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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 26 mai 2009

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 50

Présidence de M. Guy Geoffroy, Vice-président et de M. Pierre Lequiller, Président de la commission chargée des Affaires européennes

– Audition, commune avec la commission chargée des affaires européennes, de M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, responsable pour « Justice, liberté et sécurité » 2

La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République et de M. Pierre Lequiller, président de la commission chargée des Affaires européennes.

La Commission procède à l’audition, commune avec la commission chargée des affaires européennes, de M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, responsable pour « Justice, liberté et sécurité ».

M. le président Pierre Lequiller. Je vous prie d’excuser M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, qui participe à la séance plénière.

Nous accueillons M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne.

Monsieur Barrot, vos discussions avec les autorités des États-Unis ont-elles permis d’obtenir des avancées, en particulier sur l’accueil des anciens détenus de Guantanamo et sur la protection des données personnelles ?

M. Jacques Barrot. J’ai actuellement pour tâche principale de préparer le programme de Stockholm, ainsi intitulé parce qu’il devrait être approuvé par le Conseil européen de la fin 2009, sous la présidence de la Suède. Ce programme sera valable pour les années 2010-2014.

La plupart des questions relatives au secteur justice, sécurité et liberté étant jusqu’à présent soumises à la règle de l’unanimité, il était parfois difficile d’avancer. Ainsi nous ne pouvons pas lancer de procédure d’infraction contre un État membre qui ne transpose pas un texte. Les Irlandais devraient revoter début octobre sur le Traité de Lisbonne, ce qui devrait permettre son entrée en vigueur début 2010. Le secteur justice, liberté et sécurité connaîtra alors un essor important.

Pourquoi est-il important d’avancer dans ce domaine ? Tout d’abord ce ne sont pas moins de 8 millions d’Européens qui vivent dans un État membre autre que leur pays d’origine. Près d’une succession sur dix a une dimension internationale. La cybercriminalité ne connaît pas de frontières – on dénombre 1 500 sites Internet marchands ou non marchands à caractère pédopornographique. En 2007, 600 attaques terroristes ont été perpétrées dans onze États membres. Aux 1 636 points d’entrée que compte désormais l’Union, 900 millions d’entrées ont été comptabilisées en 2006. Près de 18 millions de ressortissants de pays tiers vivent en Europe, soit près de 4 % de la population totale, auxquels s’ajoutent plusieurs millions d’immigrés en situation irrégulière.

L’espace européen doit par conséquent devenir un espace de droit. Le programme de Stockholm compte quatre chapitres, tournant tous autour de la question de la citoyenneté : l’Europe des droits, avec la garantie de faire valoir partout ses droits fondamentaux ; l’Europe de la justice, c’est-à-dire l’accès à la justice quel que soit l’État membre où l’on se trouve ; l’Europe qui protège, par le biais d’une stratégie d’action contre la criminalité organisée et le terrorisme ; l’Europe solidaire en matière de droit d’asile et d’immigration.

S’agissant de l’Europe des droits, le programme abordera les problèmes de protection des données. Dans ce domaine, nous devons repenser nos instruments et doter l’Europe d’un dispositif posant les principes du consentement des citoyens pour l’usage de leurs données personnelles et du contrôle des applications par des autorités indépendantes, comme notre CNIL.

L’Europe des droits couvre aussi le domaine des élections. Il serait souhaitable que le prochain scrutin européen se tienne en un jour unique.

La protection consulaire doit être offerte à tous les citoyens européens. Après l’attentat de Bombay, les ressortissants d’États membres dépourvus de consulat ont été un peu laissés de côté alors qu’un consulat chef de file aurait pu s’occuper d’eux.

Si le Traité de Lisbonne est ratifié, l’Union européenne deviendra partie à la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux sera intégrée dans le corpus de textes de l’Union, ce qui fera converger les jurisprudences de la Cour de justice des communautés européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme, la CJCE et la CEDH.

S’agissant de l’Europe de la justice, le principe n’est pas l’harmonisation des systèmes judiciaires mais la reconnaissance mutuelle, qui permet de se passer d’exequatur. À cet égard, le mandat d’arrêt européen fonctionne bien, il apporte de l’efficacité à la police judiciaire.

Il conviendra de développer la formation des magistrats afin de les initier aux nouveaux outils européens et surtout de leur faire mieux connaître les systèmes judiciaires des autres États membres. Nous pensons développer des modules de formation auprès d’Eurojust – l’Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne – et organiser un système de stages Erasmus pour les magistrats.

Je rêve d’aller plus loin en dressant un tableau comparatif des systèmes judiciaires pour évaluer les forces et les faiblesses de chacun et insister sur les bonnes pratiques. Ce sera un peu difficile à « vendre » mais je pense que la présidence suédoise sera assez ambitieuse dans ce domaine.

En matière de justice civile enfin, nous avons toujours une aide judiciaire à apporter pour lutter contre les comportements abusifs sur les marchés financiers, pour mettre sur pied un système de saisie bancaire européenne et pour introduire un vingt-huitième régime optionnel concernant le droit des contrats. Un vingt-huitième régime optionnel pour le droit de la famille faciliterait les procédures de divorce des couples binationaux mais il sera beaucoup plus difficile à mettre en place.

S’agissant de l’Europe qui protège, le premier dossier est celui de la coopération policière. Nous avons commencé à faire travailler ensemble les policiers des différents États membres, notamment à travers les équipes d’enquête communes et des exercices d’alerte. Nous allons essayer de renforcer les équipes communes d’enquête autour d’Europol – l’Office européen de police –, de mettre cette agence en synergie avec Eurojust et de faire circuler l’information, ce qui requiert un système de protection des données efficace.

En matière de justice pénale, nous devons progresser en renforçant Eurojust, en créant un mandat européen d’obtention de preuve, en partageant les informations contenues dans les casiers judiciaires et surtout en prévoyant des garanties minimales pour les procédures pénales, un peu défaillantes dans certains États membres. La reconnaissance mutuelle est impossible sans de telles garanties.

Frontex – l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures – joue un rôle de plus en plus important pour contrôler les frontières. Nous avons surtout besoin de systèmes d’information électroniques sophistiqués, comme le SIS II (Schengen Information System II), pour les contrôles d’identité dans l’espace Schengen, ou le VIS, Visa Information System, pour les demandeurs de visas. Il faut faire travailler les entreprises ensemble pour améliorer la standardisation et l’interopérabilité.

Nous devons aussi nous donner des stratégies contre les grandes criminalités, la prostitution, la drogue.

S’agissant enfin de l’Europe solidaire, il convient de distinguer politiques migratoires et politiques d’asile.

En matière migratoire, nous ne nous en sortirons que par une approche globale intégrant aide au développement et gestion concertée des migrations. Pour le volet migration régulière, un cadre juridique commence à s’ébaucher, avec une carte bleue pour les migrants qualifiés, dont l’Europe a besoin. Je compléterai ce cadre juridique avec des mesures pour les saisonniers et les stagiaires rémunérés. Je voudrais surtout fonder un observatoire des besoins et des migrations car l’action des États membres reste trop fragmentée.

En matière de migration irrégulière, il faut lutter contre les passeurs, qui organisent notamment les passages par voie maritime et ont aujourd’hui pignon sur rue. Il faut aussi que Frontex facilite les retours par des vols organisés selon des règles bien précises.

En matière d’asile, l’Europe n’est pas suffisamment solidaire. Certains États membres crient au secours : Malte, qui ne compte que 400 000 habitants, a accordé le statut de protection de Genève à plus de 10 000 réfugiés et ne peut plus aller au-delà. Il faudra donc que les États membres se répartissent la charge. Nous allons nous efforcer d’uniformiser les procédures d’instruction des demandes d’asile. Le bureau d’appui, qui devrait être opérationnel au début du mandat du futur Parlement européen, veillera à ce que les textes harmonisant les procédures d’asile soient vraiment mis en pratique.

Avec le programme de Stockholm, nous avons donc entrepris de créer un véritable espace de droit et de justice.

Lors de mon voyage aux États-Unis, en mars, j’ai pris acte d’une demande très forte de l’administration Obama : elle souhaite que les Européens participent à la réorientation de la lutte antiterroriste et qu’un terme soit mis à tous les excès et abus tolérés voire encouragés jusqu’à présent à Guantanamo. Nous avons un peu progressé puisque nous avons fait admettre aux États-Unis la nécessité de faire circuler l’information entre nos États membres, notamment par le canal de leurs services de renseignement, quand l’un d’eux accepte un ex-détenu de Guantanamo. Surtout, une déclaration politique conjointe de l’Union européenne et des États-Unis devrait être adoptée par le conseil Affaires générales du 15 juin prochain, mettant en évidence l’engagement mutuel des deux signataires en faveur du respect de l’État de droit et du droit international dans le combat contre le terrorisme, mais aussi en faveur de la coopération antiterroriste et plus généralement en matière de justice et d’affaires intérieures.

La protection des données est un problème récurrent que nous n’avons pas encore résolu. Un comité d’experts est tombé d’accord sur quelques principes généraux mais nous butons sur une discrimination : un citoyen américain peut obtenir par voie de justice la rectification des données le concernant, mais pas un citoyen européen demeurant aux États-Unis. C’est pour nous une question de principe et j’ai bon espoir – les premiers contacts ont été positifs – qu’un accord puisse être obtenu avant la fin de l’année avec la nouvelle administration.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous avons déjà eu l’occasion d’émettre un jugement plus que mitigé à propos de l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis sur les données PNR – Passenger Name Record – et leur utilisation. Les premiers contacts avec la nouvelle administration américaine suscitent-ils un espoir de rééquilibrage entre les droits des ressortissants américains et européens sur ce sujet très sensible ?

Dans le cadre du programme de Stockholm, est-il envisageable d’adopter plus rapidement que prévu  un système PNR européen?

La Commission européenne ambitionne-t-elle d’avancer réellement vers la création d’un parquet européen ?

En matière d’immigration, le président Barroso préconise de trouver un équilibre entre deux solutions extrêmes : fermer l’Europe aux migrants ou laisser entrer tout le monde. Comment le programme de Stockholm répond-il à cette alternative ?

M. Jacques Barrot. Le premier accord concernant les données PNR, passé en novembre 2007, doit en effet être révisé. Aucune échéance n’est prévue mais les États-Unis se sont très clairement engagés à revoir leur système et l’usage des données recueillis par les compagnies aériennes américaines. Le juge Jean-Louis Bruguière, mandaté pour aller examiner le fameux système américain SWIFT de surveillance des échanges de données financières, est formel : son usage est tout à fait conforme aux finalités et proportionnel aux besoins. Je pense donc que l’esprit des Américains va aussi évoluer à propos des PNR.

Le PNR européen est en gestation. Il constituera un modèle et nous permettra de mieux négocier avec les États-Unis, dans la mesure où il sera plus restrictif, avec des périodes de sauvegarde plus courtes et une utilisation très ciblée des données.

Nous avons renforcé Eurojust, dont les magistrats, en accord avec les États membres concernés, peuvent désormais s’autosaisir d’affaires et mener des enquêtes sur des crimes transfrontaliers. Nous n’abordons pas le thème du parquet européen dans le programme de Stockholm pour ne pas faire de provocation avant l’adoption du Traité de Lisbonne, qui prévoit la possibilité d’en instaurer un.

Le problème de l’immigration, très délicat, est encore aggravé par la crise économique. Je surveille très attentivement toutes les discriminations s’exerçant à l’encontre des migrants entrés régulièrement en Europe. L’équilibre est plus difficile à trouver aujourd’hui et, sur l’immigration régulière, notamment sur les saisonniers, nous n’échapperons pas à des débats. Je prépare pour demain une communication importante à la Commission européenne sur les problèmes migratoires, dans laquelle j’explique que, sans gestion concertée avec les pays d’origine et sans avancées au profit de la migration régulière, l’ampleur de la migration irrégulière dépassera tout ce que nous avons connu jusqu’à présent, avec des conséquences très graves. Une prise de conscience est nécessaire. Il faudra une approche globale, fortement soutenue par l’Union.

M. Christophe Caresche. L’accord de 2007 entre l’Union européenne et les États-Unis à propos des données PNR est catastrophique. Le dispositif en cours d’adoption au niveau européen garantit davantage les libertés individuelles que l’accord signé avec les Américains, ce qui représente un paradoxe extraordinaire : nous ne nous appliquons pas les mesures validées avec les Américains. Je me réjouis qu’une renégociation soit prévue mais elle devra avoir pour objectif de faire entériner purement et simplement les dispositions que nous nous apprêtons à adopter au niveau européen.

Les questions relatives à la justice et aux affaires intérieures restent encore très nationales ; même le pacte sur l’immigration est essentiellement déclaratif. Le Traité de Lisbonne peut nous aider à progresser.

Un arrêt récent de la CJCE estime que les garanties statutaires d’indépendance du parquet français sont imparfaites. Qu’en pensez-vous ?

Mme Élisabeth Guigou. Dix ans après le Conseil européen de Tampere, il est très positif que la nouvelle feuille de route pour le domaine justice, sécurité et liberté doive être fixée par les chefs d’État et de gouvernement.

Après la ratification du Traité de Lisbonne, il faudra se pencher sérieusement sur la question de la coopération judiciaire car l’idée d’un parquet européen soulève de nombreuses questions, notamment au regard du contrôle démocratique de la justice. « Qui contrôle les contrôleurs ? »

Toutes les formes de criminalité internationale possèdent un point commun : l’argent sale, qui se réfugie dans les paradis fiscaux. Le G20 a relancé cette question, déjà soulevée il y a dix ans puis abandonnée... Quelles mesures pénales envisagez-vous concrètement en la matière ? On réduit à tort le problème à la fraude fiscale (chose certes non négligeable) alors qu’il a aussi un aspect pénal.

Quels sont enfin vos projets concernant l’harmonisation du droit d’asile ?

M. Jacques Barrot. Il faut en effet renégocier l’accord sur les données PNR sur la base d’une vraie réciprocité avec les États-Unis. L’accord que j’ai trouvé en prenant mes fonctions m’a en effet semblé disproportionné, trop rapidement négocié. La nouvelle administration américaine semble avoir bien compris que nous ne pourrions pas coopérer si elle ne lâchait pas de lest. Beaucoup dépendra du futur Parlement européen, qui jouera un rôle majeur dans cette affaire.

Sur la question de l’immigration, le Traité de Lisbonne impliquera le Parlement, qui, aujourd’hui, n’est co-législateur que pour l’immigration irrégulière. C’est un exemple de domaine dans lequel le Parlement devra jouer un rôle déterminant, et j’en profite pour inviter les Français à voter le 7 juin. Il convient de perdre les réflexes souverainistes que nous conservons parfois sur ce point si nous voulons permettre à l’Europe de maîtriser la situation.

Le Conseil de l’Europe a déjà posé des jalons en matière de comparaison des systèmes judiciaires et je pense – mais serai-je suivi ? – que l’Union européenne pourrait émettre quelques avis. Certains dysfonctionnements des systèmes judiciaires bulgare ou roumain, que je suis chargé de suivre, m’horrifient ; mais d’autres pays mériteraient aussi un examen plus approfondi. Je pense également aux questions carcérales, aux abus de la détention préventive par exemple. L’Europe devrait au moins permettre un partage des meilleures pratiques, concernant notamment le développement des peines alternatives à l’emprisonnement, qui répondrait au phénomène de radicalisation dans les prisons européennes.

Dans le secteur justice et affaires intérieures – JAI –, c’est heureusement le Conseil européen qui a le dernier mot et non les ministres de l’intérieur et de la justice. Nous avons d’autant plus de chance que ce Conseil européen sera présidé par le Premier ministre suédois, très engagé sur ces questions, ayant précédemment présidé la commission des lois du parlement de son pays.

Le parquet européen devra respecter un équilibre, être relativement fort tout en faisant l’objet d’un contrôle démocratique. Eurojust peut constituer un bon banc d’essai.

Si nous ne touchons pas à l’argent sale, nous n’arriverons effectivement pas à maîtriser la criminalité organisée qui se développe en Europe, notamment en matière de trafic de drogues mais aussi d’êtres humains. Mais ce n’est pas la direction générale justice, liberté et sécurité mais la direction générale marché intérieur et services qui est en charge de ces problèmes. Il importe pourtant de trouver le moyen de permettre au système judiciaire européen de s’emparer du problème. La directive anti-blanchiment comporte bien une exigence de vigilance vis-à-vis de diverses professions mais, après la crise, l’occasion est venue d’aller plus loin.

La Commission européenne a adopté une proposition sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Nous avons assoupli la règle de Dublin, en vertu de laquelle seul le premier État d’accueil est chargé d’instruire la demande d’asile, ce qui posait problème à la Grèce, submergée par les demandes. Le bureau d’appui va être ouvert. Un autre texte, relatif à l’harmonisation des procédures de demande d’asile, viendra en septembre. En France, nous possédons quelques bons exemples de services d’accueil des demandeurs d’asile, notamment à Lyon. Sur ce dossier, ma route est semée de difficultés : après avoir adopté sous la présidence française le Pacte européen sur l’immigration et l’asile, les vingt-sept se rétractent un peu. J’ajoute que nous allons aussi revoir le système des protections temporaires et subsidiaires. Je compte sur la présidence suédoise pour nous faire avancer.

M. Michel Hunault. Comment améliorer la coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, notamment pour qu’ils harmonisent les jurisprudences de la CJCE et de la CEDH ? L’Union finance l’Agence des droits fondamentaux de Vienne alors que le Conseil de l’Europe manque de moyens. La Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ, évalue deux fois par an les systèmes judiciaires des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe. Comment éviter les doublons et rendre plus efficace le travail des deux institutions ?

S’agissant de la grande criminalité, la France, je crois, a transposé la troisième directive deux ans et demi après sa promulgation et par voie réglementaire… Il faut plus de coordination européenne.

Enfin tous les pays n’ont pas une définition unanime du terrorisme. L’administration Obama a affirmé des principes qui méritent d’être soutenus par l’Europe. Il s’agit de concilier, d’une part, la sauvegarde de la sécurité et la lutte contre le terrorisme, et, d’autre part, les droits de l’homme.

Mme Valérie Rosso-Debord. Le nombre de séparations de couples binationaux est appelé à croître. Quelles propositions formulez-vous pour la défense des droits des enfants ?

M. Philippe Cochet. Je confirme la grande qualité de l’accueil des demandeurs d’asile à Lyon.

Vous avez parlé de stages Erasmus pour les magistrats. Avez-vous un projet de même nature pour les policiers ?

Les polices des États membres abordent la problématique du terrorisme de façons très diverses. Quelles pistes la Commission suit-elle dans ce domaine ?

M. André Schneider. Les législations nationales doivent être harmonisées. À Strasbourg, nous avons eu à gérer un problème terrible de prostitution de jeunes femmes originaires de l’Europe de l’Est dont les proxénètes vivaient tranquillement dans des hôtels en Allemagne. Le problème est identique pour la mendicité organisée d’enfants ou d’adultes, eux aussi encadrés par des « proxénètes », si j’ose dire. Sur ces dossiers concrets, nous avons besoin d’outils européens.

M. Jacques Barrot. Il faut approfondir largement la coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe : c’est rendu plus nécessaire encore à mesure que se développe l’espace JAI dans l’UE. J’ai rencontré M. Jean-Paul Costa, président de la CEDH, et nos échanges ont été très riches. Lorsque l’Union sera devenue partie à la Convention européenne des droits de l’homme, sur les questions concernant le Conseil de l’Europe, la CJCE se référera vraisemblablement à la jurisprudence de la CEDH. Nous sommes donc condamnés à améliorer la coopération et aussi à faire disparaître les doublons.

Les transpositions des directives relatives à la grande criminalité n’ont pas toujours été parfaites. La troisième directive anti-blanchiment devait être transposée en droit national le 15 décembre 2007. Or quatre États membres, la Belgique, la France, la Finlande et la Pologne, ont notifié une transposition partielle, tandis que deux autres, l’Espagne et l’Irlande, n’ont encore rien communiqué. La Commission a ouvert des procédures d’infraction à l’encontre de tous ces États et la CJCE est saisie. J’accorde à Michel Hunault qu’une transposition par voie législative est préférable.

Il faut approfondir la formation des agents chargés de la lutte contre le terrorisme. Nous avons commencé par étudier le phénomène de radicalisation et il conviendra de clarifier progressivement la notion de terrorisme. La coopération avec la nouvelle administration américaine semble possible.

Le droit des enfants constitue un des points forts du programme de Stockholm. Nous avons créé une coalition financière pour venir à bout de tous les sites pédopornographiques. Par ailleurs, nous avons fait revoir la décision-cadre relative à la pédopornographie : l’auteur d’un abus sexuel perpétré en Asie ou ailleurs, s’il est européen, pourra être jugé et condamné. La présidence espagnole – qui succédera à la présidence suédoise et à qui il incombera d’établir le plan d’action découlant du programme de Stockholm – compte faire de la violence contre les enfants et les femmes un sujet majeur.

Il faut former nos policiers sur le terrorisme. Par ailleurs, le conseil des ministres a créé un poste de coordinateur de la lutte contre le terrorisme, occupé par M. Gilles de Kerchove, tandis que la Commission conserve des attributions en la matière à travers la direction générale JAI ; il faudra rendre ce dispositif plus opérationnel. Souvenez-vous que le secteur JAI est partagé entre intergouvernemental et communautaire.

La formation européenne des policiers, assurée par le CEPOL, le Collège européen de police, ne fonctionne pas très bien. Nous réfléchissons à l’idée de confier cette mission à Europol.

Comme l’a dit M. Schneider, certains criminels se jouent des polices nationales en sévissant dans des régions transfrontalières. Raison de plus pour suivre des stratégies européennes en vue de lancer des enquêtes communes, notamment avec Eurojust : un magistrat français ou allemand pourra suivre toute une filière de prostitution. L’Europe judiciaire doit rattraper le retard qu’elle accuse sur l’Europe criminelle ; grâce au Traité de Lisbonne, nous pourrons donner un bon coup d’accélérateur.

M. Christian Vanneste. Le bourgmestre de Courtrai m’a informé d’un trafic de voitures entre Tournai, Courtrai et Lille. J’ai interrogé le ministère de l’intérieur à ce sujet et sa réponse met en évidence un dysfonctionnement stupéfiant : les services préfectoraux n’ayant pas accès au système SIS, ils réimmatriculent les luxueux véhicules volés en Belgique. De même, la France n’utilise pas du tout le logiciel EUCARIS – European Car and Driving Licence Information System –, qui permet le rapprochement entre les plaques d’immatriculation et les numéros de série des voitures. Enfin, la Belgique semble ne pas appliquer le Traité de Prüm. Une réunion a été organisée à ce sujet en novembre 2008, à l’initiative de l’Office central de lutte contre le crime organisé, avec ses homologues européens. La Commission européenne mesure-t-elle les effets de ce dysfonctionnement ? Quelles seront les conséquences concrètes de la réunion de novembre 2008 ?

Mme George Pau-Langevin. Avez-vous l’intention de recourir davantage à la notion de « pays d’origine sûr », qui soulève des problèmes en droit interne ?

Envisagez-vous le versement de compensations financières pour inciter les pays membres à accepter de se répartir un peu plus équitablement l’accueil des demandeurs d’asile ?

Il est question que l’examen de certaines demandes d’asile puisse être transféré hors de l’Union européenne. Le confirmez-vous ?

Vous avez rendu hommage à l’action des associations travaillant avec les migrants sur la Côte d’Opale. L’Union européenne envisage-t-elle de conforter l’intervention des associations ?

M. Michel Delebarre. Quand et comment l’Europe mettra-t-elle fin au problème de l’immigration ? Le programme de Stockholm fera-t-il évoluer l’attitude la Grande-Bretagne ? Le centre de Sangatte n’existe certes plus mais il reste des centaines de migrants stationnés dans les agglomérations ou au voisinage des ports, avec comme seul objectif de passer en Grande-Bretagne.

Si l’Europe était vécue comme vecteur d’une plus grande justice, cela pourrait inspirer de formidables slogans pour une campagne électorale. Vous êtes sans doute le commissaire européen le plus redouté, le plus honni par les États membres, car votre fonction vous conduit à mettre le doigt sur des dysfonctionnements, mais n’est-ce pas indispensable pour renforcer la justice ? Je prendrai un exemple : quelques communes où existe une population francophone, autour de Bruxelles, interdisent les affiches électorales dans une autre langue que le flamand ; le temps est venu, pour l’UE et la Commission, d’être visibles sur les questions de ce type. Elles donneraient ainsi aux citoyens le sentiment qu’elles sont à leurs côtés pour plus de justice.

Comptez-vous être candidat au renouvellement de votre fonction de commissaire ? Aspirez-vous à être le commissaire européen le plus détesté ? (Sourires)

M. Daniel Garrigue. Le rapport Darrois suscite beaucoup de tension entre notaires et avocats. Le monopole des notaires se joue à l’échelle européenne, avec des décisions de la CJCE. Quelle est votre position sur ce sujet, qui traduit le conflit entre le droit continental et le droit anglo-saxon ?

Mme Odile Saugues. De quels moyens disposez-vous pour améliorer la situation des migrants en difficulté ?

M. Jacques Barrot. SIS II, quand il sera opérationnel, doit être accessible à tous les services, y compris ceux de la préfecture du Nord, Monsieur Vanneste. Nous essayons de communautariser le Traité de Prüm, qui a été conclu entre quelques États membres seulement. Je me renseignerai sur les suites données à la réunion de novembre 2008.

Concernant les pays d’origine sûrs, nous sommes en train de modifier notre approche. La création d’un bureau d’appui a précisément pour objet d’abandonner ces distinguos, variables d’un État membre à l’autre. Les renseignements sur les pays d’origine ne doivent plus venir exclusivement des chancelleries et des diplomates, mais aussi des ONG, les organisations non gouvernementales, qui seront représentées dans le bureau d’appui. De même, pour les visas, nous voulons individualiser les dossiers et moins nous référer à la sécurité du pays concerné.

Les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, dans certains centres de rétention, sont déplorables. L’instauration de compensations financières est le seul moyen de faire bouger les choses. Dans ce domaine, je dispose de 4 milliards d’euros de crédits, qui sont totalement utilisés : 1,5 milliard est destiné aux opérations de retour, le reste est affecté à l’intégration des immigrés et à l’accueil des réfugiés. Pour que l’Europe mène une vraie politique solidaire, le prochain budget devra être encore plus généreux.

Il n’est pas question que l’Europe externalise l’instruction des demandes d’asile. Cependant, à l’heure actuelle, un Somalien ou un Érythréen ne peut formuler sa demande d’asile que lorsqu’il parvient jusqu’aux cotes nord de la Méditerranée. Pour assécher les flux d’immigrants irréguliers, il faut que je parvienne, avec le Haut commissariat pour les réfugiés, à créer au sud de la Méditerranée des points d’accueil des demandeurs d’asile.

Si la Grande-Bretagne entrait dans Schengen, M. Delebarre, la situation serait plus simple, mais la probabilité en est faible. J’ai réclamé qu’un centre d’accueil soit ouvert à Calais pour les demandeurs d’asile, qui y sont peu nombreux et doivent être protégés. J’ai aussi essayé de convaincre le Royaume-Uni de partager l’effort d’accueil mais c’est très difficile. Si l’Europe n’apporte pas une réponse solidaire, elle ne s’en sortira pas.

En droit pénal, il faudrait que nous nous mettions d’accord, par exemple, sur les définitions des faits criminels les plus graves.

J’exerce notamment mon magistère en Roumanie et en Bulgarie, où mes visites ne sont guère prisées. Elles sont encore plus redoutées en Croatie et dans les autres pays candidats, auxquels je dis qu’ils ne pourront entrer dans l’Union européenne tant qu’elle n’y verra pas clair dans leur système judiciaire. Une magistrature morale doit s’exercer : je suis peut-être le commissaire le plus honni des gouvernements, mais aussi le plus apprécié des populations, qui ont une attente de justice très forte.

Je ne peux répondre à la question sur mon avenir. J’aime beaucoup travailler en Europe, mais vous n’avez pas le pouvoir de nommer les commissaires !

Les avocats français ont lancé l’idée d’un acte sous seing juridique. Je leur conseille de ne pas toucher à ce qui fait l’une des forces du droit continental : l’acte authentique. Quant aux notaires, ils ne doivent pas revendiquer l’obligation de recourir à un acte authentique pour tout et rien. Il faut certes que ces professions évoluent, mais nous devons maintenir la subsidiarité, laisser aux États membres un droit de regard sur leurs systèmes judiciaires et l’organisation de leurs services juridiques ; l’Europe ne doit pas avoir la prétention de vouloir faire marcher au pas toutes les professions juridiques. Cela étant, il faut amener les professionnels à se former un peu plus entre Européens. C’est pourquoi nous tenons à la mise en place d’un Erasmus de la magistrature et de modules de formation auxquels pourront participer des magistrats, des notaires et des avocats.

Je dois m’assurer que tous les migrants, en situation régulière ou non, sont soignés. J’ai dû taper du poing sur la table pour retenir le gouvernement italien, qui voulait mettre en cause la liberté du médecin de ne pas dénoncer ses patients. La directive retour, adoptée avant mon entrée en fonctions, a été un peu diabolisée par les ONG, mais elle me permet d’aller observer ce qui se passe dans les camps de rétention, ce que je m’efforce de faire lors de mes déplacements. Cette directive autorise une durée de rétention de dix-huit mois ; lorsque les parlementaires français la transposeront, je les invite à ne pas utiliser cette possibilité pour allonger la durée en vigueur. Dans l’avenir, nous serons très durement confrontés aux problèmes humains liés aux migrations, que mettent en évidence (fût-ce avec des biais un peu idéologiques) des films terribles comme Welcome ou Le silence de Lorna. La concertation avec les États d’origine est indispensable, mais il est très dur de signer des accords de réadmission car les fonds versés par l’Union européenne ne compenseront jamais les sommes virées par les migrants : nous donnons 30 milliards aux pays africains alors que les immigrés africains versent 80 milliards.

M. Gérard Voisin. La Commission chargée des affaires européennes joue maintenant un rôle déterminant et ses auditions font apparaître de multiples injustices. Ainsi, la directive relative aux amendes transfrontalières est bloquée alors que 3 millions d’amendes pour excès de vitesse incombant à des conducteurs étrangers restent impayées. Cela représente un manque à gagner de 190 millions d’euros, mais surtout une impunité qui génère de l’insécurité routière et un sentiment d’injustice.

M. Jacques Barrot. Je vérifierai mais je crois que la décision de principe concernant les amendes transfrontalières a été prise par le conseil des ministres des transports. Avant d’adopter la directive, il faut encore que les plaques d’immatriculation puissent être lues dans tous les États membres. Il faudra s’assurer qu’un Allemand puisse être soumis à une sanction pénale – ce qui pose en Allemagne, il est vrai, un problème constitutionnel – mais, pour les sanctions purement administratives et les amendes, cela ne pose aucun problème. Chaque année, en Europe, il y a 40 000 morts sur les routes. C’est pourquoi je me bats sur ce sujet, y compris dans la Commission.

M. Jérôme Lambert. Pourquoi les immigrés bloqués à Calais ne demandent-ils pas l’asile en France ? Ceux qui seraient régularisés en France ne pourraient-ils pas aller ensuite en Grande-Bretagne ?

M. Jacques Barrot. Je souhaiterais obtenir de la Grande-Bretagne que des réfugiés reconnus comme demandeurs d’asile et acceptés comme réfugiés puissent la rejoindre, ce qui n’est pas le cas actuellement, ce pays ne faisant pas partie de l’espace Schengen. C’est un point clé pour partager le fardeau. J’ai notamment insisté auprès de la ministre de l’intérieur britannique, Mme Jackie Smith, pour qu’au moins un effort soit consenti en faveur des personnes ayant déjà de la famille en Grande-Bretagne. Maintenant qu’il existe à Calais un point d’accueil pour les demandeurs d’asile, j’espère que nous pourrons aboutir.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Je vous remercie pour votre grande disponibilité. Vous n’avez éludé aucune question et vous nous avez fait part des perspectives ouvertes par le programme de Stockholm. Grâce au Traité de Lisbonne, les parlementaires nationaux mais aussi européens auront encore plus de droits et de devoirs vis-à-vis de l’Europe. Je ne peux donc qu’adhérer à votre appel à inciter nos concitoyens à voter le 7 juin.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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