service à nos concitoyens en leur adressant dès maintenant un signal prix.

La hausse des prix du carburant décidée après-guerre dans les pays européens a ainsi permis de limiter à 10 % la chute des ventes des constructeurs automobiles quand le prix du baril de pétrole a été multiplié par cinq, alors que, dans le même temps, la production a été divisée par deux aux États-Unis. C’est le fruit d’une politique intelligente de taxation des carburants : on a construit un appareil industriel produisant des voitures beaucoup plus économes.

En augmentant le prix de l’énergie, de la même façon que nous avons augmenté celui du tabac, nous protégerons nos concitoyens même s’ils n’en ont pas encore conscience. En effet, nous leur donnerons à l’avance le signal dont ils ont besoin.

En matière de redistribution, on peut envisager toutes les solutions, hormis la détaxation de l’énergie pour certains. De son côté, la fondation Hulot a proposé de déplacer les prélèvements fiscaux du travail vers l’énergie, afin d’avantager les industries de main-d’œuvre, qui sont peu délocalisables. Les industries intensives en capital en pâtiront certainement, mais dans certaines limites : on n’ira jamais produire l’électricité française à Taïwan.

Concernant les ménages, la fondation Hulot a proposé que l’administration fiscale « fasse un chèque » qui corresponde au montant collecté de la taxe carbone ou de la contribution énergétique dans l’année, égal pour tous. À la fin de l’année, ceux qui se trouvent dans le bas de l’échelle des revenus recevront un montant plus élevé que ce qu’ils auront payé au total. Ceux qui gagnent le plus connaîtront un sort contraire. Un tel système serait non seulement redistributif, mais également incitatif d’un point de vue environnemental, puisque les prix de l’énergie augmenteront de façon programmée sans que le pouvoir d’achat soit touché.

J’ajoute que tous les acteurs industriels expriment une préférence pour une contrainte prévisible et progressive par rapport à la volatilité. Le PDG de Total a par exemple indiqué qu’il comprendrait très bien que l’État augmente délibérément le prix de l’énergie. Pour sa part, le PDG de Citroën a déclaré que l’État devait prendre ses responsabilités et que le meilleur l’emporterait alors – il pense en effet que ce sera son entreprise. Quant au PDG de Schneider, il avoue franchement que les entreprises n’innovent que sous la contrainte.

Or on sait très bien qu’une entreprise risque fort de licencier quand elle doit s’adapter rapidement ; quand elle dispose de temps, elle peut au contraire réaliser des investissements productifs. Tous mes clients anticipent déjà des scénarios de rupture pour éviter de subir les événements.

Je le répète : il est possible de mener une politique fiscale intelligente et parfaitement redistributrice. On peut aider ceux qui en ont le plus besoin tout en favorisant l’emploi, même s’il n’est pas du tout certain que le pouvoir d’achat ne pâtisse pas de la hausse du coût de l’énergie. Il faudra donc des élus très intelligents pour gérer une forme de restriction. Cela étant, rien ne peut être pire que la surprise dans ce domaine.

S’agissant des questions de centralisation et de décentralisation de l’énergie, il faut se souvenir que la production ne se stocke pas : une bonne production électrique est centralisée, tandis qu’une bonne production de chaleur ne l’est pas. Les technologies renouvelables qui seraient décentralisées présentent donc un plus grand intérêt en matière de production de chaleur que d’électricité.

J’ajoute que l’énergie photovoltaïque ne représente qu’une part infime de l’énergie produite dans le monde. Par conséquent, il faut abandonner l’idée de couvrir des besoins substantiels grâce cette technologie dans les dix années qui viennent. Il est certes bon de garder un fer au feu en investissant dans la recherche, dans l’hypothèse où l’on parviendrait à diviser les coûts de production par quatre et où l’on pourrait stocker l’électricité de façon économique, mais il ne faut pas augmenter les tarifs de rachat. Ce serait de l’argent dépensé en pure perte. Mieux vaudrait construire un EPR tout de suite.

Le véritable fondement de la politique de l’État doit être la tonne de CO2 économisée. Pour cela, il faut d’abord faire du contrôle de gestion : combien économise-t-on grâce à chaque euro dépensé ? C’est une grille de lecture très structurante pour l’action.

Pour ce qui est de la dimension européenne, la fiscalité demeure une compétence nationale. Attendre que l’Europe légifère sur ce sujet, c’est donc perdre le combat d’avance. Il faudra bien qu’un État se jette à l’eau, en profitant au passage de tous les « dividendes » présentés par Olivier Godard.

L’Union européenne peut en revanche jouer un rôle essentiel en matière réglementaire dans trois domaines : la consommation des véhicules – il faut fixer une obligation de consommation de 50 grammes de CO2 par kilomètre dès 2018 ; la performance thermique des bâtiments, que l’on peut très bien réglementer au moment des mutations de patrimoine ; et enfin le CO2 émis lors de la production électrique – il existe déjà un système de quotas, mais on pourrait très bien interdire l’utilisation du charbon sans capture ou séquestration dans les années qui viennent.

M. le président Didier Migaud. Merci pour ces échanges. J’espère que nous saurons nous en inspirer dans l’avenir.

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