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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 18 mars 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, à l’occasion du dépôt de son rapport annuel 2

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

La Commission procède à l’audition de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, à l’occasion du dépôt de son rapport annuel.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir en votre nom le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, pour la remise de son rapport de 2008, étant rappelé qu’aux termes de la loi du 3 janvier 1973, dans sa rédaction issue de la loi du 12 avril 2000, ce « rapport fait l’objet d’une communication du Médiateur de la République devant chacune des deux assemblées ».

Je vous remercie donc, monsieur le Médiateur, d’être venu présenter à notre Commission des lois les points les plus saillants de ce rapport, que vous remettrez demain au président de l’Assemblée nationale, et répondre à nos questions.

Chaque année, votre travail, riche de toutes les réclamations que vous recevez et de l’accueil du public, met particulièrement en lumière l’insécurité juridique, qui est pour notre Commission un sujet de préoccupation. Notre objectif commun est de protéger les citoyens contre les incohérences ou la complexité des lois et règlements, ou contre leurs changements trop fréquents.

Vous évoquez aussi régulièrement, et j’y suis particulièrement attentif, les difficultés liées aux lenteurs de l’entrée en vigueur des lois. C’est notamment le cas de la loi sur les tutelles, adoptée dans les derniers jours utiles de la dernière législature : alors qu’il était prévu un délai de vingt mois avant sa mise en œuvre, les parquets et les départements y sont encore bien peu préparés.

Votre souci va cependant être suivi d’effet : dans un rapport que j’ai récemment remis au Premier ministre, j’ai préconisé l’abrogation de toutes les dispositions législatives de plus de trois ans pour lesquelles les textes d’application n’ont pas été publiés, et j’ai adressé à tous les ministres, voici quelques jours, la liste des dispositions relevant de leur département ministériel, en leur demandant d’indiquer, le 31 mars au plus tard, s’ils comptaient ou non prendre les décrets d’application attendus. Dans la négative, nous préparons pour le mois d’avril le dépôt d’une proposition de loi en ce sens. Ce sera là un objet législatif nouveau et il sera politiquement intéressant de voir chaque ministre expliquer devant l’Assemblée pourquoi des dispositions législatives concernant son département ministériel et votées depuis trois ans ne sont pas appliquées.

Sur cette question comme sur beaucoup d’autres, nous travaillons la main dans la main, dans l’intérêt général de nos concitoyens.

Cette audition sera également pour nous l’occasion de connaître les priorités d’action que vous avez dégagées, comme chaque année, pour 2009, notamment en matière de projets de réformes – je pense en particulier à celle des expertises médicales judiciaires. Nos démarches sont à cet égard similaires, la Commission des lois ayant choisi de désigner dès le début de l’année ses rapporteurs budgétaires, chargés chacun d’un sujet sur lequel de nombreuses améliorations sont nécessaires. L’un d’entre eux, M. Jean-Paul Garraud, doit nous présenter d’ici au mois de juin un travail sur la question des expertises judiciaires.

Enfin, la récente révision constitutionnelle ayant prévu la création d’un Défenseur des droits, qui succédera au Médiateur, nous souhaiterions savoir si vous vous préparez déjà à cette évolution et ce que vous en attendez.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir devant votre Commission.

Dans votre introduction, monsieur le président, vous avez évoqué l’excellente collaboration qu’entretiennent la Commission des lois et le Médiateur de la République. Ce dernier, je tiens à le souligner, n’est pas un décideur politique : son rôle est de questionner le politique, à qui il revient ensuite de partager ou non le jugement du Médiateur sur ce qu’il considère comme injuste et de tenter de le corriger par les textes. Je me réjouis d’observer que les lois de simplification que vous avez adoptées témoignent de votre adhésion à un bon nombre de nos propositions. Je n’oublie pas non plus l’efficacité remarquable avec laquelle vous avez soutenus sur la question des assurances-vie en déshérence.

Je savoure avec gourmandise la détermination avec laquelle vous envisagez, anticipant sur les propositions de mon rapport, d’abroger les lois dont les décrets d’application ne seraient pas encore publiés. Nous avons, à cet égard, élaboré un tableau récapitulant les lois auxquelles nous sommes très attachés et pour lesquelles l’absence de décrets d’application se traduit par des situations inéquitables et inconfortables pour nos concitoyens.

Je ne rappellerai pas les pouvoirs du Médiateur, fixés par la loi de 1973. Sur le plan des moyens, le Médiateur dispose de 100 collaborateurs à Paris. Depuis le 1er janvier 2009, la Mission pour le développement de la médiation, de l’information et du dialogue pour la sécurité des soins, qui relevait jusque-là de la Haute autorité de santé et quelque peu en contradiction avec l’accréditation de celle-ci, vient d’être rattachée au Médiateur, pour constituer un « Pôle santé sécurité soins ». L’extension à la médecine libérale permet désormais à tous nos concitoyens rencontrant une difficulté dans le domaine de la santé de saisir le Médiateur.

Le Médiateur dispose également de 275 délégués sur le terrain, de 386 points d’accueil, dont la moitié en zones urbaines sensibles, d’un délégué dans chaque maison départementale du handicap et de 45 délégués tenant une permanence dans les prisons, ce qui permet de toucher environ 50 000 détenus sur les quelque 60 000 que compte la population carcérale.

Nous nous sommes imposé une qualité d’accueil et avons mobilisé la totalité de notre secrétariat pour réduire la proportion d’appels téléphoniques « perdus », qui est passée de 25 % à moins de 5 % aujourd’hui.

Nous avons créé, pour la première fois dans l’« e-administration » française, un « e-Médiateur », qui peut être saisi vingt-quatre heures sur vingt-quatre par Google Talk ou MSN. Ce service compte actuellement un millier d’utilisateurs, qui appellent à toute heure du jour et de la nuit. Les thèmes abordés – le surendettement, la santé, les impôts, les amendes et les problèmes entre propriétaires et locataires – sont révélateurs de la sensibilité de nos concitoyens.

Nous sommes présents sur la totalité du territoire et avons traité 65 530 dossiers, dont la moitié consistaient en demandes d’informations. Dans une société qui isole de plus en plus les personnes en difficulté, l’accueil joue un rôle essentiel et le développement des possibilités d’obtenir des renseignements est un facteur d’apaisement social. L’autre moitié des dossiers – environ 35 000 – sont des réclamations, dont 7 000 environ sont traitées par les services centraux et près de 28 000 par nos délégués sur le terrain. Les saisines directes représentent 68 % de l’ensemble. À effectifs constants, nous avons, grâce à une participation et un intéressement du personnel, traité 20 % de dossiers de plus depuis 2004, en réduisant les délais de réponse – inférieurs à trois semaines à partir de l’accusé de réception – et les délais d’instruction.

Cette activité révèle l’importance du social, qui représente en moyenne 34 % de l’activité sur le terrain et peut atteindre plus de 40 % dans certains départements.

Nous avons organisé un colloque sur les crédits à la consommation, qui anticipait sur les débats de la loi Lagarde-Hirsch. Nous allons également procéder en mai 2009 à un bilan d’évaluation de la loi Kouchner sur les droits des victimes et organiser en novembre 2009 des assises de la médiation publique et privée, dans la perspective de la transposition de la directive européenne.

Nous traitons les réclamations de la sphère privée pour alimenter, monsieur le président, vos propositions de réformes.

Dans les prisons, conformément à l’accord conclu avec la garde des sceaux, nous disposons de 45 délégués dans 43 établissements, et 130 établissements pénitentiaires sont actuellement desservis. Cinquante mille détenus y ont accès et notre objectif est de toucher 100 % de la population carcérale d’ici à 2010. Un partenariat a également été conclu avec le contrôleur général des lieux privatifs de liberté.

Le nouveau « Pôle santé sécurité soins » réunit une plate-forme téléphonique, un réseau de médecins spécialisés capable de mobiliser des experts selon la discipline concernée, une cellule d’aide à la médiation entre les usagers et les professionnels de santé et un dispositif d’alerte de l’autorité sanitaire. L’extension du champ de compétence du Médiateur concerne le respect des droits du malade, la qualité des systèmes de santé, la sécurité des soins et l’accès aux soins. Là encore, 47 % des appels concernent des demandes d’explications sur des cas individuels, 30 % des demandes d’informations à caractère juridique, 9 % des témoignages, 6 % des demandes d’informations médicales, 6 % des demandes d’orientation et 2 % des alertes. Lorsque cette plate-forme relevait de la Haute autorité de santé, elle recevait 150 appels téléphoniques par mois, dont 50 % concernaient les infections nosocomiales. Aujourd’hui, nous recevons plus de 500 appels téléphoniques par mois, dont moins de 25 % concernent les infections nosocomiales et 15 % proviennent de professionnels de santé.

Certains chiffres sont préoccupants. On dénombre ainsi 450 000 événements indésirables graves – c’est-à-dire susceptibles d’entraîner une hospitalisation prolongée ou une dégradation de l’état de la personne concernée, pouvant aller jusqu’à la mort –, dont 85 % tiennent à des erreurs de procédure, et 15 % seulement à des actes médicaux.

Nous demandons aux parlementaires de veiller à ce que le signalement figure au cœur de la gestion des risques. De fait, il existe aujourd’hui cinq méthodes de signalement, et il est parfois difficile de distinguer un événement potentiellement dangereux d’un événement indésirable grave, ces deux types d’événement étant en outre traités par des organismes différents et l’agent qui signale un événement risquant d’être sanctionné par sa hiérarchie.

Il nous faut désormais passer de la culture de la faute à la culture de l’erreur, afin d’être en mesure de tirer profit de l’erreur et de prendre des mesures pour la gestion des risques.

Le Médiateur développe par ailleurs des relations internationales, à l’occasion notamment de la troisième réunion des ombudsmans du bassin méditerranéen.

Le rapport 2008 est l’avant-dernier rapport du Médiateur de la République. En effet, cette fonction prendra fin en 2010 et le Médiateur sera relayé par le Défenseur des droits, au titre des lois organiques qui devraient être inscrites au calendrier parlementaire avant la fin de cette année. Le législateur aura donc à se prononcer sur le mode de saisine du Défenseur des droits et sur le périmètre de sa compétence. Il importera que ses pouvoirs soient définis très clairement.

La loi de 1973 instituant le Médiateur de la République a donné à celui-ci le pouvoir de formuler des recommandations en équité. J’évoquerai à cet égard un litige nous oppose actuellement au ministère des finances.

Une personne exerçant une profession libérale, appliquant scrupuleusement les réponses écrites obtenues de l’administration fiscale saisie par l’intermédiaire de son expert comptable, a tour à tour pratiqué son activité comme ne relevant pas, puis comme relevant de la TVA. À la suite d’un contrôle fiscal, elle se voit réclamer le paiement de quatre années d’une TVA qu’elle n’a pas perçue. Je formule alors une recommandation en équité, à laquelle l’administration fiscale répond que, bien qu’ayant moralement raison, j’ai juridiquement tort et qu’elle ne peut pas suivre cette recommandation, car la loi lui interdit de remettre en cause des amendes liées à la perception de contributions indirectes – le contribuable étant, dans ce cas, collecteur d’impôts. De ce fait, le fonctionnaire chargé du dossier pourrait être sanctionné par son contrôle budgétaire, voire par sa hiérarchie, s’il venait à suivre la recommandation en équité formulée par le Médiateur.

Dans un débat qui l’opposait à Aristote sur le pouvoir du juge et du politique, Platon soulignait déjà l’imperfection de la loi et évoquait la nécessité des recommandations en équité. Tel était précisément l’intention du législateur de 1973, qui a voulu que le Médiateur puisse, lorsque l’application de la loi créait une situation injuste que la loi n’avait pas prévue, formuler une recommandation, non en droit, mais en équité, et défausser de sa responsabilité le fonctionnaire concerné. Dans le contexte d’accélération qui caractérise notre société et qui se traduit souvent par des situations que les textes n’ont pas prévues, le Parlement devra être très attentif à cette question.

Un autre des pouvoirs du Défenseur des droits concernera l’accès aux documents. Souvent, en effet, le système administratif se réfugie derrière la perte des dossiers ou la disparition de certaines pièces. Il devra donc être précisé que l’administration ne peut refuser cet accès au Défenseur des droits et qu’en l’absence de dossiers, c’est l’administration qui doit être sanctionnée, et non pas la personne. La peur du procès, qui devrait permettre l’équilibre entre le fort le faible, donne de plus en plus souvent lieu à l’application d’un principe de précaution qui systématise la protection du système et qui se traduit par une tendance à la disparition de certains documents.

Le Défenseur des droits devra également avoir un droit d’inspection et d’injonction.

Le rapport demande en outre aux parlementaires de bien vouloir débattre de la saisine du Conseil d’État. En effet, les administrations justifient souvent l’absence de réponse par l’attente de l’avis du Conseil d’État sur une difficulté d’interprétation des textes. Cette attente, qui dure parfois jusqu’à deux ou trois ans, donne lieu à des décisions administratives différentes selon les départements ou les administrations.

Évoquant les réformes et les combats menés en 2008 et restant à poursuivre en 2009, le rapport présente les dossiers selon les différents services dont ils relèvent.

Des dossiers traités par le service « Agents publics – pensions » se dégage un sentiment de précarité qui touche même la fonction publique et concerne particulièrement les personnes handicapées, l’éducation nationale et le domaine agricole.

Sur le plan fiscal, les dispositions sont de plus en plus compliquées et les décrets ou la réglementation ont parfois tendance, comme vous l’avez souligné, à pousser l’interprétation des textes votés par le législateur dans le sens d’une certaine instabilité, qui met parfois les chefs d’entreprise et les investisseurs dans une situation difficile lorsque les conseils donnés par l’administration sont désavoués en cas de contrôle.

Les dossiers relevant du service de l’urbanisme et des affaires générales sont très complexes et présentent parfois des conflits de droits. Nous avons procédé à Paris à une médiation portant sur un permis de construire légalement délivré sur le plan local mais, le site étant un site sensible, légalement refusé par la Commission nationale des sites, cette situation représentant pour l’investisseur une instabilité juridique.

En matière sociale, le problème de la mobilité n’est pas pris en compte. Si rien n’empêche, en effet, de changer de travail, de pays ou de situation maritale, le suivi des parcours individuels est très difficile en cas de changements de situation. Avec le Pôle emploi et les caisses d’allocations familiales, nous veillons à ne pas ajouter une rupture à une rupture. En effet, la réorganisation de l’ANPE et des ASSEDIC en Pôle emploi et l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi ne doivent pas se traduire, après la perte d’emploi, par une autre rupture que constituerait la perte de salaire. Le retard de la mise en place des indemnités ne devrait pas excéder quinze jours et des avances devraient pouvoir être mises en place. De fait, le bénéficiaire des prestations ne doit pas être victime d’une rupture de gestion du système liée au bogue informatique des caisses d’allocations familiales qui, dans certains départements, sont dans l’incapacité de verser l’APL aux bailleurs sociaux. Ces derniers se retournent alors immédiatement vers les locataires en augmentant brutalement les loyers. Pour certains de nos concitoyens, qui vivent avec 50, 150 ou 200 euros par mois, la moindre rupture de versement crée une situation très difficile. Le système n’a pas à se protéger ou à imposer sa complexité – voire ses dysfonctionnements – : mais il doit s’adapter à la situation complexe de nos concitoyens.

Pour ce qui concerne la justice, la difficulté tient parfois à l’incompréhension des décisions rendues et, surtout, à leur non-exécution.

En matière de santé, je le répète, il convient de passer de la culture de la faute à la culture de l’erreur. Sur le plan administratif, on a tendance à systématiser la recherche du coupable, la faute et la sanction. Or, s’il faut sanctionner la faute, il faut aussi comprendre l’erreur. De fait, celui qui décide – et en particulier lorsqu’il y va de l’humain – a droit à l’erreur dès lors que sa décision a été prise en parfaite conformité avec les règles.

Le signalement des événements indésirables ne devrait pas être considéré comme une perturbation du service et pénaliser l’agent qui en prend l’initiative, mais être conçu comme un enrichissement de la qualité du service. Il importe de tirer profit de l’erreur pour améliorer la gestion des risques et la qualité. Or, à l’inverse du système industriel, qui accorde une attention toute particulière aux réclamations afin d’améliorer le produit et de réduire les contestations des clients, le système administratif n’attache pas assez d’importance aux réclamations et persiste parfois dans une erreur qui peut le fragiliser et se solder par des procès.

Pour ce qui est de la recevabilité des dossiers, nous ressentons, à défaut d’une augmentation du nombre de dossiers, une plus grande douleur derrière chacun d’entre eux en ce temps de crise, ce qui rend plus nécessaires encore l’accueil et l’apaisement.

Quant aux réformes, je vous remercie, monsieur le président, de l’écoute que nous témoigne votre Commission en la matière. La médiatisation de certaines causes accélère parfois la décision politique. À l’inverse, il arrive aussi que la crainte des médias paralyse celle-ci. Il faut donc assurer la stabilisation, le recul et la distance qui permettent d’apaiser le débat politique, afin que nous puissions prendre de bonnes décisions, fondées sur des convictions et non sur l’émotion.

Je tiens encore à attirer votre attention sur le droit à la bonne administration, qui est inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et a inspiré la Charte Marianne. Trop souvent, cependant, certaines décisions créent des insécurités juridiques pour ceux qui les subissent. Les délais de réponse sont trop longs et il arrive même qu’il n’y ait pas de réponse du tout, ce qui provoque des situations difficiles. J’ai en mémoire le cas d’une famille qui, après avoir perdu un enfant, ne parvenait pas à obtenir l’acte de décès qui lui aurait permis de mobiliser l’assurance vie. On observe des défauts d’information ou d’orientation. Les recours sont parfois peu lisibles et il est clair que le traitement des réclamations ne revêt pas pour l’administration un caractère assez prioritaire. En outre, l’administration est parfois mauvais payeur.

L’État et les collectivités locales doivent s’appliquer le principe de l’exemplarité : on ne peut demander à nos concitoyens des efforts que l’on n’exige pas de soi-même. Il est inacceptable que l’État puisse, deux ans et demi après avoir réquisitionné une petite entreprise, prétendre que le dossier a été perdu au tribunal et refuser de payer une somme de 60 000 euros, importante pour l’entreprise concernée.

Le malendettement, qui figure depuis quatre ans dans notre rapport, fait actuellement l’objet d’un débat entre Mme Lagarde et M. Hirsch, notamment pour ce qui concerne l’équilibre de responsabilisation entre l’emprunteur, le prêteur et le vendeur, et le Parlement sera prochainement saisi. Nous sommes très attentifs à cette question et souhaitons en particulier que le taux d’usure n’échappe pas au débat politique.

Vous m’avez informé, monsieur le président, qu’une mission était consacrée aux expertises médicales judiciaires. Pour avoir participé au débat sur la tragédie d’Outreau, vous savez que tout acteur de notre société – qu’il relève de la sphère politique ou judiciaire ou soit chef d’entreprise – aura désormais de plus en plus souvent à décider à propos de questions de plus en plus complexes sur le plan technique et sur lesquelles il possédera de moins en moins de compétences lui permettant d’apprécier le dossier. Il devra donc s’en remettre à l’expertise d’autrui, et l’expertise faible fragilisera la décision. Les magistrats ont besoin d’une expertise médicale judiciaire à la hauteur des enjeux. Or, pour de nombreuses raisons, certains experts rendent parfois une expertise dans des domaines qui ne sont pas les leurs, à telle enseigne qu’un magistrat m’a cité un jour le cas d’une expertise rendue par un expert psychiatre sur un handicap rhumatologique. Nous avons formulé en la matière diverses propositions.

Le handicap soulève diverses questions, notamment pour ce qui concerne le tribunal des contentieux du handicap et l’accessibilité pour les personnes handicapées. La gestion des cartes de stationnement – par l’État ou par les conseils généraux – pourrait également être examinée par le Parlement. En effet, les dysfonctionnements sont trop nombreux, alors que l’analyse du taux de handicap ne devrait pas poser de problème. Quant aux tribunaux des contentieux, désignés par la chancellerie et dépendant des DDASS, la réflexion qui s’engage à propos de l’ARS pourrait être une bonne occasion d’examiner le traitement des réclamations des personnes handicapées, qui laisse à désirer.

Une réflexion s’imposerait également sur la médiation familiale judiciaire. Face au nombre croissant des ruptures de couples, il nous semble en effet que, dès lors que des enfants sont concernés, le juge devrait pouvoir inciter fermement à un dialogue entre les deux parents, sous la conduite du médiateur. Les magistrats, les greffiers et les avocats devraient être sensibilisés aux avantages de la médiation familiale, car les conflits d’intérêts sont fréquents dans ce domaine. Le rétablissement du dialogue entre les adultes autour de l’intérêt de l’enfant serait un facteur d’apaisement. De nombreuses décisions judiciaires relatives par exemple aux changements intervenant dans le statut, la pension alimentaire ou la garde alternée, pourraient être prises devant un médiateur avant d’être simplement confortées par le juge, ce qui pourrait améliorer considérablement le fonctionnement de tribunaux.

N’étant pas décideur politique, je n’ai pas à me prononcer sur le PACS. Je constate toutefois que 140 000 PACS ont été conclus en 2008, soit 42 % de plus qu’en 2007, et qu’ils concernent pour 85 % des hétérosexuels. Ces PACS identiques recouvrent donc des situations différentes. Vous avez permis l’an dernier que tous celles et ceux qui vivent en communauté juridique – qu’il s’agisse du mariage, du concubinage ou du PACS – puissent être représentés au tribunal par leur conjoint, compagnon ou pacsé.

Il reste cependant, monsieur le président, quelques réformes à vous proposer.

À la suite de notre recommandation, la garde des sceaux s’est déclarée prête, à inscrire dans le code civil une reconnaissance des unions civiles étrangères. En effet, le PACS ne peut être conclu qu’entre personnes célibataires, ce qui oblige des personnes pacsées à l’étranger à divorcer pour pouvoir conclure un PACS en France. Ainsi, un couple homosexuel danois désireux d’acheter une propriété en France dans le cadre du PACS a dû préalablement divorcer au Danemark, ce qui soulevait en outre, en l’espèce, un problème de succession.

Se pose également, toujours à propos du PACS, la question de l’équité entre fonctionnaires et salariés du secteur privé. En effet, un fonctionnaire qui se pacse a droit à quatre jours de congé, tandis qu’un salarié du secteur privé n’a droit à aucun congé. À l’inverse, un fonctionnaire territorial ou salarié du secteur privé dont le pacsé meurt a droit au capital décès, ce qui n’est pas le cas pour un fonctionnaire d’État. L’équité commande qu’un régime identique s’applique quel que soit le statut des personnes.

Enfin, nous avions signalé au Conseil supérieur du notariat que, face à la contrainte du mariage, un nombre croissant de nos concitoyens désirait vivre de façon affective – « on s’aime, on vit ensemble ; on ne s’aime plus, on se quitte ». Qu’en sera-t-il alors, dans quarante-cinq ou cinquante ans, de la pension de réversion ? Les parlementaires pourraient étudier les moyens de favoriser la communauté juridique, par exemple par l’ouverture du droit à la réversion pour les pacsés, en prévoyant au besoin une franchise de deux ans pour tenir compte du fait que les ruptures se produisent le plus souvent au cours des deux premières années de vie commune. Ce serait là faire preuve d’une équité qui manque autant entre le PACS et le mariage que, dans le cadre du PACS, entre fonctionnaires et salariés.

Pour ce qui est des retraites, s’il n’est pas question d’augmenter le budget, certaines questions d’équité se posent. En particulier, le calcul du salaire annuel moyen pris en compte repose sur les vingt-cinq dernières meilleures années civiles. Si donc une personne part à la retraite le 31 décembre, elle ne perd aucune cotisation. En revanche, si cette personne prend sa retraite le 1er septembre, toutes les cotisations versées du 1er janvier au 31 août sont perdues. Cela appelle réflexion.

Il en va de même de la question très complexe des pensions de réversion. De fait, pour les polypensionnés, la conjugaison des régimes peut se traduire par une pension légèrement inférieure.

L’ancien ministre de la fonction publique que je suis reconnaît sa faute : il est inéquitable que la majoration de la durée d’assurance que j’ai souhaitée pour une mère ayant élevé seule ses enfants ne s’applique pas aussi au père qui se trouverait dans la même situation. Il convient également d’examiner la situation des mères adoptantes, ainsi que celle des enseignantes qui, lorsqu’elles accouchent pendant les vacances, ne prennent pas leurs deux mois de congé maternité et n’ont donc pas les justificatifs qui leur permettraient de bénéficier des bonifications de services. Cela heurte le bon sens.

Je n’évoquerai que brièvement les réformes abouties. Grâce à vous, mesdames et messieurs les députés, la protection sociale des salariés employés en CESU a été améliorée.

Je vous remercie en outre, monsieur le président, d’avoir soutenu l’exonération de la redevance audiovisuelle des téléviseurs loués par les personnes détenues dans les établissements pénitentiaires. En effet, alors qu’un détenu riche pouvait acheter un téléviseur sans payer de redevance, un détenu sans ressources était contraint de le louer à une association et de payer cette redevance, ce qui créait au sein des établissements pénitentiaires des tensions que cette simple réforme simple a permis d’apaiser.

Pour ce qui est des réformes en cours d’adoption, je connais votre motivation quant au remboursement automatique des consignations pour la contestation des amendes. Il serait bon de connaître plus précisément la date à laquelle cette réforme pourra entrer en vigueur, car on observe certaines réticences du côté de l’intendance. En matière de litiges relatifs au droit de la consommation, le juge doit pouvoir soulever d’office tous les moyens de droit. L’application automatique du solde bancaire insaisissable et l’insaisissabilité de la majoration de pension au titre de l’assistance d’une tierce personne sont des mesures dont la vigilance des parlementaires devrait permettre d’accélérer l’adoption.

Quant au suivi de l’application des réformes déjà engagées, je partage votre souci, monsieur le président. Mais nous sommes à la fois satisfaits et en colère.

En effet, si la question des avoirs non réclamés des assurances-vie en déshérence est un grand combat que vous avez remporté, il n’existe aucune trace du rapport sur ce thème qui devait, aux termes de la loi, être remis au Gouvernement au plus tard le 1er janvier 2009. Faut-il y voir une résistance des assureurs, qui tireraient prétexte du délai de consultation des fichiers de l’AGIRA et de l’INSEE, ou une volonté de ne pas rechercher les bénéficiaires des assurances-vie en déshérence ? Quelles sommes pourraient être reversées au fonds de réserve pour les retraites ? Les parlementaires pourraient demander les raisons pour lesquelles ce rapport n’a pas été remis.

À propos des tutelles et des curatelles, vous aviez accepté, mesdames et messieurs les députés, de prévoir un délai de deux ans avant l’exécution de la loi afin de permettre de séparer les personnes malades psychologiquement et celles qui sont fragilisées socialement, avec un accompagnement social des conseils généraux mis en œuvre par l’intermédiaire des tribunaux. Aucune instruction n’a cependant été donnée en ce sens à la Chancellerie ou aux conseils généraux, de telle sorte que, si certains tribunaux et conseils généraux ont anticipé et préparé cette séparation, d’autres ne l’ont pas fait, ce qui se traduit par une rupture d’équité sur l’ensemble du territoire, avec des situations de grande fragilité.

Nous avions également proposé une réforme visant à confier au Trésor public la gestion des comptes des personnes protégées, afin d’en garantir la qualité, mais nous n’avons pas été suivis. La faillite d’une association de gestion de tutelles du Sud de la France, qui a suivi le détournement de fonds par des gérants de tutelle, nous a donné l’occasion de constater que des majeurs protégés, placés sous protection judiciaire parce qu’incapables d’assurer leur propre devenir, n’étaient même pas créanciers privilégiés. Il importerait d’y remédier.

Qu’advient-il, par ailleurs, de la remise en état des sites éoliens, décidée par la loi du 1er août 2008 et validée par un décret en Conseil d’État dans la perspective de la transposition d’une directive européenne ?

Je vous remercie de votre vigilance à propos du recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale et de la protection des victimes. Tous les ans, en effet, les gestionnaires tentent, par un amendement déguisé, de revenir sur cette formidable avancée du droit des victimes.

Pour ce qui concerne l’hospitalisation psychiatrique sous contrainte, le Président de la République et plusieurs rapports ont demandé une évaluation de la loi et du décret de 2004. Où en est-on ?

La même question se pose pour les mariages forcés. La loi a permis d’améliorer considérablement la protection du consentement constaté par les officiers de l’état civil. Il serait intéressant d’évaluer les dispositions prévues par la loi de 2006.

Enfin, pour l’attribution de plein droit des prestations familiales au titre d’enfants séjournant régulièrement en France, la loi est claire, mais, paradoxalement, l’application par les caisses d’allocations familiales est très variable. Il conviendrait donc d’examiner la protection qui s’applique à ces enfants.

Pour finir, j’évoquerai les autres pistes de réflexion que préconise mon rapport.

En ce qui concerne les victimes de l’amiante, il apparaît que, tandis que le salarié d’une entreprise reconnaissant l’amiante comme cause de maladie professionnelle a droit à l’ACAATA, le salarié d’une entreprise sous-traitante dont le régime ne reconnaîtrait pas l’amiante comme maladie professionnelle n’y aura pas droit même s’il a travaillé sur le même chantier durant la même période et avec la même exposition.

Pour les victimes des essais nucléaires, le ministre nous a écrit voici quelques jours qu’il envisageait de demander au Premier ministre, plutôt que la création d’un fonds dédié, l’imputation de l’indemnisation sur les pensions de la défense et l’instauration d’un régime unique de risque nucléaire. Il serait intéressant que cette démarche soit suivie d’effet.

La question de l’état civil des enfants nés sans vie est au cœur d’un débat juridique et médiatique.

Une circulaire de l’Organisation mondiale de la santé fixe le seuil de viabilité à 22 semaines d’aménorrhée et à un poids de 500 grammes. La Cour de cassation estime toutefois, et non sans raisons, que cette circulaire n’a aucun fondement juridique et remet donc en cause toutes les réglementations qui sont fondées sur elle. C’est le cas, par exemple, des dispositions de sécurité sociale qui donnent droit, lorsque la grossesse s’arrête après 22 semaines, à un congé de maternité – au lieu d’un congé maladie avant 22 semaines –, ainsi qu’à un congé de paternité et qui prévoient la déclaration de l’enfant. Le Parlement a réglé une partie du problème en permettant aux familles d’organiser des obsèques dans tous les cas, mais il doit absolument traiter de la définition de la viabilité. La question est très claire, et c’est une question politique : soit vous supprimez cette notion dans tous les codes où elle figure, soit vous la conservez, mais en lui donnant de la force. Car, pour l’instant, dans la pratique, le seul seuil qui existe est celui où la perte de l’enfant est considérée comme une fausse couche précoce, soit en principe 15 semaines d’aménorrhée. Puisqu’il n’y a aucune définition juridique du seuil des 22 semaines, la plupart des hôpitaux s’en tiennent donc à 15, et cela en dehors de toute décision politique ! Sans compter que les pratiques peuvent varier selon les médecins, puisque seul le certificat médical détermine la viabilité, que le médecin peut fixer à 7, à 22 ou à 30 semaines. Cette situation est absolument insupportable.

Par ailleurs, et étant donné que l’initiative de la déclaration à l’état civil de l’enfant né sans vie est désormais laissée, par instruction ministérielle, aux parents, il arrive que des enfants ne soient pas signalés alors qu’ils faisaient auparavant l’objet d’une déclaration systématique du monde hospitalier.

Enfin, les droits sociaux sont aujourd’hui hétérogènes selon le régime de protection sociale, mais il sera très compliqué d’y remédier parce qu’à tous ceux qui militent pour une stabilisation juridique – obstétriciens, familles, officiers d’état civil, gestionnaires d’établissement – s’opposent ceux qui craignent que les médias ne profitent de ce débat pour s’emparer de la question du statut du fœtus ou du droit à l’avortement. Et, en l’absence de décision politique, c’est le juge qui finira par trancher.

Dans votre travail en amont sur les lois bioéthiques, nous vous suggérons aussi de prêter attention à la question de la restitution des pièces anatomiques. C’est un problème que nous rencontrons de plus en plus souvent, qu’il s’agisse par exemple de placentas qui sont réclamés pour être enterrés selon les coutumes africaines, ou de membres amputés qui doivent être récupérés parce que la religion musulmane impose d’être enterré avec tous ses membres. C’est un sujet très compliqué, qui n’est pas souvent abordé mais qui va devoir être traité. Il faut stabiliser les pratiques hospitalières tout en évitant des dérives médiatiques et des débordements autour de ce débat d’éthique.

Nous avons déjà parlé ensemble d’autres sujets, tels que la situation du personnel précaire de l’éducation nationale – des gens de niveau bac + 5 ou 6 recrutés en septembre mais payés en février. C’est absolument insupportable ! L’État ne peut pas demander aux entreprises de faire des efforts s’il continue à se conduire de cette façon !

Je vous remercie pour les deux amendements que vous avez votés dans le domaine de la santé concernant la présence des commissions d’usagers dans chaque établissement et l’information de la commission des médecins.

Quant à l’opportunité d’instituer un médiateur bancaire pour les particuliers, j’y travaille beaucoup avec M. Ricol. J’ai lancé une enquête sur le fait que certains banquiers refusent d’accorder un découvert à des artisans ou à de petites entreprises, mais leur proposent à la place un crédit à la consommation, ce qui est tout à fait révoltant.

Que cela soit fondé ou non, notre société est anxiogène.

Toutes les sociétés modernes, quelle que soit leur place dans le monde, sont gérées par trois sentiments : les peurs, les humiliations et les espérances. Dans ce contexte, la régulation publique peut être un formidable facteur d’apaisement, d’où la nécessité de l’accueil, de l’accompagnement, de l’écoute des personnes en situation compliquée. Il convient de changer de culture administrative, de passer de la faute à l’erreur, de faire confiance – le système administratif ne faisant pas confiance à ses fonctionnaires, ceux-ci réagissent très naturellement en s’occupant plus de leur carrière et de leur hiérarchie que de la satisfaction de l’usager.

Je terminerai en évoquant un sujet quelque peu délicat, monsieur le président : j’aimerais que les parlementaires travaillent sur l’application du principe de précaution, principe au nom duquel des administrations ne décident plus ou des personnes contestent des décisions publiques sans aucun fondement scientifique. Il n’est qu’à voir des magistrats demander, par crainte d’un éventuel risque d’hypothétique décès, la destruction d’antennes relais alors que la plupart des gens passent trois heures par jour à utiliser leur téléphone portable sans se soucier des effets, avérés quant à eux, des ondes sur leur cerveau. Le principe de précaution vise à la protection de l’individu, pas à la neutralisation de la décision.

Au final, c’est le « vivre ensemble »qui importe. On en voit bien toute la difficulté. Je suis de ceux qui se battront pour la restauration de l’autorité politique, pour la primauté du politique par rapport au droit, pour la confiance dans nos institutions – car perdre cette confiance dans les institutions et dans la force du droit revient à revendiquer le droit à la force et à la violence. Notre société est extrêmement fragile : l’autorité donnée par la loi sera de plus en plus contestée au nom du confort individuel, et cette rupture du « vivre ensemble » correspondrait à la fin de notre République.

C’est pourquoi je tiens à œuvrer à vos côtés pour assurer l’équité et le respect mais aussi la responsabilité.

M. Michel Hunault. Je commencerai par rendre hommage à la fois au travail du Médiateur de la République et à la personne de Jean-Paul Delevoye. En tant que parlementaire, je saisis souvent ses services et je les remercie pour la qualité et la rapidité de leurs réponses.

La révision de la Constitution que nous avons votée cet été prévoit la disparition du Médiateur de la République, appelé à se fondre dans les fonctions du Défenseur des droits. En travaillant à la loi qui mettra en place cette nouvelle institution, nous devrons nous servir de tous les acquis que nous devons au Médiateur. Et, puisque le fonctionnement même de l’Assemblée sera modifié, notamment avec un pouvoir d’initiative parlementaire plus large, je me permets de suggérer que nous nous rencontrions plus souvent, dans le cadre de réunions moins formelles qu’aujourd’hui.

Le président de notre commission travaille beaucoup sur la codification des lois et sur leur efficacité. De son côté, le Médiateur, ou son successeur, peut tirer de toute son expérience et de la matière que lui fournissent nos saisines de nombreuses suggestions pour améliorer la loi. Sa position le met en présence de tous les maux de la société et il sait que la loi, qui est souvent le dernier rempart, en particulier des plus fragiles, peut parfois aboutir à des situations invraisemblables.

L’Assemblée est sur le point d’examiner des textes relatifs à la protection du consommateur, concernant notamment le surendettement, et à la bioéthique. Accepteriez-vous, monsieur le Médiateur, de faire parvenir aux parlementaires des documents pouvant venir à l’appui de leurs initiatives ? Nous avons compris que les problématiques que vous soulevez dépassaient largement les clivages traditionnels, car c’est le sort de nos concitoyens qui importe. Vos recommandations pourraient déboucher sur de très utiles amendements prolongeant votre action et celle de tous vos représentants dans les départements, actions qui contribuent à rendre notre société un peu moins injuste.

M. le Médiateur de la République. L’ensemble des délégués et du personnel sera très sensible à cet hommage.

Le comité de participation et d’intéressement que nous avons mis en place à la Médiature, l’acceptation immédiate de l’ensemble de nos secrétaires lorsqu’il a fallu assumer une surcharge d’appels téléphoniques, le séminaire organisé sur les objectifs et l’éthique de la Médiature sont des exemples d’un engagement collectif extrêmement important. Mais je dois rendre aussi hommage à votre président, qui entretient une collaboration très étroite avec nous. J’ai été très sensible à ce qu’il fasse souvent référence aux travaux du Médiateur dans les lois de simplification qu’il a bien voulu présenter et suis tout à fait prêt à examiner de nouvelles méthodes de travail en commun. Votre président me reçoit déjà tous les ans pour évoquer les lois de simplification, mais nous pourrions faire en sorte que le Médiateur soit systématiquement auditionné par les rapporteurs et qu’il puisse les inviter, sous réserve de la plus grande confidentialité, à constater sur le terrain les difficultés que peuvent soulever les lois.

Je suis aussi prêt à vous aider à appuyer les initiatives parlementaires sur les réalités que nous vivons. Il vous appartient de nous saisir, notamment dans les domaines très complexes et très lourds de la protection du consommateur et de la bioéthique.

La Médiature pourrait également organiser des rencontres pour ouvrir le débat politique.

Quant à l’institution du Défenseur des droits, auquel je suis tout à fait favorable, nous y réfléchissons au regard non seulement de notre expérience, mais également de ce que font les ombudsmans dans les autres pays. Nous sommes honorés de participer en amont à l’élaboration de lois organiques qui devront assurer un bon équilibre entre le pouvoir collectif et la liberté individuelle.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais m’associer aux remerciements et à l’hommage de Michel Hunault.

Lorsque nous recevons nos concitoyens, nous voyons bien que, s’il est une institution en laquelle ils gardent confiance et sur laquelle ils comptent, c’est bien la Médiature. Je salue à ce propos le travail sur le terrain des délégués du Médiateur, qui permettent de déminer de nombreuses situations.

Vous avez rappelé dans votre exposé la forte présence, très positive, de vos représentants dans les établissements pénitentiaires. Pouvez-vous nous en dire plus sur le partenariat noué avec les services du nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté et sur l’articulation entre vos deux institutions ?

M. le Médiateur de la République. Les choses sont très claires.

D’un côté, il existe les corps d’inspection qui veillent à sanctionner les abus de pouvoir, telles la Commission nationale de déontologie de la sécurité pour les policiers ou l’inspection générale des services administratifs de l’administration pénitentiaires pour les surveillants, ainsi que, désormais, la nouvelle autorité indépendante que la France s’était engagée auprès de l’ONU à mettre en place, à savoir le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, qui veille au respect de la dignité de la personne dans les centres de rétention, les hôpitaux psychiatriques et les prisons.

De l’autre côté, le Médiateur a vocation à entendre toutes les difficultés des détenus face à des dysfonctionnements administratifs.

Il s’agit de deux responsabilités très différentes, mais complémentaires. Certains pays font exercer les deux par la même autorité. La France a opté pour deux entités différentes. M. Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, et moi-même nous sommes rencontrés très vite pour éviter toute confusion entre les objectifs de respect de la dignité des personnes et de sanction des abus de pouvoir, d’une part, et l’activité des délégués du Médiateur, d’autre part. Nous avons mis au point une convention évitant toute ambiguïté.

M. Alain Vidalies. Je voudrais, en tant que membre de l’opposition, vous dire combien nous sommes sensibles à la qualité de votre travail, qui constitue souvent pour nous une source d’inspiration – les questions abordées dépassant par ailleurs fréquemment les clivages politiques.

D’abord, qu’attendez-vous de la force juridique de la recommandation en équité ? Il est probablement nécessaire de donner à quelqu’un le pouvoir de modifier de lui-même la loi lorsqu’elle crée une injustice. C’est une réforme difficile, mais qui est indispensable.

Ensuite, l’absence du rapport prévu sur les assurances-vie en déshérence pose la question du suivi des lois – d’autant que chacun a pu constater les résistances qui se sont manifestées face à nos initiatives dans ce domaine. Nous avons nos propres moyens de suivi des lois, mais quelle est la nature de votre propre suivi ?

Enfin, vos recommandations se retrouvent-elles véritablement dans la loi ? Sur le dossier des enfants nés sans vie, par exemple, vous vous êtes exprimé très tôt. Vous avez redonné aux arrêts de la Cour de cassation une juste interprétation en pleine débauche de commentaires médiatique. Lorsque le débat a eu lieu à l’Assemblée, il suffisait de tenir une position ferme sur le vide juridique concernant la définition de la viabilité ! La proposition de M. Hunault, laquelle vous permettrait d’être auditionné dans ce genre de cas et de pouvoir défendre vos suggestions, vous paraît-elle intéressante ?

M. le Médiateur de la République. La loi de 1973 donne un pouvoir de sanction au Médiateur, dont je demanderai volontiers au législateur s’il tient à le maintenir. Je crois que le Médiateur ne doit pas disposer d’un pouvoir de décision, mais seulement d’un pouvoir d’interpellation, de sensibilisation.

A contrario, j’aimerais améliorer le dispositif de la recommandation en équité, mais c’est très compliqué. J’ai déjà évoqué l’idée de Platon de l’imperfection de la loi : le législateur, quelle que soit sa qualité, ne peut en aucun cas prévoir toutes les situations. Avec la meilleure bonne foi, le fonctionnaire, le juge ou le politique devront donc parfois prendre des décisions qui respectent la loi, mais pas l’individu. Il faut pouvoir les en dispenser. Plusieurs de mes recommandations en équité sans force juridique ont été suivies. Ainsi, dans une affaire d’erreur dans un permis de construire, j’ai pu faire verser une subvention de l’État à la mairie, qui a racheté la parcelle qu’elle avait vendue et l’a transformée en terrain communal. Mais le fonctionnaire avait besoin de ma recommandation en équité pour justifier sa décision.

Il faut savoir qu’il est plus facile pour une administration, y compris depuis la loi organique sur les lois de finances, de payer une amende devant un tribunal que de se plier à une mesure de conciliation, même si celle-ci est moralement plus juste. En matière d’indemnisation des victimes également, les assureurs n’ont aucun intérêt à la conciliation : ils préfèrent la condamnation. Et le tout ne ressortissant pas forcément à l’administration judicaire !

Jusqu’où la recommandation en équité doit-elle aller ? Il faut déjà déterminer le périmètre du dossier pour démontrer que la loi n’a pas prévu telle ou telle situation. Il importe également de respecter la définition de 1973, selon laquelle la recommandation en équité doit traiter de la situation comme si le législateur était présent.

Vous devrez aussi réfléchir à la défausse de responsabilité : comment permettre à un fonctionnaire de ne pas être condamné pour avoir suivi la recommandation en équité de la loi alors qu’il est juridiquement tenu d’appliquer cette loi ?

Tout cela mérite une analyse extrêmement fine du législateur, d’autant que, dans un contexte d’indépendance du Médiateur, une question émerge : qui contrôle le Médiateur ? Peut-être la recommandation en équité devra-t-elle être une décision collégiale, afin de s’assurer qu’elle ne serve pas des intérêts particuliers. Cette réforme serait donc délicate, mais essentielle pour garantir l’application juste d’une règle qui peut causer involontairement des dégâts considérables.

Pour ce qui est des assurances-vie en déshérence, je partage votre point de vue. Ce dossier illustre tout l’intérêt de la collaboration entre le président Warsmann et le Médiateur et je suis ravi que la commission des lois menace le Gouvernement d’abroger les dispositions dont les décrets ne sont pas publiés. Il en est de même pour les rapports : si on ne les traite pas comme un élément important de la décision du législateur, c’est qu’ils n’avaient qu’un effet d’affichage, voulu par les décideurs politiques. Je comprends donc très bien qu’un rapport ne puisse pas sortir dans les délais prévus par la loi, mais je ne comprends pas qu’il n’existe pas du tout. C’est un véritable mépris du politique ! Dans ce genre de cas, le pouvoir d’injonction pourrait peut-être permettre l’exécution de la décision législative.

Enfin, pour ce qui concerne les enfants nés sans vie, je n’entrerai jamais dans le débat politique. Je ne fais que poser la question, dont je pense que le politique doit se saisir. S’il ne prend pas de décision, ce qui est le cas pour l’instant, je n’ai pas à commenter. Je peux simplement insister sur l’instabilité que cette situation crée sur le terrain, et sur le fait que c’est probablement à la suite d’un procès que la décision politique s’imposera. En revanche, je peux réfléchir à l’aide que peut apporter le Médiateur, ou le Défenseur des droits, aux décideurs politiques, dont je peux comprendre qu’une grande émotion dans l’opinion puisse les mettre en difficulté. Le Médiateur peut ainsi assumer pleinement la proposition de donner une validité juridique au seuil de l’OMS des 22 semaines d’aménorrhée. Cette première étape franchie, vous pourrez ensuite tenir un débat politique en vue de le modifier – 15 semaines ou 30, peu m’importe ! Mais ne laissez pas les professionnels et les parents dans l’incertitude ! Certaines situations deviendront insupportables et si, demain, un fait médiatique crée une vague d’émotion, vous serez amenés à prendre une décision politique sans avoir pu en mesurer les tenants et les aboutissants.

Mme Michèle Tabarot. Je partage pleinement votre analyse concernant l’extension de la médiation familiale, sur laquelle vous avez, me semble-t-il, fait des propositions à la garde des sceaux et au ministre de la famille. Où en est la réflexion du Gouvernement ? Les parlementaires doivent-ils se saisir du sujet ?

M. le Médiateur de la République. Je suis toujours sensible à la conjugaison du travail parlementaire et gouvernemental : lorsque l’un freine, l’autre peut accélérer – c’est ainsi que la Commission des lois a permis de faire sortir des textes qui autrement seraient restés lettre morte !

La médiation familiale est une formidable avancée. Reste à convaincre les magistrats et les avocats, et à suivre le rapport Magendie. La Commission des lois s’honorerait à apaiser ainsi des tensions familiales, dans l’intérêt de l’enfant.

Mme Michèle Tabarot. Monsieur le président, c’est à vous de donner suite !

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je réclamerai dès demain au Gouvernement le rapport manquant. Mais je dois tout de même reconnaître que nous abusons considérablement des demandes de rapports. À l’occasion de la dernière loi de simplification, j’ai présenté des listes de rapports anciens – jusqu’à l’année 2007 – à mes collègues présidents de commission, et nous sommes parvenus à en supprimer une centaine. Mais, depuis le début de la législature, 130 avaient déjà été demandés ! Quel travail de Pénélope que celui de la Commission ! Le défaut du système est que les rapports importants sont noyés parmi les autres.

Il me reste à vous remercier, monsieur le Médiateur, pour votre intervention, pour la qualité de votre travail et pour l’excellence de nos relations. Notre collaboration a déjà permis, en toute modestie, de faire avancer un certain nombre de dossiers. Je suis à votre entière disposition pour continuer ce travail et tenter de donner une suite concrète à toutes vos recommandations.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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