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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Jeudi 9 décembre 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président, puis de M. Sébastien Huyghe, vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi relatif à la garde à vue (n° 2855) (M. Philippe Gosselin, rapporteur)

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition de M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi relatif à la garde à vue (n° 2855).

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le garde des Sceaux, je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue une nouvelle fois, persuadé que ce ne sera pas la dernière.

Je tiens, tout d’abord, à vous remercier des informations complémentaires que vous nous avez fait parvenir sur l’étude d’impact. Au regard de l’importance de la question, nous avons procédé à un examen approfondi du projet de loi : nous avons consacré une matinée à l’audition de juristes sur les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Nous vous auditionnons aujourd’hui, et nous entendons les articles du texte mercredi prochain.

M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. Je vous remercie pour l’accueil que vous voulez bien me réserver. Rencontrer régulièrement les membres de la commission des Lois de l’Assemblée nationale me réjouit et, pour tout dire, me rajeunit.

Le projet de loi relatif à la garde à vue est présenté dans un contexte de foisonnement juridique. Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 30 juillet, et la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a déjà rendu trois arrêts, siégera demain dans une affaire qui pourrait avoir des conséquences sur la garde à vue. La première chambre civile devrait à son tour statuer au début du mois de janvier 2011. Cette matière, stable durant des années, s’ouvre désormais, en partie grâce à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui, avec la question prioritaire de constitutionnalité, a institué le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception.

La réforme de la garde à vue que le Gouvernement veut porter et faire partager à la représentation nationale est ambitieuse. En élaborant ce projet de loi, nous avons veillé à concilier les deux impératifs de toute société démocratique que sont, d’une part, la recherche de la vérité et la poursuite des auteurs d'infractions et, d’autre part, la préservation des libertés constitutionnellement garanties.

La réforme de la garde à vue s’inscrit dans le cadre plus global de la réforme de la procédure pénale, initiée en octobre 2009. Mais la décision du Conseil constitutionnel nous conduit à présenter dès aujourd'hui un projet autonome. Comme vous le savez, la haute juridiction a jugé certaines dispositions existantes contraires à la Constitution, tout en prévoyant un délai de mise en conformité expirant le 1er juillet 2011. Nous avons donc, compte tenu des délais de saisine du Conseil constitutionnel, environ jusqu’au 30 mai pour achever la mise en œuvre de la réforme de la garde à vue. Mon intention étant d’éviter le recours à la procédure accélérée, je pense que nous serons amenés à nous voir souvent et à passer de longues nuits ensemble.

L'économie de ce texte repose sur un principe fondamental : la liberté est la règle, la mesure de police l’exception. Les personnes entendues dans le cadre d'enquêtes pénales resteront libres, le placement en garde à vue n’étant décidé qu’en cas de stricte nécessité.

Pourquoi, en effet, utiliser plus que de raison la coercition ? Dans un cas sur deux, les personnes aujourd’hui mises en cause sont entendues en dehors du cadre de la garde à vue. Néanmoins, le nombre de gardes à vue, en constante augmentation depuis plusieurs années, demeure trop élevé (790 000 en 2009). Il était essentiel de le limiter en prévoyant un encadrement strict du recours au placement en garde à vue et de renforcer les droits de ceux qui, lorsque cela se révèle nécessaire, y sont soumis.

Il s’agit, en premier lieu, de limiter le nombre de gardes à vue en encadrant le recours à cette procédure.

L'article 1er du projet de loi rappelle donc le principe de liberté de la personne auditionnée. Celle-ci doit être avisée par les enquêteurs de la nature et de la date présumée de l'infraction dont elle est soupçonnée ; elle doit exprimer son consentement à être entendue. Il s'agit là d'une avancée majeure puisque les personnes auditionnées hors garde à vue aujourd’hui n’ont accès ni à ces informations ni à ce droit. De plus, à tout moment, la personne peut mettre un terme à son audition, et son consentement est recueilli à chaque reprise d'audition.

Ce régime a vocation à s'appliquer à tous les cas dans lesquels la personne s'est rendue librement et spontanément dans les locaux de police, à la suite d'une convocation, ainsi que dans ceux où elle a accepté expressément de suivre les enquêteurs après son interpellation.

Ce dispositif est pleinement conforme aux jurisprudences constitutionnelles et conventionnelles, qui n'ont jamais exigé qu'une personne entendue librement au stade de l'enquête soit assistée d'un avocat.

Ce sont ainsi des dizaines de milliers de gardes à vue par an qui pourront être évitées. Que l'on pense, par exemple, aux gardes à vue qui suivaient des contrôles routiers ! Beaucoup d’entre elles n'étaient aucunement justifiées par les nécessités de l'enquête, mais elles étaient décidées par précaution, en l'absence de tout autre cadre juridique sûr.

Ce recours excessif au régime de la garde à vue, par souci légitime d'éviter des annulations de procédure, n'aura plus lieu d'être.

Cette première avancée de la réforme répond très largement au double impératif que j'évoquais : elle réduit le nombre de gardes à vue et permet de recentrer le travail des enquêteurs sur l'essence même de leur métier, à savoir la poursuite des investigations aux fins de la recherche de la vérité, plutôt que de l'alourdir par la gestion des formalités de la garde à vue ; elle préserve la liberté des personnes mises en cause, en évitant des mesures de coercition injustifiées.

En revanche, lorsqu'une mesure de garde à vue s'avérera nécessaire, elle sera encadrée de façon plus stricte. Le texte définit de façon précise la garde à vue et prévoit de limiter son utilisation aux investigations concernant les infractions punies d'une peine d'emprisonnement.

L'enquêteur devra justifier que le placement en garde à vue est l'unique moyen de permettre l'exécution des investigations, ou l'unique moyen d'empêcher la personne de modifier les preuves, de faire pression sur les témoins et les victimes, de se concerter avec ses complices. Ces critères, similaires à ceux fixés en matière de détention provisoire, permettent de concentrer la garde à vue sur son objectif essentiel : être un outil au service de l'enquête. Ces critères seront contrôlés, selon les cas, par un magistrat du parquet ou par le juge d'instruction saisi.

La garde à vue sera donc mieux encadrée et les droits du gardé à vue seront étendus.

Il s’agit, en deuxième lieu, d’introduire des avancées essentielles pour la protection des droits des individus placés en garde à vue.

L’objectif central du projet est l'assistance effective de l'avocat, dont la présence et les moyens d'intervention sont considérablement renforcés. La personne placée en garde à vue pourra être assistée tout au long de la procédure, et l'avocat aura accès au procès-verbal de notification et aux procès-verbaux d'audition. Le texte permet ainsi à la personne d'organiser sa défense et de préparer les auditions devant les services de police.

Par ailleurs, la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à conserver le silence. Cette exigence, rappelée par le Conseil constitutionnel en juillet dernier, est, dans la plupart des pays occidentaux, une norme, parfois même de niveau constitutionnel. Notre législation se devait de prévoir expressément cette disposition.

Le respect de la dignité des personnes est l'un des apports essentiels de la réforme. Les fouilles à corps, particulièrement humiliantes, étaient souvent plus mal vécues que la privation de liberté elle-même et faisaient l’objet de critiques récurrentes. Les fouilles intégrales menées pour des raisons de sécurité seront dorénavant prohibées, tandis que les fouilles effectuées pour les nécessités de l'enquête, assimilées à une perquisition, demeureront autorisées – ce sera le cas pour la recherche de stupéfiants.

Enfin, si le projet introduit des avancées majeures en termes de protection des droits, nous ne devons pas perdre de vue qu'il faut des cadres d'enquête souples et adaptés à toutes les formes de criminalité : des régimes dérogatoires sont indispensables pour répondre à des circonstances exceptionnelles.

Ni le juge constitutionnel, ni la Cour de cassation, ni la Cour européenne des droits de l'Homme n’ont contesté une telle nécessité. En cette matière aussi, tout est affaire de proportionnalité.

Le Conseil constitutionnel reprochait en effet au régime actuel de garde à vue une restriction des droits de la défense de portée générale, sans considération des circonstances particulières de l'espèce. En revanche, dès lors que peuvent être dûment motivées lesdites circonstances particulières, une dérogation est envisageable. Ainsi, le texte prévoit la possibilité, sur autorisation d'un magistrat, de différer de douze heures la participation de l'avocat aux auditions afin de permettre le bon déroulement d'investigations urgentes ou de prévenir une atteinte imminente aux personnes.

De même, la Cour de cassation a admis l'existence de régimes dérogatoires en précisant, dans trois arrêts du 19 octobre 2010, que des « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce » pouvaient justifier le report de l'assistance de l'avocat.

Il nous faut prendre en compte cette jurisprudence postérieure au dépôt du projet de loi. C'est la raison pour laquelle je présenterai un amendement prévoyant qu’en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants, de criminalité organisée et de terrorisme, la présence de l'avocat pourra être différée, sur autorisation du procureur de la République durant les vingt-quatre premières heures, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) jusqu'à la quarante-huitième, voire jusqu’à la soixante-douzième heure en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme.

En droit commun, l'intervention de l'avocat pourra être différée de douze heures sur autorisation du procureur de la République, puis à nouveau de douze heures sur décision du juge des libertés et de la détention. Dans tous les cas, ce report devra être motivé en fonction des circonstances de l'espèce.

Il s’agit, en troisième lieu, d’améliorer le projet pour tenir compte de toutes les évolutions constitutionnelles et conventionnelles : c’est là un objectif affiché du Gouvernement.

Je présenterai tout d'abord, en accord avec le ministre du budget, un amendement sur la retenue douanière, qui vise à adapter cette forme spécifique de coercition aux exigences fixées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 septembre 2010.

Ce projet est aussi l'occasion de réformer une disposition que la Cour européenne des droits de l’Homme a censurée dans l’arrêt Moulin, le 23 novembre 2010. À ce propos, je voudrais vous mettre en garde contre les tentations de surinterprétation de cet arrêt, auxquelles certains commentateurs se sont parfois livrés.

La position de la Cour européenne des droits de l’Homme n'est pas nouvelle : cet arrêt confirme une jurisprudence de 1988, aux termes de laquelle le parquet ne peut être qualifié d'autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’Homme, notamment parce qu'il est une partie poursuivante. Modifier le statut du parquet n'aurait aucune incidence puisqu’il resterait partie poursuivante, comme l'est d'ailleurs le juge d'instruction lorsqu'il rend une ordonnance de renvoi.

La Cour européenne des droits de l'Homme prend également soin de souligner qu'il « ne lui appartient pas de prendre position dans le débat concernant le statut du ministère public en France ».

L'arrêt Moulin apporte en revanche deux précisions : la présentation à un juge est nécessaire, même si la privation de liberté intervient sur le fondement d'un mandat délivré par un autre juge, et d'une garde à vue, contrôlée en l'espèce par un juge ; la privation de liberté doit être envisagée de manière globale même si elle a plusieurs fondements successifs (garde à vue, mandat d'amener). Pour toute privation de liberté supérieure à quatre jours, l'intervention d'un magistrat du siège est par conséquent nécessaire.

La Cour n’a cependant jamais condamné le pouvoir confié au procureur de la République de contrôler les gardes à vue pendant un délai de quarante-huit heures. La légitimité de celui-ci à assurer ce contrôle est pleine et entière. Au-delà de ce délai, notre droit prévoit l'intervention du juge des libertés et de la détention.

Ôter au procureur de la République le pouvoir de contrôler la garde à vue reviendrait d'ailleurs à donner au juge des libertés et de la détention le pouvoir de contrôler les politiques de poursuites rapides et de défèrement, actuellement sous le contrôle du parquet. Les conséquences sur la maîtrise des objectifs de politique pénale du Gouvernement seraient loin d'être négligeables.

Pour résoudre la difficulté soulevée par l'arrêt Moulin, je soumettrai à votre Commission un amendement qui tire les conséquences de cette jurisprudence en confiant le contrôle de la mise à exécution des mandats d'arrêt et d'amener au juge des libertés et de la détention.

D'autres amendements, précisant et enrichissant le dispositif envisagé, pourront être adoptés dès lors qu'ils ne remettent pas en cause son équilibre général. Ainsi, il paraît indispensable de prévoir, lors d'une confrontation entre un auteur présumé et sa victime, la possibilité que celle-ci soit également assistée d'un avocat. Il s'agit de garantir l'égalité des armes, dans une phase essentielle de la procédure.

Pour finir, j’insisterai, à ce stade, sur un point : la mise en œuvre de cette ambitieuse réforme.

Cette mise en œuvre exige une mobilisation des différents services de l’État, qu’il s’agisse des services de police ou des juridictions, un effort conséquent d'équipement (matériels de visioconférence pour faciliter les prolongations de garde à vue, locaux pour la consultation des dossiers par les avocats) et, surtout, un effort sans précédent en matière d'aide juridictionnelle. Nous avons déjà prévu des mesures en ce sens. Le budget consacré au financement de l'aide juridictionnelle a été augmenté en matière pénale : 80 millions d’euros supplémentaires seront ainsi alloués à la défense par les avocats des personnes placées en garde à vue.

Les barreaux devront participer pleinement à ces efforts. Je ne doute pas qu'ils sauront relever ce défi et assurer la défense effective de tous ceux qui, placés en garde à vue, où qu’ils soient sur le territoire de la République, souhaiteront bénéficier de leurs services.

Cette réforme impliquera aussi des modifications profondes de fonctionnement. Tous devront s’adapter à ces mutations afin que la nouvelle procédure pénale permette plus de respect des libertés publiques mais n’entraîne pas une moindre efficacité dans la recherche des auteurs d’infractions.

La réforme de la garde à vue était nécessaire, et elle est très attendue. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, toujours en évolution, conforte l’ambition initiale du Gouvernement et nous pousse à aller plus loin. Les échanges que nous aurons en Commission puis en séance publique seront, je le sais, fructueux et vigoureux. Le projet répondra ainsi aux meilleurs standards européens.

L’équilibre que nous devons trouver ensemble est délicat : les droits de la défense doivent être protégés sans que la qualité des enquêtes s’en trouve affaiblie. Le législateur a souvent eu en cette matière un mouvement de balancier. Je souhaite adapter notre législation aux normes constitutionnelles et conventionnelles tout en préservant ce fragile équilibre. Pour parvenir à concilier ces différentes exigences, je sais pouvoir compter sur votre compétence.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Il est vrai que les décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’Homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation donnent un tour particulièrement contraint au contexte juridique de cette réforme. Sans doute aurait-il été souhaitable d’engager une réforme globale de la procédure pénale, mais le calendrier nous impose d’examiner de façon autonome, tout autant que sereine, la question de la garde à vue.

L’équilibre que nous devons trouver est, certes, délicat. On ne doit ni décourager les forces de l’ordre ni donner le sentiment d’une moindre vigilance ou d’une quelconque impunité. Il nous faut par ailleurs nous préoccuper des victimes tout en respectant les droits de la défense.

Dire que la liberté est le principe, et la contrainte l’exception, est une approche séduisante. Pourtant, un certain nombre de difficultés se posent. Il ressort des auditions de juristes, d’experts et de praticiens que j’ai pu mener en tant que rapporteur, ou de celles organisées par la Commission, que, selon les jurisprudences, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’Homme, la présence d’un avocat est nécessaire dès le début de l’audition libre. Dans ce cas, le dispositif prévu par le projet de loi ne tient plus.

La définition de la garde à vue, beaucoup plus stricte qu’actuellement, me paraît pertinente. Un certain nombre de questions méritent cependant encore d’être soulevées s’agissant de la protection des droits de la personne placée en garde à vue : comment se traduit l’effectivité de l’assistance de l’avocat ? À quel moment débute son intervention ? Faut-il prévoir un délai de carence ? À quels éléments du dossier a-t-il accès ? S’agit-il ou non d’un avocat « taisant » ?

Le droit au silence devait être instauré. C’est désormais un principe inscrit dans les mentalités, et, de fait, aujourd’hui, les personnes mises en cause qui ne veulent pas parler ne parlent pas.

Le respect de la dignité est essentiel. Avec la suppression des fouilles à corps disparaîtront les traumatismes psychologiques et le sentiment de déshumanisation qu’elles pouvaient provoquer.

Je partage votre approche des régimes dérogatoires. Le système français en matière de terrorisme, que nous envient les autres pays, est pertinent et efficace. Il serait fâcheux de le mettre à mal dans une période où les menaces sont particulièrement prégnantes. En matière de stupéfiants et de bande organisée, il convient de maintenir un régime spécifique. Hormis certaines adaptations nécessaires, le dispositif que vient de présenter M. le garde des Sceaux n’appelle pas de commentaires à ce stade.

En revanche, permettre au parquet de contrôler la prolongation des gardes à vue est une source de difficultés, pour ne pas dire une erreur. Même si l’interprétation des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, en particulier de l’arrêt Moulin, ne doit pas être trop extensive, il me semble que cette question doit être réexaminée, sans pour autant que soit rouvert le débat sur l’indépendance et le rôle du parquet.

Enfin, des moyens importants devront être mis en œuvre pour appliquer cette réforme, en termes tant de budget que d’organisation. Les barreaux des grandes villes pourront s’adapter facilement, mais je m’interroge sur la façon dont les « petits barreaux » pourront se mettre au diapason des nouvelles mesures.

M. Dominique Perben. Monsieur le garde des Sceaux, merci pour votre présentation. Vous avez évoqué des ajouts qui paraissent nécessaires, compte tenu des évolutions récentes des jurisprudences européenne et française.

Néanmoins, je ne vois pas l’intérêt d’introduire l’audition libre dans notre système législatif. Pourquoi inscrire dans la loi une pratique courante, qui veut que les personnes considérées comme témoins se rendent dans un commissariat pour répondre à un certain nombre de questions ? Pour encadrer un tel dispositif, il faudrait l’alourdir considérablement, ce qui le rendrait, de fait, ingérable.

La solution que vous proposez quant au contrôle du parquet me semble intelligente, en tout cas conforme à l’interprétation que j’ai de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Encore faudra-t-il voir dans quelles conditions le parquet peut reporter de douze heures l’intervention de l’avocat dans les affaires classiques, et motiver sa décision. Cela doit rester du domaine de l’exception et ne pas devenir un deuxième régime de droit commun.

Pour que l’enquête ait toutes les chances de réussir, la liberté de l’individu étant protégée et le droit des victimes garanti, la loi doit être précise sur les conditions de l’intervention de l’avocat. Un délai de carence doit être instauré afin d’éviter que l’enquête ne soit bloquée ou, au contraire, que celle-ci ne fasse fi de l’arrivée de l’avocat. La durée de ce délai de carence devra être encore précisée, l’emploi d’une formule de type « délai raisonnable », qui serait un nid à contentieux, devant être évité.

Par ailleurs, il conviendra de préciser si l’avocat intervient pendant l’interrogatoire ou à la fin de celui-ci. Je rappelle qu’il s’agit bien ici d’une phase d’enquête de police, et non d’une convocation devant le juge.

Enfin, il faudra définir le rôle, éventuel, de l’avocat de la victime.

La position de la Cour de cassation sur les régimes dérogatoires est différente de celle du Conseil constitutionnel, qui avait validé la loi de 2004, mais la décision de non-conformité à la jurisprudence européenne s’impose à nous. Pour autant, gardons à l’esprit que les organisations terroristes ou criminelles sont si puissantes aujourd’hui que, faute de donner à la justice tous les moyens de lutter contre elles, les États démocratiques devront se défendre avec des moyens non judiciaires, ce qui ne représentera un gain pour personne. Donnons au parquet la possibilité de différer la présence de l’avocat en motivant sa décision au cas par cas, le juge des libertés et de la détention intervenant après les premières vingt-quatre heures.

L’amendement du Gouvernement, qui tirera les conséquences de l’arrêt Moulin en confiant le contrôle de la mise à exécution des mandats d’arrêt et d’amener au juge des libertés et de la détention, me paraît tout à fait pertinent.

Le passage d’un système à l’autre doit se faire dans les meilleures conditions possibles pour les services de police et de gendarmerie, pour les magistrats et pour les avocats. À cet égard, et malgré le délai qui nous est imparti, j’attire votre attention sur la nécessité d’écrire une loi praticable dont les dispositions seront facilement applicables par les professionnels.

M. Jean-Paul Garraud. Nous voici à un moment important de la vie législative, où nous devons inventer un équilibre nouveau et délicat entre sécurité de nos concitoyens, exercice des libertés publiques et respect des libertés fondamentales.

Comme les policiers et les magistrats l’affirment, l’inflation du nombre de gardes à vue est en partie due à la loi du 15 juin 2000, votée ici à la quasi-unanimité, qui faisait de la garde à vue un élément de garantie des droits de la personne mise en cause par la justice. La décision du Conseil constitutionnel nous impose de modifier le régime de la garde à vue avant le 1er juillet 2011. Sans doute aurait-il été préférable d’inclure cette réforme dans celle, plus globale, de la procédure pénale, afin de bien en faire comprendre toute la cohérence.

Je rejoins Dominique Perben sur son appréciation de l’audition libre. Ce dispositif a été présenté comme nouveau, ce qui a fait naître une certaine confusion dans les esprits. Pourtant, la pratique qui consiste à convoquer une personne au commissariat pour procéder, avec son accord, à son audition, existe déjà. Elle est même beaucoup plus répandue, concernant les infractions mineures, que le placement en garde à vue, et donne à l’officier de police judiciaire un premier aperçu de l’affaire, en tout début de procédure.

La présence de l’avocat en garde à vue doit être conciliable avec la préservation du secret de l’enquête. Dans certaines affaires liées à la criminalité organisée ou au terrorisme, la sécurité de nos concitoyens en dépend. En contrepartie de l’extension de ses pouvoirs, la défense devra réformer son organisation afin d’assumer ces nouvelles responsabilités. Il faut aussi empêcher que l’absence de l’avocat ne paralyse l’enquête.

Monsieur le garde des Sceaux, vous avez répondu précisément à la question que je vous posais en séance, mardi dernier, sur les conséquences qu’il convenait de tirer de l’arrêt Moulin.

Je ne suis pas d’accord avec notre rapporteur sur le contrôle de la garde à vue : le parquet est une autorité judiciaire à part entière, ses magistrats ayant suivi la même formation et étant soumis aux mêmes règles de déontologie que les autres magistrats. Selon le Conseil constitutionnel, ils sont aptes à contrôler les gardes à vue pendant les quarante-huit premières heures. Je ne doute pas que cette question fera débat.

Enfin, il faut aller au bout de la logique de juridictionnalisation de la garde à vue et permettre à la victime de se faire assister, elle aussi, par un avocat. Il serait anormal de la laisser seule, surtout s’il s’agit d’une personne mineure ou vulnérable, lors d’une confrontation avec l’auteur présumé de l’infraction. Rapporteur pour avis depuis 2002 du budget de la justice, je suis conscient des sommes importantes que représente une telle réforme. Des crédits doivent impérativement être prévus pour la mettre en place.

Présidence de M. Sébastien Huyghe, vice-président

M. Dominique Raimbourg. La réforme que vous nous présentez, monsieur le garde des Sceaux, est difficile et compliquée. D’abord, elle intervient après que les juridictions nous ont adressé de nombreux avertissements, dont nous n’avons pas su tenir compte. La situation s’est même aggravée : les dispositions de la loi du 15 juin 2000 concernant la garde à vue, dont le législateur ne pensait pas qu’elle serait utilisée comme une mesure de protection dont la mise en œuvre était nécessaire, ont fait l’objet d’interprétations jurisprudentielles. Par ailleurs, le Président de la République a malencontreusement choisi de faire de la garde à vue un indicateur de l’efficacité policière.

Notre procédure pénale, est aujourd’hui déséquilibrée. Autrefois, une phase judiciaire succédait à une phase policière. Mais aujourd’hui, les juges d’instruction traitent 30 000 dossiers quand, dans le même temps, les tribunaux correctionnels prononcent 580 000 décisions, la plupart d’entre elles ne faisant donc l’objet d’aucune enquête contradictoire. Le paradoxe de cette réforme est le suivant : en isolant le temps de la garde à vue du reste de la procédure pénale, cette réforme nous amène à rendre l’enquête partiellement contradictoire, alors que toutes les opérations qui suivront ne le seront plus.

En outre, la difficulté de cette réforme tient au fait que la garde à vue n’est pas seulement une mesure d’enquête, mais remplit aussi deux autres fonctions. En permettant une rétention limitée dans le temps, elle prévient le renouvellement de l’infraction. Par ailleurs, elle permet d’adapter les moyens de la police et de la justice au traitement des dossiers. C’est précisément là que se pose le problème de la nuit. Selon des sondages réalisés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, seules une heure et demie ou deux heures sur les treize heures que dure en moyenne une garde à vue sont consacrées à l’audition du mis en cause. Le service de quart, notamment la nuit, n’a pas les moyens de prendre immédiatement une décision sur les enquêtes et place les personnes en garde à vue dans l’attente du retour du service enquêteur. Par ailleurs, il n’est pas prévu de récupération des permanences de nuit pour les procureurs, ce qui fait que le fax de notification de garde à vue arrive souvent, la nuit, dans un bureau vide.

La question de l’audition libre est extrêmement complexe. Beaucoup d’affaires, selon la police, ne méritent pas une garde à vue. Mais si la garde à vue est considérée comme une mesure de protection, comment échapper à un tel dispositif ? Pour autant, pourquoi l’OPJ mettrait-il en œuvre une mesure aussi compliquée en se privant d’un certain nombre de moyens ? Cette difficulté est centrale, et je crains que nous n’ayons pas trouvé à ce jour de solution satisfaisante.

L’instauration d’un délai de carence, qui donne à l’avocat le temps d’arriver, est nécessaire. Mais sitôt ce délai expiré, l’enquête doit pouvoir commencer. Doit-on, pour définir le rôle de l’avocat en garde à vue, s’inspirer de son rôle dans la phase de l’instruction – avocat taisant pendant l’interrogatoire, puis posant un certain nombre de questions à son issue ? Enfin, qui arbitre le conflit entre l’OPJ et l’avocat ? À l’instruction, le juge clôt l’interrogatoire et saisit le bâtonnier. Qu’en est-il dans le temps contraint d’une garde à vue ?

Monsieur le garde des Sceaux, je partage votre avis selon lequel le procureur est la partie poursuivante. Dans un droit pensé de partie à partie, je ne vois pas comment le procureur pourrait porter atteinte aux droits de l’autre partie en différant l’intervention de l’avocat. Pour autant, je suis partisan de la protection du secret de l’enquête pendant un certain temps, surtout lorsqu’il y a pluralité d’auteurs et que leurs dépositions doivent demeurer secrètes tant que tous ne se sont pas expliqués sur leur rôle respectif.

La prolongation de la garde à vue ne peut pas non plus être du ressort de la partie poursuivante, mais forcément du juge des libertés et de la détention. Je suis bien conscient des difficultés que recouvre une telle proposition, dans la mesure où les juges des libertés et de la détention sont encore moins nombreux que les procureurs. Ces difficultés d’ordre démographique se poseront aussi pour la présence effective de l’avocat ; il sera difficile de mettre en œuvre la réforme sur l’ensemble du territoire, puisque l’on dénombre en France 52 000 avocats, dont 23 000 exercent à Paris.

Enfin, je partage les observations de M. Garraud sur la défense de la victime. Il n’est pas question que celle-ci se retrouve seule face à l’auteur présumé de l’infraction, assisté, quant à lui, d’un avocat.

M. Jean-Jacques Urvoas. Un texte est nécessaire, mais il faut veiller à ce que le poids de nouvelles contraintes juridiques et matérielles n’obère pas la capacité opérationnelle des services de police et de gendarmerie, qui agissent au nom des victimes et de la sécurité publique. C’est pourquoi, comme M. Raimbourg, je suis favorable, au nom du respect de l’égalité des armes et du contradictoire, à ce que les victimes soient elles aussi assistées d’un avocat.

Je me suis posé plusieurs questions en vous écoutant.

La réforme de la procédure pénale est-elle encore à l’ordre du jour de la présente législature ? Les auditions ont révélé une différence d’appréciation entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice. Le premier semble considérer le texte comme une contrainte, qu’il s’agit de cantonner à des adaptations minimes, ce qui nous prive de toute faculté d’anticiper ses conséquences et ses moyens. La Chancellerie annonce en revanche une réforme globale de la procédure pénale, qui entraînera des modifications profondes de l’organisation et du fonctionnement de l’institution judiciaire. Convaincu que c’est grâce à la cohérence de la chaîne pénale qu’on relèvera le défi de la sécurité, je suis gêné que les deux ministères n’aient pas la même position.

Sur la forme, je comprends que vous déposiez des amendements pour prendre en compte une jurisprudence que la Cour de cassation n’avait pas encore rendue quand votre prédécesseur a déposé le projet de loi. Mais il est difficile pour les parlementaires de travailler sur un texte en partie caduc, et nous vous serions obligés de transmettre les amendements gouvernementaux avant mercredi. La réunion de notre Commission serait plus fructueuse et le principe d’égalité entre parlementaires de l’opposition et de la majorité serait mieux respecté.

Sur le fond, accepteriez-vous qu’un officier de police judiciaire exerce la police de l’audition pendant une garde à vue, ce qui s’avérerait nécessaire si un avocat ne respectait pas ses obligations ou perturbait les auditions ?

Je m’interroge également sur l’allégement de la procédure. J’ai rencontré la semaine dernière des représentants du barreau de Quimper, où sont inscrits 116 avocats, dont une vingtaine de pénalistes. Les contraintes qui pèsent sur ces avocats sollicités pour 350 gardes à vue par an, sur un total d’un millier, iront sans doute en s’aggravant. Pour alléger la procédure, êtes-vous favorable à l’enregistrement systématique des auditions de garde à vue, qui serait consacré comme pièce de procédure ? Une telle décision mettrait fin au système actuel, dans lequel l’enregistrement ne sert à rien, puisque seul compte le procès-verbal qui retranscrit intégralement l’audition. En outre, elle permettrait à l’OPJ de pallier l’absence éventuelle de l’avocat.

Êtes-vous favorable, comme les représentants des OPJ, à la rédaction d’un procès-verbal unique synthétisant les éléments clés de l’audition ? Le procédé réduirait le temps très long qu’exige la transcription intégrale des auditions, qui interdit aujourd’hui à l’enquêteur de se consacrer pleinement au fond de l’entretien.

Êtes-vous favorable à la dématérialisation du registre de garde à vue, qui permettrait au procureur d’effectuer le contrôle à distance ?

Êtes-vous favorable à la suppression, dans le cahier de garde à vue, de l’émargement, qui ne consacre actuellement aucun droit particulier, d’autant que l’intéressé signe tous les PV ?

Enfin, êtes-vous favorable au principe de la compétence nationale des OPJ ? La limitation territoriale, qui ne se comprend plus aujourd’hui, où l’on n’a plus affaire à une délinquance strictement locale, est trop souvent une cause de nullité. Pourquoi ne pas profiter du projet de loi pour supprimer cette anomalie ?

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

M. Sébastien Huyghe. Cette réforme imposée par la jurisprudence doit concilier plusieurs objectifs : permettre que l’enquête soit effectuée sans entrave, laisser au mis en cause la possibilité d’exercer ses droits légitimes à la défense, enfin respecter et protéger la victime. Veillons en effet à ne pas inverser les rôles en mettant quasiment celle-ci en accusation, alors que l’auteur présumé des faits serait considéré comme une victime potentielle du système, qui devrait être protégée à tout prix.

Notre marge de manœuvre est étroite entre deux risques politiques majeurs. Le premier serait de réglementer la garde à vue de manière si contraignante qu’elle compromettrait l’efficacité de la police, ce qui enverrait un signal désastreux tant aux Français, qui demandent chaque jour plus de sécurité, qu’aux forces de l’ordre, qu’il ne faut pas décourager. Le second consisterait à mettre en place un nouveau système que condamnerait la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel ou les hautes juridictions de notre pays. Le problème vient en partie du fait qu’on nous impose une procédure de garde à vue en vigueur dans les systèmes judiciaires accusatoires, alors même que nous conservons notre système inquisitoire.

Si je salue l’action du Gouvernement qui a pris les devants en travaillant à une réforme globale de la procédure pénale, je regrette, pour des raisons de cohérence, que la jurisprudence l’ait obligé à commencer par la garde à vue. Bien que son projet de loi équilibré suscite l’adhésion du groupe UMP, certaines dispositions appellent des questions, notamment en ce qui concerne l’audition libre, apparemment peu conforme à la jurisprudence, laquelle nous impose de légiférer presque dans l’urgence.

Nous nous interrogeons sur la notification des droits, la présence de l’avocat, le consentement éclairé à la renonciation à un certain nombre de droits, et enfin sur la sécurité.

Dès lors que, depuis 2000, la jurisprudence considère que toute contrainte doit nécessairement déboucher sur une garde à vue, on ne peut envisager d’audition libre que si la personne suit les policiers sans entrave et de son plein gré, ce qui pose évidemment la question de la sécurité de la personne et de la police. Par ailleurs, quel doit être le rôle de l’avocat pendant la garde à vue ? Doit-il se taire, comme le prévoit apparemment le texte, ou pourra-t-il poser des questions à la fin de l’interrogatoire ? Nous saluons le fait que le texte prévoie, avant l’interrogatoire, un entretien de trente minutes. Mais que se passera-t-il si l’avocat intervient pendant l’audition ou qu’il se livre à des manœuvres dilatoires ? Est-il possible qu’il soit dessaisi du dossier, voire sanctionné ? Le délai de carence doit exister, mais celui-ci ne doit pas dépasser deux heures, pour ne pas paralyser l’enquête.

Nous sommes favorables à ce que la victime, au moins lors des confrontations, soit elle aussi assistée d’un avocat, pour respecter l’équilibre des armes.

Nous nous réjouissons également de la fin de la fouille intégrale systématique, aussi humiliante pour celui qui la subit que désagréable pour celui qui y procède.

Reste la question des moyens. L’agencement des locaux de police et de gendarmerie devra être revu si la personne mise en cause doit s’entretenir avec son avocat pendant trente minutes avant d’être interrogée. L’évaluation de l’aide juridictionnelle devra aussi être revue à la hausse. Il faudra prévoir un budget pour installer la visioconférence dans les commissariats et les gendarmeries.

Par ailleurs, dans les zones rurales, l’organisation des barreaux devra être revue, car ceux qui ne comptent qu’une vingtaine d’avocats auront sans doute du mal à mettre en œuvre la réforme.

Enfin, je me réjouis des avancées concernant les régimes dérogatoires et du fait que les mandats d’arrêt et d’amener exigeront désormais l’intervention du juge des libertés et de la détention.

M. Philippe Goujon. Nombre de notions me semblent devoir être précisées dans cette réforme d’importance, qui répond à la nécessité de maîtriser le nombre de gardes à vue. Mais comment s’étonner de l’augmentation de ces dernières, dès lors que leur nombre est devenu un indicateur de performance ? J’ajoute qu’elles permettent souvent une élucidation de l’enquête et que le recours à la garde à vue correspond à l’interprétation jurisprudentielle, notamment par la Cour de cassation, de la loi Guigou. Le texte obéit aussi au souci de garantir les droits du gardé à vue, tout en dotant les enquêteurs d’outils procéduraux adaptés à l’élucidation des faits les plus graves, notamment ceux punis d’emprisonnement.

Tout a évolué du fait des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, sans doute influencée par le droit anglo-saxon. Peut-être avons-nous eu tort de ne pas faire valoir les principes de notre droit au sein des instances internationales. Nous voilà contraints de plaquer sur la procédure inquisitoire qui s’applique en France des mécanismes de protection des libertés adaptés à une procédure accusatoire, ce qui soulève de grandes difficultés.

C’est une réforme globale qu’il aurait fallu faire, quitte à changer de système ! La décision du Conseil constitutionnel, qui nous impose de procéder à la réforme de la garde à vue avant le 1er juillet 2011, ne nous facilite pas la tâche.

Nous sommes tous des défenseurs des libertés individuelles, mais comment ne pas insister, dans le contexte actuel, sur la nécessité absolue de ne pas entraver le travail des policiers ? La garde à vue est un moment décisif de l’enquête. Il y a d’ailleurs une corrélation frappante entre l’augmentation du nombre de gardes à vue et celle du taux d’élucidation. Entre 2002 et 2009, le nombre de gardes à vue a augmenté de 45 % dans l’agglomération parisienne, et le taux d’élucidation des faits de violence aux personnes, de 51 %.

À mon sens, tant que l’on ne change pas de système, la nature de la garde à vue ne doit pas être modifiée. Elle doit rester une phase policière et non devenir une étape quasi juridictionnelle, ce qui a plusieurs conséquences. L’une d’elles concerne l’arrivée de l’avocat, l’autre, le droit de garder le silence.

En outre, l’accès de l’avocat aux pièces du dossier doit être limité. En effet, soit la garde à vue intervient aussitôt après les faits, auquel cas le dossier est vide, soit elle résulte de l’enquête, et les PV ne constituent pas un dossier proprement dit : ce sont des documents épars, qui ne pourront être qualifiés de dossier qu’une fois mis en forme et transmis à l’autorité judiciaire. D’ailleurs, compte tenu du temps restreint de la garde à vue, l’accès à l’ensemble des PV semble matériellement impossible, puisque, dans les affaires très lourdes, ils représentent des centaines de pages.

Enfin, sans remettre en cause sa déontologie, il faut éviter qu’un avocat ait connaissance, avant même le magistrat, d’informations qui pourraient mettre en cause d’autres personnes que son client.

Je pense comme M. Perben que le délai de carence doit être précisé. Un délai de deux heures, peut-être un peu court en zone rurale, paraît raisonnable, mais demandera une réorganisation des barreaux. Observons qu’à Paris, dans les deux tiers des cas, les avocats ne se déplacent pas pour une garde à vue.

Aux termes de la réforme, l’entretien avec l’avocat changera de nature. Actuellement, lors de la garde à vue, l’avocat joue seulement un rôle d’information du gardé à vue, alors qu’il interviendra désormais pour organiser la défense et préparer les interrogatoires. En contrepartie, il ne devra intervenir qu’en fin d’audition, peut-être seulement sur des points de droit et non sur le fond.

On peut imaginer aussi que le gardé à vue dispose d’une quinzaine de minutes pour préparer chaque audition et qu’au terme de chacune d’elles l’avocat puisse émettre des observations écrites. Afin d’éviter d’éventuelles manœuvres dilatoires, la police de l’audition doit être effectuée par l’OPJ, sous le contrôle du procureur.

L’audition, moment privilégié dans la conduite de l’enquête, n’est pas et ne doit pas devenir un débat contradictoire. Lors d’une confrontation, la victime doit elle aussi, pour des raisons d’équilibre, être assistée d’un avocat. Reste à savoir quel doit être le statut des témoins. L’enregistrement doit devenir systématique et être considéré comme une pièce de procédure. Quant à savoir s’il faut continuer à disposer de pièces écrites, attention à ne pas imposer aux enquêteurs une surcharge de travail qui les empêcherait de mener l’enquête ! Évitons que l’alourdissement de la procédure ne leur impose de consacrer deux tiers de leur temps à des tâches matérielles !

Je me réjouis que le problème de la fouille soit réglé, dans le respect de la dignité de chacun, mais, en contrepartie, il faut exonérer la police de toute responsabilité qui découlerait de cette situation.

Si, dans certains cas particuliers, l’OPJ peut demander au parquet de prolonger la garde à vue pendant douze heures, un renouvellement supplémentaire de douze heures me semble à prévoir, notamment en cas de menace d’attentat ou quand il faut recueillir des preuves.

Pour ce qui concerne les régimes dérogatoires, je partage l’avis de M. Perben. En ce qui concerne l’arrêt Moulin, l’amendement sur le mandat d’amener me semble intéressant, mais le placement et le renouvellement sont à la charge du parquet. Peut-être le contentieux de la garde à vue pourrait-il relever du JLD, ce qui supposerait cependant une réorganisation des magistrats du siège.

L’audition libre, qui ne doit pas être un substitut de la garde à vue, doit être plus simple qu’elle n’est aujourd’hui prévue par le projet de loi. Si on la rend complexe et contraignante, la garde à vue restera le recours principal des enquêteurs. Aujourd’hui, le système semble fonctionner. On compte 1,6 million de personnes mises en cause, soit deux fois plus que de personnes gardées à vue. Il n’est donc pas certain qu’il faille créer le dispositif de l’audition libre, dispositif que la Cour européenne des droits de l’Homme peut récuser, au motif qu’il se déroule sans la présence d’un avocat, et auquel les enquêteurs reprocheront peut-être d’être plus lourd sur le plan administratif qu’une simple convocation.

M. Claude Goasguen. Depuis le début de l’audition, je ressens une certaine amertume.

Sur le fond, beaucoup de nos collègues considèrent qu’il s’agit d’une réforme contrainte, alors que nous nous apprêtons à traiter une question fondamentale de notre droit, dont nous débattons depuis plus de vingt ans. La question de la garde à vue se posait déjà quand la Commission des lois débattait du nouveau code pénal. En outre, il s’agit d’une question de justice quotidienne. La garde à vue, élément non de l’enquête mais de la procédure, doit, comme tel, être considérée comme un acte majeur et non comme une formalité de police. D’ailleurs, elle n’est pas neutre en termes de libertés publiques. Ne considérons donc pas que notre débat est contraint par des juridictions – Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Cour européenne des droits de l’Homme –, quelle que soit l’estime qu’on leur porte !

La décision que nous allons prendre résulte d’une évolution positive. Notre société est désormais prête à accepter, comme d’autres démocraties, la présence plus active de l’avocat dès la première heure de la garde à vue. Il y a vingt ans, les bâtonniers étaient très réservés à cet égard, et bien peu de barreaux s’y sentaient prêts. Aujourd’hui, les avocats la réclament eux-mêmes, ce que je considère comme un progrès. Quant à la police, certes plus réservée, elle sera grandie si l’on instaure des procédures de justice dans les commissariats. La présence des défenseurs supprimera les procès qu’on lui intente presque toujours à tort. Dans notre monde où la sécurité est un problème, elle retrouvera une image sécurisante, car une personne qui entre en garde à vue ne doit pas avoir peur. Je rappelle qu’un pays comme les États-Unis, qui gère le problème de la sécurité aussi bien que nous, admet la présence d’un avocat dès la première heure de la garde à vue.

M. Philippe Goujon. Ils ont un système accusatoire !

M. Claude Goasguen. Pas à ce niveau-là ! Ne mélangeons pas tout ! La procédure inquisitoire reste la ligne directrice des gardes des Sceaux depuis des décennies. Nous ne sommes donc pas en train de bouleverser le système français, même si celui-ci évolue.

Les Allemands aussi se soumettent aux arrêts de la Cour européenne.

Récusant l’opposition entre accusatoire et inquisitoire, considérons plutôt que nous allons vers une procédure contradictoire : ce n’est parce que nous acceptons certaines évolutions que nous renonçons aux principes fondamentaux de notre droit !

Sur la forme, je regrette que, pour un sujet majeur – on procède à 800 000 gardes à vue par an –, nous examinions un texte différent de celui qui sera débattu en séance publique. Je ne vous en rends pas responsable, monsieur le garde des Sceaux, et je vous donne acte que la passation de pouvoir n’a rien arrangé. Je connais par ailleurs les contraintes de l’ordre du jour. Cependant, je souhaite que nous disposions du temps du temps nécessaire pour sous-amender vos amendements.

J’ai toujours été partisan d’autoriser l’intervention des avocats lors de la garde à vue. Ceux-ci devront s’y préparer.

Vous avez rappelé à juste titre que la justice doit être rendue partout de la même manière, mais il faut intégrer certaines évolutions technologiques. Lors de la garde à vue de mineurs, nous recourons à des moyens modernes qui n’ont pas transformé la nature de leur audition. Pourquoi ne pas prendre en compte les difficultés du barreau du Cantal, très différentes de celles du barreau parisien ? Le délai de carence, qui est une bonne mesure, doit souffrir certaines adaptations.

Je comprends mal la réticence française à l’égard des nouvelles technologies, par exemple celle des magistrats à l’égard de la visioconférence.

Sur la question des régimes dérogatoires, nous serons certainement condamnés, car la Cour européenne est vigilante, mais, à mon sens, il faut marquer notre spécificité, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et le grand banditisme. Pour autant, je pense qu’il faut éviter dans le texte l’expression « bande organisée » qui, en droit, ne signifie rien. Je préférerais que l’on y définisse la notion de « grand banditisme ».

M. Jean-Paul Garraud défend vertement le rôle du procureur, qu’il préfère au JLD. Il faudra examiner un jour le problème de la sacro-sainte unité du corps, mais je pense modestement que le moment n’est pas opportun.

M. Philippe Houillon. À mon tour, je reviendrai sur la méthode.

Les députés ne disposent que de quelques jours pour amender un texte différent de celui qui sera débattu en séance publique. De ce fait, ils seront dessaisis du débat au profit des sénateurs, qui seuls auront pu examiner le projet de loi définitif.

M. le garde des Sceaux. Je tiens à ce que la discussion ait lieu à l’Assemblée nationale dans toute sa plénitude. C’est pourquoi je déposerai les amendements du Gouvernement dès cet après-midi.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Quant à moi, je repousse à lundi, dix-sept heures, la date limite pour le dépôt des amendements pour les députés.

M. Philippe Houillon. Merci de cette réponse, qui nous satisfait tous.

Sur le fond, nous avons la chance d’aborder une matière clairement balisée. Les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme sont claires, comme celle du Conseil constitutionnel et les trois arrêts rendus par la Cour de cassation. Ces juridictions considèrent que toute garde à vue appelle un contrôle prompt et automatique par un juge. J’entends dire que, dès lors qu’un arrêt juge trop long un délai de quatre jours et six heures, on peut en déduire qu’un délai inférieur conviendrait. À mon sens, cette déduction résulte d’une interprétation trop rapide de la jurisprudence. N’oublions pas que la CEDH emploie le terme « aussitôt ».

Par ailleurs, le contrôle de la garde à vue doit être effectué par un magistrat qui n’appartient pas au parquet. Les décisions ont été réitérées dans des termes clairs. Si l’on n’en tient pas compte, nous nous ferons sérieusement taper sur les doigts par la Cour européenne, ce qui a déjà commencé avec l’arrêt Moulin. C’est si vrai que, le 26 octobre, la Cour suprême du Royaume-Uni, saisie à peu près des mêmes questions sur le régime de la garde à vue en Écosse, a repris la jurisprudence de la CEDH en considérant qu’elle devait s’appliquer sans moratoire, quelque bouleversement qu’elle introduise dans la procédure.

Un autre principe concerne l’assistance effective de l’avocat et le fait qu’une personne soupçonnée ou mise en cause ne doit pas avoir à s’incriminer et puisse garder le silence.

Enfin, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation se sont exprimés sur les régimes dérogatoires.

Le chemin étant clairement balisé, soit on applique la jurisprudence, soit on s’en tient à des demi-mesures qui nous exposeront à de nouvelles condamnations de la Cour européenne ou de la Cour de cassation. Veut-on, oui ou non, tenir compte de leur avis ? Certains répètent que la garde à vue est une phase non pas juridictionnelle mais policière. Là n’est pas le problème ; le fait est que la garde à vue constitue une privation de liberté, qui déclenche les garanties, et peu importe sa nature.

Pour le reste, il ne me semble pas possible, comme le prévoit le texte, de placer la garde à vue sous le contrôle du procureur. Celui du JLD poserait un autre problème : il n’existe pas partout de JLD, alors que les gardes à vue auront lieu dans tous les ressorts des tribunaux de grande instance. Il faut donc trouver une solution plus précise.

Quant à l’audition libre, le texte parle d’une « personne soupçonnée », ce qui exclut que l’on ne prévoie aucune garantie. Soit la personne entendue en audition libre dira ce que les policiers ont envie d’entendre, et l’audition prendra fin, soit l’on recourra à la passerelle vers la garde à vue prévue par le projet de loi. Il restera cependant un vide juridique. Certes, en prévoyant la garde à vue pour toutes les infractions donnant lieu à un emprisonnement, on balaie pratiquement tous les cas. Mais, en théorie, il faut bien qu’une personne mise en cause soit entendue à un moment ou un autre de l’enquête. Comment faire si la garde à vue n’est pas possible, et que la personne refuse d’être entendue en audition libre ? La meilleure solution serait sans doute d’instaurer une audition assistée, ce qui impliquerait de déplacer le curseur déclenchant la garde à vue. Pour aider à la réflexion, je rappelle que la détention provisoire – que l’on ne peut confondre avec la garde à vue – n’est possible que lorsqu’une peine de trois ans est encourue.

Je pense également qu’il faut réécrire les articles 5 à 7 du projet de loi, puisque la jurisprudence mentionne l’assistance effective de l’avocat, ce qui suppose défense et organisation de la défense, présence immédiate, présence aux interrogatoires et, le cas échéant, faculté d’effectuer des demandes d’actes, de façon que la procédure soit contradictoire. Ces mesures sont celles que nous avions préconisées dans le cadre de la Commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, qui les avait votées à l’unanimité. Il ne s’agit pas de repousser la menace de l’accusatoire, qui n’est plus à l’ordre de jour. D’ailleurs, les expériences menées ailleurs – par exemple en Italie – n’ont pas été concluantes dès lors qu’elles n’allaient pas dans le sens de la culture du pays. En revanche, il faut aller vers le contradictoire. Cette modification de nos habitudes n’a rien d’un bouleversement révolutionnaire : il s’agit simplement d’adapter la manière pour le moins archaïque dont le pays des droits de l’Homme traite la privation de liberté.

Enfin, pour ce qui concerne les régimes dérogatoires, les arrêts de la Cour de cassation laissent la porte ouverte à la mise en place d’un système compatible avec la jurisprudence européenne et celle de la Cour de cassation. Il suffit que la décision soit liée, non à la nature de l’infraction, mais aux circonstances de l’affaire, ce qui ouvre le champ à la rédaction de textes qui permettent de protéger et les droits applicables et les circonstances, dans des affaires particulières.

(La séance, suspendue à 11 heures 50, est reprise à 11 heures 55.)

Mme George Pau-Langevin. Monsieur le garde des Sceaux, il ressort de nos débats que le projet de loi a besoin d’être renforcé. L’audition libre doit impérativement respecter les critères définis par les instances européennes, ce qui suppose d’introduire des garanties pour la défense. Par ailleurs, si le texte contient des avancées intéressantes, il exige des moyens qui ne sont pas prévus dans le budget de votre ministère. Le montant alloué à l’aide juridictionnelle n’est pas adapté aux nouvelles conditions de la garde à vue, car il faudra non seulement réorganiser les barreaux, mais aussi indemniser les avocats des petits barreaux, qui devront faire parfois une heure de trajet pour assister une personne en garde à vue, charge manifestement plus lourde que celle consistant à enchaîner plusieurs interventions au cours d’une même permanence en ville. Le tarif de l’aide juridictionnelle devra être modulé pour tenir compte de la variété des situations.

Je regrette également de ne trouver dans le texte aucune garantie significative pour la garde à vue des mineurs. Dans ma circonscription, deux jeunes filles de treize ans qui s’étaient battues en sortant du collège ont été mises en garde à vue de manière aberrante. Les conditions prévues dans le texte pourraient s’appliquer à leur cas. Or il va de soi que les mineurs doivent bénéficier de garanties supplémentaires.

Même si je suis convaincue de la nécessité de lutter contre le terrorisme, je vois mal en quoi la gravité de l’infraction devrait limiter les droits de la défense. Le dispositif dérogatoire doit donc être complété.

Enfin, je me réjouis que la pratique des fouilles à corps, particulièrement humiliante, soit encadrée, mais qui contrôlera et sanctionnera les abus en ce domaine ? Le texte prévoit qu’on ne recourra à cette pratique que pour répondre aux nécessités de l’enquête. Quelle conséquence le fait qu’une fouille soit décidée de manière abusive aura-t-elle sur la procédure ?

M. Serge Blisko. Je serai bref, car mes collègues ont posé beaucoup de questions judicieuses. J’aimerais cependant savoir si le texte modifie les conditions d’intervention du médecin au cours de la garde à vue, car c’est une épreuve que tous ne supportent pas.

En ce qui concerne les fouilles, mieux vaudrait préciser ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Quand M. Raimbourg et moi-même avions visité le dépôt et la souricière du Palais de justice de Paris, qui, depuis lors, ont été améliorés, nous avions constaté que les personnes, qui, à l’issue de la garde à vue, attendaient d’être déférées devant un juge d’instruction ou en procédure accélérée, étaient fouillées à corps deux fois de suite, d’abord par un gendarme, puis par un policier – ou l’inverse – de manière attentatoire à leur dignité, pratiquement dans le même lieu et à quelques minutes d’intervalle. Il faut donc que le texte soit le plus précis possible. Par ailleurs, je continue de plaider pour l’utilisation de systèmes électroniques ou de résonance magnétique, qui évitent de recourir à des fouilles pénibles.

Certains collègues ont évoqué la difficulté de respecter le délai de carence dans les petits barreaux, où les avocats auront du mal à rejoindre le lieu de la garde à vue. Profitons de l’occasion pour mettre en place la visioconférence. À défaut, une simple chute de neige comme celle qui s’est produite hier suffira à nous faire condamner pour des raisons purement techniques. D’ailleurs, pourquoi faire peser sur les barreaux une charge qu’ils ne seront pas capables d’assumer, et qui ouvrira la porte à d’infinis contentieux ? La visioconférence est une opportunité tant pour l’avocat que pour le magistrat qui sera chargé de contrôler la mise en détention. Je vous demande donc de prévoir des crédits pour la mettre en place.

De même, les systèmes de vidéo-enregistement, prévus dès 2000 dans les commissariats, doivent être efficaces. Si nous conservons le système de l’audition libre, la justice devra impérativement disposer d’enregistrements vidéos de qualité pour répondre à toute contestation. Trop souvent, les systèmes fonctionnent mal et l’on n’y recourt pas de manière systématique. Le dispositif est certes complexe, surtout pour moi qui suis sans doute le seul dans cette Commission à n’être ni magistrat, ni avocat, ni professeur de droit, mais il sera inattaquable si les moyens humains, financiers et techniques sont à la hauteur de ce que nous souhaitons.

M. le garde des Sceaux. Je remercie tous les membres de la Commission, qui ont été très actifs, sans doute en raison de l’importance du texte.

Monsieur Goasguen, je n’ai pas l’impression d’être sous la contrainte, puisque la réforme a été pensée depuis longtemps. Je vous concède qu’elle est encadrée par les décisions de juridictions qui s’imposent à nous, mais je la mets en œuvre avec enthousiasme. D’ailleurs, on agit mal quand on se persuade qu’on ne peut pas faire autrement. En l’espèce, il faut avoir une vision claire de notre droit, qui n’a rien d’intangible. Le doyen Carbonnier parlait jadis du « droit flexible », pour souligner qu’on doit l’adapter en permanence puisqu’il reflète les relations internes à la société.

Comme M. Goasguen et M. Houillon, je pense qu’il faut aller vers le contradictoire, ce qui ne signifie pas que l’on doive priver la société des moyens de se défendre – c’est un point sur lequel nous nous rejoignons tous.

Comme vous, monsieur Urvoas, je suis attaché à la cohérence de la chaîne pénale, car je ne vois aucun sens à opposer policiers et magistrats. Chacun joue un rôle différent, qui est défini dans notre bloc de constitutionnalité par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, fondement du droit public républicain.

Je conviens, monsieur le rapporteur, que l’équilibre est difficile à trouver. Nous allons le chercher ensemble.

Comme M. Perben, M. Garraud et M. Huyghe, vous m’avez interrogé sur l’audition libre. Il ne s’agit pas de la réformer, mais de la traiter comme une donnée de fait, puisqu’on compte presque autant d’auditions libres que de gardes à vue, dont le nombre ne peut pas passer tout d’un coup de 800 000 à 1,6 million. D’ailleurs, le nombre d’avocats dont nous disposons ne permet pas de le faire. Mais nous en reparlerons dans les jours prochains.

Le problème des régimes dérogatoires est essentiel. Il n’est pas question de l’abandonner, puisque son efficacité est avérée, notamment pour lutter contre le terrorisme, le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée. Dans ce domaine, nous sommes arrivés à un bon niveau de réponse, qu’il ne s’agit pas de diminuer. Il faut cependant aménager ces régimes, dans le respect de la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Vous avez également évoqué le problème des moyens humains et financiers, qui se pose en effet. Je m’en tiendrai à une réponse formelle, en vous rappelant que c’est le Parlement qui vote le budget et décide des moyens…

M. le rapporteur. Voilà une réponse très formelle !

M. le garde des Sceaux. La commission des Lois ne m’en voudra pas de m’en tenir au droit ! Cela dit, je suis preneur de moyens, puisqu’une réforme ne vaut que par ceux qu’on lui consacre.

Reste à savoir qui, du parquet ou du JLD, doit contrôler la garde à vue. Si je suis d’accord sur l’évolution vers le contradictoire, je m’oppose à l’idée qu’on écarte le procureur qui, dans le système français, est un magistrat. Demain, 10 décembre, la chambre criminelle se prononcera sur son rôle. Attendons ses explications. Cela dit, le texte et les amendements que j’ai annoncés respectent pleinement la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

Le délai de quatre jours auquel il a été fait allusion ne se déduit pas d’une interprétation. Il est explicitement cité dans deux arrêts de la CEDH, l’un du 3 octobre 2006, l’autre du 3 février 2009. Ce dernier, Ipek et autres contre Turquie, précise expressément qu’un délai de quatre jours a été considéré comme conforme à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Pendant ce laps de temps, il vous est proposé de faire intervenir successivement le procureur, qui prononce la première prolongation, et le juge des libertés, qui statue sur la seconde à la demande du procureur et rend une décision motivée. Cela dit, il faut conserver son efficacité à l’opération. M. Raimbourg a évoqué les permanences de nuit et la difficulté de trouver des magistrats. Le système qui vous est soumis en tient compte.

M. Perben a souligné à juste titre la nécessité d’un dispositif praticable, compte tenu du nombre de gardes à vue. La pire des choses serait d’opposer la liberté à l’efficacité : il serait dramatique que le respect des libertés publiques, des droits de la victime et de ceux du gardé à vue nuisent à la conduite de l’enquête.

Les modalités techniques de l’intervention de l’avocat doivent être réglées dans le détail, car, sur les grands principes, nous nous accordons tous. Le délai de carence réduisant d’autant la durée de la garde à vue, il est important que les barreaux, qui réclament la présence de l’avocat dès la première heure, s’organisent. Il appartiendra aux bâtonniers de mettre en place des permanences, avec un numéro dédié, de manière qu’un gardé à vue qui n’a pas d’avocat habituel puisse néanmoins se faire assister. Nous fixerons ensemble le délai de carence, mais celui-ci ne doit pas intervenir chaque fois que l’audition est reprise, ce qui prolongerait inutilement la procédure.

Quant à la nature de l’intervention de l’avocat, soyons honnêtes : le rôle d’un avocat est de parler, chacun en est conscient. La direction de l’interrogatoire revient cependant à l’OPJ chargé de mener l’enquête. L’avocat ne doit pas intervenir dans ses questions. À la fin de l’interrogatoire, il pourra éventuellement faire des remarques ou, si nécessaire, poser des questions à son client.

Sur le terrorisme et la criminalité organisée, je pense que nous sommes d’accord.

M. Garraud considère qu’il aurait été préférable d’engager une réforme globale de la procédure pénale et M. Urvoas m’a demandé non sans ironie si elle était toujours d’actualité. Ma réponse est positive. Oui, la Chancellerie continue d’y travailler avec des parlementaires, dont certains siègent dans votre Commission. Mais il n’échappe à personne qu’une législature ne dure que cinq ans, et que nous n’avons plus que dix-huit mois devant nous, ce qui nous laisse en fait peu de temps, une fois décomptées les périodes des élections cantonales, des congés obligatoires et celle réservée au budget. Nous commençons donc par la réforme de la garde à vue, parce que nous y sommes contraints par la jurisprudence, avant de poursuivre plus globalement la réforme de la procédure pénale.

M. Raimbourg n’a pas tort de souligner que la réforme de la garde à vue est difficile et compliquée, mais elle est aussi passionnante, comme le montre notre échange de ce matin. Si nous la réussissons, nous prouverons que, dans une démocratie, la protection de la liberté est source d’efficacité. C’est un point fondamental, qui nécessite des accords très larges. Vous avez prouvé qu’ils existent.

Vous m’avez interrogé sur le statut du procureur. Pour être un élu provincial, je ne suis pas pour autant naïf, et je sais que le sujet revient chaque fois que les cours font leur rentrée. En réalité, le statut du procureur n’est pas tout à fait celui qui est proclamé. Tout à l’heure, je présiderai l’avant-dernière réunion du Conseil supérieur de la magistrature, dont je suivrai les avis. La question n’a pas de conséquences immédiates sur le texte, de même que la réforme du statut du procureur n’aurait guère d’influence sur la jurisprudence de la Cour européenne. Ce qui lui pose problème est moins le statut du procureur – elle le dit clairement dans l’arrêt Moulin – que le fait qu’il soit partie poursuivante. Les deux choses sont très différentes.

M. Dominique Perben. Elles sont liées !

M. le garde des Sceaux. Dans l’arrêt, les deux questions ne sont pas si liées. Certes, tout est dans tout et réciproquement, et les juristes que nous sommes savent que tout texte peut être interprété. Mais, à bien lire l’arrêt, on constate qu’il n’y a pas de lien entre les deux points. N’oublions pas, d’ailleurs, que, dans le système français, le rôle du procureur va de pair avec la règle du contradictoire.

Monsieur Urvoas, je considère que la police de l’interrogatoire incombe à l’OPJ, qui ne peut être désarmé : il doit avoir la pleine maîtrise des questions qu’il pose pour mener l’enquête dont il est responsable.

Le débat me permettra de revenir sur certaines questions techniques. Je suis favorable à l’utilisation des technologies modernes. Notre procédure reste écrite, mais on peut écrire avec un crayon ou en tapant sur un clavier. L’utilisation de la visioconférence pose toutefois un problème d’identification. Il faut que le Conseil national de l’ordre des avocats ou le barreau prenne des mesures afin qu’on sache précisément qui écoute et qui regarde l’interrogatoire.

M. Huyghe a fait remarquer que la marge de manœuvre était étroite. C’est juste, mais je suis sûr qu’il va nous aider à l’élargir et à trouver un bon équilibre.

M. Goujon a eu raison de rappeler qu’il ne faut pas décourager les policiers et les gendarmes. À cet égard, je pense comme M. Goasguen que la réforme doit au contraire nous permettre de mettre leur rôle en relief et de les rendre plus fiers de leur mission. Je considère que nous avons la meilleure police et la meilleure gendarmerie d’Europe. Dès lors, puisque les autres pays réussissent en appliquant les règles auxquelles nous allons nous conformer, nous réussirons aussi. Certes, il faudra changer certaines habitudes, mais j’ai toute confiance en la police et la gendarmerie. Je vois les hommes sur le terrain. Je sais comment ils sont formés. Ils rempliront pleinement leur rôle, ce qui nous tient particulièrement à cœur.

J’espère avoir dissipé l’amertume de M. Goasguen, sentiment dont il n’est pas coutumier. Je pense comme lui que la garde à vue est un élément de procédure essentiel.

M. Houillon a insisté sur le fait qu’il voulait connaître le texte définitif, ce qui sera possible dès ce soir. Nous avons dû tenir compte de la situation, car il faut toujours s’adapter.

Si nous réussissons à bâtir la réforme, nous rendrons le système français compatible avec le système européen. Pour la première fois, j’ai assisté récemment au Conseil de l’Union européenne « Justice et affaires intérieures ». C’est une réunion impressionnante, qui se tient dans une salle immense. La discussion était passionnante, car le Traité de Lisbonne donne aux questions de justice un relief nouveau. L’Europe est en train de construire une procédure pénale qui lui est propre. Cela se fera très vite. Plus encore que les décisions de la Cour de Strasbourg, ce sont celles de l’Union qui compteront désormais. Nous devons être attentifs à ces évolutions. Notre réforme doit conserver un caractère français, car la justice, qui est toujours l’expression d’une culture, ne peut être plaquée de l’extérieur. Non seulement la nôtre doit devenir compatible avec le système européen, mais notre réforme doit aussi l’aider à se construire, car, pour nous et pour notre avenir, il importe qu’il soit fort, solide, efficace et respectueux des droits de la victime comme des libertés publiques fondamentales. Nous avons donc un vrai rôle à jouer en Europe.

Madame Pau-Langevin, je vous remercie d’avoir noté que ce texte comportait des avancées intéressantes. Vous avez soulevé le problème des moyens et posé la question de la garde à vue des mineurs, qui ne bénéficient pas de garanties spécifiques.

M. Blisko m’a interrogé sur la présence du médecin pendant la garde à vue, qui ne me semble pas poser problème. Pour les fouilles, je préciserai ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.

Enfin, je n’ai rien contre les technologies électroniques, mais il faut trouver les moyens de les mettre en place et de s’y former.

J’espère avoir répondu à tous.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le garde des Sceaux, je vous remercie.

La séance est levée à 12 heures 30.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Serge Blisko, M. Claude Bodin, M. Jean-Paul Garraud, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Charles de La Verpillière, Mme George Pau-Langevin, M. Dominique Perben, M. Dominique Raimbourg, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, M. Guy Geoffroy, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert