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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 12 mai 2009

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Günter Verheugen, vice-président de la Commission européenne, chargé des entreprises et de l’industrie, sur la politique conduite par l’Union européenne dans le domaine de la simplification du droit et des procédures

La séance est ouverte à 11 heures 45.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

La Commission procède à l’audition de M. Günter Verheugen, vice-président de la Commission européenne, chargé des entreprises et de l’industrie, sur la politique conduite par l’Union européenne dans le domaine de la simplification du droit et des procédures.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous avons le grand plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Günter Verheugen.

La Commission européenne, dans le cadre du programme « Mieux légiférer », a entamé une simplification des règles juridiques afin de réduire la charge administrative. Elle a parallèlement mis en place un système complexe d’étude d’impact des dispositions juridiques nouvelles. La commission des lois de l'Assemblée nationale partage cette ambition. La simplification des règles de droit est devenue depuis le début de la législature une priorité. Je suis donc particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui, Monsieur le président.

M. Günter Verheugen. Merci pour ces propos chaleureux, et pour les avoir tenus dans ma langue maternelle – un bel exemple d’entente franco-allemande. Je vous suis très reconnaissant de me donner l’occasion d’évoquer l’un des projets les plus importants de la politique européenne, que la crise économique que nous traversons rend encore plus essentiel. Je suis également heureux que la France se soit emparée récemment de cette question de la simplification, grâce à l’engagement de l'Assemblée nationale et en particulier de sa commission des lois. J’ai déjà eu un échange de vues sur ce sujet avec M. Warsmann il y a quelques mois à Bruxelles.

« Mieux légiférer » est l’un des principaux projets politiques de l’Union. Si la réflexion portait à l’origine sur l’amélioration de la qualité de nos règles juridiques, la simplification est devenue aujourd’hui un élément clef de notre stratégie pour la croissance et l’emploi. Elle doit faire l’objet d’une étroite coopération avec les États membres, parce que les économies nationales ne pourront en tirer des bénéfices que si nous travaillons ensemble. Mon approche s’inscrit dans une perspective économique, même si la question peut être abordée sous un autre angle, juridique ou démocratique par exemple. Mais au fil des ans, il est apparu que ce projet va bien au-delà : il pose tout simplement la question de l’organisation des relations entre l’État et ses citoyens au XXIème siècle. Au cours de ces derniers mois, le sujet a pris encore plus d’importance. Je me réjouis que les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne aient suivi mes propositions il y a quelques semaines. Le programme « Mieux légiférer » est aujourd’hui un instrument essentiel de l’Europe pour combattre les difficultés conjoncturelles : bien utilisé, il permettra de réduire nettement les coûts de nos économies nationales sans faire peser la moindre charge sur le contribuable. Il devrait donc être à l’origine de gains de productivité massifs. 

J’insiste sur le fait que mieux légiférer ne revient pas à déréglementer. Le malentendu est malheureusement répandu. Il ne s’agit pas de réduire des exigences ni d’abaisser des standards de sécurité ou de qualité, mais de savoir si l’objectif politique de la loi peut être atteint de manière moins coûteuse et plus simple. On ne renonce en aucun cas à cet objectif politique. Nous aurons toujours besoin de règles – et la crise à laquelle nous sommes confrontés le confirme. Elle a montré que l’approche anglo-saxonne selon laquelle il ne devrait pas y avoir de règles dans l’économie est erronée, et a conforté la vision allemande et française. Nous aurons donc toujours besoin de règles, mais elles doivent être raisonnables et efficaces, notamment en termes de coûts.

Il y a quelques semaines, la Commission a présenté sa troisième réflexion stratégique sur l’amélioration de la réglementation. Le point le plus important consiste en la réduction de la charge administrative : depuis 2007, nous conduisons un programme d’action pluriannuel pour baisser les charges qui pèsent sur les entreprises européennes. Nous avons établi un objectif de réduction de 25 % d’ici à 2012. La Commission a déjà présenté des mesures qui représentent un potentiel d’économies de 30 milliards par an pour les entreprises européennes. Bien d’autres vont encore être élaborées, de sorte que les économies réalisées dépasseront sans doute largement l’objectif de 25 %.

Je serai très sensible au soutien de la France, tant pour l’élaboration des lois issues du programme que pour leur mise en œuvre. Par souci de rapidité, le programme d’action a bénéficié de procédures accélérées, comme il en existe en France. Des ensembles de mesures ont déjà été présentés en 2007 et 2008. Sur vingt-et-une mesures proposées, douze ont été acceptées. Certaines sont retardées du fait de la procédure de codécision entre le Parlement et le Conseil. Il est très difficile d’adopter rapidement des lois lorsque les autres institutions n’y accordent pas la même priorité, ou n’ont pas la possibilité d’avancer aussi vite. Il faut une majorité au Parlement européen et au Conseil des ministres, et la France y joue un rôle clef. La Commission va faire le maximum pour que ces mesures, qui touchent au total 72 textes dans treize domaines juridiques, soient toutes présentées avant la fin de son mandat.

Un élément clef de la stratégie de la Commission est une exécution en commun avec les 27 États membres. Le programme a élaboré sa propre dynamique et sert aujourd’hui d’exemple à de nombreux États membres. Fin 2006, seuls sept d’entre eux avaient établi des objectifs nationaux de réduction mais ils sont vingt-quatre aujourd’hui et je suis convaincu que les trois qui restent feront de même d’ici la fin de l’année. Ainsi, tout le monde sera embarqué dans ce projet. Les États membres suivent les propositions de la Commission et se concentrent sur les charges bureaucratiques qui pèsent sur les entreprises. Nous utilisons le même modèle standard de coûts pour toute l’Europe, des coûts que nous avons analysés de manière systématique avant d’élaborer nos mesures. Nous avons aussi, en interrogeant les entreprises, accumulé beaucoup d’informations sur la façon dont elles suivent les réglementations, ce qui nous a permis de mieux définir nos objectifs.

Nos actions d’allégement des procédures se concentrent sur les procédures administratives particulièrement contraignantes pour les acteurs économiques. Nous devons interroger tous ceux qui sont confrontés, directement ou indirectement, à la législation européenne. La Commission a mis en place un groupe consultatif de haut niveau réunissant des représentants de confédérations professionnelles, d’associations de défense des consommateurs et d’autres forces de la société sous la direction d’Edmund Stoiber, homme politique éminemment expérimenté. Nous recevons aussi des contributions des États membres, tel le rapport de M. Warsmann de décembre 2008 sur la qualité et la simplification des lois, qui renvoie à de nombreuses reprises à notre programme. Ce rapport contient toute une série de simplifications possibles, notamment en droit communautaire, et évoque les obligations supplémentaires liées à la transposition en droit national. Il apparaît qu’on peut profiter des lois européennes pour aller plus loin que ce qu’on a jamais osé faire au niveau national !

Le programme d’action accorde une importance particulière au droit des sociétés. La Commission a fait plusieurs propositions dans ce domaine, qui sont en cours d’examen au Parlement et au Conseil et représentent à elles seules un potentiel d’économies de 7 milliards d’euros par an pour les entreprises européennes. L’adoption de ces propositions sera déterminante pour remplir notre objectif de 25 % de réduction des charges administratives. Deux d’entre elles suscitent toutefois un blocage de la part du Conseil et j’aimerais que les députés français aident la Commission à convaincre leur gouvernement de les soutenir. La première, qui émane à la fois du Parlement européen et du groupe Stoiber, permettrait aux États membres d’exonérer les PME de certaines dispositions et pourrait leur faire réaliser ainsi une économie de 6 milliards d’euros. Chaque État membre pourrait décider de conserver le système actuel ou de mettre en place le régime simplifié. L’environnement général des PME variant évidemment selon chacun des États, il est bien préférable, dans l’esprit de la subsidiarité, de nous en remettre à ces derniers pour élaborer une législation nationale plutôt que d’imposer à tous des règles européennes. La France, qui aurait toute liberté pour adapter cette possibilité à son propre système, devrait pouvoir accepter cette proposition.

La deuxième proposition concerne la suppression d’une obligation tout à fait désuète : celle pour les entreprises de publier dans la presse certaines informations qui sont déjà disponibles sur internet. Plus personne ne se sert aujourd’hui de ces annonces légales très coûteuses pour les entreprises, mais certains médias ont évidemment fortement intérêt à ce qu’elles soient maintenues ! Toutefois, si les autorités politiques ont l’intention de subventionner la presse, il me semble qu’elles devraient le faire sur un budget propre et non pas en imposant une redevance aux entreprises. Il n’y a aucune raison objective pour conserver ces annonces légales, si ce n’est que certains éditeurs français ou autrichiens se sont plaints à leurs gouvernements d’une perte de chiffre d’affaires. C’est d’ailleurs un problème récurrent lorsque l’on veut mieux légiférer : tout le monde est d’accord sur le principe, mais on se heurte très vite à des difficultés dans la pratique !

La réduction de la charge administrative nécessite une coopération entre l’Union européenne et les instances nationales. Ce n’est que par des efforts communs que nous pourrons soulager les entreprises et leur permettre de concentrer leurs ressources sur leur activité propre.

En vue d’améliorer la qualité de la réglementation européenne, la Commission a mis en place un système d’études d’impact obligatoires pour les nouveaux textes. Ce système, qui profite des enseignements de différentes expériences nationales, me semble très solide. Il permet, par une approche intégrée, l’analyse de tous les aspects, économiques, sociaux et environnementaux, d’un texte et s’applique à toutes les initiatives importantes. Nous avons institué aussi un contrôle de la qualité de ces études, qui améliore d’autant leur transparence. Toutes les études d’impact ainsi que leur évaluation deviennent publiques dès que la Commission a adopté la proposition visée. Les services de la Commission font une analyse poussée des propositions du point de vue de la subsidiarité et prennent aussi en considération leurs effets nationaux et régionaux, ainsi que leurs répercussions spécifiques sur les petites et moyennes entreprises – dans la ligne du Small Business Act – et pour les consommateurs. Je me réjouis que la réforme constitutionnelle française rende de telles études d’impact obligatoires, dans le respect des principes de proportionnalité. Nous sommes tout à fait disposés à partager notre expérience, puisque nous avons déjà mené plus de deux cents de ces études, dont on peut déjà tirer quelques conclusions générales.

Je voudrais souligner le fait que le programme de simplification n’a qu’une conséquence économique indirecte : la réduction massive du volume de la réglementation européenne rendra l’application du droit européen plus simple, mais elle ne changera pas sa teneur. La France, en préparant une cinquième loi de simplification, montre qu’elle comprend la nécessité de cet objectif. À l’échelon européen, l’initiative revient à la Commission. Celle-ci a déposé depuis 2005, début de son mandat, 185 propositions de simplification, dont 137 ont déjà été adoptées. Le résultat est une réduction du volume de l’acquis communautaire de 1300 textes déjà, soit 10 % du total ! La Commission a aussi entrepris des actions de codification. Ainsi, 436 textes, si amendés, modifiés, révisés que plus personne ne peut s’en servir sont prêts à être codifiés, ce qui permettra une simplification massive sans modifier en rien leur substance. Le programme prévu dans ce domaine devrait être bouclé à la fin de notre mandat.

Je voudrais enfin souligner l’importance macroéconomique de ce projet. La réduction des charges administratives ne doit pas être confondue avec les coûts de conformité – ceux que supportent les entreprises lorsqu’elles doivent, par exemple, faire des investissements pour satisfaire à de nouvelles normes de consommation énergétique. La réduction des charges administratives ne vise que les obligations de rapports, informations, saisies statistiques – tout ce que les Allemands appellent « guerre de la paperasse ». Or le coût de cette paperasse représente environ 3,5 % du PNB européen. S’en débarrasser complètement suffirait à compenser – de façon théorique bien sûr – l’impact de la crise actuelle !

Une réduction de 25 % des charges administratives représente 110 à 120 milliards d’économies. Or, environ 50 % des coûts sont exclusivement liés à la législation nationale. Bruxelles n’y peut rien : c’est aux États de jouer ! Le reste se décompose en coûts directs liés à la législation européenne et coûts liés à sa transposition en droit national. Ce sont des ordres de grandeur significatifs. C’est pourquoi plusieurs États membres ont fait de ce sujet une de leurs priorités. La Chancelière Angela Merkel a fait de même et la réduction de la bureaucratie et des coûts pour les entreprises est devenue un sujet capital pour l’opinion publique allemande. Les efforts que nous menons depuis quatre ans ont en outre conduit les entreprises européennes à revoir leur position sur l’Europe : elles reconnaissent beaucoup plus facilement que celle-ci offre un environnement favorable à leur activité.

M. Yves Nicolin. Je voudrais revenir sur la question des annonces légales. La principale motivation pour supprimer l’obligation de passer par la presse est de diminuer les coûts pour les entreprises. Mais dans le cas des marchés publics, ces annonces légales permettent de faire connaître les appels d’offres des collectivités ou entreprises publiques. Elles leur assurent une large publicité et garantissent la transparence du système.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Il me semble que M. Verheugen visait plutôt les obligations faites aux entreprises lorsqu’elles changent de gérant ou de statut par exemple.

M. Yves Nicolin. Il paraît pourtant exister un projet visant à permettre la publication des annonces légales sur d’autres supports qu’aujourd’hui, qui inquiète beaucoup la presse, notamment locale. L’obligation de passer par les journaux va-t-elle disparaître ?

M. Günter Verheugen. Il semble y avoir là un malentendu. La proposition de la Commission n’a strictement rien à voir avec les marchés publics : elle concerne les informations que le droit européen impose aux entreprises de rendre publiques, comme leur bilan annuel par exemple. Continuer à rendre obligatoire la publication de ces informations dans des quotidiens nationaux n’a plus aucun intérêt compte tenu de l’évolution des moyens de communication, puisqu’elles sont dorénavant accessibles à tous par le biais des médias électroniques. Si cette règle, qui a eu toute sa justification, est maintenue aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’elle génère des recettes pour la presse écrite – alors que la publication sur internet ne coûte rien à l’entreprise. Pour ce qui est des marchés publics en revanche, il reste tout à fait impératif que les autorités publiques qui font des appels d’offres s’appuient sur les médias les plus appropriés. L’amalgame entre ces deux domaines ne peut être le résultat que d’un malentendu.

M. Guy Geoffroy. Merci pour cet exposé très clair, qui vient bousculer certaines idées reçues sur la bureaucratie européenne. À ce propos, comment comptez-vous faire évoluer l’opinion, la faire passer d’une Europe diabolisée, qu’on accuse d’être à l’origine de toutes surréglementations et complications à une Europe salvatrice qui aiderait les États à élaborer un meilleur droit tout en continuant à réglementer ce qui doit l’être ? Par ailleurs, vous avez évoqué les études d’impact. Mieux savoir de quoi l’on parle permet à l’évidence de faire de meilleures lois, mais comment éviter un autre piège – que toute la complication législative soit reportée au niveau de ces études elles-mêmes, et qu’elles aient pour effet d’obscurcir dès l’origine les problématiques en cause ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Et pourrez-vous nous dire quelques mots de la procédure qu’utilise la Commission pour ces études d’impact ?

M. Günter Verheugen. Ces questions sont fondamentales. D’abord, la surréglementation européenne est un mythe. La plupart des règles européennes concernent le marché intérieur et constituent donc par nature une simplification, puisqu’elles permettent de remplacer 27 réglementations nationales. Pendant des années, l’exemple favori de l’Allemagne sur la réglementation européenne a été celui du rayon de courbure des concombres. Mais il ne demeure pas moins indispensable de connaître la classe de commercialisation d’un produit agricole, qui permet au consommateur de savoir ce qu’il achète ! Comment la définir autrement que par sa forme, sa maturité, son aspect ? Et si cette classe n’est pas définie au niveau européen, elle devra l’être au niveau national. Sans doute les concombres français auront-il alors le droit d’être un peu plus courbés que leurs cousins allemands, qui devront être absolument rectilignes… J’avais proposé de supprimer cette règle européenne pour qu’on arrête de se gausser de la Commission, mais les agriculteurs, transformateurs, supermarchés s’y sont tous opposés car tous ceux qui ont à s’occuper de concombres ont besoin de ces règles.

Si la surréglementation européenne est donc un mythe, il est vrai en revanche que beaucoup de choses sont traitées de manière trop détaillée. Je ne peux que vous inciter à vous préoccuper de la subsidiarité : c’est à vous de dire s’il est vraiment nécessaire qu’un dossier soit réglé à l’échelon européen. La Commission aura toujours tendance à vouloir tout réglementer, puisque cela développe son champ de compétence et son pouvoir. Depuis dix ans que je suis commissaire, je vous assure qu’elle est devenue au moins deux fois plus influente ! Mais je continue à me demander pourquoi nous élaborons des réglementations pour des entreprises qui ne participent en rien au marché intérieur – pourquoi l’Europe s’occupe des boulangeries de quartier, qui ne seront jamais en concurrence avec celles d’un autre État. Elle devrait pouvoir se contenter de dire qu’une boulangerie doit être propre. À chacun des États ensuite d’établir à quelle fréquence le boulanger doit rendre compte de ses achats de farine !

C’est une question fondamentale. Il faut absolument comprendre que ne doit être réglé au niveau européen que ce qui ne peut pas l’être au plan national – et c’est un membre de la Commission qui vous le dit ! Cette philosophie n’a pas forcément toujours eu cours. On a longtemps pensé que l’Europe se concrétisait grâce à des règles communes – plus il y avait de règles, plus il y avait d’Europe. C’était l’esprit de la création du marché intérieur. L’éminent Jacques Delors, pour lequel j’ai la plus grande estime, a défendu cette idée pour consolider l’intégration. Cela a été une erreur : les gens en ont conçu le sentiment qu’ils étaient mis sous tutelle par Bruxelles, un monstre bureaucratique. Cela ne changera pas tant qu’ils ne connaîtront pas mieux la procédure législative, il est vrai complexe, de l’Europe. Les parlements nationaux, qui pourraient jouer un rôle bien plus important qu’aujourd’hui dans la législation européenne, doivent donc prendre le contrôle de subsidiarité très au sérieux.

Pour ce qui est du travail concret de simplification, il peut s’agir parfois d’abroger des règles obsolètes, qui n’ont plus de raison d’être. Tout législateur connaît ce cas. Les choses se compliquent lorsqu’il s’agit en même temps de moderniser la règle. C’est alors un acte éminemment politique. Nous nous y attelons parfois. Quant aux études d’impact, elles devraient accompagner toutes les initiatives législatives, au moins d’une certaine importance. C’est la règle que la Commission applique depuis deux ans. Mais il est encore possible d’améliorer les choses. Une des questions cruciales est de savoir qui doit faire l’étude d’impact. En règle générale, à l’heure actuelle, c’est le commissaire qui fait la proposition de loi qui en est chargé. L’étude est donc élaborée par la direction générale concernée, le risque étant que les options politiques souhaitées apparaissent comme les plus favorables. Peut-être serait-il préférable de confier ces études à une instance totalement extérieure à la Commission, au Parlement et au Conseil. C’est la solution défendue par l’Allemagne avec le soutien du Parlement et de nombreux États membres. Par ailleurs, si l’on restait dans le système actuel, il faudrait s’interroger sur l’indépendance du comité qui valide les études d’impact, lequel est composé de hauts fonctionnaires nommés par le président de la Commission… Les réflexions sur ces deux modèles se poursuivent.

Pour ma part, je suis convaincu qu’une étude d’impact doit être aussi indépendante et neutre que possible. Et d’ailleurs, ce n’est pas parce qu’elle fait apparaître des coûts élevés que l’initiative en cause ne va pas être poursuivie. C’est une question de choix politique : on ne peut pas refuser de prendre une initiative importante en matière de sécurité ou de protection de l’environnement parce qu’elle coûte des sous ! Qu’on essaie de comparer les coûts d’un projet de loi et l’avantage abstrait qu’on peut en attendre m’amuse d’ailleurs toujours : il est bien difficile de calculer combien une disposition en matière de santé va sauver de vies par an… Les politiques n’ont besoin de connaître que le coût de cette mesure et les avantages globaux que peut en attendre la société. C’est de cette façon que nous faisons nos études d’impact, qui sont par ailleurs entièrement publiées, ainsi que les analyses qui en sont faites. Il est important de bien comprendre l’enjeu politique de ce modèle qui contribue à réduire cette distance dont on se plaint si souvent entre les institutions européennes et les citoyens, et à nous débarrasser de cette impression que l’Europe n’est qu’un vaste « cirque » bureaucratique.

M. Philippe Vuilque. Vous avez, à propos de la « guerre de la paperasse » menée par la Commission, évoqué des économies de l’ordre de 3,5 % du PNB européen. Cela paraît ahurissant. Quelles informations est-il indispensable de conserver, et avez-vous des exemples de contraintes complètement obsolètes ?

M. Günter Verheugen. L’essence même de ce projet est d’être toujours parfaitement concret. Nous avons déterminé de façon précise l’origine des coûts des entreprises et l’impact sur elles de chaque loi, dans l’ensemble de l’Europe, pour treize secteurs qui couvrent 80 % du PNB européen. Nous avons identifié 42 textes qui génèrent l’essentiel de ces coûts. Il est d’ailleurs remarquable que la plupart des charges administratives des entreprises soient dues à si peu d’entre eux ! Nous avons fait une liste de 72 textes qui devraient pouvoir être simplifiés sans rien rabattre de leurs objectifs. Chaque disposition en sera examinée pour savoir, au cas par cas, ce qui peut être supprimé ou doit être conservé. Les obligations d’information ne disparaîtront pas : il reste indispensable que les sociétés anonymes publient leur bilan ou que les entreprises fournissent les données qui permettront d’élaborer la fiscalité. C’est parce que tout ne peut pas être supprimé que nous avons fixé un premier objectif de 25 % de réduction. Pour que vous vous rendiez compte concrètement du travail de précision chirurgicale qui est mené, je vous propose de vous transmettre en français les propositions que nous avons faites.

La sécurité des denrées alimentaires, par exemple, constitue un facteur de coût important. Sans assouplir d’aucune façon les dispositifs d’hygiène, on peut tout de même se demander si les documents concernant leur respect doivent être les mêmes pour Carrefour et pour la boulangerie du quartier. Une grande société doit pouvoir rendre compte de l’efficacité parfaite de sa chaîne du froid mais le même type d’obligation pèse très lourd sur une petite entreprise. Ce genre d’informations obligatoires ne représente pour une grande société que 1 à 2 % de son chiffre d’affaires, mais 7 à 10 % pour une petite entreprise locale, ce qui peut la faire passer sous la barre de la rentabilité. Une approche très précise, point par point, permet de déterminer ce qui doit changer. Les mesures que nous avons effectuées nous ont donné une idée assez précise des coûts qui peuvent être économisés.

M. Sébastien Huyghe. Vous avez évoqué votre attachement au principe de subsidiarité. Je voudrais l’appliquer au dossier très récent du taux de TVA de la restauration. La France a eu beaucoup de mal à obtenir d’appliquer le taux réduit. Pourtant, la définition des secteurs qui peuvent bénéficier de ce taux ne relèverait-il pas plutôt du niveau national qu’européen, notamment dans les secteurs peu soumis à la concurrence entre États ? J’aimerais savoir si la Commission partage cet avis.

M. Günter Verheugen. Pour ma part, je suis tout à fait d’accord et la Commission, sous la présidence de M. Prodi, puis de M. Barroso, a proposé régulièrement de permettre aux États membres d’appliquer le taux réduit aux activités locales intensives en main-d’œuvre. Cette idée a rencontré pendant des années la résistance de plusieurs États et notamment de l’Allemagne, pour des raisons qui m’échappent. J’en ai très souvent parlé avec des membres du gouvernement allemand, y compris le ministre des finances, qui est du même parti que moi. Il me semblait que même si les Allemands ne voulaient pas appliquer cette disposition, ils ne devaient pas empêcher les autres de le faire ! Les Allemands ont fini par céder en décembre. La proposition élaborée par mon collègue László Kovács, commissaire en charge de la fiscalité, prévoit que le taux réduit de TVA puisse être appliqué aux entreprises à forte intensité de main-d’œuvre – à charge pour les États membres de les identifier. De mon point de vue, il s’agit de toutes les entreprises qui agissent au plan local, dans la restauration, les services ou l’artisanat. Cette proposition est en cours de traitement. La Commission la présentera de telle sorte que les États membres disposent de la souplesse suffisante pour faire porter tous ses fruits, en termes économiques, à cette mesure. Nous n’avons en effet aucun besoin d’un taux de TVA unique sur des services qui ne seront jamais transfrontaliers. Si l’on vient de Belgique déjeuner en France, ce n’est pas à cause de la TVA !

Mme Marietta Karamanli. Philippe Vuilque a soulevé la question des informations qui doivent être conservées. Comment comptez-vous garantir, dans votre souci de réduire les coûts pour les entreprises, la protection des droits des consommateurs et leur accès au plus grand nombre d’informations possible ? Le projet de directive de Mme Kuneva relatif à la protection des consommateurs soulève à ce propos beaucoup de questions, bien que l’échange d’arguments avec la Commission ne soit pas terminé. Il s’agit d’un texte très large qui vise l’harmonisation européenne aussi bien en matière de droits des consommateurs que de ventes aux enchères publiques ou de ventes transfrontalières par exemple.

M. Günter Verheugen. Les coûts d’information du consommateur qui sont à la charge des entreprises, concernant la composition des produits par exemple, ne font pas partie des coûts de la bureaucratie mais plutôt des coûts de conformité dont je vous ai déjà parlé. Ils ne sont donc aucunement visés par notre programme. Je ne peux pas garantir qu’il n’y ait jamais de conflit entre les intérêts des consommateurs et ceux des entreprises, mais nous ne nous intéressons en tout état de cause qu’aux obligations de type statistique. Par exemple, il n’est aucun besoin de maintenir l’obligation pour les entreprises de transport de présenter des données précises sur leur activité transfrontalière alors que dorénavant, au sein du marché intérieur, chacun transporte ce qu’il veut où il veut. De la même façon, grâce aux méthodes modernes, des sondages par échantillon permettent de fournir les mêmes informations, avec un écart-type de 0,1 %, que les questionnaires qui étaient adressés tous les deux ans aux 23 millions d’entreprises européennes. On peut donc se dispenser de collecter toutes ces informations et confier cette démarche scientifique à l’office statistique européen !

Par ailleurs, il peut arriver que les entreprises aient à fournir les mêmes informations à de multiples instances nationales ou internationales – jusqu’à 304, comme nous avons eu la surprise de le constater. À l’ère de la communication moderne, il est très simple de transmettre les informations d’une instance aux autres sans les saisir 304 fois ! Vous voyez que ces obligations n’ont plus lieu d’être et que leur suppression ne menace en rien la protection des consommateurs.

Enfin, je ne suis pas au courant du projet de directive que vous évoquez mais Mme Kuneva est un défenseur acharné des consommateurs et j’ai du mal à penser qu’une de ses propositions pourrait tendre à limiter leur protection. En tout état de cause, cette directive n’a rien à voir avec le programme « Mieux légiférer ».

M. le président Jean-Luc Warsmann. Il me reste à vous remercier, Monsieur le président, pour cette intervention extrêmement intéressante et argumentée.

La séance est levée à treize heures cinq.

——fpfp——