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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 8 septembre 2010

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 85

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, sur le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (n° 2400) (M. Thierry Mariani, rapporteur)

La séance est ouverte à 14 heures 30.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, sur le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (n° 2400) (M. Thierry Mariani, rapporteur).

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le ministre, nous avons le plaisir de vous accueillir pour la première fois à la commission des lois, à l’occasion de la présentation du projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité dont vous êtes chargé de soutenir la discussion. Il s’agit de sujets sensibles, qui ont occupé une place notable dans l’actualité cet été et je vous demanderai, au-delà d’une simple présentation du texte, d’évoquer trois points dès votre propos introductif.

Tout d’abord, la politique que conduit le Gouvernement vis-à-vis des Roms. Quelles règles – nationales ou européennes – appliquez-vous ? Où en sont les discussions avec les pays intéressés ? Le Gouvernement envisage-t-il une modification de la loi actuelle ?

Ensuite, les dispositions du projet relatives aux procédures contentieuses d’éloignement, à l’allongement de la durée de rétention administrative, à la création de zones d’attente et à la mise en place de la carte bleue européenne.

Enfin, les amendements, dont la presse s’est faite l’écho depuis quelques jours, susceptibles d’être présentés sur ce texte. Quelles sont les intentions du Gouvernement, s’agissant notamment de la déchéance de la nationalité française, quelle efficacité peut-on en attendre et quelles garanties constitutionnelles avez-vous prises ?

M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, faute évidemment de pouvoir, lors de cette intervention liminaire, présenter toutes les dispositions du projet de loi, je m’efforcerai de vous en exposer la philosophie générale et les éléments saillants, tout en apportant des précisions, comme vous le souhaitez, monsieur le président, sur quelques amendements que le Gouvernement entend proposer.

La France reste une terre d’accueil de l’immigration. Elle continue à délivrer chaque année plus de 180 000 titres de long séjour. Elle est désormais au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis, pour l’accueil des réfugiés – nous sommes donc maintenant devant le Canada. Dans le même temps, la France doit rester une terre d’intégration. Car notre cohésion nationale ne s’est pas construite par la juxtaposition de communautés. Dans la conception française de la nation, tout ressortissant étranger qui s’établit en France a vocation à s’intégrer, puis à s’assimiler, et donc à terme et sous conditions, à devenir Français.

Dans le cadre du débat sur l’identité nationale ouvert l’an passé, le séminaire gouvernemental présidé par le Premier ministre le 8 février 2010 a conclu à la nécessité de renforcer nos politiques d’intégration des immigrés qui s’établissent en France. C’est pourquoi le projet de loi conditionne tout d’abord l’accès à la nationalité française à la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen.

Le projet de loi vise à faire de l’adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République, et non plus de la seule connaissance des droits et devoirs conférés par la nationalité française, un élément d’appréciation de l’assimilation du postulant à l’acquisition de la nationalité française. Cette adhésion sera formalisée par la signature, au cours de l’entretien d’assimilation conduit en préfecture, d’une charte des droits et devoirs du citoyen. La charte sera remise au cours de la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française, à tous les nouveaux Français, quel que soit le mode d’acquisition de la nationalité – naturalisation, mariage, naissance en France de parents étrangers, etc.

C’est aussi pourquoi le Gouvernement déposera une proposition d’amendement étendant les motifs de la procédure de déchéance de nationalité aux personnes ayant porté atteinte à la vie d’une personne dépositaire de l’autorité publique, en particulier, comme l’avait annoncé à Grenoble le Président de la République, les policiers et les gendarmes.

Des actes d’une gravité sans précédent ont été récemment commis, avec la prise à partie de forces de l’ordre par des assaillants, l’utilisation d’armes de guerre, et l’intention de tuer des agents au seul motif qu’ils exercent la mission première de l’État : assurer le respect de l’État de droit. D’autres policiers ont fait l’objet de menaces de mort.

L’article 25 du code civil précise, depuis la loi du 22 juillet 1996, qu’un individu peut, après avis conforme du Conseil d’État, et dans un délai de dix ans suivant son accession à la nationalité française, être déchu de la nationalité « s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ».

Dans l’objectif de protéger l’autorité de l’État, le Gouvernement souhaite que la procédure de déchéance de nationalité prévue à l’article 25 du code civil soit étendue aux personnes qui, dans un délai de dix ans suivant leur accession à la nationalité française, portent atteinte à la vie d’une personne dépositaire de l’autorité publique, en particulier un policier ou un gendarme, un magistrat, etc.

Cet amendement respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision validant l’extension des motifs de déchéance opérée en 1996, celui-ci a jugé que ce principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit » et que le législateur « peut, compte tenu de l’objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l’autorité administrative, de déchoir de la nationalité française ceux qui l’ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d’égalité ».

L’objectif de l’amendement est de lutter contre les atteintes aux intérêts essentiels de l’État, c’est-à-dire à la vie de ses agents. Les actes portant atteinte à la vie d’une personne dépositaire de l’autorité publique, par leur nature et par leur gravité, peuvent être rapprochés des « atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation » et des « actes de terrorisme » auxquels l’article 25 du code civil fait d’ores et déjà référence.

Cet amendement maintient les motifs de déchéance bien en deçà de ce qu’ils étaient depuis 1945 et jusqu’à la loi du 16 mars 1998. L’article 98 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité prévoyait ainsi la déchéance pour l’étranger « condamné en France ou à l’étranger pour un acte qualifié crime par la loi française et ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement. » Rien n’indique que le Conseil constitutionnel validerait un amendement revenant au texte de 1945, et mon pronostic est plutôt réservé sur ce point.

La France participe par ailleurs à la construction progressive d’une politique européenne de l’immigration et de l’asile, complément indispensable du grand espace de libre circulation issu des accords de Schengen. Elle est à l’origine du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité par l’ensemble des États membres de l’Union européenne le 16 octobre 2008 et négocié par mon prédécesseur.

Trois directives européennes ont été adoptées par la suite, qui créent un cadre juridique global et harmonisé pour une politique européenne de l’immigration, dont le projet de loi assure la transposition en droit français.

La première directive transposée par ce projet de loi est celle du 25 mai 2009 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, dite « directive carte bleue ». En application de cette directive, le projet de loi met en place le premier titre de séjour européen, ouvrant le même droit au séjour et au travail dans l’ensemble des 27 États membres de l’Union européenne, pour les travailleurs hautement qualifiés (au minimum, diplôme bac +3, ou justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans). Est-ce une directive « élitiste » ? Certes, puisqu’il s’agit d’immigration choisie, mais il faut remarquer qu’une part importante des ressortissants étrangers qui entrent et séjournent aujourd’hui en France remplit d’ores et déjà les critères de formation et d’expérience professionnelle conditionnant la délivrance de ce titre de séjour européen. En 2009, plus de 25 % des ressortissants étrangers autorisés à entrer et séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois étaient titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

La deuxième directive transposée par ce projet de loi est celle du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à rencontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite « directive sanctions ». L’objectif est de lutter contre ceux qui exploitent l’immigration irrégulière. En application de cette directive, le projet de loi met en place un ensemble de sanctions administratives, financières et pénales contre les personnes physiques ou morales qui recourent sciemment, directement ou indirectement, à l’emploi d’étrangers sans titre de séjour.

Le projet de loi oblige les employeurs à tenir, au moins pendant la durée de la période d’emploi, une copie de l’autorisation de séjour à la disposition des autorités compétentes. L’arsenal de sanctions administratives qu’il met en place est très dissuasif. L’autorité administrative pourra, en cas d’emploi d’étrangers en situation irrégulière, rendre les employeurs inéligibles aux appels d’offres nationaux et européens, pendant une durée maximale de six mois ; rendre les employeurs inéligibles aux aides publiques nationales et européennes en matière d’emploi, de formation professionnelle et de culture, pendant une durée maximale de cinq ans ; imposer aux employeurs le remboursement des aides publiques reçues l’année précédant l’infraction relevée, en matière d’emploi et de formation professionnelle ; ordonner par décision motivée la fermeture d’un établissement, à titre provisoire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Les modalités de cette fermeture, qui pourra s’accompagner de la saisie à titre conservatoire du matériel professionnel des contrevenants, seront fixées par décret en Conseil d’État. En tout état de cause, cette décision de fermeture administrative d’un établissement sera proportionnée à l’ampleur des faits constatés.

Le projet de loi responsabilise les donneurs d’ordre. Il prévoit que tout maître d’ouvrage informé par écrit – par un agent de contrôle, par un syndicat ou par une association professionnelle ou par une institution représentative du personnel – de l’intervention d’un sous-traitant en situation irrégulière au regard de l’emploi d’étranger sans titre de séjour, doit enjoindre aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation. À défaut, il est tenu, ainsi que son cocontractant, solidairement avec le sous-traitant employant l’étranger sans titre, au paiement des impôts, taxes, cotisations, ainsi que des rémunérations et charges, contributions et frais. La responsabilité solidaire des maîtres d’ouvrage est l’un des points les plus importants de ce texte.

La troisième directive transposée par le projet de loi est celle du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite « directive retour ». En application de cette dernière, le projet de loi ouvre la possibilité pour l’autorité administrative d’assortir sa décision d’éloignement d’une « interdiction de retour sur l’ensemble du territoire européen » d’une durée de trois ans, pouvant être portée dans certains cas à cinq ans. Tout étranger ne respectant pas le délai de départ volontaire – un mois –, qui lui a été accordé, pourra se voir infliger cette interdiction de retour sur le territoire des 27 États membres de l’Union européenne.

La procédure de l’interdiction de retour est entourée de plusieurs garanties : elle n’est pas automatique – le préfet peut la prendre dans certains cas, par exemple le non-respect du délai de retour volontaire, mais il n’y est jamais obligé ; elle est modulable et proportionnée – la loi pose le principe selon lequel il sera tenu compte de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France ; elle est abrogée automatiquement si l’étranger respecte le délai qui lui est accordé pour quitter volontairement le territoire.

Enfin, nos efforts d’intégration de l’immigration légale et de lutte contre l’immigration illégale seront vains si nos procédures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière restent aussi peu efficaces. Quelques chiffres devraient nous faire réfléchir : sur 96 109 ressortissants étrangers en situation irrégulière interpellés en 2009 en France métropolitaine, 85 101 ont fait l’objet d’une décision d’éloignement – à la suite d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, APRF, ou d’une obligation de quitter le territoire français, OQTF – et 29 288 seulement ont été effectivement reconduits dans leur pays d’origine, de manière volontaire – 8 268 – ou contrainte – 21 020. Le taux d’échec des décisions d’éloignement dépasse donc 75 %. Afin d’améliorer l’efficacité des procédures d’éloignement, le projet de loi s’inspire des conclusions du rapport de la commission présidée par Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, remis le 11 juillet 2008.

La première mesure visant à renforcer l’efficacité de nos procédures d’éloignement consiste à mieux articuler l’intervention du juge administratif et du juge judiciaire. En France, deux juges interviennent dans la procédure d’éloignement, en cas de placement en rétention : le juge administratif, doit être saisi dans les 48 heures, et dispose d’un délai de 72 heures pour se prononcer ; le juge judiciaire doit pour sa part être saisi et statuer dans un délai de 48 heures. Cette situation soulève d’importantes difficultés.

Comme le rapport Mazeaud l’a souligné, le délai de 48 heures imparti au juge judiciaire est trop court, et aboutit « à l’enchevêtrement des procédures judiciaire et administrative », cause d’insécurité juridique.

L’administration a une double tâche à remplir dans un délai extrêmement court, car elle doit conduire deux procédures juridictionnelles en parallèle – escorte, présentation, défense. L’étranger est transporté dans des délais très courts en plusieurs endroits différents. Surtout, les décisions juridictionnelles rendues peuvent être contradictoires : si le juge des libertés et de la détention – JLD – refuse la prolongation du maintien en rétention au-delà de 48 heures sur le fondement de l’illégalité de la mesure administrative de reconduite et remet ainsi le retenu en liberté, alors que le tribunal administratif, dans le délai de cinq jours, confirme la légalité de la mesure ; ou inversement, si le JLD autorise la prolongation du maintien en rétention au-delà de 48 heures, sur le fondement de la légalité de la mesure administrative de reconduite, mais que le tribunal administratif, intervenant après cinq jours de rétention, annule cette mesure.

Le rapport de la commission présidée par Pierre Mazeaud concluait ainsi que « la précipitation actuelle est excessive et nuit à la fois à la justice, dont elle mobilise abusivement les membres : juge, personnel de greffe, personnels de sécurité, à la mise en œuvre de la politique des pouvoirs publics, dont les demandes sont examinées dans des conditions exécrables, et aux étrangers eux-mêmes qui, levés à l’aube, attendent interminablement dans les salles du TGI, sans confort et dans la promiscuité. »

Le projet de loi prévoit un délai de 48 heures pour saisir le juge administratif, puis un délai de 72 heures accordé au juge administratif pour statuer, puis un délai de 24 heures accordé au juge judiciaire pour statuer. Cet enchaînement résulte de plusieurs nécessités incontournables.

Le délai de 48 heures pour saisir le juge administratif est indispensable pour permettre à la personne placée en rétention et aux personnes qui l’assistent dans l’exercice de ses droits, de prendre connaissance de l’ensemble du dossier et de préparer la procédure contentieuse.

Les concertations avec les associations de magistrats administratifs et le Conseil d’État ont abouti à la fixation d’un délai de 72 heures, indispensable pour permettre au juge administratif de se prononcer sur la légalité des six décisions pouvant désormais viser la personne placée en rétention : décision de refus de titre de séjour, décision d’éloignement, décision de refus du délai de départ volontaire, décision fixant le pays de renvoi, décision d’interdiction de retour sur le territoire européen, décision de placement en rétention.

Le délai de cinq jours pour l’intervention du juge judiciaire, après celle du juge administratif, n’exprime aucune défiance à l’égard du juge judiciaire. Le juge administratif est le juge naturel de la légalité des décisions administratives. Le juge judiciaire doit statuer sur le maintien en rétention. Et le juge administratif n’est pas moins protecteur des libertés que le juge judiciaire. La Cour de Cassation a d’ailleurs jugé que seul le juge administratif pouvait connaître de la légalité de la décision administrative de placement en rétention, le JLD ne devant intervenir qu’au stade de la prolongation.

Ce délai ne réduit pas l’étendue du contrôle juridictionnel. Rien ne permet de présager de la jurisprudence de la juridiction administrative, notamment dans le cadre du référé liberté en cas « d’atteinte grave et manifestement illégale » à la liberté individuelle. Le référé liberté pourra être appliqué dans le cadre de cette procédure.

Surtout, ce délai ne porte pas atteinte à la possibilité, pour l’étranger en situation irrégulière visé par une mesure d’éloignement, de déposer un recours suspensif contre cette décision. Contrairement à ce qu’ont avancé des associations ou des élus, ce délai étant suspensif, on ne pourra pas profiter de ces cinq jours – je le dis solennellement devant votre Commission – pour recourir à la reconduite forcée de l’étranger sans que ce dernier ait pu faire valoir ses droits.

Enfin, ce délai répond à un objectif de valeur constitutionnelle : l’amélioration du fonctionnement de la justice. Il est proche de durées déjà validées par le Conseil constitutionnel, comme le délai de quatre jours de maintien en zone d’attente avant l’intervention du juge judiciaire, prévu par la loi du 20 novembre 2007.

La deuxième mesure visant à améliorer l’efficacité de nos procédures d’éloignement est l’allongement de la durée maximale de rétention administrative, afin de faciliter l’obtention des laissez-passer consulaires. Afin de permettre la délivrance du laissez-passer consulaire dans le délai nécessaire, le projet de loi porte la durée maximale de rétention administrative de 32 jours – soit 2 jours plus 30 jours, après une deuxième prolongation de 15 jours – à 45 jours – soit 5 jours plus 40 jours, après une deuxième prolongation de 20 jours. Un tel allongement est nécessaire, et même indispensable, pour faciliter la délivrance par les pays d’origine des laissez-passer consulaires. Il l’est également pour permettre la conclusion d’accords bilatéraux de réadmission. Ceux récemment conclus avec des pays sources d’immigration prévoient des délais de délivrance des laissez-passer consulaires proches de 30 jours. Or, ce délai court à partir de la présentation de la demande de laissez-passer, voire de la présentation de la personne devant le consulat, et n’intègre pas le délai inhérent à l’organisation matérielle de la reconduite.

Cet allongement est désormais nécessaire pour permettre la conclusion d’accords européens de réadmission, sachant que les négociations sont engagées depuis un an – pour un nombre croissant au niveau européen – avec de grands pays sources d’immigration de la France. Notre pays se trouve ainsi placé devant une contradiction entre sa volonté de favoriser la conclusion d’accords au niveau européen, et une durée de rétention très inférieure à celle des autres États membres de l’Union européenne. Le projet d’accord européen en cours de négociation avec la Turquie prévoit par exemple un délai de réponse aux demandes de réadmission de 25 jours, incompatible avec une durée maximale de rétention administrative de 32 jours. Le projet d’accord européen en cours de négociation avec le Vietnam s’oriente vers un délai de 30 jours, incompatible avec une durée maximale de rétention administrative de 32 jours.

J’appelle l’attention de votre Commission sur deux points majeurs : d’abord, cette durée restera très nettement inférieure à la durée maximale fixée par la directive communautaire, qui est de 6 mois, avec possibilité de 12 mois supplémentaires. De nombreux pays vont devoir passer de 12, 18 ou 24 mois, à six mois. Alors que la France, qui est le pays dont le délai de rétention administrative est le plus court, passera de 32 à 45 jours.

Ensuite, la France reste, et restera si le Parlement en décide ainsi, le pays européen dont la durée maximale de rétention est, de loin, la plus courte. Elle est aujourd’hui de 60 jours au Portugal et en Espagne de six mois aux Pays-Bas, en Autriche ou en Hongrie, de huit mois en Belgique, de 18 mois en Allemagne, de 24 mois en Suisse et illimitée au Royaume-Uni. L’écart de la France par rapport aux autres pays européens tend même à s’accroître. Deux partenaires essentiels de la France pour la lutte contre les filières d’immigration irrégulière, l’Espagne et l’Italie, ont récemment accru la durée maximale de rétention administrative : l’Espagne de 40 jours à 60 jours, par la loi du 11 décembre 2009 ; l’Italie de deux à six mois par la loi du 2 juillet 2009.

Une troisième mesure vise à améliorer l’efficacité de nos procédures d’éloignement : la création d’un dispositif d’urgence adapté aux afflux d’étrangers en situation irrégulière en dehors des points de passage frontaliers.

Le préfet pourra créer une zone d’attente temporaire, qui relie les lieux de découverte d’un groupe de migrants au point de passage frontalier, où sont normalement effectués les contrôles des personnes. Pour recourir à cette disposition, il sera nécessaire d’établir que le groupe d’étrangers contrôlés vient manifestement de franchir la frontière en dehors d’un point de contrôle.

L’affaire des 123 ressortissants kurdes – ou plutôt Syriens – arrivés sur les plages de Bonifacio le 22 janvier 2010 a une nouvelle fois révélé une faiblesse de notre législation, justement sanctionnée par les juges : lorsque de nombreux ressortissants étrangers se présentent à notre frontière en dehors de tout point de passage, les autorités judiciaires et administratives se trouvent – compte tenu de la difficulté à réunir, dans des délais suffisamment courts, interprètes, avocats et médecins – dans l’impossibilité, pour les premières, d’organiser l’interpellation et la garde à vue de ces personnes, et, pour les secondes, de les maintenir sous un quelconque régime de contrôle administratif. Ces personnes peuvent se retrouver libres à l’intérieur de l’espace Schengen. C’est ce qui s’est passé pour plusieurs d’entre elles. Le régime juridique applicable à la zone d’attente temporaire sera identique à celui de la zone d’attente permanente, créé par loi du 6 juillet 1992. Il ne s’agit donc pas d’une législation d’exception. Enfin, des mesures supplémentaires seront ajoutées. Le Gouvernement déposera trois amendements facilitant ces éloignements, y compris, dans certaines circonstances, lorsqu’ils concernent des ressortissants de l’Union européenne

Les ressortissants européens ne jouissent pas d’une liberté de séjour sans limite au sein de l’Union européenne – liberté de circulation ne signifie pas liberté d’installation. Des limites sont fixées par la directive communautaire du 29 avril 2004 : pour les séjours de moins de trois mois, ils ne doivent pas menacer l’ordre public ou constituer une charge déraisonnable pour notre système d’assistance sociale ; pour les séjours de plus de trois mois, ils doivent disposer d’un emploi ou de ressources suffisantes.

Un premier amendement vous sera proposé, qui permettra de sanctionner par une obligation de quitter le territoire français ceux qui abusent du droit au court séjour par des allers-retours successifs, afin de contourner les règles plus strictes du long séjour.

Un deuxième amendement permettra la reconduite dans leurs pays d’origine des personnes qui représentent une charge déraisonnable pour notre système d’assistance sociale.

Un troisième amendement élargira les possibilités de prendre des arrêtés de reconduite à la frontière pour menace à l’ordre public, à l’occasion d’actes répétés de vols ou de mendicité agressive.

Mesdames et messieurs les députés, avec ce projet de loi, nous contribuons à la mise en place d’une politique française d’immigration et d’intégration équilibrée, juste et ferme, assurant à la fois la maîtrise de l’immigration et l’intégration effective des migrants. Avec ce projet de loi, nous respectons les engagements souscrits par le Président de la République devant les Français, et l’une des priorités de l’action du Gouvernement.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Monsieur le ministre, l’importance du projet de loi tient à ce qu’il reflète l’engagement de la France à promouvoir une politique européenne commune en matière d’immigration, puisqu’il permet la transposition de trois directives essentielles dans le domaine. Mais au-delà d’un simple exercice de transposition, le texte traduit des choix politiques propres à la France, lesquels sont constants depuis 2002.

Il en va ainsi des mesures relatives au droit de la nationalité et au contrat d’accueil et d’intégration, qui s’inscrivent dans le prolongement des conclusions du débat sur l’identité nationale, et qui visent à donner une plus large importance à l’implication personnelle des étrangers qui séjournent en France ou qui aspirent à devenir Français dans le processus d’intégration que leur propose la République et, in fine, de naturalisation.

Tel est également le cas de la réforme du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. La transposition de la « directive retour » contraignant notre pays à une réforme de ses procédures, il y avait là une bonne occasion de simplifier un contentieux excessivement complexe, caractérisé par un enchevêtrement des compétences des juges administratifs et judiciaires, mis notamment en avant par le rapport de la commission sur le cadre constitutionnel de la politique d’immigration, présidée par Pierre Mazeaud.

S’agissant de la nationalité, le projet de loi réduit à deux ans la durée de stage exigée des étrangers candidats à la naturalisation qui satisfont manifestement à la condition d’assimilation posée par l’article 21-24 du code civil. Quel usage entendez-vous faire de cette nouvelle procédure dérogatoire du droit commun ? Combien de cas cela devrait-il représenter annuellement ? À titre de comparaison, combien d’étrangers entrant dans les deux autres cas de figure prévus à l’article 21-18 du code civil – services importants rendus à la France et études supérieures en France –, pour lesquels la durée de stage est également fixée à deux ans, sont naturalisés chaque année ? Cette disposition ne vous apparaît-elle pas quelque peu incohérente avec la durée de stage des conjoints de Français – quatre ans s’ils résident en France et cinq ans s’ils résident à l’étranger –, qui présentent bien souvent les mêmes attributs d’assimilation ?

Par ailleurs, quel devrait être le contenu de la charte des droits et devoirs du citoyen français, instituée à l’article 21-24 du code civil ? En 1993, le législateur avait institué une obligation de manifestation de volonté pour l’acquisition de la nationalité française, supprimée en 1998. Ne faudrait-il pas aller au bout de la logique en rétablissant cette manifestation de volonté, afin que l’on ne puisse pas devenir Français sans le vouloir ni sans le savoir ?

Le 30 juillet dernier, le Président de la République a souhaité que l’article 25 du code civil soit modifié afin de compléter les cas de déchéance de nationalité en incluant les personnes qui portent atteinte à la vie des dépositaires de l’autorité publique. Cette démarche semble compatible avec les exigences de la Constitution, sous réserve de certaines précautions juridiques auxquelles le Conseil Constitutionnel veillera. Pour ma part, j’inclinerais davantage vers un retour au dispositif qui prévalait avant 1998 et qui concernait les personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de dix ans, condamnées en France ou à l’étranger à au moins cinq ans d’emprisonnement. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont vous ont conduit à préférer une solution visant les seules personnes portant atteinte à la vie de personnes dépositaires de l’autorité publique ?

Une mission d’expertise, annoncée récemment par le Président de la République, devrait par ailleurs examiner les conditions d’une extension de la procédure d’opposition à l’acquisition de la nationalité aux mineurs condamnés à de la prison. Le Parlement sera-t-il associé à ses travaux et sous quelle forme ? Quand cette mission doit-elle rendre ses conclusions ? Elles pourraient, le cas échéant, être reprises dans le projet de loi.

S’agissant des procédures et contentieux de l’éloignement, le texte tire les conséquences des difficultés apparues lors du débarquement en Corse du Sud, en janvier dernier, de 123 étrangers en condition irrégulière, en modifiant les conditions de création des zones d’attente, afin de pouvoir instituer une telle zone à proximité du lieu de débarquement présumé des migrants. Même si ce type de situations est très rare, il est manifeste qu’elles posent des problèmes juridiques et pratiques conséquents. Pensez-vous que la mesure proposée sera réellement efficace pour y répondre ?

Le projet de loi assure la transposition de la « directive retour » qui instaure notamment une interdiction d’entrée, valable sur l’ensemble du territoire européen. Le Gouvernement a fait le choix de laisser une large marge d’appréciation à l’administration pour décider d’appliquer ou non cette mesure à l’égard des étrangers en instance d’éloignement, alors que la directive distingue les cas où « les décisions de retour sont assorties d’une interdiction » de retour, des cas où les décisions de retour « peuvent être » assorties d’une interdiction de retour. Ne risque-t-on pas d’atténuer l’effet de cette mesure et, en fait, de ne pas assurer strictement les dispositions de la directive ?

Le projet de loi réforme sensiblement les procédures d’éloignement en inversant notamment l’ordre d’intervention des juges judiciaire et administratif. Désormais, le juge administratif se prononcera d’abord, notamment sur la légalité de la rétention, et le juge judiciaire n’interviendra plus qu’au bout d’un délai de cinq jours, contre 48 heures actuellement. Ce nouveau délai a fait naître des interrogations sur la constitutionnalité de la mesure, notamment au regard de l’article 66 de la Constitution. En quoi la nouvelle procédure est-elle susceptible de contribuer à l’objectif de bonne administration de la justice, lequel a également valeur constitutionnelle ?

Sur la durée de rétention, je laisserai mon collègue Éric Diard vous interroger. Je terminerai par trois brèves questions sur la transposition de la directive 2009-1952/CE dite « directive sanction » :

Pouvez-vous nous préciser les derniers résultats obtenus en matière de lutte contre l’emploi d’étrangers sans titre – année 2009 et 1er semestre 2010 : nombre de contrôles effectués, d’employeurs mis en cause, de salariés en situation irrégulière mis à jour, et des éloignements qui en ont résulté ? Au regard du travail dissimulé, quelle proportion représente cette infraction ?

Le Gouvernement a-t-il évalué le coût, pour les organismes de sécurité sociale et pour les finances publiques, de l’emploi d’étrangers sans titre ?

Enfin, les employeurs et les organisations syndicales s’accordent à dire qu’il convient de différencier les sanctions infligées aux employeurs d’étrangers sans titre selon qu’ils exploitent des immigrants en situation irrégulière ou les emploient à leur insu, notamment du fait de fraudes documentaires. Le Gouvernement est-il ouvert à cette perspective ? Quelles avancées peut-on attendre sur ce point lors de la discussion parlementaire ?

M. le ministre. Je reviendrai d’abord sur les questions relatives à la nationalité et sur la proposition qui vous est faite de réduire à deux ans la durée du stage exigé des étrangers candidats à la naturalisation, lorsque la condition d’assimilation est manifestement réunie. S’agit-il d’une mesure générale visant à réduire le délai nécessaire pour accéder à la nationalité française ? La réponse est très clairement « non » : nous ne visons que des cas exceptionnels.

Ce type de disposition existe déjà en droit français sur proposition tant du ministre de la défense – pour les étrangers engagés dans l’armée française et blessés en mission, soit moins de cinq cas par an – que du ministre des affaires étrangères – pour les étrangers qui contribuent au rayonnement de la France et à la prospérité de ses relations économiques internationales, ce qui représente une douzaine de cas par an. Nous n’avons pas l’intention de dépasser cet ordre de grandeur.

Mais il arrive très régulièrement, souvent sur intervention de députés, que l’on nous demande d’accélérer la procédure de naturalisation par exemple d’un chercheur qui vit en France et qui est détenteur d’un brevet particulièrement important, ou encore de sportifs que leur fédération veut voir participer à des manifestations internationales telles que les Jeux Olympiques ou les championnats du monde. La loi ne le permet pas aujourd’hui et mes services ont du mal à trouver des solutions pour y parvenir. Il vous est donc proposé de bien vouloir accorder au ministre en charge de cette question la possibilité de réduire légalement la durée du stage exigé de certains étrangers, dont le nombre ne saurait excéder la dizaine, voire la vingtaine de cas par an.

Concernant le nombre de personnes concernées par l’alinéa 1er de l’article 21-18 du code civil, je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre précis : d’une part, il n’existe pas de comptabilité spécifique de ces catégories ; d’autre part, dans les faits, la durée de stage est souvent supérieure ou égale à la durée de droit commun de cinq ans. Quoi qu’il en soit, le régime spécial de naturalisation avec réduction de stage à deux ans sur proposition du ministre, pour celui qui a rendu ou qui peut rendre, par ses capacités ou ses talents, des services importants à la France, ne concerne que très peu de personnes par an. Pour autant, si vous le souhaitez, nous sommes disposés à étudier plus précisément les conditions de mise en œuvre de cette procédure.

Vous vous êtes interrogé sur la cohérence des durées de stage dans les cas de naturalisation ou d’acquisition de la nationalité par déclaration sur le fondement du mariage avec un ressortissant français. J’observe que la durée de quatre ans, exigée des souscripteurs d’une déclaration de nationalité à raison du mariage avec un conjoint de nationalité française, n’est pas un stage, mais une durée visant à vérifier l’effectivité de la communauté de vie qui permet au demandeur d’acquérir la qualité de Français. La communauté de vie est liée à la situation maritale, pas à la résidence en France. Par ailleurs, rien n’interdit à un conjoint de Français de solliciter une naturalisation s’il en remplit les conditions légales. Le fondement de son acquisition de la nationalité ne sera donc pas, dans ce cas, le mariage.

S’agissant du contenu de la charte des droits et des devoirs du citoyen français, celui-ci sera défini par décret en Conseil d’État. J’imagine que nous y reviendrons lors de la discussion en Commission puis dans l’hémicycle, mais je peux d’ores et déjà préciser que, notamment, tant la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » que les notions de laïcité et d’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que l’obligation de loyauté de tout citoyen français envers la France y figureront, la personne souhaitant acquérir la nationalité française devant s’engager dans le même temps à respecter les lois et les coutumes propres à la nationalité française.

Vous avez évoqué l’obligation de manifester la volonté d’acquérir la nationalité française. Nous aurons sans doute l’occasion de revenir en particulier sur ce qu’avait institué la loi du 22 juillet 1993. Pour autant, l’obligation d’une manifestation de volonté à seize ans suppose de supprimer la possibilité d’accéder à la nationalité française par déclaration anticipée à l’âge de treize ans. De fait, sur les 30 000 mineurs étrangers qui accèdent chaque année à la nationalité française, 20 000 le font par déclaration anticipée – par l’intermédiaire des parents – entre treize ans et seize ans ; d’autres, 7 000, par déclaration entre seize et dix-huit ans ; les 3 000 autres y accèdent par acquisition automatique à l’âge de dix-huit ans.

Contrairement à ce que l’on entend ici ou là, la manifestation de volonté ne me semble pas, sur le plan des principes, contraire à notre esprit républicain. Que quelqu’un qui veut acquérir la nationalité française dise expressément qu’il le souhaite n’a en soit rien de choquant. Mais comment prendre en compte cette manifestation de volonté sans paraître remettre en cause le droit du sol ? L’équilibre est délicat à trouver. C’est pourquoi le Président de la République nommera prochainement une personnalité qui devrait créer une commission et procéder à des auditions – auxquelles le Parlement sera largement associé. Il lui reviendra de formuler des propositions tenant compte à la fois de votre souhait et des propos tenus à Grenoble par le Président de la République sur la non-acquisition automatique de la nationalité française par des enfants nés de parents étrangers sur le sol français et qui seraient, par hypothèse, des délinquants multirécidivistes. Pour traiter de toutes ces questions, nous avons en effet besoin de recul.

Concernant la déchéance de la nationalité, vous avez rappelé la législation antérieure à 1998. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes liés par la décision du 16 juillet 1996 du Conseil constitutionnel, qui a très expressément limité les possibilités de déchéance à des actes dont la nature et la gravité sont particulières.

L’objectif de l’amendement qui vous a été soumis est de lutter contre les atteintes aux intérêts essentiels de l’État. Mais je ne suis pas sûr que l’ensemble des actes qui ont donné lieu à des condamnations et à des peines de plus de cinq années d’emprisonnement puissent tous être considérés aujourd’hui par le juge constitutionnel comme des atteintes aux intérêts fondamentaux de l’État – aussi odieux fussent-ils.

Par ailleurs, selon l’article 7 de la Convention européenne sur la nationalité, adoptée par le Conseil de l’Europe le 6 novembre 1997, signée mais non ratifiée par la France, un État partie peut inscrire dans son droit interne la perte de nationalité de plein droit ou à son initiative dans le cas d’un « comportement portant un préjudice grave [à ses] intérêts essentiels ». La notion d’atteinte aux intérêts essentiels de l’État semble donc fondatrice, aussi bien pour le droit européen que pour la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle s’impose à nous.

On aurait en effet pu étendre, comme j’ai été tenté de le faire, le décret d’opposition à l’acquisition automatique de la nationalité aux individus condamnés à des peines de prison avant l’âge de dix-huit ans. Un tel décret est possible pour les conjoints de Français ; le Premier ministre et moi-même en avons signé trois cette année : deux pour des personnes qui, lors de l’entretien d’assimilation, avaient déclaré qu’elles obligeraient leur épouse à porter le voile intégral ; un pour une personne qui avait explicitement dit qu’elle ne reconnaissait pas le principe de laïcité. Je note d’ailleurs que ces décrets n’ont pas été contestés.

En l’espèce, selon la loi française, l’acquisition de nationalité peut être demandée soit par les parents lorsque leur enfant a entre treize et seize ans, soit par ce dernier lorsqu’il a entre seize et dix-huit ans, de sorte que le décret n’aurait concerné que les mineurs n’ayant pas déposé de demande, autrement dit une part marginale. Nous vous proposerons donc une autre solution dans les mois qui viennent.

Vous m’avez également interrogé sur le débarquement de 123 étrangers en Corse du Sud. La meilleure réponse est évidemment la prévention au niveau européen, même si, contrairement à Malte, à Chypre, à la Grèce ou à l’Italie, la France n’est pas en première ligne. Via Frontex et avec nos partenaires, nous allons multiplier les patrouilles et renforcer la protection de nos frontières. Notre future législation nous permettra, je le crois, de traiter dignement les personnes qui se trouveraient dans la même situation que celles débarquées en Corse.

La directive de 2008 relative à l’interdiction d’entrée revêt en effet un caractère obligatoire, mais elle prévoit aussi que « les États membres peuvent s’abstenir d’imposer, peuvent lever ou peuvent suspendre une interdiction d’entrée, dans des cas particuliers, pour des raisons humanitaires ». Elle prévoit également que « les État membres peuvent lever ou suspendre une interdiction d’entrée, dans des cas particuliers ou certaines catégories de cas, pour d’autres raisons. » C’est la voie que nous avons choisie avec l’acceptation du retour volontaire. Nous veillons aussi à la conciliation de cette directive avec notre droit constitutionnel : je pense notamment à l’absence d’automaticité et au principe de proportionnalité. Les conditions de transposition que nous proposons nous paraissent donc respecter scrupuleusement la directive européenne et nos règles constitutionnelles.

S’agissant des procédures d’éloignement, j’ai disséqué les raisons des délais de 48 heures – pour la saisie du juge administratif – et de 72 heures – pour l’intervention du juge des libertés et de la détention. Il y va non seulement de la bonne administration de la justice, les gâchis en temps et en argent étant considérables, mais aussi de l’intérêt des étrangers eux-mêmes. L’avocat de la Cimade, lors du recours que celle-ci a formé contre le projet de partage du « marché de la rétention », a ainsi expliqué au Conseil d’État que seule une association spécialisée pouvait s’engager dans une telle procédure, compte tenu de la complexité du droit des étrangers ; or, selon ce même avocat, cette complexité tient notamment aux contradictions jurisprudentielles entre le juge administratif et le juge judiciaire.

Pour ce qui concerne la lutte contre l’emploi des étrangers sans titre et l’immigration irrégulière, notre outil statistique ne permet pas de donner des chiffres exacts, d’autant que de telles mesures sont matériellement difficiles. Nous avons néanmoins le sentiment que les entrées irrégulières sur notre sol ont diminué, comme l’atteste le nombre d’inscriptions – 215 000 environ – à l’aide médicale d’État à la fin de 2009. Ce n’est certes qu’une indication : Claude Goasguen estime ainsi que le système est parfois détourné ; des travaux sont en cours sur le sujet. En 2009, 3 558 procès-verbaux pour emploi d’étrangers sans autorisation de travail ont été dressés sur l’ensemble du territoire national, et 1 760 au premier semestre de 2010. On comptait par ailleurs 3 204 mises en cause en 2009 et 1 579 au premier semestre de 2010 et, pour les mêmes périodes, respectivement 3 115 et 1 645 étrangers employés sans autorisation de travail.

Nous pourrons aller plus loin sur les sanctions différenciées, mais entendons-nous bien : il ne s’agit pas de sanctionner un chef d’entreprise qui aurait employé un étranger sans titre à son insu, notamment en raison d’une fraude documentaire. Nous n’inversons pas la charge de la preuve : l’employeur est tenu, par la loi du 1er juillet 2008, de mettre à la disposition de l’administration la copie du titre de séjour, mais il ne lui appartient pas de montrer, le cas échéant, que ce document est un faux. Dans le projet de loi qui vous est soumis, tout a été fait pour que le préfet puisse apprécier la bonne foi de l’entrepreneur : la sanction est possible, elle n’est nullement automatique. Cela dit, ne tournons pas autour du pot : une personne qui, sur 100 employés, compte 99 étrangers en situation irrégulière qu’elle a fait venir par ses propres moyens et qu’elle héberge, aura du mal à faire croire à l’administration qu’elle découvre leur situation. Bref, le projet de loi répond à votre préoccupation ; mais si vous estimez que des précisions sont nécessaires, nous pourrons les apporter.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le ministre, l’adhésion aux principes et aux valeurs essentielles de la République vaut-elle seulement pour les candidats à la naturalisation ou pour tous les citoyens, à commencer par le garant de nos institutions qu’est le Président de la République ? L’article 1er de la Constitution ne dispose-t-il pas que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » ? À ce propos, je voudrais que vous m’expliquiez les conclusions du séminaire gouvernemental du 8 février 2010 sur l’identité nationale, qui faisait de la nationalité française un élément de la politique pénale.

Plus généralement, le projet de loi signe un échec flagrant : en matière d’immigration comme de sécurité, les textes se sont enchaînés ; on en est ainsi au sixième depuis 2002. Un tel prurit législatif marque l’échec de votre politique – vous avez vous-même fait état des résultats catastrophiques s’agissant des reconduites effectives à la frontière. Quand la gauche était aux responsabilités, plus de 60 % des reconduites étaient effectuées car l’État de droit était respecté : nous n’avions pas à contourner le juge des libertés et de la détention, comme vous tentez de le faire avec le texte, lequel tire prétexte de la transposition de trois directives.

Au moment de l’adoption de la dernière d’entre elles, la « directive retour », votre prédécesseur, M. Hortefeux, avait indiqué : « En France, il n’est pas question de modifier la durée maximale de la rétention », à savoir 32 jours en théorie et 12 jours en pratique. La parole d’un ministre devant la représentation nationale ne vaut visiblement pas grand-chose pour vous, puisque vous vous apprêtez à allonger la durée de la rétention, en contradiction avec tous les engagements pris.

« Le texte », déclarait-il également, « traite ensuite de l’interdiction de retour de cinq ans qui pourrait être opposée aux personnes reconduites. Avec mes collègues Kouchner et Jouyet, nous avons obtenu que cette durée puisse être diminuée voire supprimée. Je le dis sans détours : la France n’est pas favorable à des politiques de bannissement. » Est-ce la parole de la France et du Gouvernement qui a des valeurs différentes selon les périodes, ou les vérités qui changent d’un ministre à l’autre ? Mentir à la représentation nationale ou bafouer la signature de la France, cela relève-t-il à vos yeux de la haute trahison, voire de la déchéance de nationalité ?

Le 17 juin 2008, Brice Hortefeux déclarait : « La directive traite de la situation des enfants mineurs isolés sans papiers. Contrairement à certains pays, la France ne les renvoie pas dans leur pays d’origine. Le projet de directive vise à atténuer cette possibilité en exigeant des garanties mais, là non plus, cela ne change rien pour la France. » En réalité, la directive prévoit que la rétention ne soit pas obligatoire, que la liberté reste la règle et sa privation l’exception. Or, vous vous apprêtez à la rendre systématique et à en allonger la durée.

S’agissant des garanties procédurales, vous nous avez expliqué que, pour un étranger susceptible d’être éloigné, le recours serait suspensif. Pourtant, rien n’est apparemment prévu à ce sujet dans les articles du projet de loi.

La « directive retour » ne traite nullement des contentieux relatifs aux mesures d’éloignement : c’est le Gouvernement et lui seul qui, au prétexte de la transposer, entend bouleverser le système actuel de fond en comble. Je ne reviendrai pas sur vos chiffres, mais le fait est que le respect de l’État de droit donne de meilleurs résultats judiciaires pour l’administration : vous devriez vous interroger sur ce point. Les expulsions de groupes auxquelles nous avons assisté à la fin de l’été ont été emblématiques de l’irrespect des droits fondamentaux de chacun.

S’agissant des zones d’attente, en quoi sont-elles « temporaires », alors que le projet de loi ne dit rien de leur durée ? Qu’est-ce qui justifie, dans l’histoire récente, l’existence de ces dispositifs d’urgence, sinon l’arrivée, sur les rivages corses, d’un groupe important de Kurdes fuyant manifestement des persécutions ? Pourquoi ne vous saisissez-vous toujours pas de la « directive protection temporaire » qui accorde une protection et des droits à ces personnes, alors que vous avez tiré argument de la situation ?

Quant à la transposition de la « directive sanctions », je m’étonne que votre texte ne comporte aucune disposition claire pour lutter contre l’immigration irrégulière et le travail dissimulé. Le recours à une main-d’œuvre en situation d’extrême précarité est devenu structurel dans certains secteurs d’activité, et ce depuis de nombreuses années. Votre curiosité me semble bien sélective.

Par ailleurs, quelle valeur juridique accordez-vous à l’addendum au guide des bonnes pratiques, lui-même adjoint à la circulaire du 24 novembre 2009 ? Ce texte constitue la base pour la régularisation des travailleurs sans papiers, qui ont obtenu une ouverture le 18 juin dernier après deux années de grève. Pourquoi n’avez-vous pas saisi l’occasion de ce projet de loi pour énoncer des critères de régularisation clairs ? Ces régularisations s’effectuent aujourd’hui dans la plus complète opacité, selon l’appréciation discrétionnaire des préfets : d’un département à l’autre, des personnes dans la même situation sont régularisées et d’autres non. Est-il supportable que la délivrance des titres de séjour dans notre République se fasse à la tête du client ou en fonction des consignes du ministère ?

Vous prétendez lutter contre l’immigration clandestine. Mais quelles mesures réellement nouvelles proposez-vous ? Comment votre texte entend-il combattre la traite des êtres humains ? Il ne contient pas un seul article sur les trafiquants ou les filières mafieuses, qui pourtant existent bel et bien : pourquoi ne sont-elles pas sanctionnées pour ce qu’elles font, et non pour d’autres motifs ? Nous ferons des propositions sur ce point.

M. Étienne Blanc. Permettez-moi de saluer la clarté de votre exposé, monsieur le ministre. En ce domaine nous subissons en effet une exceptionnelle complexité du droit, du fait du chevauchement entre le droit judiciaire et le droit administratif, alors même que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État rappellent régulièrement que la lisibilité du droit est un principe à valeur constitutionnelle.

La lutte contre les personnes, morales et physiques, qui exploitent les étrangers en situation irrégulière est au cœur de votre texte. Les conditions de cette exploitation sont souvent indignes et privent les employés de toute protection sociale, par exemple en cas d’accident du travail. Pourriez-vous nous préciser les sanctions encourues par les particuliers et par les entreprises ? Je pense notamment aux fermetures d’établissement : comment ce dispositif fonctionnera-t-il ? À quels établissements pensez-vous et quelle sera la procédure suivie ?

Par ailleurs, nous vous interrogeons régulièrement sur les délais d’examen des demandes d’asile. Les dispositions nouvelles que nous avons prises ont-elles permis des progrès ? Les lenteurs, on le sait, génèrent souvent des difficultés. Que pourriez-vous nous proposer, le cas échéant, pour améliorer les choses ?

M. Manuel Aeschlimann. Pour répondre aux questions de certaines associations humanitaires sur les conditions d’exercice de leur mission lorsqu’elles portent assistance aux étrangers en situation irrégulière sur notre territoire, Mme la garde des Sceaux et vous-même avez précisé, par une circulaire du mois de novembre 2009, les conditions d’application de l’article L. 622-1 du CESEDA – code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Vous recommandez au parquet de ne pas engager de poursuites pénales sur le chef d’aide au séjour irrégulier à l’encontre des membres d’associations qui fournissent des prestations telles que des repas ou des hébergements lorsque l’acte visé n’a d’autre objectif que d’assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger en situation irrégulière. Ne pourrait-on, dans un souci de sécurité juridique, conférer une valeur législative à ces orientations qui, en l’état, restent de simples instructions ?

Question subsidiaire : une autre piste est-elle envisageable, par exemple en transposant plus efficacement la directive 2002/90/CE du 28 novembre 2009, qui définit l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers ? Cette directive prévoit que « chaque État adopte des sanctions appropriées […] à l’encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d’un État membre à séjourner sur le territoire d’un État membre en violation de la législation de cet État relative au séjour des étrangers ».

La transposition de cette directive dans notre droit s’est sans doute faite de manière trop restrictive, puisque la nécessité de contreparties pécuniaires n’avait pas été reprise dans la loi. Une telle option vous paraît-elle envisageable ?

M. Jean-Pierre Dufau. Alors que le projet de loi est relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, le mot « intégration » apparaît très peu dans le titre Ier : c’est celui d’« assimilation » qui lui est substitué. Ces termes sont-ils interchangeables dans l’esprit du Gouvernement ?

Après l’agitation médiatique du mois d’août, je suis aujourd’hui frappé par la prudence du Gouvernement s’agissant notamment des amendements qu’il s’apprête à déposer. Ainsi, un organisme sera créé pour étudier la faisabilité des mesures initialement envisagées à l’encontre des mineurs délinquants récidivistes. Mais il est vrai que l’effet d’annonce demeure...

Quant à l’extension de la déchéance de nationalité prévue pour les actes de terrorisme aux crimes commis contre les dépositaires de l’autorité publique, quelle que soit par ailleurs la gravité de tels actes, vos propos révèlent une certaine fragilité : qui appréciera l’atteinte aux « intérêts essentiels de l’État » ? La question, au regard des principes constitutionnels, est moins évidente qu’il n’y paraît. L’avez-vous soumise au Conseil constitutionnel ?

On peut par ailleurs s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure, puisque les individus concernés seront, et heureusement, condamnés à de lourdes peines. Doit-on imaginer que la déchéance de nationalité interviendra au terme d’une incarcération de vingt ans ? Combien de personnes une telle disposition aurait-elle concerné en 2008 et en 2009 ? Bref, on a l’impression qu’il s’agira surtout de souligner l’origine étrangère de certaines personnes au lieu de traiter leurs difficultés d’insertion.

M. Christophe Caresche. Les expulsions de Roms, cet été, ont suscité émotions et protestations. Au Parlement européen, la position de la France est dénoncée au-delà des partis de gauche, puisque M. Verhofstadt, président du parti libéral, l’a fait en des termes très durs. Plusieurs projets de résolution sont d’ailleurs sur la table à Strasbourg, y compris celle du PPE. La Commission européenne vous a, elle aussi, demandé des explications précises. Que lui avez-vous répondu ? Où en est son enquête et combien de temps pensez-vous qu’elle durera encore ?

Mme Reding a déclaré hier que l’analyse juridique se poursuivait. Les expulsions sont en effet suspectées d’avoir contrevenu à la directive sur le droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union, laquelle précise que ces opérations doivent avoir lieu au cas par cas et que l’autorité publique doit en motiver les raisons. Où en est le Gouvernement dans ce qui s’apparente à un programme ?

Mme Marietta Karamanli. L’article 2 du projet de loi me semble remettre en cause l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques sont de la compétence du législateur. Pourquoi celui-ci n’est-il pas saisi ? Et qu’entendez-vous par « devoirs » ? Peu de déclarations des droits de l’homme font référence à cette notion puisque l’énumération des droits est réputée valoir énonciation des responsabilités qui les accompagnent. La France compte-t-elle imposer, par souci de symétrie, l’expression « droits et devoirs » dans les futures conventions internationales ? Ce serait pour le moins nouveau.

Quant à l’article 6 du projet, il ne comporte aucune définition précise des « zones d’attente », lesquelles peuvent être créées n’importe où et à tout moment. Quelles garanties le Gouvernement entend-il apporter en la matière ? Quelle est l’assistance prévue pour les demandeurs d’asile qui seront placés dans ces zones ?

L’article 37 du texte prévoit une nouvelle articulation des délais entre le juge administratif et le juge judiciaire. Combien de décisions du juge judiciaire se sont-elles opposées à celles du juge administratif au cours des deux dernières années ? Le Conseil national des barreaux a indiqué que l’allongement de la durée de la rétention de 48 heures à cinq jours aura pour effet de retarder la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention, ce qui privera l’étranger de tout recours effectif. La plupart des mesures d’éloignement seront en outre exécutées avant ce délai. Le Conseil national des barreaux est-il selon vous de mauvaise foi ?

Enfin, l’orientation de la politique du Gouvernement en matière d’immigration, notamment la mesure de déchéance de la nationalité pour les délinquants, révèle que, pour lui, deux sortes de citoyens français existent, ceux d’origine étrangère étant plus enclins à transgresser les règles communes ; ils seraient en un mot de moins bons Français. J’espère que vous corrigerez le tir lors de nos débats ultérieurs.

M. Claude Goasguen. Votre volonté de clarification est méritoire, monsieur le ministre. Il reste cependant des insuffisances et des situations délicates ou confuses : plusieurs amendements s’efforceront d’y remédier. Pour aller vite, l’immigration est un sujet qui reste obscur. Nous ne disposons d’aucune statistique, ni sur les entrées, ni sur les sorties, ni sur la population des immigrés, et ce pour une raison très simple : notre pays est le seul en Europe, avec la Grande-Bretagne, à ne pas avoir de registre de population. Nous ne connaissons pas le nombre exact de Français sur notre territoire : comment pourrions-nous connaître plus précisément le nombre d’immigrés ?

J’ai étudié l’aide médicale d’État, au sujet de laquelle vous avez parlé de 215 000 inscrits. Mais, de l’avis même de Médecins du monde, la population concernée est sous-médicalisée, si bien que ce chiffre doit sans doute être multiplié par deux ou trois. Bref, nous sommes dans le brouillard le plus absolu et il est d’autant plus louable, dans ces conditions, de procéder à quelques éclaircissements juridiques, notamment au sujet de l’articulation entre l’ordre administratif et l’ordre judiciaire.

L’article 1er du texte évoque « les étrangers qui remplissent manifestement » les conditions d’assimilation. Que signifie « manifestement » ? Les juristes ont pour habitude d’éviter cet adverbe, que vous serez sans doute obligé d’expliciter par décret. Cela aura un intérêt littéraire, mais je vous conseille d’en rester à la loi existante, même si l’on peut éventuellement élargir le champ des ministres concernés par les décisions. Le terme risque en effet d’être invoqué de diverses manières pour essayer de ramener le délai d’acquisition de la nationalité de quatre à deux ans.

Je partage l’avis du rapporteur concernant la loi du 22 juillet 1993, car déchoir de la nationalité une personne ayant par exemple tué un policier sera une mesure très difficile à appliquer. En premier lieu, encore faut-il que l’intéressé ait la double nationalité ; faute de quoi il deviendra apatride. Qui plus est, en trente ans de prison, il a le temps de renoncer à sa double nationalité, si telle est sa situation. Même si le Conseil constitutionnel a, en 1996, émis des réserves sur le caractère exceptionnel de la mesure applicable aux actes de terrorisme, je crois utile d’ouvrir le débat sur un retour au droit applicable en la matière avant 1998, qui était tout aussi républicain. La déchéance de nationalité, je le rappelle, existe depuis 1789, et dans tous les pays du monde ; en outre, puisque n’avons ratifié aucun traité en ce domaine, nous avons les mains totalement libres, ce qui balaie les arguties de certains juristes de valeur, comme M. Carcassonne ou M. Badinter, que j’ai entendus cet été. La seule réserve est évidemment un recours devant le Conseil constitutionnel mais, que je sache, celui-ci n’est pas encore consulté avant la rédaction des lois !

Vous n’avez pas suffisamment évoqué le droit d’asile. La longueur des procédures en ce domaine est absurde et les avocats, dont je suis, en profitent pour faire traîner les affaires. Certaines personnes se retrouvent ainsi dans des situations insensées, la procédure les empêchant de travailler, qu’elles soient susceptibles d’obtenir l’asile ou non, alors qu’elles sont souvent bénéficiaires de la CMU.

Quoi qu’il en soit je me suis félicité de constater, en lisant la presse, que nous avions désormais un allié dans la lutte contre l’immigration clandestine d’origine africaine : le président Kadhafi, qui, au cours d’une réunion avec les responsables européens, a assuré qu’il nous soutenait, moyennant, tout de même, un chèque de 5 milliards d’euros. Je félicite le Gouvernement de trouver des protecteurs là où il peut.

M. Éric Diard. J’insisterai brièvement sur la rétention administrative, sur laquelle je suis régulièrement amené à me pencher dans le cadre de la discussion budgétaire. Vous serait-il possible, monsieur le ministre, de nous dresser un état des lieux précis des durées légales de rétention dans les différents pays de l’Union européenne ?

En quoi par ailleurs l’allongement de 32 à 45 jours de la durée maximale de rétention administrative est-il nécessaire ? Cette évolution répond-elle à une exigence juridique de la « directive retour » ou à des besoins pratiques liés aux reconduites à la frontière ? Dans la seconde hypothèse, quels États délivreraient les laissez-passer consulaires nécessaires aux reconduites dans les délais prévus, lesquels ne sont pas respectés aujourd’hui ?

M. Julien Dray. Permettez-moi de décoder vos propos : depuis 2007, vous êtes engagé dans une politique du chiffre. La multiplication des interpellations d’étrangers en situation irrégulière, qui vous permet de faire des communiqués guerriers, multiplie aussi le nombre de ceux qui se trouvent dans les centres de rétention, donc les contentieux et les recours, de telle sorte que vous devez aujourd’hui adapter le dispositif juridique à cette politique. Peu confiant dans le juge des libertés, vous tentez de faire basculer la procédure vers le juge administratif, qui sera peut-être plus « servile » et plus efficace. Il n’est pas sûr, cependant, que l’objectif sera atteint, car le droit de l’entrée et du séjour est aujourd’hui une véritable spécialité juridique, dont les spécialistes savent jouer des interstices pour le bloquer.

Vous multiplierez donc les lois, comme c’est le cas pratiquement tous les deux ans depuis 1988 – mais on nous dit à chaque fois que ce sera la dernière.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Pas cette fois-ci.

M. Julien Dray. Pas encore ici, mais déjà dans la presse.

En quoi l’allongement de treize jours du temps de rétention – qui passe de 32 à 45 jours – permettra-t-il d’étudier plus efficacement le dossier des personnes en instance d’expulsion ? Tous les praticiens disent que de toute façon ces treize jours supplémentaires ne suffiront pas pour faire aboutir toutes les procédures : pour y arriver il faudrait pratiquement supprimer purement et simplement la limite de durée, comme c’est le cas en Grande-Bretagne ! Si toutefois vous allongez le temps de présence dans les centres de rétention, quelle ligne budgétaire consacrerez-vous à la prise en charge des personnes retenues ? C’est une situation ubuesque dont vous êtes coutumier : vous présentez des textes qui créent des situations d’inhumanité vous obligeant à corriger votre dispositif, notamment en régularisant. À droite comme à gauche, nous sommes souvent saisis de cas concrets – M. Pinte le sait bien.

Par ailleurs, la sévérité que vous affichez envers le travail clandestin n’est que cosmétique. Vous augmentez certes le montant des amendes, mais elles ne sont pas appliquées – les chiffres que vous citez à cet égard sont ridicules. Vous n’accroissez d’ailleurs pas le nombre d’inspecteurs du travail – on attend toujours les fameuses brigades annoncées. Pourtant, vous pourriez là aussi faire de la télé spectacle en fermant les entreprises qui emploient des travailleurs en situation irrégulière ! Alors que vous êtes en train de régulariser près de 6 500 travailleurs étrangers en Île-de-France, qui ont produit des dizaines de feuilles de paye de très grandes entreprises du bâtiment et de travaux publics, quelles sanctions avez-vous prises contre ces employeurs ? Le vrai combat est là : tant que vous ne mettrez pas fin à l’emploi clandestin, le durcissement des lois sera inutile et vous reviendrez toujours devant le Parlement pour constater votre échec et proposer de nouvelles lois.

M. Patrice Verchère. Quel bénéfice la France attend-elle de la carte bleue européenne, mise en place par la directive européenne du 25 mai 2009 ?

Pourquoi, par ailleurs, ne pas revenir, pour éviter de perdre du temps, à la loi du 22 juillet 1993, qui prévoyait la manifestation préalable de volonté de la part des mineurs, ainsi qu’à la déchéance telle qu’elle prévalait avant 1998 ?

M. Jean-Paul Garraud. En l’état du projet, il semble que la déchéance de la nationalité française doive être prononcée par l’autorité administrative, c’est-à-dire par un décret, à l’issue de la peine à laquelle a été condamnée la personne concernée. J’ai déposé voilà cinq ans une proposition de loi qui aurait permis à l’autorité judiciaire – c’est-à-dire à la cour d’assises, qui peut déjà prononcer la déchéance des droits civiques et de famille – de prononcer, à titre de peine complémentaire, la déchéance de la nationalité. Cette procédure, qui n’aurait bien sûr rien de systématique, éviterait notamment le cas, évoqué par M. Goasguen, où la personne condamnée renoncerait à sa nationalité d’origine en cours de peine, interdisant ainsi à l’autorité administrative de lui retirer la nationalité française.

M. Claude Bodin. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la création d’un dispositif d’urgence adapté à l’afflux d’étrangers en situation irrégulière hors des points de passage frontaliers, comme ce fut le cas en janvier dernier avec l’arrivée de Kurdes sur les côtes de la Corse. Quelle sera l’organisation concrète de ce dispositif ?

M. Christian Hutin. La commission des affaires sociales, dont je suis membre, est concernée par le titre IV du projet de loi.

Jean-Pierre Chevènement, que vous citez parfois, monsieur le ministre, a déclaré que le nationalisme est une maladie potentielle de la nation. Pour rester dans le registre de la santé, vous avez indiqué que 215 000 personnes étaient éligibles à l’aide médicale d’État. Quel est le sentiment du Gouvernement face aux amendements annoncés qui tendraient à exclure certaines personnes du système de santé ? En qualité de médecin exerçant dans le Nord de la France, je connais des situations de détresse en la matière.

Voilà quelques mois, le Président de la République déclarait devant les étudiants d’une université américaine que, dans le système de santé français, quiconque tombe dans la rue peut être soigné. Tout amendement portant atteinte à ce système accueillant et humaniste serait une dérive qui contredirait la parole du Président de la République – prononcée, qui plus est, à l’étranger.

M. Étienne Pinte. Je suis hostile à l’extension de la déchéance de la nationalité. Il faut nous en tenir à la législation actuelle, c’est-à-dire aux articles 25 et suivants du code civil. Comme l’a rappelé récemment Guy Carcassonne, retirer la nationalité à un individu, aussi grave soit son crime, c’est lui retirer une part de son identité. L’article 1er de notre Constitution proclame l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine. Or, les propositions du Gouvernement établissent précisément une distinction entre les citoyens qui ont acquis la nationalité française au cours de leur vie, et les autres. La punition doit être identique pour un même crime, quel que soit le statut juridique de celui qui l’a commis.

En outre, la déchéance de la nationalité ne doit pas être un élément d’une politique pénale. Ce serait revenir à la double peine, que nous étions parvenus à supprimer à l’unanimité lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur. Ne sombrons pas dans l’outrance et dans la surenchère sécuritaire en désignant une fois de plus des boucs émissaires, avec les risques que comporte toute stigmatisation.

Le dispositif me paraît donc très contestable juridiquement et philosophiquement, et d’application douteuse.

Vous avez déclaré, le 30 août dernier, qu’« il nous faut élargir les possibilités de prendre des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière pour menace à l’ordre public à l’occasion d’actes répétés de vol ou de mendicité agressive ». Qu’entendez-vous, juridiquement, par « mendicité agressive » ? Je rappelle à ce propos que la Cour d’appel de Versailles a récemment estimé que l’occupation d’un terrain par des gens du voyage ou par des Roms ne relevait pas de l’ordre public.

Enfin, comme l’a souligné M. Dray, pourquoi allonger la durée de la rétention, alors que la moyenne effective de celle-ci est actuellement de 8 à 10 jours ? Voilà quelques semaines, vous déclariez que c’était à la demande du gouvernement marocain. J’ose espérer que nous ne légiférons pas uniquement à la demande de celui-ci.

M. Jacques Valax. Pour ma part, j’exprimerai un cri du cœur. J’ai beaucoup souffert de constater, durant le mois d’août, en parcourant la France, à quel point votre discours était dangereux. Vous avez conscience d’avoir bien travaillé, mais vous avez réactivé les haines, fait revivre les vieux démons et les réflexes primaires et conservateurs de certains de nos concitoyens. Vous avez stigmatisé l’autre et fait renaître les peurs ancestrales. C’est grave et contraire aux valeurs de la République.

Votre attitude est d’autant plus grave que nous sommes en période de paix et que rien ne justifiait cette régression intellectuelle. Le parallèle que vous établissez sans cesse entre l’immigration et la délinquance ou l’insécurité me devient chaque jour plus insupportable. Pour nous, républicains et gens de progrès, la vérité est que ce ne sont ni l’ethnie ni le pays d’origine qui conduisent à des dérives, mais la réalité économique et sociale, qui fait que certains, rejetés par notre société, perdent peu à peu le sens des valeurs et sombrent dans la délinquance.

Je ne sais si mes mots vous iront au cœur et produiront un changement, perceptible ou non, dans votre attitude. Ils auront eu au moins le mérite de soulager ma colère et ma rancœur.

M. Lionel Tardy. Sans être spécialiste, je porte un regard assez critique sur le texte qui nous est soumis. Je salue les efforts de clarté réalisés et les quelques corrections apportées aux déclarations de cet été. Je ne remets pas non plus en cause la politique d’immigration : si la France a une longue tradition d’asile et d’accueil, elle ne peut pas accueillir toute la misère du monde et il faut renforcer nos frontières et lutter contre l’immigration illégale.

Une loi doit cependant s’insérer dans une hiérarchie des normes, et donc respecter la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France, notamment la Convention européenne des droits de l’Homme. Sans être spécialiste, je le répète, j’ai relevé plusieurs points inconstitutionnels et ai déposé des amendements tendant à la suppression des articles 6, 7, 8, 10, 12, 21, 38, 39, 43, 44 et 75.

Je suis notamment heurté par l’extension de 48 heures à 5 jours du délai de saisine du juge judiciaire pour prolonger la rétention et par la purge des irrégularités qui n’ont pas été soulevées lors de la première audience, car l’avocat, souvent commis d’office, n’a souvent connaissance du dossier que dans l’heure qui précède l’audience. Enfin, la création d’une zone d’attente pour un groupe d’étrangers arrivant sur le sol national hors des points de contrôle frontalier me paraît juridiquement baroque.

Il est ici question de libertés publiques et de privation de liberté. Au-delà des aspects juridiques, je tiens à redire mon attachement à certaines valeurs humanistes telles que la liberté individuelle et la liberté des personnes. J’espère que les débats permettront de lever à cet égard les ambiguïtés du texte et de certains amendements annoncés.

M. le ministre. Aux intervenants qui ont dénoncé l’inflation législative, en particulier à M. Julien Dray, je précise que je ne prends pas l’engagement que cette loi sera la dernière. Les textes doivent en effet évoluer en fonction des situations. Surtout, on ne peut à la fois souhaiter une harmonisation européenne en matière d’immigration et d’asile et se plaindre que les directives adoptées soient transposées en droit français – or, 80 % du texte qui vous est soumis consiste en la transposition de trois directives, comme c’était déjà le cas pour les lois de 2003 et de 2006. La France s’efforce de jouer un rôle moteur dans l’harmonisation et je n’ai pas vu que d’autres parlements se soient plaints de transposer les directives européennes.

Madame Mazetier, j’ai trouvé particulièrement désobligeantes et choquantes les remarques que vous avez formulées à l’égard du Président de la République. Je ne vois pas dans ses propos ce qui vous permet d’affirmer qu’il aurait manqué à nos principes constitutionnels et républicains.

Pour ce qui est du chiffre de 60 % de reconduites à la frontière, j’observe qu’il est rare que le Parti socialiste s’enorgueillisse comme il le fait par votre voix – puisque vous êtes secrétaire nationale – d’un taux de reconduites à la frontière supérieur à celui du Gouvernement. Comment Julien Dray peut-il me reprocher ce qu’il appelle la « politique du chiffre » au moment où vous citez d’autres chiffres montrant que la gauche faisait mieux que ce gouvernement ? Il faut ajuster vos discours. Du reste, vos chiffres sont faux, comme c’est souvent le cas – mais c’est un autre débat. S’il faut y voir une incitation à être plus efficaces et à mieux utiliser l’argent de l’État, nous allons nous efforcer de vous donner satisfaction.

Le passage de 32 à 45 jours de la durée de rétention a été évoqué par plusieurs députés. Je rappelle que la rétention administrative a été créée par le gouvernement de François Mitterrand, au lendemain de l’élection de 1981, dans le souci d’éviter que les étrangers en situation irrégulière sur le point d’être reconduits dans leur pays d’origine – car c’est lorsque cette procédure est engagée qu’intervient la rétention – soient placés en prison ou dans des quartiers spéciaux des prisons, comme c’est le cas dans certains pays. C’est ensuite le gouvernement Jospin – avec Mme Guigou, Mme Lebranchu, M. Chevènement et M. Vaillant – qui a créé dans les centres de rétention les « chambres familiales » permettant d’accueillir avec leurs parents, sur une base volontaire de la part de ces derniers, les enfants sur le point d’être reconduits. L’horreur potentielle que décrit M. Julien Dray a été créée par la gauche, et je continue de penser que cela a été un bienfait.

Monsieur Dray, le taux d’occupation des centres de rétention est de 60 %. Ils ne sont donc pas pleins à craquer. Je vous suggère de regarder ce qui se passe à l’étranger et de nous dire, durant le débat, dans quels pays il vous semble que les centres de rétention administrative sont mieux gérés qu’en France et où les étrangers en situation irrégulière en voie de reconduite à la frontière sont mieux traités.

Le bannissement n’existe pas – j’ai évoqué tout à l’heure la proportionnalité et la non-automaticité de l’interdiction de séjour. Les zones d’attente temporaire ont été créées par la gauche : nous appliquons la loi Quilès. Cependant, si elle est adaptée aux situations frontalières, cette loi ne l’est pas aux situations que j’ai citées. Le lieu et le moment de la création de ces zones dépendront donc de l’arrivée inopinée et massive d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. Les dispositions de leur mise en œuvre seront strictement celles que prévoit la loi – j’y reviendrai dans un instant.

Pour ce qui concerne les employeurs et les régularisations, 1 600 dossiers ont été déposés en préfecture à ce jour. Le chiffre de 6 500 dossiers que vous citez, monsieur Dray, est celui de la CGT. Quant à l’arbitraire que vous évoquez en la matière, madame Mazetier, il ne s’agit que de la loi de novembre 2007 votée par le Parlement, qui prévoit les critères selon lesquels le Gouvernement doit procéder à des régularisations, qui doivent demeurer exceptionnelles. La circulaire que j’ai produite n’est qu’une circulaire d’application, étroitement soumise à la loi. Nous avons en outre remis aux préfectures un guide des bonnes pratiques destiné à expliquer cette circulaire. J’applique la loi : c’est bien le moins que vous puissiez attendre du Gouvernement.

En matière de lutte contre les filières d’immigration clandestine, une bonne part des mesures ne relève pas de la loi. Le dispositif législatif est amplement suffisant pour punir les passeurs et ceux qui sont en relation avec eux. Comme je l’ai déjà expliqué, nous interpellons, poursuivons et condamnons chaque année des milliers de personnes au titre de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sur lequel repose notre dispositif et que vous vouliez nous faire supprimer voilà moins d’un an au nom de ce que vous appeliez alors le « délit de solidarité », dont je vous ai prouvé que l’existence en France n’était que fantasmatique.

Je regrette que les explications que je vous donne ne parviennent jamais à influer tant soit peu sur votre discours. L’application de la « directive protection temporaire » que vous voulez appliquer presque systématiquement au gré de l’actualité est subordonnée, je l’ai répété à plusieurs reprises avec un succès inégal, à l’existence d’une crise ou d’un conflit grave dans le pays d’origine. Cette directive, adoptée à la suite des guerres civiles qu’ont connues les Balkans dans les années 1990, marquées par des massacres de grande ampleur, suppose des exodes massifs vers les pays d’Europe occidentale et doit être actionnée par la Commission européenne, avec l’accord de tous les États membres. Comment pouvez-vous imaginer que cela pourrait s’appliquer au cas de Bonifacio ?

Quant au fait que le recours soit suspensif pendant le délai durant lequel il est soumis au juge administratif, je vous renvoie à l’article 34 du projet de loi.

Monsieur Blanc, la décision pouvant conduire à la fermeture temporaire d’un établissement n’est pas une nouveauté : fermeture administrative de débits de boissons, pénalités fiscales ou retrait de points de permis de conduire, il existe déjà de nombreuses sanctions administratives, entourées de garanties. J’espère avoir, durant la discussion du texte, l’occasion de vous rassurer sur ces garanties. Si vous estimez qu’elles doivent être encore précisées, nous y travaillerons ensemble.

Pour ce qui est des délais relatifs à l’asile, ils sont en effet en train de s’allonger. Ils sont de 4 mois devant l’OFPRA en première instance et de 15 mois devant la Cour nationale du droit d’asile. L’action du Parlement nous a permis de donner des moyens supplémentaires à cette juridiction, qui dispose depuis septembre 2009 de 10 juges supplémentaires, avec un plan de renforcement pour la séquence 2011-2013. Quant à l’OFPRA, il bénéficie de 30 vacataires supplémentaires. Je reviendrai dans les jours et les semaines qui viennent sur la situation de l’asile en France.

Monsieur Aeschlimann, votre première question doit être satisfaite avec la modification de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile par le projet de loi, afin de bien préciser que les membres des associations qui secourent les étrangers en situation irrégulière – sans être, bien évidemment, en relation avec des passeurs, et dans un cadre très précis – sont protégés par la loi. Je reviendrai sur la directive relative aux passeurs.

Monsieur Dufau, les termes d’« intégration » et d’« assimilation » sont tous deux employés par la loi. Il est ainsi question de l’« entretien d’assimilation préalable à l’acquisition de la nationalité française ». L’idéal républicain suppose donc l’intégration des étrangers et leur assimilation lors de l’accession à la nationalité française. Bien que ce ne soit pas mon avis, je sais que certains, dans toutes les familles politiques, ont des scrupules à utiliser le terme d’« assimilation », au motif qu’il nierait les origines de la personne qui entre dans la nationalité française. Le terme est pourtant, je le répète, celui qu’utilise le code de la nationalité.

Vous avez rendu hommage à la « prudence » du Gouvernement. C’est, après celui de Mme Mazetier, un deuxième hommage inattendu dont je me félicite. Cette prudence ne sera pas un frein à l’action. Cependant, en touchant à des concepts essentiels comme ceux de nationalité, de droit du sol et de droit du sang, il est normal que nous prenions le temps de discuter et de nous concerter avant d’aller plus loin. La création d’une commission n’a pas pour objet d’enterrer cette démarche. Le Président de la République a souhaité que, dans des délais relativement brefs, la personnalité qui sera nommée rende son rapport et ses propositions. J’espère que la clarté sera faite lorsque le texte viendra devant votre assemblée.

Le Gouvernement n’a pas le droit de demander l’avis préalable du Conseil constitutionnel. Monsieur Tardy, notre texte n’a cependant, en l’état, fait l’objet d’aucune réserve de la part du Conseil d’État, ce qui est déjà une étape importante compte tenu de ses enjeux.

Quant à l’impact de la déchéance de la nationalité telle que le Gouvernement vous la soumettra par amendement, je souhaite qu’il soit très limité – c’est-à-dire que peu d’étrangers ayant acquis récemment la nationalité française tuent des policiers, des gendarmes, des préfets ou des magistrats. Je souhaite même que cet impact soit nul. Il s’agit néanmoins d’un symbole lourd : celui qui a souscrit au pacte républicain lors de sa naturalisation respecte-t-il les engagements de ce pacte en tuant, quelques mois ou quelques années plus tard – dans un délai maximal de 10 ans –, une personne représentant l’autorité de l’État ? Il ne s’agit pas, en effet, d’un simple meurtre, mais de l’assassinat d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Cette mesure nous semble donc être en adéquation avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Monsieur Caresche, gardez-vous d’abuser des citations du président du parti libéral européen à Bruxelles, dont les déclarations systématiquement antifrançaises, depuis plusieurs mois, devraient heurter la représentation nationale, quelles que soient vos sensibilités.

Je n’étais pas à Strasbourg hier, mais j’ai lu la dépêche suivante de l’AFP : « Mme Reding s’est également déclarée satisfaite des garanties données par le gouvernement français ». Qu’un certain nombre de parlementaires européens, notamment socialistes et verts, aient critiqué l’action de la France, c’est bien normal en démocratie. Cependant, pour avoir assisté à la discussion avec les commissaires européens, permettez-moi de vous dire sans forfanterie que Pierre Lellouche et moi n’avons été gênés par aucune de leurs questions. La France a respecté scrupuleusement le droit communautaire et le droit français. Il n’y a jamais eu d’expulsions collectives et les démantèlements de camps ont été opérés sur décision de justice, à la demande notamment – mais pas seulement – de municipalités de gauche. Par ailleurs, les retours, volontaires ou forcés, ont toujours eu lieu sous le contrôle sourcilleux du juge. Il n’y a aucun problème de ce point de vue.

Bien évidemment, nous n’avons pas suspendu les procédures de reconduite. Pourquoi le ferions-nous ? L’année dernière, nous avons reconduit 11 000 Roumains ou Bulgares en situation irrégulière, et les reconduites se poursuivaient depuis le début de l’année.

Chaque pays de l’Union européenne est amené à reconduire vers d’autres pays de l’Union des ressortissants en situation irrégulière. La France l’a fait l’année dernière pour 580 ressortissants communautaires non-Roumains ou non-Bulgares. Elle accueille aussi tous les mois des Français reconduits dans leur pays d’origine par la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie ou l’Espagne. L’Union européenne n’a jamais été synonyme de liberté totale d’installation et il n’a jamais été dit que chacun de nos pays pouvait laisser aux autres ses ressortissants en situation de précarité. Pourquoi s’étonner que la France applique le droit européen qui nous est appliqué dans l’autre sens par d’autres pays européens ?

Madame Karamanli, au même titre que vous espérez que la discussion permettra au Gouvernement de corriger le tir, j’espère qu’elle vous permettra de corriger le vôtre. Pouvoir dire, après un peu plus de deux siècles de mise en œuvre des principes républicains, qu’il n’y aurait en France que des droits et pas de devoirs, et s’étonner que le texte évoque un équilibre des droits et devoirs me semble totalement contraire à notre tradition républicaine et aux attentes des Français. J’aurai sans doute l’occasion de répondre à vos autres questions dans un autre contexte.

Monsieur Goasguen, nous serons plus avares d’adverbes « évidemment », et travaillerons ensemble à l’amélioration de la rédaction du texte.

Pour ce qui est de la déchéance de la nationalité, tant les textes européens que les principes du Conseil constitutionnel français interdisent de créer des apatrides. Cette mesure intervenant après naturalisation, la personne visée gardera donc sa nationalité d’origine. J’ajoute, répondant ainsi à plusieurs députés, que la déchéance pourrait être prononcée dès la condamnation rendue effective, sans attendre la fin de la peine. L’octroi ou la déchéance de la nationalité doivent par ailleurs rester une prérogative régalienne et il serait dangereux, et peut-être contradictoire en termes de jurisprudence, de céder cette prérogative. Nous ne créerons cependant jamais d’apatrides.

En matière d’asile, le taux d’octroi, de l’ordre de 30 %, signifie à la fois que la France est généreuse et que 70 % des demandeurs se voient refuser la protection internationale. C’est toute la difficulté de l’ajustement d’un droit qui doit être protecteur et bienveillant pour les « vrais » demandeurs d’asile sans devenir une source d’attractivité pour ceux qui utilisent l’asile pour détourner les lois de régulation de l’immigration. Le curseur est-il bien placé ? Nous aurons peut-être l’occasion d’en discuter.

Monsieur Diard, je vous transmettrai la liste exacte des durées de la rétention administrative dans les différents pays européens. Elle est de 60 jours en Espagne et en Italie, mais n’est pas fixée en Estonie, en Suède, en Finlande et au Royaume-Uni. Elle est de 6 mois en Hongrie et aux Pays-Bas, de 18 mois en Allemagne et de 20 mois en Lettonie.

Je vous ai trouvé injuste, monsieur Dray, lorsque vous avez parlé de « politique du chiffre » – mais je ne reviendrai pas sur l’affirmation de Mme Mazetier selon laquelle la gauche faisait mieux en la matière. Si vous êtes objectif, il faudrait parler de la politique des chiffres, en évoquant les 108 000 naturalisations par an ou le nombre de labels diversité obtenus par les entreprises s’engageant à lutter contre les discriminations. Le chiffre des reconduites à la frontière est certes l’un des éléments du tableau de bord du ministère dont j’ai la responsabilité, mais ce n’est pas le seul.

Quant aux interpellations, je rappelle qu’elles sont, pour l’essentiel, incidentes, c’est-à-dire qu’elles interviennent à l’occasion de contrôles routiers ou d’actes de délinquance.

M. Julien Dray. Je vous apporterai les témoignages contraires.

M. le ministre. Pour répondre à M. Pinte et à d’autres députés, je précise que d’autres pays que le Maroc, comme le Pakistan, le Vietnam et bien d’autres avec lesquels la Commission européenne a engagé des discussions, ont demandé à l’allongement des délais de rétention administrative. Bon nombre de ces pays étant à la fois des pays d’émigration et de transit, ils nous demandent en effet, même si cela ne concerne que peu de cas, d’avoir la possibilité et le temps matériel de vérifier si les personnes concernées sont bien leurs ressortissants. Comment la France, seule parmi les 27 pays membres de l’Union européenne, pourrait-elle le refuser ? Comment conciliez-vous votre attachement aux libertés publiques, que je partage, avec le droit d’un État souverain de procéder à cette vérification ? Il n’y a aucun plaisir à retenir certaines personnes plus longtemps en rétention administrative. Au demeurant, comme vous l’observez à juste titre, cela ne porte que sur une faible proportion des cas.

Je vous répondrai encore, monsieur Dray, sur le renforcement des dispositions en matière de lutte contre le travail illégal. Le projet de loi en porte la trace, ainsi que les opérations conjointes menées par le ministère de l’intérieur, le ministère des affaires sociales et les services d’immigration. Pour ce qui concerne les donneurs d’ordres, je vous informe que j’ai sollicité la garde des Sceaux sur les cas d’entreprises privées dont j’ai été saisi, et qu’elle a systématiquement transmis au parquet les éléments dont nous disposions. Les procédures sont en cours

Monsieur Verchère, la procédure de l’octroi de la carte bleue est très souple. Cette carte permet également de se déplacer au sein de l’Union européenne. Elle répond au besoin d’attractivité de l’Union européenne et de la France. L’Australie, le Japon, les États-Unis et d’autres pays s’efforcent eux aussi d’attirer des talents. L’immigration choisie – concept qui n’est pas seulement français, mais qui s’applique aux 27 pays de l’Union européenne, quelle que soit leur sensibilité politique – suppose une dimension d’attractivité pleinement assumée.

J’ai déjà évoqué le retour à la loi de 1993 et vous propose que nous revenions d’une manière plus globale sur cette question lors du débat. La jurisprudence du Conseil constitutionnel que j’ai lue tout à l’heure est très contraignante.

Monsieur Garraud, il suffira, je le répète, que la condamnation soit effective pour que le Gouvernement puisse prendre le décret prononçant la déchéance de la nationalité française.

Monsieur Bodin, les zones d’attente temporaire permettront d’amener, conformément à la loi, les moyens en personnel et en matériel nécessaires – restauration, couvertures, médecins, interprètes, etc. –, puis de transférer les migrants vers un point d’hébergement. Je vous exposerai durant la discussion l’organisation de ce dispositif mis en place par arrêté préfectoral.

Monsieur Hutin, il est vrai que je cite parfois Jean-Pierre Chevènement, pour qui je garde beaucoup de respect, et je souscris d’ailleurs à l’axiome que vous avez cité. Cependant, je le cite surtout du fait de sa fonction, car il a lui aussi porté, lorsqu’il était ministre de l’intérieur en charge de l’immigration, des textes relatifs à ces questions. Sur de nombreux points, il me suffit de reprendre certaines de ses affirmations devant l’Assemblée nationale. J’espère néanmoins ne pas en abuser.

Pour ce qui concerne l’aide médicale d’État, il n’est pas question de toucher aux principes républicains. En France, on ne demande pas sa carte à une personne qui se trouve sur un brancard. En revanche, ne nous cachons pas qu’il y a des abus manifestes, qui coûtent cher aux citoyens contribuables. Comment préserver scrupuleusement les droits des étrangers en termes d’accès aux soins tout en luttant contre ces abus ? C’est là un point que nous devrons discuter.

Monsieur Pinte, il est vrai que retirer la nationalité est un acte grave. Mais retirer la vie l’est aussi et, à notre époque, retirer celle d’un policier, d’un gendarme, d’un magistrat ou d’un préfet l’est peut-être particulièrement.

Le Conseil constitutionnel a bien expliqué, par sa décision de 1996, en le circonscrivant, le cadre dans lequel pouvait être prononcée la déchéance de la nationalité française sans porter atteinte à l’article 1er de la Constitution, qui proclame l’égalité devant la loi.

Quant au concept de « mendicité agressive », il n’est pas nouveau, car il figure à l’article L. 302-12-1 du code pénal. Nous reprendrons exactement la même définition.

Monsieur Valax, vous vous êtes laissé aller à un « cri du cœur », évoquant aussi, à propos de ce texte et de l’action du Gouvernement, une « régression intellectuelle ». Il m’a semblé que vous établissiez vous-même une sorte de passerelle entre ces deux attitudes…

Votre déclaration aurait été plus forte si elle avait été assortie de propositions claires. Cette observation s’applique à d’autres responsables du Parti socialiste : quel sens y a-t-il à demander au ministre de l’intérieur, comme le fait Mme Aubry, de bien vouloir procéder au démantèlement de camps d’étrangers en situation irrégulière sur la communauté urbaine de Lille avant de s’opposer à la reconduction des étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine ? Allez au bout de votre logique : dites aux citoyens français que, si le groupe auquel vous appartenez était au pouvoir, vous suspendriez définitivement les reconduites d’étrangers, Roumains ou Bulgares, en situation irrégulière ! Cela aurait le mérite de la clarté et susciterait un véritable débat. En revanche, l’indignation exprimée avec emphase et dépourvue de toute proposition concrète finit par ressembler un peu, pour reprendre votre expression, à une régression intellectuelle.

Monsieur Tardy, je crois vous avoir répondu pour l’essentiel, mais nous aurons l’occasion de nous expliquer juridiquement lors de l’examen des articles.

La séance est levée à 17 heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Manuel Aeschlimann, Mme Brigitte Barèges, M. Étienne Blanc, M. Serge Blisko, M. Claude Bodin, M. Éric Diard, M. Julien Dray, M. Jean-Paul Garraud, M. Guy Geoffroy, M. Charles-Ange Ginesy, M. Claude Goasguen, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Thierry Mariani, Mme Sandrine Mazetier, M. Yves Nicolin, M. Jacques Valax, M. André Vallini, M. Christian Vanneste, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, Mme Delphine Batho, M. Marcel Bonnot, Mme Danielle Bousquet, M. Guy Delcourt, M. Philippe Goujon, M. Noël Mamère, M. Bernard Roman

Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Caresche, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Françoise Hostalier, M. Christian Hutin, M. Lionnel Luca, M. Philippe Meunier, M. Étienne Pinte, M. Lionel Tardy