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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Jeudi 25 juin 2009

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 102

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition de M. Claude Cazes, président de la Compagnie des commissaires aux comptes, sur les normes comptables et la crise financière

M. le président Didier Migaud. Nous entendons aujourd’hui M. Claude Cazes, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, sur les normes comptables et la crise financière. Il est accompagné de Mme Mireille Berthelot, membre du comité comptable APE de cette compagnie, de M. François Hurel, délégué général, et de Mme Marie-Claude Picard, conseiller technique sur les normes comptables.

Le 30 octobre 2008, nous entendions sur le même thème une communication de M. Dominique Baert et Gaël Yanno, Rapporteurs d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables. Le 10 mars dernier, ils nous présentaient leur rapport d’ensemble, qui soulignait encore toute la portée politique de ces questions apparemment techniques. Il montrait en particulier la souplesse de la position des États-Unis, en comparaison avec celle de l’Union européenne. Leur rapport mettait également en évidence la part de responsabilité des règles comptables dans le déclenchement et la propagation de la crise financière.

Un trimestre s’étant de nouveau écoulé, il a paru utile à M. Gaël Yanno d’avoir un nouvel échange sur ces aspects importants pour la vie de nos entreprises et pour la capacité de résistance des économies européennes à la crise financière.

M. le président, nous vous écoutons.

M. Claude Cazes, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. À l’appui de mon propos, je transmets à la Commission un document écrit qui me permettra une présentation orale plus brève (voir document en annexe).

Je rappellerai d’abord que les normes comptables sont simplement des conventions retenues pour la présentation des comptes des entreprises. À titre d’exemple, une même opération de crédit-bail, selon le référentiel retenu, sera portée ou non à l’actif de l’entreprise. J’ajoute que la profession de l’audit est très internationalisée, car elle s’adresse principalement à de grandes entreprises présentes sur les grands marchés.

Comme le rappelle le document en page 9, à l’heure actuelle, la normalisation est essentiellement assurée par deux grands organismes au niveau international. Le premier est l’International accounting standard board (IASB), organisme indépendant des États, et auquel l’Union européenne a décidé en 2002, plutôt que de créer un nouvel organisme, de déléguer la responsabilité de la normalisation pour les entreprises européennes. Les normes qu’il élabore sont les International financial reporting standards (IFRS). Le deuxième grand normalisateur est aussi un organisme indépendant, le Financial accounting standard board (FASB), qui élabore les normes comptables américaines (US generally accepted accounting principles, dites US GAAP).

Les destinataires de ces normes internationales sont essentiellement les investisseurs, de sorte que le choix d’un référentiel ou une variation des normes sont susceptibles de produire des effets sur les marchés. C’est pourquoi, si la crise n’est pas la résultante de la normalisation comptable, elle a été révélatrice de son importance et a suscité des jeux d’influence : c’est ainsi que l’organisme américain de normalisation tente de conserver le pouvoir d’influence qu’il tenait de la puissance économique des États-Unis. La carte figurant en page 11 du document indique la répartition de l’adoption des normes IFRS dans le monde. Elle fait apparaître une tendance générale favorable à leur utilisation. Non seulement ce référentiel est appliqué en Europe depuis 2005 pour les comptes consolidés de toutes les sociétés cotées, mais une proposition récente tend à permettre leur utilisation par certaines entreprises américaines entre 2009 et 2014 ; la décision de rendre cette utilisation obligatoire à partir des années suivantes pourrait être examinée d’ici 2011.

Quelle est la situation en France ? Les normes comptables internationales IFRS sont utilisées pour leurs comptes consolidés par environ 800 groupes ayant des titres cotés, dont, naturellement, des acteurs très influents sur les marchés. Environ 30 000 filiales de ces sociétés sont indirectement concernées. Les normes comptables françaises, issues du plan comptable général, ou PCG, sont par ailleurs utilisées pour les comptes individuels des sociétés françaises, soit environ 3 millions d’entreprises. Du reste, ces normes sont, en pratique, souvent assez peu différentes du référentiel américain.

J’en viens au sujet de la normalisation comptable et de la crise financière, présenté dans notre document à partir de la page 19. La question majeure, quand le prix des actifs s’effondre en période de crise, est de savoir quelle valeur retenir : faut-il pratiquer une dépréciation comptable, alors que, tant que les actifs n’ont pas été cédés, la perte n’est pas enregistrée ? Le concept de « juste valeur », ou fair value, est central dans ce débat. Il s’agit d’une valeur d’échange, qui est soit représentée par les prix de transactions lorsque le marché est actif, soit déterminée par rapport aux conditions de marché lorsque ces prix ne sont pas disponibles.

La juste valeur s’applique principalement à une partie des instruments financiers : portefeuilles de placement des entreprises, portefeuilles de négociation en vue de profits à court terme (activités de trading), ainsi que l’ensemble des produits dérivés. Je précise que la juste valeur est appréhendée de façon totalement différente en Europe et aux États-Unis, en raison des différences fondamentales dans les conditions d’exercice des activités bancaires et financières des deux côtés de l’Atlantique.

Sur la responsabilité des normes dans le déclenchement et le développement de la crise, je redis qu’à nos yeux, elles n’ont été qu’un révélateur. Sur le plan théorique, il est normal d’enregistrer les baisses de valeur des actifs dues aux mouvements des marchés, dans une approche de « juste valeur ». Cependant, cette approche présente l’inconvénient pratique d’être procyclique. En particulier, elle dégrade considérablement les portefeuilles d’actifs, hors trading, des banques et des sociétés d’assurance.

D’où l’idée de procéder de façon différenciée à la comptabilisation des actifs. Les portefeuilles de placements destinés à la conservation seraient comptabilisés aux coûts historiques, et les portefeuilles de négociation le seraient aux valeurs de marché, selon la « juste valeur ». En somme, une conclusion que l’on peut tirer de la crise est qu’il faut se garder des excès dans les choix de normes comptables : une utilisation systématique par nos entreprises de la « juste valeur » serait de nature à provoquer des effets dévastateurs sur les marchés. Je signale à cet égard certains projets de refonte de la norme internationale IAS 39, particulièrement critiquée, relative aux instruments financiers, en ce qui concerne les méthodes d’évaluation, les principes de dépréciation et le traitement des opérations de couverture.

La réflexion tend donc à se clarifier sur les meilleures façons d’utiliser la notion de « juste valeur ». Nous avons remarqué que les évolutions sont devenues plus rapides, maintenant que ces sujets sont entrés dans le débat politique.

M Gaël Yanno. Nous avons bien noté, dans ce qui vient d’être exposé, qu’il existe des différences entre les différentes normes comptables, avec notamment pour résumer, deux approches principales : une approche plutôt anglo-saxonne, plutôt américaine avec le normalisateur américain FASB, et une autre approche, un peu plus européenne, même si je conviens que l’on puisse en discuter, avec l’IASB.

Nous avons bien vu qu’aujourd’hui les États-Unis ont conservé leur normalisateur et que l’Europe, en 2002, a abandonné cette compétence à un organisme extérieur, l’IASB. Nous constatons sur la carte illustrant l’adoption des IFRS dans le monde que vous nous avez fait parvenir, que le normalisateur américain a en quelque sorte perdu la guerre d’expansion, puisque les IFRS couvrent quasiment toute la planète. Donc, le normalisateur international, indépendant, choisi en 2002 par l’Europe, finit par s’étendre à l’ensemble des pays, et même jusqu’aux États-Unis où la question se pose de la disparition du FASB et du remplacement des US GAAP par les IFRS. Afin de maintenir leur influence, les États-Unis n’ont pour seul choix que de pénétrer l’organisme indépendant IASB.

J’en arrive à ma première question, sur les débats existant au sein de cet organisme dit indépendant, peut-être même trop indépendant aux yeux des politiques, qui après s’en être totalement désintéressé, après avoir complètement abandonné cette compétence en 2002, en ce qui concerne l’Europe, découvrent les impacts que peuvent avoir les normes comptables sur l’économie réelle et sur l’économie financière. De votre point de vue, aujourd’hui, quel peut-être le dispositif de convergence entre les IFRS et les US GAAP ? Quelles sont les tentatives d’influence, les opérations que les Etats-Unis, constatant que leurs normes ne s’appliquent plus véritablement dans le monde et risquent même de disparaître sur leur sol, exercent sur cet organisme indépendant, l’IASB, qui dans dix ou quinze ans élaborera les normes pour l’ensemble du monde, pour les sociétés cotées tout au moins.

Ma deuxième question : quelle est l’influence de l’Union européenne au sein de l’IASB? La procédure d’homologation prévue par l’Europe est-elle, de votre point de vue, satisfaisante ? Récemment, lors d’une audition du président de l’IASB, le ministre des Finances allemand, Peer Steinbrück, a menacé cet organisme de lui retirer ses compétences s’il n’entendait pas les arguments de l’Europe notamment sur la norme IAS 39. Donc, pour résumer, quelle est l’influence des États-Unis sur l’IASB et quels sont les liens entre l’Europe et l’IASB ?

Mme Mireille Berthelot, membre du comité comptable APE de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Un jeu d’influence est en cours, en effet. Les États-Unis étudient la possibilité d’abandonner leurs propres normes au profit du référentiel international. Ainsi, en faisant « miroiter » auprès de l’IASB la perspective que cet organisme devienne le seul normalisateur international, ils suscitent un intérêt qui tend à renforcer leur influence. Ils pourraient en effet peser sur le contenu des normes IASB actuellement en cours de révision, étant précisé que des ajustements leur seraient très utiles pour atténuer le choc éventuel sur les entreprises américaines.

Ces projets retiennent bien sûr toute l’attention des instances européennes. Je rappelle ici le mécanisme d’adoption des normes IFRS, qui associe actuellement un avis technique, un avis politique, puis une intervention du Parlement européen. Le processus est schématisé en page 14 de notre document. Un conseil technique est formulé par l’European financial reporting advisory group (EFRAG) auprès de la Commission européenne, laquelle est compétente pour approuver les projets de normes présentés par l’Accounting regulatory committee (ARC). Finalement, le Parlement européen se prononce sur le projet ainsi élaboré, avant son adoption par le Conseil des ministres. Ce dispositif est efficace, mais, pour autant, il ne laisse aux instances européennes qu’une arme : la menace du refus d’adoption, dont l’efficacité est toute relative, car à défaut d’adopter une norme IFRS, l’Union européenne ne peut lui en substituer une autre.

Sur le processus de décision au sein de l’IASB depuis sa réforme, je précise que désormais, un monitoring board intervient en tant qu’organisme à la fois politique et de régulation. En supervisant l’activité des trustees, il peut très utilement veiller à la concertation avec les normalisateurs de pays étrangers, comme le Japon, et à la prise en compte par exemple des accords de Bâle II.

M. Jean-Yves Cousin. Je voulais d’abord vous féliciter pour la clarté de l’exposé. Ma première question concerne les normes IFRS. J’ai noté que ce référentiel n’était pas appliqué sur l’ensemble de la comptabilité en France et qu’il existait des différences, notamment sur la « juste valeur ». Est-il prévu, premièrement, de l’appliquer sur l’ensemble de la comptabilité française ? Deuxièmement, quel serait l’intérêt à l’appliquer ? Enfin, qu’en est-il dans les autres pays de l’Union européenne ? Est-ce que l’Allemagne, par exemple, applique cette norme à l’ensemble de sa comptabilité ?

M. Claude Cazes. Le choix du référentiel comptable est conditionné par les destinataires des comptes. Les normes IFRS sont les plus utiles pour les grands groupes, car elles fournissent les informations attendues par les investisseurs, aussi bien actionnaires que porteurs d’obligations. En revanche, les normes comptables françaises sont beaucoup plus adaptées aux besoins des dirigeants d’entreprises, qui souhaitent disposer d’indicateurs pour leur gestion. Je précise à ce propos que la France dispose, avec le plan comptable général, d’un ensemble de règles comptables à la fois dense et très à jour.

Ce référentiel comptable présente une autre caractéristique qui explique que le ministère des Finances lui soit très attaché : il permet d’établir très directement la base fiscale de l’entreprise. On pourrait dire sommairement que lorsque celle-ci a terminé sa comptabilité, elle dispose quasiment de la base de son impôt sur les sociétés. Dans ces conditions, l’idée de faire passer l’ensemble des PME françaises sous le régime des normes IFRS présenterait un grave inconvénient : personne n’est actuellement en mesure d’évaluer la base fiscale d’une entreprise à partir d’une comptabilité établie dans le référentiel IFRS.

En revanche, au cours de mes fonctions successives, je suis de ceux qui ont fait valoir les avantages que présenterait l’adoption, par l’ensemble des PME européennes, d’un langage comptable commun leur permettant de contracter et de négocier de façon beaucoup plus souple qu’actuellement. Je remarque que la plupart des pays scandinaves ont adopté les normes IFRS pour leurs PME ; on peut considérer qu’ils nous ont montré le chemin. Ce chemin sera long, en particulier pour traiter la question du lien avec la fiscalité, mais il y a là, à coup sûr, un vecteur de croissance pour l’économie française et européenne.

M. Gaël Yanno. Je suis plus nuancé que le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes sur l’intérêt d’harmoniser entièrement les normes comptables françaises avec les normes IFRS. Certains pays comme la Grèce ou l’Italie ont choisi, quelle que soit la taille de l’entreprise, épicerie ou multinationale, d’utiliser le seul langage international. La France a opté pour une autre solution, plus adaptée de mon point de vue, qui consiste à garder le langage français, le plan comptable général, pour toutes les sociétés. Seules les sociétés cotées parlent le langage international. La norme IFRS implique une certaine lourdeur. Elle est adaptée à l’investisseur, mais pas à l’entrepreneur. Ce dernier demande à la norme comptable de lui permettre de comprendre comment fonctionne son entreprise. La société cotée a besoin d’être régulièrement évaluée sur les marchés financiers. Ainsi, l’objet des états financiers est différent selon qu’il s’agisse d’une PME ou d’une société cotée. Dans un cas, on s’adresse aux investisseurs, dans l’autre cas aux entrepreneurs. Cependant, on peut noter que le PCG s’est tout de même rapproché des IFRS, sans aller jusqu’à la fusion.

M Jean-Pierre Brard. Vos exposés et réponses étaient fort intéressants, mais j’ai quelques interrogations. Je me souviens que certains banquiers, dont M. Pébereau, étaient vent debout contre les nouvelles normes. Le principal argument était que nous nous soumettions à « l’oncle Sam ». En fin de compte, le seul problème qui demeure n’est-il pas lié à des questions de pouvoir, masquées derrière des normes qui ne me semblent pas si différentes ici et aux Etats-Unis ? S’il s’agit d’une question de pouvoir, nous aurions déjà capitulé. J’ai bien compris votre position favorable aux IFRS. Je retiens de ce que vous avez dit, que cette norme se réfère à une valeur du marché à jour. Donc, cela ouvre la porte à toutes les magouilles spéculatives, comme on l’on a déjà vu.

Deuxième question : comment apprécier le concept de « juste valeur », surtout en y ajoutant une « légitime dépréciation » éventuelle ? Je m’interroge enfin sur l’indépendance de l’IFRS. Qui doit diriger ? Des politiques ou des gens qui au nom de leur compétence servent les intérêts de ceux qui spolient le politique de son pouvoir ? Quelle est la volonté politique réelle de l’Union européenne à cet égard, au-delà des effets de manche qui n’impressionnent personne ?

Mme Mireille Berthelot. Deux exemples récents ont montré que l’Union européenne n’est pas dépourvue de capacité de réaction face à des normes comptables qu’elle désapprouve. Ils concernent tous deux la révision de la norme internationale IAS 39 relative au traitement des instruments financiers.

L’IASB persistant à prévoir une évaluation à la « juste valeur », des règlements européens de novembre et décembre 2004 ont mis en œuvre la technique dite du « carve out », c’est-à-dire d’une adoption de la norme à l’exception de certains paragraphes, en l’occurrence ceux qui auraient impliqué un bouleversement complet des modes de gestion du risque de taux par les banques et les institutions financières, alors que ces risques étaient correctement traités.

Plus récemment, après l’entrée dans la crise financière, en octobre 2008, la Commission européenne a fait pression sur l’IASB pour obtenir un assouplissement des modalités d’application de cette même norme IAS 39. Ce fut fait en l’espace de quelques jours. En autorisant les entreprises à reclasser certains de leurs actifs financiers dans une catégorie où ils ne sont plus obligatoirement comptabilisés à leur juste valeur, mais à la valeur constatée lors du reclassement, la modification acceptée par l’IASB a permis très opportunément à plusieurs banques européennes de limiter les montants de leurs dépréciations. Cet assouplissement a permis d’apporter une bouffée d’oxygène au système financier européen dans son ensemble.

Ces deux épisodes montrent, même si l’on ne peut pas parler de victoire absolue, que l’Union européenne a la capacité d’obtenir gain de cause dans les rapports de force sur les normes comptables. Quoi qu’il en soit, il semble préférable d’éviter d’aller jusqu’à l’affrontement. C’est pourquoi les instances européennes tentent de développer une action plus préventive, par l’influence sur les processus de décision en cours.

M. Claude Cazes. Dans l’esprit de la déclaration du G 20 du 2 avril 2009, nous estimons que le normalisateur ne doit pas pouvoir arrêter ses normes de façon trop indépendante. Il paraît légitime que les instances politiques européennes aient un droit de regard, au nom de la nécessaire cohérence du système financier international.

Rappelons qu’au départ, l’IASB n’avait pas vocation à décider souverainement des normes comptables à l’échelon mondial. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes estime que de grands principes doivent être dotés d’une certaine stabilité et soumis à des tendances lourdes qui soient indiscutables. C’est pourquoi, comme je l’ai dit, un système obligatoire de « full fair value » serait très dommageable ; il convient de l’utiliser en combinant de façon réaliste valeur de marché et valeur historique, en fonction de l’usage que l’entreprise compte faire de ses actifs.

M Bernard Carayon. Les développements de M Cazes sont tout à fait passionnants : ils illustrent les enjeux de puissance et d’influence des deux côtés de l’Atlantique. Il est un peu triste de constater que René Ricol, qui tenait des propos analogues il y a quelques années, ait si peu été entendu. Ma première série de questions est la suivante : pour quelles raisons les pouvoirs politiques, national et européen, ont-il été aussi absents, que ce soit dans l’analyse, dans l’anticipation et dans la prise de décision collective sur ces questions ? Peut-on considérer que l’IASB fonctionne comme un oligopole partagé entre américains et européens ou existe-t-il d’autres acteurs publics au sein de l’IASB qui jouent un rôle émergent ? Qui concrètement tient la plume ? Comment se comporte la Commission européenne ? Avec sagacité ? Avec passivité, comme sur d’autres enjeux stratégiques? Existe-t-il des acteurs privés qui nous aide dans nos jeux d’influence ? Dans l’affirmative, lesquels et selon quelles méthodes ?

Deuxièmement, d’une manière plus générale, que pensez-vous de l’obligation générale de publicité des comptes ? Est-ce un sujet d’harmonisation nécessaire ? Est-ce un sujet qui doit relever de dispositifs nationaux ?

Le troisième sujet concerne les agences de notation : il s’agit là aussi d’un marché oligopolistique, avec trois acteurs majeurs, tous trois acteurs privés. Certains d’entre nous pensent que l’activité de notation n’est pas totalement une activité de marché. Etes-vous favorable à la création d’une agence de notation publique internationale ? Quels sont vos objectifs en la matière ?

M. Claude Cazes. On peut comprendre une certaine passivité des hommes politiques sur ces dossiers pendant quelques années, dans la mesure où ils ont vocation à se saisir des questions qu’ils considèrent importantes et qu’ils connaissent bien. C’est pourquoi il n’est guère étonnant que MM. René Ricol et Didier Kling, deux de mes illustres prédécesseurs, aient mis quelque temps à se faire entendre.

À la question de savoir qui tient la plume à l’IASB, je dirais que c’est essentiellement son président, M. David Tweedie, même si les quinze autres membres du conseil d’administration, le board, choisis pour leurs compétences juridiques et comptables, ont bien sûr leur mot à dire.

M. Jean-Pierre Brard. Mais leurs modalités de désignation sont opaques !

M. Claude Cazes. C’est un point-clé. Ils sont nommés en fonction de leur compétence par les vingt-deux trustees de la fondation IASCF, eux-mêmes désignés désormais par le monitoring board, où est notamment représentée la Commission européenne, ce qui est un progrès indiscutable.

Mme Mireille Berthelot. Le diagramme de la structure de l’IASB figure dans le document, en page 17. La composition du board tient compte d’un équilibre géographique entre les Etats-Unis, l’Europe et les pays émergents ainsi que d’un équilibre entre métiers d’origine : préparateurs de comptes, anciens régulateurs et normalisateurs comptables, et enfin utilisateurs de comptes, c’est-à-dire des analystes financiers.

M. Claude Cazes. Il n’y a pas vraiment de luttes d’influence autour de la nomination des trustees. Il ne nous semble pas que les membres de l’IASB puissent encourir le reproche d’être les « bras armés » d’États ou de groupes, ni d’être soumis à des influences. Certains auraient même tendance à leur reprocher une trop grande indépendance !

Je précise que des Français sont présents au sein de l’IASB : M. Philippe Danjou est un ancien membre de la direction de l’Autorité des marchés financiers, et M. Gilbert Gélard est un ancien associé d’un grand cabinet comptable, mais qui, justement pour des questions d’indépendance, a mis fin à tout lien avec son cabinet d’origine.

La question de M. Carayon sur la publicité des comptes soulève un vrai problème. Actuellement, l’obligation de dépôt des comptes des sociétés au greffe du tribunal de commerce est assez mal respectée. Même si cette procédure comporte des lourdeurs et suscite quelques réserves pour des raisons tenant au secret professionnel, elle présente l’intérêt d’assurer une information, dans un langage comptable harmonisé, de nature à améliorer la sécurité des relations d’affaires. La Commission européenne a le projet, dans le cadre de mesures de simplification, d’exonérer les comptes de l’obligation de publicité, que ne pratiquent pas des pays comme l’Allemagne. Cette question ne fait pas l’objet d’un consensus européen. Il n’est pas interdit de penser que l’Union européenne s’oriente vers un allègement de l’obligation, du moins pour les sociétés de moindre taille.

Enfin, on peut dire que, si la profession comptable a accompli sa révolution, à l’évidence, les agences de notation ont un problème d’indépendance. On sait bien par qui est détenu leur capital, et nous pourrions parler ici aussi de la passivité des politiques. Il convient rapidement de réformer le système pour garantir l’indépendance de ces agences. Cela aura un effet direct sur la confiance. Quant à savoir si une agence de notation publique répondrait mieux aux besoins et serait par nature objective, je n’ai pas à ce stade de position tranchée : il faut approfondir notre réflexion.

M. Gaël Yanno. Il existe un débat au sein de l’IAS Board notamment sur la « full fair value » et sur l’idée d’ajouter une dose de coût historique, avec la volonté d’amortir le caractère procyclique des IFRS. C’est une situation que l’on a connue au Japon, et qui a permis de différer la crise mais qui a rendu plus difficile le redressement économique japonais.

Se pose également la question de l’aménagement des normes prudentielles dans le cadre de Bâle II, avec la possibilité d’imposer aux banques ce que l’on appelle le provisionnement dynamique, et la variation des ratios de solvabilité selon les phases du cycle économique. Où en sommes nous dans ce débat interne à l’IAS Board sur ce dosage à trouver d’une « full fair value » qui pourrait être revue ?

M. Claude Cazes. La question du provisionnement prudentiel n’est pas d’ordre comptable, mais réglementaire. Les États seraient fondés à prévoir des obligations en la matière pour les banques ; la comptabilité se bornera à traduire ces obligations juridiques.

Mme Mireille Berthelot. Sur la juste valeur, l’IASB a renoncé à sa tentation de demander une application générale de la juste valeur pour tous les instruments financiers. Le débat entre l’IASB et les utilisateurs, dont les banques, porte sur la ligne de partage entre ce qui doit être comptabilisé à la juste valeur et ce qui ne l’est pas.

Comme les émetteurs, nous sommes partisans de tracer cette ligne en fonction de la façon dont sont gérés les actifs. Il est normal de se référer à la juste valeur lorsqu’on fait de fréquentes transactions sur les marchés. En revanche, s’il s’agit d’emprunts gérés de façon classique en vue de recevoir des intérêts financiers et conservés jusqu’à l’échéance, elle ne présente pas d’utilité pour arrêter des comptes. La difficulté est que les situations réelles sont plus complexes et de nombreux instruments financiers ont des caractéristiques mixtes. C’est pourquoi l’IASB s’oriente vers une autre ligne de partage, fondée sur les caractéristiques des produits financiers : ceux comparables à des prêts seraient évalués selon leur coût, mais les autres, notamment lorsque la prévision est plus difficile, ce qui est le cas des actions, le seraient à la juste valeur.

M. Claude Cazes. Tout le monde est actuellement à la recherche d’une ligne de partage qui soit simple, fiable, et bien comprise par tous, aussi bien les préparateurs de comptes que les utilisateurs

Le président Didier Migaud. M.  le président, Madame, nous vous remercions pour cette contribution très enrichissante à nos réflexions pour rester force de proposition.

ANNEXE

L'annexe de ce document est uniquement disponible dans la version PDF.

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