Accueil > Travaux en commission > Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 30 avril 2008

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition de M. Édouard Balladur, président du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République

La Commission a procédé à l’audition de M. Édouard Balladur, président du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République.

Le Président Jean-Luc Warsmann a rappelé que la commission avait souhaité entendre M. Édouard Balladur juste après que Mme la garde des Sceaux et M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement ont présenté le projet de révision constitutionnelle, grandement inspiré des travaux du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République qu’il a présidé. Il a demandé à M. Balladur s’il reconnaissait ses propositions dans le projet de révision et s’il regrettait de ne pas en voir figurer certaines.

M. Édouard Balladur, président du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, a précisé que le Gouvernement a retenu 80 % environ des propositions formulées. Ce ne fut hélas pas le cas de celles concernant la clarification de la répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre, au motif qu’une trop grande précision dans les textes compliquerait une éventuelle cohabitation. C’est d’autant plus regrettable que, précisément, les institutions ne sont pas toujours d’une extrême clarté et génèrent des conflits entre les deux têtes de l’exécutif. Mais les esprits n’étaient pas prêts à une mutation d’envergure. Dès lors, la question du choix entre un régime présidentiel, dont les partisans, incluant le Président du Comité, étaient substantiellement minoritaires, et un régime parlementaire n’a pas été tranchée.

Le Président Jean-Luc Warsmann a demandé à M. Édouard Balladur quelle était sa position quant à l’inscription des modes de scrutin dans la Constitution. Faut-il par ailleurs modifier ou non l’article 88-5 de la loi fondamentale disposant que l’entrée d’un nouvel État au sein de l’Union européenne doit être soumise au référendum ?

M. Édouard Balladur a rappelé que le comité avait proposé que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population ». Le Gouvernement a préféré la formulation « compte tenu de leur population », ce qui n’est guère différent. La rédaction la plus claire aurait probablement été « proportionnellement à leur population » mais il n’a pas paru utile, pour un certain nombre de raisons, d’aller dans ce sens. D’une manière générale, il n’est pas souhaitable d’inscrire les modes de scrutin dans la Constitution. Il convient également de préciser que le comité n’avait pas non plus retenu la possibilité d’une représentation spécifique des Français de l’étranger en tant que tels.

S’agissant de l’article 88-5, lors de son audition, M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, s’était interrogé sur la nécessité d’organiser des référendums à chaque ratification de traités d’élargissement de l’Union européenne. Le comité a estimé qu’il était opportun d’aligner la procédure applicable en la matière sur celle qui régit les révisions de la Constitution à l’article 89 : le Président de la République étant libre, en l’occurrence, de choisir entre le Congrès et le référendum. Étant observé qu’un référendum sur l’entrée de quelque pays que ce soit risque aujourd’hui d’être négatif, il est en effet préférable d’opter pour une formule plus souple que le référendum.

M. René Dosière, ayant rappelé la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant la représentation du territoire et de la population, a demandé si, compte tenu de ses propos, M. Édouard Balladur était favorable à l’élection proportionnelle des sénateurs par rapport à la population.

M. Édouard Balladur a répété que la rédaction la plus précise serait « proportionnellement à leur population », « en fonction » étant toutefois un peu plus précis que « en tenant compte ». Quoi qu’il en soit, la Constitution n’a pas à régler ce type de problèmes.

M. René Dosière a demandé pourquoi, selon le comité, il faudrait inscrire dans la Constitution le non-cumul des mandats concernant les ministres et dans la loi organique celui concernant les parlementaires.

Il a par ailleurs fait part de sa satisfaction s’agissant du budget de la présidence de la République, les propositions retenues constituant une avancée sensible.

M. Édouard Balladur a répondu que les dernières élections municipales ont suffi à illustrer la manière dont il est tenu compte des propositions du comité concernant le non-cumul des mandats.

M. Christophe Caresche a rappelé qu’il aurait préféré la mise en place d’une commission parlementaire pour réfléchir à ces questions institutionnelles mais il a néanmoins salué la grande qualité du travail accompli par le comité, les propositions qui en sont issues étant particulièrement équilibrées.

Le « traité simplifié » a introduit le contrôle de subsidiarité, lequel s’exerce de deux manières : le « carton jaune » – qui permet aux parlements nationaux de saisir la Commission européenne en cas d’entorse au principe de subsidiarité – et le « carton rouge » – qui permet aux États, sur proposition des parlements, de saisir la Cour de justice européenne en cas d’atteinte forte à ce principe. Le Bundestag est en train d’adopter une disposition qui permettrait à un tiers des parlementaires d’exercer ce « carton rouge », processus assez voisin, mutatis mutandis, de la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante parlementaires en France. Quel est, sur ce point, l’avis de M. Balladur ?

M. Édouard Balladur a répondu qu’il ne serait pas favorable à une telle proposition, qui affaiblirait la défense de l’intérêt national plus qu’elle ne la conforterait.

Il a ajouté par ailleurs qu’il ne fallait pas sous-estimer l’ampleur des propositions du comité, qui conduisent à une rénovation profonde des institutions à travers l’extension des droits du Parlement, certes, mais aussi la limitation des pouvoirs du Président de la République. Une pareille réforme, si elle était repoussée, risquerait de ne pas être présentée au Parlement avant longtemps. L’opinion publique, d’ailleurs, ne comprendrait pas un tel rejet car restaurer les droits du Parlement, c’est développer la participation des citoyens à la chose publique et permettre aux parlementaires de mieux jouer leur rôle. En outre, les institutions politiques ne se résument pas aux rapports entre les gouvernants et les techniciens du pouvoir que sont les parlementaires : elles visent aussi à permettre aux citoyens eux-mêmes de défendre leurs droits. D’où l’extrême importance de l’exception d’inconstitutionnalité permettant aux Français d’invoquer devant un juge l’éventuelle inconstitutionnalité de la loi.

M. Arnaud Montebourg a également considéré que nombre des propositions du comité, à condition d’être réunies avec cohérence dans le projet de loi constitutionnelle, favoriseraient en effet des avancées significatives. L’opposition souhaite parvenir à un compromis qui ébranlera l’histoire institutionnelle de la France en donnant un cours nouveau à la Ve République.

Une dizaine de propositions majeures du comité n’ayant pas néanmoins été retenues, l’opposition en reprendra certaines à travers des amendements : assouplissement des règles de recevabilité financière des amendements ; limitation de la faculté, pour le Gouvernement, de déposer des amendements portant articles additionnels à ses propres projets ; exigence d’études d’impact préalables au dépôt des projets de loi avec procédure spéciale de contrôle par le Conseil constitutionnel ; institution du référendum d’initiative populaire à la demande d’un cinquième des membres du Parlement et d’un dixième des électeurs inscrits ; réforme de la limitation du cumul des mandats ; suppression du droit de veto du Sénat en matière de révision constitutionnelle ; interdiction des lois rétroactives sauf motif déterminant ; création d’un conseil du pluralisme ; privation de la possibilité, pour le Président de la République, de ne pas donner suite à un projet ou une proposition de révision constitutionnelle votés en termes identiques par les deux assemblées.

Le comité prévoyait par ailleurs qu’une semaine de séance sur quatre devait être réservée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques ; or, le texte est très en deçà de ses préconisations s’agissant des garanties offertes à l’opposition, des facultés d’expression et d’organisation du contrôle. Comment expliquer cette évolution ?

M. Édouard Balladur a indiqué qu’il ne se plaindra pas de la liberté prise par le Gouvernement à l’endroit des propositions du comité tant celui-ci a lui-même pris des libertés par rapport à ce que celui-là pouvait considérer comme souhaitable. Telle est la règle du jeu. Une critique systématique des préconisations gouvernementales serait ainsi malvenue.

Les thèmes non retenus sont d’inégale importance. Mettre fin au droit de veto implicite qu’exerce le Président de la République sur une révision constitutionnelle en ne donnant pas suite à la procédure fait partie des propositions essentielles qui n’ont pas été retenues ; or, une telle possibilité, par exemple, aurait permis l’instauration du quinquennat trente ans plus tôt. De même le référendum d’initiative populaire aurait constitué une mutation majeure. Ce n’est pas nécessairement le cas avec le conseil du pluralisme, qu’il aurait été par ailleurs difficile d’installer.

M. Sébastien Huyghe a rappelé que le Comité préconisait que le Parlement soit informé de toutes opérations militaires hors du territoire national et qu’il fallait soumettre à autorisation législative la prolongation de ces interventions au-delà d’une durée de trois mois. Pourquoi un tel délai ? Le passage à six mois proposé par le Gouvernement change-t-il fondamentalement la donne ?

M. Édouard Balladur a estimé que cela ne constituait pas un changement fondamental mais que cette disposition constituait en soi une grande avancée puisque des milliers de soldats français sont par exemple déployés en Côte-d’Ivoire depuis plusieurs années sans qu’aucune délibération parlementaire n’ait été organisée.

M. Jean-Christophe Lagarde s’est interrogé sur le maintien, hors le cas des projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale, de l’article 49, alinéa 3, une fois par session, qui n’apparaît ni utile, ni légitime car le Parlement doit pouvoir refuser un texte sans pour autant remettre en cause l’existence du Gouvernement. Fallait-il par exemple utiliser cet article lors de la discussion d’un texte relatif aux téléchargements sur Internet ?

Par ailleurs, l’intervention du Président de la République devant le Parlement ne devrait-elle pas être solennisée et encadrée ? La fonction présidentielle ne risque-t-elle pas d’être affaiblie en cas de chahut ? Un débat parlementaire est-il en outre envisageable après le départ du Président ?

Enfin, s’il faut se réjouir de l’institution de l’exception d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel ne peut être aujourd’hui saisi que par le Président de la République, le Premier ministre, les présidents des assemblées ou soixante parlementaires réunis. Un groupe parlementaire ne pourrait-il pas également en avoir la possibilité ? Vingt personnes représentent tout de même deux millions d’électeurs !

M. Édouard Balladur a considéré que l’on « en fait vraiment trop » s’agissant de l’intervention du Président de la République devant le Parlement. Il est tout autant possible d’estimer qu’il s’agit là d’un moyen, pour le Président, de faire pression sur le Parlement que, pour le Parlement, de contrôler le Président. Un encadrement est par ailleurs tout à fait envisageable selon des modalités à définir.

S’agissant de l’article 49, aliéna 3, c’est au Gouvernement de juger ce qu’il considère comme étant essentiel ou non à sa politique et donc, ce sur quoi il estime devoir engager sa responsabilité hors le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Enfin, il est assez facile de réunir soixante parlementaires afin de saisir le Conseil constitutionnel – pour peu qu’ils le souhaitent, ce qui n’est pas toujours le cas. L’exception d’inconstitutionnalité n’en a, à ce propos, que plus d’importance.

M. Michel Hunault a rendu hommage à M. Édouard Balladur et aux travaux du comité.

Il a par ailleurs considéré que le Parlement avait pleinement joué son rôle à l’occasion des périodes de cohabitation. Or, si la révision constitutionnelle est une occasion unique pour limiter le pouvoir du Président de la République, la fonction de ce dernier ne serait-elle pas trop affaiblie en cas de nouvelle cohabitation ?

M. Édouard Balladur a répondu que la révision constitutionnelle est une occasion unique pour renforcer les prérogatives du Parlement, ce qui n’est pas exactement la même chose…. Quant à la cohabitation, elle prive structurellement le Président de la République de la plupart de ses pouvoirs en les conférant au Premier ministre, lequel est issu de la majorité parlementaire. La modification de la Constitution ne changerait donc pas grand-chose de ce point de vue.

M. Manuel Valls a confirmé que cette révision était sans doute une occasion unique pour mieux affirmer les droits d’initiative et de contrôle du Parlement et que cette occasion invitait les uns et les autres à faire les pas nécessaires afin de rapprocher leurs points de vue.

M. René Dosière a noté que le Comité avait proposé de substituer au système actuel de parrainage pour l’élection présidentielle une présélection des candidats par un collège de 100 000 élus. Cela a-t-il suscité d’importants débats au sein du comité ?

M. Édouard Balladur a répondu qu’il était d’autant plus attaché à cette préconisation qu’il en était l’auteur. Il avait même envisagé que ne puissent se présenter à l’élection présidentielle que les quatre ou cinq premiers candidats retenus au lieu des quinze. Non seulement il n’aurait pas été possible d’invoquer un déni de démocratie parce qu’un candidat ayant recueilli 1 % des voix n’aurait pu se présenter, mais la démocratie y aurait gagné en évitant l’éparpillement des votes. Les questions de fond sont de savoir s’il faut ou non se diriger vers un régime plus bipartisan et si l’exactitude de la représentation doit l’emporter sur l’efficacité. M. Édouard Balladur considère quant à lui que cette dernière doit primer.

——fpfp——