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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 22 juillet 2009

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 116

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, sur l’évolution du capital d’AREVA

La Commission procède à l’audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, sur l’évolution du capital d’AREVA.

M. le président Didier Migaud. Mes chers collègues, cette audition commence avec un retard que je vous prie de bien vouloir excuser mais qui s’explique par un Conseil des ministres inhabituellement long.

Je vous remercie de votre présence, Madame le ministre, pour évoquer avec nous cet important sujet qu’est l’évolution du capital d’AREVA. Nous sommes en effet d’autant plus attentifs à la situation de cette entreprise publique qu’en début d’année Siemens a quitté l’une des filiales de ce groupe et a annoncé son alliance avec l’agence russe Rosatom : un tel événement est évidemment capital pour une entreprise dont la stratégie globale a ainsi été remise en question. Dans ce secteur à haute intensité capitalistique sont donc à la fois concernés la politique d’alliances, la couverture des besoins de financement à court et à long terme ainsi que le démantèlement des installations du Commissariat à l’énergie atomique – CEA – et le développement des énergies renouvelables. Les enjeux sont également considérables pour l’État actionnaire, certes, mais aussi du point de vue de la politique industrielle et de l’indépendance énergétique de notre pays.

Des arbitrages ayant été récemment rendus et présentés au conseil de surveillance d’AREVA, je vous propose, Madame le ministre, de les présenter à notre Commission avant que nous n’engagions un dialogue avec M. Gilles Carrez, rapporteur général, et M. Marc Goua, rapporteur spécial pour les crédits de l’énergie, ainsi qu’avec l’ensemble de nos collègues.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. Je vous remercie de votre accueil et je vous prie à mon tour de bien vouloir excuser mon retard.

Je tiens tout d’abord à vous présenter mon nouveau directeur de cabinet, M. Alexandre de Juniac, M. Stéphane Richard devant quant à lui prendre très bientôt de nouvelles fonctions au sein d’un groupe de télécommunications.

Je souhaite, ensuite, vous faire part de deux anecdotes significatives : à l’occasion des travaux du G 20, j’ai pu noter combien l’actuel Président des États-Unis et son prédécesseur avaient chacun souligné le choix intelligent et visionnaire du secteur nucléaire par les différents gouvernements qui se sont succédé dans notre pays depuis les trente dernières années ; et il en a été de même avant-hier, à Milan, où le Président Berlusconi a fait un commentaire élogieux de notre politique énergétique et de l’indépendance qui en est résultée.

AREVA a un triple atout : industriel – avec l’excellence de son savoir-faire –, énergétique – les ressources pétrolières iront en diminuant – et, enfin, environnemental – avec l’ « autosuffisance décarbonée ».

Le programme d’investissement prévu par le groupe pour la période 2009-2012 s’élève à 9 milliards d’euros – dès lors qu’est exclu le milliard nécessaire à la filiale Transmission et Distribution (T&D) –, lesquels sont destinés à la modernisation et à l’augmentation de ses capacités industrielles ainsi qu’au développement de ses ressources minières. L’essentiel de ce financement est affecté à l’amont du cycle : 6,5 milliards aux projets de développement des mines – 2,5 milliards d’investissement sont ainsi prévus pour les mines au Niger, en Namibie, au Kazakhstan ou au Canada – et à la modernisation des capacités d’enrichissement de l’uranium avec la construction de l’usine Georges-Besse II sur le site du Tricastin – où 3 milliards seront investis de 2009 à 2016. Ce sont par ailleurs 2,1 milliards qui seront dévolus au pôle Réacteurs et Services afin de moderniser et d’augmenter les capacités de fabrication des gros équipements des centrales nucléaires, notamment à Saint-Marcel, Jeumont, Creusot-Forge et Creusot-Mécanique. À l’aval du cycle, ce sont cette fois 600 millions d’euros qui seront consacrés à la modernisation de l’usine de La Hague et au maintien de notre avance technologique dans le traitement et le recyclage du combustible usé.

La question des financements, ouverte à la fin de 2007, a été examinée pendant l’année suivante et est devenue plus urgente dès l’annonce par Siemens, en janvier dernier, de son retrait de la filiale d’AREVA alors que la crise économique et financière que nous traversons devait avoir un impact de plus en plus considérable sur les marchés. C’est dans ce contexte que Jean-Cyril Spinetta a été nommé président du conseil de surveillance d’AREVA et a travaillé avec la présidente du directoire, Anne Lauvergeon, à la mise en place de ce plan de financement. Arrêté par le conseil de surveillance du 30 juin 2009, ce dernier permettra de financer intégralement le programme d’investissement que je viens d’évoquer, mais également le rachat de la participation de Siemens au capital d’AREVA NP et le désendettement d’AREVA, la dette financière nette du groupe s’élevant à 5,5 milliards – et, enfin, la reconstitution d’une marge de flexibilité financière pour faire face à ses besoins de développement dans un contexte d’augmentation de la demande et de constitution d’alliances et de partenariats entre de nombreux compétiteurs.

Ce plan comporte quatre volets.

Le premier concerne le recentrage sur le cœur du métier et implique la cession d’actifs non stratégiques tels que T&D. Je rappelle qu’AREVA avait été « fortement et amicalement » encouragée à acheter cette activité dans le cadre du plan de sauvetage d’Alstom tel que la Commission européenne l’avait homologué, Alstom ayant dû alors se délester de la transmission et de la distribution. Outre que cette activité – qui représente un tiers du chiffre d’affaires du groupe – s’exerce essentiellement à l’étranger, la cession n’aura aucune conséquence dans la réalisation des ambitions nucléaires d’AREVA. En effet, pour reprendre la formule qu’a employée M. Spinetta devant les représentants du personnel, « T&D est utile mais pas indispensable à AREVA ». D’aucuns ont certes fait valoir que cette structure était une véritable « machine à liquidités », une « vache à lait » pour le groupe, mais cela n’est plus vrai depuis 2008 car T&D a désormais besoin de l’ensemble de ses fonds afin d’assurer son propre financement. Par ailleurs, dans le contexte des partenariats que j’ai déjà évoqué, il est nécessaire de céder des actifs permettant de réaliser des plus-values. Les opérateurs intéressés, qu’ils soient industriels ou financiers, sont quant à eux nombreux ; la cession s’effectuera sous forme d’un appel d’offres ouvert, large, non discriminatoire, et elle sera, nous l’espérons, effective avant la fin de l’année. Cette cession devra se faire sur la base de critères certes financiers, mais également industriels – maintien de l’outil de travail –, et sociaux – maintien de l’emploi. Les institutions représentatives du personnel seront consultées comme, s’il le faut, pour des raisons de concurrence, la Commission européenne.

Des cessions de participations au sein d’ERAMET – dont AREVA détient 26 % du capital – et de ST Microeletronics (STM) – AREVA en détient 11 % – sont également prévues, lesquelles pourraient rapporter environ 2 milliards d’euros de trésorerie et une plus-value significative. Je précise que la présence d’AREVA au sein de ces deux entreprises s’explique par des raisons contingentes et non nécessaires – quelles synergies entre le secteur nucléaire et les nanotechnologies ou avec les extractions minières de nickel en Nouvelle-Calédonie, de manganèse au Gabon ou d’autres aciers spéciaux ? Néanmoins, ERAMET et STM étant des sociétés stratégiques pour la France, ces participations demeureront dans le giron de l’État, vraisemblablement grâce au fonds stratégique d’investissement, le FSI.

Deuxième volet : la mise en place de partenariats capitalistiques avec une ouverture minoritaire du capital d’AREVA de l’ordre de 15 %. Nous assistons donc au rapprochement d’un certain nombre d’acteurs qui jusqu’à présent ne travaillaient pas nécessairement ensemble : Toshiba avec Westinghouse, Hitachi avec General Electric et Siemens avec Rosatom. Parce que l’ouverture du capital d’AREVA s’inscrit dans cette logique, nous devons négocier avec des partenaires industriels ou des investisseurs de long terme. En l’état, Mitsubishi Heavy Industries – qui travaille déjà avec AREVA – s’est porté candidat, de même que deux, voire trois fonds souverains du Moyen-Orient. Par ailleurs, à ce stade, une augmentation pure et simple de capital ou bien la cession, notamment par le CEA, d’une petite partie de ses titres, sont également envisagées – étant entendu qu’il ne s’agit en aucune manière d’une privatisation d’AREVA, l’actionnariat public devant demeurer largement majoritaire. Je précise, enfin, que nous sommes également favorables à une ouverture du capital aux salariés de l’entreprise.

M. François Goulard. A-t-on une idée de ce que représentera la valorisation de ces 15 % ?

Mme le ministre. Compte tenu des négociations en cours, il n’est pas possible de formuler un avis.

Troisième volet : la poursuite d’une politique de cofinancement de certains investissements par des ouvertures minoritaires du capital sur des projets stratégiques ainsi que l’amélioration de la performance opérationnelle du groupe.

Les investissements pour la construction de l’usine Georges-Besse II du Tricastin ont été ouverts à hauteur de 5 % en 2008 et pourraient l’être désormais à hauteur de 20 %. AREVA discute également de l’ouverture du capital d’URAMIN. Enfin, une ouverture minime du capital pour le projet de construction d’une usine d’enrichissement par centrifugation aux États-Unis – projet dit « Georges-Besse III » – pourrait être également envisagée. Un certain nombre d’actifs non stratégiques complémentaires pourraient être par ailleurs cédés, l’ensemble de ces opérations pouvant rapporter au groupe 4 milliards d’euros sur la période 2009-2012.

Nous avons aussi demandé à AREVA d’améliorer sa rentabilité opérationnelle afin d’assurer un autofinancement à partir de 2010 à concurrence de 1 milliard d’euros et au-delà après cette date.

Quatrième volet : une nouvelle politique de distribution des dividendes. L’État recevait jusqu’à présent entre 40 % et 50 % des dividendes afin, notamment, de financer le CEA, ce qui, d’ailleurs, était sujet à caution, le temps de la recherche n’étant pas celui de l’industrie ; il n’en recevra plus désormais que 25 %, les crédits du CEA bénéficiant quant à eux, cela va de soi, de nouvelles dotations budgétaires.

Enfin, je remarque que l’agence de notation Standard and Poor’s a attribué une note A à AREVA, en particulier en raison de ce plan stratégique de financement, et a insisté sur la « robustesse de sa structure financière à l’horizon de 2010 ». Je remercie à ce propos M. Bruno Bezard, directeur général de l’Agence des participations de l’État, pour le travail qu’il a accompli.

L’ensemble de ces évolutions permettra au groupe de conforter sa position de leader sur un marché en fort développement et où la concurrence ne cesse de croître.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je souhaiterais être rassuré, Madame le ministre : l’État aurait-il en fait été contraint de se désengager pour des raisons budgétaires – qui plus est à un moment où le marché n’est guère favorable – ou bien ce plan de financement s’explique-t-il par de tout autres motifs ? Je note, par ailleurs, que si T&D n’est pas au cœur du métier d’AREVA, il en est néanmoins le complément. Enfin, l’État devant octroyer des dotations budgétaires supplémentaires au CEA compte tenu de la baisse des dividendes reversés par AREVA, il est permis de s’interroger sur la fragilité de ce type de financement dans la situation économique et financière qui est la nôtre.

Quid, en outre, de la valorisation de la participation de Siemens à AREVA NP ? En dehors du fait de constituer un nouveau concurrent pour AREVA, quelles sont d’après vous les intentions qu’a Siemens en s’associant avec Rosatom ?

Avec seulement 15 %, l’ouverture du capital est-elle par ailleurs motivée par les seules considérations industrielles de prises de marché et de mises en place de partenariats ?

Enfin, disposez-vous, avec M. le ministre du budget, d’engagements fermes quant à la pérennité du financement du CEA ?

M. Marc Goua, rapporteur spécial pour les crédits de l’énergie. La vente des « bijoux de famille » d’AREVA – et notamment de sa filiale T&D – constitue certes un vigoureux recentrage, mais ne posera-t-elle pas un certain nombre de problèmes ?

Par ailleurs, comment envisager une amélioration de l’autofinancement de l’entreprise dans un contexte de concurrence exacerbée ?

Quel est le coût du désengagement de Siemens ? Est-il compris dans les enveloppes globales que vous avez présentées ?

Compte tenu de ce que la cession des parts de certaines entreprises constituait autant de contreparties de provisions passées pour le démantèlement d’installations nucléaires, comment reconstituer ces dernières ?

Enfin, à quel montant se chiffreront pour AREVA les rentrées nettes d’impôt résultant des cessions ?

Mme le ministre. Même s’il faut bien entendu en tenir compte, le désengagement de l’État n’est pas dû à des impératifs budgétaires. Outre que Mitsubishi est un partenaire fondamental sur le plan industriel et technologique, ce groupe demandait depuis longtemps à être associé au capital d’AREVA. Les fonds souverains, quant à eux, permettent certes la mise en place d’une association de long terme sur le plan financier, mais certains d’entre eux ont également des intérêts énergico-technologiques à œuvrer à ces rapprochements.

M. le rapporteur général. Il est tout de même notoire que l’État n’est pas en mesure d’accompagner cet effort d’investissement.

Mme le ministre. Et pour cause, vous le savez bien !

Quant à la valorisation de la participation de Siemens, des négociations très serrées sont en cours.

Par ailleurs, outre que la stratégie de Siemens et de Rosatom diffère assez sensiblement de celle d’AREVA, leurs terrains de prédilection ne sont pas les mêmes et nous avons la satisfaction de savoir qu’AREVA maîtrise l’essentiel des compétences de l’entreprise allemande.

D’après les experts, dans le cadre d’une gestion rigoureuse et du plan de financement qui a été élaboré, un autofinancement devrait être envisageable à partir de 2010 dès lors que les projets des quatre EPR suivront leur cours, en tirant parti d’ailleurs des leçons de l’expérience finlandaise. Celle-ci avait fait l’objet d’un contrat « clé en main », dans des conditions entièrement nouvelles d’exploitation et de construction et la passation dans les comptes de 1,7 milliard d’euros de provision, soit la valeur totale du contrat. Si les pertes accumulées sur ce contrat sont le prix à payer pour réussir la réalisation de nombreux EPR, nous jugerons sans aucun doute rétrospectivement que l’investissement se justifiait.

Si vous le permettez, Monsieur le président, mon directeur de cabinet pourrait apporter une précision.

M. Alexandre de Juniac, directeur de cabinet de Mme le ministre de l’Économie. S’agissant du fonds de démantèlement géré par le CEA, la partie d’ouverture de capital réalisée sous forme de cession de titres AREVA par le CEA permettra de rendre liquide une partie de la dotation de ce dernier ; le financement du démantèlement des centrales est incontestablement un objectif politique majeur.

Mme le ministre. M. le rapporteur général a raison : le manque à gagner pour le CEA au titre des dividendes sera compensé par de nouvelles dotations budgétaires.

M. François Goulard. Le retrait de Siemens ne constitue-t-il pas une occasion manquée pour réaliser une alliance européenne et construire un pôle énergétique d’avenir ? Ce divorce est-il définitif ou peut-on espérer une reconstitution du couple à plus ou moins long terme ?

En outre, la vente d’actions me semblant une excellente façon de financer certaines dépenses, est-il possible de dépasser le seuil des 15 % – dès lors que l’État conserve la majorité qualifiée – en particulier afin de financer des dépenses de recherche ?

M. Jérôme Cahuzac. Si le départ de Siemens marque selon moi une occasion manquée, il me semble que le divorce a été prononcé parce que l’État, au plus haut niveau, a refusé que Siemens augmente sa participation. Pour quelles raisons ?

Combien la vente de T&D rapportera-t-elle ?

S’agissant des acquisitions du FSI, le Gouvernement utilisera-t-il les liquidités dont il dispose ou procédera-t-il à des ventes ? Une fois de plus, ne vous apprêtez-vous pas à utiliser la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour pallier la défaillance de l’État ?

Avez-vous envisagé les problèmes de gouvernance que pourrait soulever l’arrivée de fonds souverains – à moins qu’il ne s’agisse de « partenaires dormants », ce qui est peu vraisemblable ?

Vous récusez toute velléité de privatisation. Mais je vous rappelle que l’un de vos prédécesseurs ne s’était pas exprimé autrement à propos de GDF et l’on sait ce qui en est advenu.

Enfin, quelles dotations supplémentaires prévoyez-vous pour le CEA dans le projet de loi de finances pour 2010 afin de compenser la chute du versement des dividendes d’AREVA ?

M. Charles de Courson. Le problème central d’AREVA est celui de sa stratégie industrielle. L’EPR finlandais coûterait en réalité entre 2 et 2,5 milliards d’euros. Or 1,7 milliard seulement a été provisionné ; la perte de l’EPR d’EDF, dans le département de la Manche, représenterait quant à elle entre 1 et 1,5 milliard d’euros et il semble que l’EPR chinois ait également été vendu à perte. Comment ne pas comprendre, dans ces conditions, les problèmes de financement qui se posent ?

En outre, il est monstrueux d’avoir inclus dans le fonds de démantèlement des actions détenues par AREVA : si nous voulons être crédibles auprès de l’opinion publique et ne pas donner prise aux critiques des écologistes, ce fonds doit être externalisé, géré de façon autonome et dans le cadre d’une répartition des risques aussi large que possible.

Enfin, quels sont les résultats des investissements dans le domaine de la micro-électronique ?

M. Michel Bouvard. Si je comprends fort bien le point de vue gouvernemental, je m’interroge sur les raisons de la situation d’AREVA et, notamment, sur les pertes enregistrées dans la filière EPR. À partir de quand un équilibre est-il envisageable ? A-t-on une vision globale du problème, indépendamment des différentes implantations ? Quid de l’éventuelle revalorisation de la contribution demandée aux partenaires d’Exelcium et de la répercussion sur les prix pour les industriels ?

S’agissant des cessions, je comprends qu’il ne soit pas possible de donner des chiffres – certains mouvements de titres entre la CDC et le FSI n’ont d’ailleurs pas eu lieu – mais T&D tendant à nouer des liens capitalistiques avec certains pays, de quel type de sécurisation disposerons-nous afin d’éviter, par exemple, le pillage technologique ?

Enfin, compte tenu de ce que nous avons connu avec EADS, l’évolution du capital de STMicroelectronics ne doit pas affaiblir la part française de sa gouvernance.

M. Pierre-Alain Muet. Comme nombre d’entre nous, je rappelle que c’est l’État qui s’est opposé à ce que Siemens augmente sa participation au sein de la filiale d’AREVA et que nous avons ainsi « manqué le coche » pour constituer un grand groupe industriel énergétique européen. La stratégie suivie visant à vendre certains « bijoux de famille » est dès lors difficilement compréhensible.

Il me semble par ailleurs moins justifié de parler d’un « recentrage sur le cœur du métier » que d’un véritable Monopoly financier puisque T&D a été acheté en 2004 pour 900 millions d’euros et que sa croissance a été d’environ 34 % en quatre ans. De plus, comme l’a dit M. le rapporteur général, je considère que son activité est complémentaire de celle de l’ensemble du groupe.

Les syndicats ont raison d’être inquiets d’une éventuelle scission des activités au sein même de T&D et l’invocation de critères industriels et sociaux me paraît surtout relever de l’incantation.

Si l’acquisition de T&D manquait de cohérence, comme semble le penser Mme le ministre, je ne suis pas certain que le ministre de l’Économie d’alors, M. Nicolas Sarkozy, aurait partagé son jugement.

En fait, ce groupe souffre de l’absence d’une véritable logique industrielle.

M. Nicolas Perruchot. Outre que je suis très étonné qu’AREVA se sépare d’une filiale – T&D – qui génère de la croissance et des liquidités, n’aurait-il pas été utile d’envisager une ouverture plus large du capital ?

Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi le FSI – qui avait initialement pour mission d’accompagner le développement industriel – doit aujourd’hui prendre des participations dans ERAMET et STM. Je souhaite que notre Commission se penche dès la rentrée sur les missions et la stratégie de ce fonds.

Enfin, considérez-vous que la direction d’AREVA ait failli ?

M. Gaël Yanno. AREVA exploite directement ou indirectement des gisements miniers – or, uranium, nickel, manganèse. Sachant que la cession d’ERAMET amputera d’ores et déjà cette activité, est-il envisageable que le recentrage du groupe entraîne la fin de toute intervention dans ce domaine et qu’une autre structure publique se charge de défendre nos futurs approvisionnements et, donc, les intérêts français ?

En outre, ERAMET rachètera-t-il les intérêts de la famille Duval ?

Mme Aurélie Filippetti. Je regrette également l’échec de l’alliance avec Siemens et, en raison de la stratégie élyséenne, l’absence de toute logique industrielle européenne. Dans ces conditions, comment allez-vous organiser la cession de T&D ? La situation que nous avons connue avec Thalès ne risque-t-elle pas de se reproduire ? Que se passera-t-il si l’acquisition ne peut se faire dans des conditions acceptables ? Pouvez-vous confirmer la mise en place d’un actionnariat salarié ?

Le succès d’AREVA, dont je rappelle qu’elle a été créée en 2001 par le gouvernement de Lionel Jospin, repose sur un modèle intégré, lequel nécessite la diversification des activités. Pourquoi le Gouvernement refuse-t-il donc d’encourager ses investissements dans le secteur des énergies renouvelables ?

Comme nous sommes dans un secteur stratégique, je m’inquiète par ailleurs de l’ouverture du capital à des fonds souverains qui n’ont pas de logique industrielle et dont nous ne saurons rien.

Enfin, je note que, les participations qui gagent les besoins liés aux frais de démantèlement étant vendues pour assurer d’autres financements, l’État devra trouver d’autres moyens, lesquels ne manqueront pas de grever son budget.

M. Philippe Vigier. Comme nombre de mes collègues, j’ai le sentiment que nous vendons les « bijoux de famille » dans un secteur hautement technologique et innovant alors qu’un bon positionnement sur le marché implique de disposer d’une masse critique importante. Dans ces conditions, je crains que notre pays ne s’affaiblisse et que l’on n’aille droit au naufrage !

Les pertes financières liées aux EPR ne devraient-elles pas nous engager à réfléchir sur la pertinence de cette politique ?

M. Yves Deniaud. Contrairement à ce qui a été dit et compte tenu de ce qui s’est passé avec EADS, il me semble que le « métissage » industriel n’est pas toujours une réussite : il me paraît préférable, en la matière, de rompre des fiançailles plutôt que de conclure un mariage qui se soldera par un divorce.

Le président d’EDF a récemment déclaré qu’il était favorable à une rénovation des 58 tranches nucléaires – pour un coût de 23 à 24 milliards – afin de prolonger leur existence de vingt ans, ce qui ne manquerait pas de retarder la construction des 40 EPR initialement prévue – pour un coût de 100 milliards. Dans ce cas-là, quid de ces constructions ? Par ailleurs, quelles sont les perspectives internationales en la matière et, notamment, aux États-Unis ?

M. Hervé Mariton. Hors le FSI, existe-t-il d’autres structures susceptibles de porter les actifs dont nous venons de parler ? Si oui, pourquoi un tel choix ? Quelle sera sa feuille de route ? Qui la délivrera et à quel moment ?

M. Jean-Louis Dumont. Le CEA, dit-on, éprouve de grandes difficultés pour finaliser le plan « pilote » de financement de la nouvelle génération de carburant. Je vous rassure : il ne sera pas mis en œuvre en Meuse, ce qui démontre une fois de plus combien les instances parisiennes méprisent un département qui, pourtant, accueille à Bure un laboratoire d’essai de stockage. La Meuse attend donc son juste dû, soit une augmentation de sa dotation. Merci, Madame le ministre, de bien vouloir porter ce message auprès de M. le ministre de l’industrie…

Mme le ministre. Il ne faut pas se raconter d’histoires sur les relations entre AREVA et Siemens : s’il est parfois préférable de rompre des fiançailles plutôt que d’être conduit à divorcer, l’union était en l’occurrence consommée, si je puis dire, et, me semble-t-il, au bénéfice d’AREVA. Si, en l’état, je ne saurais définir les raisons de cette séparation, je sais en revanche fort bien qu’elle ne s’explique en rien par une demande d’augmentation de la participation de Siemens au capital d’AREVA. Probablement est-elle due à une multiplicité de causes. Quoi qu’il en soit, je suis très sceptique quant à des perspectives de retrouvailles.

S’agissant de la vente de T&D, outre que la formule de Jean-Cyril Spinetta sur une structure « utile mais pas indispensable » me semble tout à fait juste, je répète que nous avons besoin de dégager des capacités de financement et que T&D, absorbant désormais son propre cash, ne peut plus être la « vache à lait » d’AREVA. Son activité demeurera certes importante mais nous nous devions de faire des choix, en l’occurrence en concentrant toutes les énergies du management sur le cœur du métier d’AREVA.

Par ailleurs, un appel d’offres ouvert et non discriminatoire est bien prévu pour la cession de T&D.

Si l’optimisation financière de l’opération constitue bien entendu l’un des critères du choix des partenaires, ce sera aussi le cas, je le répète, du respect de l’outil industriel et du maintien de l’emploi.

S’agissant de la stratégie industrielle je note, tout d’abord, que nous n’aurions jamais eu ce débat il y a dix ans et qu’il en aurait été de même s’il s’était agi de faire fusionner AREVA avec un autre opérateur. En la matière, la stratégie industrielle consiste à se concentrer sur le développement et la recherche de nouveaux équipements nucléaires permettant de valoriser les investissements effectués et l’avance technologique obtenue : cela signifie précisément que nous devons investir dans la quatrième génération d’EPR plutôt que de nous contenter de devenir les champions de la prolongation de la durée de vie des centrales.

Nous devons également nous concentrer sur l’« intégration du cycle », sur la demande des clients – ce qui implique de conserver un pôle minier d’uranium au sein du groupe AREVA – ainsi que sur les énergies renouvelables et, notamment, sur la biomasse. Dans ces conditions, il ne me paraît pas particulièrement paradoxal de céder une participation dans ERAMET – la famille Duval, quant à elle, n’étant pas à ce jour vendeuse, à ma connaissance – qui travaille dans les gisements de nickel ou de manganèse et dans les aciers spéciaux.

Si l’EPR finlandais, quant à lui, fait figure de bêta test en concentrant toutes les pertes financières – d’où l’ampleur des provisionnements –, je rappelle tout de même qu’AREVA est le seul acteur mondial à avoir engagé la fabrication d’une centrale de troisième génération.

J’ai en outre demandé à AREVA de circonscrire précisément les manquements que nous devrons éviter à Flamanville, en Chine et ailleurs.

Mme le ministre. Je suis en outre tout à fait d’accord pour réfléchir avec le président de la Caisse des dépôts au rôle du FSI dont la gouvernance mérite que la commission des Finances s’y intéresse de près, s’agissant notamment de la définition de la stratégie et de la structuration des investissements. Le choix du FSI correspond par ailleurs à la stratégie validée au sein du conseil de surveillance et à sa vocation profonde.

Le Gouvernement est quant à lui déterminé à renforcer le partenariat avec STM, dont le travail est remarquable, en particulier dans le domaine des nanotechnologies.

Il y aurait beaucoup à dire sur le partenariat franco-italien mais, outre que je n’ai pas eu connaissance de désaccords stratégiques profonds ou durables, un équilibre de fort bon aloi est en train de s’instaurer – de même qu’au sein de la gouvernance d’AREVA, où Jean-Cyril Spinetta et Anne Lauvergeon forment une équipe gagnante.

Les fonds souverains avec lesquels nous travaillerons et qui sont signataires de l’accord de Santiago auront quant à eux l’obligation de respecter des principes de gouvernance en vertu desquels ils devront notamment s’engager sur le long terme. Des discussions ont lieu en ce sens avec la Caisse des dépôts et nous avons toutes les raisons d’être confiants.

M. le président Didier Migaud. Madame le ministre, nous vous remercions.

——fpfp——