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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 8 octobre 2008

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition de M. Georges Pauget, directeur général du Crédit agricole, président de la Fédération bancaire française, sur la crise financière internationale

M. le président Didier Migaud. C’est à un double titre que nous accueillons M. Georges Pauget dans le cadre des auditions que nous organisons sur la crise financière et ses conséquences, puisqu’il est directeur général du Crédit agricole SA et président de la Fédération bancaire française.

La Commission des finances s’efforce, d’une part, d’évaluer les différents dispositifs de réponse immédiate devant permettre de restaurer la confiance qui fait actuellement défaut entre les établissements bancaires et auprès des épargnants et des déposants et, d’autre part, de dégager les projets de réforme susceptibles d’être portés au niveau européen, notamment par les régulateurs français. Nous souhaitons à la fois comprendre et contribuer à des propositions tant à court qu’à moyen terme.

M. Georges Pauget, directeur général du Crédit agricole, président de la Fédération bancaire française. Eu égard à sa taille et à sa diversification, le Crédit agricole a été touché par la crise via sa filiale Calyon, spécialisée dans l’activité de banque de financement et d’investissement. Elle se livrait à des activités « industrielles » qui consistaient à acheter différents types d’actifs, à les découper avant de les assembler de façon à constituer de nouvelles catégories d’actifs présentant un couple risque-rendement identifié. C’est ce qu’on appelle dans le jargon des banquiers le cash CDO. Nous ne gardions que très peu des supports achetés puisque l’essentiel était destiné à des investisseurs institutionnels, des asset managers.

Depuis le mois de mars 2007, nous sommes dans une situation comparable à celle d’une usine dont l’encours de fabrication est gelé car le marché a disparu. La valeur de ce stock est recalculée trimestre après trimestre en fonction des indices de marché, et désormais d’un principe de mark to model, méthode consistant à déterminer autant que faire se peut une valeur de marché. Nous étions deux grands acteurs en France à avoir développé cette activité. Il s’agissait de fabriquer des produits de placement dégageant un rendement correct. Comme les taux étaient extrêmement bas, il fallait le « doper » en combinant, en proportion variable, des actifs représentant des financements de logements classiques pour partie aux États-Unis, et des subprimes. Nous vendions très vite les titres les plus risqués, mais nous conservions des actifs peu et moyennement risqués pour les vendre au fur et à mesure. Ayant cessé cette activité depuis février 2007, nous avons très peu d’actifs moyennement risqués – les « mezzanines » – mais des actifs que l’on appelle super-seniors classés alors triple A, que des assureurs, eux-mêmes classés triple A, nous garantissaient, afin de limiter encore le risque de bilan. Nous avions donc, jusqu’à la crise de 2007, toutes les raisons de croire que nous avions des actifs de très bonne qualité. Aujourd’hui, ces actifs sont dépréciés de 50 % et les garanties reçues de plus de 70 %. C’est cette seule activité qui est la cause des principales dépréciations constatées dans notre bilan.

Après avoir pris acte des évolutions du marché, nous avons restructuré notre filiale et les activités présentant un profil de risque comparable, de façon à réduire les risques, tout en procédant à une augmentation de capital pour consolider la situation financière du groupe. De la sorte, le ratio de fonds propres, dit tier one, est supérieur à 8 %, de l’ordre de 8,5 %, et notre liquidité, d’après mes informations, est l’une des meilleures des banques françaises. Depuis le début de la crise, nous n’avons pas connu, de près ou de loin, de crise de liquidités, ni dans nos SICAV, ni dans notre activité bancaire. S’agissant de la gestion pour compte de tiers – c'est-à-dire les SICAV et les compagnies d’assurance –, nous avions décidé de n’avoir aucun actif américain. Nous en procurions seulement aux investisseurs avertis qui voulaient ce type de produit.

Quant aux résultats, après l’impact de la crise de 2 milliards d’impôt, le Crédit agricole SA a dégagé un bénéfice de 4 milliards en 2007 et le groupe un peu plus de 6 milliards. Pour le premier semestre 2008, nous en étions respectivement à environ 1 milliard et 1,6 milliard, la crise ayant pesé à hauteur de 1 milliard. Bien que nous ayons mené une politique de provisionnement extrêmement prudente, notre capacité bénéficiaire a été constamment démontrée.

Pour en venir à la crise financière, l’objectif de la Fédération bancaire française et des grands établissements est de maintenir la confiance dans le système bancaire français.

Quelques points méritent d’être mis en évidence.

Premièrement, la crise est d’origine américaine, avec des répercussions en Europe. L’oublier, c’est risquer de faire à mauvais escient l’amalgame entre la situation des établissements américains et celle des établissements européens. Deuxièmement, le point de départ est un risque de crédit dans une activité non régulée, c'est-à-dire hors de tout système de contrôle. Troisièmement, aux États-Unis toujours, il faut souligner la multiplicité des régulateurs, en particulier la Federal Reserve Bank et la Securities and Exchange Commission. Selon que les établissements étaient du ressort de la première ou de la seconde, l’effet de levier de l’activité titrisée variait du simple au double, ce qui explique que les établissements ayant décidé de passer du contrôle de la seconde à celui de la première ont dû soit réduire leur activité, soit augmenter leur capital. La diversité des situations est un paramètre important.

Le degré d’implication des banques est plus élevé aux États-Unis, ce qui explique que soient touchées non seulement les grandes maisons de Wall Street, mais également la plupart des banques régionales. Le système de garantie des dépôts, le FDIC, a dû intervenir dans une dizaine de cas et des restructurations ont eu lieu pour adosser des banques d’investissement à des banques de dépôt. Les établissements de l’Eurozone ne sont pas dans la même situation même s’ils sont touchés à la mesure de leur développement aux États-Unis. L’impact est réel, mais le plus souvent limité : il fragilise les banques, anglaises et suisses en particulier. Autrement dit, les problématiques de la crise ne sont pas comparables en Europe et aux États-Unis. C’est la raison pour laquelle les mesures mises en œuvre outre-Atlantique ne sont pas nécessairement adaptées ici, indépendamment des différences juridiques et réglementaires

La vraie difficulté consiste à donner un prix à ces actifs qualifiés aujourd'hui de « toxiques ». Ce sont des produits complexes, pour lesquels il n’existe pas de marché. De ce fait, les systèmes comptables fondés sur la valeur de marché, le principe du mark to market, ont été un facteur d’accélération de la crise. Les incertitudes, fortes parfois, pesant sur certains postes du bilan qui se dépréciaient à chaque arrêté, ont provoqué une crise de confiance et les investisseurs, traditionnels pourvoyeurs de liquidités, se sont retirés du marché. J’entends dire ici ou là que les banques ne se font plus confiance entre elles et qu’il suffirait qu’elles le fassent pour que le marché reparte. Or ce n’est pas vrai.

L’ensemble des banques françaises dégage un besoin de liquidités qui était, jusqu’à la crise, satisfait par les investisseurs institutionnels. Comme, depuis la faillite de Lehman Brothers, les compagnies d’assurance et les SICAV notamment n’investissent plus dans les supports de placement des banques, celles-ci se sont tournées logiquement vers le prêteur en dernier ressort : la BCE. Pour que le marché monétaire retrouve un fonctionnement normal, il faut non seulement un marché interbancaire, mais surtout un apport de liquidités en quantité suffisante et sur une durée suffisamment longue. Or, pour obtenir des financements de la Banque centrale, il faut offrir en contrepartie des actifs éligibles par elle. Il y a à ce sujet une discussion importante car le conseil des gouverneurs, qui arrête la liste de ce qu’on appelle le collatéral pour l’ensemble de la zone euro, doit assurer un traitement équitable des instruments, qui sont pourtant différents dans chacun des pays. Il en va de l’égalité de concurrence entre les acteurs. Cette complexité explique pour partie la difficulté que peut éprouver la Banque centrale à s’adapter dans des délais courts au changement de configuration des marchés.

La plupart des investisseurs, en particulier les SICAV monétaires, se prémunissent contre le risque de retraits de la part de leurs clients, en plaçant extrêmement court. Or la BCE a elle-même vocation à prêter court. Ainsi, de très grands établissements se retrouvent dans l’obligation de refinancer par des ressources trop courtes des actifs longs. Si la situation s’installe, elle est de nature à fragiliser le système bancaire dans son entier. Les banques cherchent donc à obtenir de la Banque centrale, et en collaboration avec elle, un allongement de la durée moyenne de ses interventions, au-delà de trois mois. Le marché, lui, pouvait prêter jusqu’à deux, voire cinq ans. Il y a donc un changement complet de la structure de financement des établissements bancaires. C’est un point crucial qui demande un traitement conjoint par les autorités publiques, la Banque centrale, et les banques qui doivent s’adapter.

M. le président Didier Migaud. Le gouverneur de la Banque de France nous a expliqué hier que la BCE avait élargi la liste des collatéraux et inversé la proportion entre ses interventions au jour le jour et celles à plus long terme. Qu’en pensez-vous ?

M. Georges Pauget. Personne ne conteste que la BCE se soit adaptée, mais c’est une question de rapidité et d’ampleur. Avec la faillite de Lehman Brothers, les créanciers obligataires ont perdu leur capital, ce qui a poussé les investisseurs à se détourner des supports de placement bancaires. Le problème vient de la vitesse de substitution. La BCE a accru ses interventions en volume et en durée, mais le mouvement n’est pas suffisamment rapide pour permettre une gestion confortable de la liquidité, même si la situation est inégale selon la structure du bilan des établissements. Auparavant, le critère d’éligibilité des supports à la BCE était secondaire puisque l’essentiel des ressources provenait du marché. Or c’est elle désormais qui assure la part la plus importante des financements.

J’en viens à la solvabilité. À cet égard, les assurances données par les chefs d’État et de gouvernement aujourd'hui confortent les établissements. J’ai cru pendant quelques heures que la déclaration des 27 suffirait, mais les initiatives isolées de certains pays pour parer à l’urgence ont finalement fragilisé l’édifice d’ensemble et accru les troubles des marchés. Les perturbations intègrent aussi des paramètres autres que la crise financière dans la mesure où les agents anticipent des évolutions défavorables des agrégats économiques. Il s’agit de trouver une communication qui entraîne la conviction.

L’intervention des États se fera surtout par le biais de prises de participation, avec les conséquences éventuelles sur la gouvernance des établissements. C’est une voie qui, de notre point de vue, est efficace et, en tout cas, préférable à la garantie des dépôts qui se révèle largement anxiogène. L’argument est plus facilement compréhensible pour les consommateurs, mais ils entendent quant à eux un message d’alarme : il pourrait y avoir un problème. Pourtant, avant d’actionner la garantie, il faut qu’il y ait eu faillite. On n’en est pas là en France et, en tout état de cause, même en cas de difficulté, il vaut mieux prévenir que guérir. L’important, dans le cadre de la gestion de crise, est de fournir des informations de nature à restaurer la confiance. La technique suivie va dans ce sens.

Quant aux conséquences sur l’économie française, j’ai deux observations.

D’une part, nous continuons à financer l’économie à un rythme satisfaisant. Le crédit aux entreprises a progressé de plus de 2 % en un semestre – je parle des nouvelles activités –, et le crédit immobilier augmente aussi. Un journal affirmait ce matin que les banques étaient très restrictives en matière de financement du logement. Mais, dans le même temps, il faisait valoir que, depuis dix ans, le prix des actifs immobiliers s’était accru de 140 %. C’est précisément une des causes de désolvabilisation des acheteurs potentiels, bien avant la hausse des taux d’intérêt, qui sont passés de 4,5 % à 5,5 %. Le prix des actifs immobiliers est un problème. Il ne serait pas populaire de dire que, plus vite les prix baisseront, plus vite le marché s’équilibrera. Pourtant, c’est une des conditions du redémarrage, lequel suppose une resolvabilisation des acteurs.

D’autre part, s’agissant d’un risque de ralentissement de l’offre de crédit, la réglementation bancaire actuelle fait que chaque dépréciation se traduit par une réduction de la capacité des établissements à faire du crédit. À cet égard, la disposition prise par le G 4, qui semble devoir être reprise par la Commission européenne d’ici à la fin du mois d’octobre, et consistant à modifier les règles comptables, est de nature à réduire l’impact négatif de l’évolution des marchés et à mieux cadencer le rythme des dépréciations éventuelles en lissant la base de capital qui sert de multiplicateur de crédit. Par ailleurs, la Commission bancaire a mis en œuvre le premier pilier du dispositif Bâle 2, c'est-à-dire la mécanique qui définit, sur la base du portefeuille de crédits et les risques de marché de chaque établissement, les besoins en fonds propres. Nous en sommes aujourd'hui à calculer les besoins supplémentaires pour tenir compte des risques inhérents à la plus ou moins grande diversification des activités et à la méthode de gestion des risques opérationnels. Dans ce domaine, les régulateurs « ont la main » et, s’il ne s’agit pas de changer radicalement les règles prudentielles, ils devront faire preuve de souplesse dans la mise en œuvre qu’il faudrait étaler suffisamment dans le temps pour qu’une contrainte supplémentaire ne se traduise pas par une nouvelle restriction de l’offre de crédit. Les règles comptables et prudentielles sont des outils importants de pilotage de l’offre de crédit.

M. le président Didier Migaud. Nous avons tout de même, dans nos circonscriptions, des témoignages de chefs d’entreprise, de candidats aux prêts immobiliers et même de ceux qui participent à des comités de prêts, qui confirment le resserrement du crédit.

M. Georges Pauget. C’est le phénomène classique d’une anticipation du ralentissement de la conjoncture, dont il faut bien tenir compte pour estimer les capacités de remboursement des agents économiques.

M. Alain Rodet. Monsieur le directeur général, que répondez-vous aux journalistes et commentateurs qui estiment que le président de la BNP, M. Prot, a été plus vigilant et réactif que vous dans l’affaire des subprimes ?

M. Georges Pauget. Le Crédit agricole avait développé une activité de cash CDO dans les mêmes proportions que la Société générale. Pas la BNP, et c’est tant mieux pour elle !

M. Alain Rodet. Dans la tourmente générale, votre organisation qui repose sur les caisses régionales de Crédit agricole, est-elle un atout supplémentaire ?

Quelles seront les conséquences pour vous de la banalisation du livret A ?

M. Georges Pauget. La présence d’un actionnaire majoritaire, les caisses régionales, qui détiennent 54 % de Crédit agricole SA, est un gage de stabilité qui nous donne, dans une conjoncture chahutée, la capacité de définir une stratégie de moyenne période.

Autre atout, nous avons au conseil d’administration trois profils : les présidents des caisses sont souvent des agriculteurs qui connaissent la banque et qui ont les pieds sur terre ; les directeurs généraux des caisses, qui sont des banquiers ; enfin, des administrateurs indépendants. Ils connaissent les réalités économiques et la banque au quotidien de sorte qu’ils ont une bonne réactivité. Nous avons considéré que notre actionnariat coopératif nous imposait une communication transparente sur les effets des subprimes, même si ce n’était pas agréable d’être les premiers à apporter de mauvaises nouvelles. En outre, nous avons réagi très vite en décidant, dès le mois d’avril, une augmentation de capital qui a été une réussite, ainsi qu’une réorientation de la stratégie.

En ce qui concerne le livret A, le Crédit agricole, comme les autres, se réjouit de la disparition d’un facteur de déséquilibre de la concurrence. Nous contribuerons encore plus au financement du logement social, dont nous sommes d’ores et déjà l’un des principaux acteurs en France. Nous continuerons à mener une politique dynamique de l’épargne.

M. Louis Giscard d’Estaing. De quelle autorité relève votre filiale ?

M. Georges Pauget. Il s’agit d’une société de droit française, ayant son siège en France, et soumise à la réglementation française. Ce qui s’est passé, c’est que les produits triple A garantis par du triple A comptaient pour très peu dans les actifs pondérés qui servent de base aux fonds propres exigés. Or c’est par le biais du système d’appréciation des risques, qui considérait cette activité comme hypersécurisée, que nous suivions son développement, lequel, parce qu’elle était jugée moins risquée que d’autres, a été plus rapide.

M. Louis Giscard d’Estaing. Et que pensez-vous des critères de notation ?

M. Georges Pauget. Nous nous sommes fiés à la notation.

M. Louis Giscard d’Estaing. Quel est le point de vue de la Fédération bancaire française sur les normes IFRS ? Quel est l’impact de la crise sur les prêts aux collectivités locales ?

M. Georges Pauget. La Fédération bancaire française, suivie désormais par les pouvoirs publics français et les autorités européennes, estime qu’il faut mettre moins d’instabilité dans le système. Le principe du mark to market, qui consiste à valoriser les actifs au prix du marché, est-il pertinent s’il n’y a pas de marché ? Il est préférable dans ce cas de les traiter comme des prêts classiques soumis à une évaluation économique, à partir du cash flow. Aujourd'hui, la situation est paradoxale car il y a un écart considérable entre les défauts de paiement constatés et les anticipations des marchés. Personne ne sait ce qu’il adviendra. Le changement de méthode devrait aboutir à une appréciation aussi bonne, sinon meilleure ; il aurait en outre l’avantage d’amortir les cycles. Il est très important, au moins pour les activités d’intermédiation, de maintenir les prix historiques, quitte à prévoir des révisions contraignantes. Sinon, on participe à la spirale déflationniste.

Par ailleurs, nous souhaitons qu’il y ait un superviseur européen doté de pouvoirs et de moyens. Les établissements, comme le Crédit agricole, sont d’abord soumis à la Commission bancaire, mais aussi, là où ils sont implantés, à des superviseurs locaux qui peuvent avoir des lectures différentes de textes prudentiels pourtant identiques. Dans tous les cas, les réglementations de la liquidité sont différentes. Le texte unique de la directive cache des conditions d’application extrêmement différenciées. Ce défaut d’harmonisation se traduit par des déséquilibres de concurrence. La Commission bancaire en est bien consciente, et elle essaie de se situer dans la moyenne européenne. Mais elle est plutôt dans la moyenne exigeante car elle a toujours souhaité privilégier la stabilité et la sécurité des établissements, ce qui se révèle précieux aujourd'hui. Nous préconisons donc une approche plus unifiée de la supervision. L’objection que nous font les États, et qui sert souvent d’alibi même si elle n’est pas sans fondement, est que, in fine, le garant est le contribuable national, si bien que chaque pays continue de revendiquer son autonomie de décision.

Les prêts aux collectivités locales sont partiellement refinançables à la BCE. Jusqu’à il y a quelques mois, la marge sur ces opérations était très faible, de quelques centimes. Certains grands établissements que la crise de liquidités aurait contraints à relever leur marge à 80 ou 100 points de base se sont abstenus de soumissionner aux appels d’offre de quelques grandes collectivités. Il n’y a eu, à ma connaissance, que quelques cas. Si la quotité mobilisable de ces prêts était beaucoup plus élevée que le taux actuel de 75 %, le problème serait réglé. Les banques arbitrent aujourd'hui entre les prêts aux collectivités locales qui sont mobilisables et leur activité commerciale auprès des entreprises et des ménages. La BCE devrait publier ce soir de nouvelles règles de refinancement.

M. Charles de Courson. Vous qui jugez préférable, et je partage votre avis, que les États interviennent en capital plutôt qu’en créant des structures de cantonnement, que pensez-vous du plan Paulson ?

M. Georges Pauget. L’objectif des Américains est de dégager du bilan des banques les actifs toxiques, qui en représentent une part significative, afin de relancer l’économie. Les banques régionales sont très atteintes.

M. Charles de Courson. Que faites-vous du problème de la valorisation de ces actifs ? Le risque est de gangrener tout le reste de l’économie, voire le reste du monde ! Si j’étais commissaire aux comptes, je demanderais des provisions en fonction des prix pratiqués.

M. Georges Pauget. La plupart des banques européennes ne céderont pas d’actifs à la structure Paulson, ne serait-ce qu’en raison des faibles volumes en cause. Les prix proposés étant particulièrement bas à l’heure actuelle, on ne craint rien à attendre. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons demandé à Bruxelles, par l’intermédiaire des pouvoirs publics français, une transformation des normes comptables. Sinon, la contagion sera totale. Nous cherchons par ce moyen à nous protéger de l’impact sur les prix du plan Paulson.

Avec le système d’adjudications retenu, le plan va se heurter à une première difficulté, consistant à définir des actifs éligibles homogènes. Les produits en cause ont précisément été conçus au départ pour être spécifiques. Si le gisement est trop étroit, le prix ne sera pas significatif, s’il est trop vaste, on amalgamera des actifs qui n’auront rien à voir entre eux : seront assimilés des millésimes de crédit différents, dont le niveau de risque est donc différent, en proportion variable dans chacun des actifs. C’est d’ailleurs ce qui explique la complexité des produits. Il est aujourd’hui impossible de savoir quel sera l’impact sur les prix des actifs. S’ils sont trop hauts, la facture du contribuable s’alourdira ; s’ils sont trop bas, un risque systémique pèsera sur les banques régionales américaines.

M. Charles de Courson. Certains grands banquiers américains considèrent le plan Paulson comme une pure folie. En plus, l’administration américaine l’a concocté toute seule dans son coin, sans aucune concertation. Quelques journalistes qui tiennent lieu d’opinion publique ont critiqué le Congrès, qui a, dans un premier temps, repoussé le plan Paulson. Les parlementaires étaient pourtant pleins de bon sens. D’ailleurs, comment ce plan sera-t-il financé ? Quel sera son impact sur les taux américains ?

M. Georges Pauget. Cela, on n’en sait rien, mais, rapporté au PIB américain, le déficit est faible, de l’ordre de 35 %. Il y a donc de la marge, même après le plan Paulson.

M. Charles de Courson. Il représente tout de même 7 points de PIB.

M. Georges Pauget. On reste très en deçà des normes européennes.

M. Charles de Courson. Mais où trouveront-ils l’épargne ? Il n’y en a plus aux États-Unis ! Pour attirer les capitaux étrangers, ils devront relever leur taux.

M. Georges Pauget. Aujourd'hui, les bons du Trésor américain sont à des taux proches de 0 %.

M. Charles de Courson. Pour combien de temps ?

M. Georges Pauget. Aussi longtemps que durera la défiance.

M. Charles de Courson. En France, les taux d’intérêt pratiqués par les banques ont augmenté de plus d’un point en un an. La baisse des conditions de refinancement qui s’amorce en Europe sera-elle répercutée ?

M. Georges Pauget. J’attire votre attention sur le fait que, lorsque le taux de la BCE était à 4,25 %, avant d’être ramené aujourd'hui à 3,75 %, nous nous refinancions, dans le cadre des appels d’offre soumis à adjudication, à 5,35 % en raison de la très forte demande de liquidités des banques. Le taux effectif s’aligne sur ceux qui ont les plus gros besoins et qui sont prêts à payer plus cher. Pour vous répondre, il faut attendre de mesurer l’effet de la baisse du taux directeur, mais, grosso modo, même s’il y a des phénomènes d’inertie fonction de la durée des ressources, le taux de base bancaire suit à moyen terme.

M. Charles de Courson. Certains économistes considèrent que la priorité des banques est de reconstituer leurs marges, plutôt que de gagner de nouvelles parts de marché en baissant leur taux.

M. Georges Pauget. Les situations de concurrence sont extrêmement différentes. En France, il y a dix-huit mois encore, les marges sur le crédit à l’habitat étaient quasi nulles. Depuis, une petite marge positive est apparue, que les établissements vont vraisemblablement conserver avant de répercuter la baisse des taux. La compétition est dans notre pays très violente. Les marges des banques françaises supportent la comparaison avec la moyenne européenne.

Il faut aussi intégrer le prix du risque, qui est aujourd'hui plus élevé. Il y a bel et bien une augmentation des impayés en France, laquelle, bien que moins forte qu’en Espagne ou au Royaume-Uni, constitue un indicateur des difficultés des agents économiques, surtout des ménages.

M. Charles de Courson. À quoi servent, selon vous, les agences de notation ?

M. Georges Pauget. En théorie, elles jouent le rôle du tiers de confiance. La Fédération bancaire française, aujourd'hui isolée en Europe, a déclaré qu’il serait sain qu’il y ait une inscription et une responsabilisation des agences de notation, avec éventuellement des sanctions financières en cas de non-respect d’un code de bonne conduite. Sur le marché, la liberté doit être associée à la responsabilité. Mais ce n’est envisageable qu’à l’échelle européenne.

M. Charles de Courson. Que pensez-vous de la fair value, et plus généralement des normes qui sont des accélérateurs de crise ? Et comment envisagez-vous la réforme ?

M. Georges Pauget. S’agissant du traitement des actifs illiquides, la Commission, moyennant une consultation du Parlement européen, est apparemment en mesure de décider dans un délai assez court et de nous mettre à l’abri des effets négatifs du plan Paulson.

En l’absence de position officielle de la Fédération, je considère, en tant que directeur général du Crédit agricole, que les règles comptables doivent laisser aux banques la possibilité de lisser les cycles. C’est ce qu’a fait l’Espagne, qui autorise des provisions a priori, partiellement défiscalisées. Les établissements peuvent ainsi se constituer des réserves, qu’ils utilisent en cas de difficulté, afin d’éviter de couper la distribution de crédit. Aujourd'hui, nous sommes obligés d’enregistrer immédiatement toute dépréciation, ce qui ampute d’autant les fonds propres et, partant, l’offre de crédit. Il faut revoir les normes comptables qui s’appliquent aux autres activités qu’aux activités de marché, et qui restent durablement dans le bilan. Pour le moment, tout est fondé sur l’économie de l’instant. Il faut estimer la quasi-totalité du bilan à la valeur liquidative, comme si tout allait être vendu le jour même. C’est d’autant plus choquant que les acteurs d’un marché ont tous des horizons de gestion différents, et que c’est de ces différences que découle l’équilibre. Les mécaniques comptables actuelles, en alignant tout le monde sur la même temporalité, sont un facteur de déséquilibre. Un auteur anglais disait récemment qu’elles permettent de « passer de la crise au désastre ».

M. Louis Giscard d’Estaing. Les assureurs sont-ils soumis aux mêmes règles ?

M. Georges Pauget. Non, pas aujourd'hui, mais la directive Solvency 2 arrive. De plus, l’activité des assurances s’étire sur une période plus longue que celle des banques. Il faut absolument accepter que les actifs soient classés en fonction des horizons de gestion, ce que ne permettent pas suffisamment les normes comptables.

M. Jean-Pierre Gorges. La Fédération bancaire française a-t-elle établi un diagnostic précis sur chacun des groupes français ?

M. Georges Pauget. C’est plutôt la Commission bancaire qui est en mesure de porter un jugement sur chacun des établissements. Globalement, le système bancaire français affiche des ratios de fonds propres très élevés. Il repose sur un modèle économique très prudent car très diversifié : le produit net bancaire des trois principaux groupes provient pour 64 % de la banque de détail, pour 17 % de la gestion d’actifs, et pour 19 % de la banque de financement et d’investissement, qui regroupe d’ailleurs des secteurs dont l’exposition au risque et les cycles sont très variables. Cette diversification différencie radicalement les banques françaises des banques américaines qui sont spécialisées dans un seul métier. C’est la raison pour laquelle les banques commerciales, qui étaient un peu plus diversifiées, ont repris les établissements exclusivement orientés sur les activités de marché.

Solidité des fonds propres, diversification de l’activité et contrôle prudentiel reconnu, tels sont les trois piliers sur lesquels reposent les banques françaises.

M. Jean-Pierre Gorges. Certains établissements en profitent pour « faire leurs courses ». Des rapprochements vont être accélérés. Le Crédit agricole a-t-il des projets ?

M. Georges Pauget. Monsieur le député, en tant que dirigeant d’une société cotée, je me dois de respecter les règles d’information financière. Le Crédit Agricole a pour priorité d’exécuter le plan présenté aux actionnaires à la faveur de l’augmentation de capital : recentrage des activités et amélioration de la gestion. Et ce plan se déroule normalement.

Plus généralement, j’anticipe plutôt des opérations transfrontières car, en France, le niveau de concentration est correct. Avec quatre ou cinq grands établissements, notre pays sera dans la moyenne européenne. La norme de 20 % de part de marché fixée par la Direction de la concurrence ne repose sur rien, l’intensité de la concurrence n’étant pas uniquement fonction des parts de marché. Les rapprochements se feront sur la base des métiers ou des zones géographiques car, au-delà des frontières, les banques françaises ne sont pas implantées aux mêmes endroits et leurs savoir-faire ne sont pas les mêmes, ce qui constitue à mon sens un facteur de sécurité supplémentaire pour le système.

M. Lionel Tardy. A-t-on évalué le niveau d’actifs toxiques détenus par les banques françaises ? On parle aux États-Unis de 10 000 milliards de dollars, à comparer aux 700 milliards du plan Paulson.

Le bon sens commande de faire le diagnostic avant d’appliquer le remède. Mais on a l’impression que l’on n’arrive pas à connaître l’étendue des dégâts et que les mesures sont prises au coup par coup, ce qui ne fait pas bonne impression auprès de la population.

M. Georges Pauget. Cette incertitude découle des normes comptables qui nous obligent à réévaluer le stock – inchangé en volume depuis février 2007 – en fonction des baisses des indices de prix immobiliers aux États-Unis, même s’il n’y a pas de corrélation absolue avec le niveau d’impayés des actifs sous-jacents.

Pour ce qui concerne le système bancaire français, je ne peux pas vous faire une réponse globale actualisée car certains établissements ne publient leurs comptes que tous les semestres. Seule la Commission bancaire a les chiffres détaillés. Dans le cadre des directives du Forum de stabilité financière, les quatre établissements cotés ont publié en juin, à la demande de la Commission bancaire, des informations sur une base strictement identique. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais l’information est disponible, et elle a été certifiée. Sachez néanmoins que les comparaisons sont extrêmement difficiles, les normes n’étant pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique.

M. Lionel Tardy. Donc, même en France, on ne sait pas.

M. Georges Pauget. Si, mais les chiffres sont dans les mains du gardien du Temple.

——fpfp——