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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 2 février 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 52

Présidence de M. Jérôme Cahuzac, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de MM. Michel Aujean, avocat, ancien directeur des analyses et politiques fiscales à la Commission européenne, Jeffrey Owens, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, et Bert Brys, économiste en fiscalité à l’OCDE, sur la fiscalité du patrimoine dans l’Union européenne : droits comparés et perspectives de convergence

– Communication, ouverte à la presse, de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur spécial, sur un rapport d’enquête demandé à la Cour des comptes en application du 2° de l’article 58 de la LOLF, concernant le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la Défense 16

–  Présences en réunion 24

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, MM. Michel Aujean, avocat, ancien directeur des analyses et politiques fiscales à la Commission européenne, Jeffrey Owens, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, et Bert Brys, économiste en fiscalité à l’OCDE, sur la fiscalité du patrimoine dans l’Union européenne : droits comparés et perspectives de convergence

M. le président Jérôme Cahuzac. Cette audition, la deuxième sur la fiscalité du patrimoine, sera plus spécialement consacrée aux comparaisons avec les systèmes étrangers car aucune réforme ne peut faire fi des règles en vigueur dans les pays avec lesquels nous avons des relations économiques. Le niveau des prélèvements libératoires, la structure des fiscalités, l’attractivité fiscale sont autant de paramètres pour une politique fiscale.

À l’aune des trois principes sur lesquels repose un régime fiscal – rendement, répartition équitable de la charge, efficacité économique –, qu’avons-nous à apprendre de nos partenaires ? Leur cadre fiscal est-il transposable en France ?

M. Jeffrey Owens commencera par dresser le décor en décrivant les principaux systèmes de taxation du patrimoine à l’étranger, puis M. Michel Aujean expliquera les conditions dans lesquelles la comparaison est possible et resituera la fiscalité du patrimoine dans un contexte global avant d’évoquer les convergences possibles. M. Bert Brys complètera l’ensemble.

M. Jeffrey Owens, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. La question fiscale est complexe partout, et pas seulement en France, mais les comparaisons internationales sont utiles pour se situer par rapport aux autres pays de l’OCDE, non seulement par rapport aux États membres de l’Union européenne, mais aussi par rapport au Japon, au Canada et aux États-Unis.

Première remarque : beaucoup d’impôts frappent le patrimoine et aucun ne doit être considéré isolément. On distingue d’abord les impôts périodiques sur la propriété immobilière tels que la taxe foncière. Ils existent dans tous les pays de l’OCDE et sont réglés soit par les ménages, soit par les sociétés. Certains pays comme la France y ont superposé d’autres taxes, du type taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères. Depuis dix ans, de nombreux pays cèdent à cette tentation en évitant soigneusement de les appeler « impôt », mais la dénomination ne change rien à l’affaire. Globalement, ces impôts périodiques représentent en France 2,2 % du PIB, contre 1 % pour la moyenne des pays de l’OCDE, soit plus du double.

Viennent ensuite les impôts périodiques sur l’actif net, qui sont en vigueur dans très peu de pays, le produit de l’impôt de solidarité sur la fortune représentant en France 0,2 % du PIB.

En revanche, les impôts sur les mutations se sont généralisés, à deux ou trois exceptions près. Là encore, la France fait la course en tête en prélevant ainsi 0,4 % du PIB, pour une moyenne de 0,1 % dans l’OCDE.

Pour ce qui est des impôts sur les transactions immobilières, la France se situe dans la moyenne avec 0,6 % du PIB, contre 0,5 % dans l’ensemble de l’OCDE.

En ce qui concerne les autres impôts, en France, le taux marginal de l’impôt sur le revenu des personnes physiques dépasse 45 % en France, tandis que la moyenne de l’OCDE excède légèrement 42 % ; l’impôt sur les sociétés est de 34 %, contre 26 % pour la moyenne de l’OCDE ; et l’imposition sur les dividendes de 32 %, contre 21 % ailleurs en moyenne.

S’agissant de l’impôt sur les sociétés, depuis trente ans, la tendance générale est à la baisse. En 1980, nombreux étaient les pays dont le taux tournait autour de 45 %. Aujourd'hui, rares sont ceux où il dépasse 30 %. Ainsi, juste avant Noël, le Japon a abaissé son taux d’imposition. Les Britanniques visent 20 % et, la semaine dernière, le Président Obama a annoncé une baisse à 28 %.

L’essentiel des impôts sur le patrimoine provient en France des impôts périodiques, ce qui est une bonne chose car ils sont les moins destructeurs.

Quelles sont les tendances observées dans l’ensemble des pays depuis une dizaine d’années ?

On constate, à l’intérieur des impositions du patrimoine, une stabilité des recettes provenant des impôts périodiques sur la propriété immobilière, la part qu’elles représentent étant toujours plus élevée dans les pays anglo-saxons. Le problème vient de l’assiette, qui n’est pas toujours, comme il le faudrait, la valeur de marché.

L’impôt périodique sur l’actif net était pratiqué en 1976 dans dix pays, en 1995 dans quinze ; aujourd'hui dans trois pays : la France, la Norvège et la Suisse. Les Pays-Bas ont un système un peu particulier mais dont les effets sont comparables. Le cas allemand est une curiosité dans la mesure où l’impôt sur l’actif net existe toujours mais son application a été suspendue par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. En tout état de cause, la tendance de fond est à sa disparition.

Les impôts sur les transactions immobilières sont monnaie courante car, à l’inverse des économistes qui ne les aiment pas, les fiscalistes apprécient leur rendement et leur simplicité de gestion, sans oublier qu’ils peuvent contribuer à freiner la spéculation immobilière. À cet égard, une des causes de la crise aux États-Unis réside, à mon avis, dans les incitations fiscales qui poussaient les ménages américains à acheter sans cesse plus grand et plus cher.

Du côté de l’impôt général sur le revenu, partout, les taux marginaux ont eu tendance à diminuer. Dans les pays nordiques et aux Pays-Bas, il a été remplacé par un système d’imposition duale des revenus qui prévoit une imposition proportionnelle des revenus du capital.

En conclusion, les nombreux changements intervenus depuis dix ans dans la fiscalité du patrimoine ne sauraient dispenser d’une approche globale. Avant d’engager une réforme même ponctuelle, il faut passer en revue tous les impôts de même nature, et même, dans l’idéal, aller au-delà.

La France a sans doute besoin d’une réforme fiscale de fond.

La première raison des réformes fiscales a été la compétitivité fiscale, tous les ministres des finances rêvant d’annoncer une baisse des taux d’impôt sur les sociétés et sur le revenu des personnes physiques ; et la seconde le souci d’équité fiscale, d’où le réexamen en cours, dans différents pays, des niches fiscales. Le débat ne se limite pas à la France même si elles y sont plus nombreuses qu’ailleurs. Le troisième facteur est la stabilisation des bases d’imposition par le biais de la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux, qui a enregistré d’énormes progrès depuis deux ans.

M. Michel Aujean, avocat, ancien directeur des analyses et politiques fiscales à la Commission européenne. Le message de la Commission européenne n’est pas très différent de celui de l’OCDE. Sans doute cette convergence s’explique-t-elle par le fait que la très grande majorité des membres de l’Union font partie de l’OCDE…

Par rapport à la moyenne des pays membres de l’Union européenne, la France est un pays où la taxation tant du travail que du capital est forte, et celle de la consommation plutôt modérée, ce qui offre une petite marge de manœuvre.

En 2008, la structure des prélèvements obligatoires par fonction économique révèle que la taxation du stock de capital a atteint en France 9,8 % du PIB, soit presque 1 point de plus que la moyenne européenne, qui est à 9 %, là où elle n’est que de 6,9 % en Allemagne. L’écart est dû essentiellement à la taxation chez nous du stock de capital, mais l’exotisme se situe plutôt outre-Rhin qu’en deçà. Il n’en demeure pas moins que la France se situe en deuxième position derrière le Royaume-Uni.

En revanche, les revenus du capital sont plutôt moins imposés que dans le reste de l’Europe, près d’un point de moins : respectivement 5,3 % et 6,2 %. Un tel écart peut ouvrir une piste. Bien que la fiscalité du travail soit hors sujet, il n’est pas inintéressant de relever que le niveau élevé du taux de pression fiscale tient avant tout au poids des cotisations sociales « employeur ».

S’agissant du stock de capital, le niveau de la pression fiscale – 4,5 % – résulte en France du cumul des droits de mutation à titre gratuit, des taxes foncières, des droits de mutation à titre onéreux et de l’impôt de solidarité sur la fortune. Même si le chiffre inclut encore la taxe professionnelle, il reste élevé malgré tout. C’est l’immobilier qui est le plus frappé – il rapporte environ 40 milliards d’euros, soit 80 % du produit de l’IRPP – mais il reste le placement privilégié des Français, parfois au détriment de l’investissement de long terme à risque. Il faut dire que, contrairement à ce qui se fait dans d’autres États membres, il n’existe pas de taxation des plus-values sur la résidence principale, ni de taxes spécifiques sur les résidences secondaires, ni d’imposition du revenu fictif de la propriété immobilière.

Les droits de succession procèdent d’une législation souvent complexe et combinent des abattements différents à des taux différents, parfois progressifs ; d’où la difficulté de se faire une idée globale. La France se caractérise par des abattements significatifs, mais qui ne sont pas parmi les plus élevés, ainsi que par un écart très important entre le taux minimal et le taux maximal d’imposition des successions. En cela, notre pays est très différent du régime britannique à la simplicité exemplaire – un abattement forfaitaire de 325 000 livres sterling et un taux unique de 40 % –, conséquence de l’éloignement progressif entre les droits de succession et le droit de la famille, mouvement qui s’observe également aux États-Unis.

Ce panorama doit être complété par le régime des donations qui est, à l’évidence, particulièrement favorable avec un abattement renouvelable tous les six ans. Mais il existe ailleurs des systèmes qui le sont tout autant, et même plus en Allemagne où l’abattement est de 400 000 euros tous les dix ans. Un point important à ne pas négliger : dans certains pays, dont la France, les donations peuvent servir à effacer l’imposition des plus-values. Cette disposition illustre les limites du droit fiscal par rapport au droit civil.

Après une communication de la Commission, la plupart des pays ont fait beaucoup d’efforts pour faciliter la transmission des entreprises. Le régime français s’inscrit dans la moyenne communautaire, bien qu’il soit un peu moins favorable que le régime allemand qui prévoit des exonérations de 85 % à 100 % selon la durée des engagements pris en matière de maintien d’activité et d’emplois. Le mécanisme néerlandais admet le report du paiement des droits lorsque les biens transmis ne suffisent pas à régler l’impôt.

Force est d’admettre que le dispositif français de droits de mutation à titre gratuit - DMTG – est relativement complexe. Sans doute pourrait-on simplifier le régime des droits de succession et le rendre plus égalitaire au-delà d’un certain seuil en relevant à la fois l’abattement et les taux, à condition toutefois – et ce serait un autre chantier –, de faciliter le paiement des droits. Le régime des donations pourrait également être simplifié, et rendu moins favorable par une limitation du mécanisme d’effacement des plus-values, qui est relativement utilisé aujourd'hui, et la reprise des donations lors du règlement successoral. Toutefois, la transmission des entreprises doit être confortée.

Les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, parce que les régimes sont très différents d’un pays à l’autre, sont de comparaison difficile. Ils peuvent constituer un véritable frein aux échanges et à la mobilité. Dans la plupart des pays, ils prennent principalement la forme de taxes sur les transactions immobilières. Elles représentent en France environ 80 % des DMTO. Ces droits sont relativement élevés en France, notamment sur les immeubles anciens, sur les cessions d’actions et autres parts sociales. Enfin, la France est le seul pays à avoir un droit de mutation à titre onéreux sur les cessions de fonds de commerce.

Au total, les taxes foncières pesant sur l’immobilier constituent en France une ressource proportionnellement plus importante que dans le reste de l’Union européenne, mais en ligne avec les pays anglo-saxons, le Japon et la Corée. Sur un patrimoine d’environ 7 000 milliards d’euros, les 40 milliards de recettes qu’elles génèrent représentent entre 0,5 % et 0,6 % du PIB. Les taxes amputent les revenus de 15 %, et de 30 % si l’on incorpore la taxation des revenus du patrimoine, ce qui laisse in fine, si le capital rapporte en moyenne 4 %, un rendement net de 2,8 %. Un tel taux est plutôt favorable et fait du capital une composante économique relativement avantagée du point de vue fiscal, par rapport au travail.

Pourrait-on, dès lors, envisager une property tax à la française, assise sur la valeur vénale, en fusionnant la taxe foncière, l’ISF et les DMTO ?

En ce qui concerne l’imposition des revenus du patrimoine, la France, en introduisant un prélèvement forfaitaire libératoire sur les intérêts et les dividendes, s’inscrit dans un mouvement général en Europe, certains se montrant plus radicaux. La France a la caractéristique d’avoir le taux le plus élevé de l’Union mais une assiette restreinte, compte tenu de très nombreuses exceptions qui vont de l’épargne réglementée jusqu’à l’épargne salariale et l’assurance vie, d’où un rendement de l’impôt relativement plus faible que la moyenne.

Le cas néerlandais est intéressant. Présenté comme une imposition du revenu du capital, l’impôt instauré en 2001 est assis sur un revenu fictif de 4 % sur le patrimoine hors résidence principale. Avec un taux de 30 %, il équivaut à un taux de 1,2 % sur le stock de capital. Il se rapproche donc d’une taxe sur l’actif net. Ce mécanisme a l’avantage de la simplicité, mais il n’évite pas les contradictions. Conçu pour taxer le capital de façon à le rendre plus efficace et à éliminer les rentes, il aboutit paradoxalement au résultat inverse au-delà d’un certain seuil. En effet, si le rendement est supérieur à 4 %, le surplus n’est pas imposé. Un tel dispositif encourage sûrement l’activation du capital puisque le capital dormant est pénalisé, mais je n’ai pas obtenu de renseignement sur la façon dont la réforme est perçue par les Néerlandais. Des protestations se sont fait jour, notamment parce que les rendements de 4 % sont rares aujourd'hui. Mais la taxe s’applique sur le capital net de dettes et la taxation globale du capital et de ses revenus n’est pas exorbitante aux Pays-Bas – elle est même légèrement inférieure à la moyenne européenne.

Les taxes sur la détention de capital, qui ont progressivement disparu dans la plupart des pays voisins, à l’exception de la Norvège – où elles atteignent 7,5 % du PIB –, de la Suisse et de la France, ont été remplacées par une imposition plus élevée des revenus du capital. D’autres pays appliquent des taxes qui, bien qu’elles n’en portent pas le nom, correspondent à une imposition du capital : la Suisse, l’Italie sur l’immobilier, et les États-Unis où certains États ont des impôts voisins de l’ISF.

Une taxation du capital, sous une autre forme, pourrait se justifier au nom de l’efficacité économique – que préconisait Maurice Allais – de la redistribution puisque l’IRPP ne joue plus ce rôle et de la volonté d’orienter le capital vers l’investissement à risque. En tout cas, l’ISF peut être qualifié de mauvais impôt dans la mesure où le taux marginal le plus élevé – 1,8 % – absorbe aujourd'hui la quasi-totalité du rendement net du capital alors que, lorsqu’il a été institué, il laissait 85 % du revenu net au détenteur du capital. L’évolution des taux d’intérêt et de l’inflation n’est en effet pas sans poser problème. Parmi les options possibles, on trouve le maintien de l’ISF en relevant fortement le seuil d’imposition ; un nouvel ISF à assiette élargie et taux plus faibles, qui soit ajustable et plafonné en fonction des revenus du patrimoine imposable ; ou une suppression pure et simple, à condition de ne pas lui substituer une imposition des revenus du capital productif, car il ne faudrait pas décourager l’investissement productif. La solution serait plutôt à chercher du côté des droits de succession, des droits de mutation à titre gratuit ou de l’équivalent d’une property tax.

En conclusion, par rapport aux autres pays de l’OCDE, le système fiscal français se caractérise par une imposition élevée de la propriété immobilière, mais qui laisse subsister des marges de manœuvre, et une imposition de la consommation relativement plus faible et moins efficace que dans le reste de l’Europe. En matière de TVA, nous sommes vingtième sur vingt-sept, et vingt-sixième sur vingt-sept pour les droits d’accises, ce qui ouvre des pistes.

L’impôt des sociétés souffre lui aussi d’un taux trop élevé et d’une assiette trop étroite, mais la réforme doit s’inscrire dans un cadre européen.

Enfin, l’impôt sur le revenu gagnerait à avoir une assiette plus large et une progressivité plus effective. Mais les changements préconisés se heurtent à la structure des prélèvements libératoires : en France, l’État central ne recueille que 36 % des prélèvements obligatoires, contre 51 % en moyenne dans l’Union européenne ; et les collectivités locales 11,6 %, contre 17 % en moyenne dans l’Union alors que les organismes de sécurité sociale drainent 52 % des recettes, là où la moyenne européenne est de 31 %. Il y a là une spécificité française qui donne à réfléchir.

Une réforme limitée à la fiscalité du patrimoine serait une tâche délicate. Aussi serait-il préférable d’envisager une réforme d’ensemble. Elle est urgente mais ne doit pas se faire dans la précipitation. La consolidation fiscale doit aller de pair avec une réforme qui exerce un effet positif sur le potentiel de croissance.

Des marges de manœuvre existent, mais le défi est immense. La compétitivité d’un système fiscal ne se limite pas aux taux effectifs : elle se mesure également à la lisibilité de ce système, d’où l’intérêt de taux nominaux bas. La simplicité, la sécurité juridique et la stabilité de la norme doivent figurer dans les objectifs principaux de toute réforme d’envergure. Mais il ne faudrait pas oublier l’équité, tout simplement parce que les études, notamment celle de l’OCDE, démontrent l’impact négatif des inégalités sur la croissance.

Enfin, une réforme des prélèvements obligatoires ne saurait dispenser de vérifier la qualité des dépenses qu’ils financent.

M. Pierre-Alain Muet. Notre système est truffé de niches, ce qui fausse complètement les comparaisons entre les taux marginaux. Ainsi, avec un taux nominal de l’impôt sur les sociétés de 33 %, les PME paient effectivement 30 %, les entreprises de plus de 2 000 salariés en moyenne 13 %, et les entreprises du CAC 40 pas plus de 8 %. En réalité, l’imposition des sociétés est faible et très injuste puisque ne peuvent y échapper que ceux qui savent faire de l’optimisation fiscale. Même chose pour les revenus. Les dix plus hauts revenus acquittent moins de 20 % de leurs revenus en impôt. Nous sommes très loin du taux marginal, d’autant que le prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % sur les revenus du capital est une solution alternative.

M. Aujean a montré que c’est plutôt l’Allemagne qui est atypique dans l’OCDE : elle impose moins le stock de capital. La Cour constitutionnelle a exigé la révision des bases de l’impôt sur le capital au motif qu’elles étaient archaïques et injustes. Résultat : l’impôt a été supprimé. Il ne peut donc pas être comparé à notre ISF qui, en dépit de ses défauts, a au moins l’avantage d’être assis sur une base déclarative révisée tous les ans.

Les avantages qui ont été consentis aux donations ces dernières années permettent bel et bien d’échapper aux droits de succession.

Le mécanisme néerlandais est intéressant et intelligent dans la mesure où il taxe le patrimoine dormant. L’impôt est assis sur un rendement théorique du patrimoine, qu’il serait d’ailleurs possible de faire varier en le calculant d’après une moyenne mobile, par exemple sur cinq ans. Tous les revenus du patrimoine sont imposés de la même façon et les contribuables les plus actifs sont encouragés puisqu’ils tirent les bénéfices de leurs placements. Au final, le taux n’est pas si éloigné de notre ISF. Encore faudrait-il revoir la définition de l’outil de travail qui permet actuellement d’y inclure des actions et des obligations détenues par des personnes qui ne sont plus dans l’entreprise.

Il ressort de vos exposés que, en matière d’imposition du patrimoine, c’est avec l’Allemagne que la comparaison est la moins pertinente ! Je laisse mes collègues de la majorité méditer cette conclusion.

M. Michel Bouvard. Le problème numéro un vient de ce que la France est en tête pratiquement dans toutes les catégories d’impôt, ce qui limite singulièrement les marges de manœuvre et fait de la réduction de la dépense un préalable indispensable. Par ailleurs, pour les gastronomes que nous sommes, les difficultés proviennent de l’assiette… Elle est trop étroite pour beaucoup d’impôts, à cause des niches et autres exonérations. Ce constat a pourtant été fait depuis longtemps.

Le taux facial de 34,43 % de l’impôt sur les sociétés ne correspond pas du tout à la réalité. Dans une conférence de presse, Mme Lagarde, en exposant la différence entre le taux moyen et le taux théorique, a évoqué le décrochage du taux réel qui décroît avec la taille de l’entreprise. Sur quels taux les comparaisons de l’OCDE portent-elles ? Sont-ils faciaux ou effectifs ? Selon la réponse, les marges de manœuvre existeraient ou non.

La répartition des prélèvements en faveur des différentes administrations publiques conduit à se demander si certaines dépenses, supportées en France par les organismes de sécurité sociale ne le sont pas par d’autres ailleurs. Les périmètres de dépenses sont-ils comparables ? Quelles sont les limites de l’exercice ?

Les donations permettent certes d’échapper aux droits de succession, mais ne sont-elles pas un facteur d’accélération de la croissance – l’idée étant qu’elles incitent à un transfert du patrimoine en faveur d’une génération qui consomme encore ?

M. Olivier Carré. En France, près des trois quarts de l’épargne mobilière est investie dans les livrets défiscalisés et dans l’assurance vie, dont la fiscalité est avantageuse. À l’opposé, les hauts revenus des jeunes dirigeants ou des assujettis à l’ISF sont les plus taxés car le taux marginal d’imposition joue à plein, si l’on excepte le prélèvement libératoire. En somme, l’épargne productive n’est pas forcément moins taxée que la rente.

Le problème est-il spécifiquement français ? Si oui, la fiscalité ne doit-elle pas être corrigée pour favoriser l’efficacité économique ?

L’Allemagne, bien qu’atypique, ne constitue-t-elle pas, avec son Mittelsstand, notre modèle ? La France a fait des efforts, sous l’impulsion des directives européennes, pour faciliter la mutation à titre gratuit des entreprises. Mais l’apparition des entreprises de taille intermédiaire, les ETI, ne résulte-t-elle pas d’une continuité capitalistique ? Même si les sommes en jeu ne sont pas faramineuses, la question mérite d’être posée, ne serait-ce que dans un souci d’efficacité économique.

S’agissant de la fiscalité immobilière, la résidence principale occupe une place à part, en France comme ailleurs. Son traitement dérogatoire, hérité d’une histoire spécifique, et qui opère un distinguo par rapport au reste du patrimoine immobilier, ne risque-t-il pas de fausser les comparaisons ?

M. Michel Vergnier. Vous avez indiqué, monsieur Owens, que le poids de la fiscalité devait porter plutôt sur la consommation et la propriété foncière, et vous avez appelé de vos vœux un élargissement des assiettes. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions supplémentaires ?

M. Jeffrey Owens. Dans presque tous les pays, les taux effectifs sont inférieurs aux taux nominaux, et c’est probablement encore plus vrai en France qu’ailleurs. C’est pour cette raison qu’il faut examiner la question des niches fiscales. L’OCDE plaide pour des taux plus bas et des assiettes plus larges afin de réduire les distorsions sans affecter les recettes. Nous venons d’ailleurs de publier un rapport sur ce sujet.

Si le taux nominal importe malgré tout, c’est qu’il donne un signal auquel les grandes sociétés multinationales sont sensibles. Elles constatent, par exemple, que le taux nominal est de 34 % en France et de 25 % au Royaume-Uni. L’existence d’un taux élevé a également des conséquences en matière d’optimisation fiscale : les acteurs sont incités à utiliser les différentes possibilités qui s’offrent à eux pour minimiser leur impôt.

Il existe presque partout un traitement fiscal plus favorable pour les résidences principales. L’avantage de la France est que la valorisation est beaucoup plus à jour qu’ailleurs – la dernière révision a eu lieu il y a trente ans en Angleterre. Je constate également que la plus-value réalisée sur la résidence principale n’est pas taxée en France.

M. Michel Aujean. Pour en revenir à la structure des prélèvements par type de bénéficiaires, il arrive effectivement que des prélèvements attribués dans un premier temps à l’État ou aux collectivités locales soient ensuite reversés au système de sécurité sociale. Compte tenu des différences très importantes entre la France et les autres pays, je me suis bien sûr interrogé à ce sujet. D’après les études que j’ai pu mener, notamment en Allemagne et en Belgique, les écarts ne devraient pas dépasser 5 % dans ce domaine, ce qui est assez modeste.

Tout cela rejoint naturellement un certain nombre d’observations formulées par Jean-Philippe Cotis : dans notre pays, l’ensemble du surplus économique va aux plus de soixante ans, et plus de 60 % des dépenses de protection sociale leur sont alloués.

M. Jean-Yves Cousin. Notre système fiscal repose sur la dévolution successorale telle qu’elle est régie par le code civil. C’est donc un enjeu complexe, intimement lié à notre culture. Pouvez-vous nous dire quelles sont les évolutions du droit successoral et du droit fiscal au Royaume-Uni ? Le droit civil y est-il indépendant des règles de dévolution successorale ?

Mme Arlette Grosskost. En cas de réforme en profondeur de notre fiscalité, ma préférence irait vers l’instauration d’une property tax et vers un abandon du prélèvement libératoire si l’ISF est supprimé. Dans cette hypothèse, comment traiter le problème de rétroactivité fiscale qui ne manquerait pas de se poser ?

M. Louis Giscard d'Estaing. Selon les tableaux présentés par M. Owens et par M. Aujean, la France détient la médaille d’or dans presque toutes les catégories, qu’il s’agisse des taux d’imposition ou de la part de la fiscalité dans le PIB.

Les impôts périodiques sur la propriété immobilière représentent ainsi 2,2 % du PIB dans notre pays contre 1 % en moyenne dans l’OCDE. En la matière, s’il n’existe pas de taxation spécifique sur les résidences secondaires en France, elles font l’objet de moindres abattements fiscaux que les résidences principales. Le niveau des impôts sur les mutations par décès demeure également très élevé: il atteint 0,4 % du PIB en France contre 0,14 % dans le reste de l’OCDE.

J’en viens aux comparaisons de M. Aujean sur les taux d’imposition implicites : l’imposition du travail en France, égale à 41,4 %, est supérieure de 5 points à la moyenne de l’Union européenne, et celle du capital est supérieure de 6 points à la moyenne. Notre imposition sur la consommation est « modérée », avez-vous dit, mais elle n’est inférieure à la moyenne que de 0,4 point.

J’aimerais donc savoir où sont les marges de manœuvre à la hausse. Les taux d’imposition sont déjà largement supérieurs à ceux des pays comparables.

M. Jean-Pierre Brard. Ce qu’évoque notre collègue Giscard d’Estaing est tout à fait virtuel : les taux réels n’ont rien à voir avec les taux faciaux. Il faut d’ailleurs remercier nos interlocuteurs pour leur objectivité : ils ont évité de sombrer dans la propagande et l’idéologie.

Comme on dit tout et n’importe quoi sur un éventuel rapprochement avec l’Allemagne, surtout au palais de l’Élysée, je suggère que nous mettions très vite sur pied une mission d’information afin de participer utilement au débat qui s’annonce – il est question de régler la question avant l’été. Nous devons nous prémunir contre des arguments de pure propagande qui n’ont qu’un lointain rapport avec ce qui vient de nous être exposé.

M. le président Jérôme Cahuzac. Ces auditions ont précisément pour but de nous informer avant que les propositions du pouvoir exécutif ne nous soient soumises. Un rapport de la Cour des comptes doit également porter sur le sujet.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. J’aimerais savoir, pour ma part, si la tendance est à l’exonération des plus-values mobilières au sein de l’OCDE et en Europe, ou bien si leur assujettissement fiscal est appelé à perdurer.

M. Jeffrey Owens. La tendance, en Europe et aux États-Unis, est de supprimer les taxes sur les plus-values, ou de les alléger.

La France est effectivement « en tête » en matière fiscale, avec les avantages et les inconvénients que cela implique. C’est un pays à forte imposition, dont le système fiscal est globalement assez progressif si l’on considère l’ensemble des prélèvements et des dépenses publiques – ce sont deux aspects qu’on ne peut séparer. Même si les taux effectifs sont plus faibles que les taux nominaux, ces derniers restent élevés, ce qui n’envoie pas de bons signaux économiques. Les assiettes sont assez étroites, à cause des niches, et j’observe que notre rapport annuel sur la fiscalité consacre deux pages à chaque pays, sauf à la France, traitée en six pages : en France, à chaque fois qu’on ajoute un impôt nouveau, on oublie d’en supprimer d’autres, ce qui rend son système fiscal assez complexe.

On ne peut pas dire qu’il y ait un bon élève et un mauvais élève quand on compare l’Allemagne et la France : ce sont des élèves différents.

M. le président Jérôme Cahuzac. De tels propos tenus par un Britannique nous touchent énormément !

M. Jeffrey Owens. Quand on s’intéresse au niveau d’imposition allemand par rapport à celui de la France, il ne faut pas oublier que ce pays a un système fédéral et que son administration fiscale n’est pas unique, contrairement à celle de la France.

M. Michel Aujean. La question est de savoir quel est le fil directeur en matière de convergence. S’il s’agit de la compétitivité et de l’efficacité du système fiscal, l’idée que l’instauration d’une property tax n’est pas souhaitable compte tenu de la lourde imposition frappant déjà l’immobilier ne m’inquiète pas trop. Cela n’affectera pas notre compétitivité.

Je ne peux pas vous répondre sur l’évolution dans le temps du droit successoral britannique. J’ai demandé, en revanche, qu’on vous remette le rapport particulier sur la fiscalité du patrimoine que j’ai rédigé pour le Conseil des prélèvements obligatoires en 2009. Vous constaterez en le lisant que les systèmes britanniques et américains ne prennent pas en compte le degré de parenté. C’est ce qui fait leur grande simplicité, notamment en ce qui concerne les familles recomposées.

Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris la question portant sur la rétroactivité fiscale…

Mme Arlette Grosskost. Je suis favorable à la property tax dans le cadre d’une modification en profondeur de notre système fiscal, et je suis pour la suppression du prélèvement libératoire si l’on supprime l’ISF dans le même temps. Mais quid de la rétroactivité fiscale dans ce cas, aussi bien pour le stock que pour les flux ? Comment doit-on procéder ?

M. le rapporteur général. Vous posez la question de la révision des valeurs locatives. Je rappelle que la fiscalité foncière est une affaire de stock et que l’assiette sera modifiée pour l’avenir.

M. Bert Brys, économiste en fiscalité à l'OCDE. La France n’est pas le seul pays qui ait instauré un traitement fiscal spécifique pour certains produits de l’épargne, tels que le Livret A, mais ces dispositifs sont plus nombreux en France. J’ajoute que beaucoup de pays sont en train de procéder à une évaluation de l’efficacité réelle des niches fiscales. Les travaux empiriques ont montré qu’elles n’augmentaient pas la collecte de l’épargne, et qu’elles n’influaient que sur sa composition. Il serait donc préférable de réduire les taux d’imposition et d’élargir l’assiette.

En matière d’épargne, il convient de ne pas considérer uniquement les impôts acquittés par les ménages : il faut aussi prendre en compte le taux effectif d’imposition du capital, ce qui pousse à inclure l’impôt sur les sociétés. Là encore, le système français se caractérise par un taux élevé et une assiette étroite. L’impôt tend de plus en plus à devenir un impôt sur les sociétés ne pratiquant pas la « fiscalisation active » : les plus petites entreprises paient davantage que les autres. Nous pensons donc qu’une réforme fondamentale s’impose.

Je rappelle, en dernier lieu, que l’immobilier est un investissement, au même titre que les actions. Il est donc légitime de se demander si ces deux types d’investissements font l’objet d’une imposition égale.

M. Jeffrey Owens. Le droit fiscal et le droit civil sont deux éléments distincts en Angleterre. Le régime des droits de succession est très stable : il n’y a quasiment pas eu de changement en trente ans, même si un débat a été engagé sur le sujet il y a deux ans. De manière générale, on observe que les recettes augmentent.

M. Hervé Mariton. En quoi consisterait, selon vous, une convergence fiscale entre plusieurs pays ? Est-elle possible ? Quel sens aurait-elle ?

M. Michel Diefenbacher. La notion de property tax me paraît très intéressante. Cela fait apparaître clairement que si l’on veut traiter équitablement l’ensemble du patrimoine immobilier, il faut agir sur l’ISF, impôt d’État, mais aussi sur la taxe foncière, impôt local. Existe-t-il des analyses précises sur ce sujet ? Quels enseignements peut-on tirer des expériences réalisées à l’étranger ?

M. le rapporteur général. Je voudrais vous interroger sur la fuite des capitaux, qui est au cœur des réflexions en matière de fiscalité du patrimoine : lorsqu’on a rétabli l’ISF en 1988, on s’est immédiatement posé cette question et on a donc introduit un mécanisme de plafonnement. Certains prétendent que le plafonnement du plafonnement, instauré en 1995-1996, a provoqué des départs à l’étranger, en particulier celui de contribuables vendant leur entreprise. Le plafonnement a ensuite été renforcé par le biais du bouclier fiscal en vue de prévenir les risques de fuite de capitaux et de délocalisation. Quel est, selon vous, dans la situation particulière de la France, le lien entre la fuite des capitaux et d’éventuels excès dans certaines formes de fiscalité du patrimoine en France ?

M. Olivier Carré. Il me semble qu’on s’oriente aujourd’hui vers une imposition des revenus du capital via une flat tax ou un prélèvement libératoire. C’est ce que montrent, en particulier, les exemples allemands et néerlandais. Or, cette évolution entre en contradiction avec l’idée que l’impôt n’est pas suffisamment progressif pour ce type de revenus. Y a-t-il eu un débat sur ce sujet dans les pays qui ont instauré une flat tax ? Pourquoi ont-ils choisi d’adopter ce système au lieu de chercher à atteindre l’objectif de progressivité ?

M. Michel Aujean. Vous me demandez en quoi la convergence fiscale peut consister, mais tout dépend de l’objectif visé. S’il s’agit d’assurer la compétitivité, on essaiera de faire converger les impôts ayant une incidence dans ce domaine.

La réflexion porte sur la fiscalité des entreprises dans la perspective d’un rapprochement entre la France et l’Allemagne parce que cette imposition est le nœud de la compétitivité fiscale. Mais c’est aussi l’embryon d’une convergence qui pourrait s’étendre, dans un second temps, à d’autres domaines. Dans l’hypothèse d’une convergence entre la France et l’Allemagne en matière de fiscalité des sociétés, en suivant un modèle qui pourrait être européen – je rappelle que la Commission européenne devrait faire une proposition d’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés dans deux mois –, on peut envisager d’étendre la convergence à d’autres domaines, en particulier à la fiscalité des dividendes, et ce sera beaucoup plus facile s’il existe déjà un « noyau dur ».

M. Hervé Mariton. Quelle pourrait être l’étape suivante ? Les droits de mutation ?

M. Michel Aujean. Ce n’est peut-être pas le domaine le plus important, exception faite des droits de mutation pour les entreprises.

Un autre fil directeur pourrait être la coordination européenne, que ce soit en matière budgétaire ou dans un certain nombre d’autres domaines, tels que la TVA, où une harmonisation ne s’impose pas, mais qui nécessitent une coordination afin d’éviter des situations de double imposition ou de non-imposition. C’est une hypothèse intéressante, mais elle est au moins aussi complexe que la précédente : les dispositifs seront difficiles à concevoir et à mettre en place.

La plupart des pays disposant d’une property tax l’ont instaurée au niveau local, ce qui pose la question du financement des collectivités locales par rapport au financement de l’État central. C’est un débat qu’il faudra probablement engager à un moment ou à un autre.

Personne ne sait très précisément pourquoi on croise autant de Français habitant en Belgique quand on prend le Thalys. Il est certain que ceux qui doivent réaliser une plus-value et qui ne peuvent pas contourner notre système fiscal ont tendance à se placer dans un autre cadre que la législation française. À cela s’ajoute la question de la transmission des entreprises en cas de succession mais aussi de vente. Très peu de pays ont réussi à résoudre ce problème, sur lequel la Commission européenne a fait une communication en 2006 : il existe très peu de régimes combinant l’avantage d’être attractifs et en même temps protégés de la fraude et de la fuite des capitaux en ce qui concerne la transmission des entreprises par vente. C’est un vrai problème qui doit susciter une vraie réflexion.

Il existe effectivement une tendance à la généralisation de la flat tax et du prélèvement forfaitaire libératoire. Ce mouvement a pour origine les pays nordiques, qui se sont quasiment trouvés dans l’obligation d’instaurer un système dual du fait de leur taux marginal particulièrement élevé pour l’imposition du revenu. Si les revenus de capitaux font l’objet d’un traitement spécifique, les prélèvements sur les revenus des personnes physiques sont élevés, effectivement progressifs, et caractérisés par une assiette relativement large, comportant peu de niches. Le système est donc cohérent. Dans un tel cadre, qui permet d’atteindre en grande partie les objectifs de collecte et de redistribution, on peut comprendre que de petits pays, tels que le Danemark, la Finlande et la Suède, choisissent d’instaurer des prélèvements forfaitaires libératoires à des taux sensiblement réduits afin de lutter contre la fuite des capitaux.

Dans le cas de la France, la difficulté est que d’un côté, l’assiette et la progressivité de l’impôt sur le revenu ne sont plus suffisantes et que, de l’autre, le taux du prélèvement forfaitaire libératoire est élevé mais l’assiette n’est pas à la hauteur de la situation.

M. Jeffrey Owens. Entre 80 % et 85 % des recettes sont issues, dans tous les pays, de quatre types de prélèvements : l’impôt sur le revenu des personnes physiques, l’impôt sur les sociétés, la TVA et les contributions sociales.

Cela étant, chaque système reflète une structure économique, des valeurs sociales et un système politique. J’imagine mal, dans ces conditions, qu’on puisse rapidement instaurer un même système fiscal dans des pays très différents à l’origine. On peut, en revanche, avancer à l’échelle européenne – j’observe, à titre d’exemple, que l’objectif d’harmonisation de la TVA est loin d’avoir été réalisé. Il me semble en conséquence que les efforts devraient porter sur le plan européen plutôt qu’entre deux pays en particulier.

M. Bert Brys. C’est surtout la compétitivité internationale qui compte en matière de convergence. En France, même si le taux effectif de l’impôt sur les sociétés est plus faible que le taux nominal, ce dernier reste très frappant pour les investisseurs étrangers.

Quant à moi, je parlerai de mobilité plutôt que de fuite des capitaux. N’oublions pas le cas des personnes fortunées qui ne souhaitent pas avoir leur résidence fiscale en France afin de ne pas être taxées au titre de l’ISF. La question de la mobilité des capitaux est de nature empirique. S’il était avéré qu’elle pose un problème en France, il conviendrait alors de réformer l’ISF : l’équité du système fiscal est certes un objectif essentiel, mais il est possible de l’atteindre grâce à d’autres taxes, notamment grâce à celle qui porte sur les plus-values.

M. Louis Giscard d'Estaing. J’aimerais revenir sur le taux d’imposition des grands groupes multinationaux français, notamment des entreprises du CAC 40 : il paraît que leur taux d’imposition consolidé est de l’ordre de 8 ou 10 %, loin du taux théorique de 33 1/3 %. Ces entreprises procèdent à une optimisation fiscale dans d’autres pays, pour la plupart membres de l’OCDE, sauf évasion fiscale vers d’autres États. J’aimerais savoir dans quelle mesure les entreprises ayant leur siège social en France pourraient bénéficier d’un régime fiscal plus avantageux que leurs concurrentes installées dans d’autres pays de l’OCDE ?

M. Michel Aujean. Les entreprises multinationales et les groupes d’entreprises représentent aujourd’hui 70 % du commerce intracommunautaire. C’est dire l’importance de la structuration intragroupe : de nombreuses transactions correspondent en réalité à l’application de prix de transfert à l’intérieur d’un même groupe et à un mode de financement par emprunt, qui permet de bénéficier de la déductibilité des intérêts – ce sont là les deux branches principales de la planification fiscale. D’où la mise en place de législations nationales spécifiques et la réalisation de travaux dans le cadre de l’OCDE pour donner aux États les moyens de contrôler l’application des prix de transfert.

Cela n’empêche pas le développement de la concurrence fiscale, qui est bien plus vive au sein de l’Union européenne qu’avec le reste du monde. En attestent la baisse des taux nominaux d’imposition des sociétés, beaucoup plus marquée dans l’Union européenne que dans le reste du monde, ainsi que le nombre des régimes particuliers. Ces derniers ont fait l’objet d’un code de bonne conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises au sein de l’Union et d’un démantèlement des régimes préférentiels dans le cadre de l’OCDE – tout un travail a été réalisé en vue de rapprocher les taux effectifs des taux nominaux.

D’après une étude mise en ligne par la société Taj, au sein de laquelle je travaille, les entreprises ne sont pas très intéressées par des taux nominaux élevés et par des niches fiscales : elles préféreraient un système plus simple et plus stable, prévoyant une assiette plus large et des taux plus faibles. Nos interlocuteurs nous indiquent, par ailleurs, que leur taux d’imposition effectif est d’environ 20 %.

D’une façon générale, s’il existe bien une problématique liée à l’imposition des grands groupes multinationaux, elle est accentuée dans un pays tel que la France, dont le taux nominal est pratiquement le plus élevé de l’Union européenne et dont l’assiette fiscale permet certaines « évolutions ».

M. le rapporteur général. Existe-t-il des pays où le taux d’IS est minoré en cas de réinvestissement dans l’entreprise ?

M. Michel Aujean. Il y a eu des exemples, mais je ne pense pas qu’il y en ait encore.

M. Alain Rodet. J’aimerais que vous reveniez sur le taux de l’impôt sur les sociétés en Irlande – il est de 12,5 %, avec les résultats que l’on sait.

M. Olivier Carré. En valeur nominale, le produit de l’IS collecté en Allemagne est inférieur de près de 20 % au montant collecté dans notre pays – 50 milliards d’euros contre 60 milliards. Je sais bien que les taux sont différents, mais on a l’impression que l’amélioration de l’assiette ne change rien.

M. le président Jérôme Cahuzac. La comparaison n’est pas forcément très pertinente : une grande partie des recettes est, en réalité, transférée sur l’IR en Allemagne.

M. Michel Aujean. La comparaison est effectivement difficile : près de 75 % des sociétés allemandes sont, non pas des sociétés de capitaux, mais des sociétés de personnes. Elles ne sont donc pas soumises à l’IS, mais à l’IR. C’est pourquoi la part de l’IS n’est que de 1,2 % du PIB en Allemagne, contre 2,6 % en France.

Les recettes de l’impôt sur les sociétés sont restées stables en Europe alors que les taux ont baissé de 30 % en moyenne depuis dix ans. Ce paradoxe, qui pourrait pousser à croire que la concurrence fiscale importe peu, s’explique par trois phénomènes : la profitabilité était plus élevée jusqu’en 2008, ce qui signifie que l’imposition des profits rapportait davantage ; la baisse des taux d’imposition s’est accompagnée d’un élargissement de l’assiette dans la plupart des pays ; de plus en plus d’entreprises individuelles ont, par ailleurs, opté pour une forme sociétaire. La stabilité de l’IS s’est donc accompagnée d’une baisse de l’IR.

M. Jeffrey Owens. Le taux d’IS irlandais est le plus bas de l’OCDE, mais est-ce vraiment le moment de pousser ce pays à le remonter ? L’Irlande doit sortir de la crise, et elle doit attirer les investissements pour y parvenir. Dans ces conditions, le débat pourrait sans doute attendre deux ou trois ans.

M. le président Jérôme Cahuzac. Nous vous remercions, messieurs, de vous être prêtés à cette audition.

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* *

Puis la Commission entend la communication, ouverte à la presse, de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur spécial, sur un rapport d’enquête demandé à la Cour des comptes en application du 2° de l’article 58 de la LOLF, concernant le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la Défense

M. Charles de Courson, Président. M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur spécial pour le budget opérationnel de la Défense, nous présente une communication sur un rapport d’enquête que la Cour des comptes a réalisé à notre demande, selon la procédure prévue au 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances.

Monsieur le Rapporteur spécial, nous vous écoutons sur le coût et les bénéfices attendus des externalisations au ministère de la Défense.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur spécial. Confier une activité militaire à une entreprise privée tend à inspirer un sentiment de méfiance instinctif, compte tenu de la mission particulière des armées. Mais il faut bien rationaliser les dépenses publiques et répondre à l’augmentation continue des besoins de financement. Les pouvoirs publics ont donc été conduits à expérimenter, puis à développer des partenariats entre le ministère de la Défense et les entreprises privées, comme l’ont fait les pays comparables au nôtre.

Depuis 2002, pas moins de cinq rapports parlementaires spécifiques – dont quatre publiés par l’Assemblée nationale – sont venus alimenter la réflexion sur la question des externalisations de la défense et des financements innovants.

Le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur le financement des opérations extérieures, que j’ai présenté en juillet 2009 avec Françoise Olivier-Coupeau, avait attiré l’attention de la commission des Finances sur l’utilité de poursuivre cette réflexion.

C’est pourquoi, en application de l’article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la commission des Finances de l’Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur « le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la défense ». Le rapport rendu par la Cour, qui est à votre disposition sur les tables, met en évidence l’intérêt du sujet et incite à en poursuivre l’étude.

La consultation de ce rapport d’enquête m’inspire cinq observations.

Première observation : l’externalisation a d’abord été vécu davantage comme une nécessité que comme un choix librement consenti. Les raisons du recours croissant à des sociétés extérieures aux armées sont multiples. Elles tiennent principalement à la disparition de la main-d’œuvre constituée par les appelés. Souvenons-nous qu’ils exerçaient un certain nombre de fonctions ou de facteurs, ce qui a été remis en cause avec la fin du service national. Elles tiennent aussi à la contrainte pesant sur les moyens budgétaires. Mais l’externalisation est également encouragée par la nécessité de bénéficier d’une expertise constamment actualisée.

La Cour des comptes souligne que les administrations ont commencé à externaliser des fonctions de soutien élémentaires depuis les années 1990. Quelques-unes ont eu recours à des partenariats public–privé pour pouvoir répondre à des besoins importants difficiles à financer dans le cadre d’un budget contraint. Mais il a fallu attendre 2002-2003 pour que s’amplifie le mouvement dans le cadre de la stratégie ministérielle de réforme. Par la suite, la mise en œuvre de la RGPP et les décisions prises en matière de non-remplacement d’une partie des fonctionnaires partant en retraite ont donné un nouvel élan au développement des externalisations.

Le ministère de la Défense a engagé une réforme reposant sur une réorganisation de l’administration et des soutiens permettant, à qualité de prestation au moins égale, de réduire les coûts en ces domaines. Les gains économiques et budgétaires doivent être réemployés pour l’acquisition d’équipements et l’amélioration de la condition des personnels.

Selon les principes posés à l’été 2008 pour le ministère de la Défense, partenariats et externalisations sont soumis à quatre conditions qui doivent être réunies simultanément :

– les projets ne doivent pas affecter la capacité des armées à réaliser leurs missions opérationnelles. Nous pouvons prendre l’exemple du corps des marines, aux États-Unis, dont la restauration est externalisée, mais seulement sur le sol américain ;

– ils doivent assurer dans la durée des gains économiques et budgétaires significatifs, évalués par une méthode rigoureuse ;

– ils doivent préserver les intérêts du personnel au travers de conditions de reclassement correctes ;

– ils ne doivent pas favoriser la création d'oligopoles chez les fournisseurs, mais au contraire, permettre l’accès des PME à ces marchés.

Chaque opération est donc décidée au cas par cas, au regard de ces critères, après analyse des résultats d'une étude préalable solide dont les règles sont mises en place par la mission d’appui aux partenariats public–privé, placée auprès du secrétaire général pour l’administration.

Deuxième observation : malgré les critères édictés par le ministère de la Défense, la Cour des comptes considère que les externalisations doivent être mieux encadrées. Elle appelle à la prudence et distingue deux écueils à éviter.

Le premier écueil consisterait à envisager l’externalisation comme substitut aux réformes. Citant l’exemple du renouvellement en une seule fois de plus de 20 000 véhicules de la gamme commerciale, la Cour reconnaît que le recours à l’externalisation était en l’occurrence nécessaire. Pour autant constate-t-elle, l’externalisation ne doit pas devenir un principe général d’administration permettant de ne pas réaliser en interne des réformes qu’on ne sait pas ou qu’on ne veut pas mener.

Le deuxième écueil est d’utiliser l’externalisation pour « contourner l’obstacle budgétaire ». La tentation est de remplacer par des loyers de titre 3, certes limités mais durables, des financements d’équipement de titre 5 insuffisants. C’est un choix à courte vue. La Cour cite en exemple le choix, qualifié d’« erroné », de louer avec option d’achat des Airbus A 340, au lieu de les acheter directement, en vue du transport à longue distance de nos forces. Elle se montre sceptique à l’égard du projet de vente de l’usufruit des satellites de télécommunications militaires Syracuse, qui « obéit plus à la volonté de créer des recettes exceptionnelles qu’à une opération d’externalisation ».

Dans un contexte budgétaire difficile, l’externalisation ne doit donc être ni une alternative à des réformes nécessaires ni une « finance inventive » qui finirait par alourdir les charges futures. Elle doit être l’instrument d’une efficacité accrue du ministère de la Défense et de l’État.

La Cour des comptes distingue à juste titre plusieurs séries de contrats d’externalisation, répondant à des démarches différentes. Ils appellent des observations qui ne sont pas de même nature, à mesure que la démarche prend de l’ampleur.

Ma troisième observation sera pour rappeler que l’externalisation a commencé avec la mise en œuvre d’une sous-traitance classique.

Plusieurs domaines sont concernés par des opérations d’externalisation : la restauration, l’infrastructure, le soutien informatique ou encore le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. Notons que certaines opérations de partenariat prennent en compte l’externalisation de tout ou partie des prestations de services associées. C’est notamment le cas du projet Balard pour les fonctions de restauration, accueil, maintenance immobilière et informatique, ainsi que pour la sécurité, ce qui attire l’attention, car il paraît paradoxal d’externaliser la sécurité de nos forces de sécurité…

En matière de restauration, d’hôtellerie, de loisirs, une première opération portant sur un périmètre limité dans un premier temps à huit sites concernant 356 emplois a été lancée. Il s'agit d'une première expérimentation recouvrant essentiellement la fonction restauration et qui porte sur près de deux millions de repas par an, soit 5 % du total des repas servis au ministère de la Défense.

L’externalisation de la fonction habillement, qui représente entre 170 et 180 millions d’euros d’achats par an et un stock évalué à 750 millions d’euros, est également envisagée. La passation du marché est prévue pour 2012. Tout cela est classique et appelle simplement un contrôle de gestion de bonne qualité.

Mais, et c’est la quatrième observation, des partenariats plus ambitieux sont développés. Deux projets conséquents ont déjà été lancés : la formation initiale des pilotes d’hélicoptères et le déménagement d’un opérateur du ministère.

Le ministère de la Défense achète désormais des heures de vol d’hélicoptères au profit de l’école d’application de l’aviation légère de l'armée de terre de Dax (EAALAT-Dax). L’opération, basée sur un contrat de 22 ans signé avec une société privée, permet le remplacement de la flotte actuelle de 54 Gazelle, entretenue par du personnel du ministère de la Défense, par une flotte de 39 hélicoptères de type EC-120 et par l’adaptation des infrastructures mises à la disposition du groupement. Le partenaire privé est chargé de l’entretien des hélicoptères et de leur mise à disposition de l’école et il peut vendre à des tiers le potentiel d’heures non consommées par celle-ci.

Le contrat de partenariat devrait permettre de réaliser, pour le périmètre externalisé, une économie de 8 % en valeur actualisée nette par rapport à une approche classique. Mais la durée de l’engagement de l’État doit inciter l’autorité budgétaire à la vigilance.

Deuxième projet, le déménagement de l’ENSTA (École nationale supérieure des techniques avancées) sur le site de Palaiseau a fait l’objet d’un contrat signé début juillet 2009, dans le cadre du dispositif d’une AOT-LOA (autorisation d’occupation temporaire-location avec option d’achat). La livraison des bâtiments est prévue pour la rentrée 2012.

D’autres grandes opérations d’externalisation sont envisagées à très court terme. Certaines seront rendues nécessaires par le montant financier de ces opérations, que le ministère ne pourrait mobiliser seul, sauf à étaler ces opérations sur une très longue durée. J’en citerai trois :

– d’abord le transport stratégique maritime par navires rouliers. Ce projet vise à acquérir des capacités de transport et de logistique pour la projection de forces en cas de crise sur un théâtre d’opération extérieur. Il a pour vocation à se substituer aux contrats d’affrètement actuels ;

– ensuite l’acquisition de bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers : un partenaire privé se verra confier le soin de mettre en construction ou d’acquérir d’occasion huit navires. Quatre de ces bateaux seraient armés par des équipages militaires car destinés à des missions de nature militaire, tandis que le reste de la flotte serait armé par des équipages civils pour conduire des tâches concourant au service public et de nature civile ;

– en troisième lieu, le regroupement de l’administration centrale à Balard. Le projet de regrouper les états-majors et les services centraux du ministère de la Défense à Balard devrait aboutir à la signature d’un contrat au cours du printemps 2011.

Mais, et c’est ma dernière observation, d’autres partenariats sont à l’étude. J’en donnerai trois exemples :

– la cession de l’usufruit des satellites de télécommunication. L’opération consiste à céder à un opérateur économique l’usufruit des ressources de communication des satellites et à satisfaire les besoins des armées par une location de fréquences. L’opérateur pourra louer la ressource non utilisée à des tiers afin de rationaliser l’utilisation des satellites ;

– le remplacement des avions de surveillance et d'intervention maritime actuellement en service et qui arriveront en fin de vie en milieu de décennie. Il s’agit d’examiner si le recours à un contrat de partenariat peut constituer une alternative opportune à une acquisition classique ;

– enfin, la mise à disposition d’un parc de véhicules légers tactiques polyvalents non protégés destiné à remplacer le parc actuel vieillissant. Les premiers travaux d’étude préalable ont démarré afin d’examiner l’intérêt éventuel d’une démarche de partenariat.

En conclusion, je voudrais souligner que, fidèle à son habitude, la Cour des comptes présente un rapport détaillé, rigoureux et très bien documenté. Mais c’est un point de départ pour des choix politiques, plutôt qu’un point final.

Je constate que le rapport soulève un certain nombre de questions relatives à la méthodologie et au périmètre des externalisations. Pour l’heure, le ministère de la Défense n’apporte pas encore de réponses pleinement satisfaisantes. Certaines ambiguïtés et incertitudes non négligeables subsistent : par exemple, les postes supprimés dans le cadre de l’externalisation sont-ils inclus dans la déflation des 54 000 suppressions annoncées ou viennent-ils en sus ? Enfin, la Cour relève que « les insuffisances méthodologiques et le manque de données ne permettent pas à ce jour de conclure définitivement et de façon globale sur l’intérêt économique des externalisations ». Nous retrouvons ici une nouvelle fois les difficultés nées de ce que le ministère de la Défense ne dispose pas encore d’une comptabilité analytique permettant le suivi de ses diverses activités.

Au-delà de l’aspect strictement financier, qui justifierait à lui seul une attention particulière sur le sujet compte tenu des sommes engagées, la conclusion de partenariats avec des entreprises privées dans le but de concourir à l’accomplissement de missions régaliennes de l’État exige un strict contrôle de la représentation nationale.

C’est la raison pour laquelle il serait souhaitable de définir le cadre adéquat continuer à travailler sur ce sujet en évolution perpétuelle, et examiner en particulier toute nouvelle orientation qui serait envisagée par le Gouvernement.

En tant que rapporteur spécial, je suis prêt à y travailler. On peut aussi envisager de soumettre le sujet à la MEC.

Je vous remercie de votre attention.

M. Alain Rodet. La Cour des comptes a-t-elle analysé les procédures d’appel d’offres et les cahiers des charges établis par le ministère de la Défense dans le cadre de ces opérations d’externalisation ? Certains de nos partenaires européens tels que l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie ne font jamais appel à l’externalisation, lui préférant des procédures de dévolution particulière. Par ailleurs, quid de la maintenance de certains appareils, notamment les véhicules tactiques de l’armée de terre ? Il y a quelques semaines, un important marché relatif au porteur polyvalent terrestre a ainsi été remporté, pour une simple raison de coût, par Iveco, filiale du groupe Fiat, et ce au détriment d’entreprises françaises telles Renault Trucks Défense ou Nexter. Or il semblerait que le cahier des charges n’ait pas été entièrement respecté et que des problèmes de maintenance risquent de se poser à l’avenir, d’autant que Fiat envisage de se séparer d’Iveco.

M. Louis Giscard d’Estaing. Sur les comparaisons européennes, je rappelle que la Cour des comptes s’est intéressée aux seuls cas britannique et allemand. Les autres pays cités par notre collègue Alain Rodet n’ont donc pas fait l’objet d’une analyse particulière dans le cadre de cette enquête.

Par ailleurs, la procédure de l’appel d’offres avec cahier des charges, utilisée dans le cas du porteur polyvalent terrestre, est distincte de la procédure d’externalisation. En revanche, il serait intéressant de comparer les cahiers des charges élaborés par le ministère de la Défense français et les cahiers des charges établis par nos partenaires européens afin de s’assurer que les entreprises nationales ne sont pas défavorisées dans le cadre des appels d’offres passés par les forces françaises. La Cour des comptes n’a pas spécifiquement étudié cette problématique, mais peut-être pourrions-nous le lui suggérer ou l’étudier à notre tour.

M. Charles de Courson, Président. Je souhaiterais poser deux questions à notre rapporteur. Le contrat passé avec l’EAALAT de Dax devrait permettre de réaliser une économie de 8 % sur une période de 22 ans, ce qui semble particulièrement intéressant. Dispose-t-on d’une estimation des coûts de la même opération si elle était réalisée en interne ? La même question se pose dans le cas de l’ENSTA : a-t-on calculé ce qu’aurait coûté la même opération si elle avait été prise en charge par le génie ? Si l’on multiplie ces contrats de partenariat et ces procédures d’externalisation, ne faut-il pas en tirer les conséquences qui s’imposent quant à une éventuelle restructuration des services précédemment chargés de telles opérations en interne ?

Ces contrats ne représentent encore qu’une part marginale de la mission Défense. Toutefois, s’ils venaient à prendre de l’importance, de l’ordre de 10 à 20 % du budget du ministère, quelles seraient les marges de manœuvre dont celui-ci disposerait en période de restriction budgétaire alors que ces contrats courent sur une période relativement longue ? Notamment, quelles sont les clauses de sortie associées à de tels contrats ? Je note d’ailleurs que les collectivités territoriales connaissent des problèmes similaires.

M. Louis Giscard d’Estaing. Concernant l’EAALAT, je me permets de rappeler l’exemple du porte-avions Charles-de-Gaulle. Pendant la période où il a été indisponible, il a fallu trouver une solution alternative pour continuer d’assurer la formation de nos pilotes. Un accord avait alors été conclu avec la US Air Force en ce sens.

Un gain net est attendu de l’opération de l’EAALAT. Au sein de la structure strictement militaire, il n’est pas possible de vendre des heures de formation au bénéfice de pilotes civils. Dans certains pays, les écoles militaires peuvent facturer des formations à des opérateurs privés. Ce n’est pas le cas en France.

Sur l’ENSTA et la comparaison entre le coût « externalisé » et le coût « en régie », il s’agit d’un problème de comptabilité analytique et de moyens capacitaires par rapport à une déflation des effectifs. Tant que le corps du génie pouvait bénéficier du concours des appelés, la ressource était suffisante pour réaliser de tels travaux. Avec la professionnalisation des armées et la réduction des effectifs, la ressource interne est devenue plus rare. Il est alors apparu logique de faire davantage appel à l’externalisation.

M. François Goulard. Notre collègue Charles de Courson a évoqué un problème qui dépasse largement le cas du seul ministère de la Défense : celui d’avoir des structures qui, faute de disposer de crédits suffisants, sont à la fois surdimensionnées et sous-employées par rapport à leur utilité réelle. Dans les services extérieurs de l’État notamment, de nombreuses structures sont ainsi en sous-activité car si leurs effectifs diminuent, les crédits qui leur sont alloués diminuent encore plus rapidement.

M. Louis Giscard d’Estaing. Il s’agit du problème des missions opérationnelles. Dans la loi de programmation militaire, un certain nombre de missions ont été identifiées, qui doivent être prises en charge par nos forces. Dans le cadre du contrat de missions opérationnelles, des moyens humains et budgétaires ont été attribués afin d’en permettre la réalisation. Toutefois, il est des cas, sur certains théâtres d’opérations, où la demande opérationnelle n’est pas constante. Ainsi avons-nous dû faire face à des contraintes de logistique aérienne lors des missions effectuées au Tchad. L’Afghanistan est également un pays particulièrement enclavé. Cependant, la mise en place d’une base navale à Abou Dhabi a permis l’affrètement de moyens navals plus importants.

Enfin, pour situer la portée de la question de la flexibilité des contrats d’externalisation – ou leur absence de flexibilité eu égard à leur durée – je me permets de rappeler les comparaisons effectuées par la Cour des comptes. Celle-ci souligne que l’externalisation représente environ 25 % du budget de la défense britannique et 5 % du budget de la Bundeswehr, ce dernier ordre de grandeur étant comparable à celui de la France. Quant aux contrats évoqués par Charles de Courson, ils appartiennent à ce que la Cour des comptes qualifie de « noyau dur » des externalisations, qui totalise 951 millions d’euros, soit 2,5 % du budget du ministère de la Défense français. Les contrats de sous-traitance passés par le ministère pour l’entretien des matériels représentent quant à eux 584 millions d’euros, soit 1,5 % du budget, tandis que le coût de l’externalisation liée aux opérations militaires extérieures est d’environ 160 millions d’euros sur une masse totale de quelque 1,7 milliard d’euros. Au total, ces montants restent donc relativement limités lorsqu’on les rapporte au budget total de la Défense, ce qui ne doit pas nous empêcher d’évaluer la qualité de la politique suivie.

M. François de Rugy. La Cour des comptes semble inciter le ministère de la Défense à l’acquisition d’avions de transport à long rayon d’action, alors qu’il me semble qu’il s’agit essentiellement de transports à caractère exceptionnel, assez difficilement prévisibles au niveau de leur fréquence et de leur importance. Ne serait-il pas plus logique de faire appel à de l’affrètement ou à des locations temporaires ? Quels sont les arguments avancés par la Cour des comptes qui semble, dans ce cas précis, critiquer l’externalisation ?

M. Louis Giscard d’Estaing. Il s’agit précisément de l’acquisition des Airbus A340. Ces avions répondent à plusieurs demandes, notamment en ce qui concerne nos forces prépositionnées dans les collectivités d’outre-mer ou à Djibouti par exemple, et qu’il s’agit de relever régulièrement. Ces transports ne sont pas liés, dans ce cas, à des engagements sur des opérations extérieures, mais plutôt au fait que notre logistique de transport nécessite des besoins permanents pour la relève de ces troupes. Les Airbus A340 répondent à ce besoin capacitaire permanent. La position de la Cour des comptes en faveur de l’acquisition de ces appareils est liée à ce qu’ayant pris acte d’un besoin capacitaire réel, elle a comparé les coûts des différentes options possibles, et constaté que la formule choisie est la plus coûteuse, surtout si les appareils loués sont finalement achetés.

Pour le reste, dans certains cas, des affrètements sont réalisés, il est également fait recours à des avions de type Casa, afin de répondre au problème du déficit capacitaire de notre transport stratégique lié aux retards de l’Airbus A400M.

M. Henri Nayrou. Où en est le dossier de l’appareil militaire A400M ?

M. Charles de Courson, Président. Bien que ce sujet dépasse le cadre de cette audition, notre rapporteur peut-il fournir quelques indications à notre collègue ?

M. Louis Giscard d’Estaing. Effectivement, ce domaine relève de notre collègue Jean-Michel Fourgous, Rapporteur spécial des crédits d’équipement des forces de la Défense. Vous savez néanmoins qu’un accord a été trouvé. Le président d’EADS, M. Louis Gallois, en a fait publiquement état, ainsi que le ministre de la Défense de l’époque, M. Hervé Morin, en réponse à une question d’actualité que je lui avais posée. Les premiers appareils A400M devraient être livrés à l’armée de l’air à l’horizon 2013.

Ce programme a connu un retard évalué à deux ans au minimum. Il faut reconnaître que les conditions initiales du contrat étaient particulières, au regard notamment des délais impartis à EADS pour le développement d’un avion très innovant, délais incompatibles avec un programme de cette ampleur. Ce retard a été en partie compensé par des mesures palliatives, visant à assurer notre capacité de transport logistique et stratégique jusqu’à la livraison de ces appareils. Il a fallu un accord entre tous les pays partenaires pour mener à son terme ce programme et assurer le financement des surcoûts. Mais reconnaissons que l’abandon définitif du projet aurait eu des conséquences graves, tant du point de vue financier lié au dédit, que pour la situation de l’emploi dans la filière aéronautique française. Il convient donc de se féliciter de cet accord. Les choses sont maintenant en bonne voie, comme le prouve le vol inaugural réalisé à l’automne dernier.

M. Henri Nayrou. Je tiens à préciser que la Caisse des dépôts vient d’apporter quelques centaines de millions d'euros dans l’escarcelle de l’A400M, qui devrait permettre de trouver rapidement des solutions pour le remplacement rapide des Casa et des Transall.

M. Charles de Courson, Président. Mes chers collègues, ce rapport ayant été réalisé à notre demande, c’est à nous qu’il incombe d’en assurer la publication. Je propose donc à la Commission d’autoriser cette publication, sous forme d’un rapport d’information accompagné d’une introduction de notre Rapporteur spécial.

Il n’y a pas d’opposition ? Il en est ainsi décidé.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 2 février 2011 à 9 heures

Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Claude Bartolone, M. Jean-Marie Binetruy, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, Mme Chantal Brunel, M. Jérôme Cahuzac, M. Bernard Carayon, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. Alain Joyandet, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Patrick Lemasle, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mathis, M. Pierre Moscovici, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, Mme Béatrice Pavy, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. François de Rugy, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier, M. Gaël Yanno

Excusés. - M. Jean-Claude Flory, M. Victorin Lurel, M. Nicolas Perruchot

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