Accueil > Travaux en commission > Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 9 décembre 2009

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Examen du rapport sur le projet d’avis de la commission des affaires européennes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (COM [2009] 154 final) (M. Sébastien Huyghe, rapporteur)

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 11 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission examine, sur le rapport de M. Sébastien Huyghe, le projet d’avis de la commission des affaires européennes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (COM [2009] 154 final).

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. Nous examinons aujourd’hui une proposition de règlement européen, que la Commission européenne a présentée le 14 octobre dernier, et qui vise à simplifier les successions internationales. Cette proposition de règlement a fait l’objet d’un projet d’avis de la commission des Affaires européennes, adoptée à la suite d’une communication de notre collègue Guy Geoffroy en date du 17 novembre dernier. Cet avis a été rendu avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, c’est pourquoi la procédure qui amène notre commission à examiner la présente proposition de règlement est une « procédure anticipée » de la procédure qui peut désormais être mise en œuvre pour des avis formulés après le 1er décembre.

Je détaille, dans mon rapport écrit, les étapes de la procédure que nous appliquons ainsi que la procédure applicable pour les avis émis depuis le 1er décembre 2009.

De même, je vous signale que la commission des Lois du Sénat a adopté une proposition de résolution européenne, le 2 décembre, sur le même thème.

Notre commission des Lois a, elle, choisi à la fois de se prononcer sur l’avis de la commission des affaires européennes et de procéder à la publication d’un rapport d’information sur cette proposition de règlement.

L’importance des successions transfrontalières au sein de l’Union européenne a été mise en lumière dans un rapport d’étude d’impact réalisé par l’Institut notarial allemand, à la demande de la direction générale de la Justice et des Affaires intérieures de la Commission européenne.

Cette proposition de règlement s’inscrit dans la démarche initiée par la Commission européenne le 1er mars 2005, dans un Livre vert intitulé : « successions et testaments ». Elle a ainsi ouvert une vaste consultation sur les questions soulevées par les successions internationales.

La proposition de règlement est une réforme ambitieuse, qui se fonde sur le constat que la diversité tant des règles de droit matériel, que des règles de compétence internationale ou de loi applicable, la multiplicité des autorités pouvant être saisies d’une succession internationale ainsi que le morcellement des successions qui peut résulter de ces règles divergentes, entravent la libre circulation des personnes dans l’Union européenne. Les personnes concernées sont donc aujourd’hui confrontées à des difficultés importantes pour faire valoir leurs droits dans le cadre d’une succession internationale. La présente proposition vise à permettre aux personnes résidant dans l’Union européenne d’organiser à l’avance leur succession et de garantir d’une manière efficace les droits des héritiers ou légataires, et des autres personnes liées au défunt ainsi que des créanciers de la succession.

Selon les données de la Commission européenne, chaque année environ 450 000 successions à l’échelle de l’Union européenne auraient un caractère international.

Le règlement proposé comprend trois mesures majeures.

La juridiction compétente et la loi applicable aux successions dans toute l’Union seraient, par défaut, celle de l’État de la résidence habituelle du défunt (article 4 de la proposition de règlement). L’ensemble des aspects de la succession relèverait d’une seule et unique loi.

Cependant, le testateur pourrait lui préférer expressément sa loi nationale pour organiser sa future succession (article 17 de la proposition de règlement).

Les décisions rendues par les juridictions compétentes seraient reconnues dans toute l’Union (c’est l’article 29 de la proposition de règlement) et un certificat successoral européen commun permettant d’alléguer de la qualité d’héritier dans l’ensemble du territoire européen serait créé (article 36 de la proposition de règlement).

L’appréciation que notre commission des Lois doit porter à ce texte se limite à en apprécier le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Comme notre collègue Guy Geoffroy l’a indiqué devant la commission des Affaires européennes le 17 novembre dernier, il convient de se concentrer sur ce seul contrôle, en réservant notre position sur le fond du texte à un moment plus favorable, lorsque les premières négociations auront permis d’apprécier les possibilités de compromis susceptibles de dégager une majorité commune.

Le contrôle du respect du principe de subsidiarité consiste à se demander si les objectifs poursuivis ne pourraient pas être atteints de manière suffisante par les États-membres. J’estime que le respect du principe de subsidiarité suppose la satisfaction de trois conditions cumulatives : les objectifs poursuivis doivent être légitimes et répondre à un réel besoin qui ne peut être satisfait par l’intervention des seuls États-membres ; l’action européenne doit être autorisée par les traités ; le champ global des actions projetées – et non leur détail, qui relève du principe de proportionnalité – ne doit pas conduire à traiter au niveau européen des problèmes qui pourraient être plus efficacement résolus au niveau national.

Si ces conditions sont réunies, non seulement l’action européenne est conforme au principe de subsidiarité, mais elle doit aussi mobiliser tous les instruments propres à encourager une action efficace.

Dans le domaine des successions transfrontalières, la légitimité d’une intervention de l’Union européenne ne semble pas contestable.

Par nature, le règlement des successions transfrontalières fait intervenir plusieurs États. Il se heurte aujourd’hui à de très lourds obstacles qui s’expliquent non seulement par la grande diversité des dispositions nationales mais aussi par l’absence d’instrument international sur les conflits de juridiction et de loi puisque la convention de La Haye du 1er août 1989, qui harmonise les règles de conflits de droit entre ses signataires, n’a été ratifiée que par les Pays-Bas.

Si la majorité des États européens retiennent la compétence du tribunal et l’application de la loi de résidence du défunt (notamment le Danemark ou les Pays-Bas), d’autres lui préfèrent la loi de sa nationalité (c’est le cas de l’Allemagne, de l’Italie, de la Grèce ou de la Suède). Par ailleurs, les États disposant du code civil dit « Napoléon » (France, Belgique et Luxembourg) soumettent tous les immeubles situés sur leur territoire, quels que soient la nationalité et le domicile de leur propriétaire, à leur loi successorale nationale, que les tribunaux de common law peuvent étendre à l’ensemble de la succession dès lors qu’un seul bien est situé sur le territoire du pays concerné.

Par ailleurs, cette intervention européenne est prévue par les traités, puisque l’article 65 du traité instituant les Communautés européennes prévoit explicitement que l’Union peut adopter des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles afin, d’une part, « d’améliorer et de simplifier la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires et extrajudiciaire » et, d’autre part, de « favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflits de lois et de compétence ».

L’intervention européenne est soumise à deux conditions, satisfaites dans la proposition qui nous est soumise : les matières traitées doivent avoir « une incidence transfrontière » et les mesures doivent être prises « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ».

La Commission européenne rappelle, dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement, qu’elle estime que le droit successoral, en raison de ses aspects patrimoniaux prépondérants, est distinct du droit de la famille. Cependant, pour que la proposition de règlement puisse être considérée comme autonome à l’égard du droit de la famille, elle ne doit pas conduire à altérer la protection des liens familiaux. En droit français, il convient de s’assurer que les mécanismes de réserve héréditaire sont suffisamment protégés.

Enfin, le champ d’intervention de la proposition de règlement respecte les limites fixées par le principe de subsidiarité. En effet, la proposition de règlement ne propose pas d’harmonisation du droit matériel des successions. Elle ne modifie en rien les règles relatives à la validité des donations, au régime des trusts successoraux, au régime fiscal ou au régime de propriété des successions. L’ensemble de ces règles demeure de la compétence exclusive des États-membres.

Les conditions de respect du principe de subsidiarité semblant réunies, il convient d’examiner si la proposition de règlement met en œuvre les instruments propres à encourager une action efficace de l’Union européenne en la matière.

J’observe que la proposition de règlement prévoit que la loi successorale retenue régira l’ensemble des opérations successorales, de son ouverture à sa liquidation – y compris donc les opérations de partage et de prise en compte des libéralités dans le calcul des parts héréditaires – afin d’en simplifier autant que possible le règlement. Elle s’imposera à toutes les « juridictions » des États-membres. Je rappelle que la notion de « juridiction » inclut notamment les officiers ministériels français que sont les notaires.

La proposition de règlement prévoit la reconnaissance mutuelle des actes authentiques qui jouent un rôle décisif dans le règlement des successions. Je tiens à souligner que cette reconnaissance des actes authentiques ne concernera que le seul règlement des successions à l’exclusion de toute autre matière.

La proposition de règlement prévoit la création d’un certificat successoral européen unique. Il sera émis par le tribunal ou l’officier ministériel compétant pour régler la succession. Ce certificat constituera, pour son bénéficiaire, la preuve de la qualité d’héritier.

Le contrôle du respect du principe de proportionnalité consiste à se demander si l’action européenne excède ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. La proposition de règlement tend à soumettre l’ensemble des biens de la succession à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt. De ce fait, elle n’est pas sans conséquence sur notre droit national.

En effet, l’unité successorale est inconnue du droit français. En effet, notre système, dit « scissionniste », opère une distinction entre les biens meubles, soumis à la loi du domicile au jour de son décès, et les immeubles, soumis à leur loi de situation, conformément à l’article 3 du code civil. Notre droit présente l’intérêt de faire coïncider la loi successorale et la loi réelle du bien.

Même si la logique de notre système de droit n’est pas contestable, il peut apparaître comme particulièrement complexe. En effet, il implique que, s’agissant de successions transfrontalières, plusieurs masses successorales soient soumises à des règles et des juridictions différentes.

Les avantages induits par l’application d’une seule et même loi à l’ensemble de la succession semblent dans ce contexte dépasser les inconvénients que nous impose le renoncement au régime « scissionniste », dès lors que deux conditions sont réunies : que le régime réel des biens relève exclusivement de leur loi de situation et que l’unité successorale ne conduise pas à priver d’effets les dispositifs de réserve héréditaire que notre régime « scissionniste » avait notamment pour effet de protéger.

La première condition est satisfaite par la proposition de règlement. Je relève que l’article 9 de la proposition de règlement précise notamment que les juridictions de l’État-membre de situation des biens demeurent compétentes pour prendre toutes mesures relevant du droit réel relatives à la transmission du bien, son enregistrement ou son transfert dans le registre de publicité.

La seconde condition n’est pas pleinement remplie par la proposition de règlement.

Le rattachement à la loi de la dernière résidence habituelle semble cohérent. En effet, la principale plus-value de la proposition de règlement consiste à définir un critère simple et objectif pour rattacher l’ensemble de la succession à une loi prévisible, celle de la résidence habituelle. C’est d’ailleurs cette même loi qui est aujourd’hui appliquée en France pour l’ensemble des biens meubles d’une succession transfrontalière.

Ensuite, l’introduction d’un choix alternatif limité à la seule loi de la nationalité apparaît justifiée. La proposition de règlement permet au testateur de choisir une autre loi applicable à sa succession afin de planifier plus aisément sa succession et de préserver les liens particuliers qui l’attachent à un autre État que celui dans lequel il réside.

Pour autant, il convient de se prémunir contre la tentation de certains testateurs d’optimiser l’utilisation des différents systèmes juridiques européens ; la proposition de règlement limite donc le choix du testateur à la seule loi de sa nationalité. C’est ce que fait l’article 5 de la proposition de règlement.

On peut déplorer que la protection des mécanismes de réserve héréditaire demeure insuffisante. Si la Commission européenne retient la possibilité pour le testateur de choisir que la loi de sa nationalité sera applicable à sa succession, il convient cependant que la proposition de règlement européen ne conduise pas la France – et l’essentiel des États-membres continentaux – à renoncer à l’application des mécanismes de réserve héréditaire qui constituent un élément fondamental de notre droit civil.

La proposition de règlement mettrait en échec deux dispositions du droit français. En premier lieu, le deuxième alinéa de l’article 3 du code civil dispose que « [l]es immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ». En second lieu, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction permet, en cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, que « ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales ». Ce droit de prélèvement ne semble, de toute évidence, pas compatible avec le régime proposé par la Commission européenne.

Si elle devait entrer en vigueur dans sa rédaction actuelle, la proposition de règlement aurait des conséquences difficilement acceptables. On pourrait en effet imaginer qu’un tribunal français soit contraint d’appliquer des mécanismes de réserve héréditaire moins favorables ou de ne pas appliquer du tout de tels mécanismes, pour régler la succession de défunts résidant dans un autre État mais dont la majorité du patrimoine, ainsi que la résidence ou la nationalité des héritiers seraient françaises.

De même, ce texte permettrait à des Français de contourner les obligations de la réserve héréditaire en fixant par exemple leur résidence habituelle en fin de vie dans un pays qui ne connaît pas de mécanisme protecteur équivalent.

Je juge donc nécessaire, comme d’ailleurs la commission des Affaires européennes de notre assemblée, que la Commission européenne examine des solutions alternatives.

J’estime essentiel que les modalités de la réserve héréditaire en vigueur dans le pays de résidence du défunt soient intégrées, lorsqu’elles sont plus favorables aux conjoints et aux enfants, à l’ordre public du for afin d’écarter l’application des dispositions moins favorables de la loi désignée par le testateur.

Une telle solution est écartée par l’article 27 de la proposition de règlement qui précise que « l’application d’une disposition de la loi désignée par le présent règlement ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public du for au seul motif que ses modalités concernant la réserve héréditaire sont différentes de celles en vigueur dans le for ».

J’observe également que la proposition de règlement pourrait utilement s’inspirer de l’article 23 de la convention de La Haye du 1er août 1989 qui permet aux États de préciser qu’ils ne reconnaîtront pas une désignation de professio juris lorsque la loi désignée prive « totalement ou dans une proportion très importante le conjoint ou l’enfant du défunt d’attributions de nature successorale ou familiale auxquelles ils auraient eu droit selon les règles de la loi de la résidence habituelle du défunt » et que ce conjoint ou cet enfant possède la nationalité ou réside habituellement dans l’État émettant cette réserve.

Afin d’empêcher les ressortissants d’un État-membre d’établir en fin de vie, dans le but de contourner les dispositions relatives à la réserve héréditaire, leur résidence habituelle dans un autre État-membre, il pourrait être également envisageable de permettre aux proches parents de saisir le tribunal de l’État de nationalité aux fins d’appliquer les modalités de réserve plus favorables de la loi de nationalité.

Afin de demeurer compatible avec l’objectif de prévisibilité des successions, cette solution audacieuse devrait cependant être étroitement encadrée. Le recours pourrait ainsi être réservé aux seuls héritiers jouissant de la nationalité du tribunal saisi et y résidant habituellement, ne porter que sur la succession d’un défunt ayant établi sa résidence habituelle dans un autre État depuis moins de cinq ans et n’être recevable que lorsque la loi successorale appliquée prive totalement ou dans une proportion très importante les héritiers de leur droit réservataire.

En tout état de cause, j’estime nécessaire que cette préoccupation soit intégrée à la proposition de règlement qui nous est soumise. C’est pourquoi je vous propose d’adopter le projet d’avis de la commission des Affaires européennes contestant la conformité de la proposition de règlement au principe de proportionnalité. Cet avis invite la Commission européenne à définir un mécanisme efficace de préservation des mécanismes de réserves successorales les plus favorables aux héritiers proches.

M. Jérôme Lambert. Je me félicite que nous soyons réunis ce matin pour examiner ce projet de règlement, tant sur le fond que, peut-être davantage encore, sur le principe.

Nous suivons en effet une procédure encore peu usitée, mais qui est appelée à prendre sa pleine mesure avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les parlements nationaux vont en effet intervenir désormais en amont de l’élaboration des textes européens, là où jusqu’ici leur rôle se bornait trop souvent à la transposition de directives qu’ils découvraient au moment du vote. Au sein de notre Assemblée, la Commission des Affaires européennes et les commissions permanentes seront désormais appelées à émettre un avis sur les textes européens plus en amont, étudiant le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Je me félicite de la mise en ouvre de cette nouvelle procédure, qui va faire des parlementaires nationaux de réels bâtisseurs de la législation européenne, là où jusqu’ici nous la subissions bien davantage.

S’agissant du présent projet de règlement, le rapporteur a raison de nous mettre en garde contre quelques-unes de ses dispositions. Je partage son avis et ses critiques. Les sujets évoqués peuvent paraître de prime abord complexes ; en matière de successions pourtant, tout le monde est concerné un jour ou l’autre…

Notre droit civil établit le principe, auquel il ne peut être dérogé, de « part réservataire » sur les successions ; or l’adoption du règlement qui nous est présenté pourrait favoriser la disparition de cette part réservataire s’agissant de nos compatriotes établis à l’étranger. Il y a, avec ce texte, un risque évident de dérapage, ce qui nous conduit à contester les dispositions en cause pour non-respect du principe de proportionnalité.

M. Étienne Blanc. Je voudrais faire trois observations.

Tout d’abord, je me réjouis moi aussi de l’application de cette nouvelle procédure qui, grâce au traité de Lisbonne, va permettre au travail parlementaire de s’exercer plus en amont de l’élaboration des textes européens.

En second lieu, s’agissant du fond, je note que la question de la réserve héréditaire est souvent à l’origine de conflits exacerbés dans les familles. Nous ne pouvons pas accepter qu’un texte européen permette de soustraire un héritier du bénéfice de la réserve héréditaire. Je souhaiterais que notre rapporteur nous indique, s’il dispose de cette information, le nombre d’États européens qui ne connaissent pas le même principe que nous. Cela nous permettrait d’évaluer l’importance du risque que nous prendrions si le règlement était adopté en l’état. Nous savons que les pays de common law, Royaume-Uni en tête, ne connaissent pas ce principe, même s’il existe dans ces pays d’autres voies de recours possibles pour les héritiers spoliés.

Enfin, ma dernière question concerne l’exequatur : la mécanique nouvelle instaurée par le règlement maintient-elle le recours à une procédure d’exequatur destinée à vérifier le respect des règles par l’autre État ?

M. Émile Blessig. Je m’associe aux observations qui viennent d’être faites. Je souhaiterais par ailleurs savoir comment notre avis s’articulera avec ceux émis par les autres parlements nationaux : on sait qu’avec le traité de Lisbonne, il faut que le tiers des parlements nationaux se soient prononcés contre un texte pour que la commission le réexamine. Le rapporteur a-t-il des éléments d’information sur les possibles réactions de nos collègues européens ? Que se passera-t-il si nous sommes les seuls à contester certains points du règlement ?

M. le rapporteur. Je me félicite que M. Lambert souligne l’intérêt pour notre commission de se saisir des enjeux européens et qu’il partage le point de vue que j’ai exprimé sur cette proposition de règlement.

Globalement, les pays de common law ne connaissent pas le système de la réserve héréditaire tandis que ceux de droit continental en disposent, même si les dispositifs sont très différents selon les pays concernés.

Sur la question de l’exequatur, l’article 29 de la proposition de règlement est très claire puisqu’il précise que les décisions rendues en application du règlement sont reconnues dans les autres États membres, « sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ».

Comme je l’ai indiqué, notre commission examine la proposition de règlement selon une « procédure anticipée » car l’avis a été rendu par la commission des Affaires européennes avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Une éventuelle opposition d’un tiers des parlements nationaux n’aura donc pas pour effet de contraindre la Commission à réexaminer sa proposition. Je note cependant que la commission des Affaires européennes s’est rapprochée de son homologue du Bundestag allemand sur ce sujet.

La Commission adopte le projet d’avis sans modification et autorise le dépôt du rapport d’information, en vue de sa publication.

*

* *

M. Jean-Jacques Urvoas. Je souhaite revenir un instant sur un sujet qui a nous a occupés en séance la semaine dernière, à savoir l’attribution d’un marché en vue de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Je souhaite poser trois questions à M. le président Warsmann, en espérant obtenir des réponses.

Premièrement, lors des débats en séance de mercredi soir, vous avez confirmé
– après plusieurs interrogations de notre part – qu’un marché avait été attribué. Vous nous avez indiqué que, le 3 juin 2008, vous aviez demandé une autorisation pour lancer ce marché à ce qui était une préfiguration du comité d’évaluation et de contrôle, mais je souhaiterais savoir si une délibération de la commission des Lois vous avait mandaté pour lancer ce marché ou s’il s’agissait d’une initiative personnelle de votre part.

Deuxièmement, vous nous avez indiqué que le marché a été attribué le 29 janvier 2009. Je souhaiterais savoir à quelle date nous avons reçu le rapport de Lexis Nexis, qui a coûté 84 000 euros.

Troisièmement, je souhaite savoir s’il est dans vos intentions de rendre public ce rapport.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie de votre intervention, M. Urvoas. Cela me permettra de rectifier les propos inexacts que vous avez tenus lors de la dernière réunion du comité d’évaluation et de contrôle, où vous avez sous-entendu que j’aurais donné des informations fausses dans l’hémicycle. Le 30 janvier 2008, sur le rapport de M. le Président de l’Assemblée nationale, le Bureau a décidé de constituer, sous son autorité, un « comité d’évaluation et de contrôle chargé d’attribuer aux commissions et aux délégations des moyens nouveaux en crédits d’études ou sous forme de collaborations extérieures temporaires lorsque les missions d’évaluation et de contrôle dont elles prennent l’initiative requièrent de tels moyens ».

Présidé par le Président de l’Assemblée nationale, ce comité a été composé de M. Alain Néri, vice-président, membre du groupe SRC, de M. Rudy Salles, vice-président, membre du groupe Nouveau Centre, de M. Richard Mallié, Questeur, membre du groupe UMP, de Mme Claude Greff, membre du groupe UMP, et de MM. François de Rugy et Maxime Gremetz, membres du groupe GDR.

Le 3 juin 2008, j’ai saisi ce comité, en ma qualité de président de la commission des Lois, par une lettre du 3 juin 2008 adressée au président Accoyer, en vue de solliciter l’accord du comité d’évaluation et de contrôle en vue du lancement d’une mission d’expertise juridique dans le domaine du droit pénal.

Le 22 octobre 2008, le comité d’évaluation et de contrôle a accordé cette autorisation.

Le 4 novembre 2008, les trois Questeurs, MM. Richard Mallié et Philippe Briand, membres du groupe UMP, et Mme Marylise Lebranchu, membre du groupe SRC et ancien garde des Sceaux, ont autorisé l’engagement du marché.

Sous le contrôle des Questeurs, le 26 novembre 2008, une annonce était publiée au BOAMP, qui relève du Journal officiel. Il était indiqué que le marché avait pour objet de réaliser une « mission d’étude documentaire dans le domaine du droit pénal », en recensant « dans le domaine du droit pénal, les dispositions législatives incompatibles avec d’autres dispositions supérieures ou de même niveau et postérieures (dispositions constitutionnelles ou organiques, stipulations conventionnelles, dispositions de droit communautaire, dispositions législatives postérieures), considérées comme abrogées implicitement par les juridictions judiciaires ou administratives qui se sont prononcées à titre définitif, ou devenues sans objet ».

Le 6 janvier 2009, jour d’expiration du délai de remise des offres, il a été procédé à l’ouverture des offres.

Le 19 janvier 2009, le service des affaires juridiques transmettait au secrétariat général de la questure un rapport en vue de l’attribution du marché à l’entreprise Lexis Nexis Jurisclasseur, pour un montant demandé inférieur à l’estimation initialement faite.

Le 28 janvier 2009, les Questeurs, au vu ce rapport et sur proposition du secrétaire général de la Questure, décidaient d’attribuer le marché tendant à la réalisation d’une mission d’étude documentaire dans le domaine du droit pénal à l’entreprise Lexis Nexis Jurisclasseur pour un montant de 83 410 euros. Cette dépense a été imputée, en 2009, sur le compte « Etudes et expertises des commissions permanentes », doté en 2009 à hauteur de 900 000 euros.

La décision a été ensuite notifiée à l’entreprise Lexis Nexis Jurisclasseur, qui a réalisé son travail en collaboration avec les administrateurs de la commission des Lois, auxquels elle a remis au fur et à mesure de l’étude des fiches sur les dispositions recensées.

M. Jean-Jacques Urvoas. Je n’ai pas entendu les réponses aux questions que j’ai posées, que je vais donc reformuler. À la date du 3 juin 2008, vous avez écrit au Président de l’Assemblée nationale en vue d’obtenir une autorisation de ce qui était une préfiguration du comité d’évaluation et de contrôle. Je souhaiterais savoir s’il s’agissait d’une initiative personnelle, ou si cette initiative avait été prise à la suite d’un débat en commission des Lois, puisqu’une note des Questeurs indique que le marché est passé « à la demande de la commission des Lois ».

Deuxième question, à quelle date le cabinet Lexis Nexis a-t-il remis son travail, qui a donc coûté 83 410 euros ?

Troisième question, pouvons-nous avoir communication de ce document ?

M. Étienne Blanc. Les apostrophes de M. Urvoas soulèvent des problèmes de forme et des problèmes de fond. Sur la forme, toutes les questions posées peuvent être adressées à la Questure : Mme Marylise Lebranchu, en tant que Questeur, a donné un accord de principe. Si vous souhaitez connaître l’ensemble du déroulement du marché, vous pouvez obtenir tous ces renseignements auprès de la Questure.

Sur le fond, en tant que rapporteur de la commission des Lois sur la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, j’estime que la question qui se pose est celle de l’opportunité de recourir à un cabinet privé pour faire l’inventaire de toutes les incohérences de notre droit, notamment dans le domaine du droit pénal. Pour recenser ces incohérences, nous nous appuyons essentiellement sur les rapports de la Cour de cassation, qui ne sont pas complets. Les professeurs de droit, qui examinent les arrêts de Cour d’appel et de la Cour de cassation, peuvent être d’un précieux concours pour la simplification du droit. Certaines incohérences juridiques relevées dans des arrêts de Cour d’appel ne sont pas reprises dans le rapport annuel de la Cour de cassation. Je ne vois pas quel service administratif peut aujourd’hui analyser l’ensemble des arrêts de Cour d’appel pour relever les incohérences mises en évidence par ces décisions. Le recours à un cabinet d’experts me paraît donc ici justifié.

Enfin, en rapportant la proposition de loi de simplification, les fiches qui m’étaient présentées sur chaque article indiquaient l’origine de la mesure : Gouvernement, syndicats ou associations parfois, et Lexis Nexis dans certains cas. Mais au cours de ce travail, je ne m’étais pas interrogé sur l’identité précise du juriste ayant formulé la suggestion. Après examen de la composition de l’équipe de juristes de Lexis Nexis, il apparaît qu’elle n’était composée que de professeurs de droit. Il n’y a donc pas de craintes à avoir sur une immixtion du privé, compte tenu du statut de ces professeurs d’université.

M. Pascal Terrasse. Vous nous avez donné des informations, dont nous prenons acte. Nous vous avions posé la semaine dernière un certain nombre de questions. Mais nous sommes surpris d’avoir déjà obtenu ces informations par l’intermédiaire d’un grand quotidien national. Pourquoi, à l’occasion du débat de la semaine dernière, n’aviez-vous pas répondu à nos interrogations ? Surtout, pourrons-nous disposer de ce rapport ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Tout d’abord, j’indiquerai que, après avoir été interrogé une première fois, le mardi en séance de nuit, lors de l’examen de la proposition de loi de simplification, j’ai répondu très clairement que nous avions utilisé le concours d’experts et de juristes. J’ai ensuite demandé aux services de l’Assemblée nationale de réunir les documents, qui m’ont fourni toutes les informations pour le lendemain. J’ai communiqué ces différentes informations, la chronologie et le montant…

M. Jean-Jacques Urvoas. Pas le montant !

M. le président Jean-Luc Warsmann. J’ai donc lu ces informations. Je dois dire que j’ai été particulièrement interloqué par l’intervention de M. Urvoas, qui se trouvait à quelques mètres de Mme Marylise Lebranchu, à laquelle j’ai demandé de fournir à M. Urvoas les explications nécessaires, puisque la décision avait été prise par les Questeurs. J’ai été particulièrement étonné que la question reste posée après une suspension de séance que vous aviez demandée, alors que celle-ci aurait dû permettre aux membres du groupe SRC d’évoquer la question entre eux.

Deuxième point, il ne s’agissait pas d’une préfiguration du comité d’évaluation et de contrôle, mais bien d’un « comité d’évaluation et de contrôle » créé au sein du Bureau par une décision du 30 janvier 2008. J’ai saisi ce comité en ma qualité de président de la commission des Lois, conformément à mes compétences, personne au sein du comité d’évaluation et de contrôle ou parmi les Questeurs n’ayant remis en cause cette saisine. La lettre de saisine du comité, dont j’ai fait état, peut d’ailleurs être rendue publique si vous le souhaitez.

S’agissant du rapport de Lexis Nexis, après des réunions régulières avec les administrateurs, le rapport final a été remis le 30 juillet 2009. Quant à l’accès à ce document que vous demandez, bien que ce ne soit pas l’usage de donner accès aux documents de travail servant de base aux rapporteurs et aux administrateurs, je suis prêt à vous l’accorder si vous le souhaitez.

Dans cette affaire, j’ai respecté scrupuleusement toutes les dispositions en vigueur. Enfin, comme l’a souligné M. Étienne Blanc, lorsque nous avons commencé à examiner avec les services le travail à accomplir en matière de simplification dans le domaine du droit pénal, nous avons constaté que nous n’avions pas en interne les moyens de l’accomplir. C’est donc la raison qui a conduit à la démarche que j’ai menée.

En conclusion, il me semble que le principal fait objectif qui déclenche cette polémique est que je suis candidat aux prochaines élections régionales.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

—  Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteur sur la proposition de loi de M. Jean-François Copé et Mme Marie-Jo Zimmermann relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle (n° 2140).

—  M.  Dominique Perben, rapporteur sur le projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux (sous réserve de son adoption par le Sénat).

La séance est levée à 11 heures 45.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Manuel Aeschlimann, M. Abdoulatifou Aly, Mme Delphine Batho, M. François Bayrou, M. Jacques Alain Bénisti, M. Étienne Blanc, M. Émile Blessig, M. Serge Blisko, M. Claude Bodin, M. Marcel Bonnot, M. Patrick Braouezec, M. François Calvet, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. François Deluga, M. Bernard Derosier, M. Olivier Dussopt, M. Jean-Paul Garraud, M. Guy Geoffroy, M. Charles-Ange Ginesy, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Bruno Le Roux, M. Noël Mamère, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Yves Nicolin, Mme George Pau-Langevin, Mme Sylvia Pinel, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Pierre Schosteck, M. Georges Siffredi, M. Éric Straumann, M. Pascal Terrasse, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. André Vallini, M. Manuel Valls, M. Christian Vanneste, M. François Vannson, M. Michel Vaxès, M. Patrice Verchère, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Gilles Bourdouleix, M. René Dosière, Mme Aurélie Filippetti, M. Michel Hunault, M. Bernard Roman