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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 05 novembre 2008

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Yves Censi, Vice-Président, puis de M. Didier Migaud, Président

– Examen du rapport d’information sur la crise financière internationale (MM. Didier Migaud et Gilles Carrez, Rapporteurs)

La Commission procède, en application de l’article 145 du Règlement, à l’examen du rapport d’information sur la crise financière internationale, sur le rapport de M. Didier Migaud, Président, et de M. Gilles Carrez, Rapporteur général.

M. Yves Censi, Président. Cela fait plus d’une année que la Commission travaille à comprendre les raisons et les effets d’une crise financière, bancaire et économique mondiale, une crise qui est loin d’avoir produit tous ses effets. Nous avons organisé 19 auditions et réunions de travail sur le système financier, les parités monétaires, l’organisation et le contrôle bancaire, les fonds souverains, les normes comptables, les liens entre crise bancaire et économie réelle et, le plus récemment, les interventions de l’État destinées à apporter des mesures de garantie au secteur financier.

Didier Migaud et Gilles Carrez ont estimé que les interventions des personnes auditionnées gagneraient à être rassemblées et mises à la disposition du public, et souhaité les faire suivre d’un certain nombre de propositions de réformes qui ont pu être dégagées de constats partagés. Les groupes politiques ont apporté leurs contributions à ce rapport : des points de vue spécifiques sont ainsi exprimés, sur les causes profondes de cette crise et quant à l’appréciation que l’on peut porter sur le fonctionnement d’un système dont on a pu dire qu’il avait échappé à tout contrôle.

Comme vous le savez, un groupe de travail composé de députés et de sénateurs a été installé, le 29 octobre dernier, aux fins d’élaborer, dans un premier temps, et si cela s’avère possible, une série de propositions destinées à être communiquées au Président de la République avant son départ pour une réunion du G20 à Washington, le 15 novembre prochain. Ce rapport d’information arrive donc à point nommé puisqu’il contient une partie programmatique.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Le Président de la République a demandé au Parlement, dans le cadre d’un travail original puisqu’il associe l’Assemblée nationale et le Sénat, de lui remettre une note d’analyse et de proposition en vue de la réunion du G 20 qui se tiendra le 15 novembre prochain et dont il a pris l’initiative en qualité de Président de l’Union européenne. Comme vous le savez, le G 20, qui associe des pays émergents, devrait débattre et arrêter des positions sur la régulation financière. Il se trouve que la commission des Finances a engagé depuis plus d’un an un travail d’auditions. Pour mémoire, la première d’entre elles associait le gouverneur de la Banque de France, le président de l’Autorité des marchés financiers, un dirigeant d’une grande banque française, le responsable d’une agence de notation et deux économistes, Michel Aglietta et Henri Bourguinat. Elle était très intéressante : face à un discours institutionnel, relativement convenu, des économistes avaient insisté sur un ensemble de risques qui s’étaient accumulés au cours des dernières années. S’ils étaient très localisés au plan géographique, la crise qui commençait pouvait générer une contagion géographique et sectorielle.

De l’ensemble des auditions ont émergé des propositions, dont certaines très techniques. Du fait de la demande du Président de la République de disposer d’une contribution du Parlement, il est apparu utile de résumer nos réflexions et nos travaux dans un rapport dont le projet est soumis à la Commission. Ce rapport contient un avant-propos du Président, un avant-propos du Rapporteur général, une note de proposition et les contributions des groupes politiques. Il a vocation à servir de base de propositions à nos collègues sénateurs pour la réunion, prévue ce jour, du groupe de travail Assemblée nationale / Sénat sur la crise financière internationale qui a été mis en place. Composée de représentants de tous les groupes politiques, cette instance est co-présidée par les présidents des commissions des finances, Didier Migaud et Jean Arthuis, et Nicolas Perruchot, Bernard Angels, Philipe Marini et moi-même ont été désignés co-rapporteurs.

Par ailleurs, avant de présenter les propositions portées par l’Assemblée nationale, je vous rappelle que nous avons obtenu, lors de l’examen de la loi de finances rectificative prévoyant des garanties de l’État portant sur 360 milliards d’euros, la mise en place d’un comité de suivi qui associe les parlementaires. La responsabilité du Parlement d’autoriser l’existence de telles garanties doit s’accompagner d’un suivi effectif de leur mise en œuvre. Une lettre cosignée par le Président et moi-même pour la mise en place rapide de ce comité de suivi a été adressée hier aux ministres. Ceux-ci doivent soumettre dans les jours qui viennent une proposition d’architecture pour ce comité. Il est en effet souhaitable, dès lors que des éléments nouveaux sont apparus depuis le vote de la loi (10,5 milliards d’euros de souscriptions en titres subordonnés ont été accordés), que les parlementaires puissent suivre en temps réel l’utilisation des mécanismes institués. À cet égard, certains sujets sont restés en suspens. Ils concernent les conventions passées entre l’État et les établissements de crédit qui fixent, d’une part, des objectifs de prêts à l’économie ainsi que des règles éthiques, et, d’autre part, la définition des « collatéraux » éligibles, c’est-à-dire des contreparties apportées en garantie par les établissements de crédit à la société de refinancement.

S’agissant des propositions de notre rapport, il est évident que figure en arrière-plan un certain nombre de questions sur le système économique : problématique du laisser-faire dans l’économie libérale, déséquilibres mondiaux de l’épargne, rôle du dollar et du taux de change, double dette américaine ou encore rémunération du capital par rapport au travail. Ceci posé, les dysfonctionnements de la sphère financière de l’économie de marché que nous connaissons appellent des corrections, et tel est le cœur du rapport. Celles-ci ne peuvent, pour l’essentiel, être apportées qu’au niveau européen voire international.

Le premier dysfonctionnement concerne bien évidemment l’insuffisante régulation qui a accompagné le développement considérable des volumes d’épargne et de liquidités et le processus d’endettement américain (déficit commercial excessif et endettement des ménages). Des flux financiers ont pris le pas, dans ce contexte, sur les flux économiques. Cette épargne mondiale est liée aux excédents commerciaux des pays émergents et aux excédents des pays pétroliers, mais aussi à l’accroissement des inégalités de revenu. C’est en réponse à ces demandes de placement d’une épargne de plus en plus volumineuse que des produits de plus en plus sophistiqués ont été inventés.

La pratique excessive de la titrisation, notamment la pratique de la titrisation de produits déjà titrisés, dans un contexte d’internationalisation des flux financiers, a abouti à diffuser, dans le monde entier, des risques qui n’étaient plus correctement appréhendés. Il convient donc de limiter cette pratique, par exemple en contraignant les banques à conserver une part des produits qu’elles titrisent à leur bilan ou en permettant aux établissements de crédit recevant les dépôts de particuliers de n’acquérir que des produits titrisés de premier rang. Il est également nécessaire de développer la transparence et il n’est, en particulier, pas acceptable que des OPCVM comprennent des produits directement issus de la titrisation de crédits subprime américains à l’insu des épargnants. En revanche, tous les experts, y compris les universitaires, s’accordent pour dire qu’il est nécessaire de préserver la possibilité de titriser des créances afin d’assurer leur liquidité et ainsi le financement de l’économie.

La question des normes comptables – sur lesquelles travaillent MM. Dominique Baert et Gaël Yanno auxquels la Commission a confié une mission d’information – est d’une très grande importance. Depuis le 1er janvier 2005, les normes IFRS, qui prévoient notamment la valorisation des actifs à leur valeur de marché, ont été généralisées. Ces normes ont été élaborées par l’International accounting standards board (IASB), donc par un collège d’experts internationaux, auquel cette tâche a été confiée après l’échec d’une tentative européenne de standardisation il y a une quinzaine d’années, et dans la mesure où la grande technicité du sujet avait conduit à sous-estimer son importance économique. Ces experts ont retenu le principe de la valorisation aux prix de marché par souci légitime de véracité des comptes et, de fait, on peut estimer que, le plus souvent, la valeur vénale instantanée donne une image plus sincère de la valeur d’un actif que sa valeur historique. Cette méthode de valorisation a toutefois l’inconvénient majeur d’être fortement pro-cyclique. Elle a joué de manière expansionniste dans la période où les prix des actifs augmentaient, mais jouerait désormais en sens inverse. Ainsi, par exemple, une banque tenue par le respect de ses ratios de solvabilité sera amenée à diminuer le volume de ses prêts quand la valeur de ses actifs est révisée à la baisse. Cette méthode de valorisation est, en outre, particulièrement contestable lorsque l’horizon de réalisation des actifs est très lointain, comme cela peut être le cas pour des assureurs. Enfin, par construction, elle ne fonctionne plus quand il n’y a plus de marché.

C’est pourquoi il a été décidé, à l’occasion d’un récent conseil Ecofin, le transfert des créances illiquides du portefeuille de négociation au portefeuille bancaire, ainsi que la mise au point d’une nouvelle méthode de valorisation applicable en période de stress. La dimension fiscale du sujet doit également être prise en compte. La valorisation des actifs au prix de marché dans un contexte où ceux-ci baissent fortement pourrait produire des moins-values et donc de moindres recettes fiscales.

Les agences de notation constituent également un sujet important puisqu’elles sont devenues de fait de véritables auxiliaires des régulateurs, alors que ces agences sont privées et constituent un oligopole. Des règles déontologiques strictes sont nécessaires. Elles pourraient s’inspirer des dispositions mises en place s’agissant des certificateurs de compte après l’affaire Enron, à savoir la séparation des activités de notation et des activités de conseil, ainsi que la mise en place systématique d’une seconde équipe de notation sans relation avec le client. La question de la création d’une agence de notation européenne à l’actionnariat éventuellement partiellement ou totalement public peut également être posée. Il importe également d’améliorer la fiabilité des notations qui ont aujourd’hui le défaut de n’être que relatives par secteur d’activité.

S’agissant des hedge funds, il conviendrait qu’ils se déclarent et qu’ils rendent publique leur exposition aux risques.

En matière de rémunération, il convient de s’intéresser non seulement à la rémunération des dirigeants, mais aussi à celle des acteurs de marché. Les pratiques actuelles encouragent excessivement la prise de risque dont le succès est récompensé par l’attribution d’un bonus, alors que l’échec n’est pas sanctionné. Il conviendrait également que le comité chargé de contrôler la mise en œuvre des garanties apportées au secteur financier en application de la loi de finances rectificative pour le financement de l’économie du 16 octobre 2008 veille à la juste rémunération de l’État afin de lutter contre la tentation des acteurs du marché de socialiser les pertes et de privatiser les profits.

La question de l’opportunité de la création d’un fonds souverain français doit être analysée, sachant qu’il s’agit traditionnellement de structures gérant des excédents budgétaires et que la France a d’abord aujourd’hui une « dette souveraine », comme le rappelait à juste titre notre collègue Jean Arthuis.

La réforme de la régulation internationale et le rôle du FMI doivent également être étudiés. Il est manifeste que la plupart de ces enjeux doivent être traités au niveau européen, sinon mondial, et que bien peu d’entre eux ressortent du domaine de la loi nationale. Pour autant, le Gouvernement a eu tendance par le passé à demander à être habilité à légiférer par ordonnances en matière de droit financier et boursier. Il conviendra à l’avenir que le Parlement s’investisse davantage dans ces sujets malgré leur technicité.

Le Président Didier Migaud. La régulation financière, les normes comptables ou encore les paradis fiscaux sont des sujets techniques, certes, mais également politiques. C’est pourquoi le politique, qui en a abandonné la maîtrise à des experts, doit s’en saisir à nouveau.

Les auditions menées autour de la crise financière ont permis de mieux percevoir les enjeux et les réformes à mettre en œuvre au niveau européen et international. Notre rapport n’est d’ailleurs que la première étape d’un processus de réflexion qui associe le Sénat et l’Assemblée nationale dans un groupe de travail dont l’objectif est de définir un constat et des propositions, notamment en vue du sommet du 15 novembre prochain.

M. Bernard Carayon. Je salue le travail d’analyse et de synthèse présenté dans le présent rapport. Je souhaite cependant faire quelques observations.

Il ne fait aucun doute que le système financier international a souffert ces dernières années de l’absence des États. Il a notamment manqué de capacités d’anticipation et de normalisation. Alors qu’une entreprise dispose généralement d’une cellule de veille et d’évaluation de ses risques, ni les États ni les organisations internationales n’ont élaboré des outils d’anticipation des crises potentielles. De même, en l’absence de capacité de normalisation, les États ont dû s’en remettre à des organismes composés d’experts, notamment pour les normes comptables.

Par ailleurs, s’agissant des paradis fiscaux, il faut cesser d’être hypocrite et regarder la réalité en face. L’Union européenne abrite en son sein de nombreux paradis fiscaux, à commencer par la Grande-Bretagne et le Luxembourg.

La question des fonds souverains appelle une réponse différente selon que l’on parle des fonds souverains « anciens » (comme ceux du Koweit ou de la Norvège) ou des fonds souverains récemment créés, comme ceux de la Russie ou de la Chine. Alors que les premiers ont une vocation d’investisseurs à long terme, les seconds obéissent, dans leurs décisions d’investissement, à des consignes politiques qui les rendent potentiellement dangereux pour la stabilité de l’économie. La transparence en matière de gouvernance de ces fonds doit donc être une priorité.

Enfin, je voudrais dire un mot des fonds spéculatifs (« hedge funds »). Ceux-ci, qui brassent des milliers de milliards de dollars, ne sont soumis à aucune réglementation ; ce n’est guère que lorsqu’ils font faillite que l’on découvre l’ampleur de leurs risques ; de plus, la rémunération des gérants, à base de « bonus » sur les gains mais jamais de « malus » sur les pertes, encourage les prises de risque inconsidérées ; enfin, nombreux sont les fonds spéculatifs actuellement en difficulté, ce qui laisse augurer de nombreuses faillites dans les prochains mois, avec des conséquences potentiellement désastreuses.

M. Yves Censi. Je salue également la qualité du travail effectué par le Président et le Rapporteur général, en soulignant avec eux la dimension politique forte de l’ensemble de ces sujets, à tort qualifiés de techniques. En effet, tous les citoyens sont concernés – et donc les politiques qui les représentent – dès lors que leur patrimoine est affecté par le dérèglement des marchés.

Les contributions politiques en annexe du présent rapport, si elles révèlent des visions différentes de la crise, laissent cependant entrevoir un consensus en matière de constat comme de propositions. Pour ma part, j’attire l’attention sur la multiplication des « bulles » spéculatives et sur la nécessité de mieux les prévenir.

Enfin, d’une manière générale, il faut que le Parlement renforce son contrôle sur les régulateurs (AMF, commission bancaire…).

M. Charles de Courson. Au-delà des questions techniques, on n’a sans doute pas assez analysé les causes plus fondamentales de la crise. En particulier, il n’est pas raisonnable de faire croire à des taux de rentabilité économique demeurant durablement autour de 15 %, alors qu’historiquement la rentabilité des actions est de l’ordre de 8 % ou 9 %, ainsi que le montre sur longue période le partage entre capital et travail dans l’économie. Le maintien de taux de rentabilité excessivement élevés s’est d’ailleurs fait aux États-unis au prix d’une sévère stagnation des salaires et d’une explosion des inégalités de revenus. De ce point de vue, la France a été moins touchée.

M. le Président Didier Migaud. Ces déséquilibres économiques et sociaux ont effectivement été évoqués lors des différentes auditions. Notre rapport est, quant à lui, centré sur des éléments plus pratiques et souvent techniques, afin de ménager les possibles divergences d’interprétation politique sur ces questions.

M. Charles de Courson. La question politique du partage des revenus doit être posée. La crise de 1929 est précisément née d’une période de dérapage, dans les années 1920, de la répartition entre revenus du travail et revenus du capital dans l’économie américaine.

M. le Rapporteur général. La crise est en effet le fruit d’un ensemble de déséquilibres mondiaux, une épargne asiatique très abondante et très concentrée ayant servi à combler des besoins de financement croissants dans les économies occidentales. Il y a en outre de réelles différences de politiques publiques d’un État à l’autre : d’un côté, les subprimes s’analysent comme un simple palliatif de la stagnation des salaires aux États-unis, générant après leur titrisation des rémunérations d’autant plus lucratives que les risques associés étaient élevés; de l’autre, les outils tels que les prêts à l’accession à la propriété et les prêts à taux zéro mis en place en France correspondent à une vraie logique d’intervention de l’État dans l’économie.

M. Charles de Courson. Un autre facteur essentiel de la crise est la question monétaire. Pourquoi n’y a-t-il plus désormais de rééquilibrage des balances commerciales ? Les États-Unis ont attiré une épargne étrangère très importante qui a entraîné une chute continue du dollar, monnaie de réserve mondiale. Faute d’ajustements automatiques, c’est le rôle de régulation du FMI qui s’est ici révélé gravement défaillant.

M. le Président Didier Migaud. C’est là l’un des enjeux du chantier dit du « nouveau Bretton Woods » lancé par la Président de la République.

M. Yves Censi. Parmi les préconisations à formuler pour éviter qu’une telle crise ne se reproduise, il faut écarter l’illusion de la suppression de tout risque. Le risque financier existera toujours : l’enjeu est de savoir correctement l’apprécier (« pricing ») et, partant, de suffisamment l’encadrer. Le Rapporteur général a parfaitement raison de souligner que les subprimes constituent un outil purement spéculatif, non une technique d’aide à l’accession à la propriété. Les analystes ont en revanche failli en pensant que les risques associés à ces produits pourraient être supportés par les plus grandes institutions bancaires. Plutôt que de condamner sans nuance le métier de la finance au nom d’une prétendue « morale », il faut faire preuve d’un grand pragmatisme pour progresser dans la voie d’une meilleure transparence financière.

En application de l’article 145 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport d’information.