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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 25 novembre 2008

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la proposition de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (n° 1255) (M. Guy Geoffroy, rapporteur)

Table ronde, ouverte à la presse, sur la proposition de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (n° 1255) (M. Guy Geoffroy, rapporteur).

Participants :

—  M. Charles Duchaine, vice-président du Tribunal de Grande Instance de Marseille, juge d’instruction à la juridiction interrégionale spécialisée (criminalité organisée)

—  Mme Patricia Mathys, commandant de police, chef de la plateforme d’identification des avoirs criminels (PIAC) et M. Romain Stiffel, capitaine de gendarmerie, adjoint de la PIAC, ministère de l’Intérieur

—  M. Alexandre Malo, commandant de gendarmerie, chargé des saisies au Bureau des affaires criminelles, section des atteintes à la Nation et trafics économiques, à la Direction générale de la Gendarmerie nationale

—  M. Erwan Guilmin, chef du bureau des affaires juridiques et contentieuses à la Direction générale des douanes et des droits indirects.

La séance est ouverte à dix-huit heures

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de la commission des Lois pour cette table ronde qui fait suite au dépôt d’une proposition de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Le sujet me tient à cœur depuis que j’ai consacré, en 2004, un rapport de mission à la lutte contre le trafic de stupéfiants. J’avais alors jugé indispensable d’améliorer la législation sur certains points. Du chemin a été accompli depuis, avec la création de la Plateforme d’identification des avoirs criminels – PIAC – ou l’adoption de nouvelles dispositions législatives, sur la contrefaçon par exemple.

Avec Guy Geoffroy, rapporteur de la proposition de loi, nous souhaitons vérifier que notre texte aborde toutes les procédures de saisies utilisées en droit français et leur donne une pleine efficacité. La réussite d’une procédure pénale ne doit pas se mesurer seulement au nombre de personnes interpellées ou à la gravité des peines prononcées, mais aussi à la manière d’appréhender le patrimoine des délinquants. Nous voyons souvent mener grand train des personnes dont les revenus sont notoirement issus d’activités illégales, ou encore les proches d’une personne incarcérée. En tant qu’élus, nous sommes sensibles à de tels exemples, qui vont à l’encontre de tous les principes républicains. Comment des parents peuvent-ils jouer leur rôle d’éducateurs et inciter leurs enfants à travailler pour réussir si ces derniers voient en permanence des délinquants rouler en voiture de luxe ? Ce spectacle a un effet socialement désastreux, et c’est pourquoi l’enjeu des saisies dépasse largement l’aspect répressif.

Je remercie les praticiens qui ont accepté notre invitation. M. Charles Duchaine, tout d’abord, est vice-président du tribunal de grande instance de Marseille et magistrat instructeur à la JIRS – juridiction interrégionale spécialisée – de Marseille, en charge des dossiers de criminalité organisée. Malgré un cadre législatif dont j’ai rappelé les imperfections, il est parvenu à saisir des immeubles et des bateaux. Nous serons donc très attentifs au récit de son expérience, mais aussi à ses éventuelles suggestions.

Nous avons également la chance de recevoir le commandant de police Patricia Mathys et le capitaine de gendarmerie Romain Stiffel, respectivement chef et chef adjoint de la Plateforme d’identification des avoirs criminels, qui ont tous deux été déjà entendus par notre rapporteur. Je rappelle que la PIAC, créée en 2005, est une structure placée au sein du ministère de l’intérieur auprès de l’OCRGDF, l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière. L’expérience acquise par ses dirigeants en matière d’identification des avoirs nous sera particulièrement utile.

M. Alexandre Malo est commandant de gendarmerie, chargé des saisies – lui-même emploie, semble-t-il, le terme d’« offensive patrimoniale » – à la section des atteintes à la Nation et trafics économiques du bureau des affaires criminelles de la Direction générale de la gendarmerie nationale.

Enfin, M. Erwan Guilmin, chef du bureau des affaires juridiques et contentieuses à la Direction générale des douanes et des droits indirects, nous rejoindra plus tard.

L’objet de cette réunion, qui est tout sauf formelle, est de s’assurer que la proposition de loi que nous avons déposée répond à vos besoins et corrige les défauts du système français. Nous aimerions avoir des exemples de situations dans lesquelles votre action a été bloquée, faute de dispositions législatives adéquates. De même, nous serions intéressés par tous les éléments de comparaison internationale dont vous pourriez avoir connaissance.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la proposition de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Je souhaite rappeler en quelques mots les objectifs de notre proposition de loi. Sans verser dans la caricature, nos concitoyens éprouvent souvent un malaise lorsqu’ils constatent, au quotidien, le train de vie de personnes ayant notoirement affaire avec la justice. De tels pieds de nez aux institutions ne se limitent d’ailleurs pas aux quartiers sensibles. Nous devons donc reprendre la main et rendre les sanctions plus dissuasives. Les délinquants, mais aussi les victimes et, plus généralement, les citoyens doivent savoir qu’une sanction pénale peut s’accompagner de la privation des profits tirés de l’infraction. Mais pour cela, la législation doit encore progresser : c’est la conclusion à laquelle je suis parvenu après mes premiers entretiens avec les dirigeants de la PIAC.

La proposition de loi suit donc trois orientations principales. La première est l’extension du champ des biens susceptibles d’être saisis, et ce, dès le stade de l’enquête et de l’instruction, par le développement des possibilités de saisie patrimoniale. L’objectif est d’assurer la pleine effectivité des peines de confiscation susceptibles d’être ordonnées au moment du jugement. Il est clair que si la confiscation n’a pas été précédée d’une mesure permettant de geler l’ensemble des actifs concernés, il est à craindre que ceux-ci ne soient précipitamment dissipés, rendant ainsi difficile l’exécution de la confiscation.

Le deuxième objectif est la mise en place d’une procédure de saisie pénale. À l’heure actuelle, en effet, il n’existe que des procédures de nature civile, lesquelles sont totalement inadaptées, comme j’ai pu m’en rendre compte, en tant que rapporteur pour avis des crédits de la mission « Sécurité », lorsque j’ai dialogué avec les équipes des GIR de Reims et de Moissy- Cramayel.

Enfin, le troisième but poursuivi découle des deux premiers : c’est l’amélioration de la gestion des biens saisis. Il arrive en effet que le bien concerné finisse par coûter beaucoup plus cher à la collectivité que ce qu’il a rapporté. Nous devons éviter la dévalorisation des biens au cours de la procédure ainsi que les conservations inutiles et génératrices de frais. La proposition de loi s’efforce donc d’améliorer l’efficacité du dispositif déjà mis en place par la loi de 2007 sur la contrefaçon, qui permet la vente anticipée de biens saisis en cours d’enquête.

Nous souhaitons savoir si ce texte, en l’état, est en mesure de vous permettre d’atteindre les objectifs poursuivis. Comme il s’agit d’une proposition de loi, nous aurons toute facilité pour l’améliorer en tenant compte de vos suggestions. Par ailleurs, des exemples précis de ce que vous ne pouvez pas faire, faute d’une législation adaptée, nous aideraient à convaincre nos collègues de l’adopter.

M. Charles Duchaine, vice-président du tribunal de grande instance de Marseille, magistrat instructeur à la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. Dans cette affaire, nous devons tenir compte de la psychologie du juge comme de celle du délinquant.

Sans loi, un juge ne fait rien. Et à l’heure actuelle, dans certains domaines, rien ne se fait faute de texte. Il en est ainsi de la saisie immobilière, une pratique encore très peu répandue.

Quant au délinquant, vous avez noté, monsieur le président, qu’en dépit de son incarcération, ses proches pouvaient mener grand train. Mais il y a plus grave : certains continuent à diriger leurs trafics depuis l’intérieur de la maison d’arrêt, parce qu’on les a laissés en possession de leurs avoirs, et qu’ils ont donc la possibilité de faire fonctionner leur entreprise criminelle.

Au plan légal, en matière de procédure, nous disposons aujourd’hui de trois articles : les articles 54, 94 et 97 du code de procédure pénale. L’article 54 ne concerne que les crimes et délits flagrants. Il permet à l’officier de police judiciaire de saisir l’instrument du crime ainsi que son produit. Cependant, l’objectif recherché n’est pas d’ordre économique ou patrimonial, mais relève de la recherche de preuve : il s’agit de collecter les pièces à conviction. L’article 94 permet au juge d’instruction d’effectuer des perquisitions dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité. Là encore, il s’agit de pièces à conviction, et donc, implicitement, de biens mobiliers. Nous sommes donc bien loin de la saisie immobilière ou de la saisie patrimoniale. De même, l’article 97 évoque les objets placés sous main de justice, mais il n’organise pas une procédure de saisie pénale.

En l’absence de textes, une pratique s’est donc développée depuis des décennies. Les magistrats et officiers de police judiciaire se sentent autorisés à saisir les pièces à conviction, c’est-à-dire les éléments de nature à prouver l’infraction, mais aussi les biens mobiliers : véhicules – automobiles, bateaux, voire avions –, butin d’un vol à main armée, produit de la vente de cocaïne, etc. Cependant, si le produit a été réinvesti dans des acquisitions immobilières, pratiquement tout le monde s’accorde à dire que l’on ne peut rien faire.

À mon avis, c’est une erreur, et en ce sens, la loi du 9 mars 2004 m’a donné des ailes. En effet, à partir du moment où l’article 706-103 du code de procédure pénale autorise le juge des libertés et de la détention à prendre des mesures conservatoires sur les biens du mis en examen – ce que l’on pourrait qualifier de mesures de « sûreté judiciaire » –, je ne vois pas pourquoi, en tant que juge d’instruction, je ne pourrais pas prendre des mesures identiques, selon les mêmes règles et en application des mêmes textes, de façon à appréhender le produit de l’infraction, qu’il soit mobilier ou immobilier, direct ou indirect. J’ai donc procédé en 2005 – et j’ai sans doute été le premier à le faire – à la saisie d’un certain nombre d’immeubles dans le département du Vaucluse, acquis par un ancien gendarme d’origine belge devenu escroc international. Après avoir détourné plus de 50 millions d’euros, celui-ci avait en effet réinvesti le produit de ses délits dans des bateaux et dans des villas situées dans le Sud de la France. Pour justifier ces saisies, je me suis appuyé sur l’article 81 du code de procédure pénale, qui permet au juge d’instruction de prendre toute mesure utile à la manifestation de la vérité, et j’ai interprété a contrario l’article 99 : dès lors que le juge d’instruction pouvait décider de ne pas restituer les objets placés sous main de justice, j’ai estimé qu’il pouvait saisir tout ce qui permettait d’assurer la « sauvegarde des droits des parties » – donc, également, des biens immobiliers.

Depuis lors, la pratique a été encouragée, si je puis dire, et une distinction s’est établie entre le patrimonial, qui relève de l’article 706-103, et donc du juge des libertés et de la détention, et le pénal, qui relève du juge d’instruction. On a ainsi estimé que l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction étaient de la compétence du second, et tout le reste de celle du premier. C’est, à mon avis, une erreur grossière, car l’article 706-103 ne prévoit pas des confiscations, mais une sûreté judiciaire en vue de garantir le paiement des amendes encourues, l’indemnisation des victimes ou, par équivalence, l’exécution d’une confiscation qui n’aurait pas été effectuée. Il n’a donc pas vocation à être associé à l’article 131-21 du code pénal, lequel définit les peines de confiscation. Je le déduis du texte même de l’article 706103, selon lequel le jugement de condamnation valide les mesures de conservation même si une confiscation n’est pas expressément prononcée par le tribunal.

Tel est, grosso modo, l’état de notre pratique. Nous l’avons largement développée avec l’aide de la PIAC, dont l’existence est un atout en faveur de sa dissémination dans d’autres tribunaux. Mais je le répète, sans texte, le juge ne fera rien. Nous sommes encore peu nombreux à explorer ainsi le terrain de façon empirique.

La plupart de mes collègues n’ont pas recours à de telles procédures, considérant qu’elles ne sont pas prévues par la loi, et sont donc illégales. Quant à ceux qui, comme moi, y ont recours, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés. À défaut de cadre pénal, nous devons nous soumettre aux dispositions de la procédure civile, qui sont extrêmement formalistes, rigoureuses et coûteuses : il faut rendre un titre exécutoire – ce que seul un juge peut faire –, puis passer la main au parquet qui, en tant que représentant de l’État, se présente comme le créancier de la personne poursuivie. La créance étant déterminée – elle est constituée par le montant maximum de l’amende encourue, le montant éventuel du produit de l’infraction investi dans les acquisitions immobilières, et, le cas échéant, quelques accessoires –, on procède à une inscription à la Conservation des hypothèques, comme n’importe quel créancier privé. Comme on ne peut se prévaloir d’aucune prérogative de puissance publique, le processus est long et coûteux.

Le problème existe aussi, malheureusement, au plan international. Nous sommes en effet de plus en plus sollicités par des États étrangers, membres ou non de l’Union européenne. S’appuyant sur des conventions que notre pays a signées ou sur des dispositions que nous avons intégrées en droit interne, ils nous demandent de procéder à des saisies ou à des gels – la terminologie est variable, mais l’objectif est le même. Or, étant à peine capables de le faire pour nous-mêmes, nous avons du mal à le faire pour nos collègues étrangers. J’ai toutefois pris la liberté de le faire, avec les Italiens ou les Hollandais, par exemple. En ce domaine, il serait cependant nécessaire d’harmoniser les procédures : la loi de 1996 reste en vigueur, tandis que les articles 695-9-1 et suivants du code de procédure pénale, issus de la loi de 2005 qui a transposé la directive européenne de 2003, prévoient des compétences et des modalités d’exécution différentes. Il faudrait que le même juge soit toujours compétent dans le même cas, et que la procédure applicable soit la même.

En ce qui concerne la gestion, la création d’une agence spécialisée m’apparaît indispensable. Je me souviens ainsi d’avoir été confronté à d’importantes difficultés après avoir saisi une vingtaine de bateaux. Lorsque j’ai demandé à ce qu’ils soient placés dans le port de Marseille, le préfet a aussitôt pris un arrêté me faisant l’heureux concessionnaire – en mon nom propre ! – d’une centaine de mètres linéaires de quais, pour un tarif exorbitant. J’ai bataillé avec la Chambre de commerce et d’industrie de Toulon pour les convaincre de m’accorder la gratuité, puisque le cahier des charges le prévoyait s’agissant des navires de l’État. Finalement, on m’a fait payer comme si j’étais un plaisancier ! En outre, il faut prévoir l’entretien et le gardiennage des navires. On peut certes saisir les Domaines pour effectuer une vente avant jugement, mais la procédure est très lourde. Au final, de telles saisies coûtent parfois plus cher qu’elles ne rapportent, car la gestion des biens est éparpillée et confiée à des gens dont ce n’est pas le métier. La création d’un organisme central spécialisé serait donc bienvenue.

Mme Patricia Mathys, commandant de police, chef de la Plateforme d’identification des avoirs criminels. J’en reviens aux trois grands axes de la proposition de loi. L’élargissement du champ des biens susceptibles d’être saisis est une très bonne chose, car à l’heure actuelle, si de nombreux biens sont confiscables, aucune disposition ne précise que ces mêmes biens peuvent être saisis. Hormis quelques-uns, dont M. Duchaine, les magistrats sont donc frileux à l’idée de saisir des biens confiscables, ce qui peut poser problème.

Aujourd’hui, les criminels n’ont pas conscience que leurs biens sont confiscables. Certains tombent des nues lorsqu’on le leur annonce au moment du procès. Mais à l’avenir, lorsqu’ils s’apercevront que, systématiquement, des investigations patrimoniales sont déclenchées de façon à identifier les biens en vue de leur confiscation, il est évident qu’ils organiseront leur insolvabilité. Dès lors, sans le pouvoir de saisir, celui de confisquer ne servira à rien. À mon sens, un tel argument devrait convaincre les députés d’établir un lien entre biens confiscables et biens saisissables.

Toutefois, un problème se pose lorsque les biens sont acquis au nom de tiers, ce qui est de plus en plus fréquent. Les personnes concernées agissent ainsi lorsqu’elles veulent mettre à l’abri de toute saisie des éléments de patrimoine dont elles ont pourtant la disposition. Peut-être serait-il nécessaire d’étendre à ce type de situations le champ d’application de la loi.

En ce qui concerne la clarification des procédures, il serait évidemment bien préférable de ne plus passer par la procédure civile pour opérer une saisie. Si par exemple, une ordonnance du juge d’instruction ou du JLD suffisait pour permettre l’inscription d’un bien à la Conservation, sans devoir passer par une hypothèque, les magistrats auraient plus souvent recours à de telles procédures.

Après leur confiscation par une juridiction de jugement, les biens sont vendus par les Domaines et le produit de cette vente vient alimenter une ligne du budget de l’État. Les règles de la comptabilité publique ne permettent pas de consacrer directement cet argent à l’indemnisation des victimes. Ainsi, dans une affaire d’escroquerie en bande organisée par exemple, il est difficile de procéder à cette indemnisation, même avec le produit de la vente des biens de l’escroc. C’est pourquoi je me demande s’il ne faudrait pas maintenir l’existence de l’article 706-103 du code de procédure pénale, dont la vocation est justement d’indemniser les victimes – même si je ne suis pas certaine que l’État puisse les représenter, par exemple, au moment de l’inscription d’une hypothèque.

M. Charles Duchaine. On peut prononcer une subrogation au moment du jugement.

Mme Patricia Mathys. Mais dans les faits, cela ne se produit jamais. Or il est important, outre de condamner les coupables, de montrer aux victimes qu’elles peuvent obtenir une indemnisation. S’agissant de trafic de stupéfiants, par exemple, il est naturel que l’État récupère le produit de la confiscation car, dans le fond, la victime, c’est lui. Mais dans d’autres cas, les victimes, qu’elles soient personnes physiques ou morales, aimeraient avoir de l’argent dans leur poche ! Il serait peut-être nécessaire que la réforme de la procédure tienne compte de cette préoccupation.

Enfin, l’amélioration de la gestion des biens est primordiale. Si vous ôtez cette charge aux magistrats, ils hésiteront d’autant moins à recourir aux saisies. Par ailleurs – mais cela ne relève pas de la loi –, il faudra bien, à terme, mettre en place une base de données informatisée, consultable par des administrations telles que les impôts ou les douanes, pour recenser tout ce qui est saisi en France. À défaut, on peut être conduit à restituer, à Nice, une somme d’argent à un individu alors que le même a une créance fiscale à Lille.

M. Romain Stiffel, capitaine de gendarmerie, chef adjoint de la Plateforme d’identification des avoirs criminels. Je rejoins M. Duchaine et Mme Mathys : seuls les textes conduisent notre action ; à défaut, nous travaillons dans l’improvisation, avec tous les risques d’invalidation de la procédure que cela comporte. De ce point de vue, les textes dont nous avons parlé – articles 54, 56 et 97 du code de procédure pénale –, qui donnent un fondement à la saisie, sont inadaptés aux objectifs des investigations modernes, car focalisés sur les pièces à conviction. Dès lors, OPJ et magistrats éprouvent, d’un point de vue juridique, des difficultés à appréhender certains éléments de patrimoine même lorsqu’ils sont en relation avec l’infraction – qu’ils en soient le produit ou l’instrument –, hormis le cas de ce qui peut servir à la manifestation de la vérité, c’est-à-dire des éléments constitutifs de l’infraction. Dans ce domaine, la réécriture proposée par la proposition de loi est donc utile.

L’article 54 est le plus important, puisque les autres en découlent. Mais l’esprit de cet article, c’est la constatation de la scène de crime, la recherche des armes et instruments qui ont participé à la commission de l’infraction ou du produit direct de cette infraction. Or les actions que nous conduisons aujourd’hui vont bien au-delà. Dès lors, la possibilité pour des officiers de police judiciaire de procéder, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, à des perquisitions destinées à saisir des avoirs pour la seule raison qu’il s’agit d’avoirs confiscables représenterait un très grand progrès.

Beaucoup de professionnels du secteur ont apprécié la modification de l’article 131-21 du code pénal accomplie par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Désormais, les modalités de confiscation sont clarifiées, qu’il s’agisse de la confiscation stricto sensu – c’est-à-dire du produit direct de l’infraction ou de l’instrument de commission –, de la confiscation des biens dont on ne peut justifier l’origine, ou de la forme la plus offensive, c’est-à-dire la confiscation générale du patrimoine, prévue pour une dizaine d’infractions parmi les plus graves. En l’état actuel de la législation, cependant, au lieu de nous demander si nous sommes en mesure de saisir, nous nous demandons si le bien est confiscable, ce qui relève d’une logique contraire à la chronologie. De ce point de vue, la proposition de loi apporterait une clarification importante en posant le principe général selon lequel tout bien qui encourt la confiscation est, par ce seul fondement, saisissable. Une fois ce principe affirmé, il ne restera plus qu’à déterminer quelle autorité prononce la saisie, selon qu’il s’agit d’un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel.

En ce qui concerne la gestion des biens saisis, tous les praticiens font le même constat : dans notre pays, nous ne faisons qu’organiser l’absence de gestion. Nous faisons même tout pour ne pas avoir à gérer les biens, et pour commencer, nous essayons de nous en débarrasser en les faisant vendre – ce qui n’est d’ailleurs pas la plus mauvaise solution, à partir du moment où cela permet de consigner une somme sur une chose qui se déprécie par nature. Toutefois, la question reste entière s’agissant des immeubles. Je pense ainsi à certains dossiers sur lesquels nous travaillons en relation avec des juridictions interrégionales spécialisées, et qui concernent des immeubles laissés à l’abandon. Le risque est d’autant plus grand, dans de tels cas, que la protection apportée par les scellés est loin d’être parfaite.

La gestion des immeubles représente pourtant un enjeu patrimonial et budgétaire non négligeable, puisque j’ai pu constater, au vu des états statistiques établis grâce à la base nationale des saisies de la PIAC, que la valeur de seize biens immobiliers saisis, en 2007, dépassait celle de l’ensemble des véhicules saisis sur tout le territoire national.

J’en reviens, comme Patricia Mathys, à l’article 706-103 du code de procédure pénale. Je constate qu’il n’est pas supprimé par la proposition de loi, même si elle lui apporte quelques modifications. Ainsi, plutôt que d’employer le terme de « saisies » conservatoires, on parle de « mesures » conservatoires, ce qui est en effet bien plus exact.

Comme l’a rappelé Charles Duchaine, nous avons peu à peu échafaudé une réflexion juridique sur la capacité, pour des magistrats et des OPJ, de préparer des saisies dans deux contextes juridiques radicalement différents. Dans un cas, il s’agit de saisies purement pénales, au sens où on peut déduire des éléments objectifs du dossier un lien évident entre le bien et l’infraction – qu’il s’agisse du produit ou de l’instrument de l’infraction. Ainsi, le bénéfice d’un trafic de stupéfiants est le produit direct de l’infraction, et les intérêts générés par le placement de cette somme, le produit indirect. Quant à l’instrument, c’est tout simplement le lieu de fabrication ou de stockage, ou le véhicule utilisé pour le transport. Je note au passage que dans les affaires de proxénétisme ou de traite des êtres humains, on ne saisit que très rarement des immeubles dans lesquels les propriétaires ont pourtant entassé des familles de vingt-deux personnes dans des deux-pièces de dix mètres carrés...

L’autre voie explorée provient de l’article 706-103, lui-même inspiré par l’ancien article 706-30, qui ne concernait que le trafic de stupéfiant. Il permet de prendre des mesures de garantie civile sur le patrimoine – sous-entendu non lié à l’infraction – dans le but de rendre possible une confiscation générale des biens – mais seulement, je le répète, pour une petite famille d’infractions. La rédaction de l’article 706-103, tel qu’il a été adopté, va toutefois au-delà de l’intention initiale de ses auteurs, puisqu’il comprend des dispositions destinées à indemniser les victimes. Elles ont été très bien accueillies, mais leur application reste très théorique. En effet, la prise de mesures de sûreté sur un bien appartenant au mis en examen ne pourra bénéficier à la victime que si celle-ci s’en trouve être la créancière. Or si les articles R. 24-1 et suivants du code de procédure pénale, relatifs au contrôle judiciaire, prévoient qu’une sûreté peut bénéficier à la victime – même si, dans ce cas, la sûreté doit être acceptée par le mis en examen –, il n’en est pas de même dans l’article 706-103. Ainsi, s’il existe une volonté, tout à fait honorable, de rendre aux victimes une partie de ce qu’on leur a pris – je pense en particulier aux affaires d’escroquerie organisée, qui peuvent toucher des centaines de personnes et représenter des dizaines de millions d’euros de préjudice –, cette volonté reste toutefois très théorique : concrètement, il n’existe que peu de moyens d’indemniser les victimes, car les sûretés prises au nom de l’État ne leur sont pas transmissibles, à moins de l’avoir prévu très en amont.

Rappelons que les mesures conservatoires prévues par l’article 706-103 visent à garantir le paiement des amendes, l’indemnisation des victimes et l’exécution de la confiscation. Or cette dernière disposition risque de se retrouver vidée de son sens avec la mise en place, par la proposition de loi, d’un nouveau titre XXIX visant à organiser les saisies en vue de la confiscation. Il serait sans doute nécessaire de prévoir une meilleure articulation entre l’article 706-103 et l’article 706-147, relatif « aux saisies patrimoniales ». Il y a en effet une évidente proximité entre les deux articles – dans les deux cas, il s’agit de saisir tout ou partie des biens en vue d’une confiscation – qui risque d’entraîner une certaine confusion. Or nous avons déjà éprouvé de grandes difficultés à faire accepter la capacité, pour un juge d’instruction, de saisir pénalement en dehors de l’article 706-103. Il a fallu, de la part de certains pionniers dont fait partie M. Duchaine, un travail intensif d’explication. Et si on peut se réjouir de voir cette proposition de loi avaliser, pour partie, des pratiques que nous avons développées sur le terrain, il reste que l’articulation entre ces deux articles pourrait poser problème, d’autant que, et l’expérience le montre, l’usage de l’article 706-103 demeure largement méconnu dans les juridictions françaises.

M. Alexandre Malo, commandant de gendarmerie, chargé des saisies à la section des atteintes à la Nation et trafics économiques du bureau des affaires criminelles de la Direction générale de la gendarmerie nationale. La proposition de loi permet des avancées significatives dans la saisie et la gestion des biens, notamment en étendant clairement le champ des saisies, au-delà des seules pièces à conviction, à l’ensemble des biens du mis en cause. Par ailleurs, le texte reconnaît l’existence de saisies particulières, ce qui est très important à nos yeux. En effet, le code de procédure pénale, en l’état actuel, ne reconnaît pas les saisies de comptes bancaires ou de biens immobiliers, par exemple. Dès lors, même quand on a identifié les avoirs, il est difficile de convaincre le magistrat que l’on peut les saisir. Il en irait autrement, bien entendu, si cette pratique était expressément prévue par le code de procédure pénale.

Il est également très important de distinguer désormais une procédure pénale de saisie. À cet égard, je rejoins l’avis du capitaine Stiffel : il est nécessaire de bien articuler les articles 706-103 et 706-147, dont les dispositions semblent se chevaucher. Selon moi, l’article 706-147 est le cœur du texte, et les dispositions qu’il comporte doivent être parfaitement claires si nous voulons qu’elles soient réellement mises en œuvre.

Enfin, l’organisation de la gestion des biens, et notamment la définition du rôle du gardien, de l’administrateur ou des Domaines répondrait à une forte attente. Pour confisquer beaucoup, il faut saisir beaucoup. Et pour saisir beaucoup, il faut bien identifier. Dans ce processus en chaîne, la phase d’identification est désormais bien prise en charge, et même de mieux en mieux, grâce à des acteurs tels que la PIAC et les GIR, mais aussi grâce aux formations mises en œuvre dans les unités, notamment sur la détection de ressources patrimoniales injustifiées. Mais on se heurte toujours à des blocages en ce qui concerne la saisie, non seulement parce que les textes sont peu clairs, mais aussi parce que saisir des biens implique de les gérer. Or c’est souvent à l’enquêteur qu’il revient d’organiser cette gestion. Ainsi, dans ma précédente affectation, j’ai pu travailler sur une affaire d’escroquerie commise par des gens du voyage. Après avoir saisi douze véhicules, il a fallu trouver un endroit sûr pour les stocker, mais aucun garage n’a voulu les prendre en charge, par peur des représailles de la famille mise en cause, bien connue dans la région. Ces craintes étaient d’ailleurs justifiées, puisque, comme on l’a su par la suite, le garage qui avait procédé à l’enlèvement a reçu une visite de sa part.

L’autre problème est le coût représenté par le stockage. Certes, on peut revendre les véhicules avant jugement, et cette possibilité représente d’ailleurs une avancée significative, mais il n’en est pas moins nécessaire de trouver une solution adaptée pour les stocker dans l’attente de la vente. En l’espèce, l’enquêteur était parvenu à un accord avec le commandant d’un régiment de l’armée de terre, avec lequel il avait de bons contacts, afin que les véhicules soient entreposés dans l’enceinte de la base. Mais tout cela, c’est de l’ordre du « système D ». C’est pourquoi l’organisation matérielle de la gestion des biens saisis représente, après la réforme de la procédure, un des chantiers les plus importants si nous voulons augmenter le volume des saisies.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Concrètement, comment faites-vous pour stocker les véhicules ? Avez-vous recours à des fourrières ?

M. Charles Duchaine. On peut recourir à une fourrière, à un garagiste ; longtemps on a envahi les cours des gendarmeries, jusqu’à ce qu’elles s’en lassent légitimement… Pour ma part je souligne toujours la nécessité d’un diagnostic préalable : le véhicule est-il confiscable ? A-t-il une valeur vénale ? Sinon, inutile de le saisir. Si oui, il faut immédiatement rendre une ordonnance sur le fondement de l’article 99-2, alinéa 2, pour le remettre aux Domaines en vue de son aliénation avant jugement, qui intervient après trois ou quatre semaines seulement, donc avec des frais raisonnables. J’ai ainsi organisé récemment une vente de Ferrari…

M. Romain Stiffel. Mais il n’en va ainsi que dans certaines juridictions familières avec ces procédures. Dans la plupart des cas, les véhicules saisis ne sont pas gérés, et le coût de leur mise en fourrière en vient souvent à dépasser leur valeur.

M. le président Jean-Luc Warsmann. De quel ordre sont les tarifs ? On nous a parlé de 10 euros par jour.

M. Alexandre Malo. C’est le cas en région parisienne.

M. Charles Duchaine. En général c’est 6 euros par jour pour un véhicule léger, et plus bien sûr pour un poids lourd. Il y a une amélioration, et les parquets deviennent plus vigilants sur le devenir des véhicules saisis. A Marseille nous n’avons plus aujourd’hui de véhicules qui traînent. Mais songez qu’il est arrivé que des cadavres restent dix ans à la morgue, après autopsie… Ce qui est choquant moralement, et de plus coûteux. Le problème est que nous devons faire tous les métiers !

M. Romain Stiffel. Il nous arrive d’avoir recours à des arrangements empiriques, non prévus par les textes. L’armée, du fait de ses liens avec la gendarmerie, nous rend parfois service, quoique de moins en moins. Je pense au cas d’un avion de chasse saisi en Normandie, pour lequel les frais de gardiennage auraient été considérables. De même pour le voilier King Alexander, utilisé dans un trafic de cocaïne, c’est un arrangement avec la zone maritime de Cherbourg qui a permis d’éviter des frais en attendant sa vente. Mais ces arrangements concernent des biens hors normes, et ne sont pas généralisables – en particulier aux véhicules automobiles, vu leur nombre.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Mme Mathys a soulevé le problème des biens issus d’une activité criminelle, mais détenus par des tiers. Mettre les biens concernés au nom de tiers peut en effet être une manière de réagir aux dispositions que nous proposons, nous en sommes conscients. D’autre part nous devons éviter la censure du Conseil Constitutionnel. Apercevez-vous des pistes pour résoudre ce problème ?

Mme Patricia Mathys. Il nous arrive de saisir des biens qui sont le produit ou l’instrument de l’infraction, mais de ne pouvoir les vendre parce qu’ils ne sont pas au nom de la personne mise en examen, comment le veulent les articles 99-2 et 41-5. La PIAC a recouru à une solution empirique : nous nous sommes fondés sur des articles, notamment du code civil, impliquant la théorie du « prête-nom », qui permet de considérer le mis en examen comme le vrai propriétaire. Nous nous fondons aussi sur des éléments objectifs : qui a financé la voiture ? qui s’en sert ?... De la sorte nous avons pu faire valider des ordonnances de juges d’instruction ordonnant la vente de biens appartenant en fait, mais non en droit, au mis en examen. Peut-on s’en inspirer pour le cas de biens immeubles ? Je ne sais.

M. Alexandre Malo. Une autre piste est à explorer : celle de la non justification de ressources, dans le cas d’une personne qui est en relations habituelles avec l’auteur d’une infraction. On peut ainsi démontrer par exemple que la compagne d’un trafiquant de drogue n’est pas la véritable propriétaire d’un véhicule.

M. Charles Duchaine. Ce type de pratiques ne nous pose pas de problèmes particuliers, sauf quand il s’agit de personnes morales. Depuis des années, des biens sont achetés par l’intermédiaire de sociétés luxembourgeoises ou panaméennes. La principale difficulté, c’est de trouver des preuves.

Dans l’affaire des villas du Vaucluse que j’ai citée tout à l’heure, les habitations n’étaient pas au nom de la personne poursuivie. J’ai rendu une ordonnance en deux temps, qui démontrait que la propriété du bien, établie au nom d’une société étrangère, n’était qu’un écran juridique permettant au prévenu de se dissimuler.

Je ne crois pas que la loi doive rentrer dans ces détails : d’abord, ce serait trop complexe ; ensuite, quand elle se fait trop précise, la loi devient un carcan, et elle est inutilisable. Les moyens dont nous disposons actuellement sont suffisants.

Un problème délicat est celui des biens acquis par une SCI comprenant plusieurs associés, le délinquant et d’autres personnes non susceptibles d’être poursuivies. Si l’on arrive à démontrer que ces biens sont le produit de l’infraction, on peut mettre en examen la SCI, son gérant et, le cas échéant, les associés, de sorte que tout peut être saisi ; en revanche, si l’on ne peut établir aucun lien avec l’infraction et que l’on agit sur le seul fondement de l’article 706-103, sans pouvoir envisager une confiscation totale du patrimoine, il est impossible de rendre les autres associés garants d’une dette dont, a priori, ils n’ont pas à être tenus responsables – sauf si l’on démontre qu’il s’agit d’associés fictifs n’ayant pas financé leur apport au capital ou que la société n’a pas d’activité réelle. Toutefois, c’est notre travail ; je ne crois pas que cela puisse être réglé par la loi.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je salue Erwan Guilmin, qui vient de nous rejoindre. Monsieur Guilmin, au regard de votre expérience personnelle, que pensez-vous de notre proposition de loi ?

M. Erwan Guilmin, chef du bureau des affaires juridiques et contentieuses à la Direction générale des douanes et des droits indirects. Je vous prie d’excuser mon retard, monsieur le président : je devais assister à un séminaire sur la contrefaçon dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

Nous saluons bien évidemment cette proposition de loi. Toutefois, elle concerne le seul service national de la douane judiciaire, et non la douane administrative, puisque le code des douanes prévoit des dispositifs particuliers en matière de saisie, de confiscation, d’aliénation et de destruction des marchandises et des moyens de transport. Je vous les présenterai si vous le souhaitez.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous nous sommes également interrogés sur les objets de luxe et de haute technologie présents dans les domiciles. Arrivez-vous à les appréhender ?

M. Romain Stiffel. Pour ce qui est des perquisitions, ces objets mobiliers ne nous posent pas de problèmes. Les difficultés commencent avec leur gestion : il n’est pas facile de restituer en bon état un écran plat de 127 cm après qu’il a passé du temps dans des caves dont l’hygrométrie laisse à désirer !

Nous avons également été confrontés à des installations luxueuses tellement importantes que nous avons hésité à procéder à la saisie. Cela relève du diagnostic de pré-saisie, pratiqué depuis longtemps par les Anglo-saxons : nous n’allons pas saisir des quantités astronomiques de biens si nous ne pouvons pas les stocker ni assurer une restitution en bon état. Récemment, nous avons donc pris des dispositions afin qu’une fois identifiés et placés sous scellés, ces objets mobiliers soient laissés en gardiennage au propriétaire des lieux.

Au total nos plus grandes difficultés ne concernent pas ces objets, mais plutôt les biens immobiliers ou incorporels.

M. Charles Duchaine. Les biens que vous évoquez sont typiquement de ceux que l’on peut vendre. Dans une affaire récente, j’ai saisi l’intégralité de la garde-robe et des bijoux de la maîtresse d’un délinquant. Cela se vend très bien !

Ces objets sont en effet sujets à dépréciation. Certes, quand il s’agit de bijoux de valeur ou de Ferrari, on peut hésiter ! Certains de mes collègues estiment que même si ces biens ne risquent pas de se dévaloriser, leur gestion coûte cher et qu’il faut les vendre. Cependant, l’économie des frais de justice ne fait pas partie des critères retenus par l’article 99-2 du code de procédure pénale…

Les animaux aussi posent problème : les Américains disent, avec raison, qu’ « on ne saisit pas ce qui mange ». Personnellement, j’ai renoncé à saisir un troupeau de quarante taureaux !

M. Romain Stiffel. Je voudrais revenir sur la question des prête-noms. Dans le cadre d’investigations internationales menées par une JIRS sur des montages transnationaux impliquant des sociétés luxembourgeoises ou panaméennes, le problème se pose évidemment en termes de preuves et d’entraide pénale. Néanmoins, dans les cas de blanchiment de proximité, nous sommes quotidiennement confrontés à des affaires complexes dans lesquelles les biens ne sont quasiment jamais au nom des suspects. Il s’agit souvent d’artifices de courte vue, faisant appel à la famille proche ou à la concubine ; les certificats de carte grise sont ainsi systématiquement établis au nom de tiers.

À la PIAC, nous avons étudié la manière de tourner l’obstacle. L’incrimination de non justification de ressources est une solution, dès lors que le propriétaire est en relation régulière avec l’auteur de l’infraction et qu’il est incapable d’expliquer comment il a financé l’acquisition du bien. On peut également faire appel à un texte plus ancien, mais peu utilisé : l’infraction de recel – notamment pour les compagnes détenant des biens dont elles savent pertinemment la provenance frauduleuse. Enfin, dans le cas de prête-noms « actifs », on peut invoquer l’article 324-1 du code pénal, qui assimile à un blanchiment toute participation à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d’un crime ou d’un délit. La difficulté est d’en apporter la preuve pénale.

En tout cas, nous considérons que nos investigations ne s’arrêtent pas parce qu’un titre de propriété est au nom d’un proche. Patricia Mathys l’a dit, nous nous inspirons de textes civils, comme l’article 1321 du code civil sur « les contre-lettres », pour en transposer les méthodes au plan pénal. Quand une voiture luxueuse est au nom d’une personne dont le nom ne figure pas dans le dossier, ce qui est un obstacle à sa saisie, nous engageons des investigations complémentaires sur son financement – qui, bien souvent, est assuré par un crédit à la consommation. Si, comme cela arrive souvent, le prêt est remboursé bien avant l’échéance suite à un important dépôt d’espèces sur le compte bancaire, il n’est pas compliqué d’en tirer des conclusions pénales. En outre, après l’achat, il faut entretenir le véhicule, le faire contrôler, payer le stationnement ou le droit d’amarrage, etc. Un faisceau d’indices permet ainsi au juge d’aboutir à la conclusion que la propriété apparente n’est pas la propriété réelle, laquelle est d’ailleurs souvent confirmée par des témoins. Nous avons obtenu gain de cause sur quasiment la totalité de ce que nous appelons les « requalifications de propriété », ce qui nous a permis d’obtenir, suivant les dispositions de l’article 99-2, des ordonnances autorisant la remise de ces biens aux Domaines ainsi que leur vente.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Au cours de ce type d’investigation, avez-vous la possibilité de demander à la banque sur quelle base elle a accordé le prêt ?

M. Romain Stiffel. Bien sûr : il suffit de demander, par réquisition de police judiciaire, le dossier de prêt. Nous sommes toujours étonnés de voir avec quelle facilité certaines personnes obtiennent des concours bancaires ! Il est évident que de solides garanties ont été apportées. Nous essayons de les mettre au jour.

M. Charles Duchaine. Dans des affaires plus importantes, on a toutefois bien du mal à détecter les dépôts de garantie – notamment lorsqu’il y a des filiales off-shore.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Les banques collaborent-elles ?

M. Romain Stiffel. Dans l’ensemble, oui.

M. le président Jean-Luc Warsmann. En 2004, lorsque je préparais mon rapport sur la lutte contre les réseaux de trafiquants de stupéfiants, on m’avait signalé certaines porosités ; par exemple, si l’on interrogeait la banque trois jours avant une interpellation, on prendrait le risque que certains chargés de clientèle rendent des services supplémentaires à leur client…

M. Romain Stiffel. Ce sont des cas exceptionnels. Encore faut-il choisir le bon interlocuteur. Aujourd’hui, en France, tous les groupes bancaires possèdent des services spécialisés dans la lutte contre le blanchiment d’argent ; des personnes sont donc spécialement désignées, au niveau national, pour répondre à nos réquisitions – ce qui garantit un éloignement physique avec l’agence où est tenu le compte.

M. Charles Duchaine. Tout dépend du niveau de délinquance. À un haut niveau, il y a de la porosité – même si elle est moins importante à Paris qu’à Bastia ou Ajaccio. D’ailleurs, les affaires qui aboutissent sont celles que l’on tient secrètes. Sur mes réquisitions, je n’indique plus de nom ni de qualification, mais seulement un numéro de dossier, afin d’éviter toute fuite.

Parfois aussi, les réquisitions ne sont pas exécutées immédiatement – comme dernièrement, à la BNP. La personne poursuivie en a profité pour vider son compte. Je craignais une connivence avec un employé de la banque, mais on m’a expliqué qu’il s’agissait d’un simple dysfonctionnement ; d’ailleurs, la banque a provisionné une somme équivalente au préjudice causé. Comme je n’avais aucun fondement juridique pour l’exiger, je n’ai pas donné suite. De tels incidents sont de plus en plus rares.

M. Romain Stiffel. Nous avons connu des expériences similaires à la PIAC, mais dans des affaires qui font intervenir des organisations quasi mafieuses, dotées d’une structure transnationale et faisant appel à des « coupe-circuits », c’est-à-dire des pays non coopératifs : du coup, l’investigation s’arrête. Dans ce cas, nos résultats sont extrêmement décevants.

Mme Patricia Mathys. Chaque fois que, dans une réunion européenne ou internationale, j’évoque notre fichier des comptes bancaires, on me regarde avec des yeux ronds ! Nous sommes quasiment le seul pays au monde à disposer d’un fichier permettant d’identifier le titulaire d’un compte. L’étonnement est tout aussi grand quand j’ajoute qu’on peut obtenir des renseignements sur les mouvements bancaires sans prévenir le titulaire du compte. Souvent, dans les autres pays européens, les enquêteurs ont le droit d’interroger le gestionnaire du compte, mais son titulaire est obligatoirement prévenu. Nous avons là une grande chance ; il ne faut pas que cela change !

M. Romain Stiffel. D’ailleurs, le reste de l’Europe évolue dans notre sens. Ainsi, le réseau de récupération des avoirs criminels, le réseau CARIN, auquel nous participons et qui rassemble cinquante-deux États, dont les vingt-sept États membres de l’Union européenne, souhaite mettre en place une structure qui aurait accès à un fichier centralisateur des comptes bancaires – vous vous doutez bien que certains pays se montrent extrêmement réticents ! Et, dans son discours prononcé lors du colloque organisé par la MILDT vendredi dernier – au cours duquel le président Warsmann est également intervenu -, M. Jacques Barrot formulait le souhait de doter l’Union européenne de structures de coopération policière et judiciaire dotées de moyens coercitifs, avec notamment la possibilité de savoir dans quelle banque une personne physique a son compte, afin de contacter le bon interlocuteur. Aujourd’hui, quand nous travaillons avec certains pays, nous ne savons même pas qui interroger !

M. Charles Duchaine. Par exemple en Espagne.

M. Romain Stiffel. À l’inverse, l’Allemagne possède un fichier centralisateur.

M. Alexandre Malo. En Suède, les enquêteurs interrogent toutes les banques.

M. Romain Stiffel. Cette méthode atteint ses limites aux Îles Vierges britanniques, qui comptent 30 000 banques !

M. le président Jean-Luc Warsmann. Comment procédez-vous pour appréhender les parts de sociétés ?

M. Romain Stiffel. C’est du ressort de l’autorité judiciaire. Pour l’instant, le seul mode opératoire en usage est le nantissement des parts sociales – mais, comme l’hypothèque, ce n’est pas une solution. Voilà une autre illustration de l’inadéquation des procédures civiles.

Une sûreté judiciaire vise à garantir une créance, ce qui est totalement différent du gel d’un bien en vue de sa confiscation. Le nantissement ou l’hypothèque supposent de déterminer le montant de cette créance. Comme me le faisait remarquer le président de la commission juridique de l’association nationale des conservateurs des hypothèques de France, notre problème, par rapport à une banque, un notaire ou tout autre créancier non pénal, c’est que notre créance est liée au bien, elle naît de la valeur du bien. Une créance civile est étrangère au bien, qui n’est là que pour la garantir, alors que notre créance trouve son fondement dans le bien lui-même. Le conservateur des hypothèques est obligé d’appliquer le décret de 1955 sur la publicité foncière, mais il nous est difficile de remplir le bordereau formalisé. La détermination de la créance n’est ainsi qu’un mode opératoire convenu entre praticiens afin de geler la valeur du bien telle qu’elle résulterait de sa vente ; ce n’est pas un objectif en soi.

M. Charles Duchaine. Le risque en matière de parts, c’est de ne saisir que du vent. Saisir une part de SCI, par exemple, ne permet pas de geler la totalité des actifs : la SCI étant propriétaire de tel immeuble, la part sera estimée à tel montant. Or, si l’immeuble est vendu, la part perdra sa valeur et on ne saisira rien.

On a un peu reculé devant la difficulté, c’est vrai. Pour ma part, je préfère saisir le bien plutôt que les parts, mais ce n’est pas toujours possible : on ne peut pas faire de saisie partielle d’un immeuble. Il faut donc soit démontrer que la SCI n’est qu’un écran, soit impliquer l’ensemble des associés, de manière à appréhender la totalité des actifs.

Le nantissement des fonds de commerce est lui aussi envisageable, mais c’est une procédure très lourde.

M. Romain Stiffel. Je suis d’accord : nous avons été amenés à prendre des mesures qui ont un caractère très théorique, notamment en ce qui concerne les SCI.

Le nantissement n’est pas une saisie : il ne provoque pas l’indisponibilité des parts, mais permet leur vente. Or que se passe-t-il si la valeur de ces parts n’a aucune commune mesure avec celle de l’actif immobilier ? Une SCI dont le capital social est de 1 000 euros peut très bien détenir un immeuble valant 1 million d’euros ! Le nantissement des parts ne donne aucun droit sur l’immeuble. Ce n’est que lorsque la confiscation est prononcée que les choses changent, dans la mesure où l’État détient une créance sur la société propriétaire. Reste à espérer que le bien soit toujours là, puisque le nantissement ne fait pas échec à la vente !

Quant aux fonds de commerce, ils posent un problème de gestion : des commerces très bien implantés, qui pourraient rapporter beaucoup à l’État, se déprécient instantanément quand ils ferment leurs portes.

M. Charles Duchaine. C’est pourquoi nous sommes très réticents à la saisie de parts de sociétés, qui peut aboutir à des faillites. Ce sont des décisions difficiles à prendre.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Ne peut-on pas vendre un fonds de commerce ?

M. Romain Stiffel. En théorie, oui, mais les Domaines nous ont répondu qu’ils ne l’avaient jamais fait.

M. Charles Duchaine. Il faudrait faire une reprise d’entreprise, ce qui supposerait l’existence de professionnels de la gestion de fonds, comme au Canada ou aux États-Unis.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Dans ce cas, il faudrait instaurer une compétence concurrente, comme nous l’avons fait dans l’article 5.

M. Charles Duchaine. Mais les compétences que vous avez prévues ne seront-elles pas appelées à s’élargir si, comme nous le souhaitons, on crée un jour une agence de gestion chargée spécifiquement de ces opérations, qui ne sont pas du ressort des Domaines ?

Mme Patricia Mathys. L’exemple canadien, qui nous a été présenté lors d’un récent séminaire CARIN, est instructif. L’agence fédérale canadienne est composée, non de magistrats ou de policiers, mais de gestionnaires professionnels, qui ont la capacité de saisir et de valoriser les biens commerciaux jusqu’à la confiscation. La première année, l’État a consenti l’effort financier nécessaire pour la construction de hangars et le recrutement du personnel. Aujourd’hui, il n’a même plus besoin d’intervenir : sur 150 milliards de dollars canadiens confisqués, 13 servent à payer les frais de fonctionnement de l’agence et le reste va au « law enforcement », forces de police et de justice qui participent à la lutte contre la criminalité. L’agence se paye « sur la bête » : du coup, elle est financièrement autonome et n’a plus besoin d’argent de l’État. C’est idéal !

M. Romain Stiffel. Il faut reconnaître que l’exemple canadien est impressionnant : l’agence n’a même pas utilisé le budget qui lui était alloué ! Elle est nettement bénéficiaire par rapport aux charges de gestion, qui incluent des opérations lourdes comme le désamiantage de certains biens ou la décontamination des maisons utilisées pour la fabrication de produits stupéfiants… Cette situation résulte d’une vision économique globale : les gains étant dix fois supérieurs aux coûts, tout le monde est d’accord !

En outre, l’agence a la capacité de « tracer » les biens – ce qui, comme le rappelait Patricia Mathys, est le préalable à leur gestion. En consultant une base réservée à l’autorité judiciaire, n’importe quel juge canadien peut avoir connaissance d’une saisie effectuée sur un point du territoire national, et effectuer les recoupements nécessaires. En France, c’est impossible ! Et ne parlons pas des difficultés que le fisc rencontre pour obtenir le recouvrement de certaines créances fiscales, faute de patrimoine connu, alors que des biens sont l’objet de saisies. Si l’on veut développer la gestion des biens, il faudrait d’abord veiller à les identifier !

Mme Patricia Mathys. Cela marche si bien au Canada qu’ils n’ont même pas besoin d’un texte comme notre article 99-2, les objets mobiliers n’étant pas vendus avant jugement. En combinant les deux systèmes, nous devrions aboutir à quelque chose d’efficace !

M. le président Jean-Luc Warsmann. En matière immobilière, notre texte vous convient-il ?

Mme Patricia Mathys. Oui. Toutefois, la confiscation d’un bien immeuble appartenant à deux personnes, dont une non impliquée dans le dossier, ne risque-t-elle pas de devenir difficile ? Jusqu’à présent, nous prenions une hypothèque à hauteur de 50 %. Qu’en sera-t-il désormais ?

M. Charles Duchaine. Rien ne changera, puisque l’article 131-21 du code pénal prévoit la situation où des biens d’origine licites sont mêlés à des biens d’origine illicites. La saisie pénale n’affecte en rien le patrimoine : au moment de la saisie, l’immeuble peut être loué, habité, voire vendu, du moment que les intérêts de l’État sont sauvegardés. Nul n’est tenu de rester dans l’indivision. Dès lors qu’un des propriétaires au moins est poursuivi et que sa part indivise est confisquée, l’État peut imposer la vente de l’immeuble, à condition de restituer aux autres propriétaires indivis la part qui leur revient. Cela ne soulève aucune difficulté.

En revanche, monsieur le président, l’article 706-147 me pose problème. Nous sommes tous d’accord pour dire que, la saisie étant un préalable nécessaire à la confiscation, il doit y avoir parfaite adéquation entre leurs deux champs. Mais pourquoi parler de « saisie de patrimoine » ? L’article 131-21 détermine le domaine de la confiscation ; sur cette base sont prises les mesures de saisie. Je ne vois pas l’utilité de cet article – sauf en ce qu’il introduit une distinction entre les compétences des différents juges.

Dans la pratique, avant la loi du 5 mars 2007 qui a élargi le champ de l’article 131-21, nous distinguions la saisie des biens en lien direct avec l’infraction, que nous qualifions de « saisie pénale », et celle des biens qui ne l’étaient pas, que nous qualifions de « saisie patrimoniale ». Nous considérions que les premières relevaient du juge d’instruction et les secondes du juge des libertés de la détention, sur le fondement de l’article 706-103.

Avec le recul, il apparaît que c’était une mauvaise lecture : l’article 706-103 n’a jamais eu vocation à permettre une mesure conservatoire en vue de la confiscation ; son objectif est la prise de sûreté judiciaire sur des biens qui, par définition, ne sont pas confiscables, afin de garantir le paiement des amendes, l’indemnisation des victimes et des confiscations qui nous auraient échappé, suite par exemple à la dissipation d’un bien.

Aujourd’hui ne subsistent que deux grands domaines : celui des peines de confiscations, défini par l’article 131-21 du code pénal (auquel doit correspondre celui de la saisie) ; et celui des sûretés judiciaires, définies par l’article 706-103 du code de procédure judiciaire, qui relève du juge des libertés et de la détention : dans la mesure où la loi ne prévoit pas expressément la possibilité de confiscation, il s’agit d’une atteinte au droit de propriété. En revanche, dès lors que la loi prévoit que le patrimoine est confiscable, on se trouve dans le premier cadre et les dispositions sur les saisies s’appliquent.

Partant, la notion de « saisie de patrimoine » et l’article 706-147 ne me semblent pas présenter d’intérêt, d’autant que les articles suivants expliquent la procédure à suivre pour chaque catégorie de biens concernés. À la limite, peu importe que ces biens soient ou non en rapport avec l’infraction dès lors qu’ils sont énumérés par l’article 131-21.

Reste à savoir si vous souhaitez qu’un seul magistrat ait compétence pour appliquer la totalité de l’article 131-21, ou si vous préférez distinguer les confiscations qui relèvent du juge d’instruction ou du procureur de la République et celles qui relèvent du juge des libertés et de la détention. Mais dans ce cas il se pose une autre question : les cas de confiscation qui, dans le projet d’article 706-147, seraient confiés au juge des libertés et de la détention, ne me semblent pas être les bons ; il faut laisser au magistrat en charge de l’enquête le soin de prendre les mesures de saisie sur des biens dont la loi prévoit qu’ils sont confiscables. Le juge des libertés et de la détention devrait plutôt intervenir pour les saisies en valeur, qui ne sont pas prévues par la loi ou déterminées par le dossier, mais qui sont des saisies par équivalence, davantage attentatoires au droit de propriété.

Mme Patricia Mathys. Moi non plus, je ne comprends pas pourquoi l’article 706-147 donne compétence au juge des libertés et de la détention pour ordonner la saisie des biens confiscables au nom de l’article 131-21, alors que l’article 706-149 prévoit que « le procureur de la République ou le juge d’instruction peuvent ordonner la saisie des immeubles dont la confiscation est prévue à l’article 131-21 du code pénal ». C’est contradictoire !

M. Charles Duchaine. C’est pourquoi il est nécessaire, d’abord de définir ce qui, dans le nouveau dispositif, est du ressort du juge des libertés et de la détention, puis de découper clairement l’article 131-21, en précisant les cas qui relèvent de sa compétence. Personnellement, je pense qu’il faudrait cantonner son intervention aux mesures prévues par l’article 706-103, car elles constituent une réelle atteinte au droit de propriété. Tous les autres cas de confiscations étant prévus par la loi, les saisies devraient être autorisées par le magistrat en charge de l’enquête.

Mme Patricia Mathys. D’autant que le texte prévoit que l’officier de police judiciaire pourra se transporter pour opérer des perquisitions partout où il y a des biens confiscables, sous le contrôle du juge d’instruction ou du procureur de la République !

M. Romain Stiffel. Je le pense aussi: il y a une mauvaise articulation entre les articles 706-147 et 706-103. L’intérêt de ce dernier est de prévoir des sûretés judiciaires sur les biens, non d’assurer des confiscations.

Par ailleurs, ne conviendrait-il pas d’étendre la garantie de l’indemnisation des victimes, voire du paiement des amendes, à d’autres cas que les affaires de criminalité organisée ? Je pense en particulier à une escroquerie de très grande ampleur, commise par un seul homme, qui a fait des centaines de victimes et causé plusieurs millions d’euros de préjudice : dans l’état actuel du texte, les victimes ne peuvent bénéficier d’une mesure conservatoire, un escroc isolé ne relevant pas de la criminalité organisée. Si l’article 706-103 fut réservé à la criminalité organisée, c’était pour permettre la confiscation générale du patrimoine, y compris les biens sans rapport avec l’infraction. Dès lors que cet objectif devient caduc, ne subsistent que les impératifs d’indemnisation des victimes et de paiement de l’amende : pourquoi les restreindre aux seules affaires de criminalité organisée ? Les mesures conservatoires, prises sur le patrimoine, devraient permettre à la justice pénale de faire ce que, dans le monde des affaires, tout le monde fait. Une banque n’hésite pas à prendre des sûretés !

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je repose ma question : en matière immobilière, le texte de la proposition de loi vous convient-il ?

M. Charles Duchaine. Oui.

M. Romain Stiffel. Il fallait assurer la publicité de la saisie pénale immobilière, qui ne sera opposable que si elle est publiée. Ce que propose le texte me semble répondre aux règles de la publicité foncière, notamment en ce qui concerne la prise de rang.

En revanche, le deuxième alinéa du texte proposé pour l’article 706-147 pose problème.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il s’agit d’une erreur de rédaction : il faut lire « saisie » et non « confiscation ».

M. Alexandre Malo. Dans le deuxième alinéa du texte proposé pour l’article 706-150, il est noté que la saisie porte sur la valeur totale de l’immeuble. Cela risque de poser des problèmes si le bien est détenu par plusieurs personnes, et que la saisie affecte des personnes étrangères aux poursuites ; de même, si cette valeur totale excède le montant de la « créance » de l’État. Le magistrat ne va-t-il pas être réticent à prendre une telle décision ?

M. Charles Duchaine. En matière de saisie, c’est-à-dire de confiscation, la valeur d’un bien n’a pas d’intérêt en soi. Certes, dans le cas d’une communauté ou d’une indivision, on peut avoir quelques scrupules à ordonner une saisie. Toutefois, celle-ci n’affecte en rien le bien : elle empêche d’en disposer, non d’en jouir. Sauf mentions particulières, on peut continuer à habiter l’immeuble, à le louer, à l’entretenir… Ce n’est qu’au moment où le tribunal ordonne la confiscation que se pose le problème des indivis. On peut toutefois répartir le produit de la location entre la procédure du juge d’instruction et les copropriétaires.

M. Romain Stiffel. Chiffrer la valeur d’un immeuble ne me paraît pas répondre à l’objectif de préparer les confiscations. Notre unique point de comparaison, c’est la saisie immobilière civile, qui nous offre une piste pour ce que nous devons faire dans le domaine pénal. Au civil, la publication du commandement de payer valant saisie a pour effet l’indisponibilité du bien, la saisie de ses fruits, la restriction du droit de jouissance et d’administration du débiteur à l’égard de celui-ci à compter de la signification de cette saisie et à l’égard des tiers à compter de sa publication. La notion de valeur n’intervient pas ; sinon, on reviendrait à nos anciens modes opératoires, comme les créances hypothécaires.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Voulez-vous intervenir sur d’autres sujets ?

M. Romain Stiffel. Monsieur le président, Patricia Mathys et moi-même souhaitons nous faire les porte-parole des officiers de police judiciaire, de l’OCRGDF, ainsi que d’autres offices et enquêteurs, qui s’interrogent sur le régime d’autorisation des saisies portant sur les biens immobiliers incorporels – et, en particulier, sur les comptes bancaires.

Mme Patricia Mathys. À la lecture des articles 706-152 et 706-153, on a en effet le sentiment que le blocage des comptes bancaires ne pourra être décidé que par le procureur de la République ou le juge d’instruction.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Ce n’est pas du tout notre objectif.

M. Romain Stiffel. Nous avions déjà évoqué ce point avec nos interlocuteurs de la Direction des affaires criminelles et des grâces. Il m’avait semblé comprendre, lors d’une réunion en mars 2008, que l’un des objectifs de ce texte était de revenir sur la capacité d’un officier de police judiciaire de procéder à ce blocage dans le cadre de la flagrance et de la commission rogatoire.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Les articles 706-149 et 706-150 se succèdent de façon identique sans que cela pose problème ! Dans mon esprit, les articles 706-149 et 706-152 sont des dispositions introductives qui ne limitent pas la portée des articles suivants.

M. Romain Stiffel. Le problème se pose surtout pour le juge d’instruction, dans la mesure où le procureur de la République, dans le cadre de l’enquête préliminaire, doit de toute façon donner une autorisation à l’officier de police judiciaire.

M. Charles Duchaine. Personnellement, je trouve que la nuance est bien faite. L’article 706-149 prescrit que le procureur de la République ou le juge d’instruction peuvent « ordonner » la saisie : il s’agit d’un pouvoir propre, qui peut, dans certains cas, être délégué – il est bien évident qu’en matière immobilière, c’est nous qui prendrons la décision. Par contre, l’article 706-152 prévoit une autorisation générale, comme pour une délégation ou une enquête.

M. Romain Stiffel. Cela fera doublon avec la commission rogatoire !

M. Charles Duchaine. Nous continuerons à vous délivrer des commissions rogatoires, en vous demandant en fin de mission de bien vouloir procéder plus généralement à toute audition, confrontation, perquisition, réquisition, saisie et à tout acte utile à la manifestation de la vérité, ce qui englobera les pouvoirs prévus par l’article 706-152. Il est évident qu’on ne peut laisser ce genre de décisions à la charge du magistrat : elles seraient prises avec un tel retard qu’elles deviendraient inutiles.

M. Romain Stiffel. Ce n’est pas ce qu’on nous avait dit à la Direction des affaires criminelles et des grâces…

La question de la valeur de la réquisition de blocage des comptes bancaires au débit se pose depuis longtemps. Depuis le 2 juillet 1990, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours confirmé qu’elle devait s’analyser comme une saisie entre les mains d’un tiers. Votre proposition de loi ne devrait-elle pas suivre cette voie, plutôt que de créer des confusions ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Dans sa rédaction actuelle, elle me semble aller dans le même sens !

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous clarifierons les choses.

M. Alexandre Malo. Monsieur le président, l’article 706-142 prévoit que seuls le procureur de la République ou le juge d’instruction peuvent requérir le concours de toute personne qualifiée. Or, dans certaines situations, l’officier de police judiciaire est amené à prendre rapidement des décisions. Il serait donc utile de préciser : « ou à défaut l’officier de police judiciaire, avec l’accord de ces derniers ».

M. le président Jean-Luc Warsmann. Madame, messieurs, je vous remercie pour cette table ronde particulièrement dense.

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M. Jean-Luc Warsmann. Au cours de la 2ème séance du mercredi 19 novembre, intervenant dans le débat sur les projets de loi d’application de l’article 25 de la Constitution, notre collègue René Dosière a estimé que la modification du mode de scrutin pour les élections européennes en 2003 a « privé de tout droit de vote nos compatriotes inscrits à l’étranger ».

La loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ayant remplacé la circonscription unique par huit circonscriptions d’élection et substitué aux listes nationales des sections régionales au sein des listes, le scrutin ne peut en effet plus avoir lieu dans les centres de vote à l’étranger et pour y participer, nos concitoyens établis hors de France doivent être inscrits dans une commune en France, en application des articles L. 12 et L. 14 du code électoral.

J’ai donc pensé que deux membres de la commission appartenant l’un à la majorité, l’autre à l’opposition pourraient examiner cette difficulté et rechercher une solution consensuelle susceptible d’être mise en œuvre avant les prochaines élections européennes.

À cette fin j’ai écrit aux présidents des deux principaux groupes pour les inviter à me faire connaître chacun le nom du commissaire aux Lois qui accepterait de remplir cette mission. Ils m’ont respectivement communiqué les noms de MM. Thierry Mariani et Jean-Jacques Urvoas. Si vous en étiez d’accord, nous pourrions les désigner dès maintenant.

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Informations relatives à la commission

La Commission a chargé MM. Thierry Mariani et Jean-Jacques Urvoas d’une étude sur les modalités de vote des Français établis hors de France aux élections au Parlement européen.

La séance est levée à vingt heures quinze

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