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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 8 janvier 2008

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution (n° 561) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur)

La Commission a procédé à l’audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution (n° 561) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur).

Le président Jean-Luc Warsmann après avoir souhaité la bienvenue à Mme la garde des sceaux, a rendu hommage à la mémoire de son prédécesseur, Raymond Forni, décédé le samedi 5 janvier à l’âge de soixante-six ans.

Fils d’immigrés italiens, orphelin de père très jeune, Raymond Forni était un modèle d’intégration républicaine, comme il le soulignait lui-même en disant sa « reconnaissance à la République qui accueille, qui éduque, qui rassemble, sans distinction de race d’origine, de couleur et de religion ».

Candidat socialiste, il fut élu député du Territoire de Belfort dès 1973 et devint en 1981 président de la commission des lois. Cette même année, il fut le rapporteur de la loi abolissant la peine de mort. Plusieurs fois vice-président, il fut élu en mars 2000 Président de l’Assemblée nationale en remplacement de M. Laurent Fabius.

Le président Jean-Luc Warsmann a invité les commissaires à respecter quelques instants de silence à la mémoire de ce grand parlementaire.

Mme la Garde des Sceaux et Mmes et MM. les députés se sont levés et ont observé quelques instants de silence.

Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, a rappelé que le traité de Lisbonne, à la ratification duquel ce projet de loi constitutionnelle est le préalable, est fondamental à plusieurs titres.

Tout d’abord, il constitue une avancée politique essentielle en permettant le redémarrage de la construction européenne. Celle-ci était en panne depuis l’échec subi à l’occasion des référendums français et néerlandais. Il fallait la relancer. L’initiative du Président de la République de faire adopter un traité simplifié a été décisive dans cette relance.

En outre, le traité représente une avancée institutionnelle considérable. L’Europe ne peut fonctionner à vingt-sept comme elle le faisait à six, à douze ou à quinze. Son fonctionnement doit être revu. Le traité de Lisbonne apporte, de ce point de vue, les aménagements nécessaires.

Il s’agit donc d’un bon traité, qui devra être ratifié pour entrer en vigueur dès 2009. Le Président de la République procédera à cette ratification après que deux étapes auront été respectées : dans un premier temps, il convient de réviser la Constitution pour la rendre compatible avec certaines dispositions du nouveau traité ; dans un second temps, le Parlement sera amené à se prononcer sur un projet de loi autorisant la ratification.

Le traité de Lisbonne est bon parce que c’est un traité concret qui permet à l’Europe à vingt-sept de mieux fonctionner, parce qu’il fait progresser les droits des citoyens européens et parce qu’il tire les enseignements de la crise passée.

Parmi les dispositions indispensables à un meilleur fonctionnement de l’Union à vingt-sept, il faut mentionner en particulier :

– l’élection du président du Conseil européen pour deux ans et demi, contre six mois aujourd’hui, ce qui permettra de donner à l’Europe un visage dans la durée ;

– l’instauration d’un haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité : l’Europe parlera ainsi d’une seule voix et d’égal à égal avec les grandes puissances ;

– l’assouplissement des règles de vote au Conseil : la majorité qualifiée est étendue à plus de trente nouveaux domaines dont, en particulier, la lutte contre la criminalité et le terrorisme, la politique d’asile et d’immigration et la politique d’aide humanitaire ;

– l’évolution du mode de calcul de la majorité qualifiée, qui tiendra compte du poids démographique des États et facilitera l’émergence de majorités ;

– l’extension des possibilités, pour neuf États qui s’accordent entre eux, de mettre en œuvre des coopérations renforcées, notamment en matière pénale.

En deuxième lieu, les dispositions du traité de Lisbonne permettront à l’Europe de fonctionner de manière plus démocratique.

Le traité accroît ainsi les pouvoirs du Parlement européen, auquel la procédure législative ordinaire conférera les mêmes pouvoirs qu’au Conseil. Les élections européennes pèseront sur la désignation du président de la Commission, puisque celui-ci sera élu par le Parlement européen après avoir été proposé par le Conseil.

Le traité crée en outre un droit d’initiative citoyen, ouvert lorsqu’un million de citoyens s’accordent pour demander une action particulière à la Commission. Les parlements nationaux seront mieux associés à la procédure législative européenne. Enfin, la Charte des droits fondamentaux pourra être invoquée par les citoyens européens devant toute juridiction.

En troisième lieu, le traité de Lisbonne tient compte des critiques adressées au traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Tout d’abord, il se sépare des ambitions affichées par le « traité constitutionnel » rejeté par les Français en 2005. Ce n’est pas une Constitution qui remplace tous les traités précédents : il ne fait que modifier ces derniers.

De plus, il ne change pas la nature de la construction européenne et ne comporte pas d’éléments symboliques, comme l’hymne, le drapeau ou le titre de ministre des affaires étrangères européen, que prévoyait le « traité constitutionnel ».

Le traité donne également à l’Europe une dimension sociale plus affirmée. La protection des citoyens dans la mondialisation devient un objectif. En revanche, le développement de la concurrence cesse d’en être un et devient un simple moyen au service de la croissance et de l’emploi.

Les services publics, qui font l’objet d’un protocole spécifique, seront mieux défendus. Les États membres disposeront d’une large marge de manœuvre pour les financer et les organiser. Enfin, l’emploi, la protection sociale et la lutte contre l’exclusion seront mieux pris en considération dans les politiques de l’Union grâce à une clause sociale générale.

Telles sont, dans leurs grandes lignes, les avancées du traité, qui en justifient la ratification.

À ce sujet, certains ont soulevé la question de l’organisation d’une consultation référendaire, comme pour le « traité constitutionnel ». Il n’y a pas lieu de s’y attarder dans le cadre de cette audition, qui porte non pas sur le projet de loi autorisant la ratification, mais sur la modification constitutionnelle permettant d’engager la procédure de ratification. Cependant, au-delà de cette objection, plusieurs raisons s’opposent à l’organisation d’un tel référendum.

Tout d’abord, le Président de la République s’est engagé publiquement et de longue date en faveur d’une procédure parlementaire. Il l’a dit aux Français pendant la campagne et c’est ce qu’il met en œuvre aujourd’hui.

En outre, le traité de Lisbonne n’est pas de même nature que le « traité constitutionnel » qui changeait la nature même de la construction européenne. Il faisait table rase des anciens traités et proposait une Constitution pour l’Europe. Ce n’est pas le cas ici.

Le traité de Lisbonne ne comporte aucune avancée comparable, par exemple, à la création de la monnaie unique permise par le traité de Maastricht. Il n’a pas de dimension constitutionnelle. Comme tous les traités techniques qui l’ont précédé – traités d’Amsterdam, de Nice… –, il peut donc être ratifié à la suite d’une procédure parlementaire.

Par ailleurs, faut-il envisager de supprimer dès à présent l’obligation constitutionnelle de soumettre à référendum les futures adhésions à l’Union européenne, et permettre ainsi au Parlement de statuer sur ce sujet ? La question n’est pas non plus à l’ordre du jour, pour les mêmes raisons. C’est tout naturellement dans le cadre de la prochaine révision, portant sur l’équilibre de nos institutions, qu’elle sera traitée.

La présente révision est rendue nécessaire par la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007, qui identifie deux séries de dispositions du traité incompatibles avec la Constitution.

La première série a trait aux compétences de l’Union. Les nouveaux transferts de compétences au profit des institutions de l’Union affecteront les conditions d’exercice de la souveraineté nationale. Le Conseil constitutionnel avait fait les mêmes constatations en 1992 pour le traité de Maastricht et en 1997 pour celui d’Amsterdam.

Les nouveaux transferts portent par exemple sur la coopération judiciaire en matière pénale, mais aussi sur la création d’un Parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

La seconde série de dispositions incompatibles avec la Constitution concerne les nouvelles prérogatives que le traité reconnaît aux parlements nationaux. D’une part, ceux-ci auront la faculté de s’opposer à une décision du Conseil européen mettant en œuvre une procédure de révision simplifiée des traités. D’autre part, des pouvoirs sont reconnus à chaque assemblée parlementaire en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité. Cette prérogative permettra à une majorité de parlements nationaux de s’opposer à une proposition de la Commission qui empiéterait sur les compétences des États membres. Enfin, le parlement national pourra s’opposer, sur certains aspects du droit de la famille, au recours à la « clause passerelle », procédure qui permet, si le Conseil l’accepte à l’unanimité, de passer d’une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire.

La révision de la Constitution est donc techniquement nécessaire.

L’article 1er du projet de loi constitutionnelle a pour objet d’engager la procédure de ratification du traité de Lisbonne. Il est d’application immédiate et lève les obstacles constitutionnels à cette ratification.

L’article 2 tend à modifier le titre XV de la Constitution pour tirer les conséquences du traité de Lisbonne. Ses dispositions ne deviendront applicables qu’à l’entrée en vigueur du traité, qui entraînera des changements de forme. Le titre XV sera désormais intitulé « De l’Union européenne », puisque le traité unifie les trois piliers de l’Union européenne issus du traité de Maastricht. Le traité substitue également l’Union européenne à la Communauté européenne. Ces changements terminologiques entraînent des modifications dans les articles 88-1, 88-2, 88-4 et 88-5.

L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne provoquera aussi des changements de fond. Aussi la nouvelle rédaction de l’article 88-1 inscrit-elle dans la Constitution de façon pérenne le consentement du constituant aux transferts de compétences prévus.

Deux nouveaux articles sont ajoutés au titre XV. Ils permettront au Parlement français d’exercer les prérogatives nouvelles qui lui sont reconnues par le traité.

Le premier, l’article 88-6, concerne le respect du principe de subsidiarité, dont les assemblées parlementaires seront les garantes. Si une assemblée estime que ce principe a été méconnu, elle pourra alerter les institutions européennes. Elle pourra également déférer à la Cour de justice de l’Union l’acte qui lui paraît contraire au principe de subsidiarité.

Le second, l’article 88-7, a trait à la modification des règles d’adoption d’actes de l’Union européenne. En effet, le traité permet aux parlements nationaux de s’opposer à une décision des institutions de l’Union de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée dans différents domaines.

L’objet de l’article 3 du projet de loi constitutionnelle est de supprimer les références au « traité constitutionnel », puisque celui-ci est devenu sans objet. Les références supprimées sont celles qui figurent aux articles 3 et 4 de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005.

Tel est l’équilibre général du texte présenté, qui permettra de franchir une étape fondamentale de la construction de l’Europe, notamment dans le domaine de la justice.

Le président Jean-Luc Warsmann, relevant que Gouvernement a déjà fait savoir qu’il souhaitait faire avancer, durant la présidence française de l’Union européenne, deux sujets intéressants, celui des successions et celui des tutelles transfrontalières, a souhaité savoir quel était l’état d’avancement de ces dossiers et si la France demanderait l’application de la « clause passerelle » organisée par le traité de Lisbonne dans ces matières.

Par ailleurs, il s’est demandé s’il était indispensable de conserver le dernier alinéa de l’article 88-2 de la Constitution, qui dispose que « la loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du traité sur l’Union européenne », dès lors que la ratification des traités que permettra la révision constitutionnelle impliquait la conformité des actes dérivés de ces traités à la Constitution, sans qu’il soit besoin de viser tous les domaines concernés.

M. Michel Hunault a relevé que le traité ouvrait aux citoyens la possibilité de se référer à la Charte des droits fondamentaux et s’est interrogé sur les conséquences de cette nouvelle faculté sur la lisibilité des textes et des institutions de l’Union, lorsque l’on sait que cette charte coexiste avec la Convention européenne des droits de l’homme et que la Cour européenne des droits de l’homme peut, elle aussi, être saisie. Il s’est demandé s’il n’existait pas un risque de chevauchement entre les différentes institutions ayant pour mission de faire respecter la Charte des droits fondamentaux.

Par ailleurs, il a demandé comment le traité pouvait accélérer la construction d’un véritable espace judiciaire européen. Dans la pratique, les magistrats se heurtent bien souvent à des barrières lorsqu’ils souhaitent avoir accès à certaines informations ou en matière de réciprocité des décisions de justice.

M. Jean-Jacques Urvoas a relevé que la lors de la révision constitutionnelle qui a précédé la ratification du traité de Maastricht, le constituant avait choisi de prévoir les transferts de compétences à l’Union européenne au cas par cas. C’est ainsi que l’article 88-2 a été introduit au moment du traité de Maastricht, avant que son deuxième alinéa le soit au moment de celui d’Amsterdam, et son troisième à l’occasion de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen.

De même, l’article 88-1 prévoit la modification qui aurait résulté de l’adoption du traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ne serait-ce que pour modifier cette disposition, le traité de Lisbonne impose une nouvelle révision, et il y a fort à parier que le constituant sera de nouveau amené à changer des références à l’occasion de nouveaux traités modificatifs sur l’organisation et les compétences de l’Union.

Il est donc permis de regretter l’absence, dans la Constitution, d’une clause générale de transferts de compétences vers l’Union européenne. Une telle disposition n’exposerait en rien au risque d’une ratification contre la volonté du peuple. En 2005, c’est lors du référendum sur la ratification du traité, donc après que le Congrès eut procédé à la révision, que le débat s’est noué. Avec une clause plus générale indiquant que le traité visé n’est pas contraire à la Constitution, on pourrait se limiter au seul référendum, le Président de la République choisissant, comme c’est le cas aujourd’hui, d’avoir recours ou non à cette procédure.

En tout état de cause, l’existence d’une révision constitutionnelle préalable à la ratification d’un traité n’offre aucune garantie que le peuple soit consulté à un moment ou à un autre. Une clause générale de transferts de compétences en faveur de l’Union serait donc souhaitable.

La garde des Sceaux a tout d’abord précisé que le traité de Lisbonne permet le passage à la majorité qualifiée en matière judiciaire à l’exception du droit des personnes. S’agissant de l’obligation alimentaire et du divorce, une proposition sera faite durant la présidence française. En matière de successions, une proposition sera également déposée avant la fin de 2008, de même que pour les tutelles.

Il est par ailleurs important de maintenir la référence au mandat d’arrêt européen dans la Constitution, car il s’agit d’un outil important pour la construction de l’espace judiciaire européen. Elle a précisé que l’hypothèse, pour théorique qu’elle soit, d’une extradition pour motifs politiques d’un pays de l’Union à un autre, peut justifier le maintien de la référence au mandat d’arrêt européen.

Elle a ensuite indiqué que la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux n’énonçaient pas les mêmes principes et ne risquaient pas de se trouver en contradiction. La grande avancée est la possibilité d’invoquer la Charte devant les tribunaux lorsque l’on estime qu’un des principes qu’elle contient est bafoué.

En ce qui concerne la construction de l’espace judiciaire européen, l’instauration d’un Parquet européen, à laquelle la France est favorable, est loin de faire l’unanimité. Il est souhaitable que le renforcement des pouvoirs des magistrats d’Eurojust aboutisse à la création d’un tel parquet.

En tout état de cause, l’apport majeur de traité de Lisbonne en matière de justice est la construction de l’espace judiciaire européen. Depuis 1977, quand cette notion a été évoquée pour la première fois, très peu d’outils ont été mis en place. Le traité permettra une coopération judiciaire en matière pénale avec la majorité qualifiée. Il suffira de neuf États membres pour faire avancer un sujet, ce qui est un réel progrès au regard des blocages actuels. Tout récemment encore, le Royaume-Uni et deux autres pays ont fait échouer un accord sur de nouvelles garanties en faveur des droits de la défense. Des blocages similaires sont intervenus au sujet de la protection des données et la Pologne s’est opposée à l’instauration d’une journée mondiale contre la peine de mort. De même, très peu d’équipes communes d’enquête ont été mises en place, alors qu’il s’agit, à l’instar de l’interconnexion des casiers judiciaires, d’un outil très important de lutte contre la grande criminalité.

Enfin, la clause générale de transferts de compétences en faveur de l’Union européenne que M. Urvoas propose d’introduire dans la Constitution ne saurait être acceptée, sous peine d’introduire un blanc-seing pour tout transfert de compétences à venir. Il est important d’examiner les actes et les transferts au cas par cas.

M. Jean-Christophe Lagarde a convenu qu’il était préférable de décider à neuf que de décider à vingt-sept, mais a rappelé qu’il avait toujours combattu l’instauration d’un chiffre minimal pour les coopérations renforcées, ce qui peut poser des difficultés, comme dans le cas d’une coopération méditerranéenne.

La garde des Sceaux a remarqué que, dans la pratique, des coopérations telles que les interconnexions de casiers judiciaires sont le fruit d’initiatives de pays à pays et peuvent avoir un effet d’entraînement.

En matière de justice, les outils communs font défaut. Les organisations judiciaires étant différentes et les ministres n’ayant pas les mêmes prérogatives, toute avancée doit être saluée. Dans cette optique, le ministère de la justice a pris l’initiative de constituer un groupe de six États membres destiné à faire progresser les dossiers avant la présidence française de l’Union européenne.

——fpfp——