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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 4 décembre 2007

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, et examen en application de l’article 86, alinéa 8, du Règlement, du rapport sur la mise en application de la loi n° 2006-685 du 13 juin 2006 relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble (M. Jean Tiberi, rapporteur, M. Christophe Caresche, co-rapporteur). 2

– Information relative à la Commission

La Commission a procédé à l’audition de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, et examiné, en application de l’article 86, alinéa 8, du Règlement, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2006-685 du 13 juin 2006 relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble (M. Jean Tiberi, rapporteur, M. Christophe Caresche, co-rapporteur).

Le président Jean-Luc Warsmann a rappelé que la commission des Lois avait généralisé depuis le début de la législature l’évaluation de l’application de chaque loi, une fois que celle-ci a été votée et promulguée, en confiant ce travail conjointement à un rapporteur issu de la majorité et à un co-rapporteur issu de l’opposition. Il a également rappelé que la loi dont le rapport d’application est présenté, et qui vise à répondre aux conséquences de la vente en bloc d’immeubles, suivie de ventes à la découpe trouvait son origine dans une proposition de loi de Mme Martine Aurillac. Il a précisé que la Commission souhaitait obtenir des précisions sur les conditions d’application de cette loi, sur ses effets sur le marché des ventes d’immeubles en bloc ou par lots, sur la mise en œuvre effective des droits de préemption et, plus généralement, sur les modifications à apporter pour renforcer la protection des locataires ne pouvant se porter acquéreurs.

M. Jean Tibéri, rapporteur, a exposé que la loi du 13 juin 2006 relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble visait à répondre à un problème très spécifique mais néanmoins très sensible, qui avait attiré l’attention des parlementaires dès le début de l’année 2005. Certains locataires subissaient une ou plusieurs ventes en bloc de leur immeuble, le plus souvent dans un contexte spéculatif, puis se trouvaient pour certains d’entre eux incapables de racheter leur logement lors de la vente par lots de cet immeuble et devaient se reloger, avec les plus grandes difficultés.

Le rapporteur a considéré que la présentation d’un rapport sur la mise en application de la loi présentait un intérêt, d’une part, en raison de l’acuité du problème qu’elle s’efforce de résoudre, d’autre part en raison des conséquences importantes des dispositions votées sur les transactions immobilières et des interrogations qu’elles peuvent parfois susciter.

Il a signalé qu’une grande majorité des personnes auditionnées ont souligné la difficulté d’apprécier déjà toutes les conséquences cette loi, au regard du temps long du marché immobilier, et il a estimé que ce rapport n’est qu’une première synthèse, permettant de tirer certaines conclusions et de proposer certaines améliorations.

La « loi Aurillac » a eu un effet immédiat et réel sur le marché des ventes en bloc et des ventes par lots d’immeubles à usage d’habitation, d’autant plus sensible qu’il s’est combiné avec une inflexion de ce marché, après une période durant laquelle les investisseurs institutionnels avaient procédé à un déstockage de grande ampleur.

Les ventes en bloc d’immeubles à usage d’habitation dans la région Île-de-France ont connu un ralentissement au cours de l’année 2006, qui se confirme lors du premier semestre de l’année 2007. D’après les chiffres de la chambre des notaires de Paris, la baisse a affecté tant Paris que la petite et la grande Couronne.

La vente par lots d’immeubles préalablement achetés en bloc a de la même manière considérablement diminué. D’après des estimations provisoires, à Paris, ces ventes, qui représentaient en 2005 près de 15 % de l’ensemble des ventes d’appartements anciens, en représentent désormais moins de 10 %.

D’après les personnes auditionnées, lors d’une vente en bloc d’un immeuble, la solution de l’engagement de prorogation des baux en cours est systématiquement préférée à la solution du droit de préemption accordé à chaque locataire. Plusieurs raisons sont données à cette préférence : les délais de la vente sont plus brefs ; l’opération est moins complexe et comporte beaucoup moins de risques contentieux qu’une vente avec exercice du droit de préemption ; l’acquéreur peut espérer, à un horizon de six ans, obtenir un bien libéré de toute occupation. De ce point de vue, l’impact de l’article 1er de la « loi Aurillac » est significatif, puisqu’il assure aux locataires une possibilité de rester dans les lieux pendant une durée de six ans.

La loi du 13 juin 2006 a d’autre part eu un effet positif sur les locataires lors de l’étape de la vente par lots car elle a permis d’étendre à l’ensemble des bailleurs des deuxième et troisième secteurs locatifs – c’est-à-dire à l’ensemble des bailleurs personnes morales – les dispositions très favorables aux locataires de l’accord collectif de location du 16 mars 2005. Elle a également apporté dans tous les cas une garantie minimale de maintien dans les lieux pour une durée de deux ans des locataires dont le logement est mis en vente par lots.

La loi comportait enfin des dispositions offrant aux collectivités territoriales de nouveaux moyens complémentaires pour lutter contre le phénomène des reventes spéculatives, à savoir : une possibilité d’exercer le droit de préemption urbain pour assurer le maintien dans les lieux des locataires ; une possibilité de voter des taux réduits pour les droits de mutation à titre onéreux en cas d’engagement de l’acquéreur à maintenir le logement en location pendant six ans.

Ces dispositions, à l’inverse des autres, n’ont pas encore été appliquées. Dans le premier cas, les services d’urbanisme semblent préférer recourir aux autres motifs traditionnels lorsqu’ils exercent leur droit de préemption. Pour la seconde mesure, il s’agit d’un défaut de connaissance, qui s’explique notamment par le caractère tardif de l’information délivrée par les services fiscaux, en juin 2007, soit plusieurs mois après la publication et l’entrée en vigueur de la loi.

Un certain nombre d’observations critiques peuvent enfin être formulées, sans que cela affaiblisse le jugement globalement positif que l’on peut porter sur la « loi Aurillac ».

La complexité et les questions soulevées par le nouveau droit de préemption institué en faveur des locataires dès le stade de la vente en bloc sont sans doute à l’origine du recours systématique aux ventes avec engagement de prorogation des baux en cours, pour assurer le maintien dans les lieux des locataires pendant six ans. Afin que les deux branches de l’alternative proposée par la loi se développent, il conviendrait sans doute d’apporter au dispositif quelques précisions et améliorations : faire bénéficier de la disposition les titulaires de baux à usage d’habitation dans les immeubles à usage mixte commercial et d’habitation, mais en exclure en revanche les personnes dont le logement concerné n’est pas la résidence principale ; supprimer le droit de préemption subsidiaire, qui empêche l’acheteur en bloc potentiel d’acheter le solde des lots non préemptés ; préciser par voie réglementaire le contenu du diagnostic technique portant constat de l’état apparent de la solidité du clos et du couvert et de l’état des conduites et canalisations collectives ainsi que des équipements communs et de sécurité – ce qui serait un complément utile de l’obligation de certification qui pèse , depuis le 1er novembre 2007, sur les diagnostiqueurs.

Les collectivités territoriales n’ont par ailleurs pas fait usage des nouvelles possibilités qui leur sont offertes par la « loi Aurillac ». Il conviendrait donc d’encourager plus efficacement les collectivités territoriales à utiliser ces instruments.

Enfin, la question plus large qui doit être posée est celle du maintien d’un secteur locatif intermédiaire, notamment dans les plus grandes villes. Le maintien de ce secteur locatif passe sans doute au premier chef par les investisseurs institutionnels, qui ont pour l’heure tendance à privilégier d’autres investissements, en raison des charges trop lourdes qui leur sont imposées dans l’immobilier d’habitation et de la complexité des rapports bailleurs-locataires. Afin de redonner confiance aux investisseurs et de relancer l’investissement locatif, il conviendrait que le législateur réfléchisse à une réforme de l’équilibre des relations entre bailleurs et locataires, sans doute dans le sens des propositions provisoires formulées par la commission pour la libération de la croissance française : assouplissement des conditions de résolution extrajudiciaire des contentieux, sécurisation du régime des expulsions, modification des règles relatives au dépôt de garantie.

Sans révolutionner les rapports entre les bailleurs et les locataires, la loi du 13 juin 2006 a contribué de manière importante à freiner les politiques de spéculation.

Après avoir souligné le fait qu’il avait l’honneur d’être pour la deuxième fois co-rapporteur de l’application d’une loi, M. Christophe Caresche, co-rapporteur, a expliqué qu’à l’inverse du rapport sur la violence dans les stades, le présent rapport faisait apparaître quelques divergences entre les avis des deux rapporteurs.

La loi du 13 juin 2006 est née d’un blocage entre les associations de locataires, les investisseurs et les propriétaires, la Commission nationale de concertation n’ayant pu aboutir à un accord signé par l’ensemble de ses membres. Il a évoqué les différentes initiatives parlementaires intervenues : d’abord un amendement de Patrick Bloche, en loi de finances pour 2005, puis une proposition de loi socialiste, repoussée par l’Assemblée nationale, et enfin la proposition de loi de Martine Aurillac, devenue la loi du 13 juin 2006.

Il a reconnu partager avec le rapporteur le constat selon lequel cette loi est intervenue au moment où le processus de déstockage des investisseurs institutionnels s’est en grande partie interrompu. Il est donc difficile de distinguer l’effet de la loi elle-même de l’effet de marché. Cela dit, le dispositif législatif adopté complique singulièrement les opérations de vente à la découpe.

En pratique, les investisseurs ont systématiquement préféré prolonger de six ans les baux, plutôt que de proposer à chaque locataire l’exercice d’un droit de préemption. De ce point de vue, on peut considérer que la loi a eu un effet de dissuasion.

Pour autant, les objectifs de la loi n’ont pas été totalement atteints. D’abord, les locataires n’ont pas pu faire jouer leur droit de préemption, alors même que ce droit aurait permis une acquisition à un prix inférieur à celui pouvant être obtenu à la fin des baux. Ensuite, alors même que la loi avait ouvert un droit de préemption permettant aux communes de se porter acquéreur pour maintenir les locataires dans les lieux, les communes n’ont pas usé de ce droit, pour des raisons d’incertitude juridique sur son exercice. Toutefois, les communes ont pris l’initiative d’un certain nombre d’opérations, sans utiliser le droit de préemption mais en recourant à d’autres investisseurs comme la Caisse des dépôts qui se sont portés acquéreurs, ce qui a permis de préserver le caractère locatif du parc. Enfin, alors que les communes et les départements auraient pu accorder un taux réduit pour les droits de mutation lors de l’acquisition d’un logement vendu occupé dans le cadre d’une opération de vente par lots, en pratique ils n’y ont pas eu recours.

Ainsi, si la loi a bloqué un certain nombre de ventes à la découpe, elle n’a pas réglé, à terme, le problème des locataires qui se trouvent toujours soumis, au bout de six ans, à une éventuelle éviction.

Le co-rapporteur a ensuite évoqué le problème des rapports entre les locataires, les investisseurs et les propriétaires, estimant qu’il conviendrait de favoriser au maximum les relations contractuelles et invitant la ministre du logement à jouer un rôle particulier. Certaines associations de locataires, qui n’avaient pas signé l’accord collectif du 16 mars 2005, n’ont pas accepté que la loi introduise de nouvelles règles de majorité au sein de la Commission nationale de concertation et permette ainsi, malgré leur opposition, l’extension par décret de l’accord collectif. Il a souhaité qu’un dialogue soit renoué entre les différentes parties, dans un domaine où il convient de favoriser le plus possible la négociation et l’accord.

Il a exprimé son désaccord s’agissant de la préemption subsidiaire, qui ne doit pas être supprimée, dans la mesure où elle peut permettre au locataire de se porter acquéreur à un prix inférieur au prix initialement proposé.

Il a souhaité, à l’instar du rapporteur, disposer d’une période de temps plus longue afin d’apprécier plus précisément les conséquences de cette loi et de déterminer ce qui relève du marché et ce qui relève de la loi. Jugeant la « loi Aurillac » dissuasive, il a formé des vœux pour le retour à un cadre contractuel des rapports entre bailleurs et locataires.

Le Président Jean-Luc Warsmann a partagé les regrets des rapporteurs que le droit de préemption urbain et le taux réduit des droits de mutation n’aient jamais été utilisés. Il a estimé que le risque juridique invoqué par les services de la Ville de Paris ne justifiait pas à lui seul l’absence de mise en œuvre d’une disposition qui, compte tenu de son objet, aurait pu être un outil efficace.

Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, a évoqué l’ensemble de la problématique de la vente à la découpe.

La loi du 13 juin 2006 relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble, qui résulte d’une proposition de loi, présentée au printemps 2005 par Mme Martine Aurillac et un certain nombre de ses collègues, pour mettre fin aux excès des ventes à la découpe, a apporté une réponse, souhaitée par tous, même si les solutions proposées pour y remédier divergeaient sensiblement.

La « loi Aurillac » est fondamentalement une loi de régulation des excès spéculatifs du marché immobilier, et non pas, comme certains l’auraient voulu, une loi brutalement attentatoire au droit de propriété.

Aujourd’hui, après un an et demi d’application de cette loi, son objectif est largement atteint car le phénomène des ventes à la découpe a largement reculé, sans remettre en cause le fonctionnement du marché immobilier.

Le phénomène des ventes par lots est d’abord l’enfant de la crise du logement. La vague des ventes par lots des années 2003, 2004 et 2005, qui avait une nature spéculative, n’était au fond qu’une expression supplémentaire des problèmes soulevés par la crise du logement, dont l’origine réside avant tout dans la faiblesse de la construction de logements sur la période 1997-2002.

La détente de la spéculation viendra de l’augmentation de l’offre nouvelle de logements. Il convient, à cet égard, de souligner l’engagement et les bons résultats du gouvernement actuel.

Les faits sont précis, les chiffres riches d’enseignement. De 300 000 logements à peine mis en chantier au tournant des années 2000, le rythme de la construction neuve s’est redressé au-delà de 420 000 logements en 2006. Environ 430 000 logements neufs seront mis en chantier au cours l’année 2007, l’objectif du Gouvernement étant d’atteindre le plus vite possible 500 000 mises en chantier annuelles. Ainsi, le nombre de mises en chantier n’a jamais été aussi élevé depuis trente ans. De 42 000 logements locatifs sociaux seulement, financés en 2000, l’offre nouvelle est passée, en 2006, à 97 000 logements, hors les logements sociaux reconstruits dans le cadre du plan national de rénovation urbaine. L’année 2007 marquera une nouvelle progression grâce à la montée en puissance du plan de cohésion sociale, dont les objectifs ont été renforcés par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, avec le financement de plus de 110 000 logements sociaux. L’objectif du Gouvernement est de construire chaque année 120 000 logements locatifs sociaux.

Le Gouvernement est décidé à apporter beaucoup d’autres réponses pour bloquer structurellement la spéculation et défendre le pouvoir d’achat des locataires. L’une de celles-ci est l’indexation des loyers sur l’indice des prix à la consommation, réforme annoncée par le Président de la République et qui sera en place dès le 1er janvier 2008.

Il y a eu, au cours des années récentes, deux vagues de ventes à la découpe, la première en 1997 et 1998, la seconde de 2003 à 2005. Comme les chiffres de la Chambre des notaires de Paris le montrent de manière incontestable, la première vague fut plus forte que la seconde, tant par le nombre de logements concernés que par la part dans le total des ventes de logements anciens. Cependant la seconde vague spéculative a présenté des caractéristiques nouvelles, en raison notamment de la présence active d’intermédiaires marchands de biens, ce qui a généré le phénomène nouveau des ventes en bloc successives d’immeubles entiers. Souvent, les intermédiaires visés furent d’origine étrangère, par exemple des fonds de pension nord-américains qui ont alimenté la chronique et la critique, le plus célèbre et le plus « honni » demeurant sans conteste Westbrook. Dans tous les cas, ces ventes par lots réduisent le parc locatif et peuvent compromettre la présence, en ville, de nombreux ménages aux revenus modestes ou moyens, ce qui nuit à la cohésion sociale. La ministre a affirmé veiller particulièrement à ce qu’il y ait toutes sortes de logements dans les villes, en particulier pour les personnes aux revenus modestes et moyens, afin de maintenir un équilibre en ce domaine.

En 2005, il a fallu agir de manière immédiate pour enrayer dès le stade initial le nouveau phénomène des ventes en bloc successives. Il convenait de rendre pratiquement impossible la première revente globale de l’immeuble, d’empêcher les reventes successives, et donc d’éviter le stade final du processus, celui des reventes au détail, qui déstabilise les locataires qui en sont les victimes.

Il fallait d’abord utiliser la voie de l’accord contractuel pour endiguer la vague spéculative des ventes à la découpe puis, dans un second temps, recourir à la loi pour protéger efficacement les locataires en place.

Le Gouvernement, a demandé la passation d’un accord national entre propriétaires et locataires dans le cadre de la Commission nationale de concertation. Un précédent accord avait été obtenu à l’occasion de la première vague de ventes à la découpe. Il est intéressant de noter que ce premier accord collectif national, conclu le 9 juin 1998 entre les représentants des grands bailleurs privés – compagnies d’assurances, sociétés foncières et immobilières – et les représentants des locataires, a très rapidement produit les effets bénéfiques escomptés. Avec la mise en œuvre de ce premier accord collectif, la part des ventes à la découpe, qui avait dépassé 18 % sur le marché de l’ancien à Paris en 1997 et 1998, était retombée à moins de 14 % dès 1999, pour atteindre ensuite son point le plus bas en 2001, en dessous de 11 %.

La solution conventionnelle, qui agit au plus près du terrain se révèle plus rapide et plus concrète que la solution normative pour résoudre les difficultés réelles des locataires en place.

Le Gouvernement a privilégié, en 2005, cette voie contractuelle, puisque le passé récent avait montré qu’elle apportait de réelles protections aux locataires victimes des ventes d’immeubles au détail. C’est ainsi qu’un second accord national a pu être conclu le 16 mars 2005, plus protecteur que l’accord de 1998. Toutefois, à défaut d’une extension, il ne pouvait couvrir la totalité des propriétaires engagés dans des opérations de découpe.

Face à la gravité des conséquences sociales et économiques du nouveau phénomène des ventes en bloc successives suivies de reventes au détail des appartements, il a fallu recourir à la loi, au-delà des protections offertes par l’accord collectif de mars 2005. Cette loi, proposée par Mme Aurillac, se devait de ne remettre en cause ni le droit de propriété, ni le délicat équilibre des rapports entre propriétaires et locataires. C’est bien ce souci de régulation, et surtout la volonté de mieux protéger les locataires, qui apparaît dans le dispositif d’ensemble de la loi.

Pour les locataires en mesure d’acheter leur logement, la mesure principale de la loi est la création d’un dispositif de préemption dès le stade de la première vente en bloc d’un immeuble comportant plus de dix logements. Ce droit de préemption, toutefois, ne joue pas si l’acquéreur en bloc s’engage à maintenir l’immeuble sous statut locatif pendant six ans au moins. L’objectif est ainsi de mettre fin aux reventes successives d’immeubles entiers qui alimentent la spéculation, en offrant aux locataires en place la possibilité d’acheter leur logement au prix de gros lors de la vente au détail. On sait qu’il y a statistiquement au moins un tiers des occupants capables d’acheter ainsi leur logement, compte tenu de la décote qui leur est offerte par rapport à un bien au prix du marché. Ce dispositif de préemption dissuade donc véritablement les propriétaires institutionnels de vendre en bloc leurs immeubles.

Le bilan de ce nouveau dispositif apparaît aujourd’hui positif, le phénomène des ventes en bloc d’immeubles, suivies d’une revente lot par lot, ayant très fortement reculé. Il reste quelques ventes en bloc, mais il semble que l’engagement de maintenir en location pendant six ans soit quasi général. En outre, il semble aussi que les acheteurs en bloc aient changé, les marchands de biens français traditionnels ayant remplacé les opérateurs financiers étrangers.

Plus généralement, le nombre de logements vendus à la découpe est en nette baisse et représente désormais – au 1er semestre 2007 – à peine plus de 9 % des ventes de logements anciens à Paris, contre 15,5 % en 2004, selon les données de la Chambre des notaires.

La « loi Aurillac » fournit également des garanties importantes aux locataires qui ne sont pas en capacité financière d’acquérir leur logement. Elle prévoit que le locataire qui reçoit un congé pour vente bénéficie d’une reconduction de droit de son bail lui permettant de se maintenir dans les lieux pendant au moins de deux ans. Cette mesure, politiquement forte, semble efficace car les bailleurs trouvent que la reconduction du bail de droit, ajoutée aux délais prévus dans l’accord collectif du 16 mars 2005 et aux éventuels délais accordés par le juge en cas de litige, aboutit à une durée de maintien dans les lieux quelque peu excessive, même si l’avis des représentants des locataires est différent.

La « loi Aurillac » s’est également souciée de la force légale des obligations résultant des accords collectifs nationaux de location, quand ils sont généralisés par décret. Elle a notamment posé le principe de l’annulation des congés pour vente abusifs : la nullité est de droit, et non plus laissée à l’appréciation du juge, en cas de non-respect des dispositions obligatoires de l’accord collectif. Même si aucune jurisprudence n’existe encore sur ce point aujourd’hui, il s’agit d’une garantie extrêmement solide donnée aux locataires victimes de ventes par lots : les protections de l’accord du 16 mars 2005 joueront dans toute leur plénitude en cas de congé pour vente.

Des protections supplémentaires ont été adoptées au bénéfice des locataires les moins aisés.

Le maire de la commune est destinataire des informations sur les conditions de la vente en bloc des immeubles soumis au nouveau droit de préemption, ce qui facilite le suivi des locataires les moins aisés.

La commune peut désormais exercer son droit de préemption, s’agissant d’immeubles d’habitation de plus de dix logements, dès lors que l’objectif est de maintenir les locataires dans les lieux. Cette disposition, comme les rapporteurs l’ont fait remarquer, ne semble pas, cependant, avoir été déjà utilisée depuis la publication de la loi, ce dont on peut s’étonner.

La loi a enfin donné aux communes et aux départements la possibilité, lors de la phase de vente au détail des immeubles, d’abaisser très fortement les droits de mutation sur les appartements occupés, dès lors que l’acquéreur final, qui est en général une personne physique, s’engage à maintenir le logement sous statut locatif pendant six ans. Cette dernière incitation fiscale ouvre un véritable droit de suite aux locataires qui ne peuvent pas acheter leur logement découpé. Il ne semble pas que cette disposition ait été utilisée à ce jour, alors que cette mesure fiscale serait pourtant très incitative pour convaincre les acquéreurs de logements occupés à maintenir les locataires en place.

L’Assemblée nationale, en votant la proposition de loi déposée par Mme Aurillac, était guidée par la volonté d’obtenir un équilibre entre, d’une part, le respect du droit de propriété, inscrit dans la Constitution – car il est nécessaire de permettre à des institutionnels d’investir dans le secteur de la location – et, d’autre part, l’obligation de faire le plus grand cas des locataires, qu’ils soient potentiellement acquéreurs de leur logement ou contraints de déménager. Tous doivent en effet être protégés dans leurs droits et accompagnés dans leur démarche.

Au total, avec l’accord collectif du 16 mars 2005, étendu par décret le 10 novembre 2006, et les dispositions introduites par la loi, les occupants d’immeubles découpés disposent de protections efficaces, qu’ils soient en mesure d’acheter ou non le bien qu’ils occupent. Le très net recul des ventes à la découpe observé en 2006 et 2007 démontre l’efficacité de ces protections. Ce résultat a été obtenu sans remettre en cause les équilibres de la loi de 1989 sur les rapports entre propriétaires et locataires, et sans porter atteinte de façon intolérable au droit de propriété. Cet équilibre est garant de la cohésion sociale de nos villes.

La ministre s’est engagée à examiner la proposition du rapporteur d’exclure de ces protections les locataires dont ce n’est pas l’habitation principale, qu’elle a jugée intéressante.

Elle s’est déclarée d’accord avec les deux rapporteurs pour encourager les collectivités territoriales à utiliser les outils juridiques qui sont en leur possession. Elle a jugé l’explication tirée de l’absence de sécurité juridique, insuffisante, estimant pour sa part anormal qu’aucune collectivité territoriale n’ait jamais utilisé le droit de préemption prévu par la loi.

La garantie des risques locatifs, qui va devenir universelle, sera l’un des moyens de diminuer, voire de supprimer complètement, les expulsions. Elle a, en effet, pour objectif de garantir au propriétaire l’absence d’impayés de loyer et, éventuellement, la remise en état du logement. Les procédures d’expulsion posent des difficultés, non seulement aux personnes qui sont expulsées, quelle qu’en soit la raison, mais également aux propriétaires, dont une partie loue des appartements pour s’assurer une retraite un peu plus confortable. La lenteur de la procédure les met souvent dans des situations difficiles, auxquelles la mise en place de la garantie universelle des risques locatifs permettra de mettre un terme. La réforme des dépôts de garantie fait partie, avec la réforme des cautions, des propositions du Président de la République. À partir du moment où les propriétaires bénéficieront de la garantie des risques locatifs, l’utilité d’un dépôt de garantie sera moindre, et la réduction de son montant justifiée.

La ministre a exprimé la volonté de réamorcer le dialogue entre les bailleurs et les locataires au sein de la Commission nationale de concertation. Elle a annoncé avoir demandé à plusieurs reprises à sa présidente, Mme Massin, de réunir cette commission, en particulier sur le problème très délicat des charges locatives.

Souhaitant rassembler tous les partenaires, afin de trouver des accords entre locataires et propriétaires et entre parc privé et parc social, sans opposer les uns aux autres, la ministre a rappelé que, lors de la délocalisation de son ministère à Lyon au mois de septembre, dans une unité de temps et de lieu, elle a pu, pendant dix jours, mettre ensemble les financeurs, les bâtisseurs, les constructeurs, les maisons individuelles et le monde HLM pour répondre au considérable défi du logement. Elle a jugé inacceptable que des hommes, des femmes et des enfants ne puissent pas être logés en France.

M. Philippe Goujon a estimé que la « loi Aurillac », qui concerne au premier chef Paris, est une loi d’équilibre entre le droit de propriété et la protection légitime des locataires qui étaient, pour beaucoup d’entre eux, démunis face à des opérateurs qui les expulsaient sans aucun scrupule.

Il a fait observer que cette loi, qui a été appliquée rapidement, a eu un effet immédiat, faisant passer la proportion des ventes par lots d’immeubles préalablement achetés en bloc de 15 % à un peu moins de 10 % de l’ensemble des ventes d’appartements anciens.

Se félicitant que cette loi accroisse les possibilités pour les familles de classe moyenne d’acquérir un logement et donc de rester dans les villes concernées, il a néanmoins évoqué les cas de familles obligées de quitter la ville de Paris pour des communes de la proche banlieue, telles qu’Issy-les-Moulineaux, dont 25 % des nouveaux habitants viendraient du XVème arrondissement.

Il a attiré l’attention des commissaires sur le problème posé par la préférence donnée à la prorogation des baux plutôt qu’au droit de préemption, estimant comme le co-rapporteur, que cette prorogation ne fait que reporter les problèmes de six ans.

Il a ensuite exprimé ses doutes à l’égard du seuil de dix logements, préféré à celui de cinq logements dont il n’est pas certain qu’il permette d’englober toutes les catégories de population concernée.

Il s’est déclaré attaché au maintien d’un secteur locatif intermédiaire, dont les investisseurs institutionnels sont un des acteurs et qui est facteur de cohésion sociale.

Il a enfin souhaité que le recours au droit de préemption urbain et à la diminution des droits de mutation soit plus fréquent, ce qui est d’autant plus aisé pour une ville comme Paris que le produit fiscal de ces droits de mutation est une recette très importante et dynamique, qui a presque triplé en six ou sept ans.

Après avoir rappelé que la loi du 13 juin 2006 est très éloignée, y compris dans sa philosophie, de la proposition de loi initiale de Mme Aurillac, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, intervenant au titre de l’article 38 du règlement, a fait observer que les statistiques de la chambre des notaires de Paris ne couvrent pas l’intégralité des départements franciliens et ne permettent pas d’apprécier la situation dans les autres grandes agglomérations, telles que Strasbourg, Lyon ou Marseille. Il a en conséquence regretté l’absence d’un instrument statistique qui permette de mesurer les effets de la loi du 13 juin 2006.

Il a jugé que la reprise de la vente au fil de l’eau, c’est-à-dire une vente appartement par appartement au fur et à mesure qu’ils se libèrent, dont le développement s’observe notamment dans les territoires de banlieue, aboutira à la suppression du secteur locatif intermédiaire, qui constitue l’un des piliers – à côté du logement social et de l’accession à la propriété – de l’offre locative dans les milieux urbains, particulièrement dans les grandes agglomérations.

Évoquant ensuite la question du droit de préemption urbain, M. Jean-Yves Le Bouillonnec a expliqué que la solution consistant à déléguer ce droit aux bailleurs sociaux, autorisée par la loi, pose néanmoins un problème de délai car l’opération doit être effectuée dans un délai de deux mois, particulièrement court au regard de la complexité des opérations et des montants financiers en jeu.

Il a estimé que le seuil de dix logements a pu inciter certaines personnes à dissocier artificiellement des opérations concernant un même ensemble immobilier pour échapper aux nouvelles dispositions législatives, sans que cela puisse être identifié ni apprécié statistiquement.

Enfin, il a jugé qu’alors que la proposition de loi socialiste visait à maintenir le secteur locatif intermédiaire et donc à se préoccuper d’abord des locataires, la proposition de loi de Mme Aurillac a privilégié la possibilité d’acheter ; la loi finalement adoptée n’a par conséquent pas réglé le problème de ceux qui, au mieux, bénéficient d’une prolongation de leur bail et qui viendront grossir les listes d’attente des logements sociaux et pourront bientôt invoquer le droit opposable au logement.

M. Jacques-Alain Bénisti, se félicitant que le droit de préemption dévolu aux locataires leur permette d’accéder à la propriété, a souhaité attirer l’attention de la ministre sur le problème de l’octroi par les banques de prêts de très longue durée, qui sont actuellement conditionnés à des conditions d’âge très restrictives pouvant pénaliser à l’excès les locataires souhaitant se porter acquéreur.

M. Christophe Caresche, co-rapporteur, a précisé que le texte concerne les ventes à la découpe, et non l’ensemble de la problématique du logement.

Il a reconnu la difficulté d’isoler les différents facteurs, d’autant plus grande qu’il y a eu un retournement de conjoncture. Il a fait observer que les opérateurs qui s’étaient spécialisés dans les ventes à la découpe se sont recentrés aujourd’hui sur l’immobilier de bureau et que les investisseurs institutionnels désirant vendre ne recourent plus systématiquement à des opérateurs mais choisissent la vente au fil de l’eau, la loi ayant eu sur ce plan un effet dissuasif, même si celui-ci a été accentué par la conjoncture.

Le co-rapporteur a estimé que le droit de préemption urbain est un outil intéressant pour préserver le parc locatif, que les villes et en particulier Paris devraient utiliser, notamment pour maintenir les locataires dans les lieux. Il a souhaité que le problème d’interprétation juridique relatif à l’exercice de ce droit puisse être levé par le rapport, tout en déclarant comprendre les inquiétudes des services de la ville de Paris qui connaissent déjà environ deux recours par semaine en matière de droit de préemption urbain. Il a ajouté qu’une préemption pèse sur le budget d’une commune et que la solution passe sans doute par le recours à des opérateurs qui, à travers une vente de gré à gré, permettent de régler le problème. Enfin, il a signalé que l’absence de recours au motif figurant à l’article L.210-2 du code de l’urbanisme ne signifie pas l’absence de préemption pour un des autres motifs prévus par le code de l’urbanisme.

M. Jean Tibéri, rapporteur, a déclaré partager pour l’essentiel les propos du co-rapporteur.

Il a rappelé, pour lever le scepticisme de M. Le Bouillonnec sur l’effet dissuasif de la loi, que, en dehors de l’aspect psychologique, on a constaté, depuis l’application de la loi, une diminution des opérations spéculatives incriminées, ce qui, sans être une preuve irréfutable, témoigne néanmoins de l’abandon du secteur par les investisseurs, qui ont sans doute pris la mesure des effets potentiels de la loi.

Il a regretté que les services de la ville n’aient pas voulu exercer la préemption pour maintenir des locataires dans les lieux, sans doute à tort, car on ne saurait a priori tirer des conclusions hâtives de la jurisprudence relative aux cas de préemption fondés sur des motifs différents de celui introduit par la « loi Aurillac ». Le rapporteur a souhaité qu’une pression amicale sur les services puisse les inciter à recourir à ce motif.

Il a considéré, comme M. Le Bouillonnec, qu’il est important de chercher un équilibre dans les rapports entre les bailleurs et les locataires, tout en défendant le droit de propriété, comme l’a souligné la ministre. Évoquant des lois trop dures qui ont pu conduire, dans le passé, au retrait des petits propriétaires, il a souhaité que la défense des locataires, notamment contre les propriétaires qui spéculent, se combine avec le maintien de l’équilibre entre l’accession à la propriété et le logement intermédiaire pour les classes moyennes. Il a conclu que, si la loi ne peut suffire à régler ces problèmes, elle est néanmoins un élément important pour trouver un équilibre entre les gens aisés, les gens modestes et les classes moyennes.

En réponse aux différents intervenants, la ministre a apporté les précisions suivantes :

—  Le problème des seuils, posé par M. Goujon et M. Le Bouillonnec, réclame des instruments d’analyse plus précis. La ministre s’est engagée à les rechercher, tout en faisant remarquer la difficulté de la tâche. La possibilité de diviser les ensembles immobiliers complique encore cette recherche.

—  Les indications données par les notaires sont, certes, très partielles mais elles montrent une tendance : manifestement il y a une baisse importante des ventes à la découpe depuis l’application de la loi, même si une partie de cette baisse peut être imputable, comme l’ont signalé les rapporteurs, à un phénomène de cycle.

—  Il est souhaitable que les collectivités appliquent le droit de préemption, afin de conserver un parc locatif au cœur des villes.

—  Concernant les conditions d’attribution des prêts par les banques, la ministre a déclaré qu’elle travaillait avec tous les partenaires concernés par le logement, y compris les financeurs et les banquiers et qu’elle souhaitait que le système bancaire consente des efforts.

—  À l’issue de la prolongation du bail, les effets du dispositif sont appelés à s’arrêter, sauf à ce que le recours à la préemption permette d’apporter une solution.

La Commission a autorisé le dépôt du rapport en vue de sa publication.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Émile Blessig, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réforme de la prescription en matière civile (n° 433).

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