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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 24 février 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 46

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Charasse dont la nomination au Conseil constitutionnel est envisagée par M. le Président de la République

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Barrot dont la nomination au Conseil constitutionnel est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale

– Création d’une mission d’information sur la protection des droits de l’individu face à la révolution numérique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, à l’occasion de la remise de son rapport annuel 

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède d’abord à l’audition de M. Michel Charasse, dont la nomination au Conseil constitutionnel est envisagée par M. le Président de la République.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous sommes réunis aujourd’hui pour procéder à l’audition de M. Michel Charasse, dont la nomination au Conseil constitutionnel est envisagée par le Président de la République, comme le Président Accoyer en a été informé par un courrier du secrétaire général du Gouvernement daté du 24 février 2010 qu’il m’a immédiatement transmis :

« Monsieur le président,

« Le mandat de M. Olivier Dutheillet de Lamothe en qualité de membre du Conseil constitutionnel prendra fin le 12 mars 2010. Conformément aux dispositions de l’article 56 de la Constitution, le Président de la République envisage de nommer M. Michel Charasse à cette fonction. Sans attendre l’adoption de la loi nécessaire à l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 13 auxquelles renvoie l’article 56 de la Constitution, le Président de la République souhaite mettre dès à présent la commission intéressée de l’Assemblée nationale en mesure, si elle le souhaite, d’auditionner M. Michel Charasse.

« J’adresse ce jour à M. le président du Sénat un courrier tendant aux mêmes fins. »

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a encadré le pouvoir de nomination du Président de la République en prévoyant, au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, une procédure d’avis public des commissions parlementaires compétentes. En vertu de l’article 56 de la Constitution, cette procédure est également applicable à la nomination des membres du Conseil constitutionnel.

Comme vous le savez, l’absence d’adoption définitive, à ce jour, de la loi relative à l’application de l’article 13 de la Constitution empêche notre commission d’émettre formellement un avis. C’est pourquoi la présente audition ne donnera pas lieu à un vote.

Cela ne nous empêche néanmoins pas de procéder à une audition préfigurant, au moins en partie, le dispositif qui verra le jour avec l’adoption de la future loi.

Cette démarche a déjà été suivie par de nombreuses commissions de notre Assemblée, qui ont entendu diverses personnalités dont la nomination était envisagée par le Président de la République.

J’ai souhaité que notre commission procède à une audition publique, dans l’esprit du nouvel article 13 de la Constitution. C’est donc avec beaucoup d’attention que nous allons vous écouter, monsieur Charasse, avant que certains collègues ne vous posent peut-être des questions.

Je rappelle au préalable, s’il est besoin de le faire, que vous êtes sénateur, conseiller général du Puy-de-Dôme et maire de Puy-Guillaume. Vous avez été vice-président du conseil général du Puy-de-Dôme et conseiller régional d’Auvergne et, comme chacun le sait également, ministre de la République.

M. Michel Charasse. Vous avez indiqué, monsieur le président, les conditions dans lesquelles je suis entendu ce matin par votre commission : nous allons ensemble « essuyer les plâtres », du moins en ce qui concerne le Conseil constitutionnel, puisque c’est la première fois que cette procédure est mise en œuvre – et la seule fois, dans la mesure où il y aura à l’avenir un vote.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Sans possibilité de délégation de vote, et j’y insiste !

M. Michel Charasse. Ce sont là vos affaires avec le Sénat ! Je crois savoir que c’est une petite discussion à ce sujet qui fait que la loi organique n’est pas encore votée.

Je ne sais pas exactement ce que votre commission attend de ces auditions. Je n’ai pas l’intention de vous réciter la Constitution par cœur, d’autant que je ne suis pas sûr de pouvoir le faire après sa dernière modification.

Je suis né en 1941. J’aurai soixante-neuf ans en juillet prochain. Je suis issu d’un milieu de petits salariés. Mon père travaillait à l’imprimerie de la Banque de France – établissement qui avait été transféré au lendemain de la Première Guerre mondiale à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, dans la crainte d’une nouvelle invasion allemande. J’ai fait mes études à Clermont-Ferrand, puis à Paris, à l’université et à l’Institut de sciences politiques. Je suis ensuite entré dans l’administration du ministère des finances, avant d’être happé par la politique : j’ai été pendant dix-huit ans secrétaire du groupe socialiste – et, pour un temps, du groupe de la Fédération de la gauche – à l’Assemblée nationale.

En 1981, au lendemain ou au surlendemain de son élection, le président Mitterrand m’a demandé d’être de la première fournée de ses collaborateurs à l’Élysée – M. Daniel Vaillant, ici présent, s’en souvient certainement. J’y suis resté quatorze ans. J’avais en charge, auprès du Président, tout le fonctionnement de l’État, la plupart des nominations importantes, le fonctionnement institutionnel.

Au milieu de cette période, j’ai été appelé à siéger au Gouvernement pendant quatre ans et demi. J’ai volontairement quitté mes fonctions en 1992 pour retourner au Sénat, où j’avais été élu en 1981, à l’occasion d’une élection partielle au siège de Roger Quilliot, nommé ministre du logement. Depuis, j’ai été réélu sénateur du Puy-de-Dôme à chaque consultation.

J’ai été vice-président du conseil général et du conseil régional, à l’heureuse époque où tous les cumuls étaient autorisés. Je suis maire et président de l’assemblée des maires de mon département. J’ai été trésorier de l’Association des maires de France jusqu’à l’année dernière. Enfin, je suis vice-président de l’Institut François-Mitterrand, fondation que le Président avait créée juste avant son décès.

Je n’ai pas été candidat à la fonction pour laquelle vous avez demandé de m’entendre ce matin : on n’est pas candidat à ce genre de fonction. Lorsque l’on me l’avait proposé, il y a plusieurs années déjà, je m’étais déclaré intéressé, mais je n’ai pas particulièrement manifesté mon intention d’être candidat.

J’ajoute que le projet de ma nomination n’est la contrepartie de rien : personne ne m’a demandé de lien d’allégeance ou de jurer sur les saintes tables ou les saintes écritures de l’Élysée !

M. Jean-Jacques Urvoas. Au nom du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC), je souhaite formuler quelques remarques de forme à propos des conditions dans lesquelles cette audition, dont nous approuvons bien sûr le principe, est organisée.

Nous avions dénoncé ces procédures de nomination, considérant qu’il ne s’agissait que d’un leurre. Notre préférence allait à une approbation votée à la majorité des trois cinquièmes, qui aurait eu le mérite de faire prévaloir l’intérêt général sur les clivages partisans – et telle est bien la mission du Conseil constitutionnel. Mais là n’est pas l’objet de mon intervention.

Nous n’avons appris ces projets de nominations qu’hier après-midi par une dépêche de l’Agence France presse (AFP) et nous sommes convoqués ce matin à neuf heures trente pour entendre et, éventuellement, interroger les personnes pressenties. À l’occasion de la réforme du règlement de l’Assemblée, vous avez soutenu, monsieur le président, que l’intérêt de ces auditions n’était pas tant le vote que la forme qu’elles prendraient, leur caractère public et la qualité des réponses apportées. De ce point de vue, les conditions de notre réunion d’aujourd’hui ne sont pas satisfaisantes : nous avons disposé de neuf heures pour préparer l’audition de personnalités qui siégeront au Conseil constitutionnel pendant neuf ans et qui seront amenées à juger, et parfois à censurer, le travail du législateur. Le respect que nous portons au Conseil exige une préparation plus sérieuse.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, notre réunion est la préfiguration de ce que seront les auditions lorsque la loi ordinaire et la loi organique s’appliqueront. Je voudrais donc m’appuyer sur le droit comparé et évoquer l’exemple du Parlement européen et celui du Sénat américain.

Le Parlement européen, initialement de sa propre initiative – avant que cette pratique ne soit formalisée par un traité en 1997 –, auditionne les nouveaux commissaires européens selon une procédure très précise dont nous pourrions nous inspirer dès aujourd’hui : le commissaire répond immédiatement après l’intervention de chaque député, la question suivante ne pouvant être posée que si l’on estime avoir obtenu une réponse à la précédente – le fait de répondre globalement à cinq ou six questions posées d’affilée n’est pas propice à un débat au fond. En outre, les dernières auditions ont duré trois heures chacune : un quart d’heure de propositions liminaires et deux heures quarante-cinq de débats. Sans aller jusqu’à cette durée, nous devrions prendre le temps d’examiner les questions de fond.

Avant même d’être auditionnée par le Sénat américain en juillet 2009, Mme Sonia Sotomayor, le dernier juge nommé à la Cour suprême, a dû répondre à un questionnaire de 174 pages portant sur son expérience de juriste, sur les responsabilités qu’elle avait exercées, sur ses prises de position et ses convictions. Je ne propose pas l’élaboration de questionnaires aussi volumineux, mais il serait bon que nous puissions adresser d’avance aux impétrants les questions que nous souhaitons leur poser. J’ajoute que Mme Sotomayor a été auditionnée pendant quatre jours.

Parfois, la forme vaut le fond. C’est pourquoi il nous faut être très attentifs à la forme si nous voulons que le fond soit intéressant.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Sachant que l’Assemblée suspendrait ses travaux à la fin de cette semaine, j’avais pris des contacts informels dès le mois de janvier dernier. La réunion consacrée à ces auditions figure à l’ordre du jour prévisionnel de notre Commission depuis quinze jours. Personne ne pouvait donc l’ignorer.

Cela dit, je suis d’accord avec vous : les noms des personnalités pressenties devraient nous être communiqués bien avant. Lors de la discussion de la réforme de notre règlement, j’ai d’ailleurs fait adopter un amendement permettant de désigner un rapporteur à cette occasion. Avec de tels délais, notre travail devient difficile. Mais nous pouvons tous convenir que ces premières auditions ne respectent pas entièrement la procédure.

Lorsque la loi sera adoptée, je souhaite que nous l’appliquions dans son intégralité, ce qui suppose que nous disposions du temps nécessaire pour préparer les auditions et désigner un rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas. J’en viens maintenant au fond.

Que pensez-vous que, monsieur Charasse, de l’usage de la technique contentieuse de « conformité sous réserve d’interprétation » du Conseil ? Il me semble que le Conseil constitutionnel a tendance depuis quelques années à multiplier les réserves – parfois même, d’après ce que l’on m’a dit, sur la suggestion du secrétariat général du Gouvernement. Cette façon de procéder s’apparente à un coup de force politique car le Conseil se substitue ainsi au législateur. Quel sentiment cette dérive vous inspire-t-elle ?

Ma deuxième question portera sur la façon dont le Conseil constitutionnel argumente ses décisions. Comparées à celles d’autres cours constitutionnelles – mais il est vrai qu’il n’en est pas encore une, point sur lequel nous reviendrons –, elles sont bien plus courtes et apparaissent parfois comme des suites d’assertions prononcées d’autorité, sans arguments ni démonstration. Leur caractère quelque peu sibyllin les rend, selon moi, juridiquement dangereuses.

On peut ainsi mettre en regard la décision du Conseil constitutionnel du 19 décembre 2004 relative au traité établissant une Constitution pour l’Europe et celle qu’a rendue le Tribunal constitutionnel espagnol sur le même sujet le 2 décembre 2004. Alors que la première est très elliptique, la seconde développe un raisonnement juridique extrêmement charpenté. Sur un sujet très proche, on peut dresser le même constat en comparant la décision du Conseil du 20 décembre 2007 et celle du Tribunal constitutionnel fédéral allemand du 30 juin 2009.

À mon sens, les décisions du Conseil constitutionnel sont fondamentalement politiques. C’est précisément pour cette raison que leur contenu doit être irréprochable du point de vue technique et aussi argumenté que possible du point de vue juridique.

Qu’en pensez-vous ?

Ma troisième question aura trait aux opinions séparées. Depuis 1958, les décisions du Conseil sont artificiellement présentées comme ayant été adoptées à l’unanimité. Pour ma part, j’ai toujours préconisé, notamment par voie d’amendement, que l’on rende publics les désaccords qui traversent le Conseil et qui s’expriment aujourd’hui de façon parallèle. On renforcerait ainsi le sérieux de l’argumentation développée par les membres, on affirmerait la transparence dans la prise de décision et on permettrait au public et aux observateurs de suivre le cheminement par lequel le Conseil a adopté telle ou telle position. Le système des opinions séparées est en vigueur dans la plupart des cours constitutionnelles. Ces opinions sont portées en annexe des décisions et chacun s’en félicite. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs rendu visite au Tribunal constitutionnel espagnol il y a quelques mois afin de mesurer l’intérêt de ce dispositif. Quelle est votre propre opinion à cet égard ?

M. Manuel Valls. Je fais miennes les remarques de Jean-Jacques Urvoas : ces auditions préfigurant la procédure que nous suivrons à l’avenir, nous devons nous montrer exemplaires dans la méthode et dans le questionnement.

Monsieur Charasse, quelle est votre conception du Conseil constitutionnel ? Considérez-vous qu’il s’agisse d’une institution politique, ainsi que beaucoup le pensent ? En dépit de votre grande connaissance des institutions, du droit et du Parlement – et bien que je ne doute pas de la totale indépendance dont vous ferez preuve durant les neuf années de votre mandat –, votre nomination est présentée comme une nomination à caractère politique, de même que celle de vos collègues. Le débat est ouvert : s’agit-il d’une institution à caractère politique ou d’une juridiction ? Dans le livre qu’il a récemment consacré à son expérience, M. Pierre Joxe évoque la question des opinions séparées et fait état de ses doutes quant au caractère juridictionnel du Conseil. M. Robert Badinter évoque pour sa part le « devoir d’ingratitude ».

À titre personnel, oserez-vous censurer un projet de loi soutenu par l’autorité qui vous a nommé ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur les rapports entre le Conseil constitutionnel et les traités ? Vos convictions européennes sont connues, votre sentiment sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, rejeté par les Français en 2005, l’est aussi. Or on peut s’attendre à d’importantes évolutions. Dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité, les citoyens invoqueront plus souvent les traités que notre Constitution. Cela changera la nature du travail du Conseil.

M. Christian Vanneste. Ma première question sera d’ordre philosophique ; pour vous, la volonté populaire est-elle la seule source de légitimité de la loi ou en existe-t-il une autre – je pense à la place grandissante que le préambule de la Constitution a prise dans les décisions du Conseil constitutionnel ?

Ma deuxième question sera d’ordre pratique. Vous êtes à la fois un défenseur de la laïcité et un acteur de la vie parlementaire. Puisque, désormais, à l’occasion de procès, certains recours individuels remonteront jusqu’au Conseil constitutionnel, certaines lois seront probablement remises en cause au nom de du communautarisme. Quelle sera alors votre position ?

M. Michel Charasse. M. Urvoas me demande en premier lieu ce que je pense de la mention « sous réserve d’interprétation » – et, depuis deux ou trois ans, « sous réserve de stricte interprétation » – qui apparaît de plus en plus fréquemment dans les décisions du Conseil.

Il doit être bien clair que je ne prends devant vous aucun engagement et que je ne fais aucune promesse, monsieur le président : ce serait une atteinte à l’indépendance du Conseil. Je donne seulement mon sentiment, c’est-à-dire la manière dont je serai amené à apprécier les choses si l’avis de votre Commission – même s’il n’est pas formalisé par un vote – ne se révèle pas, à l’issue de cette audition, négatif au point qu’il me conduirait à indiquer au Président de la République que je préfère renoncer.

Je n’aime pas beaucoup cette formule de « réserve », de même que je n’ai jamais beaucoup apprécié l’« erreur manifeste d’appréciation » inventée jadis par le Conseil d’État et invoquée parfois par le Conseil constitutionnel, car c’est la porte ouverte à beaucoup de choses. À la limite, la réserve d’interprétation peut se justifier si une certaine lecture n’est manifestement pas contraire à la Constitution alors qu’une autre lecture du même texte pourrait l’être. Mais, tel que je le constate parfois, le recours à cette notion m’a toujours paru exagéré et difficile à comprendre pour le lecteur.

J’entends bien votre remarque au sujet de l’argumentation des décisions, monsieur Urvoas. Je pense néanmoins que le Conseil est condamné à ces rédactions parfois très ramassées ou très sibyllines qui font qu’il existe autant d’interprétations que de professeurs de droit écrivant sur le sujet. Si l’on consulte le recueil récemment publié des Grandes délibérations du Conseil constitutionnel (1958 – 1983), on s’aperçoit que, souvent, la façon dont a été prise une décision très commentée à l’époque n’est pas du tout celle que l’on croyait. La principale raison de la différence que vous pointez avec les décisions espagnoles ou allemandes, c’est que, de par la Constitution, le Conseil ne dispose que d’un délai extrêmement court. Il est heureux, à cet égard, que le Gouvernement n’ait jamais eu recours, depuis 1958, à la procédure d’urgence qui lui permet de ramener le délai d’un mois à huit jours. Dans certains cas – par exemple lorsqu’il est saisi d’une loi de finances –, le Conseil s’astreint à statuer très rapidement. Autant que je me souvienne, le seul recours pour lequel le Gouvernement a failli utiliser la procédure d’urgence avait été déposé par l’opposition de gauche et concernait une loi modifiant les quotes-parts de la France et des autres pays au Fonds monétaire international.

Sans être la seule cause du caractère sibyllin des décisions, la brièveté du délai imposé par la Constitution explique beaucoup de choses.

Je ne partage pas votre opinion lorsque vous affirmez que les décisions du Conseil sont fondamentalement politiques. Ce serait une erreur de penser que l’on puisse déférer une loi au Conseil constitutionnel pour obtenir de sa part une troisième ou une quatrième lecture parlementaire. Conformément à l’idée qui a présidé à sa création et comme il le rappelle lui-même – même si ce n’est pas toujours évident –, le Conseil ne peut avoir le même pouvoir d’appréciation que le Parlement.

Dans son ouvrage, Pierre Joxe insiste beaucoup sur les opinions séparées. Pierre Joxe est un ami de longue date. Nous avons servi la République de la même manière, nous avons servi le même président, nous avons siégé dans les mêmes gouvernements. J’ai suivi de près son action au Conseil constitutionnel, pour autant que le respect du secret professionnel le permette. Je note toutefois que, lorsqu’il présidait la Cour des comptes, il n’a jamais proposé la formulation d’opinions séparées. Or cela pourrait être intéressant, notamment lorsqu’il s’agit de renvoyer devant la Cour de discipline budgétaire et financière des personnes ayant travaillé en liaison étroite avec certains membres du Gouvernement.

J’ai cru comprendre, monsieur Urvoas, que vous étiez plutôt favorable aux opinions séparées. On peut considérer que la décision du président Jean-Louis Debré de publier les délibérations après un délai de vingt-cinq ans entrebâille la porte. Pour ma part, je ne trouverais pas choquant que l’on indique à quelle majorité le Conseil a adopté telle ou telle décision. Faut-il indiquer les noms ? Je n’en sais rien. Même si les décisions ne sont pas politiques, les problèmes soumis au Conseil sont fréquemment, quant à eux, très politiques. Faut-il jeter l’opprobre ou soulever des polémiques sur les prises de position prises par un membre ou par un autre ?

Si une modification de la loi organique autorise un jour les opinions dissidentes, il faudra bien s’incliner. Mais je ne vois pas pourquoi on le ferait pour le Conseil constitutionnel et pas pour le Conseil d’État ou la Cour de cassation, où ces informations seraient souvent très intéressantes. Je serais très heureux de lire les opinions dissidentes à propos de l’arrêt Touvier, par exemple.

Bref, si l’on décide d’accepter les opinions dissidentes – étant entendu que celles-ci ne s’inscrivent pas dans la tradition du droit français –, cela doit concerner non seulement le Conseil constitutionnel, mais aussi toutes les autres grandes cours et institutions.

Monsieur Valls, je considère que le régime d’assemblée a porté un coup fatal à la France de la IIIe République, et plus encore à la celle de la IVe République. Le régime d’assemblée n’est pas le régime parlementaire : c’est le régime où les règles n’existent pas et où il n’y a personne pour les fixer. Le Comité constitutionnel de la IVe République a dû se réunir deux fois en tout et pour tout, et sur des questions de détail.

Qu’a voulu le général de Gaulle lorsque, avec Michel Debré et quelques autres, il a créé en 1958 le Conseil constitutionnel ? Discipliner les chambres. À l’origine du Conseil, il y a cette idée qu’il faut empêcher les chambres de retomber dans un régime d’assemblée et les obliger à respecter les règles. Le Conseil a réussi à obtenir cette discipline. Ses premières décisions, au demeurant très contestées, ont porté sur les règlements des chambres, notamment le premier règlement, dit « règlement Chaban-Delmas », de l’Assemblée nationale.

Une fois cette compétence reconnue, le Conseil constitutionnel a beaucoup évolué, étendant sa compétence au préambule de la Constitution et aux lois organiques.

Pour en revenir à votre question, le Conseil constitutionnel est pour moi l’instance qui fait respecter les règles constitutionnelles et qui maintient l’équilibre des pouvoirs.

Quant au « devoir d’ingratitude » dont parle Robert Badinter, je crois que ce n’est rien d’autre que l’indépendance. Je n’ai jamais accepté d’ordres de personne. Pendant les quatorze ans où je l’ai servi loyalement, le Président Mitterrand ne m’a jamais rien demandé de faire contre la dignité, contre l’honneur ou contre la République. Si cela avait été le cas, je serais parti. Je suis donc tout à fait libre.

Oser la censure ? Bien entendu, si un texte est mal fait ! Du reste, la question n’est pas d’« oser » : la Constitution, que vous avez le pouvoir de changer, confie une mission au Conseil et celui-ci se doit de la remplir. Peut-être faisiez-vous allusion à la décision relative à une mesure sur laquelle l’exécutif s’était beaucoup impliqué : la taxe carbone. Je serais bien incapable de vous dire ce que j’aurais décidé si j’avais été membre du Conseil, car j’ai consacré mon automne à la réforme de la taxe professionnelle et je connais mal le texte instituant la taxe carbone. Un dispositif consistant à prendre de l’argent aux gens pour le leur rendre ensuite me paraît cependant assez compliqué.

Si « oser », c’est faire son devoir, alors oui ! Il m’est bien arrivé de ne pas être d’accord avec certains ministres qui siégeaient dans des gouvernements que je soutenais !

Le Conseil a compétence pour déclarer les traités non conformes à la Constitution. Le seul pour lequel il l’a fait sans ménager aucune porte de sortie est la charte européenne des langues régionales ou minoritaires : c’est la seule décision qui n’indique pas que le traité pourrait être appliqué après révision de la Constitution.

Au sujet de l’Europe, ma position est simple, et M. Valls la connaît bien puisqu’il nous est arrivé de ferrailler sur les mêmes tréteaux lors de la campagne pour le référendum de 2005 et que nous n’étions pas forcément en phase avec la majorité de notre parti. Dans la Charte des droits, à laquelle le traité de Lisbonne ne change rien par rapport au traité repoussé, il est clairement indiqué que les traditions institutionnelles ou constitutionnelles des États doivent être respectées. La tradition constitutionnelle de notre pays, c’est la République et tout ce qui l’entoure. Il en résulte que tout acte législatif découlant des traités – par exemple la transposition d’une directive – peut se trouver censuré par le Conseil dans la mesure où il ne respecte pas ce principe énoncé par la Charte. En effet, si la République avait été en cause, le Conseil constitutionnel n’aurait jamais déclaré le traité conforme. Cela étant, il s’agit d’un texte très particulier puisqu’il est l’un des rares, dans le monde, à mettre en œuvre un ordre juridique qui s’impose aux États signataires.

Je suis un pur produit de l’école de la République, monsieur Vanneste. On m’y a appris qu’il n’y a pas de légitimité sans le suffrage universel, que le suffrage universel est la souveraineté nationale et que, par conséquent, la loi est l’émanation de la souveraineté nationale. Telle est ma conception de la loi.

M. Christian Vanneste. Y compris le préambule de la Constitution ?

M. Michel Charasse. Bien entendu, puisqu’il renvoie à la Déclaration de 1789. Je considère d’ailleurs que ce préambule vise non seulement les citoyens, mais également la société. Il faut savoir faire le partage entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, le second ne pouvant jamais remettre en cause le premier.

En matière de laïcité, la loi de 1905 fait partie du bloc de constitutionnalité. Elle est même comprise dans les premiers articles de la Constitution. La liberté religieuse est totale en France. Contrairement à ce que l’on croit, la loi de 1905 est une loi de liberté et non de répression : elle enjoint l’État d’assurer son devoir de garantie de la liberté religieuse dès lors que celle-ci ne remet pas en cause l’ordre public. Il ne s’agit nullement de faire la leçon aux individus parce qu’ils pratiquent – ou non – une religion, mais d’affirmer le droit d’exercer librement sa religion en France.

En tant que tel, le communautarisme est contraire à l’unité nationale telle qu’elle est définie dans les articles de la Constitution. Pour le reste, il est notoire que je ne suis pas croyant. Les religions me sont indifférentes, pour peu que leur pratique ne trouble pas l’ordre public.

M. Christian Vanneste. Cela étant, il est désormais plus facile de remettre en cause le vote du législateur. Le Conseil peut être amené à intervenir à la suite d’une initiative individuelle prise lors d’un procès.

M. Michel Charasse. Au sujet de cette nouvelle procédure, mon point de vue sera celui d’un membre parmi onze.

Les lois seront déférées après un filtrage très important et il ne pourra s’agir que de celles sur lesquelles le Conseil ne se sera pas déjà prononcé. Il n’y aura pas de différence avec le dispositif actuel tel qu’il est mis en œuvre avant promulgation, à ceci près qu’il faudra prendre en considération le fait que les textes en question ont été appliqués pendant des années. L’éventuelle déclaration de non-conformité devra être soigneusement calibrée afin d’éviter les conséquences désastreuses – instabilité juridique, perte de droits acquis, etc. – que subissent par exemple les collectivités locales lorsqu’un acte réglementaire est annulé après avoir été appliqué. L’exercice n’est pas aussi facile qu’il y paraît.

M. René Dosière. Les questions que j’ai à poser à M. Charasse n’ont pas pour objet de lui faire prendre des engagements, mais de connaître son point de vue sur différents sujets – c’est le principe même d’une audition. Il est vrai que, si cette audition avait été suivie d’un vote, son point de vue en aurait constitué un élément important.

Monsieur Charasse, les trois nominations qui nous sont proposées sont celles d’hommes politiques : elles conforteront donc leur place au sein du Conseil constitutionnel puisque leur nombre passera, si l’on tient compte des membres de droit, à six sur onze membres. Ce nombre ne renforcera-t-il pas encore le caractère politique du Conseil constitutionnel alors qu’on serait en droit d’en attendre des décisions juridiquement plus motivées ?

Que pensez-vous de l’absence de tout universitaire au sein du Conseil constitutionnel ? Je rappelle que la nomination de Georges Vedel au sein du Conseil a permis des avancées considérables. La nomination au sein du Conseil d’un universitaire ne serait-elle pas justifiée ?

Par ailleurs, que pensez-vous du fait que les anciens Présidents de la République siègent de droit au sein du Conseil constitutionnel ? Cette disposition, compte tenu de la réduction de la durée des mandats présidentiels et de l’allongement de la durée de la vie, risque à terme de rendre les anciens Présidents de la République majoritaires au sein du Conseil. Chacun sait que cette disposition a été prise pour permettre à René Coty…

M. Michel Charasse. Et à Vincent Auriol !

M. René Dosière …d’avoir une fin de vie digne, puisque les anciens Présidents de la République ne bénéficiaient que d’une simple retraite.

Vous êtes l’auteur sinon d’un statut, du moins d’un texte, que Laurent Fabius a signé, réglementant les avantages matériels dont bénéficient les anciens Présidents de la République. Est-il légitime qu’ils siègent au Conseil constitutionnel ? Ne serait-il pas préférable que la loi leur garantisse un statut correspondant à leurs anciennes fonctions ?

Chacun connaît votre conception rigide de la laïcité, au point que, même aux obsèques du Président François Mitterrand, vous n’avez pas pénétré à l’intérieur de l’église. Quelle est votre position sur la situation concordataire de l’Alsace-Moselle ? Conviendrait-il à vos yeux de la modifier ?

Enfin, puisque la République a, selon vous, besoin de règles, je tiens à appeler votre attention sur un fait qui m’a toujours choqué : vous avez pu être en même temps législateur et presque un membre de l’exécutif, puisque vous avez été à la fois sénateur et conseiller du Président de la République – vous n’êtes pas le seul dans ce cas-là. Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait d’être plus strict en matière de séparation des pouvoirs législatif et exécutif ?

Mme George Pau-Langevin. Parmi les principes que le Conseil constitutionnel est chargé de faire respecter figure la parité. Comment pensez-vous la faire mieux respecter ? Le sujet est d’autant plus préoccupant qu’au sein même du Conseil constitutionnel la place des femmes diminue à chaque renouvellement.

Par ailleurs, on accorde une valeur constitutionnelle de plus en plus importante au principe de dignité de la personne humaine. Comment pensez-vous le mettre en œuvre ?

M. Alain Vidalies. Des questions vous ont déjà été posées sur la nature politique du Conseil constitutionnel et, de fait, tous les commentaires actuels sur les futures nominations sont de nature politique.

Vous serez confronté à la nouvelle procédure de recours des citoyens devant le Conseil. Désormais, les citoyens – ce n’était pas le cas jusqu’à présent – auront la possibilité, en cas de décision négative du Conseil, de s’interroger sur son impartialité au regard de sa composition, compte tenu des droits que leur confère la Convention européenne des droits de l’homme. Ne pensez-vous pas que la conjonction de ce nouveau droit de recours, de la nature du Conseil telle que sa composition la fait apparaître, du processus de désignation et des commentaires qui l’accompagnent conduit à se poser la question de la composition du Conseil au regard des exigences de la Convention européenne des droits de l’homme ?

Mme Aurélie Filippetti. Considérez-vous le Conseil constitutionnel comme une troisième chambre qui a vocation à légiférer, ou comme un organe garantissant les droits fondamentaux ? Revenez-vous à la conception originelle qui était celle d’un canon braqué sur le Parlement, ou pensez-vous que son véritable rôle soit celui qu’il a joué au travers de sa décision de 1971 sur la liberté d’association ?

M. Michel Charasse. Monsieur Dosière, je ne suis pas responsable des nominations au sein du Conseil constitutionnel : si aucun universitaire n’est nommé, cela n’est pas de mon fait.

Cela étant, je ne crois pas qu’il soit souhaitable non plus que le Conseil constitutionnel soit composé à 80 % de membres du Conseil d’État. Serait-il utile alors d’avoir une seconde institution ? Il suffirait de les fusionner. De plus, il y a actuellement au sein du Conseil deux magistrats de l’ordre judiciaire, ce qui n’avait pas été le cas durant de très nombreuses années, de fait, depuis le départ de Jean Cabannes. Vous avez dit que les hommes politiques seront six sur onze membres : si l’on ne tient compte que des membres statutaires, ils ne seront que quatre sur neuf.

J’ai bien connu le doyen Vedel, qui avait été choisi en 1993 pour participer à une commission chargée de proposer quelques modifications d’ordre constitutionnel. Je n’aurais pas, comme lui, érigé en principe constitutionnel l’inamovibilité des professeurs de droit : c’était une mesure corporatiste.

C’est vrai, monsieur Dosière, que les constituants ont dû, en 1958, réserver un sort particulier aux présidents Auriol et Coty : c’est la raison pour laquelle ils les ont nommés membres de droit du Conseil constitutionnel. On peut, en effet, se demander si, compte tenu de l’évolution des choses, on ne risque pas, demain, d’avoir plus de deux membres de droit. Le Président Mitterrand était favorable à ce que les anciens Présidents de la République, s’ils ne devaient plus siéger de droit au Conseil constitutionnel, deviennent, comme en Italie, sénateurs à vie, afin qu’ils aient une fonction officielle. L’affaire a capoté au Sénat, en dépit de l’accord du rapporteur de l’époque, Étienne Dailly.

Je suis effectivement l’auteur de ce qu’on appelle le « statut » des anciens Présidents de la République, à la demande du président Mitterrand, qui souhaitait procurer à M. Giscard d’Estaing, qu’il avait battu mais qui était encore jeune et actif et qui ne souhaitait pas renoncer à la vie politique, les moyens de travailler. J’ai donc rédigé quelques règles relatives à l’intendance – billets d’avions ou de trains, secrétariat, nombre de collaborateurs. Ce n’est pas M. Fabius qui a signé la mesure. Le Président Mitterrand a confié au secrétariat général du Gouvernement le soin de mettre en œuvre le dispositif arrêté. Nous n’avons pas touché, en revanche, au traitement, dont le montant a été fixé par une loi d’avril 1955 et qui correspond à celui d’un conseiller d’État en service ordinaire au niveau hiérarchique le plus élevé. Rien n’interdira au législateur de revenir sur la question.

Le Président Mitterrand avait pris ces dispositions, en accord avec le Président Giscard d’Estaing, en se référant au dispositif régissant les anciens présidents des États-Unis, lesquels disposent de véritables moyens de travail organisés autour de leur « bibliothèque », qui regroupe notamment leurs archives. Le législateur a tous les pouvoirs pour remettre en cause le dispositif actuel sans que cela passe pour une mesquinerie.

Monsieur Dosière, je ne suis pas le partisan d’une laïcité rigide. Je ne suis ni petitement ni grandement laïque, je suis laïque, point. C’est la règle de la République française et ce qui fait son originalité ainsi que, j’ai la faiblesse de le penser dans les temps que nous vivons actuellement, sa solidité, notamment dans l’ensemble européen.

Il est vrai que la situation concordataire est choquante, mais elle ne concerne pas seulement l’Alsace-Moselle. Durant quatorze ans, à l’Élysée, je me suis occupé de la nomination d’évêques. Si le Gouvernement français ne participe plus à leur nomination, il n’en demeure pas moins une procédure de nihil obstat qui remonte jusqu’à l’Élysée après étude du dossier par le Quai d’Orsay. Le Président de la République peut donc s’opposer à la nomination d’un évêque. La procédure est également de type quasi concordataire en Guyane.

Le régime concordataire a été supprimé par la loi de 1905. À l’époque, l’Alsace-Moselle étant hors du territoire de la République, cette loi ne s’y appliqua pas. Lors de l’armistice de 1918 – Clemenceau adressa de la tribune de la Chambre des députés son salut à l’Alsace-Lorraine libérée –, les Alsaciens ont demandé à conserver le régime concordataire. Bien que Clemenceau fût au moins aussi laïque que moi et qu’il fût membre de sociétés de pensée auxquelles je n’appartiens pas moi-même, il a accédé à cette demande parce que la France sortait d’une guerre longue et douloureuse et qu’il ne voulait pas ajouter aux souffrances des Alsaciens et des Lorrains. Si l’on doit solder les situations résiduelles de la guerre de 1914-1918, je ne suis pas opposé à la suppression du régime concordataire, mais la décision appartient au législateur. Du reste, en cas d’un recours devant Conseil constitutionnel relatif à une loi concernant l’application du régime concordataire, j’ignore quelle décision rendrait le Conseil au regard du principe de laïcité.

M. René Dosière. Tel était le sens de ma question !

M. Michel Charasse. C’est au législateur, et non pas au Conseil constitutionnel, de remettre en cause le régime concordataire, que nous avons eu à mettre en œuvre en 1984, au moment du départ de l’évêque de Strasbourg, Mgr Elchinger. Cela a donné lieu à des palinodies du Vatican, parce que le pape Jean-Paul II n’acceptait pas que le Président de la République puisse nommer un évêque, ce qui m’a contraint à prévenir le nonce apostolique que, dans ce cas-là, l’État n’assumerait plus ses obligations financières en la matière, ce qui lui ferait faire des économies. Le nonce m’a alors assuré qu’il s’agissait d’un malentendu.

Le pape étant très sourcilleux sur le sujet, nous avons eu quelque temps plus tard un second incident, à propos de la nomination de l’évêque de Pointe-à-Pitre : le pape considérait qu’il ne s’agissait pas d’un territoire français et qu’en conséquence la procédure du nihil obstat ne s’appliquait pas. Le Président Mitterrand a alors donné les instructions nécessaires pour que l’évêque nommé ne débarquât pas, et il n’a pas débarqué : j’y ai veillé.

Depuis toujours, dans la tradition républicaine, la Présidence de la République n’est pas considérée comme une administration, mais comme la maison civile et militaire du Président. Du reste, un arrêt du Conseil d’État a été rendu à propos d’un collaborateur, jeune membre du Conseil d’État, du président Giscard d’Estaing – il n’avait pas quatre ans de service : il ne pouvait donc pas être affecté dans un cabinet ministériel. Le Conseil d’État a rappelé que la Présidence de la République n’étant pas une administration, ce jeune conseiller pouvait y être nommé. C’est ainsi que je suis resté à l’Élysée. Ma situation, compte tenu de cet arrêt du Conseil d’État, était moins fragile que celle de Robert Pontillon, sénateur nommé aux côtés du Premier ministre Pierre Mauroy, et a, du reste, permis de couvrir la sienne. J’ajoute que, pour ce qui me concerne, le Bureau du Sénat avait été saisi et que, pour les raisons que j’ai indiquées, aucune suite n’a été donnée.

Madame Pau-Langevin, dans la phase préparatoire aux nominations actuelles, j’ai plaidé pour la nomination d’une femme. Je pensais qu’il fallait nommer à la fois une personne de la même sensibilité que Pierre Joxe, et une femme pour remplacer celle qui partait. Les autorités constitutionnelles en ont jugé autrement. J’en prends acte.

Cela étant, j’ai sur la parité une position qui peut choquer mais qui est conforme à ma conception de la République, selon laquelle il ne convient pas de faire de différence entre les personnes. Si j’ai été le premier ministre du budget à nommer une femme directeur du budget – il s’agissait d’Isabelle Bouillot –, ce n’est pas parce qu’elle était une femme, mais parce qu’elle était la meilleure. Là encore, le législateur peut modifier les textes et exiger la parité dans les nominations au Conseil constitutionnel, mais ce n’est pas au Conseil de le faire.

Quant aux questions relatives à la dignité humaine, elles font partie du corpus juridique. Si le Conseil est appelé à se prononcer, il ne saurait écarter une décision le conduisant à exiger l’application des textes en la matière.

Monsieur Vidalies, le Conseil constitutionnel est composé de politiques, même si la chose n’est pas certaine s’agissant, notamment, de M. Canivet, de M. Denoix de Saint-Marc ou de Mme de Guillenchmidt – ces personnes n’ont jamais été des élus. Dans la mesure où le Conseil juge les lois, il n’est pas mauvais que des parlementaires, qui ont fait la loi, se retrouvent ainsi de l’autre côté de la barrière.

Vous avez également évoqué le fait que l’impartialité du Conseil constitutionnel pourrait être mise en cause à Strasbourg en raison du mode de nomination de ses membres. Il conviendrait dès lors d’examiner le mode de nomination de tous les juges de toutes les institutions de tous les États signataires de la Convention européenne des droits de l’homme pour vérifier si on ne connaît pas ailleurs des cas analogues. De plus, lorsqu’on prend connaissance du livre, récemment publié à la demande du président Jean-Louis Debré, regroupant les délibérations du Conseil constitutionnel datant de plus de vingt-cinq ans, on s’aperçoit que ceux qu’on aurait pensés les plus acharnés à défendre la majorité de l’époque n’ont pas toujours pris les positions qu’on attendait d’eux. Il y avait là d’anciens résistants dont la conception de la liberté et de la République n’était pas celle qu’on supposait être.

La Cour européenne étudie actuellement la nature exacte du procureur de la République en France : elle donnera sa réponse. Le procureur existe depuis la Révolution et, si je mets à part Fouquier-Tinville, qui n’a pas laissé le meilleur souvenir, je tiens à rappeler qu’il a également existé des procureurs courageux qui ont su montrer leur attachement à la loi.

Madame Filippetti, les assemblées ne doivent pas accepter – je suis encore des vôtres – que le Conseil constitutionnel, dont les membres n’ont été élus par personne, s’érige en troisième chambre. Ce serait sinon la remise en cause absolue de la souveraineté nationale et du pouvoir du peuple, à savoir de l’élection, qui est le système de base de la démocratie. Le Conseil commettrait du reste une grave erreur, qui serait un signal de mort, si, ayant évité jusqu’à présent de se considérer comme tel, il se lançait dans un processus de cet ordre.

Telles sont, mesdames, messieurs, mes réponses, dont l’imperfection tient à la rapidité de l’exercice, qu’a soulignée M. Urvoas.

M. Jean-Christophe Lagarde. M. Charasse et M. Barrot, que nous auditionnons ce matin, sont, le premier, un parlementaire, le second, un ancien parlementaire. Or il est un fait que, lorsqu’ils examinent un projet de loi, les parlementaires débattent souvent de la constitutionnalité du texte qui leur est soumis tout en précisant leurs intentions. Vous semble-t-il, monsieur Charasse, que l’intention du législateur qui s’exprime dans les débats parlementaires doive être un élément déterminant de la décision du juge constitutionnel ?

M. Michel Charasse. Les débats parlementaires sont beaucoup lus au Conseil, ce qui est la moindre des choses, et peut-être sont-ils, du reste, une des sources des réserves d’interprétation qu’a évoquées, pour les contester, M. Urvoas. Je ne prétends pas, pour ma part, que ces réserves d’interprétation constituent une démarche heureuse – je l’ai déjà dit.

Alors que n’importe quel juge, pour éclairer sa décision, lit les débats parlementaires en vue de connaître l’intention du législateur ou cherche à connaître les raisons ayant présidé à la publication de tel ou tel décret, il serait paradoxal que les membres du Conseil constitutionnel n’en fissent pas autant ! Si le juge ne le faisait pas, il conviendrait alors d’appliquer la loi, qui n’a jamais été abrogée, d’août 1790 sur l’organisation judiciaire, qui ordonne au juge incapable de trancher dans une affaire de s’adresser au Parlement afin d’en recevoir la solution.

M.  Jean-Jacques Urvoas. Monsieur Charasse, que faudra-t-il faire lorsque le Conseil constitutionnel déclarera une disposition conforme « sous réserve d’interprétation » et que le justiciable estimera que ces réserves ne sont pas respectées dans l’application de la loi ?

M. Michel Charasse. J’ai précédemment affirmé que le Conseil ne reverrait pas, en principe, des textes qu’il avait déjà déclarés conformes sauf, évidemment, si les circonstances ont changé. En revanche, si le justiciable soulève une question relative à une réserve d’interprétation, le Conseil devra trancher, y compris dans ses propres contradictions, comme cela arrive tous les jours au juge.

Je considère que certaines notions doivent être manipulées avec une grande précaution : il en est ainsi de la « réserve d’interprétation », de l’« erreur manifeste » ou de la « voie de fait », qui n’a jamais été précisée par le législateur.

Lorsqu’on est sous le regard attentif du peuple, les choses sont toujours moins simples.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur Charasse, vous n’avez pas répondu à la question de Mme Pau-Langevin sur la valeur constitutionnelle du concept de dignité humaine.

M. Michel Charasse. La dignité humaine a forcément valeur constitutionnelle puisque tout notre droit est protecteur de la personne humaine. Le Conseil applique les textes en la matière. Il pourrait aller plus loin si l’on fabriquait des principes qu’il serait dès lors en mesure d’invoquer. Je pense toutefois que nous disposons de textes suffisants en la matière. Je n’imagine pas que le Conseil constitutionnel puisse un jour s’asseoir sur les principes touchant à la dignité humaine. Il ne l’a du reste jamais fait ! C’est impensable.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie, monsieur Charasse.

*

* *

La Commission procède, ensuite, à l’audition de M. Jacques Barrot, dont la nomination au Conseil constitutionnel est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Par courrier daté de ce jour, M. le président de l’Assemblée nationale me fait savoir que, conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article 56 de la Constitution, il envisage de nommer M. Jacques Barrot comme membre du Conseil constitutionnel en remplacement de M. Pierre Joxe, dont le mandat arrive à expiration le 12 mars 2010.

Sans attendre l’adoption des textes organiques qui permettront, au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, de produire tous ses effets, le Président souhaite que la commission des lois auditionne M. Jacques Barrot et rappelle à toutes fins utiles que cette audition ne pourra pas donner lieu à un vote.

Nous avons donc le plaisir de recevoir M. Jacques Barrot, dont chacun connaît les différentes responsabilités qu’il a assumées : député, président de groupe ou de commission, maire d’Yssingeaux, président du conseil général de la Haute-Loire, ministre dans de nombreux gouvernements de la République. M. Jacques Barrot a également été, de 2004 à 2010, vice-président de la Commission européenne, chargé des transports, puis de la justice, de la liberté et de la sécurité.

M. Jacques Barrot. Je tiens tout d’abord à rappeler mon origine politique et doctrinale. J’ai grandi dans une famille marquée par la Résistance et très européenne, et c’est dans ces directions, sociales et européennes, que je me suis engagé sur le plan politique.

J’ai une formation de juriste puisque j’ai obtenu une licence de droit et le certificat d’aptitude à la profession d’avocat, que j’ai peu exercée, même si j’ai été inscrit au barreau.

J’ai tout d’abord été au service des collectivités locales en étant maire durant douze ans et président de conseil général durant plus de vingt-cinq ans. Je connais d’autant mieux les problèmes de ces collectivités que j’ai présidé aux destinées d’un département qui connaît des difficultés à prospérer sur le plan économique.

J’ai durant neuf ans occupé des fonctions ministérielles, sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing puis dans le gouvernement d’Alain Juppé. J’ai également été durant de très nombreuses années parlementaire, ce qui m’a permis de présider la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et la commission des finances de l’Assemblée nationale : j’ai alors eu l’occasion de me pencher sur l’article 40 de la Constitution – un rapport d’information en relate ma conception.

J’ai ensuite été au service de l’Europe, en tant que commissaire européen, d’abord chargé, à la suite de M. Michel Barnier, de la politique régionale, puis de celle des transports, avant de remplacer M. Franco Frattini, nommé ministre italien des affaires étrangères, à la justice, la sécurité et la liberté, ce qui m’a conduit à préparer le programme pluriannuel, dit de Stockholm, de l’Union européenne en matière de justice et de sécurité pour les années 2010 à 2014. J’ai également réussi à faire avancer la coopération civile, notamment en matière de droit de la famille, de testament ou d’obligation alimentaire pour les couples binationaux. J’ai par ailleurs sorti, en matière pénale, un texte dont la mise en application traînait depuis longtemps et qui permet à tous les citoyens européens de disposer d’un interprète, ce qui est une première étape vers des garanties procédurales minimales. J’ai aidé à réformer Eurojust, afin de lui donner une efficacité certaine et essayé de rapprocher des incriminations et des sanctions dans certains domaines. J’ai enfin lancé l’idée d’une évaluation des systèmes judiciaires. En effet, si nous voulons que l’Europe devienne une communauté de droit, encore faut-il que nos systèmes judiciaires, dans leur diversité – il ne s’agit pas de les harmoniser –, respectent les grands principes de l’indépendance de l’autorité judiciaire, ce qui permettra de rendre la justice dans tous les États membres de l’Union de manière convenable.

J’ai été amené à faire respecter les droits fondamentaux, notamment ceux des roms : j’ai dû, à leur propos, me fâcher contre un projet de recensement ethnique. J’ai également essayé de construire une Europe de l’asile : tous les États membres doivent y participer car l’Europe doit rester fidèle à sa vocation d’accueil des réfugiés.

J’ai enfin sorti du fossé la décision cadre sur le racisme et la xénophobie.

J’ai trois convictions.

La première est que la France dispose d’un bloc de constitutionnalité tout à fait remarquable. Il est très riche, puisqu’il intègre à la fois la Déclaration des droits de l’homme de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, à vocation plus sociale et économique, et la Charte de l’environnement. Nous pouvons être fiers d’un tel bloc qu’enrichissent encore quelques ajouts.

Ma deuxième conviction est que la France a besoin d’une vie institutionnelle plus harmonieuse. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a été créé afin de réguler, notamment, les articles 34 et 37 de la Constitution relatifs aux domaines respectifs de la loi et du règlement. Cela étant, je suis convaincu que la fonction initiale du Conseil constitutionnel est d’être le régulateur d’une vie institutionnelle harmonieuse, où l’exécutif et le législatif trouvent leur place de manière apaisée.

Ma troisième conviction concerne la réalité de l’ordre juridique communautaire, qui est distinct de l’ordre juridique international et est en quelque sorte intégré à l’ordre juridique interne, ce qui conduit à l’application de directives et de règlements. Je tiens toutefois à vous rappeler que le traité de Lisbonne donne aux parlements nationaux un large pouvoir de contrôle de la subsidiarité. Les articles 88-4 et 88-6 de la Constitution permettent à la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale comme du Sénat de voter des résolutions et d’opposer l’argument de subsidiarité aux décisions de la Commission européenne : si un tiers des parlements de l’Union européenne refusent une décision en invoquant la subsidiarité, la Commission européenne est obligée de revenir sur sa décision. Nous avons donc désormais l’assurance que l’ordre juridique européen peut être regardé par les parlements nationaux sous l’angle de la subsidiarité.

La mission de membre du Conseil constitutionnel exige à mes yeux le sens de l’indépendance et celui de la collégialité – j’ai appris celui-ci au sein de la Commission européenne –, ainsi que le respect du devoir de réserve, du fait que les membres de cette institution occupent des responsabilités qui ne font pas de celle-ci la troisième chambre de la République.

M. Dominique Perben. Vous avez été longtemps commissaire européen : vous avez donc participé à l’élaboration de règles de droit européen. Or les constituants, en créant le Conseil constitutionnel en 1958, ne pouvaient imaginer le rôle que celui-ci jouerait en ce domaine. À l’heure où les Français s’interrogent sur la manière dont les règles qui s’imposent dans leur vie quotidienne et professionnelle sont élaborées, et s’en inquiètent lorsqu’elles sont d’origine européenne, quel peut être le rôle du Conseil constitutionnel dans la construction d’une bonne articulation entre le droit national et le droit européen, voire d’une certaine pédagogie à l’égard de nos concitoyens, afin de leur faire mieux comprendre la manière dont le droit est élaboré ?

Compte tenu de votre expérience, je suppose que vous serez amené à jouer un rôle important en la matière au sein du Conseil, dans la discrétion que vous avez évoquée.

M. Jean-Jacques Urvoas. Qu’il me soit tout d’abord permis d’excuser l’absence de nombre de députés socialistes qui se sont absentés pour participer au scrutin devant désigner notre candidat à la présidence de la commission des Finances. Que M. Barrot n’y voie pas un manque de désinvolture à son égard.

Je voudrais poser quatre questions relatives à l’articulation entre le droit français et le droit européen.

De votre point de vue, monsieur Barrot, quelle devra être l’attitude du Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, si celui-ci estime conforme à la Constitution une loi contraire à un traité ? N’est-il pas dangereux de proclamer haut et fort la constitutionnalité d’une disposition qui ne sera pas appliquée en vertu de l’article 55 de la Constitution ? Ne faut-il pas revenir sur la décision dite « IVG » de 1975 ?

Existe-t-il, par ailleurs, à vos yeux une hiérarchie dans les droits à l’intérieur du bloc de constitutionnalité ?

À l’heure actuelle, les conventions internationales sont exclues du bloc de constitutionnalité : n’est-il pas temps pour le Conseil d’opérer un contrôle de conventionalité, surtout dans le cadre des articles 61 et 61-1 ?

Enfin, depuis 1958, de sa propre autorité, le Conseil refuse de contrôler les lois référendaires et les lois de révision constitutionnelle. Convient-il de conserver ou d’abandonner cette jurisprudence ? Et de manière incidente, est-ce que le Conseil devrait, à votre avis, s’intéresser aux règlements des assemblées ?

M. René Dosière. Vous paraît-il normal que les anciens Présidents de la République siègent de droit au Conseil constitutionnel ou pensez-vous qu’il faudrait modifier cette disposition, compte tenu de l’évolution du Conseil constitutionnel qui est appelé à devenir de plus en plus une juridiction, en raison de l’exception de constitutionnalité ? Compte tenu des procédures européennes, la question du caractère équitable des décisions prises par le Conseil au regard de sa composition ne risque-t-elle pas de se poser ?

Le débat sur la Constitution européenne avait notamment porté sur l’inscription ou la non-inscription dans le texte d’une référence aux racines chrétiennes de l’Europe. Quelle était à l’époque votre position ?

Pensez-vous enfin que, compte tenu de la durée du mandat au Conseil constitutionnel, il conviendrait de fixer une limite d’âge ?

M. Christian Vanneste. Le Préambule de la Constitution, dont le contenu est plus philosophique que juridique, peut servir de fondement à une contestation de la loi devant le Conseil constitutionnel. Je vous poserai donc la même question qu’à Michel Charasse : pensez-vous qu’il existe une légitimité supérieure à la légitimité populaire ?

Vous jouissez d’une grande expérience parlementaire, mais vous avez également été commissaire européen, de sorte que vous pourriez souffrir d’un double syndrome de Becket. Votre attitude sera-t-elle influencée par votre expérience européenne ? Je pense notamment à la question des langues régionales, sur laquelle la France pourrait évoluer sous le poids du droit européen et qui pourrait faire l’objet d’une question préalable de constitutionnalité. Quelle serait votre attitude dans ce cas ?

M. Sébastien Huyghe. Pierre Joxe avait émis le souhait que des opinions contraires puissent être publiées à l’occasion des décisions du Conseil constitutionnel. Qu’en pensez-vous ? Les décisions du Conseil constitutionnel ne risqueraient-elles pas de se transformer en décisions des membres du Conseil constitutionnel si l’on s’engageait dans cette voie ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Depuis sa création, le Conseil constitutionnel a élargi son rôle qui consistait initialement à se prononcer sur la constitutionnalité des lois et à vérifier le respect du domaine de la loi et celui du règlement. C’est par la suite qu’il a entrepris de contrôler les cavaliers législatifs. Mais ne pensez-vous que leur définition devrait relever, non de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais des règlements des assemblées ? Au nom de quoi, en effet, pourrait-on s’opposer à la volonté exprimée par la majorité des représentants du peuple ?

Outre les fonctions que j’ai évoquées, le juge constitutionnel est également juge des élections parlementaires. Or, la jurisprudence du Conseil d’État et celle du Conseil constitutionnel présentent de fortes divergences, ce qui peut avoir des conséquences non négligeables dans certains cas. Ne pensez-vous pas que ces jurisprudences devraient se rapprocher ?

Il est souvent fait état au cours de nos débats de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de ce que pourrait être sa décision. Ne pensez-vous pas que les débats parlementaires doivent, au contraire, guider le juge constitutionnel et lui permettre de mieux comprendre les intentions du législateur ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les réserves de constitutionnalité se multiplient désormais. Que pensez-vous de l’idée d’instaurer une consultation préalable du Conseil afin d’éviter les cas de censure ? Le Conseil d’État peut être saisi dans certains cas, mais son interprétation n’est pas toujours identique à celle du Conseil constitutionnel.

Je reviens enfin sur la question des réserves d’interprétation. Si une disposition est anticonstitutionnelle, elle doit être censurée, mais le Conseil n’a pas à intervenir si ce n’est pas le cas. Les réserves d’interprétation sont une façon de mettre le doigt dans les questions d’opportunité politique.

M. Jean-Paul Garraud. On peut s’interroger sur les conséquences de l’exception d’inconstitutionnalité. Certains redoutent que le Conseil constitutionnel devienne une sorte de troisième chambre parlementaire. Il existe également un risque de télescopage avec le pouvoir judiciaire, les décisions des juridictions statuant de façon souveraine et définitive – la Cour de cassation et le Conseil d’État – étant prises en vertu de lois dont la constitutionnalité pourra désormais être remise en cause. Que deviendra dès lors le principe de l’autorité de la chose jugée ?

M. Eric Diard. Dans le cas de la taxe carbone, le Conseil constitutionnel a effectué un contrôle de proportionnalité, considérant que les 1018 sites industriels soumis au système européen d’échange de quotas de CO2 échappaient à la taxe, alors qu’ils sont les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Que pensez-vous de ce type de contrôle ?

M. Jacques Barrot. Il existe maintenant un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne. En cas de transposition d’un texte communautaire, le Conseil constitutionnel se contente de vérifier la conformité de la loi à la directive ou au règlement, comme il l’a fait en 2005 pour la loi relative à l’énergie : il a considéré que la loi était fidèle à la directive dans la mesure où elle instaurait une mise en concurrence, mais que les tarifs réglementés lui étaient contraires. Il y a là un contrôle qui doit encore être perfectionné. Il ne faudrait pas que le juge constitutionnel en vienne à contrôler la directive au regard des droits fondamentaux, car ce serait ouvrir la voie à des jurisprudences contradictoires entre les cours constitutionnelles des différents États membres. Laissons la Cour de justice des communautés européennes apprécier la conformité des directives et des règlements aux principes du droit communautaire et aux droits fondamentaux.

Une bonne connaissance du processus d’adoption des textes communautaires me paraît très importante. Même si je ne saurais émettre de jugement à ce sujet, il est probable que certains membres du Conseil constitutionnel n’avaient pas tout à fait perçu les contraintes imposées par la directive sur les échanges de droits d’émission à un certain nombre d’industries électro-intensives, malgré la gratuité des quotas. Une bonne connaissance de la genèse des textes communautaires faciliterait le travail du Conseil constitutionnel. Nous sommes, pour le moment, au milieu du gué.

D’autres États membres font des anciens Présidents de la République des sénateurs, formule que nous aurions pu adopter en France. Mais c’est au constituant de trancher. Il n’appartient pas aux membres du Conseil constitutionnel de prendre position sur cette question.

J’étais personnellement favorable à une référence aux racines chrétiennes de l’Europe, mais il me semble plus important de garantir la liberté d’exercice des religions.

À mon âge, on a tendance à penser que les limites d’âge présentent beaucoup d’inconvénients : elles empêchent l’expérience et la mémoire de s’exprimer. Ce qui importe, c’est de savoir quitter ses fonctions quand on n’est plus capable de les exercer. C’est une question de déontologie.

Notre tradition politique repose sur la volonté populaire. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel a souvent pris soin de rappeler qu’il ne jouissait pas d’un pouvoir général de décision et d’appréciation de même nature que celui du Parlement : lorsque les modalités retenues par la loi ne sont manifestement pas inappropriées, il ne vérifie pas si les objectifs que le législateur s’est assignés auraient pu être atteints par d’autres voies. Il n’y a donc pas de risque, aujourd’hui, que le Conseil constitutionnel se substitue au pouvoir législatif même s’il est allé jusqu’à exercer un contrôle sur des déductions fiscales accordées par la loi sur le pouvoir d’achat aux contribuables qui avaient acheté ou une construit une habitation au cours des cinq années précédentes.

La question des langues régionales pourrait, en effet, faire l’objet de questions préalables d’inconstitutionnalité. Il m’a semblé, lorsque j’étais à la Commission européenne, que nous serions peut-être appelés à évoluer sur cette question. Nous verrons comment nous pourrions tenir compte en droit interne de l’ordre juridique communautaire.

Je partage l’avis de M. Sébastien Huyghe en ce qui concerne les opinions contraires. Pour avoir été membre de la Commission européenne, je mesure l’importance de la collégialité, qui est une richesse. Il faut veiller à ne pas amoindrir la force des décisions du Conseil. Je rappelle également que les débats du Conseil seront désormais rendu publics dans un délai de 25 ans. On peut naturellement débattre de ce délai, mais il est positif que les archives soient ainsi ouvertes.

Le Conseil constitutionnel s’est initialement concentré sur l’application des articles 34 et 37 de la Constitution. Il a, par ailleurs, des pouvoirs d’arbitrage dans le cadre de l’article 40, ainsi que dans le cadre de l’article 41, même si cette dernière faculté est aujourd’hui tombée en désuétude. Le Conseil a été très prudent bien qu’il soit allé, comme l’a rappelé le président Warsmann dans un article sur le dialogue entre le juge constitutionnel, le législateur et le constituant, jusqu’à imposer qu’un amendement déposé en première lecture ait un lien direct avec l’objet du texte. Il est intéressant de noter que le Conseil a dû s’incliner sur ce point à l’issue de la révision constitutionnelle adoptée en 2008. Il ne faut pas que le Conseil constitutionnel pénètre dans la « chambre des époux » qu’évoquait le doyen Vedel : il ne doit pas s’immiscer entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. Son intervention peut, en revanche, se justifier si elle tend à rendre plus harmonieux le fonctionnement de nos institutions.

J’ai renoncé, pour ma part, à comprendre la répartition des compétences entre le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel en matière électorale. Il conviendrait certainement de faire converger les jurisprudences.

Certaines réserves d’interprétation sont considérées comme « directives », d’autres comme « neutralisantes ». Comme le faisait observer le Président Warsmann, il s’agit d’une façon de dialoguer avec le législateur. Les réserves d’interprétation peuvent également venir en réponse à des travaux réalisés en marge de l’adoption de la loi et qui pourraient conduire à une interprétation contraire au sens du texte. Une certaine prudence s’impose, mais il ne faut pas pour autant renoncer à cette pratique.

Comme l’a indiqué M. Jean-Paul Garraud, l’instauration de la question préalable de constitutionnalité pose un certain nombre de difficultés que le Conseil constitutionnel devra trancher. La voie de l’exception d’inconstitutionnalité avait été envisagée dans les années 1990 avant d’être abandonnée, car il était paru nécessaire de préserver le contrôle de constitutionnalité abstrait qui est une spécificité française. Le Conseil pouvant désormais abroger une disposition à compter de sa décision ou définir les conditions dans lesquelles l’abrogation aura lieu, quid des décisions de justice antérieures ? C’est une terre qui reste largement à défricher.

Si l’on veut contrôler la conformité des directives, il importe de bien les connaître et d’être au fait de leur genèse, mais j’ai déjà abordé cette question.

J’en viens à la jurisprudence IVG de 1975. Il n’y a pas de raison que le Conseil constitutionnel se désintéresse des traités. Il me semble qu’il doit exercer un droit de regard dans ce domaine.

Existe-t-il une hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité ? En droit, non, mais elle existe de fait : certaines libertés fondamentales s’imposent avant toutes les autres dispositions.

En matière de contrôle de conventionalité, nous sommes aussi au milieu du gué. On peut se demander si le Conseil, qui exerce un contrôle sur la conformité des lois aux directives, ne devrait pas également développer un contrôle de conventionalité, mais je ne maîtrise pas encore suffisamment cette question pour vous répondre avec plus de précision sur ce point.

La loi référendaire étant l’expression de la vox populi dans notre tradition politique, que le Conseil constitutionnel a eu la sagesse de respecter, les lois référendaires ne font pas l’objet d’un contrôle, le Conseil constitutionnel étant seulement consulté en amont du processus. Il aura, en revanche, un pouvoir de contrôle sur le référendum populaire.

Le Conseil constitutionnel a exercé ses pouvoirs avec une grande prudence à l’égard des règlements des assemblées parlementaires, matière qui relève essentiellement des assemblées elles-mêmes. Là encore, le Conseil ne doit pas pénétrer avec ses gros sabots dans la « chambre des époux ». Il faut toutefois accepter que le Conseil puisse servir d’instance d’appel afin de garantir le fonctionnement harmonieux de nos institutions.

M. René Dosière. Vous avez fait référence à votre expérience de la collégialité au sein de la Commission européenne pour justifier votre hostilité à l’égard de la publication des avis divergents. On aurait pu penser, à l’inverse, que cette expérience vous conduirait à une vision moins stricte, moins franco-française, de cette question.

À défaut de publier les avis divergents, ne pourrait-on pas indiquer que telle décision a été adoptée avec une majorité de tant de voix contre tant de voix, ou préciser si elle a été adoptée à la majorité ou à l’unanimité ? Ce pourrait être une indication utile.

M. Jacques Barrot. J’ai été très marqué par la pratique de la collégialité au sein de la Commission. Toute décision est prise par consensus, mais les commissaires peuvent émettre des réserves, qui sont publiées au procès verbal – j’ai moi-même eu recours à cette possibilité à plusieurs reprises. On pourrait imaginer que des réserves puissent être formulées selon le même modèle par les membres du Conseil constitutionnel, sans ouvrir pour autant la voie à l’expression d’opinions divergentes, la décision étant collective. Mais il faut peser le pour et le contre : l’anonymat préserve l’indépendance et la publication des anciens débats est déjà une avancée. Il me semble moins difficile d’envisager que l’on précise si une décision a été adoptée à l’unanimité ou à la majorité.

M. Jean-Jacques Urvoas. La publication des opinions « séparées » – c’est un terme qui me semble préférable à celui d’opinions « divergentes », car il n’y a pas nécessairement de divergence, l’opinion séparée pouvant consister en un raisonnement juridique aboutissant à un résultat identique – me paraît de nature à favoriser la compréhension des décisions du Conseil, aujourd’hui très elliptiques si on les compare à celles qui sont rendues par d’autres tribunaux constitutionnels en Europe. Le délai accordé au Conseil pour élaborer son raisonnement est certes limité, et il lui faut juger sur table, mais la publication d’opinions séparées me semble un bon outil pour mieux faire comprendre les décisions du Conseil. En outre, comme l’écrivait Jeremy Bentham, « l’œil du public rend l’homme d’État vertueux ».

Pensez-vous que l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi est suffisamment respecté aujourd’hui ? Le Conseil constitutionnel doit-il poursuivre sa politique jurisprudentielle en ce qui concerne la qualité de la loi ? Jusqu’où doit-il aller pour garantir la qualité de la loi, que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux, mais qui reste imparfaite ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. La Cour de justice des communautés européennes admet depuis fort longtemps la publication des opinions divergentes, et elle exerce une influence considérable sur les juridictions françaises. Le Conseil d’État a, par exemple, été obligé de modifier le rôle du rapporteur public pour mieux respecter l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il y a aujourd’hui une évolution favorable à la publication des opinions divergentes.

On peut s’interroger sur l’intervention a priori du Conseil constitutionnel qui le conduit à élaborer une jurisprudence après que les deux chambres du Parlement se sont prononcées, comme ce fut le cas pour la taxe carbone. Pour éviter une telle remise en cause de la légitimité des parlementaires, ne peut-on pas envisager que le Conseil soit saisi préalablement aux débats ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Il peut effectivement sembler étrange qu’un texte soit censuré en l’absence de jurisprudence préalable du Conseil. J’ai été surpris d’apprendre, lorsque je suis devenu parlementaire, que l’on ne pouvait demander ni avis ni conseil au secrétariat général du Conseil constitutionnel. Nous sommes aujourd’hui placés dans une situation infantilisante : le Conseil nous tape sur les doigts s’il estime que nous n’avons pas fait ce qu’il faut.

Je pourrais concevoir que l’on indique si une décision a été adoptée à la majorité ou à l’unanimité, comme c’est le cas aux États-Unis, voire que l’on précise quel a été le nombre des voix en sa faveur. Cela permettrait de renforcer la transparence des décisions sans remettre en cause leur légitimité. Le Conseil constitutionnel étant un juge, il me semble, en revanche, que l’on ne peut pas autoriser ses membres à exprimer des réserves. Les professeurs de droit et les professionnels peuvent débattre des décisions du Conseil constitutionnel, mais on n’a pas à savoir si certains membres ont des réserves à exprimer, car cela remettrait en cause la force de leur décision. On ne demande pas aux juges d’un tribunal s’ils ont des réserves d’interprétation.

M. Jacques Barrot. Ma religion n’est pas faite sur ce sujet, mais je suis plutôt de l’avis de M. Lagarde : on peut préciser si la décision a été adoptée à l’unanimité ou à la majorité, mais il y aurait, me semble-t-il, plus d’inconvénients que d’avantages à rendre publiques d’éventuelles opinions dissidentes.

Si le Conseil doit naturellement s’intéresser à l’intelligibilité de la loi, il ne peut guère aller très loin dans ce domaine : il peut vérifier que le travail législatif respecte les règles en vigueur, mais il ne saurait les fixer lui-même. Il faut rester prudent. Toute forme d’incitation adressée au législateur et tout dialogue me semblent, en revanche, bénéfiques.

On peut envisager qu’il y ait, sinon un avis formel du Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de certaines dispositions, du moins un dialogue plus fréquent avec lui. Cela me semble nécessaire pour que le Conseil puisse jouer son rôle. Le Sénat a ainsi écarté des dispositions tendant à conférer à la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, des pouvoirs de sanction financière au motif qu’elles auraient été contraires à la Constitution en l’absence d’intervention de l’autorité judiciaire. Nous ferions bien d’éviter plus systématiquement les risques d’inconstitutionnalité par une démarche préventive.

Le Conseil constitutionnel doit rester fidèle à sa vocation qui n’est pas de se substituer au législateur, mais de préserver l’état de droit dans notre République et de corriger les excès qui pourraient être commis au regard des droits fondamentaux. Cela suppose, non pas nécessairement une publication des opinions divergentes des membres du Conseil, mais une meilleure communication sur les décisions adoptées. Nous devons faire œuvre de pédagogie.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie.

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Puis, la Commission examine la proposition de création d’une mission d’information sur la protection des droits de l’individu face à la révolution numérique.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Le 2 décembre 2009, nous avons écouté avec beaucoup d’intérêt M. Alex Türk, président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), appeler notre attention sur la nécessité de veiller à « conserver les libertés fondamentales d’aller et venir et de s’exprimer dans la société numérique » dans les années à venir.

Plusieurs propositions ont d’ailleurs été déposées par les parlementaires sur ce sujet. Il me semblerait utile d’engager une réflexion globale sur les opportunités et les risques des nouvelles technologies pour les libertés individuelles. Il serait, en effet, très opportun de disposer d’une synthèse aussi large que possible sur les questions posées par la révolution numérique. Nous devons en particulier nous interroger sur le niveau – international, européen ou national – auquel ces enjeux doivent être juridiquement traités. Je n’ai pas besoin de rappeler les débats houleux qui ont eu lieu au Parlement européen sur l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis concernant le transfert de données bancaires par l’intermédiaire du réseau SWIFT.

Lors de la Conférence des présidents du 27 octobre 2009, le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauches (SRC) avait demandé la création d’une mission d’information sur un sujet plus ponctuel, mais recoupant en partie celui que nous envisageons aujourd’hui : la répression des activités illégales sur Internet et la défense des droits fondamentaux. La commission des affaires culturelles et de l’éducation devait constituer une mission sur ce sujet, mais cela n’a pas encore été fait. Sa présidente m’a fait savoir qu’elle souhaitait, dans ces conditions, que notre travail soit commun.

N’ayant aucune objection contre cette idée, je vous propose de décider la création de cette mission d’information, qui pourrait être constituée dès la reprise des travaux parlementaires selon un schéma comparable à celui que nous avions adopté pour la mission d’information sur les collectivités locales. La mission pourrait ainsi être composée de vingt membres, dix appartenant à la commission des lois et dix à la commission des affaires culturelles : un représentant du groupe Nouveau Centre (NC), un du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), sept du groupe SRC et onze du groupe de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). Je vous propose de commencer par demander aux groupes GDR et NC de choisir de quelle commission leur membre sera issu avant de fixer, dans le respect du principe de proportionnalité, le nombre des membres des groupes SRC et UMP issus des deux commissions.

Je serais personnellement intéressé par la présidence de cette mission et je suggère, pour des raisons d’équité, de nommer deux co-rapporteurs, l’un de la majorité et l’autre de l’opposition.

J’ai reçu ce matin l’accord de principe de la présidente de la commission des affaires culturelles sur ce schéma, et il me semble que cette proposition correspond aux souhaits du groupe SRC. C’est pourquoi je vous propose de décider la constitution de cette mission d’information. Nous procéderons aux nominations à la reprise de nos travaux, après les élections régionales.

La Commission, consultée, décide à l’unanimité de créer conjointement avec la commission des affaires culturelles et de l’éducation une mission d’information sur la protection des droits de l’individu face à la révolution numérique.

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La Commission procède enfin à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, à l’occasion de la remise de son rapport annuel.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je suis heureux d’accueillir M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République. Il est inutile de vous rappeler les pouvoirs conférés à l’institution que je dirige. Je commencerai donc par vous parler d’une tendance qui nous préoccupe beaucoup : depuis le mois de septembre, nous voyons augmenter fortement le nombre de saisines en ligne, notamment à caractère social. Si l’on y ajoute les demandes formulées auprès des centres communaux d’action sociale ou des permanences d’élus, on peut en déduire un besoin évident d’écoute de proximité, un besoin de porter vers les décideurs un certain nombre de problèmes d’ordre personnel. Nous avons d’ailleurs ouvert, le 10 février 2010, une plateforme de débats, accessible à tous, sans aucune censure, et qui s’ajoute aux sites Internet consacrés au pôle « santé et sécurité des soins » et à la médiature. Nous avons, d’ores et déjà, enregistré près de 6 000 interventions, souvent accompagnées de témoignages extrêmement riches.

Le pôle « santé et sécurité des soins » a traité 5 000 dossiers depuis le 1er janvier 2009. Dans 65 % des cas, il s’agissait de demandes d’éclaircissement ; 60 % des appels concernaient les accidents médicaux et 15 % étaient effectués par des professionnels de santé. Il est frappant de constater qu’un dossier sur deux relève de la maltraitance ordinaire, qu’elle soit vécue par les acteurs médicaux ou par les patients. Nous avons mis l’accent sur la problématique de la santé mais, en réalité, le problème concerne tous les services porteurs d’autorité : l’éducation nationale, la police et la gendarmerie, bien sûr, mais aussi les services sociaux, qu’ils dépendent des collectivités locales ou de l’État. Partout, on observe une tension, une montée en agressivité, une violence du vocabulaire, ainsi qu’une culture du mépris qui ajoute de la souffrance à la souffrance.

Nous pensons qu’il existe des réserves de productivité dans les services publics. Leur mobilisation passe par la motivation, la participation et l’intéressement. Ainsi, à la médiature, nous nous sommes fixés sur l’objectif de traiter 20 % de dossiers en plus, à moyens constants. Cela passe par une gestion des ressources humaines et des problématiques d’appels d’offres : nous avons réduit le montant des loyers, mis en place un comité de participation et d’intéressement. En plus de ceux de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) – comme le délai moyen du traitement des dossiers –, nous avons élaboré dix-neuf indicateurs permettant de connaître exactement le nombre de dossiers entrants et sortants, etc. Le rapport de la Cour des comptes est d’ailleurs flatteur à notre égard. Plus généralement, nous sommes très favorables à une évaluation par le Parlement et la Cour des comptes et à ce que les préconisations de cette dernière fassent l’objet d’un suivi.

Nous nous sommes également intéressés à un phénomène nouveau, le développement du soupçon et du procès. Notre société est très accusatoire – quelquefois, d’ailleurs, le but de l’accusateur est seulement d’éviter de se voir reprocher ses propres turpitudes. Dans ce contexte, l’indépendance est un facteur de confiance déterminant. Ainsi, lorsque nous avons basculé la plateforme de la Haute autorité de santé vers la médiature, le nombre d’appels téléphoniques a été multiplié par deux : les demandeurs se disent qu’ils peuvent confier leurs problèmes parce qu’ils n’auront pas affaire à des médecins, qu’ils soupçonnent de protéger leur corporation. Ce sont pourtant également des médecins qui les accueillent à la médiature, mais son statut d’indépendance fait qu’elle bénéficie d’un préjugé favorable. Dans le climat général de suspicion, la neutralité est donc un élément important pour les services publics.

On ne parle pas suffisamment de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes. Pourtant, par les arrêts qu’elle a rendus, la Cour fait bouger l’administration dans tout le continent. Elle a ainsi déterminé les critères d’une bonne administration : obligation de réponse motivée, devoir d’information et d’orientation, respect du contradictoire, accès au juge – ce qui pose le problème du traitement des contraventions –, délai raisonnable, neutralité et impartialité. Ces critères jurisprudentiels pèsent désormais sur le fonctionnement des administrations.

Nous nous sommes demandés si les pathologies du service public n’étaient pas le reflet des problèmes de la société. Les gens sont, en effet, passés d’une espérance collective, à laquelle ils adhéraient en tant que citoyens, à la survie individuelle et l’exigence pour soi. Ce comportement d’usager-consommateur devient préoccupant. Il peut, par exemple, entraîner une embolie des services publics. Ainsi, 25 % des appels d’urgence en Île-de-France ne concernent pas des problématiques d’urgence mais des problèmes de stress et d’angoisse. Le service s’en trouve dégradé, au détriment de ceux qui en ont réellement besoin. De même, lorsqu’un parent d’élève se croit autorisé à frapper un professeur au motif que son enfant est concerné, les limites sont franchies. Nous ressentons fortement la montée de ce phénomène par lequel le recours à la force et à la violence remplace le respect de l’autre.

Nous attirons également l’attention sur la France des invisibles, sur les nombreuses personnes dont on ne parle jamais alors qu’elles subissent une tension extrême, qui met en jeu leur propre survie. Pour ces personnes, les services publics jouent un rôle déterminant.

Nous voulons remettre en avant la neutralité de l’espace public, car nous sommes de plus confrontés à la contestation de la laïcité. Je pense, par exemple, à un infirmier qui, au nom de ses convictions et à l’encontre des consignes de sécurité, refuse de se laver avec un liquide contenant de l’alcool. Ce débat entre respect des convictions religieuses individuelles et exigences du service public va devenir de plus en plus important. À partir de quel moment les exigences personnelles doivent être neutralisées au nom de l’intérêt supérieur du service public ? Ce sujet difficile doit être abordé avec recul et détachement, sans céder à l’émotion.

La neutralité de l’acteur public implique d’éviter les conflits d’intérêts, mais sur ce sujet, je dois vous mettre en garde contre les procès d’intention susceptibles de déstabiliser une décision judiciaire ou politique. Je pense à la suspicion pesant sur le procès de l’accident du Concorde, au motif qu’un des experts serait un ancien salarié d’Air France. De même, concernant la grippe H1N1, il conviendrait d’analyser les raisons pour lesquelles la population a brutalement basculé d’une adhésion à un refus de la vaccination. Il est très facile de porter des accusations injustes et, ainsi, de manipuler l’opinion. Si vous voulez maintenir la cohésion de la communauté nationale, c’est un sujet auquel vous ne pourrez pas échapper.

Nous observons également des ruptures de l’équité territoriale, de l’équité sociale et républicaine. Un certain nombre de mythes républicains qui alimentent nos discours sont sur le point d’exploser. Je vois le communautarisme s’installer, de gré ou de force ; l’égalité des chances est de moins en moins une réalité ; la laïcité est fragilisée ; des régulations non républicaines se mettent en place, donnant l’impression que le respect de la loi est un signe de faiblesse.

Nous nous interrogeons sur le moyen de relever deux énormes défis : remettre du moyen et du long terme dans la décision économique – qui doit se libérer de la pression des actionnaires – et dans la décision politique – soumise, elle, à la pression d’un renouvellement électoral de plus en plus rapide. Ce sujet est extrêmement important, car sans une vision à laquelle les gens peuvent adhérer, on risque de céder à l’immédiateté, à la consommation du politique, à la satisfaction d’intérêts catégoriels, corporatistes ou personnels, plutôt que de consentir un effort en faveur de la réussite collective. Le temps prend également une tout autre dimension : le temps de l’appropriation de la décision devient plus important que le temps de la décision lui-même. Combien de fois avons-nous vu, malgré une adhésion forte à ses objectifs, une politique de changement échouer parce qu’elle a été mal conduite ?

À cet égard, le principe de précaution peut constituer un obstacle. Aujourd’hui, et on peut le comprendre, les gens qui décident ou préparent la décision ont une tendance naturelle à arbitrer entre la gestion de leur carrière et celle des risques. Si on obtient des résultats en prenant des risques, le supérieur hiérarchique est satisfait, mais les échecs sont sanctionnés. Dès lors, le principe de précaution engendre de nouveaux comportements auxquels il convient de réfléchir pour élaborer de nouvelles formes de management.

Il en est de même de la culture du chiffre. Il s’agit d’un très vieux débat, remontant au XIXe siècle. À l’évidence, il faut favoriser la transparence et l’évaluation des résultats, mais à condition que les indicateurs retenus reflètent la réalité et n’aient pas pour seul but de satisfaire la hiérarchie.

En ce qui concerne la déconcentration et la décentralisation, il convient de veiller à ce que l’action politique ne soit pas neutralisée par des conflits entre échelons local et national.

Veillons également à ne pas dégrader l’offre de services. Au nom de l’Europe, on a ainsi défendu, par exemple dans le domaine de la fourniture d’électricité, la séparation entre le producteur, le transporteur et le vendeur. Le résultat, c’est qu’en Belgique, il faut désormais attendre sept ou huit mois pour obtenir un compteur, contre deux mois auparavant. Et il en est de même pour la téléphonie mobile. Les usagers sont renvoyés d’un acteur à l’autre, ils ne comprennent pas cette complexité, source de tensions supplémentaires.

La technologie a permis de formidables avancées : bientôt, on pourra avoir accès aux services publics à partir de terminaux mobiles. Mais elle est aussi un formidable prétexte, pour certaines administrations, à réduire les capacités d’accueil, à fermer les bureaux à l’heure du déjeuner, à limiter leurs services à un serveur vocal, à ne pas organiser les files d’attentes. Un métier nouveau est en train d’apparaître : le « réservateur de file » : on vient à quatre heures du matin réserver des places, avant de revendre pour cinquante euros le droit de se placer en début de file. Ces situations entraînent une tension, le sentiment d’être traité avec mépris. Une telle société favorise le mépris de soi, qui engendre le mépris des autres. Il en résulte des souffrances, des tensions et des conflits inutiles, qu’il peut être difficile d’apaiser.

Il est vrai que l’on fait parfois des procès injustes aux services publics, alors que l’on devrait plutôt accuser la société. Il faut trouver un juste équilibre entre les attentes individuelles et l’organisation du service, mais aussi faire primer le sens de l’accueil, le traitement des réclamations, l’empathie. Nous avons reçu à ce sujet des témoignages bouleversants. Je pense à cette mère à laquelle un médecin a annoncé en ces termes la mort de son bébé : « Ce n’est pas grave, à votre âge il est facile d’en avoir un autre ! », ou à cette autre mère, venue en urgence à l’hôpital, et à qui on reproche de ne pas avoir apporté les papiers nécessaires : « Madame, la sécurité sociale n’est pas un puits sans fond ! ». Pour inverser cette tendance, pour éviter cette violence verbale, il est nécessaire de former les personnes.

Nous avons créé, je l’ai dit, une plateforme d’échanges et de débats : www.lemediateuretvous.fr, qui a déjà recueilli plus de 6 000 interventions. Ainsi, un débat a été lancé sur les droits des agents hospitaliers face au radicalisme religieux. Il s’agit d’un vrai problème. Je citerai ainsi l’exemple d’une femme enceinte admise en urgence à l’hôpital, et dont le mari ne voulait pas que le médecin la touche. Après une heure de discussion, l’accouchement a pu avoir lieu, mais il s’est mal passé et l’enfant est né handicapé. Aujourd’hui, le père attaque l’hôpital en justice… D’autres convictions religieuses – celles des Témoins de Jéhovah, par exemple – ou philosophiques – dans le cas du décodage du génome – peuvent entrer en jeu. En situation d’urgence, ces conflits peuvent avoir des conséquences dramatiques.

Autres exemples de sujets abordés sur cette plateforme : un entrepreneur soumis à deux régimes différents de TVA, et qui a fini par fermer son entreprise en raison des tracasseries administratives ; une personne qui se demande quand sera mise en place la « class action » promise, etc. Le site peut vous permettre de prendre connaissance de situations vécues et de vous en inspirer pour proposer de nouveaux textes.

J’en viens à l’action internationale. Il y a quinze jours, nous avons réuni à Paris cinquante-sept ombudsmans issus de pays membre du Conseil de l’Europe et de la Ligue arabe afin de réfléchir à la problématique des droits de l’homme – M. Robert Badinter y est intervenu au sujet de l’abolition de la peine de mort. Il était possible, dans ce cadre, d’exprimer nos différences : certains défendaient la polygamie dans le monde arabe contre « l’hypocrisie » du monde occidental, d’autres défendaient la peine de mort ou au contraire son abolition. L’indépendance était un facteur favorable à l’expression des opinions, plus libre que dans un contexte diplomatique. De telles initiatives peuvent nous permettre de faire progresser la problématique des droits de l’homme.

Nous avons, par ailleurs, mis en place des centres de formation, l’un situé à Rabat et destiné à l’ensemble des médiateurs du continent africain, l’autre à Doha, pour les médiateurs du monde arabe. Nous venons également de remporter un concours européen pour un jumelage institutionnel avec le Défenseur des droits de l’homme de la République d’Arménie. On peut encore citer l’initiative franco-polonaise lancée dans le cadre du partenariat oriental ; la création de l’Association des ombudsmans de la Méditerranée, cadre d’un dialogue entre le médiateur de l’Autorité palestinienne et celui d’Israël ; la demande, auprès de l’Union européenne, de la création d’un fonds européen pour les réfugiés destiné plus particulièrement aux mineurs isolés.

Quatre grands thèmes apparaissent dans nos dossiers, dans les courriels que nous recevons et dans les interventions sur les sites Internet : le mal-endettement – certaines personnes se retrouvent pour la deuxième ou la troisième fois en faillite personnelle, leurs ressources étant inférieures aux charges –, le logement, la santé et les problèmes sociaux.

Parmi les thèmes sur lesquels nous travaillons figurent également les problèmes relatifs aux droits des victimes : indemnisation des dommages corporels, expertises médicales. La qualité de la décision judiciaire dépend, en effet, de la qualité des experts, tandis que l’acceptation de cette décision est liée à leur neutralité. Les meilleurs experts médico-judiciaires ne sont-ils pas systématiquement payés par les assureurs ? Une réflexion éthique doit être conduite à ce sujet. Nous devons faire en sorte que les meilleurs professionnels soient plus volontiers attirés par les expertises judiciaires – les autopsies, par exemple. Une analyse précise des flux financiers entre la chancellerie et le monde de la santé serait à cet égard révélatrice.

Je n’évoquerai pas les problèmes liés à la carte d’identité, aux sans-abri, au PACS : vous connaissez tous ces sujets. En ce qui concerne les retraites, un dossier compliqué dont vous allez bientôt vous saisir, il ne s’agit pas pour nous d’intervenir sur les grands équilibres – durée de la cotisation, âge de la retraite, montant des pensions –, car ils relèvent de la décision politique. Mais nous attirons l’attention sur certains aspects inéquitables du système actuel. Ainsi, si on prend sa retraite au 1er septembre, toutes les cotisations versées du 1er janvier au 31 août sont perdues, car le calcul de la pension est arrêté au 31 décembre. Il convient donc soit d’exonérer la personne de ses cotisations lors des six derniers mois, soit de prendre en compte les vingt-cinq années de cotisation à la date réelle du départ en retraite. Autre exemple : on s’aperçoit que le calcul du salaire moyen est défavorable aux polypensionnés, qui sont pourtant de plus en plus nombreux.

Nous devons être attentifs à certaines évolutions de la société. Ainsi, la fracture des vies conjugales – car on observe également une forme de consumérisme dans ce domaine – a des conséquences sur les retraites que l’on ne maîtrise pas toujours. J’ai en mémoire la situation d’un colonel qui, après deux ans de mariage désastreux, avait décidé de divorcer et de ne plus jamais se marier. Après quarante ans de vie commune avec une autre femme, il s’est aperçu que sa pension de retraite serait reversée à son ancienne épouse.

Parfois, c’est l’administration qui est responsable du problème. Il y a peu de temps, j’ai eu connaissance du cas d’un homme poursuivi en justice par sa première épouse, car la mention du divorce n’avait pas été portée sur l’état civil. Cette erreur a entraîné l’annulation du deuxième mariage et le versement d’une pension. Aujourd’hui, cet homme se retourne contre l’État, et personne ne sait qui sera tenu pour responsable. Il faut pourtant savoir assumer le prix de ses erreurs.

Dans quinze ou vingt ans, nous allons observer une chute brutale du montant des pensions perçues par les femmes, car celles-ci n’auront plus droit à la réversion. Un gros problème de société se posera alors, d’autant que les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Dans la mesure où le coût du séjour en maison de retraite finit par être beaucoup plus élevé que le montant des pensions, le moment viendra où il faudra se demander s’il faut conserver les normes actuelles ou les adapter à la réalité de la société.

Un rapport nouveau s’instaure entre le collectif et l’individuel. À un moment où l’individu est de plus en plus fragilisé, dans une société en tension, nous croyons nécessaire de développer des lieux de dialogue, d’apaisement, d’accompagnement. Le Défenseur des droits, institution plus forte, dotée de moyens et d’une capacité d’intervention accrus, est en mesure de procurer cet apaisement, cet équilibre auquel notre société aspire tant.

M. Christian Vanneste. Je relève une augmentation considérable du nombre de dossiers traités par l’institution que vous dirigez. Vous vous occupez essentiellement des problèmes qui surviennent entre les Français et leur administration. Dans quelle mesure le flou de la gestion politique a-t-il un impact sur les dossiers qui vous sont soumis ? Je pense, par exemple, à la gestion de la crise sanitaire liée à la grippe.

Dans le rapport annuel que vous venez de nous distribuer, il est question de « médiations réussies ». Qu’appelez-vous une médiation réussie, et quelle part représentent de telles médiations dans le total des dossiers qui vous sont soumis ?

Enfin, vous avez évoqué les problèmes liés à la fourniture d’énergie. L’existence de trois instances consacrées à leur résolution se justifie-t-elle ? Ne devraient-ils pas être de la compétence du Médiateur de la République ?

M. René Dosière. Je souhaite préciser la deuxième question de M. Christian Vanneste, ce qui ne le surprendra pas, puisque nous travaillons ensemble sur l’évaluation des autorités administratives indépendantes. Votre rapport dresse le bilan quantitatif des recommandations suivies ou non suivies d’effet. Sur le plan qualitatif, et compte tenu de votre expérience, avez-vous le sentiment que vos recommandations les plus significatives sont prises en compte ? Quelles résistances observez-vous ? N’avez-vous pas le sentiment que vos rapports ne sont pas toujours lus par ceux qui devraient en tirer profit ?

Mme Sandrine Mazetier. Vous allez absorber les fonctions du Défenseur des enfants, institution appelée à disparaître. Comment comptez-vous vous y prendre ? Ferez-vous preuve, dans le combat pour la défense des mineurs, de la même indépendance d’expression que l’actuelle Défenseure ?

Ne pensez-vous pas que certaines saisines du Médiateur de la République – y compris par l’intermédiaire des parlementaires – sont dues à un manque de bon sens, voire de courage, l’objectif étant d’ouvrir son parapluie pour éviter de régler soi-même le conflit ? Ainsi, je ne vois pas en quoi le cas que vous avez cité de l’infirmier qui refuse d’appliquer les consignes d’hygiène et de sécurité devrait relever du Médiateur de la République. Que pourrait-on faire pour inciter les responsables à exercer pleinement leurs responsabilités, afin qu’ils n’aient pas la tentation de s’en défausser sur d’autres ?

Je tiens, par ailleurs, à vous féliciter pour votre action internationale. Vous contribuez ainsi à défendre la vision française – ou du moins continentale – du rapport au droit, par opposition à la tendance anglo-saxonne de judiciarisation des rapports sociaux.

Enfin, ne serait-il pas utile, voire nécessaire, que vous soyez auditionné lors de chaque entreprise de simplification et d’amélioration du droit ? À cet égard, monsieur le président, n’y aurait-il pas beaucoup d’inspiration à puiser dans le rapport du Médiateur ?

M. Pascal Terrasse. Vous avez évoqué l’influence des opinions philosophiques et religieuses. Il en est de même dans les débats autour du principe de précaution, notamment des nanotechnologies : certains comportements sont guidés par l’obscurantisme. En outre, les relations entre le spécialiste et le citoyen sont affectées par le fait que ce dernier se considère désormais comme un expert. Dès lors, votre mission devient de plus en plus compliquée. À cet égard, j’ai particulièrement apprécié la conclusion de votre propos, comme j’apprécie votre travail et celui des personnes qui vous assistent.

Jugez-vous toujours légitime le recours à un parlementaire pour saisir le Médiateur de la République ?

De nombreux services ou établissements publics, comme l’éducation nationale, La Poste ou EDF, créent des médiateurs. Des collectivités territoriales en font autant, comme l’Ardèche, département dont je suis l’élu. Comment voyez-vous les relations entre ces différentes institutions de médiation ? Doivent-elles conjuguer leurs efforts et travailler en commun ?

J’ai pour habitude, lorsque je reçois votre lettre mensuelle d’information ou vos rapports, de demander à mes assistants de rédiger des questions écrites sur les différents problèmes soulevés. Et je suis très souvent ému par les situations individuelles que vous décrivez. Or, que j’obtienne ou non une réponse de la part du ministre, je ne sais pas ce qui se passe par la suite. Ne serait-il pas utile que la commission des lois crée une mission permanente afin d’examiner, chaque année, les avancées juridiques et d’assurer le suivi des recommandations du Médiateur ? Une telle initiative irait vraiment dans le sens de l’évaluation. Il n’y a aucun intérêt à recenser les problèmes posés de manière purement quantitative : il faut les traiter de façon qualitative.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Comme tous mes collègues, je suis consommateur de vos services et très satisfait de votre travail.

On observe chaque année une augmentation du nombre de saisines. Comment l’expliquer alors que la modernisation du service public est en cours et que l’administration est censée être de plus en plus à l’écoute du citoyen ?

Comment votre activité peut-elle se conjuguer avec celle du médiateur fiscal ?

Vous êtes Médiateur depuis près de six ans. Quels sont les plus grands blocages auxquels vous êtes confronté ? Compte tenu de la récurrence de certains problèmes, n’éprouvez-vous pas parfois un sentiment d’impuissance ? Et si c’est le cas, que pourrait-on faire pour améliorer votre capacité d’action et régler certaines difficultés dans lesquelles l’administration française comme vos propres services semblent être empêtrés ?

M. Jean-Jacques Urvoas. Vous êtes doté d’un pouvoir d’injonction, ce qui n’est pas le cas de toutes les autorités administratives indépendantes. J’imagine que le Défenseur des droits va en bénéficier, contrairement, par exemple, à la CNDS, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, qui est de toute façon sur le point de disparaître. Disposez-vous de statistiques sur l’usage de ce pouvoir d’injonction ?

M. Jean-Paul Delevoye. Je vous remercie pour la pertinence de vos questions.

Je me réjouis du partenariat fort, interactif et permanent qui s’est instauré entre la commission des lois et la médiature. Nous ne nous rencontrons pas seulement lors des auditions, nous sommes en contact permanent. La médiature est ouverte aux parlementaires à qui nous demandons régulièrement de réfléchir aux simplifications administratives dont certains cas montrent la nécessité. Je remercie le président Warsmann d’avoir fait référence au Médiateur de la République dans les deux dernières lois de simplification.

Je plaide pour un renforcement de l’évaluation parlementaire et du suivi de l’application des lois. Pour prendre l’exemple des cartes d’identité des Français nés à l’étranger, leur renouvellement demande un an, voire deux. Nous avons obtenu de la précédente garde des Sceaux qu’elle prenne des circulaires à ce propos, mais elles sont sans effet dans un certain nombre d’administrations locales.

Souvent les textes de loi ne sont pas appliqués du fait du principe de précaution. En fait, la peur du lynchage médiatique est en train de neutraliser les décisions administratives : les fonctionnaires veulent à tout prix éviter qu’on leur reproche dans cinq, dix, voire quinze ans d’avoir donné une carte d’identité à telle personne ou d’avoir remis telle autre en liberté conditionnelle. Nous sommes tous en train de crier avec les loups parce que, sur cent personnes ayant bénéficié de cette liberté, une a récidivé, sans considération pour les quatre-vingt-dix-neuf qui se sont bien comportées. Est-ce que nos convictions sont guidées par nos décisions ou par nos émotions ? Lorsque Lucien Léger, le plus ancien détenu de France, qui était incarcéré dans la prison de Bapaume dont je suis le maire, a été libéré, les médias se sont précipités dans le village où un formidable monsieur avait accepté de l’accueillir pour demander aux mères si elles n’avaient pas peur pour leurs enfants. Que la réinsertion ne pose aucun problème n’empêche pas des élus et des associations de dire que M. Léger aurait dû rester en prison…

Nous avons un vrai problème de conduite de l’opinion. Soit nous la laissons sous l’empire de ses émotions et c’est la porte ouverte au populisme et à l’extrémisme, soit nous demandons à des autorités indépendantes, capables de prendre du recul par rapport aux faits, de protéger celles et ceux qui prennent des décisions au nom de l’intérêt général. La remarque vaut également pour les élus. Les décideurs doivent être fermes dans leurs convictions.

Or la société actuelle est dirigée par trois sentiments : l’espérance, la peur et l’humiliation. Faute d’être capables de recréer des espérances collectives, beaucoup misent sur les peurs et les humiliations, qui sont le terreau du populisme et de l’extrémisme. En Europe et dans le monde entier, les ombudsmans sont confrontés à de telles difficultés tandis que nos systèmes démocratiques sombrent dans l’extrémisme et le rejet de l’autre. La Hollande, par exemple, devient très intolérante. Je ne fais le procès de personne et certainement pas des politiques : bien malin qui peut dire si c’est le politique qui crée l’électeur ou l’électeur qui crée le politique. L’attente de réponses politiques est à la mesure de la pression ressentie par la population.

Cependant, de nombreux fonctionnaires ont compris que la préservation de leur carrière passait par une absence de condamnation par les médias. Le souci de protection s’ajoutant au principe de précaution, la peur des médias n’est assurément pas, dans ce cas, le commencement de la sagesse. Elle neutralise parfois l’action et la prise de décision et précipite dans la gestion des émotions.

Nous voyons l’intérêt de disposer d’une autorité indépendante capable de tordre le cou à certains procès d’intention et d’appuyer des décisions. Nous assistons parfois aujourd’hui à un décalage entre la gestion politique et la gestion administrative de certains problèmes, entre les volontés exprimées sur le plan politique et les décisions prises sur le plan administratif.

Sur la multiplication du nombre de médiateurs, vous me permettrez de jouer un joker. Je n’ai pas, au nom de la camaraderie et de la confraternité, à porter de jugement à ce sujet.

Compte tenu du nouveau rapport de l’autorité au collectif, la médiation me semble aujourd’hui plus que jamais nécessaire. Mais il faut non pas diviser pour affaiblir, mais rassembler pour renforcer.

Je suis tout à fait favorable au développement de la médiation dans les collectivités locales et les administrations. Le retour d’un « service des réclamations » permettra d’améliorer la qualité du service administratif. Cela peut être très bénéfique dans les organes exécutifs, à condition de défendre l’indépendance de ces services de médiation.

Nous sommes prêts – et nous l’avons déjà fait – à établir une coordination entre les médiateurs des collectivités locales et le Médiateur de la République afin de permettre à des dossiers dépassant le cadre de ces collectivités d’être étudiés à un échelon supérieur, voire d’être traités sur le plan législatif. C’est tout l’enjeu de la réussite de la médiation imposée par le législateur au sein des maisons départementales pour les personnes handicapées. Le fait de vous demander d’être à la fois juges et parties ne me semble pas être une bonne formule. La loi sur les tutelles et curatelles devra également faire l’objet d’une évaluation parlementaire pour éclairer notamment le partage entre la chancellerie et les conseils généraux.

Je n’avais pas vu le passage de « Médiateur de la République » à « Défenseur des droits » comme une absorption de la Défenseure des enfants, madame Mazetier.

L’intérêt de vos débats sur les lois organiques est de conserver à la France son identité dans le respect des conventions internationales, l’objectif étant de rassembler afin de renforcer et d’avoir plus de pouvoir et, par conséquent, plus de moyens.

La plaidoirie de Mme Claire Brisset en tant que Défenseure des enfants lors de l’affaire du procès d’Outreau aurait gagné en force, me semble-t-il, si elle avait été Défenseure des droits de niveau constitutionnel. Peut-être n’aurions-nous pas passé par pertes et profits les douze enfants reconnus victimes dont plus personne ne parle aujourd’hui. Une institution forte est nécessaire pour peser sur certains dossiers très compliqués.

Vous avez mille fois raison, madame Mazetier, de déplorer le manque de bon sens et de courage actuel. Le système administratif souffre d’une absence de gestion des ressources humaines et d’une incapacité à prendre des décisions. Comme je l’ai dit aux syndicats, la pérennité du service public passera par la défense non pas de son statut, mais de la qualité du service rendu. Donc toutes celles et tous ceux qui, par leur comportement et leur attitude, manquent à l’éthique et fragilisent le service public n’y ont pas leur place ou, en tout cas, ne méritent pas d’occuper la place qu’ils ont.

Or aujourd’hui, on défend souvent l’indéfendable. Dans le domaine de la santé, le signalement d’une erreur pour qu’elle ne se renouvelle pas est perçu comme une trahison vis-à-vis des collègues. 85 % des médiations que nous avons intentées dans la santé ont réussi parce qu’il a été possible de renouveler le dialogue car, en règle générale, les gens ne veulent pas aller au procès.

Nous devons développer la culture de l’erreur et sanctionner les fautes. C’est un combat qu’il faut mener pour développer la qualité du service public. Ce combat est difficile mais, en tant que tiers acteur et autorité indépendante, nous avons déjà pu peser sur certaines décisions qui, sans notre intervention extérieure, auraient pu engendrer des crispations au sein de la structure.

Il est un autre paradoxe dont nous sommes prisonniers aujourd’hui. Si la loi est censée protéger le faible, force est de constater que ce n’est malheureusement pas le cas dans la pratique. Alors que les lois brassent des principes généreux, ambitieux et intelligents, alors que nul politique ne pourrait avoir envie de forger une loi contraire à l’intérêt général, on s’aperçoit que le faible finit toujours par plier devant celles et ceux qui savent se servir des procédures et user de leur influence.

Cela soulève un problème que j’ai posé à l’échelon européen mais qu’en tant que Défenseur des droits je n’arrive pas à trancher. La préservation de l’indépendance de l’acte judiciaire n’est pas discutable mais peut-on distinguer l’acte judiciaire de l’acte administratif judiciaire ?

Aujourd’hui 90 % de nos saisines se font de façon directe par courriel. La totalité de la population carcérale a un accès direct à nos délégués. Dans le projet de loi sur le Défenseur des droits, il est prévu que celui-ci puisse être saisi directement. Il faudra veiller à maintenir une relation particulière et privilégiée entre lui et les parlementaires car cette relation est essentielle.

La LOLF donne une prime au procès et non à la médiation. Il est, actuellement, plus facile d’obtenir des sommes de Bercy pour payer un procès – car les fonds sont déplafonnés – que pour organiser une médiation… Il n’est pas question de condamner la LOLF, mais accepter un procès dont le coût est deux fois supérieur à celui d’une médiation, tout en respectant les procédures, heurte le bon sens.

Je suis tout à fait favorable à ce que des questions écrites soient posées au Gouvernement à la suite de la publication de mon rapport. En matière d’évaluation, j’ai soutenu la proposition du ministre Éric Woerth. Nous allons également recenser les administrations qui répondent et celles qui ne répondent pas. Il est absolument anormal que des administrations soient aux abonnés absents, notamment dans le domaine social et le domaine de l’agriculture.

L’augmentation du nombre de saisines et la modernisation du service public ne doivent pas être mises en parallèle car, si la formidable amélioration de l’administration fiscale donne beaucoup de satisfaction, nombre de situations anormales perdurent, notamment dans la gestion de l’attente et dans l’organisation de l’accueil.

L’important concernant les différents médiateurs, qu’ils soient fiscaux ou non, sont les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres.

Quel est le bilan du Médiateur de la République depuis 2004 ? En retire-t-il un sentiment de puissance ou d’impuissance ?

Premier constat : la relation médias-Médiateur est intéressante. La condamnation médiatique est une arme absolue qui nous a permis d’obtenir un certain nombre de réformes et de changer certains comportements. Dans beaucoup de cas, elle est le commencement de la sagesse.

Deuxième constat : il importe de réfléchir à la notion de recommandation en équité. La société évolue tellement vite que le législateur, quelle que soit sa qualité, ne peut pas prévoir quelles sont les situations pour lesquelles une application stricte de la loi ne peut avoir de conséquences inéquitables. Cette question était déjà en débat du temps d’Aristote et de Platon.

Comment éviter que la recommandation en équité soit une interprétation systématique de la loi et comment la mettre à profit ? Il n’y a pas longtemps, le Gouvernement a pu s’appuyer sur une recommandation en équité que nous avions faite pour indemniser des familles dont la réclamation n’était plus recevable du fait du dépassement des délais.

Avant la disparition de Philippe Séguin, nous travaillions avec lui pour faire en sorte qu’une recommandation en équité, qui consiste à interpréter la loi, n’engage pas la responsabilité de celui qui l’a décidée par rapport à sa hiérarchie, à la Cour des comptes ou la Cour de discipline budgétaire et financière, c’est-à-dire de concilier recommandation en équité, limite du pouvoir de celle-ci et exonération de responsabilité de celui qui la prend.

Troisième constat : il est important de poser une exigence de délai pour les réponses des administrations et de prévoir une sanction lorsque les délais – de réponse ou, plus généralement, de non-réponse – sont exagérément longs. La longueur des délais nous frustre actuellement et nous sommes parfois obligés de nous déplacer au sein des administrations pour obtenir réponse à nos demandes.

Je ne me suis servi qu’une seule fois de mon pouvoir d’injonction. Cinq administrations de l’État étaient condamnées par la Cour européenne à verser deux millions d’euros. Or aucune ne voulait payer. Quand la Cour européenne les a condamnées, l’année suivante, à payer 200 000 euros d’intérêts moratoires, j’ai saisi le Premier ministre et l’affaire a été réglée en vingt-quatre heures.

Je fais partie de ceux qui pensent que le Médiateur de la République – et demain le Défenseur des droits – doit bénéficier d’un magistère d’influence. Mais qui dit pouvoir d’exécution, dit possibilité de contestation de ce pouvoir et de recours contre lui, ce qui fait perdre au Défenseur des droits son indépendance. Il y a là une contradiction à laquelle vous devrez réfléchir lorsque vous examinerez le projet de loi.

Nous avons actuellement des difficultés à suivre les dossiers en cas de changement d’adresse et à établir des connexions entre eux. La décentralisation est un formidable facteur d’accélération de l’amélioration de la qualité des services publics mais, lorsqu’une personne doit changer de département pour des raisons de travail ou de divorce, la connexion des dossiers relève souvent du parcours du combattant, et cela vaut encore plus pour les transfrontaliers.

La médiation est « réussie » quand les deux parties parviennent à un accord. Nous traitons 50 % des dossiers que nous recevons et, sur ce nombre, 80 % des médiations sont réussies.

Telles sont les réponses que je voulais apporter, de façon concise, aux questions qui m’ont été posées. Je reste à votre disposition. Je me réjouis de la relation très efficace et très proche qui existe entre nous et la commission des lois, ses membres et son président.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous vous remercions, monsieur le Médiateur.

La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Abdoulatifou Aly, Mme Delphine Batho, M. François Bayrou, M. Étienne Blanc, M. Claude Bodin, M. Marcel Bonnot, M. Gilles Bourdouleix, M. Alain Cacheux, M. Jean-Michel Clément, M. François Deluga, M. Éric Diard, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Paul Garraud, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Michel Hunault, M. Sébastien Huyghe, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Noël Mamère, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, M. Yves Nicolin, Mme George Pau-Langevin, M. Dominique Perben, M. Didier Quentin, M. Jean-Jack Queyranne, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Jean-Pierre Schosteck, M. Georges Siffredi, M. Éric Straumann, M. Pascal Terrasse, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. André Vallini, M. Manuel Valls, M. Christian Vanneste, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Alain Vidalies, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Brigitte Barèges, M. Éric Ciotti, M. Bernard Derosier, M. Guy Geoffroy, M. Charles-Ange Ginesy, Mme Marietta Karamanli, M. Jacques Valax, M. Michel Vaxès

Assistaient également à la réunion. - Mme Geneviève Gaillard, M. Max Roustan, Mme Marie-Jo Zimmermann